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Tandis qu’il s’affairait à panser la plaie sur le mollet de Flora, Eli faisait de son mieux pour garder l’esprit aussi vide que possible tout en peinant à y parvenir – en temps normal, il se serait concentré de toutes ses forces sur ce qu’il était occupé à faire de ses mains, mais la peau impossiblement lisse de la brune constituait précisément le type de distraction dont il n’avait certainement pas besoin à cet instant. En dépit de ses efforts, son esprit ne tarda pas à vagabonder du côté de ce qui venait de se tramer dans l’eau. Sur le moment, l’étreinte destinée à rapatrier Flora le plus facilement possible leur était venue assez naturellement, exempte d’arrière-pensées en dépit des sensations enivrantes qu’elle avait générées. Des sensations sur lesquelles il ne s’était pas attardé outre-mesure, suffisamment concentré sur sa progression dans l’eau jusqu’au voilier pour ne pas laisser les pensées intrusives le perturber. Maintenant qu’ils n’étaient plus concentrés sur le sauvetage urgent de Flora et que l’émoi était quelque peu retombé, ces pensées avaient fait une entrée fracassante dans l’esprit confus d’Eli. Ses doigts lui semblaient fourmiller au contact fantôme de la peau du dos de Flora, non contents de parcourir celle de son mollet pour en soigner la plaie. Son cœur s’agitait dans sa poitrine en se remémorant la sensation du souffle chaud de la brune contre son trapèze et la façon dont ses cheveux avaient caressé sa nuque. Son corps entier semblait fait de coton en souvenir de la façon dont elle s’était enroulée autour de lui, les bras noués autour de sa nuque, les cuisses collées à ses flancs, le buste au contact du sien. À cet instant-là, il n’y avait eu ni pudeur ni questionnements pour perturber cette étreinte remarquablement intime. Désormais, les questionnements fusaient, le souvenir du contact du corps de Flora contre le sien générant une sensation brûlante au creux de ses entrailles. Même le geste impulsif qu’elle avait esquissé en posant sa main sur la sienne lorsqu’il avait effleuré sa plaie une première fois avait généré une décharge électrique tout le long de sa colonne vertébrale, et l’avait poussé à relever un regard étrangement perturbé vers les yeux noisette de Flora, avant qu’il ne parvienne à retrouver une certaine contenance au moyen d’un sourire à la légèreté feinte et ne se remette à la tâche avec la bénédiction gênée de la jeune femme. Eli avait la bouche sèche et le souffle quelque peu court en se laissant submerger par la mémoire tactile dans lesquelles chacun de ses nerfs semblait avoir décidé d’exceller. Et rien de ce qu’il était en train de faire ne l’aidait à se remettre de ses émotions – la preuve en fut le murmure qui s’échappa de ses lèvres pour complimenter la douceur de la peau de Flora. À l’instant où les mots eurent franchi la barrière dont ils n’auraient jamais dû s’échapper, Eli fut ramené à la réalité, si mortifié par ce qu’il avait dit qu’il en vint à fuir le regard de Flora en feignant une concentration profonde sur le pansement dont il était en train d’achever la confection.

