(mars 2022 - au coin d'une rue sombre) Le goût de fer dans la bouche, ce n’est jamais bon signe. Le goût de fer dans la bouche, c’est une sensation connue. Je la connais depuis longtemps : les bagarres improvisées au foyer, les premières course poursuite dans la rue à en perdre le souffle. Cette fois-ci, j’ai les mains posées sur le sol quand on m’assène un nouveau coup dans l’estomac. A quatre pattes, comme une merde. Le tableau est pathétique alors que je décide de grossir le trait et me recroqueville sur moi-même. Position de survie : ça protège les côtes et ça permet de se servir de ses bras pour protéger ses tempes. Un coup bien placé sur la tempe et tu me perds sur la lune, mon poulet. Je serre les dents, jure de la payer cette putain de dette à l’irlandais du bar miteux de Toowong. Pourquoi demander un prêt, une avance quand on a plus rien ? Pourquoi parier alors qu’on a rien ? Parce que je suis un minable. Ah oui, ça me revient maintenant. Je suis juste un débile profond qui est animé par cette putain d’illusion de voir sa vie changer de tout au tout. Un dernier coup. Quelques jurons suivis d’une menace. La lourde main de celui qui a une voix rauque saisit mon tee-shirt pour me redresser, me secouer, oh attirer mon attention. J’ouvre un oeil, le fixe et acquiesce à ce qu’il dit. Je ne comprends pas ce qu’il me dit mais la manière dont il me hurle dessus me fait comprendre que c’est la meilleure des réactions. Hocher de la tête, ne pas contredire, ne pas chercher d’issue de secours et … Apparemment, ça fonctionne puisqu’il se casse avec son copain.
Je marmonne un juron avant de me redresser pour m’asseoir contre le mur de la rue adjacente. Dos contre le mur, je laisse ma tête se poser contre celui-ci et grimace tout en priant de ne pas m’être fait péter une côte. Ça m'est déjà arrivé une fois et ce n'était pas l’expérience la plus bandante de ma vie. Grimaçant, poussant un râle de douleur, je parviens à me saisir de mon paquet de clopes pour m’en sortir une que je coince au coin de mes lèvres. Nouveau soupir de désespoir, de douleur aussi un peu. J’ai le souffle coupé. J’ai l’arcade enflée. J’ai la lèvre fendue et certains de futurs arcs en ciel sur les côtes et dans le dos. Enfoiré. Tout ça pour quatre cent dollars - sérieux !? Même cette couche de la société se tape dessus pour quelques dollars … La lumière de mon briquet vient illuminer mon visage pour allumer ma clope et m’aider à relativiser. Oh merde … putain … ce sont les seuls mots qui me viennent quand je constate que j’ai perdu quelques trucs de mes poches au cours de cette gentille altercation. Des pièces de monnaie. La clef de mon appartement et un badge obtenu après mon premier mois à être clean … d’après eux, d’après ce qu’ils savent … parce que le dernier rail que je me suis fait date de quelques heures seulement, sur la cuvette des chiottes dans lequel les amis de l’irlandais m’ont sorti par la peau du cul. Tu parles d’un trip génial.
Du mieux que je peux, j’essaie de me redresser … clope au bec, main posé sur le ventre et l’autre cherchant un appui contre le mur … au lieu de cela, je m’étale de tout mon long pour abandonner. Petite merde. Petit parasite. Je fixe la lune qui brille haut dans le ciel, clope au bec, souffle court. Ma vie est merdique …
Et elle est arrivée, feat @Jasper Fowley › En arrivant à Brisbane, Margot se demandait quelles seront les choses qui lui manqueraient de sa ville natale, Sydney. Elle y avait passé toute son enfance et adolescence, y avait fait toute sa scolarité. Forcément, elle avait un pincement au cœur. Mais, elle se rendit très vite compte que cette ville côtière avait un vrai potentiel. Dynamique et agréable, elle avait une belle vue depuis son appartement à Fortitude Valley. Au final, c'était un bon cadre pour se reconstruire. Cependant, il a fallu attendre quelques temps avant qu'elle se décide à sortir la nuit. Non pas qu'elle avait peur, elle avait juste besoin de temps, du temps pour elle mais surtout du temps pour s'acclimater. Elle commençait à sortir avec des amis, avant de prendre un peu plus confiance. Maintenant, elle peut se balader seule, même si elle n’est jamais contre de la compagnie. Après, ce n’est pas une grande fêtarde. Elle ne sort pas tous les soirs, elle préfère souvent rester chez elle, devant une série ou alors une manette dans les mains, mais elle commence à les régulariser. D’une certaine manière, c’était une manière pour elle de s’intégrer dans une communauté dont elle ne connaissait quasiment rien. Et puis elle se donnait des occasions pour faire des rencontres, qu’elles soient bonnes ou mauvaises.
Cette nuit-là, Margot avait décidé de la passer dans un bar avec des camarades de fac et où il y avait une collection importante de bornes d’arcade. Des étoiles aux yeux, elle se contentait de faire des aller-retours entre le bar et le trésor au fond de la pièce. A vrai dire, si ses amis n’étaient pas là pour lui conseiller de s’alimenter, elle aurait pu passer toute la soirée à pianoter sur les bornes tellement elle était absorbée. Un mélange de nostalgie avec des vieux jeux et l’adrénaline du format assez déconcertant, elle passait une excellente soirée. Mais malheureusement, toutes les bonnes choses ont une fin. Après un rapide passage sur la piste de danse où elle retrouva ses amis, ils finirent tous par se diriger une dernière fois vers le bar pour payer la note et partir. Une bonne humeur se dégageait, ils riaient, se moquaient des uns des autres, Margot qui soulignait ses exploits sur le Tetris. Au fur et à mesure qu’ils marchaient, le noyau se séparait pour que chacun puisse rentrer chez soi le plus rapidement possible.
La fatigue se faisait sentir et elle approchait de l’allée où se trouvait son immeuble lorsqu’un son vint attirer son attention, comme des murmures provenant d’une ruelle perpendiculaire. Elle s’en approcha doucement pour mieux discerner sa source avant de voir une silhouette appuyée contre le mur. Continuant sur son élan, elle se rendait compte que cette personne ne semblait pas aller bien. « Est-ce que ça va ? », demanda-t-elle. Au mieux elle allait recevoir une réponse évidente mais sincère, au pire elle allait se faire rembarrer. Ses instincts altruistes prenaient le dessus, elle put voir le visage tuméfié du garçon et le sang qui tachait sa peau. Elle serra les dents, il devait vraiment avoir mal. « Qu’est-ce qui t’es arrivé ? » Margot regardait autour d’elle, à la recherche d’un indice avant de plonger sa main dans son sac pour y sortir un mouchoir et lui tendre. Après tout, il semblait avoir besoin d’aide et elle était prête à lui offrir la sienne.
