in the end you have to face it all alone
Jo Carter & @Megan Williams (crédit gif/falwcll)

Elle penserait à organiser une soirée pyjama avec Barbie pour qu’elles parlent plus librement de leurs névroses en se tressant les cheveux après avoir chanté Cumbaya, mais dans la présente, s’épancher à son tour sur la manière qu’elle avait de dissimuler ses blessures, trop peu pour elle. Si elle était du genre à chialer en s’apitoyant sur son sort, encline aussi à faire peser son caractère sur les abus psychologiques et physiques de son père, sans doute qu’elle éprouverait un certain plaisir à saisir l’opportunité de Megan de lui en dire un peu plus maintenant, sur la manière dont elle avait été élevée de son côté, mais elle vivante, ou du moins en capacité de gérer ses secrets et ses émotions, ça n’arriverait jamais ; et ceux qui gravitaient autour d’elle devraient se figurer seuls de la conclusion, à savoir si oui ou non, elle n’était rien d’autre qu’une connasse doublée d’une égocentrique de base, ou si ça cachait quelque chose de plus profond, cette façon qu’elle avait d’envoyer bouler tout le monde quand ils s’approchaient de trop près. Peu importait, vraiment, et elle qui ne ratait jamais une occasion de vouloir l’attention dirigée sur elle, c’est avec un talent certain qu’elle la détourna rapidement pour s’intéresser de nouveau à la mélancolie de Megan qui la flattait peut-être un peu en prétendant qu’elle était l’élue, la faisant gardienne d’un autre de ses secrets qu’elle aurait moins de mal à accepter, bien que ça lui faisait plus de peine de la savoir au prise d’un passé qui l’avait fait souffrir. Est-ce qu’elle changerait de regard sur elle maintenant qu’elle savait ? Elle savait que non, et elle ne dérogerait pas à son attitude habituelle avec elle. Mais qui savait dans le fond, elle n’était pas inhumaine et dépourvue d’empathie quand ça concernait son entourage proche, et vu le chemin que prenait les choses, il y avait fort à parier que Megan referait bientôt partie de ses journées, même si ce n’était qu’au travers de textos mesquins sur sa dernière photo Instagram qu’elle jugerait trop beaucoup trop vilaine pour être postée en public. Et mine de rien, au milieu de tout ce bazar, c’était quelque chose de positif sur lequel compter.
Pas comme la certitude que Megan était coincée par Saül Williams, qu’importe ce qu’elle déciderait de faire à son sujet. Cette conversation-là, Jo ne voulait pas l’avoir aujourd’hui. Dans un passé pas si lointain, elle avait voulu lui rentrer de force dans la tête de régler tout ça, de faire quelque chose, mais elle avait saisi que ce n’était pas si simple que ça ; qu’il la tenait au moyen de quelque chose, et ce quelque chose, c’était un mélange trop compact pour que, la pauvre petite Megan, négligée et ballottée de famille en famille, ne craigne pas de perdre la vie meilleure qu’elle s’était construite sur des chantages et des complots. D’une certaine façon, maintenant Jo parvenait à comprendre, et ça lui faisait encore plus de peine ; que son futur soit basé sur la peur de tout perdre — ou de tout gâcher, comme la vie de ces enfants hypothétiques qu’elle ne lui soupçonnait pas de vouloir avoir étant donné la situation dans laquelle elle se trouvait, et qu’elle ne tourna pas en farce parce que si elle, elle n’imaginait pas son futur avec des enfants, c’était son problème, pas celui des autres.

Megan, elle lui donnait l’impression de vouloir une vie normale finalement, ce à quoi elle avait renoncé en acceptant le marché du père Williams. Elle était piégée pour une durée indéterminée, et ça aurait pu lui donner envie de la serrer dans ses bras si elle n’avait pas été aussi mufle. C’est Megan qui s’y colla quand, s’étant levée du bord du lit, elle se fit harponner au passage pour lui soutirer un peu de chaleur qu’elle lui avait dit ne pas vouloir lui donner, et son manque de conviction à refuser cette étreinte, elle disparut au moment où son nez effleura la ligne de sa clavicule et qu’elle l’entendit reprendre la parole pour mieux la faire froncer les sourcils et se redresser juste un peu histoire de voir son visage quand elle lui dit "Si on décide d’être de nouveau copines, faut que t’arrêtes d’essayer de deviner mes pensées. Moi-même je suis pas capable de savoir ce qu’elles veulent vraiment dire, alors c’est franchement pas la meilleure chose à faire." Elle marqua une pause, desserrant ses bras autour d’elle pour venir replacer les longs cheveux blonds de Megan sur ses épaules, et tenir très brièvement son visage dans ses mains en ajoutant dans la foulée "Je pense pas que ça vaut mieux que ça arrive pas. Par contre, je pense que tu mérites d’en avoir avec quelqu’un qui t’aimes vraiment." Qu’il aille se faire foutre, Ken Williams. Un petit hochement de tête, et elle tendit les bras pour resserrer l’élastique de sa propre que de cheval, détournant ses yeux du regard froid de Megan pour constater qu’en effet, il n’y avait pas grand chose de récupérable ; et qu’elles méritaient une pause.
Elle tourna de nouveau la tête vers elle quand elle la remercia encore une fois, sans qu’elle ne trouve ça nécessaire de lui rétorquer qu’elle n’avait pas à le faire, que c’était normal "T’as mangé quelque chose aujourd’hui ?" lui demanda-t-elle en l’observant d’assez près pour la trouver toujours aussi jolie, mais éteinte d’une manière qui lui briserait le coeur si tant était qu’il y avait encore quelque chose à briser "On a déjà bien avancé, on peut aller manger un truc et continuer ça plus tard. Ça bougera pas de toute façon, et je veux pas te faire de mal, mais t’as une sale gueule. Ça te ferait du bien de manger un truc." Et sa dernière portion de phrase, elle était prononcée de façon à au moins faire naître une réaction sur son visage de poupée.

