C'est un sprint final pour lequel Drew et moi puisons dans nos ressources d'énergie restantes, que nous finissons ces dix kilomètres de course matinale. Certes, je suis habitué à courir bien plus et bien plus longtemps, mais je me suis calé sur les capacités de la jeune rousse, d'autant plus que ça fait quelques semaines que je ne suis pas au top de ma forme. C'est, en m'installant sur le banc à côté de la porte du local, que je me rends compte que je n'aurais pas pu faire beaucoup plus sans que je ne sache exactement pourquoi. Peut-être est-ce l’emboîture de la prothèse qui est trop serrée ? Ou est-ce la lame de course qui n'est pas assez souple ? Ce n'est que la deuxième fois que je cours avec celle-ci, donc ce n'est pas vraiment à exclure non plus. À moins que ce soit juste mon endurance générale qui se soit dégradée, car je n'ai, tout simplement, plus le temps d'aller courir aussi régulièrement qu'avant.
Lorsque Drew me rejoint quelques secondes plus tard, je lui adresse un large sourire et lèves les pouces en l'air «C'était bon ça ! » m'exclamais-je, heureux, malgré tout, d'avoir eu un dimanche matin sportif. «Du coup, on fait comme prévu et on va Bruncher ? » Demandais-je en récupérant, dans mon sac de sport, les outils nécessaires pour pouvoir mettre mon pied de marche à la place de la lame de course «Je vais juste me doucher rapidement par contre » précisais-je, persuadé que Drew ne sera pas contre elle non-plus de faire un saut sous la douche.
Ainsi, après que nous nous sommes lavés et changé, nous nous retrouvons à nouveau à l'extérieur et, ensemble, nous nous dirigeons vers le restaurant le plus proche qui propose des brunch à la carte dont je n'entends que du bien. Étant donné qu'après des semaines de météo capricieuse, la pluie a enfin fait place aux rayons de soleil, nous nous installons en terrasse « Prend ce que tu veux, c'est moi qui offre» dis-je en attrapant un menu que je parcours rapidement « Et parle moi un peu de toi» reprenais-je, souriant, en lançant un coup d’œil vers la jeune femme au-dessus de mon menu « Tu viens d'où ? T'as quel âge ? Tu fais quoi dans la vie ?» Car au final, je ne connais absolument rien de la jeune femme. Nous nous sommes rencontrés tout juste ce matin lorsque nous nous sommes rendu compte que nous venions nous entraîner tous les deux en même temps. Et comme je suis de nature sociale et curieuse, je me dis qu'apprendre à connaître la jeune femme ne sera clairement pas à une perte de temps.
Et de dix kilomètres. J’étais arrivé au point final de cette course matinal. Rejoignant ainsi Andrew qui avait pris quelques secondes d’avance sur moi et qui m’accueillait avec les deux pouces en l’air. Bien qu’essoufflé, je levais à mon tour les pousses en réponse. « Contente d’être arrivé. » Souriant à mon partenaire de courses du jour, je pensais au fait qu’il y eût longtemps que je n’avais pas eu quelqu’un de son niveau avec qui m’entraîner. J’avais bien couru quelques fois avec ma voisine, mais c’était à un rythme plus loisir. Je reste du temps, je courais seule, comparant seulement mes résultats avec les chiffres des précédentes courses. C’était plus par la force des choses que par choix. J’avais adoré l’athlétisme en plus lorsque j’étais plus jeune. Il m’avait permis de faire de multiples rencontres. Dont Jackson. J’avais de la cesse d’appartenir à un club lorsque le rythme qu’il demandait ne collait plus avec le rythme de mes études. Et par la même occasion, j’avais donc lâché la course en duo ou groupe pour m’adonner à la course en solitaire. À tout moment, j'aurais pu adhérer à nouveau à un club, mais finalement, je n'en avais jamais vraiment pris le temps. Alors, lorsque Jax, mon ancien partenaire de relais, m’avait parlé de son association, c’était l’occasion qui m’avait manqué jusqu’à présent de rejoindre de nouveau un groupe.
C’est sans rendez-vous que je m’étais retrouvé ce matin au local de l’association. J’avais juste prévu de courir, puis j’ai croisé un autre coureur et nous avions décidé de nous entraîner ensemble. Et il n’y avait pas à dire, ça faisait du bien de confronter son niveau à celui d’un autre. Même si c’est pour se rendre compte qu’on a peut-être perdu plus qu’on ne le pensait. Il est agréable de ne pas se fier juste à des chiffres et des performances passées, mais a une autre personne. C’est stimulant, ça vous appelle à faire mieux. Pendant que je reprenais mon souffle, mon partenaire évoquait le Brunch dont on avait parlé juste avant de s’enlacer dans la dizaine de kilomètres. J’acquiesçais d’un signe de la tête alors que lui précisait vouloir prendre une douche rapide juste avant. Je souriais. « Je vais faire de même. » Je me voyais mal imposer mon odeur corporelle après dix kilomètres à un brunch.
La douche avait été rapide et nous avions tous deux quitter nos survêtements pour des vêtements moins sportifs. Une fois que nous nous étions rejoints, nous partir d’un seul bloc bers le restaurant. Arrivé sur place et alors que je m’installais sur une table en terrasse, j’entendais la voix de mon partenaire de courses me dire de prendre ce que je voulais, car il offrait. Une grimace m’échappait, juste avant que je prenne la parole. « C’est gentil à toi, mais j’ai pour habitude de payer moi-même ce que je consomme. Une conviction personnelle non-négociable. Donc à ne pas prendre contre toi. » Je lui souriais en terme d’excuse de mes idées bien ancré. Tandis que j'attrapais le menu pour découvrir ce qu’il contenait, je l’entendais me parler de nouveau, il voulait que je parle de moi. Je levais un sourcil interrogatif alors qu’il précisait son idée. Je souriais encore une fois, ce n’était pas bien compliqué comme question. Et puis il avait l’air facile de parler avec lui. « Au moins, on ne peut pas dire que tu tournes autour du pot. » Un sourire sur mes lèvres, je fermais la carte après avoir fait mon choix pour répondre à ces questions. « J’ai 34 ans, je suis née à Dublin en Irlande, nous sommes arrivés à Brisbane lorsque j’avais six ans. Je suis partie à l’âge de dix-huit ans à Sydney pour étudier dans un premier temps et je suis revenue vivre ici, il y a un peu plus de deux ans. » Déjà deux ans que j’étais de retour, le temps passait vite. « Je suis titulaire d’un diplôme de médecine et je travaille en tant que médecin légiste pour les forces de l’ordre de la ville. » Je réfléchissais un instant. « Je crois avoir répondu à tout. Tu veux savoir ce que font mes parents ? » J’avais ça en souriant, puisque je semblais bien partie pour un véritable interrogatoire. « Et toi ? Age, profession, origine ? Et famille aussi, vue que ce sera certainement ta prochaine question. »
Lorsque je me pose sur la chaise de la table qui nous a été assignée, je laisse échapper un soupire, autant de soulagement que de contentement alors que mon corps se met réellement en mode 'repos'. J'attrape ensuite le menu que la serveuse nous tend et propose, à la volée, de payer le restaurant à ma coéquipière du jour. C'est avec un certain étonnement que je l'entends décliner mon offre, disant que sa conviction ne lui permet pas d'accepter que quelqu'un d'autre paye pour elle. « C'est tout à ton honneur» hochais-je la tête pour lui faire comprendre que je ne suis bien le dernier à le prendre mal.
Puis, dans un sourire, je me met à lui poser un bon nombre de questions, juste histoire d'en apprendre un peu plus sur elle. C'est ainsi que j'apprends que j'ai affaire à une Irlandaise de 34 ans qui a fait ses études à Sydney et qui est revenue il y a deux ans avec un diplôme de médecine qui lui permet d'exercer en tant que médecin légiste dans les forces de l'ordre de la ville. « pas mal » soufflais-je, impressionné avant de laisser échapper un rire amusé lorsqu'elle rajoute, avec humour, si je souhaite connaître le métier de ses parents « Eh ben ...vas-y ! Tant qu'à faire hein» haussais-je les épaules, lui laissant malgré tout le choix si oui ou non elle souhaite me parler de sa famille.
