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Raelyn Blackwell & @Amos Taylor

« Rappelle moi, sur une échelle de un à dix, elle était agacée comment quand tu l’as rappelée pour reporter ? » Je le sais pertinemment. Si je pose la question avec un air innocent et angélique sur le visage alors que nous nous engageons dans l’allée qui mène à la ferme Taylor, c’est pour m’amuser une dernière fois aux dépens de la mère d’Amos avant que la voiture ne se gare devant l’imposante et austère bâtisse. Bien sûr, c’est innocent puisque, contrairement à ma belle-mère, je suis assez consciente de l’importance de l’autre pour mon compagnon pour l’insulter ouvertement. En rêves et fantasmes, je repense à ses regards méprisants et je l’insulte copieusement mais je suis une adulte, une qui sait - généralement - se tenir. J’ai appris à rester maîtresse de mes nerfs face à des gens dangereux et puissants, si bien que ce n’est pas la matriarche du clan Taylor qui parviendra à me faire perdre le contrôle. Du moins, tant qu’Amos est là pour que mes yeux verts ou noisette - selon l’interlocuteur - rencontrent l’immensité de ses azurs à chaque fois que je ressens le besoin de relâcher la pression. Aujourd’hui, dans sa cheville blanche et son pantalon en lin couleur crème qu’il portait au mariage, il est encore plus beau qu’il ne l’est habituellement.

Avant de descendre de la voiture, je glisse ma main dans sa nuque pour l’empêcher de se jeter dans la gueule du loup sans m’avoir accordé un dernier baiser passionné, un de ceux trop enflammés pour être partagés en public. C’est le moment que choisit Micah pour éclater de rire dans son siège automobile à l’arrière, et je me retourne vers ma fille à laquelle j’adresse un sourire amusé. « Combien d’invités ? » Nous avons limité Margaret à la famille, mais j’ignore quelle en est sa définition. Amos possède-t-il des oncles, tantes, et cousins au trois et quatrième degré dont j’ignore l’existence. Je connais déjà plutôt mal sa famille rapprochée. Quel regard me jetteront donc ceux que je n’ai jamais rencontrés, mais que la matriarche aura déjà à coup sûr ralliés à sa cause ?

Je n’ai même pas le temps de finir de détacher Micah que j’entends déjà la voix de la principale intéressée. Elle crie ”ils sont là” et j’entends la porte d’entrée de la ferme s’ouvrir alors que je suis encore à moitié penchée dans la voiture en train de détacher tous les mécanismes qui retiennent mon bébé. « Souhaite du courage à ta maman. » Je lui glisse la phrase à l’oreille en chuchotant et bien qu’elle ne comprenne pas, elle rit à nouveau. Elle est de bonne composition et c’est contagieux, ou en tout cas assez pour que j’inspire à pleins poumons et accroche un sourire à mes lèvres. J’attrape ma fille dans mes bras, avant de me redresser, une main sur la tête de mon poupon, et de saluer Maggie Taylor. « Oh, Micah est là ! » Amusée, je me demande si elle en doutait. Amos l’a menacée de garder notre enfant loin de sa fête si nous la soupçonnions capable de prévoir la moindre désagréable surprise. Puisqu’elle a l’air aussi surprise qu’enchantée, je me fais au moins la réflexion que la menace a été efficace : elle s’est certainement tenue à carreaux. Elle offre une accolade à Amos, et j’ai même le droit à un bonjour Raelyn qui a le mérite d’exister. Bien sûr, elle n’a d’yeux que pour la petite tête blonde dans mes bras, qui cache son visage en souriant, espiègle et joueuse. « Comme elle a grandi. » Elle s’extasie et je ne peux m’empêcher de ressentir une bouffée d'orgueil, certainement propre aux jeunes et fières mamans. « Tout le monde est arrivé ? » Je m’adresse à elle avec politesse et retenue, avide de lui prouver -même si ce n’est pas entièrement vrai - que je suis l’opposée de la femme débauchée qu’elle n’a eu cesse de dépeindre dès qu’elle a posé les yeux sur moi et mon apparence physique hors norme, hors des siennes, en tout cas.

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« C’est de ta faute, tu comprends ? C’est ton idée, mais tu ne sais pas l’assumer. » Mon visage se pare de mon plus bel air offusqué, comme si je croyais une seule seconde à cette fausse accusation. « Je tombe de haut. J’ai pourtant proposé de l’appeler. » J’éclate de rire avec qu’il ne se méprenne pas : j’entre dans son jeu, je n’ai pas envisagé une seule seconde de prendre “l’accusation” au sérieux et de me vexer. J’ai assez confiance en la synergie de nos besoins pour savoir que je n’ai rien imposé à Amos, bien au contraire. Il veut satisfaire tout le monde et en toute heure. S’il n’a pas demandé à sa mère de décaler sa petite fête lors de son premier appel, c’est parce qu’il avait peur de la froisser de de chambouler une organisation colossale. Sauf qu’il n’a pas eu besoin de grand chose pour se souvenir que nous n’avions rien demandé et que, par conséquent, il était normal que nous ne soyions pas disposés à reporter nos propres plans pour une fête - ou plutôt un piège - surprise. « J’ai remis ma robe. Tu crois que je vais gagner des points. » Elle est sage, mais ne conviendra certainement pas à Margaret : je ne me fais pas d’illusion et ce n’est qu’une plaisanterie de plus. Je n’ai pas à cœur de lui plaire. Je n’exige même pas d’elle de la reconnaissance puisqu’à mes côtés Amos se reconstruit. Je ne lui demande que le respect que je mérite. « Comme quoi, j’ai bien fait d’appeler moi, j’ai fait d’elle le double d’une menteuse. Et je n’en ai aucune idée, mais quand je vois toutes les voitures, je t’avoue que je suis inquiet. » Amos n’aime pas les bains de foule et s’ils ne me rendent pas mal à l’aise, je sens que je ne vais pas apprécier celui-là. Je n’y peux rien si le genre de réjouissance qui remplit le cœur de quidams de joie m’ennuie profondément. J’ai toujours vécu une vie de… marginale, sans que cela n’ait la moindre connotation négative à mon sens.

