Je le savais. Je savais que ça devait arriver. Je savais qu'un jour, je ferais face à Jackson. Ce que je ne savais pas, c'est que ça aurait été aujourd'hui et que je lui ouvrirait en sous-vêtements, les épaules seulement recouvertes d'une chemise : celle que ce même homme a oubliée chez moi la dernière fois qu'il est venu et que je ne lui ai jamais rendu. « T'as fouillé mon tel » cette phrase crachée alors que Jackson pousse la porte d'un seul coup, me l'envoyant presque dans la figure et la bloquant avec son corps, annonce bien la couleur de sa venue. Il bombe le torse, se grandit davantage face à moi tel un mâle alpha qui souhaite dominer le monde alors que clairement avec ses habits trempés et ses baskets pleines de boues, il me fait plus l'effet d'un chiot abandonné.

« Tout va bien, chérie ? » C'est la voix d'Erika qui me fait revenir sur terre «Oui » répondais-je en lançant un coup d'oeil au dessus de mon épaule « Tu veux que j'appelle les flic... ?» qu'elle reprend, un brin de panique dans la voix «Non t'inquiètes, il est moins menaçant qu'il n'en a l'air » répondais-je en défiant Jackson du regard « T'es sûre ?» Je fini par me détourner de mon meilleur ami pour aller à la rencontre de ma copine qui me regarde, apeurée. Je la rassure avec quelques mots puis lui dit de partir et que je la rappellerais plus tard. Elle est, certes, un peu réticente, mais fini par s'habiller et quitter l'appartement, passant à côté de Jackson sans un mot.

« Bon alors, on rentre pas ?» demandais-je en allant dans mon salon. J'entends la porte claquer et les pas du flic s'avancer dans le couloir. Sans prendre la peine de m'habiller davantage, j'attrape la bouteille de vin sur le comptoir et me sert nonchalamment un verre avant de me tourner vers le jeune homme. Adosser contre la table, bras en travers de mon ventre et verre posé contre mes lèvres, je porte à nouveau mon regard sur lui puis hoche la tête «Non, je n'ai pas fouillé ton portable. » je lève les yeux au ciel « Enfin si je l'ai fait, mais juste pour apprendre le pseudo de Swad. Tout le reste, son vrai nom, son adresse et sa fonction dans la vie je l'ai découvert de moi-même» Jackson veut de la confrontation et de la sincérité, alors il en aura.

Oh, évidemment, je sais que Jackson est capable de perdre le contrôle sur ses nerfs. Je sais que son impulsivité n'a d'égale que ses capacités physiques décuplée par la rage qui sommeil en lui, mais j'ose, quelque part et peut-être naïvement, imaginé qui saura se retenir face à moi. Car malgré tout, malgré le fait qu'il parte régulièrement au quart de tour, je le sais surtout intelligent et qu'il a assez de jugeote pour ne pas en venir aux mains avec moi. Ou est-ce que je me trompe ? J'avoue qu'en lui voyant, face à moi, adossé contre le mur le plus éloigné de la table contre laquelle je me trouve, un frisson traverse mon échine.

Je garde toutefois la tête haute mais fronce les sourcils lorsqu'il me demande pourquoi je fouille dans sa vie « C'est la seule solution que j'ai trouvé pour réussir à savoir ce que tu faisais et comment tu vivais les toute la situation» répondais-je sobrement en prenant une gorgé de mon vin «Tu ne me parle plus, t'es aux abonnés absents depuis notre retour et tu repousse TOUTES mes tentatives pour essayer d'avoir de tes nouvelles» je pose mon verre sur la table, sans doute un peu trop violemment car quelques goûtes de vin passent par dessus bord et viennent s'écraser sur la surface au même moment où le tonnerre gronde à nouveau dehors, plus violemment encore que depuis le début, montrant que l'orage est vraiment au-dessus de nos têtes «Tu fais ce que tu veux de ta vie, j'en ai rien à foutre de savoir qui tu baises, mais putain, arrête de te murer dans ton silence de merde ! Tu l'as déjà fait une fois et c'était presque la fin de notre amitié. »

Je sais que son métier était à haut risque, que quasiment 100 % des informations qu'il détient sont confidentielles et qu'avant ses missions, il devait être focus à 200 % sur la suite des événements, mais je sais aussi que je le vis toujours super mal. Autant parce que je me sens mise de côté - même si, encore une fois, je comprends totalement pourquoi il agissait comme ça-, mais aussi parce que mon amitié pour Jackson est bien trop précieuse pour l'arrêter comme ça. Alors je me bats pour ça, pour pas qu'elle ne passe pas dans l'oublie.