Évidement, Drew fini par me retourner les mêmes questions. Je me laisse tout de même le temps de commander le brunch du jour avant de répondre « ça fait du bien d'être avec quelqu'un qui ne nous connaît pas» dis-je en sortant mes lunettes de soleil, protégeant ainsi mes yeux des rayons dont ils n'ont plus l'habitude «Je suis acteur » dis-je, essayant de trouver le meilleur moyen pour ne pas paraître prétentieux « Si t'es du genre à binge watcher les dernières séries Netflix tu m'as sûrement déjà vu » haussais-je les épaules « Enfin bref. Je suis australien, je suis né à Brisbane, mais j'ai quitté la ville à 18 ans pour intégrer la Royal Academy of dramatic arts à Londres. J'ai fait quelques apparitions au théâtre et dans des courts-métrages avant de percer à Hollywood quand j'avais 28 ans » je hausse les épaules l'air de rien « Au niveau famille ...Ma mère est décédée au début d'année» et je remercie, là, mes années d'acting qui s'enclenchent automatiquement et qui me permettent de ne pas me laisser submerger par l'émotion « Mon père est un simple ouvrier dans une entreprise du bâtiment. J'ai un demi-frère, le fils de ma mère et plusieurs autres frères et sœurs parce que mes parents étaient dans le programme de famille d'accueil pendant plus de 30 ans » expliquais-je avant de me redresser et de gratifier la serveuse d'un sourire lorsqu'elle revient avec les boissons «Voilà le plus important de ma vie. D'autres questions ? » Demandais-je, quasiment persuadé qu'elle souhaitera en savoir plus sur ma carrière ou de la vie à Hollywood. Tout le monde veut en savoir plus dès que je leur annonce ce que je fais pour gagner ma vie.
C’est sans contester qu’Andrew acceptait l’idée que je décline sa proposition, il ajoutait même que c’était tout à mon honneur. Les mots me faisaient sourire, c’était loin d’être une question d’honneur. Je n’aimais pas me sentir redevable. Je voulais rester libre de mes décisions et ne pas être influencé par ce que je pourrais devoir et à qui. Ce sujet-là prenait fin avec ces mots pour laisser place à celui des multiples questions de mon interlocuteur du jour. Rien de bien difficile, rien de très personnelle non plus. C’étaient des questions de base, au même titre que le nom et prénom d’une personne. Juste de quoi remplir un peu une fiche d’identité et se faire une légère idée de la personne qui se trouvait devant soi. Je n’avais donc pas eu de mal à y apporter une réponse claire et concise de mon point de vue. Pour retour, j’avais le droit à un "pas mal". Je souriais de ces mots avant de demander s’il fallait que je rajoute le pedigree de mes parents. Ma phrase avait provoqué le rire du coureur qui répliquait ne pas être contre l’idée de le savoir, mais laisser la porte ouverte à une échappée si je le souhaitais. « Ma mère est conservatrice de musée et mon père vétérinaire. » C’était succin et claire. En même temps, il n’y avait pas tellement à dire. En fait si, tous deux avec des métiers avec une palette très large de possibilité et c’était donné les moyens d'en explorer plusieurs.
C’était sans trop de surprise que j’avais retourné les questions à celui qui les avait posés. Ce dernier prit le temps de commander son brunch avant de me répondre. J’avais suivi le mouvement avant de me tourner vers lui pour écouter ce qu’il avait à dire. Ces premiers mots étaient pour énoncé qu’il était agréable d’être avec une personne qui ne vous connaissait pas. « Ça laisse toute une personnalité à étudier. » Et ça, c’est quelque chose que j’appréciais. Lorsqu’il déclarait être acteur, je ne fis pas semblant d’être surprise. Je n'étais peut-être pas du genre à suivre les médias peoples, mais, comme il énonçait par la suite, j’avais pas mal regardé Netflix et si je n’avais pas la mémoire des noms, j’avais celle des visages. Il ne m’avait pas fallu longtemps pour reconnaître le sien. Mais bon, annonçait dans une conversation conviviale que l’on savais déjà ce que faisait l’autre, ça cassait un peu l’échange qui était censé y avoir. Le reste par contre, je le découvrais au fils de ces paroles. Australie de naissance, il avait étudié à Londres, avait fait du théâtre et des courts-métrages avant de véritablement percer à Hollywood. « Pas mal ! » Laissais-je échapper en écho à sa propre réaction. Lui enchaînait sur sa famille. Il avait perdu sa mère en début d’année. « Je suis désolé. » J’avais dit ces mots par signe de compassion, la perte d’un proche n’était jamais facile et on n'en guérissait jamais. Je le savais par mon métier et ma propre vie. Je l’écoutais ensuite énumérer la profession dès son père, l’existence de son demi-frère et de ceux qu’il avait gagnés aux fils des ans, car ses parents avait été famille d’accueil pendant plus de 30 ans. C’était impressionnant. Ma vie semblait bien plus simple à côté. Venait alors le temps pour lui de conclure les événements les plus importants de sa vie avant de demander si j’avais d’autres questions. « Hum, là, tout de suite, je digère déjà tes premières réponses. Je crois que je n’imagine pas ce que c’est d’avoir autant de frères et sœurs. Moi-même étant fille unique, je n’ai l’image des fratries que celle de mes cousins lorsque nous retournions en Irlande pour les vacances. Et je les trouvais très bruyants. » Je souriais a ce souvenir, mais en même temps, il fallait me comprendre, j’étais habitué au silence de ma condition d’enfant unique. Alors rapidement le bruit de mes cousins qui se chamaillait pour rien pendant que je ne cherchais que le calme, ça m’agaçait.
« Depuis combien de temps pratiques tu l’athlétisme ? » Oui, de toutes les questions possibles, c’était celle que j’avais choisi de poser. En même temps, c’était ce qui nous avait rassemblées ici en cette matinée. Et puis j’étais curieuse de savoir sa relation avec ce sport. Pour moi, elle était basée sur un trop-plein d’énergie que mes parents essayer de canaliser. Mais avec le temps, ma relation avec ce dernier avait évolué tout en restant ancré dans mon histoire de vie. Alors que j’attendais la réponse de mon interlocuteur, la serveuse revenait déjà avec les boissons en attendant que la suite arrive.
Ça me fait toujours bizarre de parler de mon métier. Non pas que je n'assume pas, bien au contraire, j'ai travaillé dur pour arriver au point où j'en suis actuellement. C'est juste que j'ai bien plus l'habitude qu'on me reconnaisse dans la rue pour ce que je fais et ce que j'ai pu faire, que devoir annoncer à haute voix que je suis un acteur mondialement connu. Les réactions des gens sont tellement différentes les unes des autres : il y a ceux qui ne me croient pas, ceux qui me trouvent prétentieux pensant que j'assume que tout le monde devrait me connaître et puis il y a ceux qui pensent que je ne vaux pas grand-chose, car 'acteur ce n'est pas un vrai métier'. Bien évidemment, à côté il y aussi tous les autres qui sont, pour la plupart quand même, hyper intéressé et qui souhaitent en savoir plus sur mes journées de travail et ce monde du 7e art, mais aussi ceux qui, comme Drew, s'en foutent totalement et sont loin d'être dans le jugement. Être là, assis face à cette jeune femme, c'est comme un souffle d'air frais et c'est, je pense, exactement ce dont il me fallait.