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Megan Williams & @Jo Carter

Depuis la mort de Billie, je ne me suis pas autorisée à ressentir grand chose ou, plutôt, à montrer que je ressentais quoi que ce soit. Pourtant, si je ne fonds pas en larmes, je ne résiste pas à l’envie de prendre Jo dans mes bras une seconde fois, bien plus actrice de cette étreinte que je l’ai été la première fois. Ça fait du bien, un peu de chaleur humaine. Et je ne vais pas mentir, mais cela fait surtout du bien de retrouver la brune, que je n’ai jamais voulu chasser de ma vie quand je me suis révoltée contre les trop nombreuses fois où, à mon goût, elle tentait de me faire la morale et de s’ingérer dans ma vie privée, dans ma prise de décision et dans la gestion de mon quotidien. Je voulais taper du poing sur la table. Je voulais lui dire qu’à mon sens, être mon amie, c’était accepter mes décisions idiote et m’aimer et me soutenir malgré tout. Je n’imaginais pas qu’à la suite de notre dernière discussion, j’aurais le cœur brisé, ni que je constaterais avoir disparu des réseaux sociaux de la brune. Elle m’a manqué, ai-je seulement besoin de le préciser ? J’ai eu le sentiment que tout s’effondrait et que je n’avais plus personne vers qui me tournait parce qu’elle aussi, elle m’avait laissée. C’est con, mais je crois que maintenant que je respire son parfum, j’ai envie de chialer tant je suis soulagée, malgré le contexte dans lequel nous nous retrouvons.

« Si on décide d’être de nouveau copines, faut que t’arrêtes d’essayer de deviner mes pensées. Moi-même je suis pas capable de savoir ce qu’elles veulent vraiment dire, alors c’est franchement pas la meilleure chose à faire. » Je ne réponds rien. Je me contente de garder mes bras autour de ses épaules et mon visage près de ses cheveux bruns. Je n’initie pas non plus notre séparation, mais je me laisse faire, toujours hagarde. Elle replace une mèche de mes cheveux et garde mon menton entre ses doigts manucurés un peu plus longtemps, si bien que je ne la quitte pas des yeux. « Je pense pas que ça vaut mieux que ça arrive pas. Par contre, je pense que tu mérites d’en avoir avec quelqu’un qui t'aime vraiment. » Je déglutis difficilement et, en pleine désillusion, je me contente de murmurer. « Il pourrait. Peut-être qu’il pourrait. » J’ignore si j’y crois simplement. Mais je détourne le regard et change de sujet tout aussi rapidement, pour ne pas lui donner l’occasion de me dire que je nage en plein rêve et qu’il faut que je me reprenne en main.

« T’as mangé quelque chose aujourd’hui ? » Je plisse les lèvres et retrousse mon nez. « Je suis en deuil, pas anorexique. » Je suis plus sarcastique que je ne suis agressive. Je suis surtout en mode auto défense mais, rapidement, j’avoue pourtant qu’elle fait les bonnes hypothèses. « Mais non, pas grand-chose. » Pas depuis mon dernier repas frugal de la veille, mais je n’y peux rien : la détresse me serre la gorge. Je mange à peine, je dors à peine, il n’y a rien de bien surprenant au fait que je sois épuisée et que ce soit écrit sur mon front. Je dois faire de la peine à voir, avec mes traits froissés et mes yeux rougis de fatigue. « On a déjà bien avancé, on peut aller manger un truc et continuer ça plus tard. Ça bougera pas de toute façon, et je veux pas te faire de mal, mais t’as une sale gueule. Ça te ferait du bien de manger un truc. » - « Heureusement que j’ai pas de shooting photo prévu dans les prochains jours, c’est ça que t’es en train de dire ? » J’ai prévenu la marque pour laquelle je devais poser dans le courant de la semaine prochaine que je venais de perdre un membre de ma famille et que, par conséquent, il faudrait reporter. Du reste, je ne travaille plus au mirage : je ne suis plus attendue nulle part. « On peut. » Bien sûr, je ne garantis pas que je vais réussir à avaler grand-chose, mais je vais essayer, c’est déjà pas mal, non ? Toujours à genoux, je me redresse finalement et je frotte mon pantalon, puis mes mains avant de la dévisager. « Je connais rien de bien dans le coin, par contre. » Mais la gare n’est qu’à quelques blocs de rue, nous trouverons bien un fast-food répugnant, non ? « J’ai démissionné. » L’information semble sortir de nulle part, mais ce n’est pas tout à fait le cas. J’ai parlé de mon emploi du temps des prochains jours, et je n’ai pas oublié que c’est elle qui avait parlé de moi à Edge. « Pas des shootings sur lesquels j’étais bookée. Mais du Mirages, j’ai démissionné en début de semaine. » A vrai dire, pour l’instant, Damon a démissionné pour moi, puisque je n’ai pas pris la peine d'appeler Edge ou de lui envoyer un message. « Je suis désolée. Je sais que tu t’étais portée garante pour moi, en quelque sorte. » Elle avait au moins joué le rôle de l’intermédiaire, me parlant du studio de son ami.