« On s'était promis, en Norvège, que rien ne changerait. Tu n'as pas respecté ta part du contrat, alors je me devais d'agir, car si je t'avais demandé directement avec qui tu étais pour ton anniversaire, tu m'aurais envoyé chier, comme d'habitude.» Un éclair zèbre le ciel, plongeant furtivement la pièce dans une lumière aveuglante.

Suis-je égoïste en mettant en avant mon envie de pouvoir garder contact avec Jackson ? De pouvoir faire en sorte qu'il reste proche de moi et que rien ne change entre nous ? Suis-je trop exigeante quand je souhaite qu'il me parle ? Sans doute, mais le mal est fait et mes pensées ont été dites. Et Jackson ? Après s'être renfrogné et avoir commencé à arpenter mon salon de long en large, explose.

Sa voix, emplie d'une rage bien audible, déchire le silence qui s'était installé pendant quelques instants dans la pièce. Il hurle, s'époumone en me disant que je ne comprends rien, qu'il ne peut pas me parler de ce qu'il vit et qu'il essaye de faire au mieux pour ne pas m'entraîner dans la spirale des enfers dans laquelle il se trouve. Lorsqu'il fini ses paroles en crachant un soldat comme si c'était la chose la plus répugnante du monde, je décroise les bras.

« MAIS C'EST TOI QUI COMPREND RIEN PUTAIN» hurlais-je à mon tour. Ne dit-on pas que crier sur quelqu'un qui nous crie lui-même dessus ne ferait qu'envenimer les choses ? Sans doute. Mais aujourd'hui j'en ai rien à foutre, tant l'amertume est énorme « Je ne te demande pas de me parler du jugement, des trials ou je ne sais quoi, je ne suis pas non plus conne au point de ne pas comprendre que tout cela est confidentiel !» je me redresse et me pousse de la table «ce que je veux, c'est que tu me parles de toi ! De ce que TU vis et COMMENT tu le vis ! Merde Jackson ! » je m'immobilise face à lui puis me passe une main sur le visage en me détournant pour retourner vers la table « A quoi je sers moi si ce n'est pouvoir te soutenir dans ces moments-là ?!» je fais à nouveau face au flic en laissant tomber mes bras le long de mon corps « Je sais que tu m'as déjà trop dit la dernière fois, j'en ai pleinement conscience. Mais tu ne peux pas faire comme si tout ça te passait au-dessus.» je m'avance à nouveau vers lui « Et t'es encore moins obligé de vivre tout ça tout seul putain. »

Ma voix s'est adoucie aussi brusquement qu'elle s'est envenimée quelques secondes avant. M'immobilisant à quelques centimètres de lui, je me prend enfin le temps de l'observer. Et ce que je vois ce n'est pas le Jackson que je connais. J'ai l'impression que celui avec qui j'ai passé deux semaines à l'autre bout du monde est loin, très loin, et se cache derrière cette lassitude qui brille dans ses yeux.

Un craquement plus sonore encore se fait entendre, suivit d'un faisceau lumineux avant que toutes les lumières de mon appartement ne s'éteignent d'un coup, nous plongeant dans l'obscurité la plus totale. Comme si la situation n'était pas déjà assez tendue comme ça.

Tels deux pitbull enragés, nous hurlons l'un sur l'autre et nous nous accusons entre nous, jusqu'à ce que l'univers semble nous ordonner de nous calmer et de mettre notre fierté respective de côtés. Lorsque la foudre frappe l'antenne du bâtiment, faisant disjoncter toutes les lumières, je m'effraie brillamment et je pense que j'ai même lâché un petit cris avant que l'obscurité de nous noie. Être ainsi brusquement plongé dans le noir à au moins l'avantage de calmer les tensions et lorsque Jackson s'adresse à nouveau à moi, c'est sur un ton bien plus posé.

