wicked ways
Spencer Blackwell & @Raelyn Blackwell

Depuis toujours, lorsque certaines choses arrivent aux oreilles de Spencer, il y a deux manières de procéder. Soit elle agit sur l’instant, dans le feu de l’action, sort des paroles qu’elle regrette instantanément, prend une décision hâtive et s’en mord les doigts ensuite. Ou alors il lui faut un peu trop de temps pour les assimiler, les traîter et enfin, savoir quoi en faire. Ce n’est pas pour autant que les résultats sont meilleurs. Ca finit par tourner dans un coin de son crâne, accaparant malgré elle toutes ses capacités de concentration, ça joue sur ses humeurs jusqu’à ce que ça ait besoin de sortir.
Il lui aura fallu plusieurs mois pour parvenir à une décision qui lui paraît sensée, concernant ce qu’elle a appris du petit secret de Raelyn. Sur le papier elle n’est rien supposée en faire, de cette information, dans les faits elle ne peut pas juste l’ignorer et continuer à faire comme si de rien n’était. Elle sait que ce qu’elle s’apprête à faire aujourd’hui a tout d’une connerie, c’est un coup à aller trop loin et à se prendre un revers de la médaille tôt ou tard, mais tant pis, c’est pas en étant serveuse ou croupière qu’elle est prête à rembourser la somme astronomique et tous les à côtés proposés par Raelyn depuis un an qu’elles se connaissent. Parce que pour quelqu’un qui a horreur de devoir quoi que ce soit à quelqu’un, Spencer est déficitaire d’un sacré paquet de trucs, faut être honnête. La blonde a passé un moment à peser le pour et le contre, à considérer tout ce qui pourrait mal tourner et ça n’a pas été suffisant à la dissuader de tenter le coup. Alors elle a demandé à parler à Raelyn vis à vis du boulot, a attendu bien sagement qu’elle soit disponible et qu’on lui dise de monter et la voilà qui se présente au bureau de sa demi-soeur sans trop savoir encore une fois si elle va se faire rire au nez ou si il y a même la moindre chance que ça fonctionne. Parfois le culot paye, parfois non, elle le saura bien assez tôt. Quand on lui fait signe d’entrer, Spence s’invite dans le bureau et déjà, elle ne sait plus comment se tenir. Un peu machinalement, elle fourre ses mains dans le fin fond de ses poches avant de les ressortir aussitôt, se rendant compte que c'est sûrement très impoli et pas très approprié dans un moment comme celui-là. Ca la ferait presque rire, si le sujet qu'elle comptait aborder n'était pas aussi sérieux. « Hey heu, merci de prendre du temps pour me recevoir, » elle aurait pas dû essayer de répéter un texte avant de venir, ça sonne si peu naturel que ça la fait même grincer des dents. En plus c’est sûr et certain que les courbettes ne fonctionnent pas avec Raelyn. « Je t’embête pas longtemps, promis. J’ai juste- » Léger raclement de gorge, la jeune femme jette un bref regard par dessus son épaule comme pour s’assurer que la tête de Callum ne dépasse pas d’un coin pour écouter toute la conversation. Si elle se doute qu’il est probablement au courant de ce qui se passe sous la surface, elle préfère tout de même la jouer safe et limiter les bourdes facilement évitables. Ca serait con de faire une erreur maintenant alors que ça fait des semaines qu’elle fait attention au moindre de ses gestes, de ses regards ou de ses paroles. « Quelques détails dont j’aimerai bien discuter avec toi ? » Ca sera rapide, surtout si l’aînée prend la décision de refuser d’entrée de jeu. Pas sûre qu’elle ai envie d’insister, Spencer, encore moins de lui forcer la main.
Un jour elle apparaîtra comme autre chose qu’une petite nerveuse qui ne tient pas en place. En attendant, elle a tout le loisir de jouer avec les nerfs de sa demi-sœur qui a certainement autre chose à faire de plus important.

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Raelyn Blackwell & @Spencer Blackwell ☆ crédit/harley

« Spencer veut te parler. » C’est la voix de Carly que j’entends en décrochant mon portable, et je sens une certaine dose d’agacement émaner de la voix de la petite blonde. Je ne l’interroge pas pour autant, je sais qu’elle n’a pas besoin de ça pour faire entendre son opinion. « Laisse-moi quinze minutes et dit lui qu’elle peut monter. » Je l’entends, le soupir exagéré à l’autre bout du fil mais, de marbre, je ne réagis pas. J’ai l’habitude de gérer le tempérament de la jeune femme. « Je suis pas ton assistante. » - « Je sais. Joue pas à l’assistante alors. » Rien n’obligeait la demoiselle à me faire passer le message de ma demi-soeur, elle aurait simplement pu dire à Spencer qu’elle n’était pas là pour jouer les messagères et tout aurait été réglé. Mais Carly aime rendre service, elle aime me rendre service et je le sais. Le problème, je devine qu’il réside dans l’identité de la personne dont elle a fait passer un message. Elle n’aime pas Spencer, mon petit oiseau. Je suis en bonne partie convaincue qu’une part d’elle jalouse la jeune femme sans que je ne parvienne trop à mettre le doigt sur le pourquoi, et que le reste de sa personne se méfie simplement de celle qui partage mon sang. Toutefois, elle n’a pas son mot à dire quant aux chances que je laisse à Spencer ou pas, j’ai été claire à ce sujet et elle en est parfaitement consciente. « Je demanderai à Callum de la faire monter. Merci Carly. » Si je la brosse dans le sens du poil alors que ce n’est guère mon genre, c’est parce que je la connais assez pour savoir ce qui fonctionne avec elle.

L’absence de mon bébé se fait ressentir, et moi qui suis habituellement capable d’être d’humeur égale quel que soit le sujet qui me préoccupe, je suis irritable, depuis que Micah a été mise en sécurité. Le fait d’ignorer où elle est - mesure prise pour être certains qu’il ne lui arrivera rien - n’aide pas. Je suis tendue, et fait craquer les os de mes doigts bien plus souvent qu’à l’accoutumée. J’observe son parc, vide, un instant, avant de plier mon ordinateur et d’ouvrir la porte pour demander à mon garde du corps de faire monter la jeune femme. Bien vite, une tignasse blonde se dessine dans l'entrebâillement de la porte. « Hey heu, merci de prendre du temps pour me recevoir. » Je hoche la tête, un sourire à peine visible sur les lèvres. Il est clair que j’ai l’esprit ailleurs, dans un endroit qui m’est inconnu, même à moi, mais auprès de Micah. « Je t’embête pas longtemps, promis. J’ai juste- » - « Installe toi Spencer. » Je lui désigne une chaise du bout du menton et je profite de la pause que m’offre la jeune femme pour sortir une cigarette de mon sac et l’allumer. « Quelques détails dont j’aimerai bien discuter avec toi ? » Spencer prend des pincettes avec moi depuis quelques semaines, depuis l’incident et j’ai rien pu faire d’autre que le remarquer, et redoubler de vigilance la concernant. Je guette à chaque instant le moindre signe de traîtrise sur son visage, je me tiens au courant de ses déplacements mais, pour l’instant, elle semble surtout avoir besoin de temps pour digérer ce qu’elle a découvert. « Je t’en prie. » Je m’appuie sur le dossier de mon fauteuil pour m’installer plus confortablement. « Comment se passe la sobriété ? » Prendre des pincettes, c’est aussi m’éviter et il y a un moment que nous n’avons pas échangé plus de quelques mots, elle et moi. « Qu’est ce que tu voulais me demander ? Ça a un rapport avec ce que tu as vu ? » Ce qu’elle a appris, me concernant.