(mars 2022 - au coin d'une rue sombre) Est-ce-que ça va ? Cette voix est douce, calme, posée. Elle rend le sol presque ouaté. J’ouvre les yeux pour pouvoir apercevoir à qui elle appartient et elle apparaît à la lumière tamisée de cette ruelle. Elle a le regard qui pétille, le regard qui dit qu’elle vit. J’ai perdu l’habitude de voir cette lumière dans le regard de ceux et celles qui font partie de ma vie. Elle s’inquiète vraiment. Elle me donne l’impression de s’inquiéter tout au moins. Et, je ne bouge pas. Je me contente de rester encore quelques secondes sur le sol, à la regarder. A vrai dire, j’émerge doucement. Elle est un rappel à la réalité, à l’humanité. Le monde n’est pas uniquement peuplé de pourritures qui continuent leur chemin, qui tournent la tête ou détournent le regard. Il existe encore quelques personnes qui s’arrêtent, qui tendent leur main, qui posent une question. Je ne réponds rien. Je me rends compte que je n’ai toujours rien répondu mais je lui offre un sourire rassurant même si ma lève me tire, même si mes dents blanches sont légèrement teintées de mon sang. J’essaie de sourire mais je me demande si je ne suis pas en train de davantage l’inquiéter. Je dois ressembler à un tas de fringues poisseux dans une ruelle sombre. Qui aurait eu envie de s’arrêter … ? Qu’est-ce-qui t’est arrivé ? Elle ne fuit pas ? Elle reste ? Je me redresse sur mes coudes avant de saisir le mouchoir qu’elle me tend avec la plus grande tendresse. Un mouchoir. Elle ne fait pas que s’arrêter, elle me tend un putain de mouchoir. Sans doute la chose la plus aimable qu’on ait pu me faire depuis … bien trop longtemps. Merci, je parviens à le souffler tout en me rendant compte que ça fait une éternité que je n’ai pas eu à dire merci pour quoique ce soit. La vie a faite de moi un loup solitaire et exécrable. Epongeant doucement ma lèvre, je finis par la pincer en espérant pouvoir éponger un peu le sang … à vrai dire, ce sont plus mes cotes qui me torturent. Ma tronche, elle a déjà vécu bien pire.
Un enchainement d’événements inévitables qui ont fait que … Je commence ma phrase sur un ton presque théâtral, l’habitude, mais quand je me redresse et je lui fais face, je me reprends. Pourquoi mentir ? Pourquoi jouer un rôle ? Elle est la première personne sur cette foutue planète depuis des années qui s’arrête sur mon chemin et qui me pose une simple question avec la plus grande candeur et sagesse qui soit. Je soupire et secoue la tête. Le revers de la médaille. Je la mérite cette rouste. On ne va pas tortiller du cul pour chier droit. J’ai joué avec plus gros que moi et je m’en prends plein la gueule : c’est la suite logique des choses. Pour ma défense, ils étaient plusieurs. que j’ajoute tout en gardant une main posée sur mes côtes mais en lui offrant un sourire qui se fait rassurant. Est-ce-que c’est moi qui est en train de la rassurer ? Merci de t'être arrété. Tu restaures ma foi en l'humanité.
Et elle est arrivée, feat @Jasper Fowley › Aussitôt ses instincts de médecin en devenir prenaient le dessus. Au moins, le garçon était conscient et pouvait parler, c’est un bon signe. A première vue, il n’y avait donc que son visage qui semblait blessé. Avant même qu’il puisse lui répondre, Margot imaginait ce qui avait pu se passer. Automatiquement, elle pensait à une bagarre ou alors une chute malencontreuse. Ca ne serait pas trop étonnant, il suffisait d’avoir un peu trop bu, d’avoir eu un déséquilibre et de tomber. Au final, son interlocuteur sous-entendait et confirmait la thèse de la bagarre qui aurait mal tourné. Forcément, il fallait s’y attendre. Un sourire se dessina sur son visage lorsqu’il la remercia, elle s’approcha de lui, prête à l’aider s’il avait besoin d’aide pour se relever. « De rien, c’est normal. » En tout cas, c’était normal pour elle. Elle a été éduquée de la sorte, à aider son prochain. Déjà quand elle était petite, elle accompagnait sa mère lorsqu’elle faisait du bénévolat. Elle participait aux aides alimentaires et aux collectes pour les plus démunis, elle l’aidait à faire des piles pour faciliter le transport. Parfois, elles préparaient des activités pour les enfants de l’hôpital et Margot jouait les après-midis avec eux. Et puis au fur et à mesure qu’elle grandissait et avec le travail de sa mère, elles s’engageaient moins fréquemment. Maintenant, il faut croire qu’elle aide les gens blessés dans des ruelles sombres.
« Comment c’est arrivé ? » Au-delà de savoir la cause, elle se posait cette question pour savoir s’il y avait d’autres blessés et s’il fallait appeler les urgences, voire la police. Margot sortit un second mouchoir au cas où il en avait besoin, avant de voir la main qu’il gardait sur son ventre. « Ils t’ont frappé là ? » S’il le tenait, c’est qu’il devait avoir mal et ça, ce n’était pas vraiment bon signe. A côté de lui, Margot plaça sa main proche de celle du garçon. « Je peux ? » Elle appuya sur son abdomen pour déterminer l’endroit où il avait mal. Au final, elle comprenait que c’était au niveau des côtes qu’il se passait quelque chose. « Tu devrais faire une radio pour être sûr que rien est cassé. » Elle le regardait plus en détails. Elle ne l’avait jamais vu auparavant ou en tout cas, pas dans cet état. « Tu penses pouvoir marcher ou j’appelle les urgences ? » Elle essayait de trouver l’équilibre entre être prudente et rassurante et parfois, ce n’était pas simple, surtout avec la fatigue. Mais elle s’efforçait de le faire et sûrement grâce à l’adrénaline, elle le faisait plutôt bien. Un sourire au visage, elle espérait que ça ne soit pas trop grave quand même.