Mon baiser a surtout vocation à rappeler à Amos que nous sommes là pour nous célébrer nous, notre passion et notre amour, mais il semblerait qu’il amuse beaucoup le petit être qui en est né et qui est encore attaché à l’arrière de la voiture. Moi, la trouve adorable ma fille, avec ses cheveux blonds et ses quelques quenottes qui ont poussé. Bien sûr, elle ne parle pas encore, mais depuis quelques semaines elle devient de plus en plus expressive et je le découvre avec un bonheur que je ne dissimule pas à Amos : ma froideur et ma pudeur sont réservées au reste du monde. « On dirait bien que tu es contente d’être là, toi. Il y en aura au moins de nous trois comme ça. Allez, c’est parti. » Il m’ôte les mots de la bouche. Je le suis à l’extérieur de l’habitacle et, pour gagner quelques secondes de répit alors que j’entends déjà sa mère dans mon dos, j’entreprends de détacher mon bébé et de la sortir de la voiture. « Ton père a fait installer une tonnelle. Tu vas voir, c’est magnifique. J’ai tout décoré avec la paroisse. » Magnifique. Je me dit que l’ironie serait trop palpable dans mon ton si je faisais le moindre commentaire, alors je me contente d’un mince sourire diplomatique. Amos, il remet les pendules à l’heure avec sa mère. Elle, elle agit comme une adolescente prise en faute qui n’a rien à se reprocher et dès qu’elle nous tourne le dos, je lève les yeux au ciel. Je laisse Amos attraper Micah et lorsqu’il passe un bras autour de mes épaules, je dépose un baiser sur sa joue. « Prenons pas trop nos aises, je suis pas sûre qu’on va rester pour le gâteau. Elle a pas fait autant de chichis pour mes quarante-ans. Rappelle-moi de ne pas partir sans l’avertir qu’on n’a pas besoin qu’elle fasse une fête pour les un an de Micah. » - « On aura qu’à partir à l’étranger. A l’autre bout du monde et, avec un peu de chance, elle ne viendra pas nous chercher là bas. » Nous ne lui dévoilerons pas notre destination, pour mettre toutes les chances de notre côté. Je déplore qu’il faille poser des limites à ma belle-mère. A choisir, j’aurais préféré qu’elle-même nous pose la question avant chaque initiative puisque, sans ça, nous rendre à Kilcoy a tout d’une balade en terrain miné. Moi, je me moque de passer du temps ici. Mais je sais que pour Amos c’est important, et qu’il veut que Micah connaisse ses racines. Avant d’entrer dans la maison et de suivre sa mère, je m’arrête pour plonger mon regard dans celui de mon complice. « Si elle est là, on fait demi-tour et on repart. » Il sait de qui il est question. Inviter l’ex-femme de son fils serait l’insulte suprême à notre mariage. Margaret sait-elle que Sarah a trompé Amos ? Lui apprendre m’offrirait-il l’assurance de la voir tomber en disgrâce ?

Heureusement, lorsque nous entrons sous la tonnelle, j’aperçois beaucoup de têtes qui me sont inconnues mais pas de trace de la rousse. Qu’elle se morfonde chez elle : je m’en moque pas mal. Au contraire, je jubile à l’idée qu’elle ait forcément été mise au courant que notre union serait célébrée à la ferme. Aux côtés d’Amos, je reste silencieuse. Ces gens sont ces proches, je lui laisse le soin de prendre la parole et, s’il le souhaite, de faire les présentations.  

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« Tu aurais pu si elle n’avait pas été aussi osée… » Sa main glisse sous ma robe et sur ma cuisse, et je lui glisse un regard plein de sous-entendus. « Ne dit pas de bêtise. Je pourrais aller à l’église avec. » Peut-être pas. Le tissu ne dévoile aucun bout de peau qui ne devrait pas l’être, mais la soie épouse mes formes pour laisser peu de place à l’imagination. « Regarde, elle m’arrive presque aux chevilles. » Pour peu, je lui tirerais la langue pour crédibiliser mes propos. Margaret pensera peut-être que j’ai l’air d’avoir enfilé une nuisette, mais je doute qu’elle ose le dire à l’oral. « Tu es radieuse, d’ailleurs. » - « Dis moi quelque chose que je ne sais pas si tu veux me mettre dans son lit. » Mon sourire amusé ne s’efface même pas lorsque je dépose mes lèvres sur les siennes pour échanger un baiser langoureux.

Face à Margaret Taylor, je suis prise d’un doute affreux. Elle fait allusion à sa paroisse et, plutôt que de craindre qu’elle ait donné le moindre trait religieux à la fête - je réagirai à cette peur là dans un second temps - je crains que Sarah n’ait été conviée pour me narguer pour me faire une nouvelle fois passer le même message : tu n’es qu’une remplaçante, elle retrouvera tôt ou tard sa place. A ce stade, il a des allures de rengaine mais mon complice me rassure en raffermissant sa prise autour de mes épaules. « Non. Elle ne l’aurait pas fait. Peut-être plus pour elle que pour toi. » - « Rappelle-moi pourquoi on a pas pensé à lui envoyer un faire-part ? » Hors de question d’envisager une invitation mais, la concernant, je suis assez puérile pour m’amuser en imaginant le visage défait de Sarah quand elle aurait ouvert l’enveloppe pour découvrir une photo d’Amos et moi en tenue de mariage, notre bébé dans les bras de son père.

