To the outside, the dead leaves laid on the lawn
Megan Williams & @"Alyssa Wilson"

Ce n’est pas Jessica. C’est ce que je me dis pour me rassurer quand, pourtant, je suis plus touchée que je ne veux l’admettre où ne voudrais le montrer. Seulement, je ne suis pas de celles qui parviennent à masquer leurs émotions avec aisance et, alors que le cercueil est descendu en terre, je sais que la peine que je ressens s’imprime sur mon visage, au vue et au su de toutes les autres personnes présentes. Catherine Wells ne m’a accueillie que quelques semaines, quelques mois tout au plus mais, lorsqu’on a douze ou treize ans, ça compte. Lorsqu’une personne s’occupe mieux de vous que votre propre mère, vous ne l’oubliez pas, malgré les années et le peu de rapport que vous entretenez avec elle par la suite.

Elle n’a jamais pu avoir d’enfant, mais je crois reconnaître ses sœurs et, je le devine à l’air de famille que partage le petit groupe, ses neveux et nièces. Une fois que le prêtre termine son oraison funèbre et que tous terminent de se recueillir en silence, je viens leur présenter mes condoléances et partager leur peine, les yeux brillants de larmes que je tente de retenir pour garder la face, mais sans parvenir à donner le change pour autant. Alors que j'esquisse un mouvement pour m’éloigner, une silhouette familière capte mon attention. Sans trop savoir pourquoi je ne l’attendais pas là, Alyssa. Peut-être parce que son passage dans le système a été bref, presque une mauvaise anecdote et qu’elle ne fait pas partie de ceux qui, comme moi, ont collectionné les familles d'accueil, à défaut de pouvoir parler d’adoption. Je ne l’ai pas vue depuis plusieurs mois, presque un an en fait et, depuis, ma vie entière a été bouleversée. Elle a probablement suivi tout ça sur les réseaux sociaux, peut-être qu’elle s’en moque, peut-être m’en veut-elle ou bien peut-être a-t-elle déjà tourné la page mais, en ce jour bouleversant, je ne m’imagine pas m’éloigner sans aller la saluer et partager quelques anecdotes concernant Catherine et, surtout, notre peine. « Alyssa… » J’esquisse un sourire triste, un sourire presque timide - je suis consciente d’avoir été une mauvaise amie - et je m’arrête à son niveau. Trop près pour que nous puissions donner l’impression d’être des inconnues, mais pas assez pour la brusquer. « Je t’ai pas aperçue à l’Eglise, je serais venue te voir avant sinon. » Peut-être pense-t-elle le contraire : elle serait en droit de le faire après mes longs mois de silence. « Ton frère est pas venu avec toi ? » Il était jeune lorsque nous nous sommes retrouvés tous les trois chez les Wells, peut-être trop pour garder le moindre souvenir. « Je crois que la veillée funèbre est chez la sœur de Catherine. Mais j’ai rien cuisiné et je suis pas sûre d’y aller. » Et toi ? Une compagne de misère ne serait pas de refus, que je saute le pas ou pas.

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C’est difficile de trouver quoi dire dans ces cas là. Nous ne nous sommes pas perdues de vue assez longtemps pour que je lui dise qu’elle a changé, ou que je demande ce qu’elle devient - les réseaux sociaux répondent à notre place à ce genre de question, aujourd’hui - et je trouverais ça déplacé de lui parler de la pluie et du beau temps comme si je n’avais pas - involontairement - pris du recul ces derniers mois. Je crois qu'inconsciemment, j’ai craint qu’Alyssa ne soit tant blasée par l’amour et le mariage qu’elle pose trop de questions au sujet du mien. A moins que j’ai craint de la blesser.

