you took me back but you shouldn't have,
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Jo Carter & @Midas Sterling (crédit gif/harley)

"J’ai pas toute la soirée, ma jolie." Le cuir du siège dans lequel Jo était assise crissa sous son poids-plume, et elle prit une profonde inspiration, signe évident qu’elle allait déverser tout son venin sur ce pauvre homme qu’elle avait missionné, par un clic du pouce sur l’écran de son téléphone portable, de la conduire là où elle voulait. Brusquement, elle se pencha dans l’espace des deux sièges de devant pour lui cracher, sans faire de pause, ses yeux posés sur son profil disgracieux, son double-menton lui faisait redresser son propre port de tête par la même occasion "Et t’as quoi de mieux à faire, Robbie ? On est mardi soir, t’attends ta turlute hebdomadaire ? Bobonne sera pas dans le mood si tu rentres en retard, c’est quoi les bails ? Je te paye une fortune pour une pauvre course, tu me dois bien trois minutes de plus de réflexion, nan ? Si ça se trouve, t’auras un pourboire, alors ta gueule, j’ai une décision importante à prendre, et tu me déconcentres." Elle l’avait prise, sa décision, sinon elle ne serait pas là, à fixer l'écran de son téléphone en relisant les textos échangés avec Midas. Elle s’était décidée à lui rendre visite parce que Jo, quand on lui donnait quelque chose, elle en voulait toujours un peu plus, surtout quand ça la servait en même temps, et le fait était que le revoir, ça avait déclenché un truc en elle ; un peu comme une allumette qu’on laisse tomber sur le sol d’une station service, ça avait fait tout fait péter en l’espace de quelques semaines, et elle n’avait pu penser qu’à ça, alors qu’il se passait des choses autour d’elle, et pas des choses faciles à gérer — sauf que rien ne semblait plus important que ça, et ça la consumait aussi fort que ça la dérangeait d’être encore assez idiote pour penser qu’elle ne courrait pas droit vers un mur.

Ses yeux, soulignés d’un trait d’eye-liner sombre, qui se détournèrent du panorama peu engageant du profil du conducteur, marquèrent un temps de concentration intense sur le pare-brise de la voiture, et puis elle se ranima d’une secousse juste pour se laisser retomber en arrière et pour déverrouiller l’écran de son téléphone portable. En l’espace d’une demi-seconde, elle tapota du bout des ongles un "Je suis là." à Midas. Ça la faisait royalement chier d’être obligée de s’annoncer comme une indésirable qu’on faisait entrer quelque part uniquement parce qu’elle avait ses entrées, mais elle savait que ça se paierait plus tard, qu’elle réussirait à passer outre cette impression de n’être personne ici, quand bien même elle avait les faveurs de quelqu’un d’important : elle restait une intruse qui prit une nouvelle inspiration, et qui fouillant dans ses poches pour balancer ses biffetons à Robbie qu’elle ne remercia même pas, finit par claquer la portière derrière elle avec une force étonnante pour son petit gabarit.
Il faisait frais, ce soir, et la peau de ses jambes dénudées se parsema de chair de poule, lui faisant plisser le tombé du sweat trop grand qu’elle portait sur le dos, et dont elle avait fait une veste, ménageant l’effet de la vraie tenue qu’elle portait en-dessous, lui donnant décidément des airs de celle qu’on avait voulu qu’elle devienne la copie durant des mois de compétition. D’une marche énergique malgré ses réticences, elle s’avança vers une porte de service qu’elle savait être celui du studio que Midas lui avait indiqué il y avait plusieurs semaines de ça déjà, et près de laquelle elle patienta. Posée contre le mur, elle se répéta des insultes contre elle-même, n’en revenant pas d’être assez conne pour être là "Ça va te revenir à la gueule, Jo." qu’elle  se murmura à elle-même en regardant brièvement le ciel étoilé, ses lèvres se mordant d’elles-mêmes par anxiété, quand la porte s’ouvrit, et qu’elle dit à celui nimbé d’une lumière chaude venant de l’intérieur, et vers qui elle se tourna pour entrer en donnant l’impression d’être chez elle, comme à chaque fois "Une minute de plus, et je partais." Robbie s’était déjà taillé, sans doute en l’insultant lui aussi, quand il s’était rendu compte qu’elle ne lui avait pas laissé de pourboire, mais peu importe ; soutenant le regard du jeune homme en entrant, autant poser les limites tout de suite, et ne pas se montrer trop tendre avec lui. Quand bien même elle était venue pour tout un tas de raisons, sa faiblesse relative à ce qu’ils avaient partagé ayant une bonne portion de ces dernières, elle ne serait pas plus douce, ni plus docile, c’était un fait.

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Midas Sterling & @Jo Carter

jOsePhInE
Je suis là.

Dans ses derniers messages, Jo m’avait fait comprendre qu’elle viendrait peut-être ce soir, si elle avait le temps mais qu’il ne fallait pas que je m’emballe. Et peut-être que je me trompe, peut-être que les choses ont changé, mais je crois connaître assez bien la jeune femme pour être capable de lire entre les lignes, pour être capable de voir au delà des mots dictés uniquement par sa fierté. Peut-être, en langage Jo Carter, cela veut dire certainement, mais je n’ai pas envie de l’avouer. Alors, quand mes yeux se posent sur son dernier message, celui qui me dit qu’elle est en bas, je ne suis pas surpris, mais toutefois soulagé de constater que je ne me suis pas trompé. Elle est venue, elle a mis plusieurs jours, plus d’une semaine, mais elle est là et c’est tout ce qui importe. Notre conversation à la maison de retraite m’a autant laissé sur ma faim que rappelé quelle pouvait être notre relation quand nous apprenons à ne pas jouer à celui qui haussera plus le ton que l’autre. (Sans surprise, je suis rarement sorti vainqueur de ce genre de petite compétition idiote.) Depuis, les traits de son visage m’obsèdent. Je n’irai pas jusqu’à dire qu’ils me hante mais, si j’avais le coup de crayon qu’avait ma petite cousine, j’aurais recouvert mes carnet de note de croquis dans le but de les figer dans ma mémoire, au cas où elle sortirait à nouveau de ma vie aussi vite qu’elle y est entrée. Avant hier, j’ai même écrit une strophe entière, sans mélodie ou rythme associée, mais tout est bon à prendre puisque je n’avais pas écrit plus de quelques phrases depuis des mois.

Mon studio n’est pas rangé. Je crois qu’en m’autorisant à l’occuper de façon permanente - ou en tout cas jusqu’au ordre contraire - je doute que les propriétaires du lieux se doutaient du chaos qui m’est nécessaire pour créer. Trois guitares trainent, disséminées entre la table de mixage et le studio à proprement parler, et seule une d’entre elles s’est vue attribuer l’honneur d’être préservée du bazar ambiant. Portant la signature d’Angus Young sur son bois clair, elle est accrochée au mur, retenue par deux crochets en métal. A la lecture du message adressé par Jo, je jette un coup d’oeil à la place avant de hausser les épaules : au moins, la jeune femme aura une projection du bordel qui règne dans mon esprit.

« Une minute de plus, et je partais. » Quand je pousse la porte du bâtiment, elle est là et je crois que je n’y croyais pas encore tout à fait avant de la voir. « On a encore eu de la chance. » En citant le célèbre slogan publicitaire, je lui adresse un sourire ravageur, le genre qui fait tomber les filles et qui elle l’insupporte. « Je suis content que tu sois venue. » Cette fois-ci, pas de sarcasme, juste une authenticité qui transpire par tous les pores de ma peau. J’ouvre la porte en grand pour l’inviter à entrer et, dans le hall du bâtiment, je me retourne vers elle. « Tu veux quelque chose ? On est pas censés bouffer ou apporter de liquide dans les salles d’enregistrement mais tout le monde se moque de savoir si je respecte les règles. » Les avantages de la célébrité - ou plutôt, d’être une sacrée poule aux œufs d’or. Au distributeur de boisson de l’entrée, j’achète un coca-cola à la cerise pour la brune sans attendre sa réponse, et une boisson énergétique pour moi, poison qui m’aide pendant toutes ces soirées et nuits durant lesquelles je m’arrache les cheveux à la recherche de l’inspiration. « Y’a une quinzaine de studios dans le bâtiment. La plupart sont réservables à la journée et certains, comme le mien, sont occupés à plein temps. » Est-ce que j’ai longtemps rêvé d’un univers où celui de Jo serait à côté du mien ? Bien sûr, mais je crois que depuis le temps, je me suis fait une raison. « Et je crois que je détiens un record, mais je te laisserai deviner lequel. » Celui du plus gros capharnaüm, cela va sans dire. La main sur la poignée de la porte, je lui adresse un sourire complice. « Il est encore temps de t’enfuir en courant. » Si j’en fais des tonnes - l’endroit est en bordel mais n’a rien non plus d’une décharge - c’est pour détendre l’atmosphère. Jo est là, mais je la sens aussi tendue que je le suis moi-même.

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Jo Carter & @Midas Sterling (crédit gif/harley)

Si elle ne lui dit pas vraiment bonsoir, le roulement d’yeux qu’elle lui offrit en réponse à son sourire ravageur fit bien l’affaire, et elle entra par l’interstice de la porte qu’il venait d’ouvrir sans attendre qu’il l’invite vraiment à le faire, déjà prête à agir comme elle le faisait tout le temps, depuis trop longtemps maintenant pour que ça ne soit pas ancré dans sa façon d’être. Elle aimerait être aussi conquérante que d’ordinaire, Jo. Mais elle sentait ses jambes flageoler sous l’ourlet épais du sweat qu’elle portait sur le dos "T’ouvres les portes toi-même ? Comme c’est modeste de ta part, rockstar." qu’elle lui cracha sans faire preuve de beaucoup de délicatesse, lui passant sous le nez en affrontant son regard une seconde de trop, histoire que son je suis content que tu sois venue ne prenne pas des allures de confession qui l’obligerait à lui avouer qu’elle avait décidé de venir dès qu’il lui en avait fait la proposition, que si elle l’avait fait mariner aussi longtemps, c’était parce qu’elle voulait garder le contrôle de ce qui lui filerait des mains une fois qu’ils auraient statué sur la suite des évènements.
Il se tournèrent l’un vers l’autre en même temps. Jo releva le menton pour ne pas paraître trop petite, pour ne pas lui donner l’impression non plus qu’elle était impressionnée par les passe-droits qu'il avait sûrement en tant qu’artiste, celui qu'il était officiellement devenue en vendant des albums, en gagnant des prix, en faisant des tournées. Son coeur battait trop fort dans sa poitrine, et sa bouche était aussi sèche que si c’était elle qui était passée sous la ceinture de Robbie, alors forcément elle eut besoin d’un moment pour lui répondre, se contentant de faire un tour sur elle-même, quand elle se rendit compte qu’il lui tendait sa boisson de prédilection — ça ne l’attendrissait pas, ou peut-être un peu… pas assez en tout cas pour que, le suivant de près, elle lui demande sans faire de pirouette "T’écris seul ? Je croyais que t’avais une armada d’auteurs avec toi, c’est pas comme ça que bossent les grands artistes ?" Loin d’elle l’idée de l’insulter en prétendant, de façon détournée, qu’il n’en était pas un, mais elle avait suffisamment gravité dans ce monde-là pour savoir que, les sessions d’écriture et d’enregistrement se faisaient rarement en solo. Elle arqua un sourcil quand il parla de record, et porta son regard sur le bazar environnant quand ils entèrent enfin dans le studio qui lui était réservé. Un bordel organisé, c’était probablement comme ça qu’il justifierait le capharnaüm dans lequel il créait, et qui lui fit penser à Nicholas le temps d’un court instant, la poussant à lui dire en entrant doucement "Je vois que vous vous êtes bien trouvés avec Nicholas Hurley." Ça ressemblait à des préliminaires, qu’elle se dit en avançant, enjambant un carton de pizza pendant qu’elle ouvrait sa cannette de soda en se figurant de tout ce qui l’entourait et qui la fit remonter à des années en arrière.