Ses paroles font écho aux miennes lorsque je lui annonce mon parcours et je lui adresse un simple sourire alors qu'elle me dit être désolée d'apprendre le décès de ma mère. C'est la réaction normale d'une inconnue, je ne vais donc pas lui en vouloir ni le prendre mal et juste accepter ces paroles comme étant une forme de compassion. Peut-être a-t-elle de l'expérience personnelle là-dedans et peut, donc, réellement me comprendre. Dans tous les cas, elle décide de revenir sur le sujet de ma famille nombreuse et je ne peux m'empêcher de laisser échapper un rire amusé lorsqu'elle précise que la seule image de fratries qu'elle a, c'est celle de ses cousins qui sont restés en Irlande. « Ouais, j'imagine que ça ne devait pas être très évident, encore plus si on est habitué à être fille unique» dis-je en hochant doucement la tête, souriant « Après en tant que famille d'accueil, c'est différent, on n'était jamais plus de 3 dans la maison et les enfants étaient en général relativement calme. Enfin, en tout cas, je n'ai pas de souvenirs d'une maison bruyante» je hausse les épaules « T'as encore du contact avec ta famille en Irlande ? Tu y retournes parfois ?» Demandais-je, avant que Drew ne souhaite savoir depuis combien de temps de pratique l'athlétisme.
«hm ... 3 ans ? » Dis-je avec un sourire innocent et un haussement d'épaule, laissant échapper un rire amusé « En vrai, j'ai toujours été sportif, mais sans plus. Musculation deux fois par semaine, coureur du dimanche... Bref, je me maintenais tout juste en forme nécessaire pour mon bien-être physique et mental » expliquais-je « Et puis en février 2019 il y a eu mon amputation et la phrase du médecin qui m'a annoncé que la rééducation sera longue et difficile, que je ne pourrais plus jamais marcher aussi bien qu'avant et que le sport ne sera sans doute plus dans mes cordes » je secoue la tête « Du coup, sans le savoir, ce médecin a révélé l'esprit de compétition en moi. Deux mois après l'opération, je marchais de nouveau, quatre mois après j'étais sur le terrain d'athlétisme à tester ma première lame de course et six mois après, je faisais mon premier 10 kilomètre.» je souris « Et maintenant, trois ans après j'ai participé à 2 Marathons, 1 triathlon et je compte bien faire un Iron Man dans les prochaines années à venir. Celui de Hawaï me tente bien » je me tais le temps que la serveuse revient avec la première partie du Brunch « En plus de ça, je me suis remis au Snow Board, au surf et je me suis même essayé à l'équitation» j'attrape la fourchette « Tout ça pour dire qu'il ne faut jamais me dire que je ne serais plus capable de faire quelque chose, je risquerais de me tuer pour prouver le contraire» et j'exagère à peine, mais ça, c'est une autre histoire « Et toi alors ? Le sport ça te connaît, je suppose, vu la technique de course quasi parfaite que tu as... Que l'athlétisme ? Ou le sport en général ?»
Si je pensais être passé à côté de certains traits de caractère dont était doté une grande partie des enfants uniques. Je devais m’avouer que j’étais tout de même marquer d’une certaine manière d’avoir grandi sans fratrie. Et si je ne m'en rendais pas compte au quotidien, c’était lors de ce genre de discussion que je me retrouvais devant le fait accompli. Aujourd’hui ça, c'était manifesté sur le fait que j’avais du mal à supporter le bruit de chamaillerie de mes cousins, alors qu’en vérité, il ne faisait peut-être pas plus de bruit que ça. C’était probablement juste moi qui étais habitué au confort du silence puisqu’il n’y avait personne qui ne me sollicitait pour autre chose. Je n'en savais rien, mais la réflexion serait intéressante à être menée. Mais un autre jour, puisque aujourd'hui, j’avais un auditoire que je n’allais pas encombrer avec mes propres pensées. Justement, ce dernier évoqué le fait qu’il avait toujours trouvé ça maison relativement calme, preuve que c’était certainement une question d’habitude. Puis, il me demandait si j’avais encore des contacts avec ma famille restée en Irlande et si j’y retournais parfois. « Ça fait quelques années que je n’y suis pas allé, mais il faudrait vraiment que je finisse par prendre le temps d’y retourner. » Parce que la possibilité était toujours là, mais j’avais quelque peu négligé de trouver le temps de préparer un tel voyage. Il faut dire que maintenant que nous étions tous adultes et avec un travail, il était compliqué pour nous tous de se retrouver sur un temps défini. Ça prenait du temps en amont et nous ne prenions pas ce temps nécessaire. « Mais autrement, oui, j’ai encore des contacts. Le développement des communications par Internet aide pas mal. » Et il avait été drôle de voir ma grand-mère découvrir ce mode de communication après des années de téléphone. « Aujourd'hui, la plus grande difficulté, c’est de trouver un horaire qui convient à tout le monde, parce qu'étrangement, avec neuf heures de décalage horaire, ça demande une adaptation. » Je souriais. Puisque part moment, il y avait encore des loupés. Ça avait beau avoir toujours fonctionné comme ça, il m’était déjà arrivé d’être réveillé en pleine nuit par un cousin ou une cousine qui avait oublié ou mal compté. Moi-même, il m’était déjà arrivé de ne pas réaliser qu’il était peut-être un peu tôt à Dublin. Mais force de constater que ça faisait quelque temps que ça n’était pas arrivé. Par contre, ça avait parfois des avantages. En cas d’insomnie, j’avais toujours la possibilité de trouver un correspondant sans réveiller personne et eux aussi.
J’avais ensuite mené le sujet sur l’athlétisme, curieuse de savoir la relation qu’il avait avec ce sport dont il avait un très bon niveau. C’est ainsi que j’apprenais qu’il le pratiquait véritablement depuis trois ans, environ. Il enchaînait ensuite sur le détail de l’histoire. J’apprenais alors qu’il avait été amputé début 2019 et que c’est la phrase d’un médecin défaitiste (de mon point de vue en tout cas) qui avait induit sa détermination. Depuis, il avait parcouru pas mal de kilomètre dans tous les sens du terme. « C’est impressionnant. » Finissais-je par dire alors qu’il avait fini d’exposer son parcours. « Je pense que l’on peut dire que tu es quelqu’un de déterminé sans prendre trop de risque. » Un léger rire accompagnait mes paroles. Détermination qui pouvait limite être dangereuse si l’on s’arrêtait à ces dernières paroles, mais j’espérais pour lui et ces proches qu’il faisait quand même preuve de réflexion. Sans trop d’étonnement, il me retournait la question, le demandant si je n’avais fait que de l’athlétisme ou pratiquer d’autres sports. « De l’athlétisme principalement. Mes parents se sont dits que c’était peut-être une bonne manière de canalisé mon trop-plein d’énergie enfant et ils ont visé plutôt juste. En-tout-cas, bien plus juste que le jour où ils ont décidé de me faire essayer le piano. » Je souriais, souvenir de l’impatience que je manifestais devant l’instrument, préfèrent être ailleurs. Heureusement, mes parents s’en étaient rendu assez vite compte et n’avaient pas tenté de poursuivre l’essai l’année suivante. « Je suis rentré en club à l’âge de six ans et y ai évolué jusqu’à mes dix-huit ans. J’ai au cours de ces années participé à bien des événements sportifs dont je n’ai plus vraiment le détail en tête aujourd’hui. Ensuite, je suis partie pour Sydney. Ou j’ai essayé de continuer dans cette voix, mais je me suis vite rendu compte que concilié des études de médecine et le rythme d’un club d’athlétisme était plutôt compliqué. Alors j’ai fait le choix de continuer la course seule. » Je faisais une pause pour boire une gorgée d’eau avant de reprendre. « Autrement, pour les autres sports, à part la randonner, je n’en pratique pas. Quoique j’aie essayé le patin pour la première fois de ma vie, il y a peu de temps. Un défi à moi-même après une conversation. Et nous dirons simplement que je n’ai jamais été aussi proche du mobilier urbain. » Combien de fois avais-je câliné le lampadaire déjà ? Je lâchais un rire à ce propos. « J’ai posé la dernière question. Donc c’est à toi de dire ce que tu souhaites découvrir chez moi. » Sur ces mots, je prenais ma fourchette, pour commencer mon repas. C’est que courir, ça ouvrait l’appétit.