En découvrant l’assemblée qui nous attend, je me fais la réflexion que j’ignorais que la famille de mon époux était aussi étendue. Je suis présenté à plus de personnes que je ne suis capable de retenir de prénom, et les liens de parenté entre les un et les autres ne s’impriment pas passé le premier degré. Tante, oncle, cousins ou autres passent encore, mais dès qu’il me faut dessiner son arbre généalogique dans mon esprit, je perds le fil. Heureusement pour moi, la présence de Micah dans les bras d’Amos accapare à elle seule presque toute l’attention. Pour l’instant, elle ne chouine pas à cause d’un trop plein d’attention posée sur elle. Guillerette, elle sourit et s’amuse dans les bras de mon complice. « Tu as vu mon père ? Je le bénirais s’il avait organisé une contre-soirée quelque part sur le domaine. » - « Non pas encore je… » Je suis interrompue par un appel, et j’aperçois Bill Taylor qui nous fait signe d’approcher. D’un signe du menton, je le désigne à Amos et alors que nous nous approchons de lui, je le gratifie d’un sourire bien plus chaleureux et sincère que celui auquel a eu droit son épouse. « Je veux être tranquille avec ma petite chérie. » Je n’ai pas besoin de dire à Amos que le patriarche peut prendre Micah : je me suis faite à l’idée que même sa mère la tienne contre elle, tant qu’elle n’est pas trop loin de moi ou d’Amos. « Je me sens presque coupable de l’utiliser comme un bouclier, mais quelle merveilleuse diversion elle fait. » La petite demoiselle tend ses bras de bébé vers son grand-père qui l’observe avec un sourire radieux. « Alors, dites nous tout : est-ce qu’elle a trouvé une façon de détourner les règles du jeu ? » C’est de son épouse qu’il est question, évidemment.

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« Pas de besoin d’être original. Femme qui rit à moitié dans ton lit… » - « A moitié seulement ? » Mon léger rire - l’idée que Sarah reçoive une photo de ma famille kitch à souhait l’a provoqué - se transforme en un sourire espiègle et entendu. Si je ne fais que lui glisser ma réponse à l’oreille, c’est parce que sa mère apparaît déjà sur le perron et se jette sur nous comme un vautour affamé. Nous sommes les invités d’honneur de la fête qu’elle a organisée et, malgré nos protestations, je la soupçonne d’avoir passé le mot à chaque branche éloignée de son arbre généalogique. A mon sens, c’est sa réussite qu’elle veut afficher au travers de notre union et, surtout de notre bébé. Micah est certainement à ses yeux le clou du spectacle. Des petits enfants, elle en voulait certainement des tas et force est de constater que même si elle avait mis toutes les chances de son côté en donnant naissance à quatre fils, aucun n’a réellement fait beaucoup d’effort pour combler la matriarche. Nul doute qu’elle doit tanner ses enfants depuis des années afin qu’ils se posent et lui donne la descendance dont elle rêve. C’est certainement parce que ma fille fait office d’exception qu’elle me tolère désormais et qu’elle m’accueille désormais avec politesse. Oh, je ne suis pas dupe : je reste certainement la coupable toute désignée à chacun de ses maux.

Fort heureusement, mon bébé est de bonne composition. A ne semble pas avoir hérité du côté ours mal léché de son père : être au centre de l’attention la ravit. Elle le supportera certainement un temps avant que la fatigue ne la rende grincheuse mais, pour l’instant, chaque personne qui croise sa route s’extasie devant elle. Elle est qualifiée d’adorable, éveillée et sociable. Mon cœur de maman se gorge de fierté à chaque fois que l’un des convives tombe sous son charme et, de toute évidence, il en est de même pour Amos. « Aussi charmeuse que sa mère. » - « C’est presque injuste. Regarde moi cette bouille, elle n’a aucun effort à faire. » Ses boucles blondes, son sourire éclatant et ses grands yeux bleus font tout le travail.

« Tu vois qu’on peut être vieux et avoir du goût. » Une vieille tante m’accapare pour vanter mes qualités et, mutin, Amos glisse ces mots à mon oreille. Je ne précise bien sûr pas à l’inconnue que je trouve son tailleur horrible, je prends ce qu’il y a à prendre. « J’ai du mal à croire que ce soit une parente de ta mère. » Au fil des présentations et des rencontres, Amos me divertit de phrases tantôt mutines tantôt amusantes glissées à mon oreille. Imperturbable, je ne rougis pas et rentre dans son jeu à l’aide de provocations ou de traits d’esprit.

