Dans une version simplifiée des faits, dans celle que tu offrais à Albane, elle n’était que cette fille dont tu avais eu envie un soir de solitude, celle que tu avais su séduire trop facilement sans jamais te douter de toutes les conséquences qui suivraient cet écart de conduite. Elle n’était qu’une fille de plus dont tu avais pu goûter la peau et que tu avais pu jeter la seconde d’après, dans un schéma que tu connaissais trop bien. Mais il y avait sous cette version résumé quelque chose de bien plus complexe, de bien plus difficile à décrire qui semblait te ramener à elle constamment. Quelque chose que tu ne savais pas expliquer, encore moins assumée, quand tu préférais toujours provoquer et mordre plutôt que de prendre le risque de te montrer vulnérable devant autrui. Particulièrement Albane qui avait cette tendance à délier ta langue d’une manière qui suffisait à te faire peur, elle qui avait déjà eu trop souvent droit à des confidences et des parcelles de ta personne que tu préférais camoufler sous une insolence aussi stupide que désagréable. « Ravie de savoir que j’étais à ton goût, alors. » Elle ne faisait que nommer une évidence Albane, quand l’attirance que tu pouvais éprouver à son égard n’était plus à prouver tant tes gestes avaient tendance à te trahir cruellement. Le commentaire t’arracha néanmoins un énième sourire, malgré la douleur provoquée par les gestes mécaniques de l’infirmière qui continuait de pincer et d’écorcher ta chaire au fur et à mesure qu’elle continuait d’extraire les morceaux de verres logés. « Je pense surtout que ça été une bonne distraction pour toi. » Et c’est ce qu’elle se devait de rester, la française. Une distraction dont tu aurais oublié tous les détails dès l’instant où tu aurais mis les pieds en dehors de cet hôpital. Mais ça, c’est seulement ce que tu voulais te faire croire. Tu étais parfaitement consciente que la vérité était tout autre. « J’aime pas les histoires inachevés. » Et c’est ce qu’elle était devenue, Albane. De part ce jeu qui avait commencé entre vous, à la fin abrupte qui ne ressemblait pourtant pas à une vraie fin, autant que par ces morceaux de confidences qu’elle t’avait offerts, ce soir ou par le passé, auxquels demeuraient encore beaucoup de questions sans réponses. Et malgré ton penchant pour les problèmes, ton besoin constant de foutre la merde partout où tu mets les pieds, tu sais mieux que jamais que l’idéal ici et maintenant est de simplement lâcher prise. De ne pas demander plus ce que tu es en mesure d’accepter, que ce qu’elle est capable de donner.
Elle te donne tout de même cette promesse que si jamais elle devait partir, elle te le dirait. Comme si ça voulait dire quelque chose, comme si ça avait la moindre importance. Bien sûr que ça avait toute son importance, tu te détestais seulement pour le fait que tout ton corps semblait trahir cette vulnérabilité avec laquelle tu n’avais jamais su être confortable. La fin des soins tombait à point, il fallait que tu t’éloignes d’elle autant que possible, il fallait que tu fasses le vide dans ta tête et que tu oublies tout ce qui venait de se passer se soir, de la fille au bar jusqu’à ce moment bien précis où tout semblait plus flou que jamais. « J’imagine que rien de ce que je pourrai dire ne te fera changer d’avis. » « T’apprends vite. » que tu répliques, amusée. Non, si elle apprenait vraiment vite, elle ne t’aurait jamais laissé approcher une première fois, n’aurait jamais succombé à la délicieuse de ce jeu que tu avais instiller la première fois et n’aurait encore moins jamais alloué pour que la situation le permette une deuxième fois. Albane n’apprenait pas vite, quand la proposition de te rendre chez elle tenait toujours, quand elle savait que c’était un jeu dangereux et que les avertissements de se tenir loin de toi étaient en vigueur plus que jamais. Et si la conversation aurait dû se terminer à ce point précis, si tu aurais dû sagement attendre la venue d’un médecin qui pourrait te signer ta décharge et te permettre de quitter cet endroit de misère, la vie semblait avoir d’autres plans pour la fin de ta nuit quand c’est plutôt Caitriona qui apparut. Celle que tu demandais à voir à ton arrivée, celle que tu ne souhaitais pourtant plus réellement confrontée maintenant que tu t’étais calmée. Surtout pas devant Albane.