Je crois surtout que je me cherche de bonnes excuses. J’ai fait des conneries dont je n’assumais pas tout à fait les conséquences et j’ai rejoint un nouveau monde, un monde sélectif, un univers aux antipodes de celui dans lequel évolue Alyssa et je n’avais pas envie d’entendre ce qu’elle avait à dire à ce sujet. « Je pense qu’on avait tous la tête ailleurs, ne t’inquiète pas… » La journée n’est pas à la rancoeur, visiblement, puisque la blonde m’accueille avec un doux sourire. « Non, Tom n’a pas pu se libérer. Et puis tu sais il était petit alors que je ne suis pas sûre qu’il se souvienne de cette époque. » - « Je pense que tu le sous estime. » J’esquisse un sourire et laisse ma phrase en suspens. Je ne parle pas tant de la mémoire du jeune homme que de sa capacité à encaisser l'événement : elle l’a toujours surprotégé et, à mon sens, c’est encore ce qu’elle a fait aujourd’hui en choisissant de ne pas l’emmener avec elle. « Il avait passé des heures à jouer avec le chien de la famille Wells, tu te souviens ? » J’ignore si pour elle ce sont de bons souvenirs ou si, au contraire, elle a déposé un mouchoir dessus. Pour moi, être accueillie par des adultes différents était devenue une habitude au moment où nous nous sommes rencontrées, mais pour elle, ce fut certainement un traumatisme.

« Et toi, tu es venue seule ? Ton mari ne t’accompagne pas ? » Je secoue la tête, un mince sourire sur les lèvres. « Damon travaillait. Il travaille toujours à vrai dire, c’est un peu son mode de fonctionnement par défaut. » J’esquisse un sourire amusé, avant de réaliser que ce que j’ai dit peut-être pris comme une critique. « Il a proposé de m’accompagner. Mais je crois que je préférais venir seule. » Parce que Damon appartient à un univers bien différent du nôtre, enfants perdus du système.

La blonde passe son bras autour de mes épaules, et me voilà à ne plus trop avoir le choix : elle a prévu de se rendre à la veillée funèbre, et visiblement je suis à présent inclue dans ce plan. Moi, je ne veux pas lui faire de peine et je ne trouve pas de moyen délicat de m’échapper. « Je t’accompagne, j’ai prévu quelque chose : on dira qu’on est venu ensemble » - « T’es venue en voiture ? » Moi, Damon m’a déposée. « On m’a déposée, mais je peux appeler un taxi. » Puisque depuis la dernière fois que nous nous sommes vues, mon compte en banque a considérablement enflé.

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« Vaguement, ça fait longtemps… » Moi, je me souviens de chacune des familles qui m’ont accueillie. Mon esprit est marqué au fer rouge par tous ces aller-retours entre ma maison - je considérais notre petit appartement comme tel, malgré la négligence de ma mère - et les foyers et demeures inconnues. Je suis persuadée qu’elle n’a rien oublié non plus et que, au contraire, elle a mis un mouchoir sur cette période difficile de sa vie. Ce n’est pas anodin lorsqu’on est une enfant que d’être arrachée à son foyer. Je me souviens d’elle à son arrivée : son petit frère s’accrochait à elle comme à une bouée et elle en faisait de même ; elle ne lâchait pas Tom des yeux une seule seconde.

Bien sûr, je suis gênée et elle a l’air de l’être tout autant. Plutôt que d’être engoncée dans une robe noire avec un col qui monterait jusqu’au ras du cou pour masquer ma poitrine, j’ai enfilé un tailleur féminin de la même couleur et une chemise blanche : j’enfonce mes mains dans les poches de mon pantalon cigarette. Je la note, la contrariété qui s’affiche sur son visage lorsqu’il est question de Damon mais je ne la relève pas : si elle a envie de m’en parler, elle le fera. Si pas, je suis douée pour enfoncer la tête dans le sable et nier l’évidence. « Oui, je vous escorte vers votre carrosse Madame. » Ce qui, dans la bouche d’une autre, aurait été teinté de sarcasme ne l’est pas dans celle d’Alyssa. Je n’ai pas l’impression que ce soit une référence à mon nouveau statut et à ce qu’il a entraîné : un vrai éloignement de certaines de mes amies. « Ma voiture est un peu vieille, mais ça te rappellera des souvenirs. » - « Y’a pas de souci, t’en fais pas. » J’ai beau vivre dans un bel appartement équipé de façon luxueuse et j’ai beau porter des vêtements de créateur, je n’oublie pas d’où je viens. « Désolé pour les peintures, je dois passer chez un potentiel client tout à l’heure. Et désolé pour tout le reste. » Je m’installe et jette un coup d'œil aux toiles à l’arrière. Elle a toujours eu du talent, Alyssa. « T’as pas à t’excuser. Je suis toujours la même personne, tu sais. » Mon ton est lourd de gravité mais je ne m'appesantis pas sur cette déclaration. « Elles sont belles. » Contorsionnée pour pouvoir attraper les toiles du bout des doigts pour les observer, j’esquisse un sourire. « T’as toujours eu beaucoup de talent. » Dans mon esprit, je réfléchis déjà à une façon de lui proposer mon aide d’une façon qui ne soit pas insultante - j’ai appris auprès de Jo à ne pas reproduire cette erreur. « Les murs de l’appartement qu’on a acheté sont encore un peu tristes. Tu en a d’autres ? » Des toiles terminées, cela va se soi.