Il apparut toutefois que le duo excellait dans l’art de désamorcer les situations dont la tension se faisait difficilement tenable – ils semblaient tous deux particulièrement doués dans l’art de faire l’autruche devant des situations gênantes en déviant la conversation loin de toute potentielle source d’embarras. Flora le sauva, fût-ce volontairement ou sans avoir rien remarqué, il n’en savait trop rien, en rétorquant par une plaisanterie à sa remarque étrange. Il releva à ce moment-là le regard qui s’était fait résolument fuyant pour retrouver celui de Flora, un sourire au coin des lèvres témoin de l’amusement que la réplique avait suscité. « Merci – j’ai toujours rêvé d’avoir une peau de bébé », souffla-t-il avec une légèreté retrouvée, les épaules visiblement plus détendues depuis que Flora avait dissipé l’étrange tension qui avait empli l’air au cours des dernières minutes. Eli termina le bandage et retira ses mains de la jambe de la brune, partagé entre soulagement et regret de ne plus sentir sa peau sous ses doigts. Sa nonchalance retrouvée, Eli se releva avec cette énergie dont il avait le secret et suggéra de passer tant à l’apéritif qu’au repas, partant d’un petit rire devant l’air incrédule de Flora. « Bien sûr que j’étais sérieux, tu ne pensais quand même pas que j’avais fait de la publicité mensongère ? Tss », fit-il mine de s’offusquer, secouant la tête en claquant de la langue. Il commença à s’affairer entre la glacière et une malle qui renfermait le matériel nécessaire à la tenue du fameux barbecue, avant de jeter un regard entendu par-dessus son épaule pour regarder Flora qui le complimenta sur les soins qu’il venait de lui prodiguer. L’espièglerie et la témérité d’Eli avaient repris leurs marques depuis que le contact de la peau de Flora n’était plus là pour torturer ses doigts, et sa répartie habituelle lui revint avec un naturel déconcertant. « Et pourtant – tu n’as encore rien vu, de ce dont sont capables mes doigts de fée », rétorqua-t-il sans réfléchir en la gratifiant d’un clin d’œil avant de se reporter sur l’installation du barbecue sur le pont comme si de rien n’était. Il ne s’interrompit dans ses préparatifs que pour aller chercher une bière dans la glacière et la rapporter à son acolyte du jour. Ils trinquèrent et furent bientôt plongés dans une nouvelle conversation tandis qu’Eli alluma le barbecue, avant d’y jeter les sardines promises quelques semaines plus tôt à Flora, qu’ils dégustèrent bientôt sans jamais laisser se tarir la conversation.
Après le repas, la digestion, le soleil et les efforts fournis dans l’eau ne tardèrent pas à plonger Eli dans une torpeur agréable tandis qu’il se prélassait sur la serviette qu’il avait déposée à même le pont, à quelques centimètres de Flora qui en avait fait autant. Proche de la somnolence, il profita de la sensation brûlante du soleil contre sa peau, sur laquelle s’était formée un film homogène de sueur, quelques gouttes perlant et roulant le long des courbes de son corps. Le sentiment de quiétude et de félicité que la situation faisait naître en lui était délicieux, et Eli n’était pas pressé de voir ce moment se terminer. Alors qu’il fut sur le point de s’assoupir, il fut ramené à la réalité par la voix de Flora qui s’éleva à côté de lui, à peine plus forte qu’un murmure. Il tourna aussitôt la tête vers elle, la toisant d’un air interrogateur derrière les verres fumés de ses lunettes, l’invitant silencieusement à poursuivre. Un sourire chaleureux accueillit la déclaration de la jeune femme, tandis qu’une chaleur agréable, qui n’avait rien à voir avec la température ambiante, se répandit dans son ventre et dans sa poitrine. « Je suis heureux que cette petite escapade