« Je ne recommencerais plus» soufflais-je sur le même ton baissant le regard même si ça ne sert à rien parce que Jackson ne peut pas me voir. La suite de ses paroles, elles, me brisent un peu le cœur, car elles sont tellement criantes de vérité. Il survit. Voilà ce qu'il fait. Il est en mode survie, et ce mode, chez lui, c'est de se rétracter dans sa vie, mettre une barrière à tout ce qui lui ferait du bien et ne plus s'autoriser le bonheur qu'il mérite.

«Jackson ... » Je déglutis et soupire doucement en secouant la tête « Qu'est-ce que je peux faire pour t'aider ? » demandais-je « Tu sais que je suis là pour toi, pas vrai ? Peu importe les conséquences, peu importe ce que la justice décidera pour toi, je suis là» je soupire doucement « Je ne quitterais plus des côtés» la seule fois où je l'ai fait m'a, suffit de leçon.

Une aspirine. Voilà tout ce que souhaite Jackson en ce moment même. J'avoue que je reste un instant interdite face à cette demande qui, mine de rien, me semble sortie de nulle part, mais je finis par hocher la tête - par habitude - et commence à m'activer dans l'obscurité de l'appartement. A tâtons, je sors du salon et me dirige vers la salle de bain. Par habitude, je tente d'allumer la lumière et grogne entre mes dents, insultant le temps de merde, lorsque l'obscurité reste intacte. Fort heureusement, je sais encore où se trouve tous les antidouleurs. Toutefois, dans la pénombre, je suis dans l’incapacité la plus totale de savoir s'il s'agit d'aspirine ou du reste de codéine ou morphine. Attrapant les trois tubes, je ressors dans le couloir et me dirige à nouveau vers le salon d'où me provient le rire indéchiffrable de Jackson.

Fronçant les sourcils, je m'approche de lui avant de me stopper lorsque mes pupilles, qui se sont habituées à l'obscurité, aperçoivent sa main tendue dans laquelle se trouve mon vibromasseur. «Gamin» dis-je en lui arrachant le jouet de plaisir des mains pour le poser sur la table basse. « File ton portable» dis-je en tendant la main « Ou plutôt utilise le toi-même pour éclairer. Parce que je n'aimerais pas te filer de la codéine ou de la morphine» me reprenais-je.

Il n'en faut pas longtemps à l'agent pour se déplacer de manière à pouvoir sortir son portable de la poche arrière de son jeans avant qu'il n'éclaire ma main. Je lis rapidement les étiquettes puis lui file le tube d'aspirine. M'aidant de la lumière, j'attrape la bouteille d'eau posée au sol et glisse le verre que je remplis avant de reprendre le tube des mains de mon meilleur ami et y plonge une pastille effervescente « Eh voilà, votre cocktail est servi» dis-je en lui redonnant le verre.

Attendant qu'il boive la mixture, je me relève à nouveau et fouille un tiroir duquel je sors quelques bougies et un briquet. Les disposant sur la table, je les allume une à une puis m'installe à nouveau à côté de Jackson. «Ça va ? » Demandais-je finalement après quelques instants de silence, mon regard restant hypnotisé par les flammes qui dansent devant nous alors que dehors, c'est maintenant la pluie qui tombe à grosse goûtes.

Les flammes dansant devant nous sur la table ont quelque chose d'hypnotisant et relaxant. Comme si le feu était en train de brûler la colère qui s'était dressée entre nous, consumant l'oxygène de nos ressentiments. Le silence qui suit le verre qui se pose non loin du vibromasseur à quelque chose de bizarre. L'atmosphère qu'il dégage n'est ni lourde ni agréable, elle est juste présente et encore un peu électrique.