(mars 2022 - au coin d'une rue sombre) De rien, c’est normal. Rien n'est normal dans cette situation. La normalité serait de continuer son chemin. Elle est loin d’être normale. A mes yeux, à cet instant, elle devient quelqu’un de spécial. Comment c’est arrivé ? Oh la question est cette fois-ci des plus normales. Quelle est la cause de cette altercation ? Trop de dettes. Une vie débridée. Autant de vies qu’un chat. La liste est longue. J’ai jamais vraiment écouté mes parents … un sale gosse qui a de sales fréquentations mais ça va aller que je m’essaie à prononcer tout en grimaçant quand je sens que ça me tire sur les côtes. Ces enfoirés ne m’ont pas loupé. Ils se sont bien amusés et je vais en chier pour trouver une place sur le matelas pourri qui me sert de lit. Je peux ? Je cesse aussitôt de bouger et hoche la tête positivement comme un gosse devant l’infirmière de l’école. Elle dégage une drôle d’autorité sur ma personne, peut-être car elle ne me hurle pas dessus, qu’elle me regarde comme son égal et qu’elle ne juge pas. Pas encore ? Ils finissent tous par juger, à un moment donné. Je la laisse appuyer sur mon abdomen, serrant les dents et levant les yeux au ciel quand ça commence à faire mal. Tu devrais faire une radio pour être sûr que rien est cassé. Tu penses pouvoir marcher ou j’appelle les urgences ? Rien de cassé, c’est sûr. Juste quelques hématomes. J’ai la peau dure. On dirait pas comme ça mais j’encaisse, juste que tu m’as surpris juste au mauvais moment. J’essaie de noyer le poisson pour ne pas attirer l’attention sur ma petite personne : difficile quand on a une gueule comme la mienne à cet instant mais j’essaie. Je peux marcher, ouais. Lentement… mais je peux marcher. que je dis tout en passant une main dans mes cheveux pour essayer de reprendre contenance et ne plus avoir l’air d’une loque humaine : tâche difficile. Jasper … Jazz … Aucune idée du pourquoi je lui sors mon prénom comme Lucky Luke dégaine son flingue mais cela me semble approprié. Mon regard croise le sien, s’y perd même un quart de seconde avant de sourire en coin. Jasper, le paumé qui vient de tomber sur un ange après une ridicule altercation qui lui vaudra pas mal d'hématomes et de verres de vodka pour endormir la douleur. T’es un super héros ou un truc dans le genre ? J’aurais pu dire un ange si je n’étais pas convaincue que la religion est une super invention faite par l’homme pour manipuler et mieux contrôler ses semblables. que je lui demande tout en commençant à faire quelques pas pour sortir de cette ruelle et regagner la civilisation, en bonne vermine originaire de Brisbane. Je fais quelques pas tout en ayant une position qui me permet de ne pas avoir trop mal, le dos un peu courbé, la main posé sur le ventre. Je tourne la tête de nouveau vers celle qui vient de me redonner foi en l’humanité. A la lumière, elle a quelque chose de presque surréaliste, de lunaire. Elle a une aura qui me fait relativiser sur tout … même sur le fait que je n’ai besoin de rien d’autre à cet instant.
Et elle est arrivée, feat @Jasper Fowley › Son interlocuteur, du fait de la situation, cochait toutes les cases du garçon à problème. Seul, en pleine nuit, blessé à cause d’une bagarre. Pourtant, si la plupart des gens à sa place se seraient retournés, Margot tenait à cœur à ce que tout va bien pour lui. Et puis, elle le trouvait même sympathique, ce qui lui donnait un argument supplémentaire de rester avec lui. Lui-même se considérait comme un sale gosse, ce qui pour le coup lui provoquait une certaine amertume. Elle avait perdu les siens assez récemment et tout ce qui s’apparentait aux parents de manière générale lui faisait comme un pincement au cœur. Son regard dévia un instant, le temps qu’elle reprenne ses esprits. Elle répondit aussitôt, rieuse. « Si je peux te donner un conseil, essaie d’éviter ces mauvaises fréquentations qui t’ont fait ça la prochaine fois. » Elle imaginait des brutes pas très cools, ce type de personnages qu’on voit dans les films et qui sont souvent les méchants. Ça faisait très cliché et peut-être que ces gars-là n’avaient rien à voir avec cette description. Pour ce qui était de ses blessures, Margot se fiait à ce qu’il ressentait. Après tout, s’il se sentait bien, tant mieux. « Ok si tu le dis. Sois prudent quand même. », dit-elle accompagné d’un sourire. Elle semblait un peu plus rassurée désormais, surtout qu’il se sentait prêt à marcher. Au final, elle avait imaginé le pire, sûrement l’alcool qui la rendait fataliste. Elle tendit sa main vers lui pour de vraies présentations. « Margot. Enchantée, Jazz. Sympa comme surnom. » Elle-même n’en avait pas et n’appréciait pas trop qu’on lui en trouve. Un ami avait essayé un jour de l’appeler Goti et il n’avait reçu aucune réponse à part un regard assassin. A croire qu’il y a des prénoms à surnom comme Jasper et d’autres non, comme Margot.
« Les deux me vont, annonça-t-elle avant de pouffer un rire. Non en vrai, j’étudie la médecine. Suffisamment avancée pour aider quelqu’un dans la rue mais pas assez pour ne pas lui conseiller une radio inutile. » Elle avait plein d’auto-dérision, ça lui permettait de prendre du recul et ça la motivait en réalité. Elle finit par le laisser passer avant de suivre ses déplacements. Il se débrouillait plutôt bien pour quelqu’un qui venait de se faire tabasser. Margot restait tout de même à ses côtés, au cas où il ait besoin d’aide. « Je peux t’accompagner ? Juste pour être sûre. » Certes ses paroles la rassuraient, mais pas complétement. Et si son état s’aggravait sur la route ? Ça pouvait arriver, même si elle ne le souhaitait pas. « Où est-ce que t’habites ? A moins que tu veuilles aller autre part avant ? » Elle était prête à faire un détour si c’est pour une bonne action. Après tout, c’est ce que sa mère aurait fait à sa place.