Je ne sais s'il y a quelque chose de plus grisant que d'apprendre à réellement connaître les gens. Tout ce que je savais jusqu'à présent de Drew, c'était son prénom et son niveau de course, mais je me rends compte que derrière cette chevelure de feu il y a une personne qui vaut le coup d'être découverte plus en détail. Et c'est bien pour cela que j'ai assez rapidement proposé un brunch : rien de tel que des pancake et un café pour faire passer un interrogatoire amical.
Et c'est bel et bien ce que nous sommes en train de faire. Nous lançant la balle l'un après l'autre, j'apprends que Drew est une médecin légiste qui vient d'Irlande et qui n'est plus retourné dans son pays d'origine faute de temps et d'organisation, mais quelle garde toutefois quelques contacts avec sa famille via les réseaux sociaux et les différentes plateformes d'appel internet «Ah c'est bien ça ! » lançais-je « C'est super si tu parviens à au moins garder contact avec eux. Pour le reste, ma foi ….La vie hein» je hausse les épaules, sourire en coin «Tu viens de Dublin, c'est ça ? Est-ce que tu as encore des souvenirs de la ville ? » Demandais-je, bien que sachant qu'elle soit partie à 6 ans et que les souvenirs, jusque-là, sont, en général, assez flou.
Par la suite, je lui raconte un peu mon histoire et comment, par pur esprit de compétition, je suis tombé dans l'athlétisme. La réaction de la jeune Irlandaise me fait doucement sourire. Si, de l'extérieur, mon parcours en a impressionné plus d'un, pour moi ça s'est fait de façon tout à fait naturelle. Bien évidemment, je lui cache tous les mauvais côtés qui ont découlé de l'opération, les craintes, les peurs, les douleurs chroniques avec lesquelles j'ai dû apprendre à vivre (et avec lesquelles je vis encore), les moments de doutes, de régression, de rage, bref tout le processus dit 'normal' qui arrive lors d'un deuil. C'est grâce au sport, mine de rien, que j'ai réussi à me réapproprier mon corps et c'est pour cela, car je sais à quel point bouger me fait du bien, que je continue de le faire même quand je sens que je dois forcer.
C'est tout naturellement que je lui retourne la question, écoutant avec attention son histoire à elle. Son rapport avec l'athlétisme est assez banal si on peut dire : une jeune fille dont les parents pensaient que l'énergie pourrait être canalisée par l'athlétisme, puis des études qui prenaient trop de temps et la résignation de courir sans club. «Le temps, cet ennemi des sportifs » soufflais-je en secouant doucement la tête, compatissant. « Mais c'est cool que t'ai gardé l'envie de courir quand même et que tu ai continué quand même. J'imagine que c'est un peu ce qui t'as permis de tenir lors de tes études de médecine, non ? Pouvoir se vider la tête avec un petit 10 kilomètres afin de réussir à mieux assimiler les cours par la suite » j'assume plus qu'autre chose. Cela dit, même si ce n'est pas la même chose, mes études à la RADA n'étaient vraiment pas de tout repos non plus et je tenais sincèrement à mes 10 kilomètres par semaine pour décompresser. J'imaginerais donc sans problèmes qu'il en soit de même pour Drew.
D'ailleurs, celle-ci, attrapant sa fourchette, m'informe que c'est elle qui a posé la dernière question et que c'est donc à mon tour « Alors Techniquement, c'est moi qui ait posé la dernière question quand je t'ai demandé ce que tu faisais comme sport » rétorquais-je, sourire amusé sur les lèvres avant de hausser les épaules et d'attraper à mon tour la fourchette « mais du coup ...Dis-moi, pourquoi est-ce que t'as intégré Run for Judy ? Est-ce que c'est juste pour l'esprit course ou une autre raison ?»
L’Irlande. L’île m’avait vu naître et évoluer pendant la première année de ma vie. Je ne pouvais pas dire qu’elle ne m’avait pas marqué, mais pas autant que d’autre qui avait véritablement grandit dans ce pays. Mes six ans avaient été fêtés depuis peu lorsque nous nous étions envolés pour l’Australie. J’étais originaire d’Irlande, je ne l’oublierais jamais, de toute manière ma crinière rousse était là pour me le rappeler. Mais j’avais peu de chose d’une Irlandaise. L’accent que j’aurais pu garder avait été effacé par celui des Australiens, j’étais trop jeune pour qu’il se maintienne dans le temps. Oh, certes, mes parents avaient leur dialogue teinté de cet accent typique de l’île, mais deux contre le reste de mon entourage, ça n’avait pas été assez pour conserver le mien. Finalement, ce point n’était qu’un parmi les autres, mais il représentait bien le reste. J’avais gardé que peu des coutumes, était moins marqué pas les légendes locales. Parce qu’à la fin, c’était l’Australie qui m’avait le plus construit. Alors, lorsque Andrew m’interrogeait sur mes souvenirs de Dublin, ma réponse était toute trouvée. « Du temps que j’y ai vécu, peu. Après, quand j’y suis retourné les années suivantes avec mes parents, j’ai plus de souvenir. Mais je me sentais plus en vacances, que réellement de retour à mon pays. » Vivre dans une ville était bien différent que d’y rester deux semaines à l’occasion. Et ça, même si mes cousins connaissaient la ville comme leur poche. Je n’avais jamais cessé de découvrir la ville et le pays a chacun de mes voyages là-bas. « C’est une belle ville, il y a tellement à voir. Quant au pays lui-même, il est bien différent d’ici. Beaucoup plus vert. » La aussi, j’avais eu l’occasion de l’arpenter, mais père nous entrainant dans ces randonnées pour se ressourcer. Je gardais de très bon souvenir de ces randonnées à travers le pays. J’avais vu des lieux magiques.
Nous parlions ensuite de nos différents parcours dans le sport. Le mien était aussi classique que le sien était original. Je n’avais pas posé de question sur sa jambe, mais il fallait être complétement ignorant pour ne pas le voir. Le fait que sa pratique intensive de sport y soit liée, était compréhensible. Il n’était pas le premier, il ne serait pas le dernier. Quelques, sois l’histoire derrière cette amputation, le sport l’avait aidé à se battre et c’est tout ce que j’avais besoin d’entendre, de savoir. Pendant ce temps, Andrew rebondissait sur mon histoire à moi et le fait que j’avais ralenti le sport à cause de mes études. Il annonçait une phrase parlant du temps comme ennemie. « Il n’est pas l’ennemi que des sportifs. On a toujours l’impression de courir après. » C’était dans le thème en plus. « Même si parfois, il s’avère être un allié tout de même. » Le temps qui passait, était généralement mal perçu, mais dans le cas de certaines blessures, il aidait à apaiser la souffrance, sans jamais la faire disparaître. L’acteur continuait son chemin sur le fait que j’avais gardé l’envie de courir, supposant que c’était à bonne échappatoire. S’il savait comme il avait raison. « Exactement ! » L’année qui avait suivi la mort de Liam avait été celle ou j’avais certainement le plus couru. J’en avais parcouru des kilomètres seuls, combattant le chagrin qui m’assaillait de tout part dès que je posais mon esprit. « Aujourd’hui encore, j’ai toujours un sac de sport dans mon bureau au cas où j’ai besoin de me changer les idées. » Et ce n’était pas si rare que ça.