La vie qu’il vivait, elle avait été celle qu’elle avait cru pouvoir vivre juste parce qu’elle était douée, et c’était un mix de sentiments qu’elle ressentait quand elle songeait à l’idée que, dans un autre univers, ç’aurait été elle à sa place. Elle vrilla ses yeux de droite et de gauche, souriant sous cap, sa cannette de soda près de ses lèvres, quand elle releva les détails du processus créatif du Midas qu’elle connaissait : les gobelets de café, les tablettes de chocolat noir à peine entamées, les vestiges de ses rencontres avec les artistes qu’il admirait. Ça pétilla dans sa bouche quand elle avala son soda, et ses yeux lui renvoyèrent une oeillade fixe qu’elle rendit plus mobile quand, arquant un sourcil, elle lui répondit à la perche qu’il lui tendait, la tête légèrement inclinée sur le côté "Si tu me le proposes, c’est que t’as oublié à qui tu parles." Et elle savait que le regard qu’elle lui lançait était trop long, alors elle le détourna brusquement pour essayer de trouver un endroit où poser sa cannette et son sweat qu’elle passa au-dessus de sa tête pour se sentir plus à son aise, étouffant sous son épaisseur à cause de la chaleur irrespirable du studio ; où c’était la situation qui l’était, elle ne savait pas, mais elle se sentait un peu fébrile sans pouvoir vraiment l’expliquer — sans le vouloir en tout cas, parce qu’elle savait très bien pourquoi elle se sentait comme ça.
Doucement, elle tira sur le bas de sa robe ajourée, tournant de nouveau la tête vers le bazar de Midas, et se dirigea sans demander l’autorisation vers un synthétiseur posé sur une table basse. Sans lui demander l’autorisation, elle s’installa devant, ses doigts trouvant déjà les touches qu’elle fit résonner par une suite d’accord de répétitions, exercice de prédilection des pianistes entraînés, comme elle l’était "T’as écrit des bons trucs récemment ?" Elle n’était pas là pour ça, elle le savait aussi bien qu’elle ne pouvait pas faire comme si ça ne l’intéressait pas de savoir où il en était dans tout ça. En somme, elle lui donnait un sursis le temps de reprendre sur elle, et de ne pas se laisser atteindre par la vie qu’il menait, et qui aurait dû être la sienne, elle le savait.

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Midas Sterling & @Jo Carter

« T’ouvres les portes toi-même ? Comme c’est modeste de ta part, rockstar. » - « C’est ma façon de garder les pieds sur terre. Figure toi que j’ai personne pour me porter du parking jusqu’à mon studio non plus, c’est pas scandaleux ? » M’imaginer sur une de ces chaises à porteur destinée aux rois et aux reines d’une autre époque m’amuse autant que la façon dont Jo me dépeint. Rockstar. Je considère que pour faire officiellement partie de ce club ultra sélect, il faut marquer son époque, atteindre ce que j’appelle l’immortalité artistique et traverser les âges. La plupart des grands artistes que j’adule appartiennent à cette catégorie mais, moi, je pense que j’en suis loin. Je ne sais même pas si je toucherai un jour du doigt cet univers. Toutefois, je m’interroge. Quel genre d’homme pense-t-elle que je suis, Jo ? Croit-elle que la célébrité m’est montée à la tête et que je considère désormais que je suis une sorte d’être supérieur au commun des mortels ? Que je suis devenue une diva incapable de faire quoi que ce soit sans être entouré de quatre assistants ? Si tel est le cas, elle ne pourrait pas avoir plus tort. J’aime écrire, j’aime la musique et j’aime la scène. Entendre mon nom scandé par une foule en délire est grisant, mais j’abhorre tout ce qui a trait à la célébrité. Ne plus pouvoir faire un pas dans la rue sans être reconnu et entouré d’une foule de groupies est aussi usant que c’est oppressant. Je me demande si Jo aurait aimé ça, à ma place. En tout cas, une chose est sûre, elle aurait été bien plus faite pour ça que moi, le garçon de la campagne.

« T’écris seul ? Je croyais que t’avais une armada d’auteurs avec toi, c’est pas comme ça que bossent les grands artistes ? » - « Sur mon premier album on m’a imposé pas mal de titres écrits par des paroliers bien plus talentueux que moi. » Ou en tout cas, qui avaient fait leurs preuves dans le milieu, contrairement à moi. « Mais en dehors des singles de l’album, ce sont les miennes qui ont cumulé le plus d'écoutes sur la plupart des plateformes. » Ce ne sont peut-être pas celles qu’on entend le plus à la radio, mais ça compte malgré tout, pour les experts. « Disons que j’ai gagné le droit d’écrire mes textes. Mais je travaille avec pas mal de producteurs différents, ouais. » Ce que j’ai gagné c’est le droit de me tuer à la tâche et d’écrire des dizaines de chansons pour un seul album, alors que seulement une quinzaine feront partie de la tracklist finale. Ce que j’ai gagné, c’est le droit de voir mon boulot jugé, décortiqué, rejeté et, quand j’ai de la chance, une chanson sort du lot. « C’est le label qui choisit les chansons, au bout du compte. Et les singles aussi, la plupart du temps. » Malgré le peu d’amplitude que j’ai, malgré ma maigre liberté artistique, je me dis que j’ai de la chance, que je suis à une place qui fait rêver des milliers d’artistes en herbe.

J’entrouvre la porte du studio sans la quitter des yeux, à l'affût des réactions de la jeune femme. L’humour que j'emploie est une façade, une carapace vouée à dissimuler le fait que son jugement a de la valeur à mes yeux. Si elle riait de mes confidences précédentes ou de l’endroit dans lequel je crée - ou en tout cas, dans lequel je créais avant mon blocage - je crois que j’en serais profondément vexé et blessé. « Je vois que vous vous êtes bien trouvés avec Nicholas Hurley. » - « Nicholas t’a parlé de moi ? » Je lève un sourcil, surpris qu’elle parle de mon ami. Une question me brûle les lèvres : quelle est la nature de la relation, exactement ? Poser la question à Nicky était déplacé, j’en conviens, mais ce n’est pas pour autant qu’elle ne m’obsède pas. Je serais bien incapable de le justifier - Jo ne m’appartiens pas, je n’ai pas le moindre droit sur elle, mais là, et je ne peux pas lutter. « Si tu me le proposes, c’est que t’as oublié à qui tu parles. » J’ai oublié beaucoup de choses à ton sujet que je voudrais réapprendre… Je ne réponds rien, me contente de laisser un léger rire s’échapper en me frottant l’arrière de la nuque.

Pas de jugement. Pas de remarque déplacée. La brune s’installe face à un synthétiseur sur lequel elle pianote quelques airs d’échauffement, distraite et pensive. J’offrirais des milliers de dollars à la personne capable de tout me dévoiler de la psychée de Jo Carter. « T’as écrit des bons trucs récemment ? » Elle pose les questions qui fâchent bien rapidement, la brune, mais elle ignore certainement que celle-ci fait partie du lot. Je laisse un grognement m’échapper, avant de tirer mon fauteuil en cuir pour m’installer, et ouvrir ma canette. « Non. Pas vraiment. » C’est un euphémisme. « A ton avis, pourquoi j’ai rien sorti de nouveau depuis 2019 ? » Mes trois premiers albums se sont enchaînés au rythme effréné d’un par an et, depuis la fin de la tournée mondiale organisée par le label à l’occasion de la sortie de mon dernier opus en date, plus rien. Mes fans attendent, des rumeurs font régulièrement leur apparitions sur twitter parlant d’une annonce ou d’un single imminent mais, tout ça, ce n’est que du vent. A l’heure actuelle, je n’ai pas posé la moindre pierre à l’édifice du quatrième album.

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Ça l’amusait de dépeindre Midas en diva. Ça l’aidait aussi à faire le point sur toute la situation sans se laisser trop atteindre au plus profond. Et puis qui savait, il avait peut-être changé au point d’avoir calqué son attitude sur celle de sa comparse de l’époque, et elle aurait eu du mal à le juger pour ça ; elle avait prétendu ne pas suivre sa carrière, seulement elle savait qu’il avait un certain poids auprès d’un certain public, et que ça le rendait important, digne d’intérêt. Il aurait tous les droits de jouer là-dessus pour obtenir ce qu’il voulait. Mais Midas avait toujours été modeste, c’était ce qui l’avait rendu sympathique, c’était ce qui l’avait placé en challenger tout désigné de la petite nana gorgée de confiance en elle qu'elle avait toujours été. Elle pouvait à peu près s’imaginer comment il vivait aujourd’hui : il devait regretter d’être surexposé, il devait regretter de ne pas savoir comment traiter ses rapports avec les autres sans soupçonner qu’on veuille se rapprocher de lui par intérêt… ah, la vie d’artiste connu et reconnu, ce n’était pas de tout repos, et si ça l’amusait en effet, elle ne pouvait pas tellement se mettre à sa place finalement, ce qui la rétrogradait à une place pas très enviable, droit dans le commun des mortels. Dans le monde de Midas Sterling, elle n’était redevenue qu’une gueuse, et elle aurait dû se sentir flattée qu’il se souvienne d’elle, qu’il daigne même la solliciter comme il s’obstinait à le faire depuis quelques temps maintenant. Si elle n’avait pas été aussi fière, elle aurait fait en sorte de garder ça à l’esprit, mais ils avaient partagé trop de choses pour qu’elle soit reconnaissante du statut qu’il lui faisait prendre en revenant vers elle après des années ; c’est parce qu’ils se connaissaient qu’elle savait que ce n’était pas désintéressé, et c’était forcément un peu douloureux de se le dire, encore qu’elle ne le jugeait pas de le faire là encore, juste de ne pas l’avoir fait bien avant.
Un léger rire, une petit colonne d’air expulsé par le nez, tandis que dans sa bouche, son soda crépitait, et elle lui dit sur le ton badin de l’ironie "C’est ce qu’on gagne à remporter un télé-crochet." Et l’amertume était là, elle ne pouvait pas l’ignorer, comme elle ne pouvait pas ignorer que ça l’emmerdait profondément que sa team ne lui laisse pas plus de lest pour faire ce qu’il voulait vraiment. Gagner ce genre de concours, c’était à double tranchant : mais peser des millions, ça l’était aussi… alors dans un sens comme dans l’autre, il aurait été piégé de toute façon. Est-ce que ça la faisait apprécier davantage sa défaite ? Putain, non. Elle savait qu’elle aurait eu les couilles d’envoyer paître les directives de ses producteurs — ou pas, sinon elle n’en serait pas là aujourd’hui, à être serveuse pour faire bouillir la marmite, et à se cacher derrière sa grand-mère malade pour expliquer le stand-by mis à sa carrière. C’était plus facile de se figurer des fantasmes que d’admettre qu’on aurait pas fait mieux que la personne qui vivait son rêve, et Jo avait assez de mauvaise foi pour prétendre qu’elle aurait mené les choses différemment que Midas — si elle avait gagné, ce qui n’était pas le cas, alors elle n’avait qu’à la boucler ; ce qu’elle fit à peine, s’entendant parler de Nicholas et notant l’intérêt soudain de Midas à qui elle répondit, son visage prenant une expression de dénégation, sa cannette de soda près de ses lèvres "Nan, j’ai vu te tronche sur son Insta." qu’elle lui dit, histoire de ne pas trop polir son égo en prétendant qu’il en avait plein la bouche de Midas Sterling, Nicholas. Ce n’était pas le cas, et pour cause "Il est pas tellement du genre à parler pour rien dire, je sais pas si tu t’en es rendu compte." Ça, pour tirer les vers du nez au Hurley, il fallait se lever tôt tant il était auto-centré, autant qu’il paraissait sur le point de chialer sur son propre sort au moins une fois sur deux "Il est pas très causant, mais il écrit bien. Ça compense, j’imagine." Qu’importait, il n’était pas là aujourd’hui, et départit de son sweat et de sa cannette de soda qu’elle posa sur la console, elle alla marquer son territoire en posant ses doigts sur le clavier, abandonné plus loin ; qui résonna comme pour sonner le début d’un nouveau chapitre, la première question qu’elle posa à Midas marquant son envie de lui prouver que, si elle était venue, ce n’était pas pour faire joli

Elle le regarda quand il lui répondit, et presque instantanément, tout s’éclaira. Si elle laissa ses doigts caresser les touches du synthétiseur encore un peu, elle se redressa cependant, avec un léger sourire sur les lèvres qui s’animèrent quand elle lui répondit, sarcastique "Je pensais pas que t’étais du genre à connaître les pannes. Ça doit pas être bon pour l’ego, comment tu le vis ?" Et si c’était à double-sens sans qu’elle ne s’en sente véritablement honteuse — disons qu’elle avait, et qu’elle disait, bien pire que ça d’ordinaire —, elle marqua son observation du jeune homme quelques secondes encore, puis finissant par abandonner le clavier pour poser ses coudes sur ses genoux dénudés, et maintenir sa tête entre ses mains, c’est les yeux plissés et le nez tout autant qu’elle ajouta "C’est pour ça que tu veux participer au revival, hm ? T’espères que ça te donne l’impulsion nécessaire pour écrire de nouveaux trucs pour ton nouvel album ?" Ça aurait pu la faire sourire davantage, mais elle garda la même expression, continuant dans la foulée "T’as pas peur que ça produise l’effet inverse, qu’ils en profitent pour se montrer trop gourmands, et qu’ils te forcent à écrire plus vite pour que ça coïncide avec la finale de l’émission ?" Parce que dans sa tête, c’était déjà établi qu’il ferait partie du duo final, Midas ; preuve qu’elle lui accordait encore tellement de crédit qu’elle ne pouvait pas l’imaginer autrement qu’en finaliste, et c’était putain de dangereux, assez en tout cas pour que soudainement, elle sente brûler en elle quelque chose qui la fit battre en retraite, et se courber en arrière pour s’enfoncer dans le siège dans lequel elle était assise en lui demandant , d’une vox presque timide "Pas même un couplet, un refrain ?" Elle était presque déçue quand elle l’interrogea, Jo. Et un peu comme si son héros d’enfance se révélait être une mascarade, elle accusa silencieusement le coup.