(mars 2022 - au coin d'une rue sombre) Si je peux te donner un conseil, essaie d’éviter ces mauvaises fréquentations qui t’ont fait ça la prochaine fois. La douceur, la candeur de ses paroles me font rire. Ce n’est pas un rire moqueur mais bien un rire attendri. Deux mondes se rencontrent. Ils s’entrechoquent même. J’aimerais lui dire combien je voudrais les éviter ces fréquentations mais elles font partie de mon quotidien depuis tellement longtemps qu’il m’est impossible de m’imaginer une vie sans elles. Je vais y veiller., je lui réponds tout en gardant mon sourire. Mon sourire est là pour ne pas lui hurler combien il est fou de penser que je pourrais éviter ces mauvaises fréquentations à l’avenir. Je suis moi-même une mauvaise fréquentation mais il est peut-être trop tôt, trop tard pour le lui dire. A ses yeux, je suis une victime. Un gars paumé qui s’en est pris plein la tronche. Pas besoin d’en ajouter une couche. Ok si tu le dis. Sois prudent quand même. Toujours. que je lui dis en parfait menteur, essayant même de lui adresser un clin d'œil complice mais je me ravise : la douleur est lancinante. La prudence, je ne connais pas. Je n’ai jamais connu. La prudence ne rend pas vivant. La prudence ne crée pas d’anecdotes. La prudence est ennuyeuse. Elle n’est pas une bonne amie. Et pour rendre cette rencontre encore plus surréaliste, nous nous lançons dans des présentations traditionnelles. Margot. Enchantée, Jazz. Sympa comme surnom. Enchantée ? C’était quand la dernière qu’on m’a dit enchantée. Ce mot m’est étranger. Personne n’est jamais enchanté de faire ma connaissance. On me fuit ou on est contraint et forcé de me rencontrer. Personne ne me sourit de la sorte. Personne ne me tend la main de la sorte. Elle est tout sauf une personne normale. Elle me renvoie à une normalité à laquelle je ne pensais plus jamais avoir accès. Tu trouves ? que je demande par instinct, sans réfléchir à cette question. Elle sort sans filtre, naturelle. Et je souris pour cacher ma gêne.
Les deux me vont. Non en vrai, j’étudie la médecine. Je comprends maintenant. Apprentissage pour le serment d’Hypocrate. Aider son prochain et tout le bordel qui va avec. La pauvre. Suffisamment avancée pour aider quelqu’un dans la rue mais pas assez pour ne pas lui conseiller une radio inutile. Son auto-dérision me fait sourire. Un vrai sourire. Pas un sourire préparé, étudié, façonné de toutes pièces. Je peux t’accompagner ? Juste pour être sûre. Je tourne la tête vers elle, l’interrogeant du regard. M’accompagner ? Où est-ce-que tu habites ? A moins que tu veuilles aller autre part avant ? A quelques rues d’ici … que je lui réponds le plus naturellement possible tout en désignant d’un geste du bras la direction dans laquelle se trouvait mon taudis, le minuscule taudis dans lequel je vis et pour lequel je paie un loyer (mais je suis toujours convaincu que le tout est invivable et que le proprio se fait des couilles en or sur mon dos). Je pensais aller m’acheter un truc à manger et rentrer chez moi … Acheter une connerie en chemin, me remplir l’estomac pour éponger l’alcool et dormir, c’était le plan. Je te rends la pareille et t’invite pour … Je glisse la main dans ma poche pour en sortir quelques dollars, pas grand chose mais suffisamment pour peut-être deux thés ou deux cafés et pourquoi pas une connerie d’un food truck. ... j’ai de quoi nous payer une boisson chaude devant le kiosque au coin de la rue. T’es ma sauveuse, Margot. Tu peux pas m’dire non et puis … ça te fera une anecdote pour les potes de médecine. que je lui dis d’une voix amusée tout en me remettant en chemin. Petit pas par petit pas et pas mal de jurons marmonnés entre mes dents.
Et elle est arrivée, feat @Jasper Fowley › Pour le coup, c’était la première fois que Margot rencontrait quelqu’un dans ces circonstances. A vrai dire, tout ça avait commencé comme un début d’épisode de série policière, une agression dans un endroit sombre de la ville, un passant qui appelle les secours et les policiers qui arrivent derrière pour commencer leur enquête. Sauf que la vraie vie n’avait rien à voir avec les séries, heureusement d’ailleurs. Tout y était extrapolé, presque cliché. Là, une situation malheureuse menait à une conversation simple mais honnête, bien loin des fioritures que l’on peut voir à la télé. A vrai dire, ça faisait assez longtemps qu’elle n’avait pas rencontré quelqu’un qui n’était pas un étudiant comme elle, ou alors qui appartenait à l’entourage familial. Un détail important qu’elle soulignait aussi, le garçon était très souriant malgré ses blessures. Margot ne savait pas s’il le faisait pour être bien vu ou s’il était véritablement content d’être en sa compagnie. Être bien vue, c’était un objectif qu’elle se donnait depuis très jeune, objectif qui tournait parfois à l’obsession. Un des ses problèmes qu’elle peine à régler car sûrement lié à la perte de ses parents.
Pour ce qui est du sien, son sourire était plus que sincère. Elle avait l’impression de rattraper son quota de sociabilité – qu’elle avait bafoué toute la soirée pour pouvoir jouer aux jeux d’arcade. « Bah ouais, encore faut-il que tu sois fan de Louis Armstrong, Nina Simone ou Ella Fitzgerald. », dit-elle avant de pouffer encore un rire. « Jazz, le jazz, Louis Armstrong, la musique, tout ça. », ajouta-t-elle pour expliquer sa blague qu’elle trouvait plutôt drôle. Une blague facile, presque enfantine voire complétement nulle, c’était tout elle. Elle revenait doucement sur ses pas pour suivre la direction qu’il désignait. Il ne semblait pas habiter trop loin, elle pourrait peut-être reconnaître la rue grâce à ses amis qui habitaient aux quatre coins de la ville. Alors qu’il lui énonçait son plan, Margot sourit à nouveau. « Un rencard avec le gars que j’ai aidé dans une ruelle en pleine nuit ? Ils vont jamais me croire, c’est sûr. » Pour le coup, si quelqu’un venait à lui raconter ce type d’histoire, elle serait la première à la remettre en cause, surtout après la soirée qu’ils venaient de passer au bar. Mais c’est réellement ce qui s’est passé, du moins ce qui s’apprêter à l’être. « T’es pas obligé, mais vu que tu me laisses pas le choix, ok ! » C’était aussi l’occasion pour elle de boire autre chose que des margaritas et autres cocktails. En pensant à ça, elle se posait une autre question qu’elle aurait sûrement dû poser plus tôt. « Qu’est-ce que tu faisais de ta soirée avant que ça arrive ? » Elle espérait que sa curiosité n’était pas mal placée et elle n’aurait aucun souci à accepter qu’il ne veuille pas répondre. Ils venaient tout juste de se rencontrer, après tout.