Après avoir conclu ce sujet, j’invitais mon interlocuteur à poser une nouvelle question. Ce à quoi il répondait d'avoir théoriquement posé la dernière question, puisqu’il m’avait interrogé sur le sport. Je souriais à cette remarque alors qu’il enchaînait sur une nouvelle question. Cette fois, il m’interrogeait sur la raison pour laquelle j’avais rejoint Run for Judy. « Je dirais l’esprit de la course. Quand Jax m’en a parlé, j’ai trouvé ça super. Le fait que ça puisse en plus aider à subventionner un projet pareil. Je trouve ça génial, ça me donne encore plus envie de participer à niveau. Donc courir en ce qui me concerne. » Parce que la pédagogie, ce n’était pas mon fort. « Et toi, la course ou autre chose ? » Je ne serais pas étonné qu’il soit plus impliqué que moi dans le projet. « En suivant ma logique, je te dois une autre question, puisque je n’ai fait que refléter la tienne. Alors, j’avoue être curieuse de savoir comment tu en es venue à vouloir intégrer la Royal Academy des arts dramatiques de Londres ? »
Je hoche la tête avec un sourire compréhensif lorsque Drew m'explique qu'elle n'a que très peu de souvenirs du temps où elle habitait à Dublin, mais plus des moments où elle est retournée en vacances là-bas. Toutefois, elle ne se sent chez elle qu'en Australie, ce qui est absolument compréhensible compte tenu du fait qu'elle y ait vécu la majeure partie de sa vie. «Je confirme » dis-je lorsqu'elle m'avoue que Dublin est une chouette ville et que le pays tout entier est bien plus verdoyant que l'Australie. « J'ai eu l'occasion de faire pas mal de Tournage près de Wicklow et à Dublin aussi, du coup» expliquais-je rapidement « J'en garde d'excellent souvenirs des deux villes, mais surtout de la région de la première. Les montagnes des alentours sont incroyables. »
Nous passons ensuite du coq à l'âne lorsque nous nous intéressons un peu plus à nos parcours sportifs respectifs. Cette conversation prend d'ailleurs une tournure un peu plus philosophique lorsqu'elle me contredit en disant que le temps est souvent plus un allié. Fronçant légèrement les sourcils et inclinant un peu la tête sur le côté, je l'observe, intrigué, puis hoche doucement la tête «C'est vrai ... » Lui donnais-je raison et attrapant ma tasse de café « Souvent nos ennemis peuvent devenir nos amis et vice versa » ajoutais-je mon édifice à la conversation « De toute manière, on ne peut pas aller plus vite que ce que le temps nous impose parfois» je hausse les épaules, amusé par la tournure de la discussion.
Par la suite, je me sens l'esprit plus curieux et lui demande pourquoi elle a décidé de rejoindre l'équipe de l'association. C'est sans trop de surprise que j'apprends que Drew a tout d'abord été intéressé par l'esprit de la course, mais que le reste, le fait de pouvoir le faire pour la bonne cause était, finalement, un très gros plus. « Je vois ...» Dis-je en piquant dans ma tranche de Bacon « Tu le connais d'où Jackson ? J'ai l'impression que 90% des membres de l'association sont lié à lui d'une façon ou d'une autre » déclarais-je en riant doucement. « Mais c'est cool tout ça ! Est-ce que tu es dans d'autres associations ? Ou que celle-ci ?»
Et puis, évidemment, la question m'est automatiquement retournée et je me prends encore le temps de mordre dans le bacon avant de répondre « Le côté association et l'aide au prochain surtout » avouais-je en reportant mon regard sur Drew « je suis actif dans une autre association spécialisée sur la mise en place sportive pour les amputés : j’entraîne des enfants et adolescents fraîchement amputé pour leur apprendre à se réapproprier leur corps et donner un sens à nouvelle vie » je souris doucement « Cette association là m'a énormément aidé moi-même, pour moi, il était donc tout à fait normal de redonner un peu de mon temps afin d'aider les gens comme moi» à savoir ceux qui, à cause d'un coup du sort, ont vu leur vie faire un 360.
Fort heureusement, Drew ne me laisse pas me perdre dans des pensées qui risquent de devenir négatives et me fait revenir sur terre en me demandant pourquoi j'ai voulu intégrer la RADA. « Pour pouvoir officiellement vivre de ma passion» répondais-je sans hésitation « J'ai intégré une troupe de théâtre quand j'avais 5 ans et plus les années passaient plus je me suis dit qu'en faire mon métier pourrait être vraiment bien. D'autant plus que clairement, je n'avais pas les capacité intellectuelles pour faire de grandes études après l'école. Du coup j'ai envoyé moult candidatures, j'ai passé d’innombrable entretiens et j'ai finalement été accepté à intégré l'école peu avant mes 19 ans. » je souris doucement « C'était vraiment pas évident. La première année, c'était cool, on découvre la chose, on apprend énormément de chose, et la deuxième année… Ils nous mettent devant nos difficultés, font ressortir nos points faibles et appuie à fond sur nos incapacités. Il y en a tellement qui ont décroché en cours de route parce que la pression était énorme ! Des cours de 8h à 19h puis des répétitions jusqu'à 22h passé ...bref, l'école mettait nos nerfs à très rude épreuve. Mais finalement, je me rends compte à quel point cette expérience était la meilleure chose qui aurait pu m'arriver. Ça forge notre caractère et nos capacités à faire face à l'inconnu et aux déceptions qu'on aura tout au long de notre parcours d'acteur » je souris doucement « J'ai eu de la chance de me lier d'amitié avec quelqu'un qui est devenu réalisateur et qui m'a confié le premier rôle d'un film qui nous a propulsé tous les deux jusqu'au-devant de la scène. Mais au final, dans ce milieu il FAUT des contacts, ça va pas autrement»
J’appris qu’Andrew avait eu quelques tournages en Irlande et qu’il avait donc eu le plaisir de découvrir le pays qui ne semblait lui avoir laissé que des bons souvenirs. Je souriais à l’information. « Tu as dû en voir des pays avec ton travail… Ça doit être agréable. » Ça devait être l’un de ces avantages de ce métier. Voyager aux quatre coins du monde, pour y résidait quelque temps. Bon, j’imaginais que la longueur des périodes pouvait varier d’un projet à l’autre. D’une scène à l’autre. Et puis voyager dans un contexte de travail ne devait pas être la même chose que le faire à titre personnel. Certes, mais il avait dû quand même voir des endroits très sympathiques. Moi, mon métier me faisait voyager d’une certaine manière aussi. Juste à plus petite envergure. Je me contentais de la ville en général, ces hôpitaux de temps à autre. Parfois, j’étais appelé sur les sentiers extérieurs, en forêt… Ok, je ne voyageais pas vraiment, mais je bougeais toujours plus qu’un comptable, non ?
Mais comment en étions venue à parler du temps avec philosophie ? Un mystère des mystères de l’art de la conversation. Tu partais sur un sujet, dérivé sur un autre et arrivé que quelque chose d’inattendu. C’était beau d’une certaine manière. Ça montrait combien les esprits pouvaient faire des connexions improbables, mais pourtant bien réelles. Qu’une conversation était finalement quelque chose qui se laissait porter par les mots et non quelque chose que l’on contrôlait complètement. Parce que si on contrôle ses mots, on ne pouvait pas influencer sur comment l’autre les interprétait. Du temps, Andrew passait aux ennemis. Il en disait que ces derniers pouvaient devenir nos amis et que le verse était tout aussi possible. « C’est déstabilisant comme idée. » Je préférais garder l’idée que mes amis, resteraient mes amis, je leur étais fidèle, alors égoïstement, j’espérais qu’il me le serait aussi. L’artiste enchaînait alors que sur une dernière phrase sur le temps, comme quoi, on ne pouvait aller plus vite que ce dernier. Parce que le voudrions-nous vraiment ? Le temps qui passe n’était pas une des choses qui effrayait le plus l’Homme ? Parce qu’ils nous rapprochaient de la fin du nôtre de temps. Ça devenait décidément trop compliqué pour une conversation autour d’un brunch. Je n’avais rien contre faire travailler ma réflexion, mais peut-être pas juste après avoir couru une dizaine de kilomètres.