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« C’est ce qu’on gagne à remporter un télé-crochet. » - « Si tu me dis que c’est ça que tu voulais à l’époque… » Quand elle s’est inscrite, quand elle espérait gagner, quand elle était certaine qu’elle gagnerait. « J’en croirai pas un mot. » Parce qu’elle aurait pu le faire aussi, même sans la victoire. Elle aurait pu continuer à se glisser dans le moule qui avait été façonné pour elle pendant toutes l’émission, embrasser l’image qu’on lui avait collé sur le front et sortir un album commercial. Je ne suis pas devin : j’ignore si les choses se seraient passées différemment pour elle, mais je suis sûr d’une chose, elle ne l’a pas fait. Elle a pris des risques, des risques qui n’ont pas payé, mais qui ont au moins montré au monde qui était réellement Jo Carter, pas une pâle copie d’Ariana Grande, mais une chanteuse au talent sans limite et gâché lorsqu’il est employé sur de la pop sans âme.

« Nan, j’ai vu ta tronche sur son Insta. Il est pas tellement du genre à parler pour rien dire, je sais pas si tu t’en es rendu compte. » - « Il a de la chance, tu le suis sur Insta. » La pique est innocente, mais fondée. Je me moque bien que la brune regarde ou pas les photos que je poste sur les réseaux sociaux, mais cela ne m’empêche pas d’avoir remarqué qu’elle brille de par son absence, sur mon profil. « Il est pas très causant, mais il écrit bien. Ça compense, j’imagine. » - « Pas très causant mais qui écrit bien. Faut croire que t’as un genre. » Est-ce que l’idée qu’il se passe quelque chose entre elle et le musicien m’agace ? Evidemment. Est-ce que c’est légitime ? Non, bien sûr que non puisque de toute évidence, notre baiser ne voulait pas dire grand-chose, ou pas grand-chose de durable, en tout cas. Des années ont passé depuis la dernière fois que je peux considérer que nous avons été proches - nous l’étions, elle ne peut pas mentir - mais, pas une ne passe sans que je m’interroge plusieurs fois sur notre relation et ce que j’aurais pu faire de mieux pour la garder dans ma vie, sous quelque forme que ce soit. Toutefois, je ne me permets pas la moindre remarque supplémentaire, conscient que je flirte déjà avec la limite.

« Je pensais pas que t’étais du genre à connaître les pannes. Ça doit pas être bon pour l’ego, comment tu le vis ? » Avouer que je n’arrive plus à aligner la moindre ligne, c’est exposer mes failles à la lumière du jour et au fond, j’aurais dû m’attendre à ce genre de réaction de la part de la brune. Elle n’est pas une épaule sur laquelle pleurer. Si elle n’est pas dénuée d’empathie, elle ne le montre que rarement et je ne fais certainement plus parti des rares élus avec lesquels elle considère qu’elle peut avoir une discussion à coeur ouvert. C’était peut-être trop tôt pour lui confier ce genre de chose, mais elle m’a demandé pourquoi et la voilà sa réponse. « Tu sais très bien que ça va plus loin que l’égo. » Parce que, comme elle comme pour moi, la musique fait partie de ce que nous sommes. Parce que ne plus arriver à écrire, ce n’est pas juste douloureux pour ma fierté, mais c’est le symptome d’un mal-être plus profond. Aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours écrit, même sur le bord de mes cahiers de cours. « C’est pour ça que tu veux participer au revival, hm ? T’espères que ça te donne l’impulsion nécessaire pour écrire de nouveaux trucs pour ton nouvel album ? » Je hausse les épaules de façon nonchalente. Joséphine n’est pas du genre à passer la pommade : elle trouve vos blessures et elle appuie de toutes ses forces dessus du bout de ses ongles parfaitement manucurés - et donc acérés. Jo, c’est l’amour vache, l’amour honnête et parfois peut-être un peu trop cash. Face à ce genre de personnalité, je suis plus du genre à prétendre que tout va bien, par peur d’avoir une longue discussion que je n’ai pas envie d’avoir. « Disons que ça fait partie des raisons qui font que je l’envisage. » La raison principale, c’est elle ou plutôt notre duo. Rien n’a changé par rapport à ce que je lui ai dit l’autre fois. Si ce n’est la raison, c’est au moins une bonne idée du pourquoi je n’ai rien à perdre. « T’as pas peur que ça produise l’effet inverse, qu’ils en profitent pour se montrer trop gourmands, et qu’ils te forcent à écrire plus vite pour que ça coïncide avec la finale de l’émission ? » - « Qu’est ce qu’il vont faire ? M’enfermer dans une pièce et pas me nourrir jusqu’à ce que je sorte avec un album ? » Mal à l’aise, je gratte ma nuque tout en esquissant un sourire un peu gauche. « J’ai déjà une date butoir. On a un accord, eux et moi. » Même si personne ne sait trop ce qu’il se passera si je le rompt, faute d’inspiration. « Pas même un couplet, un refrain ? » Du coin des lèvres, j’esquisse un sourire qui ne transpire pas la joie et la sérénité, loin de là. Au contraire, il a tout de l’acceptation de la fatalité et je prends place sur ma chaise de bureau, avant de mettre mes pieds sur le plan de travail - loin de la table de mixage, il y a des choses que je respecte, malgré tout. « Si tu veux jeter un coup d'œil à mes carnets, fais-toi plaisir. » Elle ne trouvera que des débuts de phrase ou de couplets rendus illisibles par des gribouillis de rage ou de frustration. Les quelques mots que j’ai écrit depuis que nous nous sommes revus l’autre jour sont rangés précieusement dans le tiroir de ma table de nuit, loin du studio, à l’abri des regards puisqu’ils constitue une sorte de lumière au bout du tunnel et sont à ce titre bien plus précieux que tout ce qui se trouve ici. « Je sais pas vraiment pourquoi, c’est ça le pire. » Des raisons, j’en connais ou soupçonne. Mais entre me l’avouer à moi-même et le refouler quelque part dans un coin de mon esprit, il y a un monde. « Ma chance, c’est d’être une poule aux œufs d'or pour eux. » Je le dis avec bien plus de sarcasme que d’orgueil. « On me passe mes caprices. » C’est à ça que mon manager réduit mon impasse créative. « Alors ouais, je sais que Nicholas est un bon parolier. On a commencé à bosser sur des trucs ensemble. Mais je veux quelque chose qui n'appartienne qu’à moi. C’est peut-être con. » Puisque jusqu’ici, j’ai accepté les limites et restrictions du label.

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Elle ne lui ferait pas l’affront de démentir l’idée que c’était ce qu’elle voulait, elle aussi, en s’inscrivant aux auditions de The X Factor. Bien sûr qu’elle était partie dans l’optique de remporter le trophée, sinon pourquoi le faire ? Son sarcasme la perdrait un jour où l’autre, elle le savait puisque chaque fois qu’elle en faisait l’usage en présence de Midas, ça se retournait contre elle. Ça ne l’empêchait pas d’y retourner à chaque fois, comme si elle prenait plaisir à ce qui la remette à sa place. Il était le seul qui osait vraiment le faire de cette façon, et c’était le genre de relation qu’ils avaient eu à l’époque ; la conjoncture était différente, mais leur dynamique restait la même, et elle mentirait si elle disait que ça ne provoquait pas quelque chose en elle quand elle se laissait cueillir par sa propension à lui rappeler qui elle était. Il semblait le savoir mieux qu’elle, c’était aussi déroutant que la manière qu’il eut de réagir aux paroles qu’elle prononça à propos de Nicholas, et qui la firent le fixer pendant quelques secondes pour finir par lui dire, sans doute plus doucement qu’elle n’aurait voulu le faire, un léger sourire en coin illuminant son visage "Ça te rend repoussant la jalousie, Midas." Si tant était, qu’un jour, elle l’avait déjà trouvé beau — ce qu’elle ne démentirait pas non plus, la façon dont elle posait ses yeux sur lui lui rappelant que parfois, elle avait eut du mal à garder la face, confrontée à cette manière qu’il avait de regarder les gens comme s’ils constituaient le ciel et les étoiles ; et peut-être que l’espace d’un instant, elle repensa au baiser qu’ils avaient échangé à l’époque et qu’elle se demanda s’il y pensait parfois aussi, au point que la perspective de savoir qu’elle côtoyait quelqu’un d’autre le rendait autant sur la défensive. Elle en jouerait sans doute, elle laissait cette carte dans sa manche parce qu’elle restait une toute jeune femme avec assez d’ego pour vouloir attiser le désir chez autrui, et principalement chez lui. Ce n’était pas aussi primitif qu’il paraissait, tout était un peu plus subtil que l’idée que, si elle prétendrait le contraire par malice, qu’il soit jaloux la rengorgeait de la certitude qu’en effet, il pensait, lui aussi, au baiser qu’ils avaient échangé.
Mais ce n’était pas le sujet, n’est-ce pas ? Se renfonçant dans le fauteuil qu’elle avait investi, Jo retira ses chaussures pour poser ses pieds sur la table basse, et resta un instant à contempler l’étendue de ce que tout ça voulait bien dire pour chacun d’eux. Midas avait déjà une carrière, il ne jouirait que d'un regain de popularité dont il n’avait pas vraiment besoin au demeurant, s'il acceptait de participer au revival de l’émission à laquelle ils avaient participé — sauf si la vente de ses albums étaient en perte de vitesse, ou qu’il fallait donner quelque chose à bouffer à eux qui attendaient depuis des lustres qu'il sorte son prochain album, qu’avait-il a y gagner, vraiment ? La lanterne s’éclaira quand il lui avoua être en panne d’inspiration évidemment, la faisant marquer un nouveau temps de silence qu’elle le laissa combler, simplement pour lui demander, sans aucune espèce de cynisme cette fois, sincèrement intéressée par ce qu’il avait à dire sur le sujet "C’est quoi tes autres raisons ? Sois honnête." l’encouragea-t-elle presque, croisant les chevilles sur la table basse, ses jambes tendues, dans une parfaite synchronie avec le jeune homme qu’elle regardait à distance.