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« Megan, je ne disais pas ça dans ce sens-là. Ce que je voulais dire c’est : je suis désolée d’avance si tu te prends une toile en pleine tête ou que tu retrouves un vieux paquet de bonbons vide à tes pieds. » Ma remarque était-elle déplacée ? Aggressive ? Je l’ignore, ce que je constate en revanche c’est que je suis sur la défensive et qu’Alyssa l’a remarqué. Je vis peut-être dans le déni mais je ne suis pas idiote : si j’agis comme ça, c’est que je sais que je n’ai pas été irréprochable ces derniers mois et la preuve en est, je me défends de quelque chose dont elle ne m’a pas - encore - accusée. Je tente de me convaincre que je ne le fais que parce que je suis persuadée qu’elle finira par le faire mais la réalité est tout autre : je me reproche moi-même pas mal de choses, à commencer par mon attitude envers la blonde. « Y’a pas de mal Alyssa. » Que ce soit pour notre mauvaise compréhension ou pour le bordel dans sa voiture : j’ai vu pire.

« Oui, j’en ai fait une grosse série le mois dernier quand je me suis faite licencier. Elles sont dans mes stories à la une sur Insta si tu veux les voir. » Je lui offre une mine désolée en entendant qu’elle a perdu son boulot. « Je l’ignorais. » Peut-être parce que je n’ai pas prêté plus attention que ça à son activité sur les réseaux sociaux ? A ce stade, ce n’est pas qu’une possibilité. « Désolée pour toi. T’arrives à joindre les deux bouts ? » Même en dormant dans une caravane, je suppose que la vie a un coup. « Et Tom, il devient quoi ? » Vit-elle avec elle ou bien a-t-il choisi un mode de vie radicalement différent ? « Et si tu en veux une, ou même plusieurs, je te les offrirai d’accord ? » Je secoue la tête, refusant tout net l’idée. « Dis pas de bêtise, je te paierai. » Je me retiens de dire que j’ai les moyens de le faire, pour ne pas être accusée d’être devenue une jeune femme prétentieuse et hautaine. « Surtout si tu vis de ton art maintenant. Y’a pas de raison que je paie pas. » Chaque travail mérite salaire : moi-même, je n’envisagerai pas d’organiser pour un ami un shooting photo gratuit sous prétexte de notre proximité. « J’irai regarder en tout cas. » Et je passerai commande, c’est une certitude. Elle a du talent mais je l’aurais fait même si je n’avais pas aimé son travail : cela aurait été un moyen comme un autre d’étouffer mon sentiment de culpabilité.