Grâce à notre complicité, l’exercice n’est pas si désagréable que je l’aurais pensé, mais je suis toutefois soulagée lorsque que Bill Taylor nous soustrait à la foule. « Je l’ai calmée. Vous pouvez mettre votre coeur à l’aise. » A mon sens, le nombre de convive sort déjà du cadre que nous avions imposé mais, si le père d’Amos estime avoir tempérer les ardeurs de sa femme, je n’ose imaginer ce qu’elle envisageais à l’origine. « Depuis quand est-ce qu’elle prépare ça ? » Je suis persuadée que la matriarche élabore son plan depuis des semaines voire des mois. « Beaucoup trop longtemps. » Certainement trop pour sa santé mentale. Margaret Taylor a des défauts, mais pas celui de baisser les bras trop facilement. « Vous devriez aller lui montrer les chevaux quand ce sera trop pour vous… » Bill me tend à nouveau mon bébé que je récupère entre mes bras. Les premiers signes de fatigue apparaissent puisqu’elle pose sa joue contre ma peau et cache son petit visage dans mon cou. « Elle ne va pas tarder à devenir grognon. » Je murmure mon observation à destination de mon complice. Je commence à bien savoir lire les comportement de mon bébé, ainsi que sa gestuelle et communication non verbale.

« Pourquoi ça pue l’ouverture de bal ? Trente minutes, c’est ça ? Au moins jusqu’au gâteau, mais on est d’accord que Micah sera fatiguée si on est invités à nous donner en spectacle. Pas vrai ? » Les regards se braquent vers nous et si je n’ai rien contre l’idée de danser lentement avec Amos, ses mains au creu de mes reins et ma joue contre son torse, j’aime encore moins l’idée de lâcher Micah que celle d’être épiée et analysée par tout le clan Taylor étendu. « Tu me demandes réellement si je compte exploiter notre fille pour fuir ta famille ? » Je feins mon plus bel air scandalisé avant d’esquisser un sourire et de me pencher vers lui pour murmurer à son oreille. « Évidemment que oui. » Je jette un coup d'œil à mon bébé, puis à Margaret Taylor dont les yeux sont remplis d’espoir. « Je vais la donner à ta mère. Le temps d’une danse. » Nous serons à côté et, pour l’instant, je doute qu’elle aspire à autre chose que la tenir contre elle. Alors je prends sur moi. Je fais un pas en direction de la matriarche et je lui tends Micah qui semble commencer à s’assoupir. Ma possessivité s’insurge, mais je la musèle pour revenir vers Amos et glisser une main dans son dos. « Aller, fais moi danser. »

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Il n’y a pas qu’une moitié de ma personne qui lui est à sa cause toute acquise, et je le lui glisse à l’oreille alors que nous sommes rejoints par une Margaret aussi enjouée que… Quel est cet air sur son visage ? De la crainte, celle des enfants qui sont conscients d’avoir fait une bêtise ? Son arrivée m’empêche en tout cas d’être plus explicite, de glisser à son oreille toutes les choses que j’ai envie de faire avec lui lorsque nous ne serons plus que tous les deux, loin de ces foules qui horrifient mon complice. Je suis forcée de me contenter d’un sourire espiègle et d’un baiser à la commissure de ses lèvres juste avant d’affronter cette horde d’inconnus déjà tous prêts à me dévorer.

Je suis plus sociale qu’Amos, c’est un fait. Mes sourires et mes boniments sont toutefois superficiels tandis que mon compagnon, lui, distribue peu mais le fait avec intégrité. Nous nous complétons plus que bien - parfaitement, si j’ose dire et, ce soir, nous aurons tous les deux besoin et envie de silence, de profiter simplement des bras de l’autre, de laisser la tendresse de notre bulle nous emporter pour un corps à corps salutaire, après une après-midi entière à nous être fait violence.

C’est sans conteste ce que je fais, lorsque je confie mon bébé à sa grand-mère. Je ne le fais pas pour obtenir son approbation : je sais que je serai éternellement la coupable de tous ses maux. Je me moque d’avoir grâce à ses yeux autant que je sais la chose impossible. Ce petit geste en apparence, mais qui n’a rien d’un détail, il est pour Amos, et uniquement pour Amos. Je me dis aussi qu’à laisser ma belle-mère passer du temps avec mon bébé, je préfère que ce soit sous notre étroite surveillance et je profite de l’occasion pour me plier à son jeu : je glisse une main dans le dos d’Amos pour l’entraîner à danser. Il sera certainement horrifié. Il déteste se donner en spectacle et ne m’est jamais apparu comme un amoureux du rythme et de la musique. « Ce que femme veut, homme peut. » A ma surprise, il semble presque détendu. Est-ce la joie que lui procure mon geste, ou bien se sent-il libéré du regard des quidams lorsqu’il me tient dans ses bras. « C’est toi qui a choisi ? » La musique commence et les enceinte crachent un slow qui m’est inconnu, certainement sorti avant ma naissance. « A ton avis ? » Je ne suis pas une grand mélomane. Mais lorsque je mets de la musique sur les enceintes du loft, elle ne ressemble pas à ça. « Non. » Je ris, avant de poser doucement ma joue contre son torse. « Ta mère aurait eu l’impression qu’on participe à son cirque. » Je ne relève la tête que pour lui adresser un sourire complice.

« Tu me diras pourquoi ? » - « Parce que j’avais envie de danser avec toi ? » Moins de danser que d’être contre lui. Mais je sais que ce n’était pas la question, je le houspille mais ne repousse ma réponse que de quelques secondes, alors que j’enroule mes bras autour de sa taille et que je les noue dans son dos. « Après que je t’ai dit merci…. D’ailleurs, Merci ! » C’est elle qui devrait m’être reconnaissante, pas lui. Elle, elle estimera certainement qu’il m’a forcé la main, tout plutôt que de reconnaître chez moi la moindre qualité. « Parce que tu en avais besoin. » J’ai vu un filet de tristesse passer devant son regard lorsqu’il a observé le ranch, les alentours, en se disant que sa fille ne connaîtrait pas les mêmes moments ici que lui. Bien sûr, cela ne change rien à ce que j’ai dit : je ne fais pas confiance à sa mère. « Et parce que tant qu’on peut la garder à l'œil, le risque est moindre. Refuser, ce serait de la pure fierté. » Et je suis fière, on ne me l’enlèvera jamais. Sauf que pour lui, je sais lorsqu’il est nécessaire de distinguer l’orgueil de la vraie blessure ou du risque pour notre bébé. « Mais tu n’as pas besoin de me remercier. » Ici, cela ne représente rien pour moi. Mais si c’est à l’origine d’une blessure chez lui, j’aurais préféré que les choses soient différentes. « Tu sais qu’elle m’a glissé qu’elle nous avait déjà préparé ta chambre ? » Elle espère certainement que nous ne rentrerons pas à Brisbane ce soir, pour avoir le plaisir de passer du temps avec Micah demain.