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Spencer Blackwell & @Raelyn Blackwell

C’est comme si c’était prédestiné, tout ça. Comme si on avait tracé un chemin juste pour Spencer et qu’on attendait juste le bon moment pour qu’elle s’y engouffre. Ce qu’elle s’apprête à faire, elle n’en est pas fière, comme beaucoup de choses. Mais c’est pour la bonne cause. C’est ce qu’elle se dit, ce qu’elle s’est répété depuis que l’idée a commencé à germer. « Installe toi Spencer. » La concernée acquiesce et s’exécute, lèvres pincées dans une tentative de sourire poli qui ne lui va pas tellement si on est tout à fait honnête. Tant pis, c’est mieux que de tirer la gueule. Quelques formules de politesse plus tard, elle promet de faire bref vu que Raelyn a sûrement mieux à faire que d’écouter les mauvaises idées de sa demi-soeur. « Je t’en prie. Comment se passe la sobriété ? » Ca lui donne presque envie de rire et pourtant elle se retient de lâcher un ricanement. Comment on dit à quelqu’un qui a payé pour une cure complète et tous les suivis médicaux que c’est un véritable calvaire à vivre au quotidien ? Elle s’en doute probablement, étant elle-même passée par-là et lui mentir serait par conséquent inutile. « Bien, j’imagine. » Enfin oui et non, quoi. Tout dépend du point de vue et de s' il faut prendre en compte les quelques écarts qu’elle a pu faire depuis le début de son parcours. Pour être même tout à fait franche, elle ne pensait pas que ça serait si difficile de tenir dans le temps. Tout et n’importe quoi la ramène systématiquement à ses vieux démons, la moindre contrariété ou montée de stress lui donne envie d’avoir une nouvelle fois recours à la solution de facilité. Chaque fois ça se met à tourner dans un coin de son crâne, l’air de dire que juste une fois, rien qu’une toute petite fois, ça lui ferait du bien, que ça rendrait les choses moins compliquées et le quotidien plus agréable. Et puis elle regarde l’état de sa vie actuellement, l’état de sa relation bancale avec sa partenaire et elle s’en veut instantanément de simplement s’imaginer replonger. Ce n’est pourtant pas faute d’avoir essayé tout un tas d’activités pour s’occuper, rien ne semble suffisant pour apaiser son esprit. Elle ne peut pas éternellement compter sur les autres, elle ne le veut pas non plus à vrai dire. Ça fait trop longtemps que la blonde se repose sur les épaules de ceux qui ont le malheur d’accepter de la supporter, il est grand temps que ça change. « Pas aussi simple que ce que j’aurai cru, quoi. Mais je gère. » Enfin ça pourrait être pire, quoi. Ca le deviendra sûrement, ce n’est qu’une question de temps. « Qu’est ce que tu voulais me demander ? Ça a un rapport avec ce que tu as vu ? » Ce qu’elle a vu, ça la fait vaguement grimacer, Spencer. Pourtant elle acquiesce doucement en se redressant sur sa chaise. « Je sais que je suis pas sensée revenir sur le sujet mais- » Grande inspiration, elle se lance. « J’ai besoin d’argent. » Encore. « J’ai besoin d’argent pour te rembourser. » Qu’elle précise quand même, histoire de signifier qu’elle n’a pas eu la mauvaise idée de se mettre de nouveaux créanciers à dos. Parce qu’il faut être réaliste, c’est clairement pas avec le job qu’elle fait au casino qu’elle va avoir épongé sa dette de si tôt. A ce rythme là elle en a pour des années avant de voir le bout du tunnel, et peut-être bien que c’est le but, en fait. Peut-être que c’est une manière supplémentaire de s’assurer qu’elle garde bien le silence, qu’elle reste dans le rang et qu’il n’y ait pas de débordements de sa part. Raelyn refusera sûrement, mais au moins elle aura tenté. « Je peux pas rester avec une dette pareille sur le dos, tu te doutes bien. » Que ça soit l’aînée ou quelqu’un d’autre qui en soit créancier, ça reste un poids sur ses épaules dont la jeune femme se passerait bien. « Je pourrai- J’sais pas, j’peux faire c’que tu veux, en vrai. En plus du casino, j'entends. Juste le temps d’effacer mon ardoise. » Et s’il y a possibilité de faire quelques extras à côté, ça se refuse pas non plus, forcément.

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Raelyn Blackwell & @Spencer Blackwell ☆ crédit/harley

« Bien, j’imagine. » On va toujours bien, j’imagine après un sevrage, et je suis bien placée pour le savoir. Même moi, sobre depuis plus de deux ans, je n’estime pas que ma sobriété soit à tout épreuve. Même moi, si je laisse mes pensées dériver, elles trouvent parfois le chemin d'idées dangereuses. Bien sûr, ma famille constitue le meilleur des garde-fous. Les petits yeux de Micah sont la chose la plus dissuasive du monde, sa présence ainsi que celle d’Amos sont ce qui maintient la tentation à l'état de fantasme, de besoin enfoui et endormi. « Bien j’imagine, c’est déjà ça. » Je n’ose pas lui dire qu’elle n’ira jamais à merveille lorsqu’il sera question de cocaïne. Babysteps, Spencer, babysteps. « Pas aussi simple que ce que j’aurai cru, quoi. Mais je gère. » J’attrape ma bouteille d’eau - il est tôt pour tourner à autre chose - pour en boire une gorgée avant d’attraper une cigarette. Un esprit sain dans un corps sain, n’est-ce pas ? « On m’a souvent accusée d’être une à la fois cynique et un tantinet misanthrope, mais tant pis, je vais le dire : ça deviendra jamais une promenade de santé. » C’est peut-être injuste, mais les gens comme Spencer, Amos et moi, face à nos démons, nous ne ressentiront jamais la tranquillité d’esprit de ceux qui ne savent pas ce qu’est l'addiction. « Trouve de quoi t’occuper l’esprit. Genre le yoga, la méditation, les livres de développement personnel, ou bien - » La cigarette. Je lui désigne la mienne du menton. Je n’ai pas choisi le substitut le plus sain, de toute évidence. « Mais y’a pas que des conneries là-dedans. Y’a une époque où mon tapis de course m’a évité de devenir folle. » Courir un semi-marathon sur un bâteau au beau milieu de l’Océan Indien vous coupe l’envie de sniffer un rail de coke, je suis prête à en attester. La weed aussi, mais c’est à double tranchant : parfois, ça donne l’envie de plus. J’ai évité d’en consommer pendant plus d’un an après ma rechute.

Mais Spencer n’est pas là pour une conférence sur le développement personnel : “101 façons de trouver la lumière au bout du tunnel.” A sa façon de jouer avec ses doigts et de ne pas tenir en place sur sa chaise, je devine qu’elle a quelque chose à me demander. « Je sais que je suis pas sensée revenir sur le sujet mais… J’ai besoin d’argent. » Je lève un sourcil, surprise qu’elle s’adresse à moi pour ça. Je tapote doucement ma cigarette dans le cendrier posé sur le bureau, avant de croiser les bras sous ma poitrine et de l’observer, cherchant à comprendre là où elle veut en venir. « J’ai besoin d’argent pour te rembourser. » - « Et donc, tu me demande de l’argent pour me rembourser ? Créatif, je peux pas t’enlever ça. » Un rire amusé soulève ma poitrine, et je plisse le nez. Il y autre chose. La demoiselle ne deviendra jamais neurochirurgien ou présidente du pays, mais elle n’est pas simplette. « Je peux pas rester avec une dette pareille sur le dos, tu te doutes bien. » Je peux le comprendre. Je n’aime pas avoir des dettes, qu’elles soient financières ou tout autre. Mais cela ne répond pas à ma question. A moins que…

Oh.

« Je pourrai- J’sais pas, j’peux faire c’que tu veux, en vrai. En plus du casino, j'entends. Juste le temps d’effacer mon ardoise. » La surprise qui se peint sur mon minois n’est pas feinte. En plus du casino. Elle ne peut pas sous entendre un millier de choses, avec ça. « Je suppose que t’es pas en train de proposer ta candidature en temps que babysitter, et que tu me demandes pas si tu peux faire des extras au restaurant en plus du reste… » Elle parle du Club. Bien sûr que cela a un rapport avec ce qu’elle a vu, mais pas celui que j’aurais anticipé. Elle parle de la drogue ou du reste, si tant est qu’elle soupçonne que mes activités criminelles ne se limitent pas à la vente de stupéfiants. « Tu sais que ce que tu me demandes, c’est pas un job saisonnier ou un contrat étudiant, hein ? » Elle s'engage bien plus que pour ce genre de boulot. Elle prend des risques, et si elle met le doigt dans l’engrenage, elle ne pourra pas le retirer en un battement de cil. « Tu sais que si j’accepte, et j’ai pas dit que j’allais le faire, tu pourras pas changer d’avis parce que finalement t’as plus envie ? » Qu’il y aura des conditions, des sacrifices à faire même, peut-être. « Qu’est ce que tu me demandes, exactement, Spence ? » Elle doit le dire à haute voix, sans doute possible.