Elle avait besoin de savoir pourquoi il tenait tant à ce projet, c’était aussi simple que ça. Penchant la tête sur le côté, elle eut un léger sourire quand il lui demanda ce que lui ferait son équipe s’il prenait trop de temps à écrire cet album qu'il était supposé sortir selon les termes d’un contrat strict "Je te rappelle que tu leur dois une partie de ta carrière. Ils peuvent te la faire à l’envers si jamais tu respectes par la part de votre marché. Alors non, ils te capitonneront pas dans un endroit pour te forcer à dégueuler ce que t’as sur le cœur pour en faire un album, mais ils peuvent de forcer à faire d’autres trucs qui réduiront tes efforts à pas grand-chose." T’es qu’un produit pour eux, Midas, qu’elle aurait pu continuer, mais même elle savait taire ses sorties les plus dures pour ne pas heurter la sensibilité d’autrui.
Elle haussa les épaules, se redressant avec grâce quand il parut évident, de par ce qu’il lui répondit qu’il n’avait, effectivement, rien écrit depuis assez longtemps pour juger que c’était alarmant. D'un regard, elle désigna un carnet ouvert sur la table basse pour s’assurer que c’était de ça dont il parlait quand il lui proposa d’y jeter un oeil, et c’est ce qu’elle fit ; passant ses paumes sur les pages noircies de ratures et d’annotations, elle se laissa un instant happer par cette étude minutieuse des mots qu’elle voyait s’étaler sous ses yeux, et qui lui firent dire après un moment de silence qu'elle sentit peser sur tout son corps "C’est pas si mauvais que t’as l’air de le penser." Mais ça manquait peut-être un peu d’objectivité sans qu’elle ne se sente honteuse de le penser. Jo se leva en gardant son regard planté sur la page qu’elle avait sous les yeux, et prit le temps nécessaire pour lui dire finalement, l’entendant se désoler de ne pas pouvoir trouver l’inspiration nécessaire pour obtenir ce truc à lui ; elle toupilla sur ses pieds nus, opinant du chef en lui disant dans la foulée, lui adressant un bref regard en même temps "Ça l’est pas, je comprends ce que tu veux dire." avoua-t-elle, et elle s’approcha de la table de mixage pour y appuyer ses reins, entièrement tournée vers Midas qu’elle finit par regarder de nouveau, plus longtemps cette fois "T’as dû en vivre des trucs depuis ta victoire, et tu sais très bien que le genre de trucs qui fait kiffer les gamines qui te suivent, c’est les histoires de cœur." Elle ferma le carnet du jeune homme pour le désigner avec l’un de ses ongles, arquant un sourcil en poursuivant sur sa lancée, ne donnant l’impression d’être personne d’autre que quelqu’un qui savait de quoi elle parlait "Elles s’en foutent de savoir ce que ça te fait d’avoir perdu ta liberté en devenant une star, elles veulent savoir ce qui fait vibrer ton petit cœur — qui, même si tu la cites jamais, elles s’en tapent… elles veulent avoir l’impression que tu parles d’elles." Et d’un geste, elle lui lança son carnet pour qu’il s’échoue sur ses cuisses, et fit un mouvement d’épaule pour statuer, sans aucune ironie "Y rien là-dedans qui leur donnerait envie de t’arracher tes fringues clairement." Elle croisa les bras, dérivant ses yeux sur le côté pour ajouter, un peu moins brutalement, se perdant dans sa propre tête quand elle dit plus sérieusement que jamais "Les meilleures chansons sont les chansons d’amour, tu le sais. Alors arrête de vouloir préserver ta vie privée, c’est ça qui te bloque pour écrire ; tu partages pas assez parce que t’as conscience de ce que t’es devenu." La propriété du public qui l’a porté en étoile grâce à des votes facturés beaucoup trop cher ; il leur devait ses secrets, c’était le prix à payer, et elle le lui dit en enfonçant , toujours à distance, son regard dans le sien "Mais c’est le jeu que t’as accepté de jouer dès le début."

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« Ça te rend repoussant la jalousie, Midas. » - « Y’a rien qui me rend repoussant Joséphine. » J’esquisse un sourire amusé, prétendant faussement être le genre d’éphèbe prétentieux que je ne suis pas. Je n’ai jamais été le jeune homme sûr de lui, le don juan nonchalant que la production de X-Factor a vendu au reste du monde. Sauf que j’ai appris à l’incarner et qu’à force de me glisser dans ses chaussures, il me colle à la peau. Mais avec Jo, c’est différent. Elle est d’une audace qui déteint sur moi et ça a toujours été le cas.

Suis-je jaloux ? Certainement. Mais ai-je pour autant l’intention de marquer mon territoire ? Et bien, pour ce faire, il faudrait qu’il reste quelque chose à marquer. Je ne suis pas l’un de ces hommes de néandertal qui s’approprient tous les droits sur une femme qu’ils ne possèdent pas. Je ne l’ai jamais possédée, Jo. Elle brille bien trop fort pour que quiconque puisse le faire, et je suis un homme du vingt-et-unième siècle : je ne ressens pas le besoin de posséder qui que ce soit. Ce à quoi j’aspire, c’est à ressusciter ce que nous avions autrefois, comme si c’était la solution, comme si c’était équivalent à retourner dans le temps et réparer mes torts envers elle, en espérant retrouver et garder la complicité que nous avions autrefois. « C’est quoi tes autres raisons ? Sois honnête. » Je pousse un soupir, avant de croiser mes bras derrière ma tête. « Tu me casses les couilles, Jo. » Pourquoi faut-il à ce point qu’elle comprenne ? Pourquoi faut-il qu’elle vienne appuyer là où ça fait mal alors que je me livre ? Je ne crois pas être capable de m’ouvrir plus que je ne le fais déjà. Je suis secret et je n’aime pas parler de moi - un train de famille - et j’ai déjà bien plus partagé avec elle en quelques minutes que je ne le fais avec le reste du monde. Pourquoi faut-il qu’elle ait fait de me sortir de ma zone de confort sa spécialité ? « J’écris plus et ça me fait chier. Autant que de plus avoir chanté avec toi depuis des années. C’est pas suffisant ? » Parce qu’elles sont là mes raisons. Peut-être pas expliquée avec la subtilité plus propres aux femmes qu’aux garçons de la campagne, mais partagée avec une sincérité qui n’est pas feinte.

« Je te rappelle que tu leur dois une partie de ta carrière. Ils peuvent te la faire à l’envers si jamais tu respectes par la part de votre marché. Alors non, ils te capitonneront pas dans un endroit pour te forcer à dégueuler ce que t’as sur le cœur pour en faire un album, mais ils peuvent te forcer à faire d’autres trucs qui réduiront tes efforts à pas grand-chose. » - « Je leur ai pondu trois albums et j’ai rapporté des millions à ces abrutis qui savent pas différencier un do d’un fa. Je leur dois plus rien. » Et je suis surtout vexé qu’elle aussi me rappelle que ce que j’ai, je ne le dois pas qu’à ce que j’ai dans le ventre et en talent. Je dois à Olive l’opportunité de ma vie, je dois à la production ma victoire et au label mon succès à travers le monde. Finalement, le jeune homme doué avec sa guitare et au grain de voix particulier, y-est-il seulement pour quelque chose dans son succès, aux yeux du reste du monde ?

« C’est pas si mauvais que t’as l’air de le penser. » Si je suis mal à l’aise, c’est parce qu’à mon sens, rien de ce que j’ai pu écrire là dedans n'est abouti. A force de tenter de concilier ce que l’on attend de moi et ce que j’ai envie de faire et de dire, je n’arrive à rien. Les désidératas du label et de mon manager n’appartiennent pas au même monde que ce que j’aurais vraiment envie de faire, et les deux ne peuvent certainement pas être mixés pour donner quelque chose qui nous appartiendrait un peu à tous. « Si t’arrives encore à lire, c’est que j’ai pas assez bien raturé. » Pourtant, en étant attentif aux reliefs sur les feuilles, on comprend que j’y ai mis tout mon cœur. « Ça l’est pas, je comprends ce que tu veux dire. » Je l’observe sans un mot, et je hoche la tête en signe de reconnaissance.

Jo déambule dans la pièce et j’attends que le couperet tombe. Elle a quelque chose à dire, j’ignore par quel miracle elle déduit quelque chose de ce tas d’encre qu’elle a sous les yeux et, de mon côté, je suis accroché à ses -  pulpeuses et jolies - lèvres. « T’as dû en vivre des trucs depuis ta victoire, et tu sais très bien que le genre de trucs qui fait kiffer les gamines qui te suivent, c’est les histoires de cœur. » J’ai écrit trois albums d’histoires de cœur que je n’ai jamais vécues pour protéger le peu d’intimité qu’il me reste. Je suis las de ce genre de choses. « Elles s’en foutent de savoir ce que ça te fait d’avoir perdu ta liberté en devenant une star, elles veulent savoir ce qui fait vibrer ton petit cœur — qui, même si tu la cites jamais, elles s’en tapent… elles veulent avoir l’impression que tu parles d’elles. Y rien là-dedans qui leur donnerait envie de t’arracher tes fringues clairement. » - « Parce que ça… » Je montre du doigt ma belle gueule, avec un sourire idiot sur les lèvres. « C’est pas assez ? » Il s’agit d’humour, et je ris doucement, avant de jouer avec mes doigts, embarrassé par ce qu’elle me dit. « Les meilleures chansons sont les chansons d’amour, tu le sais. Alors arrête de vouloir préserver ta vie privée, c’est ça qui te bloque pour écrire ; tu partages pas assez parce que t’as conscience de ce que t’es devenu. Mais c’est le jeu que t’as accepté de jouer dès le début. » Je pousse un soupir. Je ne veux pas croire que Jo a raison. Je ne veux pas croire que, pour continuer à briller, il faut que j’expose chaque pan de ma vie privée. Je ne veux pas croire que la notoriété, c’est signer un pacte avec mon public et devoir les tenir au courant de tout ce qu’il se passe derrière les portes closes. « T’es certaine que tu dis pas ça pour te renseigner sur ma vie privée ? » Si je la houspille, c’est autant pour jouer avec elle que pour changer peu subtilement de sujet. « Ce serait une bonne solution si y’avait effectivement quelqu’un qui faisait vibrer mon petit coeur. Sauf que j’ai été occupé à me construire une carrière, ces dernières années. » Je n’aime pas l’idée de lui servir un mensonge - un de plus - mais si Jo était autrefois l’une des rares personnes à qui je pouvais tout dire, aujourd’hui, je trace la limite avant tout ce qui concerne Posy. Ce n’est pas sa mère que je cherche à protéger, et j’écrirais une chanson sur la groupie qui s’est servie de moi pour oublier son ex si je n’avais pas la peur au ventre que la brune me le fasse payer. Et Marley est créative, lorsqu’il s’agit de me faire chier. « Je te servirai pas des conneries du genre “j’ai droit à ma vie privée malgré tout”. » Même si je le pense, j’étais naïf lorsque j’ai gagné l’émission et je ne réalisais pas tout à fait ce dans quoi je m’engageais. « Mais mes proches ont pas choisi ça et j’ai pas envie de les exposer. » Est-ce que ça me titille, l’idée que, quelque part, Jo se demande peut-être si je partage ma vie avec quelqu’un ?

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"Si je te cassais vraiment les couilles, tu m’aurais pas demandé de venir. Arrête un peu de jouer les innocents." s’emporta-t-elle sans faire dans la démonstration trop expansive de toute la mauvaise foi qu’elle avait en boutique cependant, posant juste à plat ses mains sur les deux côtés du sofa sur lequel elle était assise, se penchant un peu en avant pour dire à Midas, dans un chuchotis provocateur qu’elle agrémenta d’un clin d’oeil aussi mutin qui était là pour l’agacer "T’aimes ça, que je te pousse dans tes retranchements." qu’elle ajouta du tac-au-tac, sans aucune délicatesse, attendant qu’il lui réponde pour admettre l’évidence : s’il tenait à ce projet de revival, ce n’était pas seulement pour retrouver l’inspiration, c’était surtout pour avoir l’occasion de rechanter avec elle. Et il était un peu con-con le Midas, à penser qu’il fallait remettre en route toute une machine pour la contraindre à faire ce qu’ils avaient fait de mieux tous les deux. S’il était simplement venu lui demander, il y avait des années de ça, de passer derrière le micro pour enregistrer un truc avec lui, elle l’aurait fait sans aucune hésitation. Bon, elle l’aurait fait mariner quelques temps bien sûr, parce qu’elle pouvait le faire, seulement elle aurait succombé plus facilement qu’il semblait le croire. Sans doute qu’il croyait qu’il fallait lui en mettre plein la vue, déterrer une franchise — presque — pour ses beaux yeux et mettre les petits plats dans les grands pour la convaincre qu’elle ne valait pas moins que ça — et c’était le cas dans un sens, mais elle avait aussi revu ses ambitions à la baisse depuis  l’échec de sa carrière, serait-il déçu de l’apprendre ?