(mars 2022 - au coin d'une rue sombre) Bah ouais, encore faut-il que tu sois fan de Louis Armstrong, Nina Simone ou Ella Fitzgerald. Jazz, le jazz, Louis Armstrong, la musique, tout ça. Est-ce que mon surnom avait un lien avec ce genre musical ? Trop noble pour correspondre à mon mode de vie, à ma seule existence. Mais, je ne peux quand même pas lui dire que mon surnom n’est pas aussi pensé et évolué qu’il y paraît. Par politesse, je me joins néanmoins à son rire sans pour autant rebondir. Un rencard avec le gars que j’ai aidé dans une ruelle en pleine nuit ? Ils vont jamais me croire, c’est sûr. Un rencard ? Le fait qu’elle présente les choses de cette manière me poussent à sourire. Je voulais surtout lui rendre la pareille, être serviable, être bien élevé, faire ce qui doit normalement être fait … Un rencard, je n’en avais pas eu depuis des années. Les toxicomanes ont une autre manière de montrer leur intérêt pour le sexe opposé. J’en ai d’autres des techniques et elles me font économiser quoique … en fait non, car il faut souvent partager des lignes de cocaïne pour les mettre dans ses draps, leur faire accepter un trou du cul comme moi dans leurs draps. Faudra pas leur en vouloir, c’est le synopsis d’un téléfilm pourri. que je lui réponds tout en haussant les épaules, amusé. Il y a mieux comme moyen de rencontre mais parfois, il faut savoir accepter son sort et ce que la vie vous propose en chemin. Ce soir, elle me présentait Margot sur un plateau d’argent et je suis loin d’imaginer ce qu’elle m’apportera au final. La salvation. La paix peut-être. T’es pas obligé, mais vu que tu me laisses pas le choix, ok ! Qu’est-ce que tu faisais de ta soirée avant que ça arrive ? Marchant à ses côtés, je tourne la tête vers elle. Curieuse, elle l’est. Il n’y a aucun doute là-dessus. Et sa question me transporte quelques heures plus tôt …
J’étais agenouillé devant la cuvette fermée d’un toilette. Un sachet de cocaïne dans la main, un bout de paille en plastique dans l’autre. Je me préparais une ligne pour pouvoir me détendre, il n’y a que ça pour me détendre. Je m'apprêtais à me chatouiller la narine droite quand la porte s’ouvrit en trombe derrière moi. Ils avaient niqué ma soirée. Ils m’avaient peut-être sauvé d’une overdose. Tout est une question de perspective. Tu veux la version officielle ou celle qui ne va pas te mettre mal à l’aise ? C’est ainsi que je commence mon discours mais sans lui laisser le temps de répondre, je poursuis. J’allais passer une soirée merdique … une soirée au spleen. Putain, il y a mieux pour se vendre … surtout à une étudiante en médecine qui doit certainement avoir tout ce dont elle veut mais j’ai décidé de jouer la carte de l’honnêteté alors on ne va pas mentir sur la marchandise. Le spleen, c’est mon fardeau. Je m’en suis peut-être pris une sacrée ce soir … je vois cette rencontre comme un signe du destin, qui me prévient que tout n’est pas forcément merdique. Hautement philosophique comme pensée, non ? que j’ajoute sur le ton de l’ironie alors que j’essaie de pointer du doigt un food truck posté à quelques pas de là. Un food truck devant lequel se trouvent plusieurs tables hautes. Certains y font la queue pour se prendre un truc à manger sur le pouce, entre deux soirées. D’autres boivent une bière en bouteille ou limonade. Je connais le truck pour son café dégueulasse mais il est pas loin de chez moi et ça me tient éveillé. Va falloir que tu m’éclaires sur le fait que tu n’ais pas hésité une seule seconde … que tu t’es arrêtée … tu as conscience que la majeure partie des gens auraient soit changé de trottoir soit accéléré leur pas ?
Et elle est arrivée, feat @Jasper Fowley › Alors qu’elle regardait les immeubles qu’elle n’avait pas remarqués à l’aller, Margot se demandait s’il faisait bon vivre dans ce quartier. Si tout le monde était d’accord pour dire que Toowong n’était le coin le plus noble de Brisbane, ça ne voulait pas dire qu’on ne pouvait pas y trouver des pépites. Comme l’épave d’un vieux navire, on pouvait y trouver de sacrés trésors. Elle a souvent des préjugés mais pour contrebalancer, elle a toujours la curiosité de savoir s’ils sont vrais ou non. Ainsi, elle n’a une idée fixe sur quelque chose que si elle l’a expérimentée. Pour les lieux, c’était la même chose. Elle qui avait peur d’être complément dépaysée après son déménagement finit maintenant par apprécier visiter la ville côtière. Elle se doutait que cette ville valait le coup, sinon sa famille ne se serait pas installée ici. Les paroles de Jasper finirent par la libérer de ses pensées, souriant de nouveau. « Un téléfilm pourri ? Tu passes un si mauvais moment que ça ? » Affichant une fausse mine choquée, au final elle n’en savait rien. Elle pouvait parfois se montrer envahissante, ce qui en agaçait plus d’un. Elle espérait que ce n’était pas le cas de son interlocuteur.
Margot s’intéressait alors aux occupations de ce dernier avant qu’ils se rencontrent. Forcément, elle pensait à un conflit, peut-être qu’il était au mauvais endroit au mauvais moment. Qui sait, peut-être même qu’il ne faisait que se balader en ville avant de croiser son agresseur. Au final, ce qui s’était passé était à l’image de sa soirée. Et elle ne pouvait s’empêcher d’être désolée pour lui. Mais il faut croire que c’est commun à tout le monde. Des périodes de bien-être puis une succession de catastrophes. Actuellement elle allait plutôt bien même si, comme chaque soir, elle finit par penser à ses parents et ressentir ce même cocktail de colère, tristesse et crainte. « J’espère que ça ira mieux, en tout cas. », souffla-t-elle sincèrement. Il devait sûrement vivre une expérience difficile mais lui avait au moins le courage de le dire, même à elle une inconnue. Margot, elle, préfère tout dissimuler, même à ses oncles. Même après deux ans, elle n’arrive pas à supporter sa propre vulnérabilité, alors la montrer aux autres était complément impensable. « Wow, excuse-nous monsieur le philosophe ! » Pouffant un rire, il n’avait pas tord. En tout cas, elle y croyait au destin, peut-être moins après tout ce qui s’est passé, mais elle y croyait toujours. Sa dernière question la fit réfléchir quelques secondes. « Je t’avoue que je sais pas trop. Je dois avoir une sorte de Spider-Sense. Elle ricana avant de reprendre. Je pense que ça fait partie de moi. Pour ma famille, c’est important d’aider son prochain. Et ils me l’ont transmis il faut croire. » Prononcer ces mots la rendaient un peu amère puisqu’ils faisaient le lien avec ses parents. « Même si je pense que quelqu’un d’autre aurait fini par te remarquer à un moment ou un autre. » Modeste et optimiste, elle y croyait. Et elle pouvait justement remercier le destin pour ça.