Toutefois, le silence ne dur pas longtemps lorsque Jackson reprend la parole pour me faire remarquer que je ne peux pas débarquer chez ses dates comme j'ai débarqué chez Deborah. Je ferme un instant les yeux et soupire doucement «Et toi, tu ne peux pas m'exclure de ta vie en imaginant qu'il n'y aura pas de conséquences » déglutissant, je pose mon regard sur mon meilleur ami « Je ne pensais pas à mal » dis-je finalement « Alors oui, ok, j'y suis peut-être allé un chouia trop fort» je lève une main, marquant un léger espace entre mon pouce et mon index « Mais je n'étais ...Pas moi-même. T'avais encore une fois ignoré mon appel et mes messages, du coup j'ai décidé de prendre le taureau par les cornes et avec son simple pseudo Tinder et l'adresse IP de son ordi, Joshua, le gars de la sécurité informatique de la base à réussi à me fournir un très grand nombres d'information concernant cette Deborah» je grimace «Quel nom de pouffiasse putain » ajoutais-je le plus bas possible, plus pour moi que pour Jackson, bien que je sois persuadé qu'il m'ait entendu « Bref, j'ai découvert son adresse, son âge, ses origines, ce qu'elle fait dans la vie etc et je suis allé lui rendre visite.» Je hausse les épaules et me tasse un peu dans mon canapé « Juste pour faire connaissance et avoir le cœur net qu'elle soit quelqu'un de fiable.» Je baisse le regard sur la main meurtrie de l'agent « Est-ce que c'est le cas ? Est-ce que c'est une personne de fiable qui ne te fera pas de mal ? » Demandais-je, mon regard se perdant sur les phalanges bien plus sombres, signe que la rage a à nouveau prit le dessus dernièrement. « Dis-moi que la victime n'est pas humaine » soufflais-je en désignant ses articulations d'un coup de tête.

Il me fait de la peine Jackson, avec ses phalanges bleuies et sa façon de dire qu'il a été con de penser avec sa bite. Dans un soupir, je hoche doucement la tête, compatissante et n'ayant même pas la force de lui donner raison. Ainsi, haussant légèrement les épaules, c'est un simple « je suis désolée » qui sors de ma bouche. Désolée pour lui, pour avoir encore une fois été malchanceux en amour, désolée pour moi, pour avoir agi de la sorte, désolée pour nous avoir mis dans une telle situation.

Déviant le regard lorsque Jackson range sa main dans son pull, je l'écoute me dire qu'il ne sait ce qu'il recherche. Je le comprends. Oh que je le comprends lorsqu'il dit ça, tant je suis moi-même passé par les mêmes états d'esprit il y a quelque temps avant de rencontré Erika, la seule fille qui m'a donné envie de me poser réellement. Mais est-ce que je peux me permettre de dire ça à Jackson ? De lui dire de ne pas se poser trop de question, que l'amour viendra le jour où il ne s'y attendra le moins ? Je pense que c'est quelque chose qu'on a de cesse de lui répéter et connaissant mon meilleur ami, je me doute que ce ne soit pas ce qu'il attend d'entendre. A moins que... ?

« je comprends» finissais-je par dire après quelques instants de silence « J'imagine bien que malgré tout ce que tu dis et fait, tu arrives à un stade et un âge de ta vie où tu te poses obligatoirement ce genre de questions» je me redresse, ramène les pieds vers moi et plie les genoux de manière à me retrouver en tailleur face à Jackson « T'as jamais pensé à te poser réellement ?» Demandais-je finalement « Maintenant que tout ça, c'est derrière toi, peut-être que tu peux laisser la place à quelqu'un d'autre dans ta vie ? »

Je hausse à nouveau les épaules et fini par me lever du canapé pour m'avancer vers la fenêtre «J'ai été affecté pour une mission » annonçais-je finalement, sobrement, passant du coq à l'âne « Je pars la semaine prochaine pour un mois d'entraînement aux états uni. Faut qu'on prête main forte à la US Air force » croisant les bras devant la poitrine, je déglutis et pince les lèvres, ayant pour la première fois de ma carrière quelques appréhensions quant à ce qui nous attend à l'autre bout du globe.