t’ait autant plu – on pourra en faire d’autres, si tu veux. Tu es un excellent moussaillon », rétorqua-t-il malicieusement, avant de se rasseoir d’un mouvement souple. « Par contre… ce n’est pas ça, ton cadeau d’anniversaire », confia-t-il, un poil énigmatique. Quelque peu à contrecœur tant il était bien installé, tout en se laissant gagner par la frénésie d’offrir quelque chose, Eli se leva et quitta le pont pour aller chercher le cadeau qu’il avait apporté pour les trente ans de Flora. Il revint quelques minutes plus tard, un paquet à la forme irrégulière à la main, minutieusement emballé dans un papier argenté – chaque rainure impeccablement définie, chaque pli calculé au millimètre près, à l’image du contrôle qu’appliquait Eli à toutes les sphères de son quotidien. Il le tendit à Flora en reprenant place sur sa serviette, face à elle. « Encore bon anniversaire, Flora. Ce n’est pas grand-chose, mais j’espère que ça te plaira », lui dit-il en attendant qu’elle ouvre le paquet. Ce dernier renfermait un carnet de dessin à la reliure en cuir et quelques boîtes de matériel de dessin – des crayons noirs, des fusains, des crayons de couleur. « J’ai vu que ton carnet était presque rempli, et tes crayons presque en fin de vie, et je me suis dit que ça pourrait te servir », expliqua-t-il avec une pointe de timidité. La reliure du carnet était d’une couleur vert sapin, de dimensions similaires à celui qu’il avait vu l’accompagner à tous leurs rendez-vous. La première page comportait quelques mots tracés de l’écriture fine et régulière d’Eli. Bon anniversaire à mon artiste préférée. Je te souhaite une inspiration sans limite. Continue d’épater le monde avec tes talents. Elijah. « C’est la marque que j’utilise tout le temps. Tu verras, la qualité est incomparable », commenta-t-il ensuite au sujet du matériel de dessin qui accompagnait le carnet. Il n’eut pas besoin de préciser que la marque en question, réputée pour son excellence, était absolument hors de prix, et que son acquisition relevait du caprice pour le commun des mortels, une considération qui n’avait pas même effleuré son esprit motivé uniquement par l’obtention de ce qu’on faisait de meilleur. Eli resta silencieux pendant quelques instants, son regard caché par ses lunettes de soleil jaugeant avec une certaine anxiété la réaction de Flora, occupée à découvrir les objets qu’elle avait entre les mains. Eli n’était pas de ceux qui avaient l’habitude de douter de leurs décisions et de leurs choix – cela s’étendait généralement aux cadeaux qu’il choisissait pour ses proches, qui étaient toujours conquis. Mais Flora n’était pas une proche à proprement parler. Il ne lui avait jusqu’à présent jamais offert de cadeau, et il savait qu’elle était sujette à l’embarras lorsque les tendances dépensières d’Eli s’étendaient à elle. Il ignorait même s’il était adéquat de lui avoir acheté un cadeau, alors qu’elle était partie du principe que la virée en bateau faisait office de – maintenant qu’il y pensait, cela aurait sans douté été bien plus logique. Et, hormis la légitimité de sa démarche en elle-même, il ignorait si le choix des articles lui ferait plaisir, ou si elle se sentirait forcée de prétendre que c’était le cas pour ne pas le vexer – il se rendit compte qu’il ne connaissait pas vraiment ses goûts, ni ne savait-il si elle n’avait en réalité pas cinq carnets vierges et dix boîtes de crayons neuves qui l’attendaient dans une armoire chez elle. Durant les quelques instants qui précédèrent la réaction de Flora, Eli fut ainsi assailli par ces doutes désagréables auxquels il n’était décidément pas habitué et ne s’habituerait sans doute jamais, après trente-huit ans d’assurance difficilement ébranlable.