« Avant d’y aller, j’aimerais que tu répondes sincèrement à une question… Est-ce que tu es heureuse maintenant ? » Sa question me surprend et, abandonnant ma contemplation de ses toiles, je repose mon dos contre mon siège, en la dévisageant. « Bien sûr que je suis heureuse. » C’est le maintenant qui me trouble plus que le reste. Pense-t-elle que j’étais profondément le contraire, il y a un an encore. « Pourquoi tu me poses cette question ? » Fait-elle référence à mon mariage ? Est-ce une pointe d’amertume dans sa voix ? « Je suis mariée à un garçon formidable. Bien sûr que je suis heureuse. » La seule chose qui m’empêche de ronger les ongles à cause de ma nervosité, c’est mon épaisse manucure. « Je sais que j’ai pas été la meilleure des amies. » En cessant de donner des nouvelles. « Mais les choses sont allées si vite l’an dernier. L’année était passée avant que j’ai le temps de le réaliser. » Des excuses, évidement.

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« Oui, je m’en sors, tout va bien. » Ou peut-être pas, mais je ne peux pas lui jeter la pierre : ce serait hypocrite puisque je suis moi même trop fière pour admettre lorsque je ne m’en sors pas et que j’ai besoin d’aide. C’est stupide, mais c’est humain. « C’est encore un ado, il a déjà pour projet d’arrêter les cours le plus tôt possible pour travailler, je ne sais pas ce qui lui passe par la tête. Parfois j’ai peur qu’il suive le même chemin que moi. Oh et puis il a une petite copine… Elle est, hm, sympathique, enfin ça va quoi. » - « J’ai arrêté la fac pour bosser. Peut-être qu’il est pas fait pour ça. » C’est un complexe aujourd’hui, cela va sans dire, surtout quand on évolue dans le monde dans lequel j’évolue. Les Williams ne sont pas tous des intellectuels : Auden n’a pas fait d’étude, mais il brille malgré tout dans son domaine et, je suis toujours mal à l’aise lorsqu’une personne de l’entourage de Damon me demande dans quelle université je suis allée. « Il grandit, c’est normal. » Et elle, il ne faut pas qu’elle prenne le rôle de la mère étouffante simplement parce qu’elle a peur pour lui.

« Merci, tu me diras ce que tu en as pensé. Tu as toujours mon numéro ? » Je hoche la tête avec un mince sourire sur les lèvres. « Bien sûr que oui. » Du bout du doigt, j’ouvre même instagram pour voir si j’ai toujours accès à son profil. Bingo et le moins que l’on puisse dire, c’est que les premières toiles qui s’affichent n’ont rien de cliché. Pas de paysage de bord de mer, de coucher de soleil derrière un dolmen ou une falaise. Elle a beaucoup de goût en plus d’avoir du talent et je suis certaine que je parviendrai à convaincre Damon d’acheter une toile pour le salon de l’appartement. « Parce que je suis ton amie, et que même quand tout va bien je m’inquiète pour toi. » C’est bien ce qui m’emmerde : je n’ai pas envie qu’on l’on soulève le mouchoir que j’ai posé sur mes problèmes. Être seule, ça me permet au moins de vivre dans le déni de tout le bordel qu’est devenue mon existence. « Pourquoi tu te défends autant de l’être alors ? Je demandais ça comme ça. Et puis je ne peux pas savoir s’il est si formidable que ça puisque je ne l’ai jamais vu. » J’encaisse puisque je ne peux rien rétorquer : je n’ai présenté Damon qu’à peu de monde, à vrai dire. Un peu parce que je ne suis pas très entourée, mais surtout parce que tout ça n’a rien d’une vraie histoire et que mon mariage n’est qu’un château de cartes qui menace de s’écrouler. « Je ne t’en veux pas parce que je pense que tu as été une mauvaise amie, je t’en veux parce que tu ne m’as pas laissé la chance d’en être une bonne. » Je l’observe quelques secondes, gênée par sa confidence parce qu’à côté d’elle, je me sens globalement comme la pire des personnes. Elle est douce, Alyssa. Elle m’en veut parce qu’elle n’a pas pu prendre soin de moi en se tenant aussi loin. « Comme j’ai dit : tout est allé très vite. » C’est la bonne excuse, celle que je sors à tout bout de champ. « On s’est rencontrés en début d’année, fiancés en mai et mariés en novembre. » Un parfait conte de fées, de l’extérieur. « Et je crois qu’on a été un peu excessifs, lui comme moi. On a eu besoin d’être que tous les deux pendant plusieurs mois. » Les jeunes amoureux qui se laissent dépasser par une passion nouvelle : une histoire vieille comme le monde, non ? « Tout le reste est passé un peu au second plan. Mais je suis désolée. » Puis-je lui promettre de le lui présenter ? Non, je ne suis pas en mesure de faire ce genre de promesse alors que les choses se sont compliquées récemment, entre l’italien et moi. « Et pour le mariage… C’était surtout une grande cérémonie pour faire plaisir à sa famille. » ”Sinon je t’aurais invitée” est le sous-entendu évident derrière tout ça.

