« Le seul qui me parle est As Everything Unfolds pour être honnête. » Tu es déjà pas mal impressionné qu’il les connaisse. C’est une bonne chose. Pour le groupe en question surtout. Ils grimpent doucement mais sûrement. Ce n’est pas la musique que tu écoutes mais quand tu les entends, tu apprécies. Tu sais que la tournée ne va pas te taper sur les nerfs. Nope. Tu sais d’avance que tu voudras qu’elle dure toute la vie. Tu veux déjà mettre pause sur le moment alors qu’il n’a pas encore commencé. « J’imagine que ça doit être quelque chose quand on est le groupe qui host. » Tu confirmes d’un signe de la tête. Ca va changer bien des choses. Ca va ramener des souvenirs car ces salles d’Angleterre tu les as déjà foulées il y a plus de dix ans.
Tu pars un petit instant dans tes réflexions, buvant une gorgée de ton verre en même temps. Tu te projettes déjà dans cette tournée avant de relancer la conversation sur son boulot à lui. « Pas directement. Lorsque j’ai été recruté, la Northlight préparait déjà une œuvre originale. Donc j’assiste pour l’instant en tant que répétiteur et professeur de danse. Cela me permet de prendre mes marques aussi et de mieux connaître tous les artistes. » Petit à petit. Tu vois. Tu comprends. Tu captes que c’est une situation confortable. « Mais j’ai quelques projets que j’aimerai proposer, voir si cela plaira. Pour le côté danse, j’ai vingt-deux danseurs pour être exact. Et ce n’est pas évident d’avoir l’œil partout. » Tu n’es pas sûr de comment ça fonctionne ça aussi mais tu le crois sur parole quand il dit que ce n’est pas évident. Est-ce que ce serait comme si tu avais 20 personnes dans ton groupe ? Sûrement. Vous êtes deux, tout est bien plus simple qu’avant. C’est bien la seule chose que tu préfères en recommençant la route du début. « Tu te vois finir ta vie à Brisbane ? » Intéressant comme question Asher. Ca te trotte personnellement depuis un moment et la seule raison pour laquelle tu es encore ici, c’est parce qu’il y a tes amis les plus proches ici. Mais le monde entier à explorer t’appelle, mais tu as une peur viscérale de te retrouver tout seul et de sombrer de nouveau dans le plus sombre des recoins de ta tête. Un puit sans fond que tu ne veux pas visiter. « J’ai déjà vécu en Angleterre et à Melbourne. » Tu ajoutes, tu ne sais pas trop pourquoi. Lui aussi a filé ici et là vu son départ suivi de son retour. « J’aimerai bien avoir une boule de cristal pour savoir où je vais finir ma vie. » Un léger sourire sur tes lèvres alors que tu rajoutes ça également.
La musique constituait une grande part de ma vie. Je n’étais pas musicien pour un sou, j’étais bien incapable de composer quoi que ce soit pour être honnête. Pourtant, pour le danseur que je suis, c’était bien parce que la musique accompagnait chacun de mes mouvements que je me sentais porté par elle. Alors certes, pas toutes les musiques étaient évocatrices pour moi, pas toutes arrivaient à gérer un ensemble d’émotions ou de sentiments en moi de la même façon que d’autres. Cependant l’hétéroclisme de l’univers musical m’avait toujours quand même fasciné, en témoigne ma playlist. Il est vrai que je fus quand même surpris – impressionné plutôt – de savoir qu’un groupe que je connaissais aller faire la première partie de l’un de ses concerts. Cela faisait toujours bizarre de se dire que quelqu’un qu’on connait de nom est connu plus concrètement par autrui, en l’occurrence Asher. Enfin sans doute que la musique était un monde où tout le monde se connaissait plus ou moins, je pense.