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Spencer Blackwell & @Raelyn Blackwell

C’est pas tellement comme ça qu’elle imaginait sa relation avec Raelyn, Spencer. A vrai dire après plus d’un an, elle ne sait toujours pas ce qu’elle attend. Ce qu’elle n’attendait pas, en revanche, c’était une main tendue et tout ce qui en a découlé. « Bien j’imagine, c’est déjà ça. » Mieux que mal, quoi. Elle acquiesce, préférant éviter de rentrer dans les détails, elle n’est pas là pour s’épancher ou pour avoir une session de thérapie gratuite. « On m’a souvent accusée d’être une à la fois cynique et un tantinet misanthrope, mais tant pis, je vais le dire : ça deviendra jamais une promenade de santé. » On lui a déjà dit, elle le sait et ça ne lui plaît toujours pas. Si elle en est arrivée là en premier lieu, c’est parce que c’était “facile”, que ça l’aidait à se sentir mieux et qu’elle détestait la difficulté que ça impliquait d’affronter ses problèmes. La voie de la facilité est tout de même bien moins casse-tête. « Trouve de quoi t’occuper l’esprit. Genre le yoga, la méditation, les livres de développement personnel, ou bien - » Le regard de la jeune femme se porte sur la cigarette désignée par Raelyn. Un maigre sourire étire ses lèvres, l’air de dire “ouais, je sais.” Elle fumait déjà à la fin de son adolescence, pour faire comme les autres, se mêler à eux et rentrer dans le rang. Elle fumait déjà quand elle a pris sa première cuite, quand elle a ressenti les effets de sa première défonce ; et maintenant qu’elle n’a plus tous ces substituts là, elle fume d’autant plus. Le geste, la régularité, ça l’aide un peu. Pas beaucoup, mais n’importe quoi est mieux que rien au stade où elle en est. « Mais y’a pas que des conneries là-dedans. Y’a une époque où mon tapis de course m’a évité de devenir folle. » Blackwell souffle un rire amusé. « J’ai essayé de courir, un peu. » Et autant dire qu’elle n’a aucune endurance. Elle n’a pas non plus la patience d’apprendre, même si ça lui ferait certainement le plus grand bien. Le tout étant juste de ne pas y aller sur un coup de tête une fois tous les deux mois. « Peut-être que j’devrai prendre un coach, en fait. » Qu’elle ajoute plus pour elle-même que pour son interlocutrice. Elle sait d’avance qu’elle ne le fera pas, ou que si elle le fait elle l’enverra se faire foutre au bout d’une séance, fatiguée de se faire gueuler dessus.

Le small talk étant terminé, il est temps d’entrer dans le vif du sujet. Quand bien même Spencer était supposée l’éviter et ne pas revenir dessus, tant pis. La situation commence à trop la travailler ; plus elle se force de ne pas y penser, pire c’est. C’est con à dire, mais c’est le genre de chose qui l’empêche d’avancer et de se projeter. Elle reste focalisée sur l’idée qu’elle doit des milliers de dollars à sa demi-soeur, et que dans le fond ça implique tout de même plus que de l’argent. C’est même pas tant une question de principe, c’est plus l’impression désagréable de ne pas être libre de ses mouvements qui la dérange. Raelyn ne lui a rien demandé en échange, ne le fera sans doute pas, mais pourtant y a un truc qui ne quitte pas l’esprit de Spencer. Elle a juste trop l’habitude qu’on lui réclame des comptes, sûrement. « Et donc, tu me demande de l’argent pour me rembourser ? Créatif, je peux pas t’enlever ça. » Sourire pincé aux lèvres, elle ne plaisante pourtant pas, Spencer. Elle ne revient pas sur ses mots ou n’essaie pas de corriger. A la place, elle reprend et précise sa pensée. L’aînée semble réaliser, pendant que la blonde tente de plaider sa cause. (Elle ferait une bien piètre avocate, en toute honnêteté.) « Je suppose que t’es pas en train de proposer ta candidature en temps que babysitter, et que tu me demandes pas si tu peux faire des extras au restaurant en plus du reste… » Un peu malgré elle, Spencer lâche un ricanement nerveux. Aucune personne saine d’esprit ne voudrait de quelqu’un comme elle pour s’occuper d’un enfant, encore moins d’un bébé. Si ça lui est arrivé de garder des petits dans ses jeunes années, c’était une période où elle était sobre et pas constamment en train de douter de chacune de ses actions. Si un jour elle arrive à s’en sortir, à réellement s’en sortir, peut-être qu’elle pourra l’envisager. En attendant elle pense toujours aux opiacés comme étant la seule porte de secours véritablement efficace. Qu’importe ce qu’elle fait, avec qui elle est, c’est toujours là dans un coin de son crâne et c’est épuisant d’avoir l’impression de faire tous ces efforts pour un résultat pareil. « Tu sais que ce que tu me demandes, c’est pas un job saisonnier ou un contrat étudiant, hein ? » Elle acquiesce sans quitter sa sœur des yeux. « Tu sais que si j’accepte, et j’ai pas dit que j’allais le faire, tu pourras pas changer d’avis parce que finalement t’as plus envie ? » « Je sais, » qu’elle confirme, sa mâchoire se contractant plus que de raison. La demande est sortie, pas forcément très explicitement mais Raelyn aura compris les intentions derrière ses explications approximatives. « Qu’est ce que tu me demandes, exactement, Spence ? » La concernée se redresse, relève les yeux et croise le regard de sa sœur, l’air déterminée. « Je veux- » C’est sa dernière chance de faire marche arrière, de lui dire que finalement elle a changé d’avis et que c’est une mauvaise idée. Non, elle a besoin de cet argent, ou plutôt de ne plus avoir une dette aussi importante sur le dos.  « J’veux bosser pour toi. Pour l’autre côté. » Celui qu’elle a côtoyé de plus ou moins près à une époque sans jamais prendre le temps de savoir d’où venait ce qu’elle consommait et qui engrengeait les gains. C’est pas le genre de question qu’on se pose quand tout ce à quoi on pense c’est de trouver de quoi se foutre un peu plus en l’air. « Je sais pas vraiment de quoi t’as besoin- » Sûrement de rien, et si c’était le cas Spencer est une des dernières personnes qui serait contactée. « Ou comment ça fonctionne exactement, ton affaire, mais je- J’ai déjà dealé. Avant. » Avant de devenir une bonne cliente, quoi. Et bon, dans les faits elle vendait de l’herbe à des étudiants au moins aussi fauchés qu’elle, rien à voir avec un truc super organisé. La véritable mauvaise idée là-dedans, c’est qu’elle n’est absolument pas sûre de ne pas replonger si elle se retrouve en contact régulier avec des produits. Avec un peu de chance elle tiendra peut-être suffisamment longtemps pour éponger sa dette. Du moins en partie. « J’suis prête à recommencer, au besoin. » Prête est un bien grand mot, mais il le faudra bien si elle se lance là-dedans (et que Raelyn accepte.)

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Raelyn Blackwell & @Spencer Blackwell ☆ crédit/harley

« J’ai essayé de courir, un peu. » Spencer n’est pas plus douée pour les smalltalks que ce qu’ils m’intéressent. Pourtant, je ne feins pas mon intérêt lorsqu’il est question de son sevrage : le sujet me ramène trop en arrière pour me laisser de marbre, vide de toute empathie. C’est grâce à ça qu’elle s’est faite une place, bien que modeste, à mes côtés, la petite blonde. Involontairement, elle a tiré sur ma corde sensible en débarquant, paumée et à la recherche d’une main tendue. Je n’aurais pas rempli ce rôle pour elle en toute autre circonstance. Mais elle est là, et l’histoire n’est plus à réécrire. « Peut-être que j’devrai prendre un coach, en fait. » - « Tu serais une élève insupportable. » Si elle est un peu comme moi, elle doit avoir du mal à obéir et à se faire hurler dessus par un représentant type de la gente masculine. « Et les salles de sport sont un enfer sur terre. » De mon côté, je n’ai jamais eu à me poser la question : j’ai assez de place et de moyens pour m’offrir une salle de sport à domicile depuis des années. Le loft que nous avons acheté, Amos et moi, n’a pas fait exception : l’une des pièces a été transformée en défouloir que j’utilise un peu plus que mon complice, si je dois être tout à fait honnête.

Spencer n’est de toute façon pas là pour me demander de conseils sur un abonnement dans une salle de gym de la ville. C’est écrit sur son visage, sur la façon de jouer avec ses doigts plutôt que d’accoucher de la vérité, et de bégayer sans arriver à prononcer une phrase entière. « Je sais. » - « Je veux en être sûre. » Etant donné le sujet, le doute n’est pas permis. « Il y a une limite à ce qu’être de mon sang t’offre comme privilège. » Et la limite, je la trace au niveau de tout ce qui concerne mon empire. Si elle bosse pour moi, je serai aussi impitoyable avec elle que je le suis avec n’importe quel sbire lambda.

Alors dis-le Spencer. « Je veux- » Il lui reste une chance de faire marche arrière. Elle peut dire qu’elle a changé d’avis, quitter mon bureau et nous n’en reparlerons jamais. Je n’ai pas de problème avec les gens qui ont l’intelligence de reconnaître qu’ils font une erreur avant qu’il soit trop tard. « J’veux bosser pour toi. Pour l’autre côté. » Les lèvres scellées, je l’observe en expirant l’air de ma cigarette par le nez. Finalement, je l’écrase dans le cendrier qui trône sur mon bureau, avant d’appuyer à nouveau mon dos contre le dossier du fauteuil. « Je sais pas vraiment de quoi t’as besoin… Ou comment ça fonctionne exactement, ton affaire, mais je- J’ai déjà dealé. Avant. » Je doute qu’elle déjà fait autre chose que vendre à la sauvette à la sortie de l’université. Il faut bien commencer quelque part et je crois que je lui fais confiance, à la petite blonde, mais a-t-elle réellement envie d’emprunter cette voie-là ?