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Un rêve au sujet d'une peau de bébé qu'elle pourrait exaucer - même si, à sa façon, l'épiderme du brun est tout aussi doux que le sien. La sensation n'était peut-être pas la même d'un point de vue purement sensoriel, mais Flora pensait ressentir les courbes de ses muscles et la fièvre de sa peau de la même façon que lui percevait la régularité et la finesse de la sienne. Ils s'opposaient grandement mais n'en demeuraient pas moins étrangement similaires à en juger par les expressions idiotes qui perturbaient leurs traits à tour de rôle, et le constat ne faisait que renforcer le sourire qu'elle tentait de réprimander. Elijah avait une facilité déconcertante à la faire rire, peu importe qu'il s'y applique réellement ou non, et elle peinait par la suite à en faire abstraction alors qu'un battement de cils suffisait à celui dont les mots et les regards ne manquaient jamais de la faire se détourner pudiquement. « Bien sûr que j’étais sérieux, tu ne pensais quand même pas que j’avais fait de la publicité mensongère ? Tss » Flora fait peser un regard lourd de reproches sur celui dont la langue claque contre son palais en signe d'agacement, et elle secoue la tête la seconde suivante lorsqu'il plonge les mains dans une malle pour entreprendre de mettre à exécution ses promesses. Elijah et ses promesses, Elijah et ses principes, Elijah et son infatigable bienveillance pour s'assurer de lui faire passer un bon moment. « De la publicité mensongère peut-être pas... tu es un peu dramatique. » ajoute-t-elle en se levant, tenant à lui prêter main forte peu importe qu'il puisse se débrouiller seul, joignant ses gestes aux siens. La paire s'affaire ainsi à sortir le nécessaire pour leur grignotage au milieu de l'océan, sortant du rangement le strict minimum pour mener à bien leur idée, la brune ignorant les protestations de son partenaire quant à pouvoir sortir deux assiettes et lancer quelques sardines sur le grill sans qu'elle n'ait besoin de l'aider. Mais ses plaintes ne sont rien qui l'empêchent de la regarder par dessus son épaule alors qu'elle complimente la délicatesse de ses mains. « Et pourtant – tu n’as encore rien vu, de ce dont sont capables mes doigts de fée » Elle le regarde, une seconde interdite, et serait prête à lui lancer une sardine au visage si elle était celle en charge de les cuisiner. Le sourire s'inversant tout en réfrénant un rire, elle fait mine de ne rien avoir entendu en se détournant, allant installer leurs serviettes et leur table de fortune. « Mh, j'en ai eu un maigre aperçu pourtant. » murmure-t-elle sans trop savoir si elle s'exprime assez fort pour qu'il l'entende, une expression coupable sur le visage.

Flora ignore combien d'heures se sont écoulées depuis leur départ, mais à en juger par la hauteur du soleil dans le ciel et la chaleur des rayons qui mordent leur peau, les deux matelots se sont éternisés sans s'en rendre compte. Allongée sur sa serviette, ne se souvenant plus de la dernière fois où son corps ait été aussi détendu, ses pensées divaguent dans l'obscurité sous le bruit régulier des vagues qui lèchent la coque et celles plus lointaines qui résonnent à l'horizon. et si ce n'était pour l'envie de le remercier une ultime fois, Flora aurait probablement préféré Morphée à un nouvel échange avec l'héritier - mais elle culpabiliserait bêtement de ne pas lui faire savoir à quel point elle se sent bien, et elle penche à croire qu'une brève parole ne l'empêchera pas de somnoler d'ici quelques minutes. « Je suis heureux que cette petite escapade t’ait autant plu – on pourra en faire d’autres, si tu veux. Tu es un excellent moussaillon » Ses lippes s'étirent et elle le regarde à la dérobée, laissant sa tête reprendre sa place initiale par la suite alors qu'elle referme les yeux. « J'aimerais beaucoup. » Une petite escapade et un excellent moussaillon - les adjectifs semblent s'être inversés dans sa phrase, mais la brune est prête à ne pas lui en tenir rigueur pour ne pas se tirer des songes qui l'appellent à leur revenir. « Par contre… ce n’est pas ça, ton cadeau d’anniversaire » Elle le sent bouger et se redresser, l'ombre de sa silhouette passant brièvement sur la sienne alors qu'elle fronce les sourcils sans rouvrir les yeux. Elle n'en a pas le courage, pas même si sa remarque l'intrigue - mais sans trop l'écouter, Flora pense qu'il plaisante à propos d'un sujet ou d'un autre. « Si... je t'assure. » puis le silence. Il s'éloigne, elle tend l'oreille, et appelle mollement son prénom lorsqu'elle réalise qu'il est