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Jo Carter & @Megan Williams (crédit gif/falwcll)

Peut-être que Megan parlait de Damon quand elle murmura il pourrait, sauf que Jo n’essaya pas de savoir ce que ça voulait dire ni même de savoir si elle en avait quelque chose à faire. Elle avait toujours oeuvré du côté de la blonde parce que c’était son mode par défaut de défendre ceux à qui elle tenait un minimum, quand bien même elle le faisait souvent de la mauvaise façon, petite boule d’agressivité qui ne savait pas quoi faire de son hypersensibilité, mais elle savait dans le fond que le marché passé avec le père Williams était une chape de plombs vulgairement posée sur la vie des deux principaux concernés. Elle avait senti que Damon appréciait Megan, de là à vouloir lui faire des enfants pour correspondre au cliché du parfait petit couple ? Elle n’avait aucune idée s’ils pouvaient se permettre de pousser le vice aussi loin et si, à terme, en tant que spectatrice, elle accepterait que son amie continue la mascarade en mettant un enfant au milieu. Cependant, elle n’avait rien à dire sur tout ça, Megan avait été assez claire sur le sujet pour que, bien que ça lui tordait les entrailles et lui brûlait la langue, elle tairait son avis pour sauver ce qu’il restait à sauver de sa relation avec elle.
Elle n’avait pas réalisé qu’elle était aussi importante pour elle, cette relation, d’ailleurs. Mais c’était l’un des gros défauts de Jo, de se rendre compte, une fois qu’elle avait perdu quelqu’un, qu’il était vital à sa survie — et les mêmes schémas se répétaient sans cesse pour qu’elle s’enferme dans sa solitude tant elle ne savait pas dire aux gens qu’elle les aimait, ou qu’ils étaient importants pour elle. Elle n’admettait jamais les choses de cette manière, mais le ressenti était le même, et peut-être que, même compte tenu des circonstances, ça la soulageait de pouvoir de nouveau compter sur la blonde dans un avenir proche. Elle devrait faire des efforts, et elle commença d’ailleurs à en faire, prenant les rênes de la situation en s’inquiétant du sort de Megan qu’elle observa après s’être décollée d’elle, lui proposant une pause qu’elles méritaient amplement tant l’ambiance dans cette chambre était difficile à supporter.

"C’est exactement ce que je suis en train de dire." Elle exagérait. Même si elle était indéniablement éteinte, la blonde, elle restait magnifique ; le genre de femme endeuillée qui dégage une énergie différente du charisme qui est sien d’ordinaire, mais qui est aussi impressionnant tant en la regardant, on a envie de partager sa peine et de la protéger. Jo n’avait pas cet élan pour grand-monde, et probablement qu’à postériori, ça l’emmerderait profondément de se sentir responsable du bien-être de la jeune femme, mais en attendant, elle le faisait sans se forcer. Elle frotta ses mains sur le tissu léger de sa minijupe, grimaçant en sentant une accroche faite de poussières et de moutons de fibres lui donner la sensation qu’elles étaient crasseuses "On trouvera bien un truc à manger. Ce sera pas du niveau des restaurants étoilés que t’as l’habitude de côtoyer, mais je te jure que ça nous arrive de bien manger aussi, nous les pauvres." Ce genre de piques, elles auraient beaucoup moins de saveur maintenant que Jo connaissait une partie de l’histoire de Megan, néanmoins ce n’était pas pour autant qu’elle se forcerait à ne plus les lui attribuer. Elle voulait qu’elle continue à se comporter comme avant avec elle, non ? C’était une requête que Jo se sentait plus que capable de respecter.
De nouveau, elle resserra l’élastique de sa queue de cheval, se tournant enfin vers Meg qui se relevait de son exploration dans les trésors de sa défunte mauvaise mère "Pourquoi t’as démissionné ?" Pas que ça la regardait, ça non plus, mais c’était une question qui se valait quand Jo savait que Megan était passionnée par la photographie. Mais maintenant qu’elle était l’égérie de la marque de beau-papa, sans doute qu’elle préférait briller autrement qu’en se servant de la photogénie des autres, se contenant de la sienne pour faire autre chose que de vivre sur la rente de Damon. Jo haussa les épaules, son expression marquant sa pensée qu’elle exprima tout haut, se penchant vers le sol pour rassembler les fripes de la mère Monroe "J’ai toujours trouvé que t’étais trop bien pour bosser dans un endroit qui s’appelle Mirages." Elle l’avait dit à Edge, ça sonnait tellement strip-club louche tenu par un vieux pervers coffré pour exhibitionnisme — ou alors c’était comme mauvais porno des années 80 ? Elle ne savait plus très bien tant elle en débitait, des conneries, mais dans tous les cas, elle avait toujours su que ça ne serait que transitoire pour la blonde qui devait en avoir sa claque de photographier des jeunes mariés, et elle la comprenait sans trop de mal "T’as fait ce que t’avais à  faire. Si Edge t’en veut pas, je vois pas pourquoi je t’en voudrais. T’as trop de talents pour faire ce genre de trucs bidons de toute façon, et puis si tu veux exposer tes photos, Instragram c’est pas genre la plus grande expos-photos du monde ? T’as pas besoin de Mirages." Pas d’offense envers Edge. Il fallait tout de même dire ce qui était : il y avait d’autres moyens de percer dans ce milieu, et Megan le savait mieux que personne, si tant était qu’elle voulait vraiment percer un jour où l’autre.