Il avait demandé pourquoi j’avais rejoint l’association. J’avais parlé de Jackson, il m’interrogeait alors sur comment j’avais connu ce dernier. Il déclarait au passage que près de 90% des membres de l’association semblait lui être liée. Je rigolais légèrement à cette parole. Ce n’était pas faux, mais je ne trouvais pas ça trop illogique, l’association était encore jeune, il avait donc dû faire jouer un peu toutes ces relations pour attirer du monde et lui donner du souffle. « Nous étions dans le même club d’athlétisme. Et de même âge en plus. Donc, nous avons pas mal couru ensemble à l’époque. Surtout en relais. Comme quoi le sport est un bon moyen de créer des liens. » Et que ce dernier savait résister au temps. Puisque les douze années que nous avions passées loin de l’autre n’avaient pas tellement entaché notre lien. Il avait su trouver un geste simple pour me soutenir lorsque j’en avais eu besoin. Je n'avais pas hésité à lui apporter mon aide lorsque lui en avait eu besoin. « Quant à mon engagement associatif. » Je répondais ainsi à sa dernière question. « Je donne quelques heures de mon temps à une association d’aide aux victimes. » Pour essayer d’agir avant qu’il ne soit trop tard. Parce que s’il y avait bien des violences, il y avait aussi bien des conséquences. L’emprise en était une parmi tant d’autres.
J’avais retourné la question, il répondait être plus présent pour le côté associatif. Je comprenais que c’était en partie lier à son histoire. C’était compréhensible. Si moi, j’avais choisi l’aide aux victimes, c’était bien parce que j’en avais marre de découvrir les victimes de ces dernières sur ma table. Que ce soit parce qu’ils étaient victimes de l’emprise de leur bourreau ou parce qu’ils étaient tombés sur l’emprise de la drogue après un traumatisme ou parce que la seule voix qu’ils avaient trouvée pour se libérer était la mort. « Je comprends, rendre ce qu’on a reçu, c’est faire preuve de sagesse. Ça fait de toi un sage. » Je souriais.
Je ne restais pas longtemps sur ce sujet, j’avais eu la curiosité de savoir comment il en était venu à intégrer l’académie des arts de Londres. Ces premiers mots, étaient pour dire qu’il s’agissait pour lui de vivre de sa passion. Puis il invoquait la naissance de cette dernière et du fait qu’il n’était pas un grand intellectuel, mais avait réussi à intégrer l’école peu avant ces 19 ans. Après, il parlait des cours qu’il avait suivies, de l’intensité, de ce que l’école avait fait de lui et de comment elle l’avait aidée. Il parlait aussi d’une rencontre qu’il avait faite et qui avait influencé sa carrière. « Contente que tu es eux ce tremplin alors. J’aime bien ce que tu fais. Il aurait été dommage que ce soit quelqu’un d’autre. Quoique je n'en aurais rien su. » Je souriais. « Mais encore plus contente que tu puisses vivre de ta passion. C’est une belle réussite. »
PRETTYGIRL
Dernière édition par Drew Kavanagh le Mer 20 Avr 2022, 12:46, édité 1 fois
Drew et moi avons une conversation que bien de nombreux gens pourraient définir comme étant déstabilisante tant nous passons d'un sujet à l'autre. Tout d'abord, nous parlons du pays d'origine de la jolie rousse, puis philosophons sur le temps qui passe et qui est autant l'ennemi que l'allié des sportifs jusqu'à ce que je ne souhaite pas en savoir plus sur ce qui lie Drew à Jackson. J'apprends ainsi que les deux ont le même âge, étaient au même club d'athlétisme et ont donc passé de nombreuses heures à courir ensemble. « Je vois » dis-je en même temps que je laisse échapper un rire amusé et que je me dis que je devrais un jour proposer un 10 ou 20 km à Jackson. Vu ce que Drew m'en parle, il doit sûrement avoir un sacré bon niveau ! « Et maintenant, des années après, vous courrez de nouveau ensemble. C'est le destin» je souris doucement, alors que je reprends une bouchée de bacon. J'apprends, dans la foulée, que Drew fait aussi partie d'une association d'aide aux victimes. « Ah oui, cool ça ! Quoi comme genre d'aide ?» Parce qu'il y a d’innombrable façon d'être « une victime » de quelque chose.
Je lui parle ensuite de mon propre engagement associatif et surtout du fait que je souhaite redonner quelque chose que j'ai eu le privilège d'avoir il y a trois ans de cela. Drew dit que c'est faire preuve de sagesse et j'avoue que je n'avais jamais pensé de cette façon. Fronçant un instant les sourcils, intrigué, je l'observe en inclinant furtivement la tête sur le côté avant de hausser les épaules, me disant qu'elle n'a pas forcément tort en vrai. « En vrai, ça me semblait juste logique de redonner ce que j'ai reçu. C'est un peu ma façon de remercier tous ceux qui se sont démené pour que la transition vers ma nouvelle vie se fasse le plus en douceur possible. Est-ce que ça fait de moi un sage pour autant ? Je n'en sais rien ...» Haussais-je les épaules alors que je m'attaque aux oeufs brouillés de mon assiette.
La nouvelle question de Drew, elle, porte sur mon métier et surtout sur le pourquoi du comment j'ai décidé d'intégrer la RADA. La jeune Irlandaise se dit être contente pour moi que j'ai eu ce tremplin et précise qu'elle aime beaucoup ce que je fais en général, trouvant que c'est, de toute manière, une belle réussite que celle que de pouvoir vivre de sa passion. «C'est bien vrai » dis-je en hochant la tête, ne pouvant que lui donner raison « Évidemment, ce n'est pas facile tous les jours et il y a bien des moments où je me dis que c'est trop, mais je ne suis clairement pas à plaindre » haussais-je les épaules avant de relevé mon regard sur Drew tout en attrapant ma tasse de café «Et toi tu ... »
Je ne peux en dire plus qu'une douleur me traverse le genou gauche me faisant grimacer. Remettant la tasse sur son socle, je pose ma main sur mon articulation et souffle doucement avant de secouer la tête «Bon, désolé de faire ça ici, mais ... » laissant ma phrase en suspens, je recule ma chaise et avec des gestes rapides et habitués, je retire ma prothèse ainsi que le manchon que je pose à côté de moi, soupirant de soulagement lorsque la pression sur mon moignon diminue soudainement. J'attends encore quelques instants en me massant ce qui me reste de ma jambe avant de reporter mon attention sur Drew et lui adresser un sourire « Je disais donc» reprenais-je comme si de rien n'était « Est-ce que tu as toujours voulu être médecin légiste ? Ou est-ce que c'est venu d'un coup en mode 'oh et si je me spécialisais là-dedans' pendant tes études ? »
La conversation que j’avais avec Andrew nous fit remonter le temps puisque j’en étais venue à évoquer Jackson et la manière dont je l’avais rencontré. Le souvenir du club d’athlétisme, c'était rafraichi une nouvelle fois dans ma mémoire. Le relais, les encouragements qu’on recevait des autres et que l’on criait au autre. Ne pas abandonner, toujours progressé, toujours courir. Ce temps paraissait si loin et si récent en même temps. Les années étaient passées, mais à présent que l’on évoquait ce temps, les souvenirs ne semblaient pas si vieux, les efforts fournis et les crampes gagnées non plus. Andrew fit alors remarquait que des années après nous recourions ensemble, mettant cela sur le compte du destin. Je souriais. Était-ce vraiment le destin ? Certainement, parce que pour en arriver là, il avait fallu que je devienne légiste, que Jax se prennent une balle et que je revienne sur Brisbane après avoir travaillé à Sydney. C’était bien trop de coïncidence pour que l’on ne puisse utiliser que ce mot. Alors, oui, il devait y avoir une part du destin. Sadique, il pouvait être parfois ce dernier. Et la suite de ce destin était ce jour d’aujourd’hui, puisque sans l’association de Jackson, je ne serais pas à cette table. En parlant d’assos, Andrew me demandait quel genre d’aide apporter celle à qui je donnais quelques heures de mon temps. « Social, psychologique, légale. Fournir un soutien à quelqu’un qui souhaite sortir de l’emprise d’un autre. En lui proposant un point de chute, une aide pour le dépôt de plainte et autre. Il y a aussi des victimes d’agression qui ont besoin de parler. » Personnellement, j’étais surtout sollicité pour mes compétences en médecine légale, mais il n’était pas rare que je fasse connaître l’association à ceux qui semblait en avoir besoin.