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« Moi, tant que je peux te serrer dans mes bras, je me fiche bien de qui nous regarde. » - « Mais tu es tout de même ravi qu’ils nous aient rejoints, non ? » Je désigne du menton le couple de danseurs qui s’aventure sur la piste, certainement autant par plaisir que parce qu’ils connaissent Amos et son désamour des foules. L’assemblée est constituée des siens, et je suppose que la plupart le connaissent au moins un minimum et, sur ce point là, il n’est ni secret ni discret. Je l’ai pour ma part remarqué au premier coup d'œil : dans une pièce trop remplie, il longeait les murs. Amusée, j’esquisse un sourire tandis qu’il m’éclaire sur l’identiré de ses sauveurs. « Ce sont des cousins. Les enfants de la sœur de ma mère, la dame qui t’a dit que tu étais ravissante. » Un signe du menton lui indique que je n’ai pas oublié la tante en question puisque peu ont affirmé aussi ouvertement qu’ils me trouvaient des qualités de ce genre. Certains ont peut-être trop peur de s’attirer les foudres de Margaret Taylor, mais je suppose que la plupart sont simplement à son image : conservateurs jusqu’à la moelle. « J’aurais pu deviner. Vous avez un air de famille. » Des cheveux châtains clairs et des yeux d’un bleu à couper le souffle. A être entourée d’autant de représentants de la famille de mon compagnon, je peux presque avoir une idée de ce à quoi ma fille ressemblera un jour.

« Lui, il a une petite fille. On s’est dit qu’on emmènerait bien les petites en mer un de ces quatre. Elle, elle était très amie avec Sofia. » Je traite les informations dans l’ordre qui me semble le plus adéquat. L’idée que Micah fasse du bâteau n’a rien d’exceptionnel - elle a déjà dormi à l’intérieur de la cabine sans paraître perturbée et puisqu’elle est la fille de son père, elle adorera naviguer, j’en suis certaine - c’est, au contraire, qu’il parle de Sofia qui l’est. S’il sait que le sujet de sa fille aînée n’est pas un tabou, il reste pudique quant à ce qui la concerne. « Elles étaient sur Brisbane ensemble et la relation est un peu compliquée » - « Entre elle et toi ? » Je suppose, du bout des lèvres. « Parce qu’elle te la rappelle, ou c’est plus profond que ça ? » Il pourrait voir sa fille dans les traits de sa jeune cousine, mais j’ai le sentiment qu’il y a plus.

« Et, c’est vrai, j’en avais besoin. Tu sais, j’adore le loft. Je ne me verrais pas rentrer à la campagne. Mais, ici, c’est le grand air. Il y a un vrai espace où la petite pourra s’épanouir et ça ne pourra lui faire que le plus grand bien. » - « Il n’a jamais été question de t’empêcher de venir ici avec elle, tu sais. » Ce qui me rebute pour l’instant, c’est l’idée de laisser sa mère avec notre bébé sans pouvoir surveiller ce qu’elle lui raconte ou tente de lui enfoncer dans le crâne. Sans doute voudrait-il que nous partagions des moments à trois à la ferme, mais il se doute certainement qu’ici, je ne me sens pas forcément la bienvenue, encore moins chez moi.  Comment le pourrais-je, après un tel rejet de tout ce que je suis et représente de la part de la maîtresse de maison ? « Je sais que ça compte pour toi, ici, cet endroit. » Et j’aspire à ce qu’il partage avec Micah tout ce qui compte à ses yeux. « Et je pense qu’elle en a envie, oui. Mais, je ne t’imposerai rien. Je ne l’ai pas prévu. » - « Je n’aime pas qu’elle suppose sans demander. » Et à choisir, je préfèrerais dormir dans mon lit que dans une maison où des photos de Sarah doivent remplir les tiroirs. « Mais, elle réitérera sa proposition, si pas aujourd’hui, demain. Et, tu l’as dit toi-même. Tant que la petite est sous notre surveillance. » Je sais ce que j’ai dit et je le pense toujours, je préfère que nous gardions toutefois le contrôle, lui et moi. C’est autant une question de besoin - j’apprends à être mère, sa maman - que du message que je veux enfoncer dans le crâne de ma belle-mère. « Mais, je ne l’ai pas prévu. » Je hoche la tête doucement. A priori, Amos n’est pas un adepte du changement. Ses élans d’impulsivité me sont réservés, ils sont réservés à ces jours où nous partons au large sur ou coup de tête ou bien sur les routes en moto pour plusieurs heures parce que nous en avons besoin. « Une autre fois alors, ça te va ? Une fois où on l’aura décidé. » Sans considérer l’assemblée qui nous entoure, je dépose un baiser un tantinet moins sage que ce que voudraient les conventions sur ses lèvres. « Ça te va ? » Je n’avais aucunement peur qu’il se range du côté de sa mère, mais je suis soulagée de nous savoir sur la même longueur d’onde. « On peut encore se servir de Micah de façon éhontée. Dire qu’elle ne dort bien que dans son lit. » J’esquisse un sourire amusé tandis que la chanson se termine. « Je vais chercher ce qu’on a amené pour son repas, je reviens. » Je dépose à nouveau un baiser sur ses lèvres, avant de me détacher de lui et de me diriger vers la voiture. Tout ce que j’espère, c’est qu’à mon retour, personne ne portera de toast ou ne nous demandera de discours. Dieu que cela m'horripilerait.