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Megan Williams & @Jo Carter

« C’est exactement ce que je suis en train de dire. » Un mince sourire sans joie étire mes lèvres et, par réflexe, je frotte mes yeux. Mes cernes me dévorent peut-être une grande partie du visage mais, n’ayant pas prévu d’être photographiée dans les jours à venir, je m’en moque pas mal. Bien sûr, les apparences et surtout la mienne comptent à mes yeux. J’ai basé toute mon existence sur le fait d’avoir l’air confiante et sur le fait d’être belle. Sauf que je suis pour l’instant bien incapable de penser à tout ça et, comme Jo le pointe du doigt, je donne certainement l’impression de ne pas avoir dormi ou manger depuis plusieurs jours puisque c’est une affirmation relativement proche de la vérité. Je n’ai pas fait de vraie nuit ou de vrai repas depuis la mort de ma mère. En temps normal j’aurais répondu à la brune quelque chose du genre ”tu me flattes” mais sur l’heure, le sourire que j’étire est le maximum que je puisse faire. Je suis consciente qu’elle cherche à dédramatiser pour tenter de m’apaiser. Et par conséquent, je lui livre une confession qui ne pourrait pas être plus authentique. « Tu m’as manqué Jo. » Parce que c’est vrai. Ces derniers mois, j’ai compris à quel point la brune était importante à mes yeux, à quel point elle occupait une place importante dans mon existence.

« On trouvera bien un truc à manger. Ce sera pas du niveau des restaurants étoilés que t’as l’habitude de côtoyer, mais je te jure que ça nous arrive de bien manger aussi, nous les pauvres. » - « Tant qu’on se fait pas agresser dans la rue, est-ce qu’on peut vraiment dire qu’on est dans un authentique quartier de pauvres ? » Je sais ce qu’elle m’offre, Jo. Elle m’offre l’opportunité de tourner tout ça en dérision plutôt que de craindre de recevoir la moindre pitié de sa part, et ça marche. J’ai un peu moins honte maintenant que nous pouvons rire de ça et que je peux prétendre que je ne suis rien d’autre qu’une cul serré pleine aux as. Nous savons toutes les deux que c’est faux, mais je n’ai pas envie que cela change quoi que ce soit à notre relation. Je me redresse et abandonne la tâche qui n’a pourtant rien d’Herculéenne, mais qui vient de me vider du peu d’énergie que je possédais encore. Au salon, je me baisse au-dessus de la table basse, referme l’album photo et je le glisse dans mon sac à main. Je l’ai décidé dès que j’ai vu de quoi il s’agissait : c’est le seul objet de cet endroit que je conserverai.

« Pourquoi t’as démissionné ? » Puis-je avouer que je ne suis simplement plus capable de tenir un appareil photo, ou même de penser à en tenir un ? Ne va-t-elle pas me rire au nez et me dire que c’est ridicule, que je ne dois pas gâcher mon talent pour une raison si idiote ? J’ai vu dans les yeux de Damon qu’il ne comprenait pas, ou qu’il était déçu quand je lui ai demandé d’appeler Edge. Peut-être m’a-t-il trouvée lâche mais, si c’est le cas, il a au moins eu la décence de ne pas le dire à voix haute. « J’ai toujours trouvé que t’étais trop bien pour bosser dans un endroit qui s’appelle Mirages. » J’esquisse un sourire avant de laisser un soupire m’échapper. J’aimais bien cet endroit. Certes, c’était loin d’être le genre d’endroit où je pouvais bosser sur des photos qui m’animait vraiment, mais c’est aussi la première fois que quelqu’un m’a remarquée et m’a donné la chance de travailler dans quelque chose de bien plus authentique que les photos volées. « Je lui ai dit que c’était un chouette nom, moi. » Je n’ai toujours pas avoué, je le sait. « T’as fait ce que t’avais à  faire. Si Edge t’en veut pas, je vois pas pourquoi je t’en voudrais. T’as trop de talents pour faire ce genre de trucs bidons de toute façon, et puis si tu veux exposer tes photos, Instragram c’est pas genre la plus grande expos-photos du monde ? T’as pas besoin de Mirages. » - « J’ai besoin de personne. » Pour une raison bien plus évidente que l’indépendance ou l'orgueil. « Parce que je peux plus faire de photos, bidons ou pas. » Je ne sais pas comment l’exprimer autrement. J’ai mes deux bras, mes deux mains et une vue parfaite, mais j’ai l’impression d’être tout aussi bloquée que si un handicap physique m’empêchait d’utiliser mon appareil photo. Je n’ai pas essayé, mais je devine qu’il y a de grandes chances que tenter de forcer me laisse en proie à une crise de panique. « C’est elle qui m’avait offert mon premier appareil. » Peut-être qu’avec cette clé là, elle comprendra mieux. Je prie pour qu’elle ne me serve pas de discours pseudo-rassurant en m’expliquant que j’ai tout mon temps et que cela finira par passer. Je n’en sais rien, personne n’en sait rien. « Elle l’avait certainement volé quelque part et elle savait certainement pas comment s’en servir, mais j’ai eu l’impression que c’était le plus beau cadeau du monde. » Et j’ai l’impression, sans trop savoir l’expliquer, que cette partie-là de moi doit mourir avec elle. « Il m’en veut pas. Il a tenté de me faire comprendre que je peux revenir quand je veux, qu’il sera là pour moi si j’ai envie d’en parler… » Jo sait que je ne le ferai pas : je ne sais déjà pas comment me confier à mes proches. « Mais je sais que je changerai pas d’avis. » Et que, par conséquent, le brun peut déjà me chercher une remplaçante.