parti - sans obtenir de réponse. La brune se redresse dans un souffle résigné et regarde autour d'elle, se réhabituant à la lumière du jour alors qu'elle bat des paupières, redressant ses solaires dans ses cheveux en le voyant réapparaitre avec un drôle d'accessoire dans les mains. Étirant ses bras vers l'avant, elle n'a pas le temps de l'interroger avant qu'il ne reprenne place sur sa serviette et qu'elle réalise à vive allure (non) ce qu'il s'apprête à faire. « Encore bon anniversaire, Flora. Ce n’est pas grand-chose, mais j’espère que ça te plaira » L'épaisseur minutieusement emballée est tendue dans sa direction, et elle n'esquisse pas le moindre geste - jusqu'à sortir de sa rêverie et tendre mécaniquement la main pour réceptionner le cadeau, ne le quittant pas des yeux. « Elijah... » murmure-t-elle d'une voix absente, quittant l'emballage du regard pour se reporter sur le brun et son air pragmatique. Elle ne comprend pas vraiment ce qui se passe - mais revient bien assez vite à elle, posant l'article sur ses jambes ramenées en tailleur, alignant son dos en se redonnant une certaine contenance. Ses doigts altèrent l'emballage avec la même précision avec laquelle il a été assemblé, et ses lèvres s'entrouvrent lentement sous la surprise. « J’ai vu que ton carnet était presque rempli, et tes crayons presque en fin de vie, et je me suis dit que ça pourrait te servir » Le papier repoussé sur les côtés pour libérer ce qu'il renferme, la brunette se mure dans le silence en laissant onduler ses doigts sur la couverture en cuir - d'un vert sapin absolument splendide, les reliures témoignant de la qualité du produit alors qu'elle le manipule avec précaution pour découvrir sous ce dernier différents assemblages de crayons et fusains en tous genres. Renfermés dans de précieux étuis, les ustensiles sont ceux d'une marque mondialement connue - aussi bien pour ses prix exorbitants que la qualité inégalable de ses gammes. Une que Flora connait uniquement de nom et de réputation, sans jamais avoir pour autant poser ne serait-ce le doigt sur un crayon issu de leurs ateliers. « C’est la marque que j’utilise tout le temps. Tu verras, la qualité est incomparable » Son regard ne se redresse qu'un fragment de seconde vers Eli - sans le voir, puis se reporte à nouveau sur le carnet qu'elle ouvre avec précaution uniquement pour y découvrir en première page le message manuscrit de l'héritier. Sans qu'elle ne s'en rende compte, un sourire se dessine sur ses lèvres au fil de sa lecture et ses doigts passent sur les lettres calligraphiées, son silence perdurant encore d'interminables minutes - elle ne sait pas quoi dire. Finalement, elle referme le carnet et le pose à l'abri sur sa serviette, avant de se lever toujours sans un mot et de venir éteindre le grand brun sans crier gare, passant ses bras autour de son tronc et le serrant peut-être plus fort encore que lorsqu'il lui avait demandé de le faire pour la ramener sur le bateau. « Tu es complètement dingue, Eli. » murmure-t-elle sans pouvoir s'empêcher de partir d'un léger rire, l'odeur de crème solaire à peine perceptible sur sa peau légèrement huileuse sous la chaleur - pas que cela pourrait la préoccuper le moins du monde. Elle se recule toutefois assez vite pour le regarder, les yeux brillant d'une émotion particulièrement rare - elle est secouée, troublée, incapable de trouver ses mots et se contente de parcourir son regard avec un sourire rayonnant, se reculant à nouveau en veillant à essuyer ses mains avant de reprendre le carnet de cuir pour l'admirer une énième fois. « Tu- mais pourquoi tu as fais ça ? » l'interroge-t-elle avant de regarder les crayons, véritable enfant un soir de Noël en découvrant les merveilles laissées sous le sapin, incapable de départager l'ustensile qu'elle préfère. « et comment tu- enfin, c'est pas possible. » balbutie-t-elle en riant à nouveau, ouvrant avec précaution l'une des boîtes de crayons de couleurs. « Je vais avoir tellement de peine à les fatiguer. » se plaint-elle, aussi sérieuse qu'elle est ironique, la collection si agréable visuellement que Flora ferait volontiers encadrer les étuis pour les préserver du temps et les afficher sur l'un des murs de sa chambre - Millie la ferait sûrement interner pour cela d'ailleurs. « Merci, merci beaucoup Eli - même si tu n'aurais jamais dû faire une folie pareille. » remarque-t-elle après une nouvelle contemplation, plongeant son regard chargé d'émotions dans le sien, revenant spontanément l'étreindre dans un élan de joie. Non, elle ne veut plus jamais quitter ce bateau.
