-C- a t’amuse un peu d’imaginer une autre vie, étudiante, où Albane assisterait aux mêmes cours que toi. De la voir, de ses traits pincés, juger tes actes immatures. Tu ne doutes pas qu’une relation conflictuelle serait rapidement née entre vous, tout autant que lorsque vous vous étiez rencontrés à l’hôpital. Sauf que tu n’es pas aussi certain que le même dérapage ce serait produit, si l’étincelle d'agacement aurait laissé la place aux braises passionnées qui se sont si vite enflammées. « J’en sais rien. T’aurais pas été mon genre du tout. » Tu ricanes, préférant noyer tes prunelles dans les siennes. Et plus tu t’y perds, plus t’apprécies ce bleu profond. Il pouvait être aussi froid que réconfortant. Et lorsque la sujet dérive lentement, tu crois dénoter une pointe d’inquiétude dans son regard que tu commences à connaître par coeur. « J’avais envie de t’appeler, mais pas pour des raisons de vie ou de mort. » Elle grimace puis soupire, le malaise marquant ses traits. Toi, tu hausses tes épaules, presque avec indifférence. Tu ne lui mens pas. Pour elle, pour ses beaux yeux, tu n’aurais pas répondu. Tu ne l’as d’ailleurs pas fait. Tu es resté muet, froid, transpirant le mépris. Mais t’es pas certain de la façon dont tu aurais réagi si elle était vraiment dans la merde. Tu aimes croire que tu l’aurais aidé malgré tout, parce qu’elle est trop importante à tes yeux. Mais la vérité c’est que ce n’était pas aussi évident. Parfois tes blessures te faisaient agir comme le pire des connards. Et dans le meilleur des cas tu regrettais amèrement. « C’est basique. Un coup de téléphone, un lieu de rendez-vous, tu te pointes, tu soignes, tu prends l’enveloppe, et tu disparais. » Elle joue avec ses doigts, témoignant son stress de manière indirect. Tu sais qu’elle n’aime pas aborder ce sujet, encore moins te faire cette proposition. Il n’y avait rien de plus évident, ce soir, que de deviner à quel point continuer son discours était un dilemme pour elle. « Quand il s’agit de règlements de comptes, de combats qui ont mal tourné ou d’affaires de gangs, transporter ces types à l’hôpital risquerait de trop attirer l’attention. Donc la Ruche préfère régler ça dans un sous-sol, loin des regards indiscrets. La seule règle, c’est la discrétion. Tu ne poses pas de questions, tu ne fouines pas, et si on te demande, tu ne sais rien. » C’était une proposition sérieuse, qui te fait douter. T’as les sourcils froncés par le doute et peut être par une certaine surprise de la voir céder à ce que tu avais déjà abordé il y a plusieurs mois. Elle avait pourtant été catégorique dans son refus, et tu n’avais jamais insisté. Et puis finalement, elle te pose ça là, sur un plateau d’argent? Pour quoi? Plonger avec elle? Tu n’y songes pas vraiment à cette hypothèse. Tu te laisses doucement convaincre par l’appât du gain facile, comme à chaque fois. Le gain d’argent, ça t’attire presque autant que le jeu. T’as trop besoin de toucher la surface, t’en étais si proche. « Comme si j’avais tendance à fouiner. Ou ne pas être discret. » Que tu lâches avec ironie. La discrétion n’était pas toujours ton fort. Sauf quand il s’agissait de garder sous silence certains sujets que te concernaient. Tu parvenais tant bien que mal à contenir le secret, évitant les question délicates. « Je me porterai garante. Et tu peux arrêter quand tu veux. » Tu lui adresses doucement un sourire. Ne pas te précipiter est difficile. Ca a l’air si avantageux comme proposition. A première vu elle ne présentait aucun désavantage, aucune fausse note. C’était presque trop beau pour être vrai. « Ouais... Je te tiens au courant. » Que tu commences par tempérer. T’es aussi tenté que frileux à l’idée de te rapprocher de nouveau d’un gang. Et pourtant. « C’est que c’est difficile de dire non. » Que tu ricanes, moqueur, traduisant cette proposition alléchante. T’as du mal à refuser cette bouée qu’elle te lançait. « Mais appelle moi, quand y’aura besoin. » C’est presque un oui. Tu lui adresses un nouveau sourire, et le sujet est évincé aussi rapidement qu’il a été abordé. Vous faites comme à votre habitude, comme si cette partie de votre vie n’existait pas. Comme si tout allait bien. Comme si la seule chose qui comptait ce soir, c’était de reprendre contact, petit à petit.