Entre boisson chaude, bacon, œufs et le reste, la conversation continuait. Il parlait à son tour de son engagement associatif. J’avais alors émis le fait qu’il était sage, il portait donc une réflexion sur ce que j’avais dit. Rendre à la vie ce qu’elle lui avait donné. C’était une bonne raison de s’engager. S’il ne savait pas dire si ça faisait de lui un sage, pour moi, il avait fait preuve d’un minimum de sagesse. Je n’insistais pas sur ce point et préférais le questionner sur la raison qui l’avait poussé à intégrer l’académie des arts. Il parlait alors de sa passion, de son métier, de sa carrière, de sa chance dans cette dernière, de son tremplin. Je m’étais réjoui qu’il puisse vivre de sa passion. Il semblait estimer la chance qu’il avait, même s’il avouait que ce n’était pas tous les jours facile, mais qu’il n’était pas à plaindre. Il s’apprêtait à me poser une question lorsqu’il s’interrompit. Surprise, je tournais la tête vers lui. Il avait une grimace sur le visage, de la douleur, sans hésiter. Sa main sur son genou me donnait une localisation de l’endroit. « Un problème ? » Je préférais cette question à "Ça va ?" Question réflexe que nous posions par automatisme alors qu’on savait déjà que quelque chose n’allait pas. Il s’excusait alors de faire ça ici. Je le regardais avec des yeux interrogatifs, je ne comprenais pas de quoi il parlait. Je ne compris qu’après, lorsqu’il retirait sa prothèse et son manchon. Ah, si ce n’était que ça. « Pas de soucis. » Si ça pouvait soulager sa douleur, je ne voyais pas le problème. Apaiser les douleurs, c’était bien plus important que le reste. À mes yeux en tout cas. Et la grimace de douleur avait disparu de son visage. De mon côté, j’avais juste l’impression d’être impuissante. Pas comme si je pouvais proposer quoi que ce soit. Donc j’attendais juste patiemment que la crise passe. Un peu inquiète quand même, mais sans le montrer plus que par des coups d’œil en sa direction de temps à autre pour m’assurer qu’il ne douillait pas trop.
Après quelques minutes, il revenait à notre conversation. Il semblait rechercher ou il en était. « Ça va mieux ? » Cette fois, je pouvais demander, la question paraissait moins illogique. Lui enchaînait sur mon travail, mes études et si j’avais toujours souhaité être légiste ou si l’envie m’était venu soudainement. « Je n’ai pas toujours voulu être médecin légiste, mais "oh et si je me spécialisais là-dedans" me parait trop léger. » Je souriais. C’était certes un peu ce qui s'était passé, mais ça n’avait pas été aussi soudain, de mon point de vue en tout cas. « J’ai étudié la médecine, parce que je trouvais, et je trouve toujours, que le corps humain est fascinant. » Qu’il fonctionne à merveille ou qu’il soit complétement détraqué par un virus ou une bactérie, il était fascinant de voir comment il réagissait. Tout comme il était effrayant de voir comment une simple cellule qui mutait pouvait foutre la merde. « Faire des études en biologie m’aurait certainement intéressé tout autant, mais passé ma vie en laboratoire me brancher moins. » Je ne me voyais pas dans ce monde. « Bref, j’ai dû un jour choisir une spécialité et ce ne fut pas chose facile. Plus choisit par dépit que par passion. Parce que rien ne m’intéressait plus que le reste. » C’était le problème lorsque l’on trouvait tout fascinant. « La médecine légale a croisé mon chemin de vie personnel. J’ai alors compris que cette spécialité peu mise en avant et assez boudé avait un rôle bien plus important que ce qu’on pouvait s’imaginer. Derrière le morbide, il y avait de l’intelligence, de l’empathie et bien d’autres. J’ai alors voulu faire partie de ceux qui apportaient des réponses comme on m’en avait apporté. En plus, c’est l’une des spécialités le plus générales. » D’un point de vue connaissance en tout cas. Je pouvais faire de la cardiologie un jour et me retrouvais face à un problème de traumatologie le lendemain. Et je ne parle même pas des poisons autres.
«Je vois » dis-je en hochant la tête lorsque Drew précise la nature de l'association pour laquelle elle s'engage à côté de Run for judy. Pour le coup je me demande si elle aussi n'aurait pas vécu un tel traumatisme pour décidé de s'engager dans une association de ce genre, mais je me garde bien de le lui demander. Ce n'est clairement pas le genre de chose qu'on demande dès la première conversation, encore moins lorsque nous sommes face à quelqu'un que nous venons tout juste de rencontrer. Même si, avouons-le, parfois c'est plus simple d'en parler à quelqu'un qui, justement, ne nous connaît pas, nous et notre passé. « Les associations, c'est bien qu'elles existent. Il y en a qui peuvent vraiment, littéralement, sauver des vies.» continuais-je en mettant un peu d’œuf brouillés sur ma fourchette. «Le monde a besoin de gens comme toi qui donnent de leur temps pour faire une différence dans la vie d'inconnus » et je suis on ne peut plus sincère en disant cela, tant je suis persuadé que le moindre petit geste d'une personne peut-être perçu comme la bouée de sauvetage d'une autre.
J'allais ensuite réorienté la conversation sur le métier exercé par la jeune femme, lorsque mon moignon se rappel à nouveau à moi en lançant quelques vagues de douleur dans mon genou. Ni une ni deux, je me recule et m'excuse auprès de Drew en retirant ma prothèse. Le fait d'être désolé est devenu une sale habitude tant je sais que voir une prothèse non attachée au corps peut heurté la sensibilité de 90% des gens. Et pourtant je le fais quand même car l'avis des gens m'importe peu si je parviens ainsi à gérer les douleurs. Lorsque la jeune femme me demande si ça va mieux, je hoche doucement la tête la tête et lui offre un sourire qui se veut rassurant «Ouais, ouais, ça va. » dis-je sans pour autant de masser mon genou «C'est juste que l’emboîture pour la lame de course d'avant est nouvelle et souvent les douleurs arrivent à froid » expliquais-je en me redressant pour rapprocher à nouveau ma chaise de la table «C'était un essaie, maintenant au moins je sais ce que je peux expliquer au prothésiste ce qu'il doit changer et modifier »
Je hausse les épaules puis décide de reprendre le sujet sur lequel je souhaitais partir avant que les vagues de douleurs n'apparaissent. Ainsi, j'apprends que non, Drew n'a pas 'toujours voulu être médecin légiste', qu'elle a commencé la médecine par fascination pour le corps humain et qu'elle a dut, à un moment donné, trouvé sa spécialité. Ce n'était pas chose aisé, mais elle a fini par choisi la médecine légale pour ce qu'il y a derrière le morbide. Et c'est là qu'elle laisse échapper une information intrigante : elle souhaite apporter des informations comme on l'a fait pour elle un jour. Ne réagissant pas plus que ça, ma curiosité est quand même, quelque part, piquée à vif. Mais, encore une fois, je me garde bien de demander d'avantage de détails et me contente d'approuver ses paroles «C'est vrai que c'est assez original comme choix. De l'extérieur on peut se demander si ceux qui on choisi cette spécialité ne l'ont pas fait par défaut parce qu'ils n'étaient pas assez bon pour une autre spécialité plus 'prestigieuse' » dis-je avec une sincérité déroutante «Je ne dis pas que c'est ton cas hein » m'empressais-je toutefois de préciser « C'est juste l'idée que je me faisais avant que tu m'explique ton choix» reprenais-je en finissant mon assiette avant de me reculer contre le dossier de ma chaise « C'est hyper intéressant en tout cas. Et du coup tu travaille pour la police, c'est ça ?» demandais-je, toute mon attention étant porté sur la jeune femme.