« Il faut croire que je me suis trompée. » Si l’infirmière s’adresse à toi, c’est plutôt sur ta demi-sœur que se porte désormais son attention. Elles échangent quelques plaisanteries de base et tu roules des yeux alors qu’elles semblent toutes les deux faire bien attention à ne pas t’accorder le moindre regard. C’est ta demi-sœur qui fut la première à se retourner vers toi, et c’est un regard noir que tu n’hésitas pas à lui rendre. « Si je suis là, c’est pas par plaisir, mais parce que t’as informé absolument tout le personnel sur le fait que tu voulais me voir. Je me demande pourquoi, d’ailleurs. » « Oh, me dis pas que tu voulais me garder cacher comme un petit secret honteux? » C’est plus fort que toi. Caitriona ouvre la bouche et tu ne peux réprimer les commentaires. « Deux questions. Qu’est-ce que t’as foutu? Et qu’est-ce que tu me veux? » Tu n’as pas le temps de répondre toutefois qu’Albane intervient, cherchant sans contredit à s’éclipser avant que le ton ne monte entre la rouquine et toi. Ça, elle semble l’avoir parfaitement bien compris. « Je vous laisse… terminer. Je vais aller mettre à jour le dossier et préparer les papiers de décharge. Et Leo… » Tu lèves les yeux vers elle. Elle n’a pas besoin d’ouvrir la bouche que tu devines déjà ce qu’elle se retient de te dire. Une morale que tu ne saurais pas écouter de toute façon. « … Non rien. Bonne nuit. » « Attends Bane. Tu finis bientôt? » Tu as dit que tu ne voulais pas aller chez elle. Tu as dit que tu n’avais pas besoin d’aide. Mais ça, c’était avant que Cait n’apparaisse – par ta faute, bien entendu. « J’rentrerai avec toi, finalement. » Non, tu n’as pas vraiment l’intention de faire ça. C’est seulement une tactique pour qu’elle ne t’abandonne pas, comme tu sembles la supplier du regard. Tu retournes ton attention sur la rousse, prends sur toi de ne pas lancer tous les commentaires acerbes qui te viennent pourtant à l’esprit. « Y’a un mec un bourré qui m’a brisé une bouteille de bière sur le bras. » On évitera évidemment de préciser que tu l’avais provoqué en posant tes mains sur les cuisses de sa copine. « Tu sais te montrer utile parfois ou pas du tout? Tu peux signer la décharge? » Tu ne lui diras pas pourquoi tu l’as demandé, tout comme tu préfères prétendre que tu n’as pas fait toute une scène plus tôt simplement pour changer complètement d’idée une fois devant la Regan. Tu es acerbe, mauvaise, mais tu es beaucoup trop fatiguée et plus assez intoxiquée pour avoir envie de te lancer dans un cœur à cœur qui ne saurait réellement faire de sens.