Dans un très léger rire, elle se recala dans le sofa dans lequel elle s’était assise, s’inclinant en arrière pour que son dos touche le dossier, ayant obtenue ce qu’elle désirait le plus à ce moment-là : la certitude que c’était pour elle qu’il s’obstinait — d’accord, c’était moins prosaïque que ça. Seulement, le fond du truc, c’était bel et bien ça, non ? "On y arrive." qu’elle fit seulement, fière d’elle sur ce coup-ci, le fixant en croisant les bras sur sa poitrine avec le genre d’air sur le visage qui la faisait passer pour la bully de l’école primaire ; celle qui te vole ton goûter pour le jeter aux ordures l’instant d’après, plus excitée par le fait même de te faire chialer, que de grailler à l’oeil.
Pour continuer à ressentir le petit frisson qui la parcourut à ce moment-là, elle aurait pu pousser son avantage encore un peu plus, et faire définitivement entendre à Midas que, malgré ce qu’il disait, bien sûr que si, qu’il devait encore quelque chose à l’équipe qui s’occupait de lui. Sauf qu’elle vit que ça le touchait plus qu’elle n’aurait été capable de se l’imaginer, et elle décida de s’arrêter sur ses écrits pour entamer une seconde partie de ce jeu qu’il y avait toujours eu entre eux. Elle aurait pu se passer des conseils qu’elle lui donna, dans sa grande bonté, mais sa grande gueule étant ce qu’elle était, elle se lança dans une analyse complète de la manière qu'il avait d’envisager l’écriture de son prochain album. La grimace qu’elle lui offrit quand il joua les Don Juan des bacs à sable n’était pas à la hauteur de ce qu’elle pensait vraiment de tout ça, et parce qu’il l’agaça sur le moment, à lui trouver d’autres velléités que celles de l’aider à y voir plus clair, elle lui dit en s’approchant de la console du studio pour y jeter un oeil qu’elle finit par poser sur lui, ne ménageant pas son discours qu’elle lui cracha à la gueule sans le regarder, le bout de ses orteils nus recroquevillés sur la moquette du studio "Si j’avais voulu savoir qui tu baises, j’aurais tapé ton nom sur Google." Pour se rendre compte en direct que finalement, toutes les filles après elle ne lui avaient pas parut si fades que ça, comme il le lui avait soutenu à l’époque.
Elle passa sur ça, ne voulant pas laisser cette pensée en particulier annihiler tout le reste, et haussa les épaules, ses yeux toujours posés sur les boutons de la console, ses doigts en poussant quelques-uns avec l’impression de jouer à être musicienne ; elle n’avait pas mis les pieds dans un studio depuis tellement longtemps qu’elle s’apercevait que ça lui faisait un peu mal d’être là en vérité, c’est sans doute pour ça qu’elle fût un peu plus agressive encore quand elle poursuivit, se tournant enfin vers lui pour dire, yeux dans les yeux à distance, un sourcil en accent circonflexe soulignant son intention de lui faire entendre que ça ne la regardait pas — alors que dans le fond, ça lui faisait bien plaisir de savoir qu’il était seul "J’en ai rien à foutre de ta vie privée, j’ai passé l’âge de prêcher le faux pour savoir le vrai, et je fais pas partie de ton public ; j’ai dépassé le stade où je pense à toi pour m’aider à m’endormir." Elle renforça le regard qu’elle lui accorda en levant le menton pour se donner le sentiment de dominer la situation, prononçant ces dernières paroles comme si c’était l’annonce de l’année, alors qu’elle ne pouvait s’empêcher de se demander pourquoi il n’avait pas trouvé chaussure à son pied.
Peu importait. Remuant de nouveau pour aller récupérer sa cannette de soda, elle la porta à ses lèvres seulement pour en prendre une gorgée qu’elle avala rapidement, et ce dans le but de rétorquer au jeune homme qu’elle désigna d’une main lest, les épaules relevées, son bras s’agitant de haut en bas "Te plains pas de pas pouvoir écrire quoi que ce soit dans ce cas. Je te donne des conseils, t’en fais ce que tu veux… après tout je suis qu’une pauvre serveuse qui crèche chez sa grand-mère." Un sourire goguenard marqua soudain son visage, et elle secoua la tête, sa cannette toujours près des lèvres sans qu’elle ne boive de nouveau ne serait-ce qu’une gorgée, trop occupée à détourner les yeux vers le plafond du studio pour y dénicher sa prochaine invective qu’elle lui balança sans crier gare, et ce sans le regarder cette fois-ci "J’ai sans doute plus rien à t’apprendre. Toi qui prétendais, qu’entre toi et moi, c’était toi le moins fait pour tout ça." Les choses avaient bien changées qu’elle se dit en dévalant la dernière lampée de son soda à la cerise qui goûta l’aigreur quand elle l’avala lentement.

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« Si je te cassais vraiment les couilles, tu m’aurais pas demandé de venir. Arrête un peu de jouer les innocents. T’aimes ça, que je te pousse dans tes retranchements. » J’esquisse un sourire amusé, avant de hausser les épaules. « Je dois aimer la souffrance, qu’est ce que tu veux que je te dise. » Mais ça ne te rend pas moins casse-couilles pour autant. Elle me pousse dans mes retranchements Jo, elle a toujours fait ça, c’est pour cette raison que, la veille de ma victoire, j’ai fait un premier pas vers elle alors que je m’étais promis que notre relation resterait purement amicale. Oh, elle m’a bien vite attiré, la brune. Sauf que je m’étais promis de ne rien tenter avec elle, au risque de ne plus pouvoir me regarder dans le miroir. Flirter avec elle tout en sachant que je trichais dans le concours, c’était lui foutre un sacré coup de couteau dans le dos. Bien sûr, je n’ai pas choisi. Je n’ai rien demandé et je n’ai inventé ni le jeu, ni ses règles. Mais j’ai accepté de jouer sans me rebeller, sans jamais menacer la production de révéler le pot aux roses : j’avais des solutions. J’ai simplement courbé l’échine. Et je n’ai pas réussi à rester aussi éloigné d’elle que la droiture l’aurait voulu.

« Si j’avais voulu savoir qui tu baises, j’aurais tapé ton nom sur Google. » « Classe. T’as pas changé d’un pouce. » Et si dans la bouche de n’importe quel autre garçon de ferme bien pensant cette déclaration aurait pu être un reproche ou même une insulte, il n’en est rien. Je n’aurais pas l’air aussi amusé si c’était le cas, et je n’afficherai pas ce petit sourire en coin. Je ne le contrôle pas vraiment. Je me suis juste revigoré en la présence de la jeune femme et confronté à son franc parler. Depuis ma victoire, depuis que je suis quelqu’un, il n’y a plus grand monde qui soit aussi authentique avec moi que Joséphine Carter l’est. Elle n’a pas peur de me dire mes quatre vérités sous prétexte que je suis une personnalité publique et que j’ai des relations. Elle ne tente ni de me brosser dans le sens du poil, ni de me manipuler et dieu que ça fait du bien. « J’en ai rien à foutre de ta vie privée, j’ai passé l’âge de prêcher le faux pour savoir le vrai, et je fais pas partie de ton public ; j’ai dépassé le stade où je pense à toi pour m’aider à m’endormir. » - « Non, même pas certains soirs ? » J’utilise l’humour parce que je suis mal à l’aise. Je suis tombé dans un piège qu’elle ne me tendait même pas. « Ça te titille même pas un peu ? Tu t’es jamais posé la question ? » Si je l’interroge, c’est plus pour la provoquer ou provoquer une réaction, n’importe laquelle, tant que ce n’est pas de l’indifférence, que pour nourrir mon égo. Moi je me suis posé la question à chaque fois que la presse à scandale lui a prêté une relation avec une personnalité en vue du moment. C’était avant qu’elle ne tombe dans l’oubli et si c’était douloureux, je préférais ça au silence radio auquel j’ai eu droit après. Quand les journaux l’ont oubliée, moi pas. Je fouillais toujours ces feuilles de chou à la recherche de la moindre bribe d’information la concernant. Plusieurs fois, j’ai regardé mon téléphone pendant de longues minutes, hésitant à la contacter pour avoir moi-même l’information. Puis j’ai fait ce que je fais de mieux : j’ai été lâche et, pour justifier ma couardise, je me suis dit que je le faisais pour elle, qu’elle m’aurait contacté si nos demies promesses avait voulu dire la moindre chose pour elle. « Alors c’est tout ? Écrire sur ce qu’il se passe dans mon cœur ou dans mon lit ? La moitié des chanteurs à succès ont certainement pas une vie aussi mouvementée que ça, doit y avoir une autre solution. » Inventer, certainement. La vie a prouvé que je n’étais pas si mauvais que ça pour raconter des salades. « J’ai pas envie de passer ma carrière à chanter sur mes flirts et mes déceptions amoureuses. J’ai plus vingt cinq ans. » J’ai été amant, ex déçu, je suis père et je fais de mon mieux pour m’investir dans ce rôle là. Est-elle là ma solution ? Nourrir mes textes de mon amour pour Posy ? Je refuse de me servir d’elle pour donner un nouveau souffle à ma carrière.

« Te plains pas de pas pouvoir écrire quoi que ce soit dans ce cas. Je te donne des conseils, t’en fais ce que tu veux… après tout je suis qu’une pauvre serveuse qui crèche chez sa grand-mère. » - « T’es pas que ça. On le sait tous les deux. » Elle a du talent, elle en avait en tout cas et je suis prête à parier qu’elle n’en a pas perdu la moindre goutte. Je ne pensais pas qu’elle baisserait les bras aussi facilement, ceci dit. « J’ai sans doute plus rien à t’apprendre. Toi qui prétendais, qu’entre toi et moi, c’était toi le moins fait pour tout ça. » Je laisse échapper un rire, avant de secouer la tête. « Je le pense toujours, tu sais. T’aurais fait un tabac. » Elle aurait dû faire un tabac. Après un silence et sans trop savoir pourquoi, j’ajoute. « J’ai acheté ton EP, tu sais. » J’ai été renversé par chacune des chansons de l'album, mais peut-être est-ce parce que j’étais déjà acquis à sa cause. Je le suis encore. « C’était bon. Un peu prétentieux peut-être… » Et mon avis personnel, c’est que c’est à cause de ça qu’il a pris la poussière sur les étagères des disquaires. Pour séduire son public, il faut être rafraichissant, agréable, fun, et ce n’est qu’après qu’on peut montrer ce qu’on a vraiment dans le ventre. Elle l’a fait trop tôt, moi j’ai tardé et n’arrive plus à le faire. « Mais c’était prometteur. T’as des tripes, et ça se sentait. » Et certainement plus de choses à dire que je n’en aurais jamais. Moins de pudeur et plus d’audace, aussi. « Mais t’as baissé les bras. Pourquoi ? » L'orgueil ? Je ne veux pas croire qu’elle a jeté sa carrière aux orties pour ça. Je n’arrive pas à envisager que Joséphine Carter ait pu baisser les bras à cause d’un échec.

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"Quoi ? Toi, tu baises pas, tu fais l’amour, c’est ça ?" Elle se mit à rire, de ce rire goguenard de dessin-animé, qui fait secouer les épaules et se tenir le bide ; ce qu’elle ne fit pas, elle n’était pas aussi théâtrale finalement "C’est vrai que ça colle à l’image de lover qu’on a voulu te donner à l’époque. T’es vraiment devenu ce qu’ils ont voulu que tu deviennes, ça me tue." Elle le singea dans une grimace rapide, parce que c’était sa seule arme à Jo, de se foutre de sa gueule alors qu’il lui révélait avoir des difficultés pour écrire. Elle était censée avoir de la pitié pour lui, alors qu’il essayait de la prendre à son propre jeu, forant dans la masse de ce qu’il s’était passé entre eux pour essayer de la déstabiliser ne serait-ce qu’un tout petit peu ? Il pouvait bien aller se faire voir, et elle n’hésita pas à le lui dire quand la mention de ses histoires de fesses fut faite. Elle carra les mâchoires sans vraiment le vouloir, son regard, déjà sombre, devint plus noir encore "Va te faire foutre, Midas. Ça répond à ta question ?" Est-ce qu’elle s’était posé la question, à propos de sa vie privée ? Plus qu’il ne serait en mesure de se l’imaginer, mais à quoi ça l’avancerait de le savoir ? Si elle-même avait un ego plus gros que son tour de taille, elle n’était pas du genre à aimer polir celui des autres, quand bien même c’était celui de quelqu’un pour qui elle avait de l’affection. Et même de ça elle en doutait maintenant, alors qu’il était évident qu’ils appartenaient désormais à deux mondes bien différents.
Ses yeux dans les siens à distance, elle se somma de ne pas être la première à les baisser, et elle s’y tint jusqu’à ce qu’il reprenne la parole et qu’elle lui réponde dans la foulée "Et si tu crois que c’est plus profond que tes histoires de coeur ou tes histoires de cul, tu t’es planté de carrière. Fallait devenir diplomate ou missionnaire si tu pensais pouvoir faire passer des messages humanitaires dans tes chansons." Et elle secoua la tête, se détournant finalement du spectacle qu’il lui proposait en parlant comme un grand sage qui avait six ans de plus et des aspirations différentes. Ça la faisait probablement un peu rager en silence, de remarquer son évolution quand la sienne avait décrue en comparaison, seulement plutôt crever la bouche ouverte que de lui donner l’occasion de s’en apercevoir.