La question du beau blond me tira un sourire. Un sourire léger, plus discret que ceux que je pouvais montrer. « C’est une bonne question. » dis-je avant de boire une gogée de mon verre. « A dire vrai, je suis parti de Brisbane car je pensais que je n’aurai aucun avenir dans la danse si je restais ici, avec la présence d’un père qui désapprouvait ce choix. Quand je regarde mon parcours, je me dis que j’avais peut-être raison. » C’était étrange de dire cela, mais peut-être est-ce parce que j’avais baigné dans l’esprit de la Queensland Academy of Ballet ; que je faisais cela pour atteindre le but ultime : celle d’intégrer une prestigieuse compagnie de danse classique, ce qui revenait à rejoindre les ballets résidents des Opéras. « Mais je n’en sais rien. Je pensais finir ma vie en France, du moins le temps de ma carrière au début. Pourtant, je suis revenu en Australie pour repartir vers les Etats-Unis et me voilà de nouveau ici. » indiquais-je.
La surprise vint transparaître légèrement sur mes traits alors qu’ils reprennent bien vite une expression plus douce. C’est bien la première fois que je l’entends me dire quelque chose de personnel de lui-même. « Et tu aimerais y retourner ? » Simple question après tout. A dire vrai, je ne savais pas quoi faire de cette information. Sa réflexion sur la boule de cristal me fit rire. « C’est vrai que ce serait plus simple mais… je crois que j’aime aussi ne pas savoir. C’est peut-être une illusion mais j’aime me dire que j’ai un semblant de contrôle sur la direction que prend ma vie. » Oh je savais comment elle se terminerait, comme tout ce qui est vivant ici-bas. Mais je me disais que ce qu’elle contenait, ce que j’avais pu vivre, c’était de mon fait.
Posant mes coudes sur le bar, alors que je rejoignais mes mains devant mon visage pour m’appuyer dessus et fixer Asher. Je restais silencieux, me contentant de le regarder avant de finalement reprendre la parole. « Est-ce que cela t’es arrivé de tout lâcher à un moment ? »
« C’est une bonne question. » Il boit une gorgée et tu fais de même alors que tu te perds doucement dans tes pensées. « A dire vrai, je suis parti de Brisbane car je pensais que je n’aurai aucun avenir dans la danse si je restais ici, avec la présence d’un père qui désapprouvait ce choix. Quand je regarde mon parcours, je me dis que j’avais peut-être raison. » Tu sors de ton absence pour l’écouter et lui donner ton attention et tu ne comprends pas tout. C’est sûrement normal vu que tu ne connais pas les détails de sa vie ou sa famille. Il mentionne son père qui désapprouve, t’en connais un autre. « Mais je n’en sais rien. Je pensais finir ma vie en France, du moins le temps de ma carrière au début. Pourtant, je suis revenu en Australie pour repartir vers les Etats-Unis et me voilà de nouveau ici. » Comme quoi on sait jamais où on va atterrir. Ca te laisse pensif tout ça et tu réfléchis sur ton propre parcours et les endroits où tu as vécu.
« Et tu aimerais y retourner ? » Tu repars dans tes réflexions de manière un peu plus profonde suite à cette question. Tu ne réponds pas tout de suite et il continue. « C’est vrai que ce serait plus simple mais… je crois que j’aime aussi ne pas savoir. C’est peut-être une illusion mais j’aime me dire que j’ai un semblant de contrôle sur la direction que prend ma vie. » Tu n’as aucune idée à ce propos là.« Est-ce que cela t’es arrivé de tout lâcher à un moment ? » T’es encore en train de réfléchir à sa question d’un peu plus tôt mais il t’en poses une autre et tu lâches l’affaire sur celle d’avant qui te fait trop cogiter. « J’ai déjà lâché des trucs pour partir ouais mais c’était pas des trucs importants, donc c’était tout, mais c’était rien en même temps. » Tu es très philosophique ce soir Asher, c’est beau ce que tu dis là. « Je crois que j’ai surtout été celui qui a été lâché du jour au lendemain à bien des niveaux. » Et tu t’es toujours relevé car tu es toujours là. « Enfin bref, changeons de sujet j’ai pas envie d’être tenté de me jeter sous les roues d’une voiture en rentrant chez moi tout à l’heure. » Car c’est une pensée qui te travers l’esprit bien plus qu’il ne l’est souhaitable. Un jour tu le feras peut être mais pour l’instant, tu arrives à esquiver et t’entourer des bonnes personnes. Tu devrais peut être envoyer un SMS à Will pour voir où il est et le rejoindre.