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Jo Carter & @Megan Williams (crédit gif/falwcll)

"Je sais." La réponse était facile à prononcer tant elle était un peu gênée que Megan lui fasse une sorte de déclaration sortie de derrière les valises qu’elle avait sous les yeux "Je fais souvent cet effet-là. Une fois qu’on me connait, on peut plus se passer de moi." Elle y croyait assez pour que ça sonne vrai, ce qu’elle ajouta donc l’air de rien, sa petite tête serpentant en même temps qu’elle faisait glisser la longueur de sa queue de cheval entre ses doigts se finissant par une manucure sans doute un peu trop longue. On pouvait compter sur elle pour tourner les choses de manière à ce que ce ne soit pas trop lourd, et parce que tout l’était déjà un peu trop à ce moment-là, portée par le deuil de la blonde, par ce qu’elle avait appris de son histoire, et par l’ambiance crasseuse de l’endroit, elle estima qu'il était temps de, si ce n’était tourner la page, au moins la laisser de côté le temps de quelques instants.
Jo, elle ne dit à pas à Megan qu’elle lui avait manquée aussi, elle ne le lui dirait probablement jamais ; et elle espérait que sa présence ici, et que l’énergie qu’elle mettait à lui décharger les épaules en l’aidant à se débarrasser des saloperies de sa mère ça lui mettrait la puce à l’oreille sur le fait qu’elle était importante pour elle.

"J’en sais rien en vrai. Je viens de la banlieue pavillonnaire d’une zone rurale, je fais juste semblant d’être une racaille." Qui savait se battre par ailleurs — elle avait un nombre de victimes qu’elle avait arrêté de dénombrer au jardin d’enfants, sans rire —, ce dont elle l’informa sans exagérer cette fois-là "Mais t’as rien à craindre avec moi. Tu sais que j’ai envoyé un de mes frères aux urgences parce que je l’ai mordu si fort qu’il lui a fallu des points de suture ? Je crains pas le quartier de ta mère, c’est le quartier de ta mère qui me craint." Elle penserait à se faire imprimer ça sur un t-shirt.
En attendant, elle suivit la jeune femme en l’interrogeant sur la démission dont elle venait de lui faire part, et récupéra sa veste pour l’enfiler de travers — un jour où l’autre, elle apprendrait à le faire dans les règles de l’art, mais pour l’heure, ça lui donnait de l’allure, et c’était ça le plus important. Aussi, si elle roula des yeux en entendant la jeune femme adhérer au travers de poète d’Edge qui avait donné à son studio-photos un nom à la mord-moi le noeud, elle ne roula pas des yeux à propos de la suite de ce qu’elle lui dit, la pointant même d’un doigt approbateur qu’elle vint faire s’échouer entre les deux yeux de la blonde en donnant l’impression qu’elle venait de la baptiser de sa capacité à croire que le monde tournait autour de son nombril ; amen "T’as besoin de personne." répéta-t-elle à sa suite comme un serment qu’elles auraient pu sceller en faisant un pacte de sang, seulement c’était déjà assez gênant comme ça pour tomber dans un remake craignos de The Craft "Tu veux plus faire de photos… tu veux plus en prendre, c’est — oh, je vois." La réponse à sa question, Jo l’eut bien avant de la poser, et ça lui mit un coup au coeur d’entendre Megan être aussi catégorique dans les faits. Mais elle la comprenait, et ce mieux que quiconque en vérité, alors elle n’essaierait pas de la faire changer d’avis. Parce qu’elle était putain de mal placée pour faire des discours larmoyants sur l’idée que c’était idiot de laisser sa destinée de côté quand on avait du talent, et qu’elle avait été assez à proximité de la jeune femme pour savoir qu’elle lui ficherait une carte Uno-Reverse dans la gueule si elle se lançait dans ce discours-là. De fait, elle choisit de ne rien dire d’autre, opinant juste en ramassant son petit sac qu’elle glissa à son épaule, et lui demanda seulement en se plaçant devant elle comme si c’était elle la plus grande d’entre elle quand, même avec des talons, elle devait lever la tête pour la regarder dans les yeux "T’as pas de regrets ? On s’en fout du reste : si t’as pas de regrets, c’est que c'est la bonne décision." Moi j’en ai, je sais de quoi je parle, qu’elle aurait pu lui dire. Mais là encore, elle ne le fit pas. Jo attendit seulement qu’elle lui confirme ce qu’elle savait déjà dans le fond : que la mort de sa mère lui permettrait d’envisager cette nouvelle vie qu’elle s’était choisie pour échapper à l’autre, celle qu’on lui avait trop longtemps imposée.