Et elle enchaîna sur le reste en gardant son attention posée sur la console du studio, ses yeux faisant des aller-retour entre plusieurs boutons pour se relever et finir au loin, sur la cabine de l’autre côté de la vitre qu’elle fixa un temps infini, bercée par les paroles de Midas à qui elle tournait le dos désormais. Subitement, elle fit un tour sur elle-même pour rebondir sur ce qu’il disait, et dans une démarche malhonnête de vouloir lui faire un peu de mal au passage, lui qui lui avait dit aimer la souffrance, elle lui balança sans délai "Qu’est-ce que t’en sais si je suis pas que ça ? C’est vrai quoi, on se connait pas dans le fond." Et ça, c’était remettre en doute tout ce qu’ils avaient vécu à l’époque de leur participation à The X Factor, ce lien si fort qu’il était perturbant sur la durée. Pourtant, elle ne battit pas en retraite, continuant de le fixer sans chercher à faire autre chose que de l’atteindre pour voir ce que ça lui ferait de comprendre que, peut-être, ce qu’ils avaient partagé n’avait pas compté, quand en vérité ça avait été la seule chose qui avait compté à ses yeux pendant des années au point de la rendre malade, aigrie et malheureuse.
Dans la foulée, elle croisa les bras sur sa poitrine après avoir reposé sa cannette de soda vide. En définitive, c’est lui qui la blessa quand il commença à parler de sa carrière avortée. Elle eut un sourire amer, puis dans une légère secousse de sa tête, elle commença, retenant une révérence qui se transforma par un double-majeur qu’elle lui accorda sans aucune classe "Je dois te dire merci pour ça ?" Pour avoir consenti à jeter une oreille à ce qu’elle avait produit quand de son côté, on lui avait tout servi sur un plateau d’argent ? Retenant un nouveau sourire amer, elle se mordit brièvement les lèvres à la place, cherchant de nouveau quoi dire dans le plafond bas du studio, sentant sa gorge se serrer pendant que tout un tas de choses méchantes et mesquines lui passaient par la tête quand il continua sur sa lancée ; elle garda tout pour elle cette fois, Jo. Elle ne lui dit pas non plus de fermer sa gueule quand il en vint à la question fatidique et qu’elle ne sut quoi lui répondre sur l’instant, baissant de nouveau le regard pour trouver le sien et finir par lui cracher, en léger différé, avec plus de détresse qu’elle n’aurait aimé le faire, son intonation vacillant juste assez pour qu’elle sache qu’il s’excuserait, ou qu’il la prendrait en pitié "Ma grande-mère est malade. Je suis la seule qui a voulu emménager ici pour s’occuper d’elle. Ça va hein, commence pas avec tes grands discours sur la notion de sacrifice et toutes ces conneries, j’ai pas besoin d’entendre que ça va me rendre encore plus malheureuse de vivre pour elle en laissant mes rêves de côté." enchaîna-t-elle, une main abattue dans l’espace qui les séparait, sans lui laisser le temps de dire quoi que ce soit en vérité, se défendant déjà sans qu’il ne l’accuse de quoi que ce soit ; mais elle était comme ça, toujours sur la défensive, à ne pas se sentir obligée de justifier ses choix, mais à les défendre parce qu’elle avait conscience du gâchis que représentait sa résignation. Sans délai, elle s’était tournée de nouveau vers la console, et c’était tant mieux, ça lui permit un instant de retenir sa respiration pour mieux se laisser redescendre en pression, sentant ses doigts frémir sous la somme de l’effort qu’elle venait de faire en avouant la principale raison de la déroute de sa carrière à quelqu'un qui avait toujours cru en elle, malgré ce qu’elle serait tentée de prétendre par fierté.

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« Quoi ? Toi, tu baises pas, tu fais l’amour, c’est ça ? C’est vrai que ça colle à l’image de lover qu’on a voulu te donner à l’époque. T’es vraiment devenu ce qu’ils ont voulu que tu deviennes, ça me tue. » La jeune femme est secouée d’un rire théâtral, cynique et, pour ne pas lui donner la satisfaction d’avoir touché là où ça fait mal - pas à cause de sa vulgarité ou de son allusion à mes pratiques sexuelles, mais bien à cause de sa dernières déclaration - je me contente de lever les yeux au ciel. Ne se souvient-elle pas que, doux et attentif, je l’ai toujours été ? Pourquoi s’obstine-t-elle à me présenter comme la marionnette de la production - autrefois - et à présent du label en me dépouillant par la même occasion de qualités qui me sont propres et que j’ai toujours possédées ? Peut-être suis-je dans le faux. Peut-être que c’est idiot de lui parler comme si six années de s’étaient pas écoulées depuis l’émission et la dernière fois que nous avons été proches, peut-être que c’est trop audacieux, de la houspiller et de jouer avec elle comme si nous étions autre choses que deux inconnus à présent. Peut-être que c’est ce qui l’agace, Joséphine, l’impression que je la renvoie à une version d’elle-même qu’elle n’est plus. Pourquoi, lorsqu’elle me dit d’aller me faire foutre et que je note que son minois est contracté, je ne jurerais pas que je suis dans le vrai. Soit elle est touchée, soit l’agressivité est son mode de communication par défaut et je penche pour la première supposition. Où est-elle, la jeune femme qui, autrefois, m’a plaqué une main sur les lèvres pour qu’on ne me surprenne pas dans sa loge, en me confiant, sans se soucier de se mettre à nue, qu’elle voulait juste un peu plus de temps avec moi à ses côtés ? Sa façade de femme dure et innateignable, n’est-ce toujours qu’une façade, comme à l’époque, ou est-ce ce qu’elle est devenue, à force d’enfiler ce costume ? « Et si tu crois que c’est plus profond que tes histoires de coeur ou tes histoires de cul, tu t’es planté de carrière. Fallait devenir diplomate ou missionnaire si tu pensais pouvoir faire passer des messages humanitaires dans tes chansons. » - « Ton cynisme est désolant, Jo. » Je secoue la tête et, sans un mot mais en douceur, je récupère le carnet qu’elle tenait entre ses mains pour le refermer et l’éloigner. Si la seule chose que ma situation lui inspire sont des moqueries, je n’ai plus envie d’en parler et, moi aussi, je me referme. « Qu’est-ce que t’en sais si je suis pas que ça ? C’est vrai quoi, on se connait pas dans le fond. » - « Ouais peut-être que t’as raison. » Sauf qu’elle n’y croit pas, et que je n’y crois pas plus. Je ne pense pas qu’il soit possible de changer du tout au tout, et je ne pense pas qu’elle ait prétendu être quelqu’un d’autre, pendant les quelques semaines que nous avons passé ensemble lors du tournage de X-Factor. « Ou peut-être que c’est moi qui ai raison. Que t’as juste la trouille d’essayer d’être autre chose. » A cause de son égo et de sa peur de l’échec. Jamais je ne me permettrais de penser que sa défaite n’a affecté que son amour-propre. Je suis persuadé qu’elle en a été malheureuse, et je me sens coupable si j’ai été à l’origine de ne serait-ce qu’un peu de peine pour elle.

« Je dois te dire merci pour ça ? » La encore, la brune est sur la défensive et elle me présente ses deux majeurs. Moi, je voudrais lui dire qu’elle n’a pas besoin d’être une teigne et de mordre pour qu’on la respecte, qu’elle est bien plus belle lorsqu’elle est vulnérable. Oh, bien sûr, elle l’est toujours. C’est pour ça que sa réaction est aussi désagréable et qu’il me faut prendre sur moi pour hausser les épaules. « Tu me dois rien du tout, Jo. Je te le dis juste parce que je comprends pas que t’aies pas persévéré. » Parce que tout le monde voyait son talent. Parce qu’elle était un diamant brut et que je suis persuadé que, si elle n’avait pas laissé l’échec de son premier EP l’achever, elle aurait été capable de faire oublier à tout le monde que j’avais gagné et qu’elle avait perdu. X-Factor, c’était un moyen comme un autre d’atteindre la gloire, un incubateur, mais c’était loin d’être le seul et lorsque j’ai accepté contre mon gré l’arrangement de la production - la triche, appelons un chat un chat - j’ai naïvement pensé que pour elle, ça ne changerait rien. Qu’elle avait assez de talent pour pouvoir se passer de ça. « Ma grand-mère est malade. Je suis la seule qui a voulu emménager ici pour s’occuper d’elle. Ça va hein, commence pas avec tes grands discours sur la notion de sacrifice et toutes ces conneries, j’ai pas besoin d’entendre que ça va me rendre encore plus malheureuse de vivre pour elle en laissant mes rêves de côté. » - « C’est pas ce que j’allais dire. » Son insolence se brise, son intonation vacille, et je comprends que je ne me suis pas trompé. Qu’elle est là, l’ancienne Jo Carter, qu’elle est simplement ensevelie sous tout un tas de couches tissées par son besoin de se protéger. « C’est noble de donner de soi. » Pourquoi croit-elle que je ne peux pas la comprendre ? Parce qu’elle ne voit pas au-delà de l’image de tombeur superficiel et naïf que la production m’a donné à l’époque ? Parce qu’elle me cantonne à la superstar ? Elle ne sait pas, pour Posy. Elle ne sait pas à quel point ma gamine m’a transformé et responsabilisé, mais elle sait que, comme elle, je me suis toujours senti responsable des miens. « Tes frères ne te filent même pas un coup de main de temps en temps ? Aucun ? » Je n’ai connu que Leroy, celui qui l’accompagnait parfois lors des primes, mais je sais qu’elle vient d’une fratrie plus large que ça, une fratrie dont elle est la seule représentante féminine. Peut-être est-ce pour ça qu’elle s’est toujours bien entendue avec Olive. Jo est vulnérable, Jo n’a pas tant changé au fond et, si je meurs d’envie de la prendre dans mes bras, je ne m’autorise même pas une main rassurante sur son épaule. Je me contente de me pencher sur l’avant de ma chaise, de joindre mes mains pour lui assurer toute mon attention. « Qu’est-ce qu’elle a ? » Je pose la question à voix basse et je fais un pacte avec moi-même : si elle m’envoie sur les roses, je ne lui en voudrais même pas. Pas alors qu’elle a l’air de souffrir de la situation.