Albane avait répondu tranquillement à ses salutations, pendant que du coin de l'oeil, Cait voyait Eleonora osciller entre le malaise et la colère. « Salut Caitriona. Ça va, on a fini ici. Je suis désolée, je ne savais pas si c’était une urgence qui demandait vraiment ta présence. » La rousse avait soupiré. « De ce que je vois c'était pas vraiment une urgence, et t'as parfaitement géré. L'urgence était pas médicale, en tout cas. » Patiente qui se révélait être sa soeur, sur laquelle elle avait reporté toute son attention. « Si je suis là, c’est pas par plaisir, mais parce que t’as informé absolument tout le personnel sur le fait que tu voulais me voir. Je me demande pourquoi, d’ailleurs. » « Oh, me dis pas que tu voulais me garder cachée comme un petit secret honteux? » L'interne avait lâché un soupir, tout en levant les yeux en ciel. Quelle idée elle avait eu de se montrer aux urgences pour venir voir ce qui s'y tramait. « Y a plus beaucoup de monde pour qui c'est un secret, depuis le scandale que tu as fait la dernière fois. » Par contre, pour lui foutre la honte, ça, elle savait y faire. Elle avait presque prit un blâme à cause de ses conneries. « Deux questions. Qu’est-ce que t’as foutu? Et qu’est-ce que tu me veux? » Le ton était déjà tendu, et ça allait rapidement monter dans les tours. C'est pour cela sûrement qu'Albane était intervenue avant que sa harpie de soeur n'ait pu lui répondre. « Je vous laisse… terminer. Je vais aller mettre à jour le dossier et préparer les papiers de décharge. Et Leo… » La rouquine était restée silencieuse alors que les deux autres échangeaient un long regard. Qui en disait long. Cait ne connaissait rien de sa demi-soeur, mais elle aurait mis sa main à couper qu'il se passait quelque chose entre les deux jeunes femmes. « … Non rien. Bonne nuit. » « Attends Bane. Tu finis bientôt? » Un enchainement, qui n'avait fait que renforcer l'avis de l'irlandaise sur la situation entre Eleonora et Albane. Elle ne pouvait pas savoir ce qui se passait - ou qui s'était passé - mais elle pouvait tenter de le deviner. « J’rentrerai avec toi, finalement. » Qu'est-ce qu'elles étaient au juste? Des colocataires? Des amies? Des amantes? En tout cas, c'était suffisamment important pour que la soignante décide d'attendre encore un peu, elle qui venait d'annoncer qu'elle voulait s'éclipser pour remplir certains papiers. Finalement, la blonde avait reporté son attention sur sa demi-soeur, qui attendait toujours ses explications. « Y’a un mec un bourré qui m’a brisé une bouteille de bière sur le bras. » Sans savoir trop pourquoi, l'irlandaise était persuadée que ce n'était pas un incident isolé, que ce n'était pas le premier, non plus. Elle était aussi certaine qu'Eleonora l'avait sans doute cherché, même si elle n'était pas censée avoir un avis sur le pourquoi du comment. Surtout qu'elles avaient du public, en la personne d'Albane. Mais elle n'avait pas pu s'en empêcher. « J'imagine que t'es pas tout à fait innocente dans l'histoire. » C'était pas une question, ni une interrogation, et la rousse n'attendait aucun commentaire de la blonde quant à ça. Cait avait suffisamment vu la façon dont sa soeur pouvait se comporter, et qu'elle n'hésitait pas à chercher des noises, quand elle ne cherchait pas la merde. « Tu sais te montrer utile parfois ou pas du tout? Tu peux signer la décharge? » Comme si elle ne pouvait s'exprimer autrement qu'en la provoquant. Mais puisqu'il était clair que la rousse n'obtiendrait rien de sa part, elle avait préféré se fendre d'un gros soupir, avant de lui saisir le bras. Sous ses doigts, elle avait senti l'autre se raidir. D'un oeil expert, elle avait observé le travail d'Albane - excellent comme à son habitude - sous tous les angles, un peu plus longtemps que nécéssaire. Juste pour le plaisir de voir le malaise d'Eleonora grandir. Puis, elle l'avait lâché. « J'ai rien à ajouter, c'est parfait. J'aurais pas dû venir. » Parce qu'on avait pas besoin d'aide médicalement parlant, aussi parce que de toute évidence, côtoyer sa soeur n'était pas une bonne idée. Elle avait attrapé les papiers de sortie, les avait signé. Ce faisant, machinalement, elle lui avait récité toutes les consignes pour sa sortie, les choses à faire et à ne pas faire. Puis elle lui avait tendu le papier à Eleonora, et elle était sortie sans un regard en arrière.
Oh you lie next to me, heart is beating heavily. Blood in your ear through blood on your shirt. It's too late to say you're sorry. Say you're sorry still. I stepped out with heavy heart to bail you out again. Oh those things you do...