« Tu connais l’adresse ? » Je hoche la tête doucement. « J’en ai oublié aucune. » Aucune adresse d’aucune famille qui m’a accueillie par le passé. Je lui donne celle des Wells sans avoir à réfléchir.

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« Oui, et moi pour me marier et c’était vraiment une idée de merde, car ma vie aurait pu être totalement différente. » - « Peut-être qu’elle est supposée être ce qu’elle est ? » Je ne crois pas réellement aux notions de destin ou les autres conneries du genre, mais je pense en revanche qu’il y a des choses que nous sommes supposés vivre et peut-être que le mariage d’Alyssa fait partie des épreuves qu’elle devait affronter. « Ça t’a appris des choses. Il apprendra aussi. » J’ai de toute façon bien compris avec l’arrivée de Murphy dans ma vie qu’on ne peut pas contrôler les autres. Murphy dont je tais l’existence à ma vieille amie parce qu’il n’y a rien de plus troublant que de découvrir l’existence d’une soeur toxicomane - pour aller avec le reste de la famille. « Oui, mais même quand il aura soixante-douze ans, j’en aurai toujours huit de plus que lui. » J’esquisse un sourire et je détourne les yeux quelques secondes. J’espère sincèrement pour elle qu’elle apprendra à ne pas à étouffer son jeune frère : c’est le meilleur moyen de perdre quelqu’un qu’on aime, de trop vouloir bien faire au point de tomber dans ce genre de travers.

« Effectivement, vous n’avez pas perdu de temps ! C’est quoi le prochain projet ? Un bébé l’année prochaine ? » Je laisse un doux rire m’échapper avant de secouer la tête. « Non je te rassure. » Le bébé ne sera peut-être même jamais au programme, et je tente de ne pas y penser pour ne pas avoir à me pencher sur l’effet que ça me fait. « C’est allé vite mais maintenant on veut juste profiter l’un de l’autre. Laisse-nous quelques années de plus. » Cette étape-là ne fait pas partie de celles qui se brûlent, je ne connais que trop bien la détresse que l’on ressent lorsqu’on est un enfant non désiré et négligé. Je suis certaine qu’aux yeux de mon beau père elle est la suite logique, mais il ne nous forcera pas la main là dessus. « Je peux comprendre, c’était un peu pareil avec… Bref je comprends quoi. » Je fais la grimace mais je n'insiste pas : je sais que son mariage a été aussi bref que compliqué et qu’elle en garde des blessures. Est-ce pour ça qu’un voile passe sur son regard et que son visage s’obscurcit ? Doucement elle attrape mon poignet et y glisse un de ses bracelets. « Je suis contente pour toi d’accord ? Tiens, garde ça. C’est mon cadeau de mariage, ça ne vaut absolument rien, mais il est censé porter bonheur alors… » Mon sourire s'agrandit et je l’observe avec curiosité. « Il vient d’où celui-là ? » Il jure avec les autres bijoux de valeurs que je porte - j’ai tenté de rester sobre, il s’agit d’un enterrement - mais je sais que venant d’elle il vaut tout autant que le collier Tiffany que Damon m’a offert à mon anniversaire. Aux yeux de mon fiancé, le coût de ce dernier n’était qu’une broutille et le cadeau de la blonde a au moins le mérite d’être personnel. Bien sûr, je ne le porterai pas souvent, mais cela ne veut pas pour autant dire que je ne le regarderai pas trôner dans ma boîte à bijoux avec tendresse et que je ne lui suis pas reconnaissante.