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De nouveau, elle laissa un rire lui échapper — un peu plus guttural celui-ci, tant sa gorge se contracta en l’entendant mettre le doigt sur quelque chose. Putain de Midas "Et t’es revenu vers moi pour me donner le courage d’être celle que je veux vraiment être, hm ?" qu’elle lui demanda, amère et de mauvaise humeur, ne se retournant pas vers lui pour ne pas avoir à affronter son regard et lui donner la satisfaction de se rendre compte en direct qu’il avait touché un nerf. Elle secoua la tête, poursuivant comme si elle ne s’était pas interrompu, la pulpe de ses doigts poussant des boutons sur la console sans qu’elle ne s’inquiète vraiment de ruiner des paramètres par défaut "Tu te donnes trop d’importance là." Mais elle oubliait à qui elle parlait, Jo. Et penser à ce que Midas Serling représentait pour elle, c’était creuser là où elle ne préférait pas creuser par peur de déterrer sa sensiblerie ; il était son âme-soeur, dans le sens large du terme, et pas dans celui des conneries à l’eau de rose qu’on voyait dans les films à la con que Nicholas la forçait à regarder pour se sentir mieux. Il l’avait comprise à la minute où ils avaient discuté pour la première fois, et il n’avait pas forcé pour la faire changer de comportement quand il avait saisi qu’elle était du genre à avoir plusieurs facettes, toutes plus aveuglantes et différentes les unes que les autres. C’était peut-être leur passion commune pour la musique qui l’avait rendu fier détenteur du secret de Jo Carter, ou c’était peut-être chose, dans les deux cas elle avait de son côté rapidement compris qu’il faisait partie de ces rencontres qu’on faisait qu’une fois dans sa vie et qui laissait une marque indélébile.
Non, elle ne pouvait pas prétendre qu’ils ne se connaissaient pas, quand elle avait la certitude qu’il était celui qui la connaissait le mieux, et ça en devenait terriblement difficile à accepter puisqu’ils avaient passé tant d’années sans même se parler. La responsabilité pouvait lui être incombée, elle avait eu trop mal, trop honte, d’échouer pour accepter sereinement qu’il réussisse en retour, et c’était un sentiment de dualité plus fort encore que celui qu’on leur avait imposé à l’époque, qui s’était alors présenté à elle.
Elle le détestait autant qu’elle l’adorait, Midas. Et elle n’était pas aussi tolérante que lui avec autrui,  Josephine, elle n’était aussi bienveillante non plus pour vouloir l’encourager de nouveau, maintenant qu’il avait tout : elle était jalouse — de lui, de son succès, de ceux qui gravitaient autour de lui, de ces femmes sur qui il écrivait ou pas et qu’il avait eu dans son lit ; tout en étant foncièrement certaine d’occuper une place spéciale pour lui, et d’avoir eu une incidence sur un moment de sa vie parce qu’il n’en avait pas rencontré beaucoup non plus, des femmes comme elle. Elle soupira, relâchant sa respiration pendant que sa poitrine se baissait en même temps. C’était tellement épuisant dans le fond, cette ambiguïté latente, qu’à ce moment-là, elle aurait pu partir et le laisser mariner encore longtemps à propos de sa proposition.
Mais elle était fière, et avec ça, elle avait le besoin compulsif d’avoir toujours le dernier mot, ce qui lui fit lui dire, quand il parla de persévérance, et qu’enfin, elle prit un instant pour se retourner et le regarder avec cette petite étincelle dans les yeux qu’elle devait à un maquillage soigné, mais aussi à une effronterie qui lui venait aussi naturellement que sa respiration "Je comprends pas non plus, mais qu’est-ce que tu veux que je te dise ? Y a des mystères qui sont faits pour ne pas être résolus et je doute que celui-là te tienne éveillé la nuit." Ferme ta gueule, Jo, qu’elle s’entendit penser tandis qu’elle affrontait ses yeux un moment de trop pour qu’il comprenne qu’elle, ça l’avait parfois empêchée de dormir de penser à son destin avorté, à sa carrière enterrée en même temps que cette sensiblerie qu’elle lui réservait entièrement, comme un cadeau précieux dont il était digne, mais de quoi il n’avait pas su quoi faire, et qui avait pris la poussière pour s’avérer obsolète aujourd’hui.

Elle était différente maintenant, comme lui. Elle ne prenait plus le temps de s’arrêter vraiment sur ce qu’elle ressentait parce qu’elle avait d’autres problèmes à gérer ; et le plus gros, elle lui en parla dans la foulée de son interrogation, comme pour le forcer à comprendre qu’elle n’était pas si lâche qu’il le sous-entendait, et que même si c’était vrai pourtant, son échec n’avait pas représenté grand chose dans sa décision de tout arrêter.
Parler de la maladie d’Ava, ce n’était pas ce qu’elle préférait faire, et elle le faisait trop souvent en ce moment pour que ça ne l’atteigne pas encore plus. De nouveau face à la console, elle se haït tout bonnement d’avoir sauté sur l’occasion pour lui en parler, puis elle eut un sourire amer qu’il ne vit pas, quand elle lui répondit "Mes frères ont une vie de famille, et à partir du moment où mon père a décidé que la meilleure solution, ce serait de l’envoyer croupir dans une maison de retraite, ils se sont rangés de son côté en prétendant que ça les regardait pas, que c’était pas leur responsabilité." Niveau prise de décision, les fils Carter étaient du genre à ne pas savoir le faire sans que papa soit derrière leurs fesses, à les pousser pour qu’ils abondent en son sens. Elle haussa les épaules, garda un instant pour elle son émotion sans la faire éclater cependant, frottant juste le coin interne d’un de ses yeux pour sommer à ses putains de larmes de rester à leur place ; et elle était persuasive Jo, alors elles restèrent là, à faire briller ses yeux qu’elle laissait vadrouiller sur la console, encore et encore, lorsqu’elle avoua au jeune homme "J’avais pas envie que des inconnus s’occupent d’elle, c’est pas n'importe qui." Et il pourrait attaquer son manque d’objectivité si ça lui faisant plaisir, pour ce qu’elle en avait à cogner à ce moment-là, de passer pour une petite-fille trop éprise par sa grand-mère pour avoir le recul nécessaire. Elle resta muette un instant après ça, sentant Midas remuer derrière elle alors qu’il s’installait en conséquence sur son fauteuil. Et sans le voir, elle l’imagina, penché en avant, les mains jointes, comme le sage qu'il avait toujours été, même lorsqu’il avait moins d’années au compteur ; quand enfin elle se retourna dans une voltige mesurée, posant ses reins sur le bord de la console quand sans faire de pirouette, elle lui répondit sur la même intonation qu’il choisit pour la questionner — preuve que plusieurs années après, ils étaient toujours capables de s’harmoniser sans que ça ne représente un effort à faire "Alzheimer." Et rien que ça, ça voulait tout dire, alors elle ne prit pas le temps de le laisser songer à tout ce que ça impliquait dans son quotidien, elle lui dit seulement, détournant le regard en feignant une nonchalance galvaudée par ce qu’il connaissait de sa relation avec Ava ; elle ne le tromperait pas, mais elle essaya tout de même en restant suffisamment de marbre pour ne pas donner l’impression qu’elle avait envie de pleurer à ce moment-là "C’est pour ça que je suis pas certaine de pouvoir participer au revival. Je veux pas lui imposer des changements dans sa routine sans qu’on m'assure que ça me mènera à quelque chose à la fin." Elle secoua la tête, désignant de la même quelque chose d’invisible devant elle "De toute façon, même si on me le certifie, j’ai pas envie de la laisser en cours de route." Je suis baisée, aurait-elle pu ajouter, puisque c’était ce qui arriverait dans tous les cas de figures auxquelles elle s’'était mise à songer très rapidement après qu’ils se soient vus, à la maison de retraite.
Soudain, elle eut un autre rire, encore, pour dédramatiser tout ça, et pour se donner la force d’ajouter, tournant enfin son regard vers lui pour lui expliquer, plus doucement qu’elle ne l’aurait voulu "C’est pour ça que je te déteste, tu sais." Elle opina, levant la tête en haussant les sourcils, se mouvant enfin pour rejoindre le sofa qu’elle avant abandonné tout à l’heure et renfiler ses chaussures dans la foulée "Tu peux pas t’imaginer dans quelle merde t’es en train de me mettre en me faisant miroiter des choses auxquelles tu sais très bien que je peux pas dire non." Parce qu’elle ne chantait plus comme avant, parce qu’elle n’en avait pas le temps, qu’elle n’en voyait plus tellement l’intérêt quand elle avait pris conscience qu’il y avait plus important que ça, perdant une partie de son oxygène dans la manoeuvre. Faire partie de la promotion de ce revival, ce serait renouer avec ce qu’elle avait toujours été ; ce serait aussi renouer avec lui, qu’elle regarda sans expression cette fois, songeant à l’autre problématique de ce dilemme qui la remuait depuis qu’il s’était pointé : si elle acceptait, elle aurait l’impression d’abandonner sa grand-mère, et de toutes les choses discutables qu’elle avait faites au cours de sa vie, ce serait celle qui anéantirait tout le crédit qu’elle s’accordait depuis toujours.

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Midas Sterling & @Jo Carter

« Et t’es revenu vers moi pour me donner le courage d’être celle que je veux vraiment être, hm ? » Je lève les yeux au ciel, agacé par son cynisme. Elle l’use tant que ça en devient trop alors qu’elle n’a pas besoin de le brandir pour se protéger, pas avec moi. Je ne cherche ni à l'attaquer, ni à devenir son chevalier servant. Je sais qu’elle détesterait ça, Jo. Elle aime trop prouver au monde qu’elle est capable de se débrouiller seule. Moi, je ne suis là qu’à cause de motivations égoïstes, je dois bien l’admettre. Sa compagnie me manque. Sa présence me manque. Elle m’a toujours manquée mais, jusque là, je n’avais pas trouvé l’occasion, l’excuse pour provoquer une réunion. « Tu te donnes trop d’importance là. » T’es chiante Jo. Mais il me semble que le dire une fois de plus, ce serait trop. « J’aurais bien aimé. Mais je suis pas si altruiste. » Pourtant si. J’ai eu le sentiment de l’avoir été en la laissant s’éloigner Jo. J’ai toujours eu le sentiment que tenter de la garder dans ma vie alors que je l’avais blessée, c’était égoïste.

« Je comprends pas non plus, mais qu’est-ce que tu veux que je te dise ? Y a des mystères qui sont faits pour ne pas être résolus et je doute que celui-là te tienne éveillé la nuit. » Je pousse un soupir en me faisant la réflexion que, peut-être, je vais plus vite que la musique. Nous ne nous sommes pas vus depuis des années, qui suis-je pour penser que j’ai encore le droit - que dis-je, le privilège - de partager ce genre de réflexion avec elle ? Je suis à ça d’abandonner quand la façade austère de la brune se fragilise et, sans tomber à ses pieds, se fissure assez pour que je puisse entrevoir un peu de la vérité. Elle n’a pas abandonné par excès d’égo ou de fierté. Elle n’a pas raccroché les gants parce qu’elle ne possède pas assez de force de caractère pour s’accrocher. Peut-être que l’échec de son premier album n’a pas aidé, mais il y a une autre raison et si je suis soulagé de voir que j’avais raison de gratter, c’est de courte durée. Elle fait face à une ennemie contre laquelle je ne peux pas la défendre, est engagée dans un combat dans lequel je ne peux apporter de vrai soutien : celui contre la maladie. Celle de nana, en l'occurrence, et je sais à quelle point sa grand-mère compte pour elle. Le pire dans tout ça, c’est qu’elle est seule. « Mes frères ont une vie de famille, et à partir du moment où mon père a décidé que la meilleure solution, ce serait de l’envoyer croupir dans une maison de retraite, ils se sont rangés de son côté en prétendant que ça les regardait pas, que c’était pas leur responsabilité. » Ses yeux brillent et, si je sais qu’elle ne pleurera pas face à moi, je saisis malgré tout l’ampleur de sa peine grâce à ce simple fait. Il est rare qu’elle laisse tomber les masques, Jo, que ce soit volontaire ou pas. Serais-je prêt à mettre mes rêves de côté pour m’occuper de l’un de mes parents comme elle le fait ? Je l’ignore, je ne suis pas certain, à vrai dire. Est-ce que pour autant, je ne comprends pas ? Loin de là. « J’avais pas envie que des inconnus s’occupent d’elle, c’est pas n'importe qui. » C’est au contraire la personne qui l’a toujours soutenue, en tout cas c’était le cas à l’époque de l’émission. « Et en voyant que t’étais prête à la prendre en charge, ton père a pas proposé de t’aider ? » Qu’il ne veuille pas faire de sa mère une obligation est une chose, qu’il regarde sa fille mettre sa vie entre parenthèses pour assumer une responsabilité qui ne devrait pas être la sienne en est une autre. A sa place, un autre père aurait pu trouver un arrangement pour porter secours à la jeune chanteuse. « Alzheimer. » Merde. Je hoche la tête, sans pouvoir affirmer que je comprends - aucun de mes proches n’est atteint de cette maladie - mais elle est assez dépeinte dans les médias pour que je puisse savoir que c’est lourd à gérer, et éprouvant pour les proches. « Et t’es entièrement seule ? Elle a pas d’infirmière ou d’aide soignante à domicile qui te décharge d’une partie du travail ? » Comment fait-elle pour jongler avec tout ça ? Comment réussit-elle à ne serait-ce que tenir un boulot ? A quel stade de la maladie est sa grand-mère ? Quand nécessitera-t-elle une surveillance étroite en permanence ? La jeune femme s’est-elle déjà posé ces questions ?