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Megan Williams & @Jo Carter

« Je sais. Je fais souvent cet effet-là. Une fois qu’on me connait, on peut plus se passer de moi. » - « Prends pas la grosse tête, tu restes une connasse. » Sauf que si une partie de moi l’a pensé il y a quelques mois quand j’ai eu le sentiment de la perdre, le sentiment qu’elle me tournait le dos comme beaucoup avant elle, il n’y a plus la moindre pointe de vérité dans mon affirmation aujourd’hui. Comment le pourrais-je, alors qu’elle vient de partager avec moi un moment d’une intimité troublante ? Je me moque de ces hommes à qui j’ai donné mon corps sans rien ressentir pour eux. En revanche, les personnes auxquelles j’ai ouvert mon coeur sont rares, très rares, et face à l’intensité de ma reconnaissance pour la brune - elle prend les choses en main alors que j’en suis de mon côté incapable - je ne sais pas agir autrement qu’en tournant tout ça en dérision, en lui servant de l’amour vache. Sauf que le sourire qui étire mes lèvres - même s’il est mince, compte tenu de mon état d’esprit et des circonstances - lève tout doute qui aurait pu demeurer. J’étais sincère : Jo m’a réellement manqué. Il n’y a pas beaucoup de gens avec lesquels je peux être aussi authentique, aussi conforme à la personne que je suis au fond.

« J’en sais rien en vrai. Je viens de la banlieue pavillonnaire d’une zone rurale, je fais juste semblant d’être une racaille. » - « Je savais bien que t’étais pas vraiment des nôtres. » Il n’y a bien qu’aujourd’hui que j'emploierai ce terme pour désigner la frange la plus pauvre de la population de Brisbane. Parce qu’ils ne sont pas les miens, ils ne l’ont jamais été et j’ai toujours refusé d’être assimilé au milieu auquel j’appartiens. J’ai toujours voulu m’extirper de cette merde. Toujours aspiré à me tirer de ce bourbier et je crois pouvoir dire sans prétention que j’ai réussi. Certes, il est légitime de se demander à quel prix, mais tout cela n’est qu’un détail à mes yeux puisque rien ne semble pire que le fait de dégringoler dans l’échelle sociale. J’en suis persuadée : même crever dans son vomi comme ma mère est un sort plus enviable. « Mais t’as rien à craindre avec moi. Tu sais que j’ai envoyé un de mes frères aux urgences parce que je l’ai mordu si fort qu’il lui a fallu des points de suture ? Je crains pas le quartier de ta mère, c’est le quartier de ta mère qui me craint. » - « T’es pas vraiment une dure quand t’as jamais épongé du vomi ou planqué de la drogue parce que les services sociaux arrivaient, je suis au grand regret de te l’annoncer. » J’aimerais y mettre du sarcasme, j’aimerais y mettre toute ma verve habituelle mais la seule "ponctuation" que je parviens à ajouter à ça, ce sont mes mains glissées dans les poches de mon jean et un regard fuyant, comme si ce genre d’humour me remplissait plus de honte que d’esprit. Et, pour être tout à fait honnête, c’est le cas. « Une fois qu’on passe cette porte, on parlera plus jamais de ça, t’en as conscience ? » Ma basse extraction ne sera plus jamais un sujet ni de conversation, ni d’humour noir. La situation critique dans laquelle j’ai grandi également. Je pense que la brune me comprendra : elle est bouffée de fierté, elle aussi.

« T’as besoin de personne. » Elle confirme avant d’entendre la suite de la phrase : je n’ai besoin de personne puisqu’il n’y aura plus de photos. Sans réellement comprendre ce qui motive ce rejet, je sais qu’il est ma suite logique. « Tu veux plus faire de photos… tu veux plus en prendre, c’est — oh, je vois. » Jo reste muette et, il faut bien l’avouer, c’est assez rare pour être souligné. Elle a toujours une répartie difficilement égalable, Jo. J’espère de tout coeur qu’elle ne tentera pas de me convaincre à quel point l’idée est idiote, que c’est du gâchis que de jeter aux orties mon talent et mon travail, résultat d’années de pratique. « T’as pas de regrets ? On s’en fout du reste : si t’as pas de regrets, c’est que c'est la bonne décision. » Un soupir de soulagement m’échappe et je secoue la tête. « Non, aussi étrange que ça puisse paraître, pas de regret. » Peut-être viendront-ils plus tard, mais il sera toujours temps de faire marche arrière. Après tout, j’ai plus d’argent qu’il n’en faut pour m’acheter un nouvel appareil et me voilà à présent parfaitement désoeuvrée. « Peut-être que j’y reviendrai. C’est pas comme si je faisais un boulot qu’on peut pas quitter pour revenir. » Et ce n’est pas non plus comme si en posant ma démission du studio Mirages, je faisais une croix sur l’opportunité d’une vie. C’était temporaire, nous le savions Edge et moi. Si j’étais capable d’être autre chose qu’anesthésiée et vide, je lui aurais retourné la question. Je lui aurais dit que j’ai vu les rumeurs qui parlent d’un retour de la brune à la télévision, d’une édition All star de l’émission qui l’a faite connaître. Un autre jour, quand je serais à nouveau capable d’agir autrement que comme un robot vidé de tout sentiment.