Et comment pourrais-je le lui reprocher ? Sans diplôme ou famille pour lui servir de parachute dorée, ses perspectives ne sont que peu réjouissantes. Vraisemblablement, elle ne réussira jamais à me rembourser. Elle vivre toute sa vie dans un appartement miteux de job alimentaires qui lui permettront à peine de joindre les deux bouts. Elle a le droit à plus, de la même façon que j’avais le droit à plus. Mais ses motivations sont-elles les bonnes ? Elle dit vouloir se libérer de la laisse autour de son cou que représente tout l’argent qu’elle me doit. Réalise-t-elle qu’elle sera lié à moi, même si c’est d’une façon différente, si elle vient grossir les rangs du Club. « J’suis prête à recommencer, au besoin. » - « Laisse-moi deviner... » Je me redresse, quitte mon fauteuil pour faire quelques pas en direction d’un meuble d’appoint fermé à clé. « Tu avais un petit ami qui faisait pousser de l’herbe sur son balcon ou dans son patio, et tu refourguais sa merde artisanale pour quelques dollars ? » Je sors la clé, ouvre un tiroir, et attrape un sac qui lui-même contient plusieurs sachets plastique de cachetons blancs, avant de refaire le chemin en sens inverse. Le sac en plastique, je le jette dans sa direction. « Qu’est-ce que tu ressens en premier Spence ? Si ta réponse est autre chose que l’envie de taper dans la marchandise je veux bien te laisser ta chance. » J’en doute. Mais sera-t-elle honnête avec moi ? Avec elle-même. « Ouvre le. Sors un cacheton et prends le dans ta main. » Puis, à ce moment-là seulement, dis-moi que tu te sens prête et me regardant droit dans les yeux.

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Spencer Blackwell & @Raelyn Blackwell

« Tu serais une élève insupportable. » « Oh wow, je le prends mal. » La plaisanterie est claire, pas de doute possible vu l’intonation employée et le sourire amusé présent sur ses lèvres. Mais elle n’a pas tout à fait tort, Raelyn. Voire même pas du tout. « Et les salles de sport sont un enfer sur terre. » En dehors de ça, qui dit salle de sport dit abonnement mensuel et ça fait de toute manière partie de l’argent qu’elle ne peut pas se permettre de dépenser. Regardez la, elle qui fait attention au moindre centime dépensé alors qu’elle a passé sa vie à jeter des billets par les fenêtres en se fichant des conséquences. Et même sans ça, elle est à peu près sûre de ne pas apprécier l’expérience d’une salle de sport.

« Je veux en être sûre. Il y a une limite à ce qu’être de mon sang t’offre comme privilège. » C’est bizarre à entendre, presque. Ca a beau faire plus d’un an que Spencer a retrouvé la trace de Raelyn, elle a toujours un peu de mal à croire qu’elles partagent les mêmes gènes. Les liens du sang n’ont jamais rien signifié pour la jeune femme, la faute à une mère aigrie et à un père absent. Le système a fait office de tampon juste le temps qu’elle ait l’âge de se débrouiller et c’est tout. Pas de tante un peu cool à appeler pour s’extasier d’un truc dont on ne parle pas à ses parents, pas de grand frère à chambrer pour un oui ou pour un non, pas de petite soeur à jalouser d’avoir tous les derniers trucs à la mode. Rien de tout ça jusqu’à ce qu’elle entende les confidences de la vieille voisine de Maureen. Alors la fameuse limite de partager le même sang que Raelyn, elle est déjà énorme aux yeux de la blonde. En demander plus ça serait être cupide et risquer de tout gâcher avant l’heure. Elle acquiesce de nouveau pour confirmer que ça aussi, elle sait, sans jamais détacher son regard.

Alors la voilà qui plaide sa cause comme elle peut et force est de constater que les entretiens d’embauche c’est clairement pas son point fort. « Laisse-moi deviner... » Raelyn marque une pause alors qu’elle se relève et s’éloigne vers un meuble, à aucun moment Spencer ne décroche son regard. « Tu avais un petit ami qui faisait pousser de l’herbe sur son balcon ou dans son patio, et tu refourguais sa merde artisanale pour quelques dollars ? » Un ricanement lui échappe alors qu’elle hausse les épaules. « Un truc du genre, ouais… » Le coup classique de la meuf qui traîne avec les mauvaises personnes et se laisse entraîner sans même réaliser, pensant qu’elle gère la situation et qu’elle a même quelque chose à y gagner. Sauf que prendre sa part de médicaments et à peine récupérer quelques dollars bien vite dépensés, ça ne compte pas vraiment. On s’est servi d’elle, elle pensait y trouver son compte et ça a forcément mal tourné parce que c’est toujours comme ça que ça se termine, ces histoires-là. Elle s’en doutait, l’a pourtant appris à ses dépends et la voilà qui y revient dans un contexte différent. A croire qu’elle ne comprendrai jamais, à croire qu’elle cherche la merde. Merde, si Mac savait ce qu’elle était en train de faire, elle serait furieuse. Raison pour laquelle Spencer ne dira absolument rien, c’est pas le genre de chose qu’on partage avec sa partenaire. Son attention revient sur Raelyn et ce qu’elle sort du meuble, ce qu’elle jette en direction de la plus jeune sans même battre des cils. La blonde a tout de même d’assez bons réflexes pour rattraper au vol le sachet et il ne lui faut pas longtemps pour voir de quoi il s’agit. « Qu’est-ce que tu ressens en premier Spence ? Si ta réponse est autre chose que l’envie de taper dans la marchandise je veux bien te laisser ta chance. » Les yeux rivés sur ce qu’on vient de lui donner, elle entrouvre la bouche, prête à sortir son mensonge bien rôdé juste pour avoir gain de cause, puis finalement préfère se raviser. « Ouvre le. Sors un cacheton et prends le dans ta main. » Un test, un putain de test. Bien sûr que Raelyn ne peut pas lui faire confiance comme ça quand elle connaît une partie de son parcours. Il y a quelques mois de ça, elle aurait sûrement sauté sur l’occasion pour s’exécuter et récupérer quelques cachets au passage. Aujourd’hui pourtant, elle reste là, le regard fixé sur un foutu plastique tandis que le reste de son corps, lui, est complètement figé. Ce serait mentir une fois de plus que de dire qu’elle n’en a pas envie, que la perspective de nouveau céder à la situation de facilité n’est pas alléchante. Elle déglutit, s’humecte les lèvres et tend la main vers le poison pour s’exécuter. Pour l’heure, elle n'est pas en état de manque ou ne ressent pas foncièrement le besoin d’engourdir son cerveau une fois de plus. Toutes les conditions sont propices pour qu’elle sache se contrôler là, maintenant, mais c’est plus tard qui l’inquiète. Est-ce qu’elle peut promettre qu’elle ne replongera pas la tête la première à la moindre contrariété ou à la prochaine dispute avec sa moitié ? Ou même par simple ennui ou qu’importent les raisons, elles n’ont jamais manqué. Et là, savoir ce poison à portée de main de façon régulière, c’est se tirer une balle dans le pied. Elle pourrait mentir, remettre la pilule dans le sac et hausser les épaules avant de prétendre que ça ne serait pas un souci. Elle pourrait mentir et Raelyn pourrait faire semblant de la croire parce que c’est certain qu’elle ne le fera pas. Sa mâchoire travaille tandis qu’elle fait rouler le cachet entre son index et son pouce, lèvres pincées et respiration trop contrôlée pour que ça soit tout à fait naturel. Son regard passant rapidement du contenu du sachet à sa soeur, jaugeant ses options avant de soupirer. « Si j’te dis que j’en ai pas envie, tu vas pas me croire. » Ca se lit sur son visage, ça se voit dans ses gestes hésitants et presque craintifs. Ce n’est qu’un cachet, pourtant. Et rien n’arrivera à moins qu’elle ne prenne encore une fois la mauvaise décision. « C’est si grave que ça s’ils tapent dedans, les dealeurs ? » C’est sûr qu’ils sont nombreux à se prendre un pourcentage dessus. « J’veux dire, tant qu’ils rentrent l’argent et font pas de vague. » Elle est déjà presque résignée à l’idée que ça arrivera forcément si elle emprunte cette voie là. Spencer s’humecte la lèvre en remettant la maudite pilule dans le sac avant de croiser les bras sur sa poitrine, juste pour être sûre de garder ses mains à bonne distance. « J’ai pas d’autre alternative, Raelyn. Je- J’ai pas les compétences pour décrocher un job qui paye assez bien si je veux pouvoir te rembourser un jour. » C’est triste d’avoir une vision aussi étriquée du monde et de ses possibilités, mais elle est réaliste, Spencer. Aucun diplôme, aucune expérience à proposer, on a pas besoin de gens comme elle sur le marché du travail et encore moins à des postes qui gagnent bien leur vie. « S’il te plait, j'en ai besoin. » Et tant pis si ça finit par la faire replonger, elle se débrouillera et avisera le moment venu.