La voiture se gare devant la petite maison et la boule au ventre, j’en sors avant de claquer la portière derrière moi. A l’intérieur, tout le monde semble être arrivé et le bruit des conversations me parvient. « Je ne voulais pas y aller, mais ma grand-mère m’a dit que c’était important. Je trouve ça tellement bizarre comme tradition. » Je tourne la tête vers Alyssa, avant d'opiner du chef. « Je vais pas rester longtemps. Le temps de parler à la famille pour lui rendre un dernier hommage et j’y vais. » Ce qu’il faut comprendre, c’est que je ne suis pas plus à l’aise qu’elle. Je jette un coup d'œil à ce qu’elle a apporté, avant de pousser la porte de la petite maison. « Who. Je pensais pas qu’il y aurait autant de monde. » Je n’ose même pas approcher la sœur de la défunte ou ses enfants, ils sont déjà entourés par des gens dont ils sont certainement bien plus proches.

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« Je comprends, vous avez le temps pour tout ça de toute façon. » J’esquisse un sourire avant d’éclater de rire et, au terme de mon hilarité, je m’explique auprès de la blonde. « Ses parents sont pas de cet avis. » Surtout le patriarche de la famille Williams qui n’attend qu’un petit fils qui prouverait au reste du monde la virilité de son gamin. « Mais oui, on a tout le temps du monde. » Et c’est exactement ce que nous répondrons à Saül lorsqu’il deviendra trop insistant. Nous sommes jeunes, nous nous sommes mariés vite, personne ne s’étonnera que nous ne devenions pas parents tout de suite, si ?

Le cadeau d’Alyssa n’a aucune valeur monétaire, mais je sais qu’à ses yeux il possède une grande valeur sentimentale et j’ai depuis des années appris à apprécier les cadeaux que l’on me fait pas pour ce qu’ils représentent à mes yeux, mais aux yeux de la personne qui me les offre. De sa part, c’est symbolique. De sa part, cela veut dire je te pardonne ou, en tout cas, je finirai par te pardonner. Cela veut dire qu’elle est heureuse pour moi. « Je l’ai eu en chine, mes grands-parents m’avaient offert le voyage pour mes vingt ans, c’est là-bas que j’avais commencé mon blog d’ailleurs. Je l’avais acheté dans un temple que j’avais visité, le vendeur a dit que l’améthyste est la pierre de la sérénité et de la sagesse. » - « Sérénité et sagesse tu dis ? » Deux adjectifs qui ne pourraient pas plus mal me représenter. Une chose est sûre, cela ne pourra pas me faire de mal que d’ajouter un peu de sagesse dans ma vie. « C’est fait pour moi. » Un doux rire s’échappe de ma gorge et, finalement, je pose un regard bourré de reconnaissance sur la blonde. « Merci. J’en prendrai soin. » Même si je ne dois pas le porter, il sera gardé comme un trésor. Aujourd’hui, je le garde à mon poignet bien qu’il détonne avec mon tailleur chic.

Je ne m’attendais pas à ce qu’il y ait autant de mon pour la veillée : Catherine était une femme appréciée et beaucoup semblent se rapppeler qu’elle était généreuse, qu’elle donnait sans compter et qu’elle a tendu la main à beaucoup de gosses comme moi. Moi-même, je n’ai pas séjourné bien longtemps chez les Price mais elle m’a marqué et alors que je pose les yeux sur une photo d’elle accrochée dans l’entrée, mon cœur se serre. « Si tu veux, je peux te redéposer devant chez toi après. » - « Tu vis toujours vers Bayside, c’est ça ? Notre appartement est en plein centre ville, faut pas faire un détour pour moi. » Je suis, malgré les apparences, toujours capable de me déplacer en transports en commun. Je n’ai pas oublié d’où je venais. « Regarde là-bas, c’est pas Alex ? Tu sais c’était lui qui avait lâché le pauvre chien de Catherine dans la nature. On avait passé des heures à le chercher. Va lui parler si tu veux, je vais poser le plat et j’arrive. » Entourée de ces anciens gamins qui me ressemblait, je suis mal à l’aise. Je suis à la fois submergée de honte et angoissée à l’idée de repenser à une époque que je préfèrerais oublier. « Je… Non, c’est bon. » Je n’ai pas envie de parler avec ces gamins qui ne feront que me rappeler qui j’étais et la détresse constante dans laquelle j’étais. « Je vais présenter mes condoléances à son mari et ses enfants. » Puis je rentre, je le décide alors que je m’approche de la famille endeuillée pour les remercier poliment de leur hospitalité et me recueillir avec eux.