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« Même si je ne lui ai pas vraiment dit. » J’esquisse un sourire compréhensif. Si je ne réponds pas ”tu devrais”, c’est parce que d’une part, Amos gère ses relations avec les différents membres de sa famille comme bon lui semble et d’autre part, parce que s’il s’ouvre à moi, c’est parce qu’il a déjà en tête de lui parler. Mon amant ne partage que peu ses doutes : il le est plus enclin à le faire lorsqu’il s’agit de certitudes, et ce soir, je sens qu’il me partage sa conclusion, certainement après des années de relations tendues avec sa cousine et amie de Sofia. Alors, je me contente de lui sourire et de caresser ses cheveux à l’arrière de sa nuque.

« Je sais. Mais, je n’ai pas envie de venir ici avec elle si tu n’es pas avec moi. Je crois que c’est pour ça que je regrette qu’elle n’y mette pas du sien pour te respecter. Notre fille n’ira pas là où tu n’es pas à l’aise. » Je suis touchée et incapable de le masquer. Ces moments où Amos prend ma défense envers et contre tous, je les adore. Il ne le fait pas avec la suffisance des hommes qui pensent être seuls capables de prendre soin des femmes. Il le fait comme s'il protégeait son trésor le plus précieux, et je ressens à chaque fois une bouffée d'orgueil. « Je ne t’en voudrais pas si tu venais ici avec elle. » Cela ne me plairait pas, mais je suis consciente que cela serait du domaine de l’irrationnel. « Pour de vrai. » J’esquisse un sourire, avant de déposer un baiser contre ses lèvres. « Donc, oui, ce sera une autre fois, quand on l’aura décidé, sauf si on achète un petit endroit à nous dans le coin. Un peu à l’écart de Kilcoy. » Je plisse les lèvres, réfléchissant à cette proposition que je sens aussi sincère qu’innatendue. Nous possédons assez d’argent pour assouvir la moindre de nos lubies et je n’ai pas l’ambition de contrôler les dépenses d’Amos. Qu’il s’achète un autre bâteau, un chalet à la montage ou une voiture dernier cri. La seule chose qui m’interpelle, c’est la volonté d’acheter non pas loin de la ville, mais près de l’endroit où il a construit sa première famille, près de là où il vivait avec son ex-femme. « Près de Kilcoy ? » Je fais la moue, mais ne me braque pas. « Pourquoi pas loin de tout… » Comme l’est sa ville natale. « Mais un peu plus loin ? » Si je tâte le terrain avec douceur, c’est parce que mon instinct me souffle que je n’aimerais pas l’idée d’être aussi proche de l’endroit où il a vécu sa première vie. Je ne veux pas, lorsque je vais au restaurant, me promener en ville ou en forêt, me demander s’il pense à Sarah, Sofia, et aux moments qu’ils passaient ensemble. « Pourquoi pas un peu plus près de l’océan ? » Je referme mes bras autour de sa nuque, avant de conclure, pensive. « Kilcoy, c’est là où tu as vécu avec elle. » Et je veux que tout ce qui nous concerne n'appartienne qu’à nous. Le comprendra-t-il ?

« Et on peut aussi lui dire la vérité. Je peux la lui dire. Il faut qu’elle comprenne. Que tu lui as fait un cadeau en lui confiant la petite. » Cette fois, j’esquisse un sourire satisfait. « Va pour la vérité. » Je suis au contraire ravie qu’il envisage de ne pas y aller par quatre chemins avec sa mère mais, au contraire, qu’il affirme ses opinions et décisions sans craindre de la vexer, parce que ce sont nos choix et qu’ils n’ont rien à voir avec Margaret. J’embrasse Amos et, tandis qu’il récupère notre bébé, je pars en direction de la voiture pour récupérer le biberon de Micah - c’est le midi que nous commençons à diversifier son alimentation et qu’elle mange ses premiers repas ”de grands”.