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Raelyn Blackwell & @Spencer Blackwell ☆ crédit/harley

Spencer me demande du boulot et, si j’étais sa marraine au sein des alcooliques anonymes, je pourrais lui donner une dizaine de bonnes raisons qui expliquent pourquoi elle ne pourrait pas avoir eu d’idée pire que ça. Sauf que je ne suis pas sa putain de marrain la fée, et que je n’ai jamais trouvé nécessaire de materner les gens pour avoir des résultats, ce n’est simplement pas mon mode de communication. Spencer est une adulte, une adulte responsable de ses actes alors la seule chose qui devrait me préoccuper, c’est est-ce qu’elle se foutra dans les veines tous mes bénéfices plutôt que de les ramener. C’est ce qui devrait me préoccuper, alors pourquoi est-ce que je me sens malgré tout responsable de sa sobriété et tributaire de si, oui ou non, elle parvient à la conserver ? Pourquoi ai-je besoin de me rappeler que je ne suis pas responsable d’elle, que je ne suis pas sa gardienne pour m’en souvenir ? Foutu tempérament maternel à la con.

« Un truc du genre, ouais… » Je laisse échapper un rire bref et sarcastique avant de hausser les épaules et de pincer mes lèvres. « Le prends pas personnellement, t’as juste pas le profil typique d’un génie du crime. » Moi non plus je ne l’ai pas, cela dit. Et nous avons depuis longtemps acté que je me livre à des activités illégales de bien plus grande envergure que l’entretien et la revente de quelques plants de cannabis. Avant de me lever, avant de me diriger vers le meuble duquel je sortirai l’outil nécessaire au petit test - ou plutôt la démonstration de force - que j’entends faire passer à Spencer, je pousse un soupir, je réfléchis un instant, puis je me rappelle que Spencer et une adulte.

Ses réactions physiques parlent pour elle. Sa mâchoire se tend, elle se mord et humidifie sa lèvre et semble même arrêter de respirer. Moi, je l’observe en silence, respectant l’épreuve qu’elle traverse certainement. Ce n’est pas facile, d’être remise en contact avec son poison si peu de temps après s’en être débarrassé. Sa sobriété est certainement bien fragile. « C’est pas un test. Y’a pas de mauvaise réponse. » Elle peut encore me dire qu’elle s’est surestimée et qu’elle a changé d’avis. Qu’elle a entendu raison. « Si j’te dis que j’en ai pas envie, tu vas pas me croire. » J’esquisse un sourire satisfait. « Il y avait une mauvaise réponse, en fait. Me mentir. » Celle-là, je ne l’aurais pas appréciée. Et Spencer n’est pas tombée dans le travers de la malhonnêteté : c’est tout à son honneur. Alors, je ne la remercie pas. Mais ma réponse veut dire la même chose que si je l’avais fait. « C’est si grave que ça s’ils tapent dedans, les dealeurs ? » Je pince les lèvres, ne sachant trop quoi répondre. A l’époque de Mitchell, chacun était blanchi, logé et nourri, nourri selon exactement tous ses besoins. Moi, j’apprécie un peu moins les pertes évitables et préfère distribuer avec parcimonie. « J’veux dire, tant qu’ils rentrent l’argent et font pas de vague. » - « C’est ce que t’as l’intention de faire ? » Si elle croit en son abstinence, pourquoi me poser cette question ? Pourquoi préparer le terrain ? « La recette de leur vente, c’est de l’argent. De l’argent qui m’appartient. » Alors, je penche la tête sur le côté. « Est-ce que c’est grave de me voler ? Ça dépend de l’humeur dans laquelle je suis. » Et donc, cela peut être à minima embêtant, si elle voit ce que je veux dire. « J’ai pas d’autre alternative, Raelyn. Je- J’ai pas les compétences pour décrocher un job qui paye assez bien si je veux pouvoir te rembourser un jour. » Je le sais. Elle aussi, de toute évidence et j’ai du mal à lui opposer le moindre argument. « S’il te plait, j'en ai besoin. » Indécise, je frotte mes tempes de mes doigts, tentant de trouver une solution rassurante et satisfaisante pour tout le monde. « Je vais réfléchir, Spence. » Je n’ai pas envie de dire oui, mais j’ai envie de saluer son effort, son besoin de remettre les comptes à zéro. « Doit y avoir une autre façon pour toi de faire rentrer plus d’argent. » J’ai déjà une idée, mais une que je dois d’abord exposer à Amos. « Je dois réfléchir. Ça te convient comme réponse ? » Je récupère le pochon en plastique dans mes mains. Mes mains qui, elles, ne tremblent pas.

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Spencer Blackwell & @Raelyn Blackwell

« Le prends pas personnellement, t’as juste pas le profil typique d’un génie du crime. » Regardez qui parle. Raelyn et sa silhouette toute fine, Raelyn avec sa petite fille qui n’a même pas encore l’âge de parler, Raelyn et son air bien propre sur elle. Pas vraiment Le genre de tableau qu’on imagine pour quelqu’un qui gère un réseau de dealeurs dans la cave de son casino ou peu importe jusqu’où ça va. « Toi non plus, hein. Sans vouloir t’offenser. » Qu’elle relance, presque railleuse avec son sourire amusé au coin des lèvres. Pourtant, ce n’est ni de la provocation, ni de la moquerie ; c’est un fait, une simple constatation avec laquelle l’aînée ne pourra pas tellement être en désaccord. Elle le sait sûrement, en joue probablement parce qu’après tout, n’est-ce pas là la couverture parfaite ? Qui soupçonnerait une mère de famille ou une businesswoman à succès ? Personne, voilà. C’est pas le profil type, pas l’image qu’on se fait d’un baron de la pègre ou qu’importe l’appellation qu’on donne à ces gens-là de nos jours.

« Il y avait une mauvaise réponse, en fait. Me mentir. » Une chance qu’elle ne l’ait pas fait, alors. Si elle avait été sûre d’être crue, peut-être qu’elle s’y serait tout de même risquée. Juste histoire de convaincre sa soeur de lui laisser une chance de faire ses preuves. Seulement voilà, elle n’avait aucun contrôle sur ses réactions physiques et aucune maîtrise de son propre corps, alors à quoi bon tenter le diable. Elle même n’y aurait pas cru. « C’est ce que t’as l’intention de faire ? » Non, bien sûr que non, qu’elle veut s’empresser de répondre. Mais Raelyn reprend déjà. « La recette de leur vente, c’est de l’argent. De l’argent qui m’appartient. » Ouais, des pertes qui peuvent être conséquentes à la longue, sûrement. La jeune femme pince les lèvres et plisse le nez dans une grimace. « Est-ce que c’est grave de me voler ? Ça dépend de l’humeur dans laquelle je suis. » « C’est pas- » Elle s’interrompt, affiche un sourire pincé et souffle un coup. « C’est pas vraiment ce que j’avais en tête, non. » Pas ce qu’elle a voulu dire, même si elle comprend l’interprétation que vient d’en faire Raelyn. « C’est pas prévu dans mes plans, quoi. » C’est rare que les choses se déroulent selon le plan initial, de toute façon. Dans l'hypothèse où elle a ce job, il ne lui faudra compter que sur sa propre volonté pour ne pas céder à la tentation et comme Raelyn vient de le démontrer avec une simple pilule, c’est loin, très loin d’être gagné. Dans un environnement peu contrôlé, en contact régulier avec ces produits là, ça sera compliqué de garder la tête hors de l’eau. Un truc par ici, un truc par là, si au début ça peut passer inaperçu et ne déranger personne, la chute n’est jamais très loin. « Je vais réfléchir, Spence. » Et c’est probablement tout ce qu’elle peut espérer pour aujourd’hui. « Doit y avoir une autre façon pour toi de faire rentrer plus d’argent. » Peut-être ? Possiblement. Ça dépend de plein de facteurs et Spencer n’est clairement pas assez au courant des rouages de son organisation et de ce que ça comporte pour émettre la moindre idée autre que celle de dealer. « Je dois réfléchir. Ça te convient comme réponse ? » La blonde acquiesce doucement, acceptant l’idée qu’elle n’aura pas mieux de toute façon. C’est une décision qui doit se réfléchir, elle en a conscience ; personne de sensé n’accepterait qu’une ancienne camée aie accès à des stocks de drogues diverses et variées pour aller les vendre à qui est assez idiot pour les acheter. Personne de sensé n’envisagerait même l’idée, s’il faut être honnête. « Je- Ouais. Merci de quand même considérer l’idée. » Aussi débile soit-elle, cette foutue idée. Ce n’est pas un refus catégorique, pas une promesse de quelque chose non plus C’est mieux que rien pour l’heure, quoi. « C’est tout ce que j’avais à demander. » C’est sans doute la dernière grosse faveur qu’elle demandera, aussi. Pour quelqu’un qui déteste devoir des comptes aux autres, elle est déjà trop tributaire de Raelyn alors autant arrêter les frais dès que possible. « J'devrai retourner bosser, ils vont m'attendre. » Et elle n'a pas envie de se faire taper sur les doigts par le responsable de salle plus que de raison.