Albane avait l’amère impression d’avoir été propulsée au-devant d’une scène à laquelle elle ne devrait pas assister. Elle avait pourtant cru pendant un instant que l’intervention de Caitriona la sortirait de cette situation délicate, que l’interne prendrait le relais, rendant sa liberté à la française. A la place, la brune se retrouvait juste plantée sur place, mal à l’aise, à ne pas savoir quoi dire, quoi faire. La Regan n’avait pas l’air de lui en vouloir de ne pas l’avoir informée de la présence de Leo aux urgences, et c’était déjà un bon point. Cela faisait en théorie partie de ses responsabilités, d’informer les proches, mais la Parker pouvait se comporter comme une gosse parfois. Lui dire non, ne pas céder à ses caprices, c’était un peu comme faire son éducation et éviter un prochain incident similaire. Ironiquement, il n’y avait bien que sur ce sujet que Bane avait réussi à lui dire non, à ne même pas faire l’effort. Probablement parce que pour une fois, elle savait comment faire les choses correctement. C’était bien plus simple quand elle pouvait se cacher derrière son rôle professionnel, utiliser l’excuse des autres patients pour se retirer discrètement. La curiosité n’était pas assez forte pour assister à autant d’animosité, à essayer de reconstituer le puzzle de la relation qui reliait les deux jeunes femmes. L’exaspération de la rousse parlait pour elle-même. Mais évidemment, il fallut que son retrait soit interrompu, que Leo la mette dos au mur. Lui impose de rentrer avec elle. Une invitation qu’il était trop tard pour rétracter, et un revirement qui la fit hausser un sourcil indécis. De quoi il s’agissait ici ? D’un retour à la raison ? D’une tentative pour la retenir ? Est-ce qu’elle comptait vraiment venir à l’appartement cette nuit ? Il y avait comme de la supplication dans son regard, mais pour quoi au juste ? « Si tu promets de plus faire de vagues. » finit-elle par céder dans un soupir.
Les bras croisés sur la poitrine, il ne lui restait plus qu’à attendre que la confrontation se déroule. La rencontre entre Cait et Leo avait l’air récente, de ce que la française avait compris. Mais c’était bien assez vieux pour que la rousse ait compris à qui elle avait à faire, visiblement. Le sarcasme était palpable. Evidemment que la blonde avait cherché le conflit, qu’elle était pleinement responsable de ce qui lui arrivait ce soir. Certes, rien ne devait justifier la violence. Mais il fallait s’attendre à subir les conséquences de sa provocation gratuite. Et tout ça pour quoi ? S’amuser, se changer les idées ? Être le centre de l’attention ? Albane ne comprenait juste pas, avait renoncé à y trouver du sens. L’infirmière ne fit néanmoins aucun commentaire, suivit les gestes de Cait du regard sans en penser quoique ce soit. Elle savait que son travail était propre, ferait parfaitement l’affaire. Après tout, comme elle l’avait mentionné, ce passage aux urgences n’avait justement rien d’urgent. Rien qui ne justifiait de prendre des pincettes, d’un côté ou de l’autre. Si elle l’avait désiré, l’interne aurait encore pu torturer sa demi-sœur pendant un moment, repousser la signature de la décharge juste pour le plaisir de la faire fulminer. De quoi faire réaliser à Bane combien, même alcoolisée, Leo venait de parfaitement jouer ses pions. Si elles devaient rentrer ensemble, punir la Parker revenait à punir Bane. Car évidemment, tout était un jeu avec elle.
L’autorisation du médecin fut octroyée, les consignes données, la prescription faite. Toute cette routine médicale qui voulait dire que cette rencontre désastreuse touchait à sa fin. Albane lâcha un petit « merci » contrit à Cait quand elle s’en alla, comme si les conneries de Leo étaient d’une certaine manière sa responsabilité. « J’en ai encore pour une demi-heure avant la fin de mon shift. Tu peux m’attendre dans le hall d’entrée de l’hôpital, mais j’ai l’impression que je ne t’y verrai pas. Alors rentre bien. » Elle préférait ne pas se faire de faux espoirs, ne pas prendre le risque d’être déçue. Un dernier sourire adressé à la blonde et elle rouvrit les rideaux, retourna se perdre dans le flot des urgences. Là où on avait vraiment besoin d’elle.