(mars 2022 - au coin d'une rue sombre) Je t’avoue que je sais pas trop. Je dois avoir une sorte de Spider-sense. Je pense que ça fait partie de moi. Pour ma famille, c’est important d’aider son prochain. Et ils me l’ont transmis il faut croire. Même si je pense que quelqu’un d’autre aurait fini par te remarquer à un moment ou un autre. Pour sa famille. Boum ! L’argument ultime. La famille, ça construit un être. La famille, ça construit des êtres humains, une personnalité, un avenir, une destinée. La famille de Margot lui a appris à aider son prochain, à être humaine, à être quelqu’un de bien. Ma famille est inexistante. Oh vous pouvez venir pisser dans des violons en me parlant des familles d’accueil mais elles ne te construisent pas les familles d’accueil. Elles essaient de remplir des trous gargantuesques. Elles sont inutiles. Voilà, je vous le dis. Elles m’ont servi à rien ou pire encore elles m’ont fait croire que quelque chose pourrait changer. Le matin, tu espères. Tu espères et aspires avoir une famille et boum ! le soir, la chute vertigineuse. Tu n’es plus rien et tu n’as rien d’autre qu’une nouvelle place en foyer. Quelqu’un d’autre ? Pas sûr et à vrai dire, je suis particulièrement ravi que ce soit toi qui se soit arrêté sur mon chemin… Je prononce cette phrase avec le plus grand sérieux, ancrant mon regard dans le sien. Sans doute suis-je en train d’essayer de la charmer. Possible. Je ne sais pas vraiment comment me conduire convenablement dans ce genre de circonstance. Une véritable pourriture.
Tu veux boire quoi ? , je lui demande en désignant d’un signe de tête le food truck et m’y approchant d’ailleurs. Lenny, le propriétaire âgé de la soixantaine, me reconnaît aussitôt et ne peut s’empêcher de rire en voyant ma tronche. OK, ce sera plus tard la réponse de Margot. T’as encore cherché la merde, gamin ? Va être l’temps d’arrêter de chercher la merde et de vivre une vie reposante … Reposante et ennuyante, ce ne sont pas des mots qui me conviennent, Lenny. Possible mais je pensais que tu étais ravi d’être à l’air libre … faut en prendre soin de sa liberté, Jasper. Je sais, espèce de connard. Pas la peine de me le dire avec cet air de grand génie super sage. Je souris bien que mon sourire est davantage une grimace qu’un sourire. Tu nous la sors d’où cette citation de film, bordel ? Je ris et aussitôt la douleur abdominale me fait fermer ma gueule et je grimace tout en fronçant les sourcils. Putain, je ne peux même plus être un gros con avec cette blessure. Tu f’rais peut-être mieux de pas faire le malin … karma peut être une garce. Je vais te prendre un café … et … la commande de la demoiselle. Je repose mon attention sur Margot et aussitôt Lenny se redresse, posant les poings sur ses hanches pour fixer la demoiselle en question. Il est surpris de me voir avec une fille comme elle. Logique. Pas le genre de personne qui fait partie de mon entourage normalement.
Les commandes reçues par un Lenny sous le choc et silencieux, nous prenons place un peu plus loin du foodtruck sur un de ces bancs plus souvent utilisés par les clients de Lenny que par des passants. Etudiante en médecine, donc ? A part être quelqu'un de bien et sauver ton prochain ... tu dois bien avoir quelques parts d'ombre, non ? Dis-moi oui pour que j'sois rassuré.
Et elle est arrivée, feat @Jasper Fowley › Margot, qui se cachait derrière un humour maladroit et une ironie à sa manière, était plutôt modeste et acceptait les compliments avec recul. Non pas qu’elle dénigrait ses propres comportements, c’est juste qu’elle pouvait paraitre gênée quand on lui faisait remarquer ses bonnes actions. Que ce soit les félicitations de ses parents quand elle ramenait une bonne note de l’école ou alors les remerciements des patients qu’elle avait pu soigner à l’hôpital, c’était la même chose. Elle ne répondait pas, se contentait de sourire, ses joues qui rougissaient. A la remarque de Jasper, elle avait l’impression de vivre un de ces moments. « C’est gentil, merci. », disait-elle timidement. Pour elle, c’était banal, surtout pour des personnes du domaine médical. Et elle ne lui dirait que plus tard mais elle était également heureuse d’être tombée sur lui, par hasard puisque c’était une très belle rencontre jusqu’à présent. « D’ailleurs, tu as des poches de glace chez toi ? Il faudrait sûrement que t’en achètes si t’en as pas. » Il tenait toujours son abdomen et même s’il faisait bonne figure, elle imaginait que ça devait être assez douloureux. Autant qu’il puisse soulager cette mauvaise expérience.