in the end you have to face it all alone
Jo Carter & @Megan Williams (crédit gif/falwcll)

Elle restait une connasse, ça lui allait relativement bien comme statut. Elle comprenait l’amour-vache, c’était un mode de fonctionnement qui lui venait plus naturellement que le reste, et parce que ça devait faire du bien à Megan d’être un peu plus rude quand elle avait l’impression qu’une partie d’elle venait d’être enterrée, elle lui laissait la possibilité de choisir des mots peu flatteurs pour la définir. Tant pis, elle en avait entendu d’autres, et franchement s’il n’y avait pas un fond de vérité là-dedans, il y aurait longtemps que Jo s’en serait offusquée pour rétablir la vérité. Elle ne s’en offusqua pas, comme elle ne s’offusqua pas d’être reléguée à la place d’intruse dans le monde craignos de Megan. Non, elles n’avaient sans doute pas eu le même genre d’enfance, et là où Jo n’avait manqué de rien, sur le plan matériel en tout cas, elle ne pouvait pas vraiment faire le poids face à la misère qui entourait l’histoire de la blonde. Tout était une question de faux-semblants qui perdraient sans doute de la valeur maintenant qu’elles étaient en partie au courant des secrets de l’autre. Néanmoins, Jo avait une longueur d’avance sur Megan, elle en savait maintenant davantage sur son parcours, mais elle n’en ferait pas grand-chose, elle devait l’admettre ; si ce n’était garder davantage un oeil sur elle, chose qu’elle avait refusé de faire quand elle avait cru que ses décisions n’étaient que le résultat de sa stupidité. Elle comprenait maintenant que ce n’était pas le cas, et c’était assez pour qu’elle fasse de son sort une affaire personnelle.

"OK. Je t’attribue officiellement la palme de celle qui a vécu l’enfance la plus pourrie." Elle se décala de l’aparté qu’elle avait crée avec elle, toupillant sur ses talons pour se détourner en poursuivant sur sa lancée "J’ai pas apporté de trophée avec moi, mais je te propose de te payer un repas, c’est déjà une récompense en soi." qu’elle lui fit, les mains levées devant elle comme signe d’une réédition surjouée, qu’elle ravala rapidement quand Megan mit un point d’honneur à lui dire qu’elles ne reparleraient jamais de tout ça ; ce à quoi Jo répondit, se parant de sa meilleure mine d’actrice, ses sourcils se fronçant en même temps qu’elle prenait un air d'ingénue "Parler de quoi ?" Si tel était son désir, elle se plierait à ce dernier. Il y avait des choses qu’elle consentait à faire pour ceux qu’elle aimait, Jo, et quand bien même on la jugeait mesquine parfois, si peu maîtresse de son impulsivité pour savoir la boucler en temps voulus, elle savait qu’elle ne servirait jamais de ces infos-ci pour blesser Megan. Elle s’en voudrait de le faire, elle s’en voudrait aussi de creuser là où elle savait qu’il n’y avait rien de bon. C’était son devoir de faire en sorte de l’épauler, et si elle le faisait maladroitement, elle se promit secrètement d’essayer aussi fort qu’elle le pourrait.
"Attends, assieds-toi deux minutes." lui fit-elle une fois qu’elle lui eut confirmé qu’elle n’avait pas de regrets à propos de sa démission, ce qu’elle marqua d’un signe de tête déterminé pour lui faire savoir encore une fois qu’elle avait raison. Si elle avait besoin de temps pour se réapproprier sa passion, c’était son affaire. Le deuil, Jo ne l’avait pas connu, elle ne pouvait se figurer si les mécanismes de Megan étaient les bons, elle pouvait juste la soutenir, et encore une fois, elle s’en sentait assez capable pour ne pas vouloir la faire changer d’avis. Si elle se rendait compte que ça devenait mauvais pour elle, elle ferait quelque chose en tachant de le faire en traitant avec la sensibilité de la jeune femme. Mais en attendant, elle s’appliqua à la faire ressembler à autre chose qu’un cadavre, et retira son sac de son épaule pour en retirer un concealer qu’elle appliqua sous ses yeux pour lui donner bonne mine "Je traîne pas avec des zombies, moi." lui donna-t-elle comme explication à sa séance de maquillage improvisée qui lui permit de garder le silence au moins le temps d’un instant sur lequel elle médita juste pour lui demander finalement "Tu vas continuer à bosser pour Saül, ou ça aussi, c’est quelque chose que t’as plus envie de faire ?" Elle avait vu les photos que sa mère avait rassemblées dans l’album que Megan feuilletait lorsqu’elle était arrivée, peut-être qu’elle ne voulait plus porter sur les épaules la fierté d’une mère qui l’avait tant meurtrie en s’occupant d’elle en dilettante. Une épaule se haussant, Jo ajouta "En tout cas si jamais t’as envie de reprendre la photo de l’autre côté de l’objectif, je me propose comme modèle. Tu sais que je rate jamais une occasion de faire la belle." Et elle battit des cils en terminant de lui estomper son anti-cernes, serrant ses propres lèvres en vérifiant si tout était parfait, son petit doigt maintenant le visage de la blonde légèrement incliné en arrière pour qu’elle puisse la regarder "Mais en attendant, fais ce qui te fait du bien, et si quelqu’un à un problème avec ça, envoie-le moi — il te faut du mascara." annonça-t-elle en  lâchant doucement le visage de la jeune femme, puis elle largua son concealer dans son sac pour y dénicher son tube de mascara à la place.