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« Je ne suis pas sûre que ça fonctionne par contre. » J’observe le bracelet avec un sourire sur les lèvres, avant de finalement hausser les épaules. Je ne suis de toute façon pas superstitieuse et je me moque bien des vertus que le bracelet est soi-disant censé m’apporter : ce qui compte, c’est qu’Alyssa me l’ait offert peut-être parce que, pour elle, ça veut dire quelque chose. Dans d’autres circonstances, j’aurais déposé un baiser sur sa joue. Dans d’autres circonstance, j’aurais même été à l’aise à l’idée de la serrer dans mes bras mais force est de constater que le temps a creusé un fossé entre nous.

L’ambiance est étrange, chez les Wells. Il y a bien plus de monde que ce à quoi je m’attendais et plusieurs têtes connues. Je suis mal à l’aise à l’idée d’aller leur parler moi qui évolue aujourd’hui des kilomètres de mon passé, moi qui préfère le nier et prétendre être quelqu’un d’autre. Quelque chose me dit que je ne vais pas m’éterniser - je n’avais de toute façon pas l’intention de venir - et je cherche déjà une excuse pour m’échapper. « Oui, mais je dois apporter les toiles chez un client de toute façon… Vraiment ça ne me dérange pas. » Je hoche la tête doucement. « Ca marche. Je te donnerai mon adresse pour que tu me déposes en chemin. » J’aurais préféré éviter, mais pas parce que j’ai honte d’elle ou parce que je ne lui fais pas confiance. J’ai peur de son jugement lorsqu’elle posera les yeux sur la façade de l’immeuble luxueux, lorsqu’elle apercevra le portier tiré à quatre épingle et lorsqu’elle réalisera que dans le quartier où je vis, le moindre appartement vaut une petite fortune. Si je me sens mal à l’aise, c’est de ne plus évoluer dans le même monde qu’elle : je ne veux pas qu’elle laisse ces constats confirmer que j’ai changé.

Moins attachée à son conjoint qu’à la défunte, je lui adresse malgré tout mes condoléances polies. Il semble bouleversé et je me sens profondément mal à l’aise. « Je suis content de voir autant de monde, vous savez ces enfants qu’elle a accueillis c’était toute sa vie, elle serait tellement heureuse de vous voir tous ici. » - « C’était vraiment quelqu’un de merveilleux. On se souviendra tous d’elle et de ce qu’elle faisait pour les gosses comme nous. » J’esquisse un sourire avant de croiser le regard d’Alyssa. Elle a l’air plus mal à l’aise que moi et, d’un geste de la tête, je lui montre la sortie. Une fois dehors, je respire une bouffée d’air, avant de rompre le silence pesant. « T’étouffais, toi aussi ? » Je devine que, pour des raisons bien différentes des miennes, elle ne se sentait pas forcément à sa place. « Personne nous en voudra de pas rester longtemps. » Je me dirige vers la voiture garée sur le trottoir et j’entre à l’intérieur, avant de lui donner mon adresse. « Un de ces quatre, il faudra qu’on aille boire un café. » Je ne suis pas prête à lui ouvrir les portes de mon appartement tout de suite, cet après-midi. Je suis mal à l’aise, je n’ai pas envie de voir le regard qu’elle pose sur moi changer. « Dans des circonstances un peu plus joyeuses. »