Lorsque je reviens, mon bébé est toujours dans les bras de la mère d’Amos et je les observe, le visage neutre. « Je peux ? » La matriarche tient toujours Micah dans les bras, et du bout du menton, elle désigne le biberon que je tiens dans ma main. J’hésite un instant, possessive et furieusement protectrice de mon bébé, avant de me résigner et de le lui tendre. Bien sûr, comme à chaque fois qu’on lui donne la main, Maggie Taylor vous prend le bras et, déjà, elle enchaîne et je sens qu’elle prépare autre chose. « Et sinon, comment vous vous débrouillez avec le boulot ? Vous la prenez avec vous ? Ou vous envisagez une crèche peut-être ? » J’échange un regard avec Amos - lui a-t-il déjà dit que nous rentrerons chez nous à la fin de la soirée ? - avant de fixer à nouveau mes yeux sur Micah, qui tête déjà le biberon tendu par sa grand-mère. « Non, pas une crèche. » L’idée que ma princesse soit en proie aux microbes des autres rejetons me dégoûte. Je suis également persuadée qu’elle n’y serait pas en sécurité. « Pour l’instant, elle vient avec nous ou on alterne. Mais on a commencé à rencontrer des nourrices pour rester avec elle en fin de journée, certains soirs de la semaine. » Nous, nous passerons une partie de la journée avec elle et partirons juste avant ou après son coucher. Notre rythme peut sembler peu habituel, mais nous passons au moins plus de moment avec notre fille lorsqu’elle est éveillée. « Une nourrice ? Oh, mais vous n’auriez pas dû payer quelqu’un ! » Je vois où elle veut en venir et, déjà, la moutarde me monte au nez. Je ne laisse rien paraître, impassible mais un peu plus froide. Plutôt que de la renvoyer dans ses buts avant même qu’elle n’ait formulé sa requête, je la laisse venir. « Ça fait partie des choses qu’on peut se permettre. » C’est l’inverse qui est rare. « Argent ou pas argent, c’est dommage. Elle serait mieux avec quelqu’un de la famille. Je pourrais m’arranger pour venir certains soirs, et vous pourriez la déposer ici pour d’autres. Je sais que ça fait un peu de route mais - » Je coupe ma belle mère avant même qu’elle ne termine sa phrase. « Non merci. Elle aura une nourrice. » Nous l’avons décidé et je suis agacée qu’elle tente de nous faire revenir sur une décision que nous avons prise. Le visage fermé, je tends les bras en direction de Micah que je récupère des bras de sa grand-mère. J’attrape ensuite le biberon, que ma tête blonde n’a pas encore terminé. La reprendre, c’est autant un geste impulsif que ma façon de lui faire comprendre qu’elle n’a pas voix au chapitre, lorsqu’il s’agit des choix que nous faisons pour notre fille. « Mais… » - « Il n’y a pas de mais. C’est une proposition généreuse, mais nous avons déjà pris une décision et commencé à rencontrer des candidates. » Je jette un coup d'œil à Amos, dans l’espoir qu’il appuie mes propos.

brave new world
Raelyn Blackwell & @Amos Taylor

« Près de Kilcoy parce qu’il y a le ranch, mes parents, qu’elle pourra les voir sans que tu n’aies à venir toi aussi. Elle y aura son cheval aussi. Elle n’échappera pas à cette tradition. » Amos et moi avons vécu des jeunesses bien différentes, avons un rapport à la famille différent et, surtout, un rapport différent à ce genre d’endroit. A la campagne, j'étouffe et j’abhorre ces villages où tout le monde se connaît et où l’opportunité la plus intéressante est de travailler à la supérette du coin ou de servir dans un restaurant. Pour Amos, je réalise un peu plus chaque jour que c’est tout l’inverse ou que, en tout cas, l’idée de vivre dans le même genre d’endroit que ses parents ne lui déplairait pas forcément autant qu’à moi. Alors, bien sûr, Kilcoy n’est pas Charleville. Ici, il n’est pas nécessaire de faire plus de cinq cent kilomètres pour apercevoir le moindre signe de vie - je ne grossis qu’à peine le trait. Pourtant, les rares fois où il m’a amenée en centre-ville, j’ai eu la désagréable et angoissante situation que tout le monde notait mon visage dans son esprit, me scannait et me jugeait. J’aime l’anonymat des grandes métropoles puisqu’il garantit une liberté sans borne. Pouvoir les voir sans que je n’ai à venir, qu’est ce que cela sous-entend, que nous y vivrions à plein temps pour que mon complice puisse emmener notre fille chez ses parents dès que bon lui semble ? Je ne vivrai jamais ici, le sait-il ? Comprend-t-il que mes ambitions dépassent ce qu’un endroit comme Kilcoy a à offrir ? Réalise-t-il que me proposer d’acheter - que ce soit une maison secondaire ou principale - là où il a aimé son ex-femme et construit un foyer avec elle, c’est maladroit ? Qu’importe qu’il ait vité été tenu éloigné de leur domicile à cause de ses obligations professionnelles. Des souvenirs avec elle, il en a des tas ici. Et je n’ai pas envie de devoir chaque fois, alors que je passe devant une échoppe ou traverse une rue, me demander s’il a réminiscences de son précédent mariage. Est-ce égoïste ? Il y en a des tas des lieux qui lui permettraient d’offrir à sa fille plus de terrain et de tranquillité. « Même si ça me plairait de vivre au bord de l’océan. Mais, il y a le catamaran pour ça. » - « Vivre ? Parce que tu l’envisages pour y vivre ? » L’image d’un Amos qui tenterait de me convaincre de venir m’enterrer dans une bourgade, à plus d’une heure du casino et de Brisbane me semble si ridicule que je rejette l’idée si bien que, lorsque je lui pose la question, elle est dénuée de sarcasme, d’incrédulité ou de jugement.