in the end you have to face it all alone
Megan Williams & @Jo Carter

« OK. Je t’attribue officiellement la palme de celle qui a vécu l’enfance la plus pourrie. J’ai pas apporté de trophée avec moi, mais je te propose de te payer un repas, c’est déjà une récompense en soi. » Je n’avais pas envie de la gagner cette palme et Joséphine ne lorgnait pas plus dessus de son côté. Elle ne savait rien de mon histoire jusqu’à ce soir, et je ne sais toujours pas grand-chose de la sienne. Peut-être que ça changera un jour. Peut-être pas. Mais en attendant, et si je grince des dents en l’entendant tourner en dérision tout ça - j’ai commencé, pourtant - il n’en reste pas moins vrai que cet après-midi, j’ai le sentiment d’avoir retrouvé une amie. Jo n’a peut-être ouvert que temporairement les yeux sur le fait que je suis loin d’avoir été une enfant pourrie gâtée incapable de renoncer à son statut, au point de supporter d’être piégée dans un mariage arrangé. Jo ne me comprend peut-être pas plus mais pour l’instant je n’ai pas la force d’y réfléchir : elle est là et nous ne nous balançons pas des horreurs au visage. C’est tout ce qui compte pour moi. « Parler de quoi ? » La brune n’est pas idiote. Elle sait qu’il m’est difficile de m’ouvrir et nous sommes sur ce point construites dans le même moule. Elle n’aurait pas pu trouver meilleure réponse à ma consigne et, soulagée, je ferme les yeux quelques secondes avant de les rouvrir, prête à quitter cet endroit de malheur. Nous finirons plus tard, je n’ai plus l’impression d’avoir assez de force pour rester ici des heures encore.

Pourtant, Joséphine m’interrompt et, lorsqu’elle m’attrape délicatement par le poignet, je fronce les sourcils. « Attends, assieds-toi deux minutes. » Étonnée, j’obéis plus parce que je n’ai pas assez de volonté pour me rebiffer contre sa volonté. « Encore un calin ? Je crois que c’est trop, Damon va finir par se poser des questions. » Je gratte nerveusement mon avant-bras, avant de comprendre où elle veut en venir en la voyant tirer son correcteur de son sac. « Je traîne pas avec des zombies, moi. » - « Ma mère est morte y’a moins d’une semaine et j’ai pas le droit à un peu de répit ? » Je peux dire ce que je veux : mon trait d’esprit est dépourvu de la moindre amertume. Quelque part sous toute ma détresse, je suis trop soulagée de retrouver la jeune femme pour me formaliser de ce qui fait d’elle ce qu’elle est, et qui me plait chez elle. Alors, docilement, je la laisse appliquer une généreuse couche d’anti-cernes sous mes yeux. « La beauté naturelle, tout ça, c’est des conneries ? » Oh, il n’est pas question de l’absence de maquillage et je le sais, mais plutôt de celle de sommeil. Le sourire que j’étire est maigre, presque inexistant, mais c’est tout ce que je suis capable de faire pour l’instant. « Tu vas continuer à bosser pour Saül, ou ça aussi, c’est quelque chose que t’as plus envie de faire ? » Je reste silencieuse un instant, avant de hausser les épaules. « Saül ne travaille plus chez MHI. Il a voulu léguer les rênes à Damon, mais il a refusé. » Parce qu’il n’a jamais voulu de l’empire de son père, mon - trop - doux époux. « Je sais pas ce que je vais faire. Poser, c’est simple. » Je me sens belle et désirable sous l'œil de l’objectif. Je n’ai jamais refusé d’être vue comme un objet, de toute façon. Travailler avec l’entreprise familiale m’a donné de la visibilité. Et je n’ai pas honte d’admettre que je l’aime, ma petite notoriété. J’ai conscience que je n’aurai pas le vent en poupe bien longtemps et j’ai l’intention d’en profiter.

« En tout cas si jamais t’as envie de reprendre la photo de l’autre côté de l’objectif, je me propose comme modèle. Tu sais que je rate jamais une occasion de faire la belle. » - « Bah voyons. » Devenue poupée entre les doigts de fée de Jo, je ne bouge pas d’un cil. Elle aura toutes les occasions du monde de faire la belle, si les rumeurs sont vraies. « Mais en attendant, fais ce qui te fait du bien, et si quelqu’un à un problème avec ça, envoie-le moi — il te faut du mascara. » - « Je le ferai. » La brune fouille son sac et, alors qu’elle a débouché le mascara qu’elle y a dégoté mais avant qu’elle ne puisse en recouvrir mes cils, j’attrape son poignet entre mes doigts pour l’arrêter un instant. « Merci Jo. » D’être là. De me traiter comme une personne normale.

RP terminé