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« Toi non plus, hein. Sans vouloir t’offenser. » Un sourire étire mes lèvres puisque, non, elle ne m’offense pas. Je l’ai entretenu toute ma vie, la présomption d’innocence que m’offrent mon minois, mon petit gabarit et mon sourire. Pourtant, contrairement à Spencer, j’ai laissé derrière moi depuis longtemps le look junkie sur la pente descente qui n’aspire pas à la confiance. Je préfère avoir l’air d’une femme d’affaires. Je préfère qu’en me voyant descendre de ma voiture conduite par un chauffeur, perchée sur des escarpins Jimmy Choo et vêtue d’une robe Valentino, les gens s’imaginent que j’ai fait fortune grâce à mon sens aiguisé des affaires. « C’est volontaire, dans mon cas à moi. » Je pourrais arborer des yeux charbonneux, des jeans troués, une veste en cuir et des bracelets cloutés. Le tout irait fabuleusement bien avec ma tignasse blonde platine. Mais les apparences sont importantes, je l’ai appris il y a des années. « C’est quoi ton excuse à toi ? » Je n’attends pas réellement de réponse puisque je n’attends pas réellement d’excuse. Il ne s’agit que d’une joute verbale, du genre qui m’amuse et qui m’anime. Qui nous prépare aussi au reste de la discussion.

J’ignore si Spencer est capable de me voler. Je crois que je m’en moque et qu’au fond, c’est loin de me préoccuper. Elle me doit tant d’argent que j’ai cessé de compter les points. Tout cela n’est qu’une excuse pour admettre que, au fond, je n’ai pas envie qu’elle replonge, que cela me préoccuperait. Pourquoi ? Je l’ignore : Spencer n’est pas ma fille, et on ne peut même pas dire qu’elle fait partie intégrante de mon quotidien. Pourtant, je me sens responsable d’elle, d’une façon différente de Micah - je pousserait Spencer sur les rails d’un train si je devais choisir entre elle et mon bébé - mais d’une façon que je ne peux pas ignorer non plus. Sauf que Spencer est une adulte. Elle a le droit de faire ses choix, aussi mauvais soient-ils. Contrairement à Amos, pour qui mon rôle est de le protéger de lui-même, ce n’est pas le cas avec la petite blonde. Je n’envisage pas notre relation sur un pied d’égalité, mais je considère aussi que je dois la traiter comme je traiterais n’importe qui. « C’est pas… C’est pas vraiment ce que j’avais en tête, non.  » - « Bien. » Je m’en doute. Ce que Spencer ignore, c’est sa faculté à maîtriser ses envies, je ne suis pas idiote. J’ai douté de moi aussi, les premiers temps. J’ai été tentée plus d’une fois, et chapeauté par Aaron lorsque je jonglais avec mon sevrage et mes nouvelles attributions de dealeuse, à l’époque où je refourguais la marchandise du Club dans les boîtes de nuit et bars de la ville. « C’est pas prévu dans mes plans, quoi. » Le coin gauche de ma lèvre s’étire, et c’est là la seule réponse à laquelle elle aura droit.

« Je- Ouais. Merci de quand même considérer l’idée. » Je pousse un soupir, regrettant déjà les choix que je suis en train de faire, la décision que je suis en train de prendre. Spencer ne peut pas s’approcher de la drogue sous toutes ses formes. Mais est-ce que cela veut dire qu’on ne peut pas lui faire confiance avec quoi que ce soit pour autant ? « Y’a pas de quoi Spencer. C’est noble, de vouloir rembourser tes dettes. » Ce qui m’inquiète, c’est l’idée qu’elle puisse être en train de se surestimer. « C’est tout ce que j’avais à demander. J'devrai retourner bosser, ils vont m'attendre. » Je hoche la tête, et je clos cette discussion sans effusion de sentiments.

***

« Est-ce que tu connais les règles du Blackjack, Spence ? » Je me suis approchée du bar où ma demi-sœur est de service ce soir. J’ai commandé un verre de scotch sans un mot de plus, et j’ai patiemment attendu d’être seule en observant les amateurs de jeu dépenser leur argent pour m'enrichir, nous enrichir, moi et ma famille. J’ai attendu d’être la dernière autour du bar et face à la jeune femme pour lui adresser cette question qui, contrairement à ce qu’on pourrait penser, n’est pas juste une façon polie de lui faire la discussion.

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Spencer Blackwell & @Raelyn Blackwell

« C’est volontaire, dans mon cas à moi. » Entretenir une image propre et bien sur tous les rapports, forcément, ça évite de s’attirer les soupçons des autorités et des gens trop curieux.  « C’est quoi ton excuse à toi ? » Spencer laisse échapper un léger rire amusé. « Moi ? J’suis juste douée pour me retrouver dans les emmerdes. » Bien loin d’un génie du crime, donc. La jeune femme est réellement la définition ambulante du mauvais endroit au mauvais moment, toujours présente mais jamais préparée à recevoir et parer les coups envoyés à la tronche par le destin. Si jusqu’à maintenant elle s’en est généralement sortie, ça n’a pas été tout à fait indemne. Elle n’a pas réellement envie de retourner sur cette voie-là, mais il le faut si elle veut pouvoir y voir plus clair un jour prochain.  

Après quelques réassurances sur ses intentions et les raisons qui la poussent à venir faire une énième demande ici et maintenant, il semble que sa demi-soeur ait plus ou moins choisi de réfléchir à l’idée qui a été soumise, aussi farfelue soit-elle. « Y’a pas de quoi Spencer. C’est noble, de vouloir rembourser tes dettes. » Noble, c’est pas tellement le terme que Spencer aurait employé. Il s’agit plus d’une volonté de se délester d’un poids un peu trop lourd sur ses épaules, un besoin de pouvoir enfin aller de l’avant sans constamment attendre le moment fatidique du payback. Elle n’ajoute rien d’autre, cependant, la discussion se terminant là pour le moment. Pas de promesses d’avoir quelque chose, mais au moins celle de considérer l’option, ce qui est déjà bien plus que ce qu’elle aurait espéré de base. Mais ça, c’est Blackwell et ses peurs du rejet qui parlent, c’est la gamine qu’on a quasiment toujours mis de côté qui se méfie de la moindre demande formulée et c’est la jeune femme à qui on a souvent fait des promesses sans jamais s’y tenir. Avec Raelyn cependant, c’est différent. Il n’y a pas de faux semblants, pas de honte de son passé à avoir ou de choses à cacher, rien de tout ça. Elle se contente d’acquiescer avec un demi sourire reconnaissant, puis s’éclipse pour reprendre son poste.

***

Fait étonnant, ce soir, Raelyn descend, vient jusqu’au bar et prend une conso. Rien d’alarmant ou même d’inhabituel, après tout elle reste la patronne des lieux et a bien le droit de faire ce qu’elle veut quand elle le veut, c’est surtout la rareté du moment, qui est à noter. Ca n’empêche pas Spencer de lui servir son verre sans poser de question avant de reprendre ses occupations. Si elle s’interroge sur la présence de sa demi-soeur, ce n’est pas ça qui va l’empêcher de bosser, clairement. Les quelques autres clients autour du bar partent petit à petit vers d’autres horizons, laissant les deux frangines en tête à tête. « Est-ce que tu connais les règles du Blackjack, Spence ? » Curieuse, la concernée arque un sourcil en rangeant le verre qu’elle vient de terminer d’essuyer. « Heu… Je suis pas une experte comme certains ici mais je connais les bases, quoi. » A force de regarder les autres faire, et après avoir fait quelques parties sur ses heures off, elle a appris quelques trucs auprès de ses collègues mais ça s’arrête là. La stratégie du jeu, toutes les subtilités etc, elle n’y est clairement pas encore. « Pourquoi, tu veux faire une partie ? » qu’elle reprend d’un air amusé en regardant dans la direction d’une des tables de jeu encore occupée. Sans doute pas, si c’était le cas elle serait directement allée s'asseoir autour d’une table et pas ici, au bar.  