Pour le coup, je me montrais beaucoup plus bavard que le chanteur. Enfin, je crois que cela avait été toujours le cas, ce n’était pas propre à nos échanges quand j’y pense. Pourquoi donc ? Parce que j’étais bavard. J’aimais discuter, échanger. Cela ne m’avait en réalité jamais rebuté. C’était facile je trouvais, sans doute parce que j’avais un côté plus extraverti, que parler de moi ou de choses qui me touchaient de près ou de loin n’était pas problématique, au contraire. D’ailleurs, je notais tout de même qu’il était parfois plongé dans ses pensées ou du moins faisait preuve d’une certaine réflexion si je puis dire. Est-ce que c’était si profond que cela ? Il est vrai que je ne connaissais que peu de choses d’Asher dans la mesure où nos interactions s’étaient limitées à quelque chose de très professionnel au début ; bon un petit virage dans le perso mais ce n’était pas sa tasse de thé d’après ses paroles, alors autant rester en surface si on peut dire. Je ne souhaitais pas le mettre mal à l’aise et mon comportement précédent avait bien sûr témoigné qu’il était bon de savoir où mettre les pieds.
Cependant pour une fois, je ne commentais pas davantage, le laissant répondre sans tenter de rebondir davantage. Je le fixais assez frontalement pour le coup, il est vrai qu’une part de moi avait quand même envie d’en savoir davantage sur lui, sans que cela ne soit quelque chose de déplacé en l’état. Une façon de faire connaissance comme une autre peut-on dire. Je notais d’ailleurs une certaine… amertume ? je ne saurais exactement la qualifier dans ses mots. Enfin, qui aime être le laisser pour compte ? Personne je crois bien. « Surtout qu’une tournée de folie t’attend bientôt. » répondis-je avec un petit sourire. Je ne prenais pas cela à la légère mais j’avais appris à écouter quand même. Il y avait des choses qu’on n’aborde pas parce qu’on ne souhaite pas partager, et à juste titre. Je ne m’arguais en rien à être la personne à qui se confier.
Sentant mon téléphone vibrer, je fixais l’écran, tentant d’analyser les mots qui y étaient inscrits. Je grognais pour finalement le poser sur le comptoir sans davantage y prêter attention. Je savais bien de quoi il en relevait et j’étais venu ici pour me changer les idées, autant ne pas trop penser pour une fois. Finissant le contenu qui restait dans mon verre avant de le poser, je regardais celui d’Asher qui n’était plus aussi plein qu’au début. « Un dernier pour la route ? » Je lui avais proposé un autre verre après tout.