Devant le foodtruck, Margot assista à la conversation amusante entre le gérant de la camionnette et son interlocuteur. Ils avaient l’air de plutôt bien se connaître, si bien qu’il y avait des sous-entendus qu’elle avait du mal à comprendre. A l’air libre ? Liberté ? Karma ? En tout cas, ce Lenny avait une attitude plutôt paternaliste avec Jasper et de son coin, elle trouvait ça touchant. Un sourire amusé, elle pouvait percevoir l’embarras du garçon et participait alors à écourter l’échange. « Un café aussi, s’il vous plait. » Pour le coup, elle n’avait pas pu lire toute la carte, elle était beaucoup trop occupée à suivre la conversation entre les deux hommes. Elle faisait donc confiance au choix de Jasper, surtout que quand on lui propose, elle ne dit jamais non à un café et ce, peu importe le moment de la journée. Quand elle est à ce point fatiguée, même le café ne pourra pas l’empêcher de dormir quand elle fermera les yeux tout à l’heure. Elle suivit Jasper jusqu’au banc où elle s’assit juste à côté de côté de lui. « Ça fait longtemps que vous vous connaissez ? Il a l’air marrant. » A travers cette question, elle pourrait aussi savoir depuis combien de temps il vivait ici à Brisbane à peu près. Peut-être était-il natif d’ici ? Sa question à lui avait eu pour effet de la faire rire, avant de la plonger dans ses pensées. « J’en ai, t’inquiètes. Elle posa les premiers mots avant de reprendre, beaucoup plus sérieuse. Je suis bordélique, je fais des caprices d’enfant, je suis capable de passer des journées entières à jouer aux jeux-vidéos – une no life quoi – et je gère aussi mal mes émotions que mon appartement. Aussi bien les bonnes que les mauvaises. » Margot esquivait le sujet sensible de ses géniteurs, comme à chaque fois. Pour autant, sa réponse restait vraie. Elle finit tout de même par terminer sa tirade avec un ton plus jovial. « Et je coupe les spaghettis avant des les manger. », annonça-t-elle en croisant le regard du garçon. Elle le questionna en retour. « D’après Lenny, tu cherches la merde. Du coup, comment tu fais pour t’occuper quand t’es seul chez toi ? » Un sourire accompagna sa parole, qui sait peut-être qu’il aimait lui aussi les jeux-vidéos.
(mars 2022 - au coin d'une rue sombre) C’est gentil, merci. D’ailleurs, tu as des poches de glace chez toi ? Il faudrait sûrement que t’en achètes si t’en as pas. Je plisse un œil pour essayer de vérifier le sérieux de cette question. Une poche de glace ? Chez moi ? Oh ! Elle est sérieuse, je me ressaisis aussitôt, me rappelant qu’elle ne sait rien du taudis dans lequel je vis. J’hausse les épaules d’un air nonchalant. Pas de poche de glace. Ce que contient le monstre de glace de ma cuisine, ça se boit. Sérieux, ça s’achète ? Je pensais qu’y’avait que la version du sachet de petits pois. Je joue celui qui s’amuse, celui qui est drôle et a toujours la petite référence qui fait sourire. Mais c’est surtout que je ne veux pas qu’elle se mette à se faire du souci pour ma petite personne. Les gens qui s’intéressent à toi, ça finit toujours par poser des problèmes surtout quand le toi c’est une personne dans mon genre. Je calerais sans doute une bouteille de bière bien fraiche contre mon ventre en rentrant ; ce sera du gagnant-gagnant. Aussi bien pour mon esprit que pour mon corps : un esprit sain dans un corps sain.
Posé sur le banc, je m’y adosse tout en essayant de m’étendre un peu plus. J’ai le corps en compote et j’essaie juste d’évaluer silencieusement, inconsciemment l’étendu des dégâts. Sur que je pourrais m’endormir sur ce banc : m’être assis avait été une mauvaise idée. Me lever allait être une torture. Ca fait longtemps que vous vous connaissez ? Il a l’air marrant. Hem ? C’est ce que je suis capable de prononcer pour lui demander de répéter même si j’ai très bien compris ce qu’elle me demande. Lenny. Je le connais depuis que je suis sorti de taule et que je suis de retour dans le quartier. Il est celui qui me voit tituber à pas d’heure, celui qui me gueule dessus quand je pisse pas trop loin de son foodtruck, celui qui me dit de me trouver un boulot, celui qui fait la conversation quand je suis dans un de ces trips où je suis super sociable. C’est le mec qui est témoin de ma déchéance, aux premières loges même. Pas si longtemps que ça mais ouais c’est un gars bien, je crois. Et, en prononçant cette phrase, je relève la tête pour le regarder. Lenny, il a l’air d’être un gars bien mais personne ne sait rien de lui. Peut-être que c’est un sociopathe. Peut-être que c’est un mec pathétique. Peut-être que … on s’en branle en fait, car Lenny, c’est juste le mec qui te file un peu de bouffe ou un café vite fait quand tu rentres de soirée. Lenny, c’est le mec dont la majeure partie des gens ne font pas attention.
J’en ai, t’inquiètes. Elle posa les premiers mots avant de reprendre, beaucoup plus sérieuse. Je suis bordélique, je fais des caprices d’enfant, je suis capable de passer des journées entières à jouer aux jeux-vidéos – une no life quoi – et je gère aussi mal mes émotions que mon appartement. Aussi bien les bonnes que les mauvaises. Son rire a quelque chose de chaud et rassurant même si ses défauts sont … loin d’être les miens. Même dans ses défauts, elle demeure attachante, quelqu’un de bien, quelqu’un de normal. Je lève mon gobelet vers elle en guise de salutation face à ce petit descriptif informatif. Et je coupe les spaghettis avant de les manger. Je laisse échapper un rire, tournant la tête vers elle pour lui dire d’une voix amusée : une vraie bad girl en somme.
D’après Lenny, tu cherches la merde. Du coup, comment tu fais pour t’occuper quand t’es seul chez toi ? Je me pince les lèvres, mimant un instant de réflexion intense. Comme tu vois, quand je suis seul chez moi, c’est pour me remettre des conséquences de mes mésaventures … Je ris avant de poser le gobelet à côté de moi. Le café est infect mais il tient chaud. Pour être honnête, j’évite d’être chez moi. Je préfère de loin squatter ce genre de banc, être dehors que d’être enfermé dans un appartement aussi minuscule qu’une cellule. Je te jure que je peux cuisiner et chier en même temps, tellement c’est petit … Même si sa ma voix est sérieuse, il y a toujours ces moments où un éclat de rire apparaît : mon humour de merde.