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Raelyn Blackwell & @Spencer Blackwell ☆ crédit/harley

« Moi ? J’suis juste douée pour me retrouver dans les emmerdes. » Je laisse échapper un rire amusé, avant de secouer la tête, d’écraser ma cigarette à présent entièrement consumée dans mon cendrier, et de me redresser. « Ça tombe bien, je suis plutôt douée pour en sortir, de mon côté. » Tout le monde n’est pas forcément d’accord avec mes méthodes, ma froideur peut offusquer certains et choquer d’autres, mais il y a une chose qui est indéniable : je ne suis pas le genre de personne qui baisse les bras. Au contraire, je trouve des solutions. Et pour répondre au problème de Spencer, il doit bien en exister une qui n’aille pas à l’encontre de ce que mes tripes me hurlent : à savoir que la tenir proche de la marchandise du Club est la pire idée qu’il soit, pour elle comme pour moi. J’ai en Spence une confiance relative mais existante. En revanche, je n’accorde aucune confiance aux junkies : je suis bien placée pour savoir qu’il vaut mieux éviter cette erreur, à une époque, j’aurais été prête à vendre père et mère pour une dose de cocaïne.

***

La solution s’est présentée sous la forme de la départ de Stacey, quelques jours après la requête de ma demi-sœur. Amos m’a affirmé que la petite croupière n’était une menace pour personne avec un aplomb qui ne permet pas de douter, et je lui ai fait confiance. Je me fie à lui sans limite ou restriction. Alors, je l’ai laissée partir. Je l’ai laissée quitter non seulement l’Octopus, mais également le Club avec une seule promesse : si elle parle, je la trouverai pour le lui faire regretter. Je connais les gens dans son genre, la peur les rend muets, bien plus dociles que révoltés, et ils oublient leur sens moral. A une époque, j’aurais décrété que, vivante, la jeune femme resterait ad vitam aeternam une menace, un risque que je ne suis pas prête à prendre mais, aujourd’hui, je me fie à la certitude de mon conjoint. Stacey est partie, et un problème se pose maintenant : à qui faire confiance pour tenir cette table si particulière, celle à laquelle ne jouent que des habitués bien précis : les membres du Club ? Envisager Spencer dans ce rôle m’a semblé être une solution à deux problèmes à la fois, et je me suis posé la question suivante : suis-je en train de prendre un risque ? Spencer connaît déjà, superficiellement certes, la face cachée de mes activités professionnelles. Ai-je réellement moins confiance en elle qu’en une étrangère - Stacey l’était pour moi - ou un membre du Club ? Je n’envisage personne pour ce rôle. Il aurait pu incomber à Carly si j’avais jugé qu’il revêtait du moindre intérêt pour elle, mais j’en doute. Dans ces conditions, me tourner vers une jeune femme qui partage mon sang et qui m’est redevable au delà de toute imagination, est-ce idiot ? Je ne le pense pas, et Amos non plus. Lorsque je lui en ai touché deux mots, il a validé le profil de la petite blonde qui travaille déjà pour nous. J’ai attendu quelques jours pour venir la trouver, laissant à mon instinct le temps de faire sonner une alarme si toutefois je faisais fausse route. Mais je ne pense pas me tromper, et c’est pourquoi aujourd’hui, je suis descendue trouver la jeune femme pendant son service. « Heu… Je suis pas une experte comme certains ici mais je connais les bases, quoi. » Elle apprendra, de toute façon. Personne ne lui demandera jamais de réfléchir à une stratégie digne de figurer dans des manuels, et chaque partie sera scriptée à l’avance pour donner à chacun la somme exactement que le Club lui doit. Ce qu’elle devra apprendre donc, c’est comment tricher de la plus efficace et discrète des façons. « Pourquoi, tu veux faire une partie ? » Amusée, je secoue la tête et je fais tourner mon verre dans mes doigts, bien en évidence. « J’ai l’air d’avoir envie de faire une partie ? » Avant d’être le bras droit du patron d’un endroit comme l’Octopus, j’étais déjà bien plus du genre à profiter de ce que le bar avait à m’offrir, dans ce type d’endroit. « Je ne suis pas bien douée aux cartes. Amos s’est évertué à m’apprendre à jouer au poker, et puisqu’il s’agit de bluff et de mensonge plus que de réel talent, je me débrouille mais pour ce qui est du reste… » Je ne suis pas plus douée que cela m’intéresse. Le réel féru de jeu, c’est ma moitié. « Comment tu penses que l’argent de nos… Activités annexes rentre dans les comptes du Casino et fait son chemin jusqu’à mon compte en banque ? » Je n’ai pas payé sa cure de désintoxication en cash, de toute évidence, pas plus que je ne m’offre de cette façon toutes les choses luxueuses que je possède.

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Spencer Blackwell & @Raelyn Blackwell

Ce qui intrigue le plus Spencer dans la question posée par Raelyn, c’est sans doute le fait que ça sorte un peu de nulle part. D’ordinaire elles n’interagissent que peu sur les horaires de boulot, ou en tout cas ça se fait dans un cadre plus privé et contrôlé. La jeune femme a fait profil bas depuis leur dernière réelle entrevue, attendant avec autant d’impatience que d’appréhension une éventuelle réponse à sa requête. Oui, non, peut-être, sous quelle forme, comment elle va gérer vis à vis de sa sobriété encore fragile, c’est difficile à dire. Le fait est qu’elle a encore eu le temps de cogiter depuis la dernière fois, mais ce n’est pas pour autant qu’elle compte renoncer en disant que finalement “non, c’est une mauvaise idée.” C’en est une, c’est une certitude, mais comme elle l’a dit, elle n’a pas les compétences ou les moyens de chercher ailleurs et espérer avoir plus qu’une paye de simple serveuse ou de magasinière dans une épicerie. « J’ai l’air d’avoir envie de faire une partie ? » La jeune femme sourit en haussant les épaules. « Pas vraiment. Mais hé je juge pas, chacun ses hobbies. » Qu’elle ajoute en levant les mains en l’air avant de retourner à sa vaisselle avec le plus grand sérieux du monde. A la voir, on pourrait presque croire à une employée modèle. « Je ne suis pas bien douée aux cartes. Amos s’est évertué à m’apprendre à jouer au poker, et puisqu’il s’agit de bluff et de mensonge plus que de réel talent, je me débrouille mais pour ce qui est du reste… » Elle sourit doucement, Spencer, imaginant le concerné en train de prendre de son temps pour lui enseigner tous les rouages d’une partie de cartes, elle imagine surtout Raelyn en train de perdre patience face à son compagnon et ça la fait un peu sourire. « Comment tu penses que l’argent de nos… Activités annexes rentre dans les comptes du Casino et fait son chemin jusqu’à mon compte en banque ? » Un peu machinalement, Spencer laisse traîner son regard aux alentours avant de revenir sur Raelyn. Si c’est elle qui revient sur le sujet, ce n’est absolument pas anodin et ça veut potentiellement dire que la jeune femme aura sa réponse quant à une possible future implication ou non. « Hum… J’me suis posé la question mais jamais en détail. » Parce que justement, pour ce genre de mécanique là, ça demande sans doute un peu plus de réflexion que de détrousser les poches de quelques inattentifs dans un bar bondé. Ici on ne parle pas de quelques centaines de dollars qui peuvent être écoulés sans alerter tous les comptables de la ville et s’attirer les regards indésirables des autorités compétentes, non. Ce genre de business ça brasse et ça génère des sommes dont Spencer ne peut qu’imaginer la réelle valeur et même là, elle est à peu près certaine d’être loin du compte. Une des raisons pour lesquelles l’une est un génie du crime autoproclamé et l’autre pas. « Ils viennent le jouer ? » C’est la seule réponse logique qui lui vient et elle pense ne pas trop s’avancer en affirmant être sur la bonne piste. Mais encore une fois, le détail lui échappe. Soit ils sont tous très bon dans les jeux de cartes, soit un ou plusieurs croupiers désignés s’occupent de ça à des moments définis. A tous les coups la véritable façon de faire lui arrachera un “aaah, oui maintenant que t’en parles” un peu perdu, et effectivement avec le recul certains comportements et certaines habitudes paraîtront sûrement évidentes pour quiconque y prêterait attention, mais en attendant elle ne peut qu’assumer.  

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Raelyn Blackwell & @Spencer Blackwell ☆ crédit/harley

Observer les gens – les autres – travailler alors que je nage dans un océan de privilèges a toujours eu quelque chose de cathartique. Spencer s’active, nettoie des verres et les range – l’heure de la fermeture est proche et je ne l’ai pas attendue pour rien, je me suis assurée que nous ne serions pas dérangées, la blonde et moi – et je pourrais rester pendant de longues minutes à fixer le liquide ambré dans mon verre et la demoiselle transpirer derrière le comptoir. Mais je ne suis pas là pour ça. Mes pas ne m’ont pas guidée jusqu’au bar simplement pour profiter de l’aspect apaisant du calme apparent d’un établissement de nuit au petit matin. Je ne suis pas apaisable, pas alors que, pour protéger mon bébé, j’ai dû l’envoyer loin de moi. Pas alors que Micah est je ne sais où quand son père et moi sommes ici et que nous n’avons pas vu ses petites boucles blondes depuis près d’une dizaine de jours. Tous l’ignorent, évidemment, mais je suis déchirée à l’intérieur à cause de l’absence de ma fille. Aussi, je n’ai que peu de patience, et j’espère que Spencer sera aussi concentrée que coopérative. « Pas vraiment. Mais hé je juge pas, chacun ses hobbies. » - « Tu devrais te faire la main sur quelques parties de poker. »  Autrement dit : tu es aussi facile à lire qu’un livre ouvert. Spencer est une mauvaise menteuse : une qualité que j’ai du mal à respecter, mais que j’apprécie chez ceux à qui j’ai donné un bout de ma confiance. Et si elle travaille ici, c’est qu’elle fait partie de ces derniers, ma demi-sœur.