« Kilcoy, ce n’est pas que ça pour moi. Ce n’est même pas ça du tout. J’y ai passé moins de temps avec elle qu’on ne pourrait l’imaginer. C’est là que j’ai grandi. C’est là qu’elle sera la plus proche de ce que j’ai été. » Les fois où Amos a oublié qui j’étais pour tenir un discours si traditionnel - à mes yeux, presque archaïque - sont rares. Avec moi, il se libère des carcans de son éducation et nous n’avons pas souvent eu à souffrir de points de vue trop divergents sur ce sujet. Je suis surprise. Je me demande d’où ça vient, c’est c’est d’être entouré d’autant des siens qui le pousse à oublier que nous nous suffisons à nous-même, que notre famille, c’est cette bulle de trois composés de notre couple et notre fille. Il fait une erreur qui me fait monter la moutarde au nez et me tend bêtement : il emploi le futur plutôt que le conditionnel et, cette dernière phrase, elle me donne l’impression que le piège s’est déjà refermé sur moi et que c’est décidé. Je lui laisse le bénéfice du doute autant parce que je le connais que parce qu’il me semble peu souhaitable d’avoir ce genre de discussion ici et maintenant. Toutefois, je peux difficilement m’empêcher de lui présenter un visage résolument fermé. « Il n’y a pas un gosse qui n’a pas été heureux dans son enfance ici. Et je ne garde pas grand chose de bon de mon ancienne vie. On en rediscutera, d’accord ?  » Interdite, je fronce les sourcils et jette un coup d'œil à la foule de gens qui nous entourent. Si je hoche la tête, c’est toutefois en gardant un soupçon d’irration dans un coin de mon esprit. Je lui ai donné des raisons qui me semblaient parfaitement valable et raisonnable : pendant plus de vingt ans, il a vécu ici avec une autre. Pendant plus de vingt ans, il l’a embrassée et lui a fait l’amour à quelques kilomètres de la maison de ses parents. Est-ce ridicule, d’estimer malgré ses arguments que je n’ai pas envie de m’installer près ou loin d’ici ? Se rend-il compte que s’il a longtemps nourri une jalousie excessive envers mon défunt compagnon, je n’ai partagé sa vie que deux ans quand lui et Sarah ont vécu ensemble toute une vie ?

Micah qui s’agit dans les bras de sa grand mère me donne la parfaite excuse : notre fille a faim, je reconnais les signes et si elle est plutôt sage, il n’en reste pas moins vrai qu’elle cassera les tympans de tous les convives d’ici quelques minutes si on ne lui colle pas une tétine dans la bouche. Je m’éclipse en direction de la voiture et, lorsque je reviens, je ressens le piège tendu par ma belle-mère à des kilomètres. J’ignore si ma réaction glaciale est due uniquement à la façon dont elle m’a traitée pendant des mois - comme si j’étais une lépreuse - ou si elle est encouragée par notre discussion précédente. Je pense qu’on peut sans risquer de se tromper affirmer que je c’est un peu trop d’un coup pour moi, tout ça. Que la réception en grand comité - j’ai toujours du mal à croire que tous ces gens appartiennent à la famille - l’idée que je me fait de la proposition d’Amos et enfin l’insistance de sa mère, c’est trop loin de ma zone de confort. Habituellement, je ne suis pas celle chez qui le besoin de se reclure pour nous enfermer dans notre bulle se fait ressentir le premier. Je suis à l’aise en société. Sauf qu’ici, Amos est entouré des siens, quand je suis pour ma part confrontée à bien trop de croyances, convictions et traditions que je ne sais le gérer. J’ignore aussi ce qui, de l’attitude de sa mère, de ma froideur ou de mon geste - je récupère ma fille sans laisser le choix à la matriarche - heurte mon compagnon mais je le connais assez pour sentir son attitude changer. « Et le débat est clos. » Il est froid avec sa mère, mais je le connais et mon instinct me souffle que c’est à moi qu’il en veut. Désireuse de ne rien envenimer, je me concentre entièrement sur mon poupon, bien inconsciente de ce qui se joue autour d’elle, et sur ses lèvres bien dessinées qui compressent la tétine de son biberon. Je prête à peine attention à la plainte de Margaret qui se lamente de notre choix, celui de ne pas rester ici cette nuit. Mon corps se raidit lorsqu’elle embrasse le front de Micah, mais je puise en moi la force de ne pas esquisser le moindre geste possessif de recul. Pendant que nous dansions, elle l’a tenu. Maintenant que je suis une lionne blessée - au moins dans mon égo - j’ai bien plus de mal à le vivre. « On y va tout de suite après le gâteau. » Son ton m’indique que je ne me suis pas trompée : il ne parle qu’à moi, mais avec une froideur qui détonne avec l’événement que nous sommes supposés célébrer.

Je n’ai pas protesté. Je crois que, ma jauge étant pleine, j’étais soulagée et me suis limitée au strict minimum en termes d’effort de conversation avec les autres convives jusqu’au moment du départ. Dans la voiture, je respire mieux. Je pousse un soupir de soulagement et avec qu’il quitte l’allée conduisant à la ferme pour s’engager sur la nationale, je pose ma tête contre la vitre. « Tu sais, tu peux tout dire, mais… il y a une façon pour le faire. » Interdite, je tourne la tête dans sa direction et je l’observe en silence quelques minutes avant de répondre. « Dès qu’on lui en donne un peu, elle nous mange la main. » Et moi, je suis trop peu à l’aise avec les notions de famille - à part la nôtre, celle que nous formons à trois, pour ne pas avoir l’impression de tomber dans un piège à chaque fois. « J’ai pas envie que ça arrive. Ce n’est pas ma faute s’il n'y a que quand je suis ferme…  » Et peut-être froide. « Qu’elle respecte nos décisions. Qu’elle me respecte. » Tenter de le faire changer d’avis, c’est à mes yeux une façon pour sa mère d’agir comme si je prenais toutes les décisions, comme s’il était sous mon emprise et qu’elle avait pour mission de changer ça. « Et tu n’as pas besoin de me réprimander. » J'ai la sensation d'être une enfant que l'on reprend pour son comportement. Peut-être n’est-ce pas ce qu’il est en train de faire, certainement suis-je aveuglée temporairement par le flot d’émotions et le trop plein d’informations que mon esprit traite actuellement.