Et elle est arrivée, feat @Jasper Fowley › Ce qu’elle appréciait chez son interlocuteur, c’est son humour. Le sien était assez proche de celui de Margot, si bien qu’elle soufflait un rire à chacune de ses blagues. Peut-être que les margaritas qu’elles avaient bu plus tôt ne l’aidaient pas et contribuaient à son penchant euphorique. En tout cas, elle ne faisait même plus attention à l’heure. Jusqu’à ce qu’ils se posent sur ce banc. Elle glissa sa main dans son sac pour appuyer sur le bouton latéral de son téléphone, de quoi afficher l’heure de son écran d’accueil. 1h40. D’habitude à cette heure-ci, elle était soit dans son lit à dormir, soit devant sa télé pour finir une série ou pour jouer à des jeux en ligne. Elle était donc rarement dehors mais après coup, elle ne serait pas contre des balades nocturnes de temps en temps, surtout si c’est pour faire des rencontres comme celle-ci. En sortant sa main de son sac, elle effleura le paquet de mouchoirs qu’elle avait entamé pour aider Jasper un peu plus tôt. Instinctivement, elle se pencha doucement vers lui pour inspecter sa lèvre. « Ça a plus l’air de saigner, tant mieux. » Un sourire se redessina sur son visage après ce diagnostic express, au moins il n’aurait plus à se soucier de ça quand il rentrerait chez lui. « On a une vue pas si mal sur ce banc. » Sa tête retrouva l’alignement de son corps, elle fixa l’horizon où elle put voir une allée balisée de quelques arbres et le ciel étoilé qui les accompagnait depuis maintenant plusieurs minutes. Elle pouffa un rire lorsque Jasper la traita de bad girl. Elle n’en était pas une, du moins elle ne correspondait pas à sa définition. Elle était gentille et sympa, elle évitait les ennuis même si avec son caractère elle n’hésitait pas à lever la voix. Mais pour la blague, elle acceptait de jouer ce rôle. « Ouais vraiment. Tu parlais de mauvaises fréquentations tout à l’heure. Ça se trouve j’en fais partie. » Elle essayait de jouer le mystère mais son sourire amusé finissait par la trahir.
De là où ils étaient assis, ils avaient aussi le foodtruck dans leur champ de vision. Ainsi, ils virent facilement les gestes de Lenny pour leur signaler que leurs cafés étaient prêts. Elle se leva aussitôt, elle avait vraiment besoin de cette caféine pour masquer sa fatigue. « J’y vais ! Tu restes là hein ? » Elle se retourna quelques instants avant d’avancer vers la camionnette. Ça serait mal venu qu’il s’en aille alors qu’elle avait le dos tourné, surtout que c’est lui qui l’avait invité et qui avait payé. Margot attrapa les deux gobelets en remerciant Lenny. Ils étaient bien chauds, de quoi les aider à supporter le froid des rues nocturnes. Elle revint aussitôt vers Jasper avant de lui tendre l’une des deux boissons tout en retrouvant sa place. Retrouvant son sourire, elle tendit son verre pour rapidement trinquer avec lui et posa ses lèvres à l’extrémité du récipient. Elle grimaça, une gorgée d’amertume venait inonder son palais. « Corsé. Pour ne pas dire dégueu. » Un vrai café de grand-père qui, malgré le goût, avait pour effet de réveiller même les plus grands paresseux. Elle procéderait par plus petites gorgées les prochaines fois avant de reprendre. « Oh, j’y ai même pas pensé mais peut-être que tu dois prévenir quelqu’un de ce qui s’est passé ? » Lui non plus ne semblait pas avoir utilisé son téléphone depuis leur rencontre. En espérant qu’elle n’accaparait pas trop son temps.
(mars 2022 - au coin d'une rue sombre) Ça a plus l’air de saigner, tant mieux. Elle s’approche pour inspecter ma lèvre et je me concentre sur les traits de son visage. Elle est sans aucun doute un ange, une illusion. Je dois être trop high pour pouvoir percevoir sa présence comme elle est réellement. Impossible. Je me concentre sur les traits fins de son visage et je me surprends à la trouver douce, sensible, … belle. Comment ? Relevant mon regard de ses lèvres à ses yeux, je lui adresse un sourire rassuré. Tu vois, y’a pas à s’inquiéter., je lui dis d’une voix qui se veut rassurante mais surtout amusée. J’vais juste espérer de pas avoir trop une sale gueule pour pas effrayer ma voisine. Quoique elle commence à être habituée, à me voir endormi devant ma porte trop bourré pour pouvoir glisser la clef dans la serrure. Elle est habituée à m’entendre me battre contre une porte de micro-onde depuis mon appartement. Le meilleur voisin du monde ! On a une vue pas si mal sur ce banc. Je lui adresse un rapide coup d'œil, amusé et intrigué par cette personne sortie de nulle part qui semble pleine de surprises. Ouais vraiment. Tu parlais de mauvaises fréquentations tout à l’heure. Ça se trouve j’en fais partie. Je plisse le nez tout en riant parce qu’elle avait tout de la fille parfaite. Je secoue la tête de droite à gauche, pas vraiment convaincu par cette mauvaise fréquentation. A vrai dire, elle est peut-être la seule personne de mon entourage à être quelqu’un de bien. Effrayant quand on se dit que c’est une parfaite inconnue.
Assis l’un à côté de l’autre sur ce banc, je me rends compte combien cette rencontre, combien tout cela est sordide. Deux inconnus partagent un café immonde : l’un est toxicomane, l’autre est médecin. Tu parles d’une rencontre idéale. J’avale une gorgée de café auquel j’ai fini par m’habituer. Oh, j’y ai même pas pensé mais peut-être que tu dois prévenir quelqu’un de ce qui s’est passé ? Je lève un sourcil. Oooh Margot. Tu as à faire à quelqu’un qui n’a que de mauvaises fréquentations - triste mais personne à qui expliquer ou parler de ma mésaventure. Je lui dis cela sur un ton théâtral, amusé tout en la regardant. Je dis cela avec naturel car ça ne me gêne pas de n’avoir personne. A vrai dire, c’est toujours tout ce que j’ai voulu : ne compter que sur moi-même. Et puis sans savoir pourquoi, je continue : J’suis un junky sorti de taule depuis seize mois, quelque chose du genre, un mec pas forcément fréquentable. Tu dois être la première conversation normale que j’ai depuis ma sortie … et quand je me dis qu’elle est liée au fait que je me suis fait tabasser pour quelques billets … l’ironie du sort. Je sais exactement dans le fond pourquoi je lui dis cela. Je veux prendre mes précautions. La peur de l’autre me contraint à la choquer, à lui dire cette putain de vérité pour qu’elle parte en courant car elle va bien partir en courant. Qui a envie de squatter avec un paumé dans mon genre ? Mon regard se détache du sien et je bois une nouvelle gorgée de café avant de laisser tomber la tete en arrière, fermant les paupières. Je sais que quand je les ouvrirais, elle aura disparu … parce que personne ne veut etre proche d’un type dans mon genre, surtout pas quelqu’un de bien. Et si je me trompais … si elle était ma rédemption ?