Et je place un peu plus de confiance en elle encore en m’apprêtant à lui donner un rôle plus important encore, un rôle que l’on peut même qualifier de clé dans le fonctionnement du casino. Le blanchissement des recettes du Club est une machine bien huilée, et je ne tolèrerais aucun dysfonctionnement alors que cela touche à ce qui motive finalement tout entrepreneure, et j’en suis une dans l’âme si ce n’est dans la pratique, l’argent. « Hum… J’me suis posé la question mais jamais en détail » Un sourire étire mes lèvres. Bien sûr qu’elle n’y a pas pensé : c’est bien pour ce genre de raison que Spencer se retrouve à l’aube de la trentaine – ou presque – à subir une vie de mauvais choix, à bosser en tant que serveuse pour payer ses dettes faramineuses et à me supplier de la laisser elle, toxicomane à peine sobre, responsable d’une partie de la marchandise du Club. Si je n’avais pas existé, où serait-elle aujourd’hui, Spencer ? Si la demi-sœur aussi providentielle que richissime que je suis n’était pas tombée du ciel au meilleur moment ou presque, serait-elle toujours de ce monde ? Serait-elle morte d’overdose, ou passée à tabac par un type pire qu’Otto qu’elle aurait tenté de rouler ? Le fait est que je ne suis personne pour la juger : je suis là où j’en suis parce qu’on m’a tendu la main – plusieurs fois du reste – et que j’ai su la saisir lorsque ça comptait. « Ils viennent le jouer ? » Là, mon sourire s’agrandit et mon verre – que je faisais jusque-là tourner entre mes doigts de façon distraite – retrouve le bois verni du bar. C’est la demoiselle qui a toute mon attention, désormais. « T’es pas si naïve que t’en as l’air, tout compte fait. » Elle les a vu tourner autour des tables, tous ces visages qui ne ressemblent pas à la clientèle habituelle de l’Octopus. « Stacey va partir. » Ou plutôt, nous allons la laisser partir et pour cause : si le Club n’est pas une œuvre de charité, elle a gagné son droit d’aspirer à une autre vie. Elle part avec son lot de secret, mais les révéler impliquerait une destruction mutuelle : elle sait que nous avons de quoi lui faire regretter son choix. Elle sait aussi ce qui arrive aux traites et je doute que la douce jeune femme soit prête à prendre le moindre risque. « Et c’est Stacey qui était aux commande de notre petite… Mise en scène. » Appelons là comme ça. « Le mardi et le jeudi de minuit à une heure les semaines paires, et les lundi et le vendredi de vingt-trois heures à minuit les semaines impaires, sa table se transforme en… » Je fais mine de réfléchir, confiant à la blonde les plages sur lesquels chaque membre du Club se doit de venir jouer ses recettes pour récupérer ce que l’organisation lui doit. Des plages régulières, mais assez variables pour ne pas attirer l’attention. « En table pour les les habitués. Les membres du Club jouent les recettes et empochent, irrégulièrement pour ne pas attirer l’attention, exactement ce que je leur dois. » Pas un centime de moins, pas un de plus. « Stacey était douée avec les chiffres. Et elle avait une bonne mémoire. » Et une organisation irréprochable lui permettant d’annoter sans éveiller les soupçons les sommes déboursées par chacun pour calculer en retour, leur part du pactole. « Tu crois que t’es capable de faire preuve des mêmes qualités ? »

wicked ways
Spencer Blackwell & @Raelyn Blackwell

« Tu devrais te faire la main sur quelques parties de poker. » Un nouveau rire amusé lui échappe et elle hausse légèrement les épaules. « Ouais, j’verrai avec les collègues à l’occasion. » Ca ne lui plait pas forcément de trainer dans le coin hors de ses horaires de boulot, mais si ça peut l’aider un minimum à relever le niveau, pourquoi pas. Elle a passé beaucoup de temps à mentir, Spencer, sur tellement de sujets et à tellement de gens qu’elle a fini par ne plus faire d’efforts dans sa façon de faire. Il est peut-être temps que ça change.

Les éléments semblent s’emboiter, petit à petit, et d’un coup plein de petits détails qui paraissent étranges prennent tout leur sens. « T’es pas si naïve que t’en as l’air, tout compte fait. » C’est marrant cette image de grande naïve un peu benette qui lui colle à la peau depuis toujours. C’est pas tout à fait faux, non plus, mais c’est pas tout ce qu’elle est, Spencer. Quand elle s’en donne la peine, elle est même tout à fait capable. Encore faut-il qu’elle y trouve un intérêt et coup de bol aujourd’hui, c’est le cas. « Stacey va partir. » Inconsciemment, son regard se porte brièvement vers la salle, comme pour sonder l’endroit et chercher la concernée. « Et c’est Stacey qui était aux commandes de notre petite… Mise en scène. » Ok, ouais. Elle retient un “oooh” qui sonnerait à la fois faux et mal placé, se contentant d’hocher la tête en écoutant avec une attention toute particulière. « Le mardi et le jeudi de minuit à une heure les semaines paires, et les lundi et le vendredi de vingt-trois heures à minuit les semaines impaires, sa table se transforme en… En table pour les habitués. Les membres du Club jouent les recettes et empochent, irrégulièrement pour ne pas attirer l’attention, exactement ce que je leur dois. » Spencer prend des notes mentales mais il lui faudra bûcher les horaires avant de totalement les avoir en tête. Si c’est aussi fixe, ça ira, elle est bonne pour les tâches répétées et planifiées, ça lui fera même sûrement du bien de faire autre chose que le service. Au moins dans ce rôle là, il y a une importance, un but et c’est sans doute la première fois qu’elle se voit proposer ce genre d’alternative. « Stacey était douée avec les chiffres. Et elle avait une bonne mémoire. Tu crois que t’es capable de faire preuve des mêmes qualités ? » C’est beaucoup à prendre en compte, il faut être honnête. Est-ce qu’elle est prête à s’essayer à l’exercice et à donner le meilleur d’elle-même ? Oui, sans doute. Elle ne le saura pas avant de faire le grand plongeon, de toute façon. C’est autant une façon de repayer Raelyn pour tous les services rendus depuis plus d’un an maintenant, qu’une manière de se rapprocher d’elle. « Oui ? J’veux dire faudra me montrer exactement comment c’est supposé fonctionner mais, ouais. » C’est bien ça, elle n’a même pas bégayé pour répondre alors qu’il y a tout de même une paire d’informations à assimiler. Mais elle est motivée, Spencer, elle tient à faire ça bien et à ne pas décevoir. De toute façon, si elle s’engage vraiment là-dedans, elle ne pourra plus faire marche arrière et elle le sait. Un autre détail important à noter, c’est qu’elle n’a pas non plus le droit à l’erreur. Et c’est pas parce qu’elle partage le même patronyme que la patronne que ça lui donnera une marge. C’est important, comme poste, plus que ce à quoi elle s’attendait, mais ça peut lui convenir. Il lui faudra un petit temps d’adaptation, juste de quoi se rendre capable de faire un sans faute. On l’a souvent traitée comme une incapable ou de bonne à rien, le truc c’est qu’elle ne se donnait pas la peine de se donner à fond. Là, elle a toutes les raisons de le faire, elle a l’envie et la motivation et c’est arrivé assez rarement pour être noté. « Mais ils vont rien dire les autres ? » Y en a sûrement qui vont râler, peut-être que certains en place depuis bien plus longtemps convoitaient le poste, pour ce qu’elle en sait. « J’veux dire, j’en connais une à qui ça ne va pas plaire. » Sa blondasse d’assistante là, elle est toujours là avec son air de pimbêche à surveiller les moindres faits et gestes de Spencer, aucune idée d’où vient le problème, mais c’est pénible. « Et Amos serait d’accord, aussi ? » Forcément qu’il l’est, si elle lui dit tout et qu’ils ne fonctionnent pas l’un sans l’autre, c’est qu’il a au moins donné son accord de principe. La vraie question sous-jacente, c’est surtout de savoir ce qu’il en pense, lui.