« C’est pour ça que je suis pas certaine de pouvoir participer au revival. Je veux pas lui imposer des changements dans sa routine sans qu’on m'assure que ça me mènera à quelque chose à la fin. » Comment puis-je encore ne m’en tenir qu’à mes envies égoïstes - l’avoir à mes côtés, chanter avec elle et retrouver notre complicité - quand elle joue à un jeu bien plus dangereux que moi ? Joséphine a raison : elle a bien plus à perdre que moi et, le nier, c’est être aveugle et je ne le suis pas. Je ne suis plus un jeune homme trop fougueux pour réfléchir et prendre du recul. Je suis un père, un père qui a des responsabilités. Partirais-je en tournée ou m’engagerais-je dans ce genre d’émission si Posy était malade et avait besoin de moi à ses côtés ? Jamais. « C’est le souci avec ces trucs là. On peut jamais savoir, c’est un pari. » Et ma déclaration n’est ni moralisatrice, je ne me prends pas plus pour un donneur de leçons. Je ne fais que lui montrer que j’ai compris ce qu’elle ressent. Ce n’est pas par fierté, ce n’est pas juste le fait de ne pas être certaine de gagner. C’est l’idée de sacrifier quelqu’un à qui elle tient pour peut-être rien.

Si je demandais à la production d’arranger la victoire pour elle, que me dirait-on ? Est-ce que ça changerait quelque chose ? Je ne suis pas désintéressé, je participe à l’émission pour mes propres raisons, mais chercher la victoire n’en fait pas partie. « De toute façon, même si on me le certifie, j’ai pas envie de la laisser en cours de route. » Mon esprit retourne la situation dans tous les sens pour imaginer une solution - une qui impliquerait de mentir et tricher à nouveau, mais pour elle, cette fois - en me demandant si c’est viable et si c’est la bonne chose à faire. Et si elle le découvrait ? « C’est pour ça que je te déteste, tu sais. » Si mes yeux étaient jusque-là baissés vers le sol, je les relève à présent en direction de la brune. « Tu peux pas t’imaginer dans quelle merde t’es en train de me mettre en me faisant miroiter des choses auxquelles tu sais très bien que je peux pas dire non. » - « Je suis désolé. » Et c’est sincère. Pourtant, suis-je désolé de l’avoir avec moi, à mes côtés, là, maintenant ? Pas le moins du monde. « J’avais pas la moindre idée. » Je ne pouvais pas savoir, non ? « Et si tu pouvais l’emmener avec toi ? Si les choses pouvaient être organisées de sorte qu’elle ait sa propre loge, à côté de la tienne. Tu n’aurais à la laisser que pour les primes. » Je ne sais pas si c’est de l’ordre du réalisable, mais je suis conscient de ne pas être médecin ou, à défaut, spécialisé pour l’avoir côtoyée, la maladie. « Je comprendrais que tu refuses. J’aurais pas dû sous-entendre que c’était une question de fierté. » Peut-être qu’elle l’est, fière, mais les enjeux sont également bien plus importants que ça. « J’ai pas envie d’être le type qui te dit que t’as la vingtaine, et que ta grand-mère voudrait que tu vives ta vie. » Parce qu’elle l’a devant elle. « Mais si y’a quelqu’un qui peut trouver un moyen de faire les deux, vivre ta vie sans la laisser tomber, c’est toi. » Parce qu’elle a plus de mordant et de résilience que la plupart des gens que je connaisse.

you took me back but you shouldn't have,
now it's your fault if i mess around
Jo Carter & @Midas Sterling (crédit gif/harley)

Elle eut un sourire, le genre sans joie, assez douloureux pour qu’il ressemble à une grimace sans en avoir l’air "Mon père m’en veut à mort d’être partie de la maison et d’avoir brisé ses putains d’espoirs de faire quelque chose de bien de moi et mes frères. Il a pas voulu me reprendre quand je suis rentrée à Dalby après ma foirade avec l’EP." Elle lui passerait tout le discours qu’elle avait essuyé ce jour-là, alors qu’elle avait mis sa putain de fierté de côté pour admettre qu’elle avait besoin qu’on l’aide. Elle se rappelait du petit sourire en biais allant avec ses brimades quand il lui avait craché à la gueule qu’il avait toujours su que, sans lui, elle ne ferait pas grand-chose de toute façon ; et il n’avait pas plus cru en elle quand elle lui avait annoncé vouloir prendre la charge d’Ava pour lui éviter le mouroir, alors qu’à l’époque, elle avait encore à peu près toute sa tête et qu’elle avait adhéré à l’idée de l’avoir avec elle, à la maison. Maintenant, elle comprenait que s’il avait accepté le marché, c’était pour de nouveau pouvoir lui faire entendre qu’elle avait besoin de lui pour avancer, et si sa fierté, encore elle, l’empêcherait de le dire à voix haute, elle pensait parfois que c’était vrai.
Elle haussa les épaules, poursuivant comme si elle ne s’était pas interrompue pour dire à Midas, sur un ton assez neutre pour faire passer tout ça pour une discussion de comptoir, alors que son coeur battait vite et fort dans sa poitrine "Il attend que j’admette que j’en peux plus pour intervenir, c’est sa manière de me faire comprendre que j’arrive jamais à grand-chose sans lui. Alors nan, il garde ses distances." Ils gardaient leurs distance. Son père, sa mère, ses frères, ses oncles… Jo était relativement seule, et ce n’était pas un problème sur le fond, mais sur la forme, ça devenait de plus en plus compliqué puisqu’elle savait que ça n’irait pas en s’arrangeant. Si elle avait eu la capacité de rêver à un moment de sa vie, c’était presque inenvisageable maintenant, et ça lui serra la gorge, de devoir l’admettre face à Midas qui lui montra tout son intérêt sur l’instant, lui posant des questions auxquelles elle répondit en s’inclinant en arrière, s’enfonçant dans le sofa pour se protéger du regard qu’il lui attribuait quand elle reprit la parole "Je réussis à la caser de temps en temps à St-Luke. Elle y allait avant, rendre visite à des amis qui sont là-bas, et je crois que les employés ont trop pitié de la situation pour me refuser l’accès quand j’ai besoin d’une heure ou deux pour faire ce que j’ai à faire." Et ça lui faisait mal au ventre, de considérer que sa situation était digne de la pitié qu’on lui accordait, et qui ressemblait davantage à de la compassion, mais trouver du positif dans tout ça, c’était devenu aussi difficile que le reste pour Jo "Nicholas garde un oeil sur elle quand je vais bosser. Elles s’entendent bien, avec sa grand-mère, elles se connaissent depuis des années." Autrement oui, elle était seule, et elle ne l’explicita pas à voix haute. C’était assez évident pour qu’elle ne s’échine à le lui dire alors qu’elle s’efforçait de garder la face, de ne pas fondre en larmes face à lui tant lui expliquer tout ça venait à lui exposer une intimité différente de celle qu’ils avaient partagé à l’époque.

Elle savait quelle genre d’image ça donnait d’elle d’entrouvrir cette porte-là pour qu’il comprenne, et elle savait qu’elle pouvait faire ce qu’elle voulait sur le moment, contrôler ses émotions en les tenant loin de lui, il la verrait trop vulnérable pour considérer que la comédie qu’elle jouait sans cesse soit valable. C’était ça le plus terrible dans sa relation avec Midas, c’était que c’était si facile de lui parler quand elle décidait de mettre son cynisme de côté et de considérer que c’était une bonne chose de s’adresser à lui comme l’ami — ou qu’importe — qu’il avait été pour elle à un moment donné de sa vie ; quand bien même elle lui en voulait quelque part, elle avait trop confiance en lui pour ne pas réussir à répondre à ses interrogations et à être honnête sans être insultante ou sarcastique. Elle aurait pu le détester davantage à cause de ça, de ce sentiment qu’il lui donnait de comprendre alors qu’elle n’en avait pas dit autant que ça finalement. Il ne lui avait toujours fallu qu'un truc pour saisir ses subtilités, et s’apercevoir que malgré les années, c’était resté inchangé, ça avait de quoi faire rager la vaillante bornée qui vivait en elle ; mais sur le coup, elle n’avait pas envie de lutter.
Alors elle baissa la tête pour, encore une fois, protéger ce qu’il devait voir briller dans ses yeux pendant qu’il s’excusait et qu’instinctivement, elle lui répondit "Je sais. Tu pouvais pas savoir." Elle pouvait au moins lui accorder ça à voix haute et lui enlever la culpabilité de penser qu’à sa gueule quand elle avait tellement de charge sur les épaules que ça devenait pénible de réussir à se tenir droite. Elle releva la tête finalement, trouvant rapidement ses yeux quand il continua, et qu’elle secoua la tête en rebondissant sur ses suppositions "C’est pas vraiment le problème. Je sais que je pourrais l’emmener, mais elle commence à peine à reprendre pieds et à se rendre compte de son environnement ici." Elle papillonna des yeux pour faire le point sur un coin au-dessus de la tête de Midas, trouvant soudain difficile de le regarder "J’ai pas envie de tout recommencer, ou de la laisser aux soins de quelqu’un d’autre." C’était aussi égoïste que les velléités du jeune homme de combler le manque d’elle qu’il ressentait, elle le savait, et c’est probablement pour se justifier qu’elle ajouta, sentant son menton trembler un très court instant quand elle finit par lui avouer "J’ai pas envie qu’elle me reconnaisse pas. C’est trop tôt. Je veux avoir le temps de me préparer encore un peu à ça et si je fais ça avec toi, je vais avoir d’autres priorités." Autrement dit, il deviendrait sa priorité, et c’était ce qui l’avait perdue, il y avait six ans de ça, non ? Elle laissa le silence s’installer juste le temps de se dire qu’elle préférait rester quelqu’un aux yeux de sa grand-mère que de devenir quelqu’un aux yeux des autres, et ça aurait été plus simple de l’exprimer de cette façon pour gommer le sous entendu en plus de sa réticence à être autant à son contact, pour une durée indéterminée pour le moment, mais elle le garda pour elle, se sommant de prendre une grande inspiration pour, effectivement, ne pas fondre en larmes devant lui.
Et sa poitrine de souleva graduellement quand elle emprisonna l’air dans ses poumons, le relâchant en se redressant pour serrer ses genoux entre eux et poser ses coudes dessus. Elle évita encore de confronter les yeux de Midas le temps d’une minute pour très doucement s’y opposer la minute d’après, sa langue balayant sa rangée de dents du haut avant de retrouver la parole et de lui dire, sentant le sourire qu’elle retenait faire tressaillir le coin de sa bouche "Si je te connaissais pas, je penserais que t’essayes de me flatter pour me faire accepter." Il y avait sans doute une part de vérité là-dedans, seulement elle pouvait déjà l’entendre lui rétorquer t’es chiante, Jo — pas que ça la chagrinait au passage, ça avait tout de mots d'amour dans la bouche de Midas. Pour autant, elle poursuivit sur sa lancée pour lui retirer l’envie d’intervenir en soulignant son caractère pourri "Mais je sais que tu crois vraiment à ce que t’es en train de dire." Et en une phrase, elle annulait presque ce qu’elle avait prétendu tout à l’heure, quand elle lui avait dit par méchanceté qu’ils ne se connaissaient pas — c’était faux, bien sûr. Elle ne pouvait pas lui enlever sa sincérité à Midas, et elle ne le ferait pas, mais ça lui faisait du mal qu’il puisse lui accorder autant de crédit maintenant, alors que pour le coup, elle doutait assez d’elle pour s’opposer à son éloge sans craindre qu’on la targue de faire dans la modestie "Je sais pas si je peux faire ça." Peut-être que ça le surprendrait qu’elle soit à l’aise à l’idée de l’admettre sans faire d’ironie. A vrai dire, elle ne se posa pas la question sur le moment, c’était sorti comme ça "Je réussis à peine à la laisser seule quand je dois aller bosser, c’est devenu une obsession de prendre soin d’elle. Je suis devenue capable que de ça." Ça revenait à dire qu’il n’y avait plus beaucoup de place pour lui aujourd’hui, que si elle avait évité d’être confrontée à son image, à sa voix, durant toutes ces années, c’était pour une bonne raison, et pas uniquement pour faire sa mauvaise tête ; tout ça, ça impliquait de bousculer ses priorités qu’elle avait déjà malmenées en abandonnant sa carrière. Et c'était assez triste pour qu’elle ne veuille pas qu’il s'y attarde ou qu’il lui assure le contraire, alors dans la foulée, elle ajouta, comme une confession faite dans l’espoir de noyer le poisson, encore plus quand elle se leva de nouveau du sofa pour s’approcher de la guitare accrochée au mur "Je chante même plus autant que ça."