Nous parlions chacun de nos différentes implications dans des associations. J’avais effectivement à mon actif quelques heures de bénévolat dans une association autre que Run for Judy. J’estimais parfois ne pas leur donner assez de mon temps, mais je me faisais toujours un devoir de répondre au plus vite à leur appel lorsqu’ils avaient besoin de mes compétences. Andrew s’exprimait alors que le fait qu’il était bénéfique que les associations existent et qu’elles sauvaient des vies. Il appuyait aussi le fait que le monde avait besoin de personne comme moi. Je souriais avant de répondre. « C’est bien vrai et heureusement qu’elles sont là pour certaines personnes. Quant à mon implication, elle n’est pas totalement désintéressée, puisque j’espère ainsi ne pas les retrouver dans mes patients. » Oui, parce que j’avais été lassé de retrouver des victimes de violences sur ma table alors que l’on avait déjà un dossier monté de son vivant, mais, par manque de soutien, ils étaient restés sous l’emprise néfaste de leurs bourreaux.
La conversation fut alors interrompue par ce qui ressemblait d'être des douleurs. Puisque ce n’était pas moi qui ressentais, je ne pouvais que supposer d’après ce que je lisais sur le visage de mon interlocuteur du jour. Il avait fallu quelques minutes avant de la conversation ne reprennent et je m’étais alors permise de lui demander si cela allait mieux. Andrew confirmait ce fait avant de m'expliquer, c’était lier à sa lame de course qui était nouvelle et apparemment, il n’était pas rare que les douleurs arrive à froid. C’était intéressant. J’étais désolé pour lui, mais je prenais toujours toute nouvelle connaissance et je devais avouer que le monde des prothèses était pour moi plutôt inconnue. Je savais qu’elle avait des numéros de série, puisque je l’ai utilisé parfois dans la pratique de mon métier, mais j’ignorais tout de l’adaptation d’une prothèse. Il m’expliquait alors qu’il ferait un retour au prothésiste pour que ce dernier puisse apporter les modifications nécessaires. « Et ça peut prendre plusieurs modifications pour avoir le résultat optimal ? » Je me montrais peut-être un peu curieuse, mais j’avais pour excuse que c’était lui qui avait ouvert le sujet en premier. À la base, j’avais juste demandé si ça allait. Et puis je trouvais l’échange d’informations entre les deux intéressants. Du coup, il fallait une bonne communication entre les deux et surtout qu’ils se comprennent. Ça devait être compliqué au début, l’on n’avait pas toujours les mêmes mots pour décrire la même chose. Surtout dans un contexte aussi subjectif, mais j’imagine qu’avec le temps, les esprits s’accordait un peu plus.
La suite de la conversation avait mené à ce que j’explique pourquoi j’avais choisi de me spécialiser dans la médecine légale. L’acteur avouait alors trouver mon choix de carrière assez original, puis il évoquait la vision qu’il avait du métier avant que je ne lui en parle. Je souriais à l’information. Sa vision n’avait rien d’étonnante et rejoignait celle d’une grande généralité. « C’était aussi l’idée que je m’en faisais avant. Et finalement, l’étendue des connaissances qu’elle exploite et telle que régulièrement, je suis obligé de me lancer dans des recherches. » Et j’étais appelé autant que tout autre médecin à suivre l’évolution de la médecine pour pouvoir toujours être au fait. Car même si je prescrivais rarement des traitements, je me devais de savoir leur effet pour les prendre en compte lors d'une autopsie. Il profitait de cet instant pour me demander la confirmation que je travaillais pour les forces de l’ordre. « C’est bien ça. Ce qui fait que j’ai aussi affaire à des patients en vie. » Autre fait que les gens ignorait souvent, un médecin légiste avait des patients vivants. « Et parfois, c'est même plus compliqué avec ces dernières. » L’avantage certain des morts, c’est qu’ils n’avaient pas de sentiment que l’on risquait de bousculer.
Je pince les lèvres en un sourire compatissant lorsque Drew me fait un aveu et pas des moindre : elle donne de son temps aussi pour éviter de trouver des femmes sur sa table d'auscultation en tant que patient. Et je sais parfaitement qu'en temps normal ses patients à elle ne sont plus en vie, du coup son implication dans une telle association est d'autant plus importante encore. « Je vois ... Ça rend le temps que tu donnes à ces femmes, encore plus fort et important » hochais-je la tête. Je me doutais, en proposant à Drew ce brunch, que j'allais apprendre des choses intéressantes sur la jeune femme. Mais j'avoue être très agréablement surpris de l'entendre parler de tout ça et de découvrir en elle une femme qui se passionne pour beaucoup de choses.
Malheureusement, alors que j'étais sur le point de lui poser davantage de questions encore sur son métier, mon corps se rappelle à moi d'une façon dont j'ai, certes, l'habitude, mais qui reste toutefois assez horrible. Fort heureusement, je sais comment gérer les douleurs et une fois la prothèse retirer, celles-ci disparaissent. Que Drew en profite, donc, pour me questionner sur le sujet ne m'étonne clairement pas, d'autant plus que la plupart des gens n'ont absolument aucune idée de comment fonctionne le remplacement d'un membre, ce qui rend le tout encore plus mystérieux. « Oh oui, ça peut prendre un temps incroyable avant de trouver les bons réglages » répondais-je lorsque la jolie rousse souhaite savoir si ça peut prendre beaucoup de modifications « En générales, on n'a jamais un résultat optimal dès le premier coup, d'autant plus que ton corps change énormément. Dans une vie, on n'a jamais le même poids, jamais la même forme physique... Bref en temps normal ton corps compense énormément tous ces changements. Malheureusement, on n'a pas encore inventé une prothèse qui s'adapte d'elle-même à tout ça » je souris doucement, amusé « Même s'il y a eu des avancées incroyables, on reste dépendant d'un prothésiste. D'autant plus qu'en fonction de l'utilisation, le carbone s'use, et même si c'est super stable, on sent très rapidement le moindre changement et...» je me tais lorsque je me rends compte que je monopolise la parole depuis quelques minutes déjà « Tu me dis si je parle trop hein » dis-je en attrapant mon verre de jus d'orange « Cela dit, ça me dérange absolument pas d'en parler. Au contraire, c'est un sujet qui me passionne pas mal» ce qui est assez contradictoire en vrai, car j'ai, mine de rien, assez de mal à évoquer les raisons qui m'ont poussé à me séparer de mon pied.
Ainsi, j'en profite pour repartir sur le sujet que je voulais aborder initialement : le travail de Drew. Je lui avoue l'idée que je me faisais, personnellement, de la médecine légale et j'apprends de ce fait que c'était pareil pour elle au début avant de se rendre compte que dans son métier elle doit régulièrement partir dans des recherches plus poussées. « Ah ouais ? A ce point ? Eh ben dis donc ... même mort les gens peuvent encore trouver le moyen d'être chiant » je laisse échapper un rire, bien qu'ayant conscience que mon humour soit vraiment limite. D'ailleurs, la jeune joggeuse finie par m'avouer qu'elle peut même parfois avoir affaire à des patients vivant qui, eux, sont souvent plus énervant que ceux qu'elle a sur la table. « ça ...» Je secoue la tête « c'est un problème de l'humain en général» reprenais-je en haussant les épaules en finissant mon jus d'orange « Mais bon, qu'est-ce qu'on ferait sans les humains, hein ?» Reprenais-je alors que j'interpelle le serveur pour commander un deuxième café.