Tu repars dans tes pensées plutôt macabre le temps de quelques secondes. Ca aurait duré plus longtemps si tu étais seul et c’est bien pour ça que tu cherches la compagnie, la distraction, à tous les instants. Ta tête ne te fait pas aller des bons côtés. Tu le combats le plus que tu peux, tous les jours et tes armes c’est ça : fuir la solitude coûte que coûte. Y’a d’autres solutions à ce problème Asher, mais tu n’as pas envie de retourner vers la case psychiatre ou psychologue. Ca n’a pas marché une fois, alors pour toi, ça ne marchera donc jamais. « Surtout qu’une tournée de folie t’attend bientôt. » Alors qu’avoir une personne en chair et en os à ses côtés pour te changer les idées, c’est parfait. En plus Abel pour le coup, parle de ton futur plutôt proche autant que ce qui te fait rêver depuis des semaines, des mois. Cette tournée en UK c’est la saveur du passé dans ta vie au présent. Tu n’appréhendes pas. Tu as hâte. Y’a un fin et doux sourire qu’il pourra voir sur ton visage alors que tu tournes la tête vers lui. « Ouais… » C’est tout ce que tu trouves à répondre alors que ta tête est en train de fuser de tout ce que tu as hâte de refaire comme si c’était la première fois. Ca l’est en un sens. Première fois depuis que tu es enfant unique, première fois depuis que tu es dans ce nouveau groupe avec Johnny. Tu es la personne la plus impatiente de la terre. Tu veux goûter cette nouvelle saveur des tournées en UK. Tu veux retrouver tes potes de l’époque et de t’en faire bien des nouveaux en même temps. L’alcool, un de tes meilleurs amis, t’aidera à te dérider et à faire de nouvelles connaissances. Tu le sais.
« Un dernier pour la route ? » Tu sors de nouveau de tes pensées à cette question du danseur et tu hoches la tête. Tu n’as pas remarqué qu’il avait reçu un message, tu es dans ta bulle d’Angleterre déjà avec les meilleures pensées que tu pourrais avoir. Ca c’est que du bon. C’est parfait. Tu ne te jetteras pas ce soir sous les roues d’une voiture. Non, il faut que tu vives cette tournée avant. « Un dernier pour la route. » Tu confirmes alors que tu fais déjà signe au barman pour prendre votre nouvelle commande. Tu as déjà repéré un autre habitué des lieux en plus d’une employée avec qui tu as déjà bien discuté par le passé plusieurs fois. Tu sais que ta soirée va continuer à être remplie de conversation et ça te fait du bien.
Changer les idées, c’était quelque chose que je savais faire, enfin je crois. J’avais un peu arrêté de me surestimer dans ma capacité de faire certaines choses, même si cela faisait quand même du bien à l’égo. Toutefois, le fait de discuter avec Asher m’avait fait réaliser bien des choses en définitive. Il fallait toujours aller de l’avant, rebondir même après un épisode – comment ça un seul ? – douloureux. Après tout, si je regardais ma propre histoire, je pouvais bel et bien me rendre compte que j’avais toujours dû rebondir. Même si mon retour à Brisbane venait de ma situation familiale, c’était peut-être aussi le signe que quelque chose m’attendait ici après toutes ces années, quelque chose à vivre et à apprécier même si je n’en voyais pas encore clairement les contours.
Levant la main pour attirer l’attention du barman, je lui demandais alors de servir la même chose mais un seul. Le message que j’avais reçu m’avait indiqué qu’il n’était pas bon que je traine si je ne voulais pas entendre des propos déplaisants. Oui à trente-quatre ans, on peut encore se faire parler comme un gamin qui a fait une grosse bêtise. Cependant, j’étais quand même content d’avoir revu le chanteur qui n’allait pas tarder à s’envoler pour le Royaume-Uni, quelque chose qui semblait lui tenir à cœur d’après ce que j’avais compris.
Payant la consommation, je vins à me lever tout en posant une main sur son épaule pour capter son attention. « Je vais devoir me sauver, en tout cas cela m’a fait plaisir de te revoir, content de voir que de belles choses t’attendent. » C’était vrai après tout, même si nous n’avons pas vraiment pu explorer davantage de choses dans cette relation mais revoir un visage familier faisait toujours du bien, surtout quand il venait d’une période agréable en mémoire. « Prends soin de toi. Et savoure cette tournée ! » dis-je alors en lui donnant une petite tape avec un sourire avant de prendre congé.
C’était fortuit mais cela m’avait donné un peu de baume au cœur étrangement. Allez savoir pourquoi.
Spoiler:
Je pense que ouiii ça m'a fait plaisir de jouer avec toi depuis le temps
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