 

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L’atmosphère avait changé, subtilement mais de manière parfaitement perceptible, comme elle savait si bien le faire entre eux. À la légèreté du barbecue, durant lequel elle l’avait assisté d’une main de maître, refusant comme à son habitude de rester les bras croisés pendant qu’il faisait tout le travail comme il avait naturellement tendance à le faire, puis au calme imperturbable de leur sieste postprandiale, succéda une ambiance à nouveau plus intense. Eli s’était à nouveau laissé emporter par son enthousiasme en acquérant une série de cadeaux pour la brune, et se retrouvait désormais à attendre sa réaction avec une certaine anxiété qu’il dissimulait avec les plus grands efforts, mais dont il se demandait si elle n’était pas perceptible à l’intensité du regard qu’il gardait rivé sur elle et à la façon dont l’une de ses cuisses s’agitait légèrement. Il apparut bien vite que le cadeau en lui-même était une surprise complète pour Flora, et que cette dernière ne s’était absolument pas attendue à recevoir quoi que ce soit, si ce n’est cette virée en mer qu’elle avait déjà qualifiée d’extraordinaire - l’un de ses plus beaux cadeaux, pour reprendre ses mots exacts. La réaction stupéfaite de la jeune femme sema rapidement le doute chez Eli, qui se demanda s’il avait bien fait de ne pas s’en tenir à cette excursion, qui constituait en effet déjà un beau présent sans qu’il n’eût besoin d’y rajouter autre chose. Lorsqu’elle défit précautionneusement le papier cadeau, il se mit à babiller alors qu’elle découvrait les objets qu’il avait sélectionnés pour elle, trahissant à nouveau la nervosité à laquelle il était en proie et qui le sortait du silence serein qu’il aurait habituellement observé dans une situation similaire. Sans doute la flopée d’explications était-elle destinée à éliciter une réaction, quelle qu’elle fût, chez Flora, qui demeurait interdite et faisait ainsi persister le doute chez l’héritier, qui n’avait pas la moindre idée des pensées qui pouvaient habiter l’esprit de la Constantine. Même le regard qu’elle lui lança subrepticement avant de le détourner aussitôt ne lui apporta pas la moindre information, tant il fut bref et dénué d’expression hormis l’espèce de stupeur dans laquelle elle semblait plongée depuis qu’il avait apporté le paquet quelques instants plus tôt. Eli lutta contre la tentation de continuer à déblatérer des mots sans doute vides d’intérêt mais qui auraient eu au moins le mérite de combler le silence interminable qui s’était installé entre eux. Il se contenta de suivre de regard les gestes prudents de la jeune femme, qui ouvra avec une lenteur insoutenable le carnet de cuir pour en découvrir l’intérieur, et par extension les quelques phrases qu’il avait couchées sur le papier à son intention. À ce moment-là, elle manifesta pour la première fois une réaction, sous la forme d’un sourire qui vint instantanément relâcher le nœud qui s’était formé au creux des entrailles d’Eli, qui laissa échapper un souffle qu’il n’avait pas eu conscience de retenir jusque-là. Le fait qu’elle ait souri au moment de lire les mots qu’il lui avait écrits ne le laissa nullement indifférent, emplissant son cœur d’une agréable chaleur. Il la vit tracer du bout des doigts les lettres fines de son écriture et sentit son corps entier se recouvrir brièvement de chair de poule – un phénomène que, plein de mauvaise foi, il attribua à la légère brise qui s’était levée à cet instant précis.

Maintenant que Flora était visiblement sortie de l’étrange état de transe dans lequel elle avait été plongée pendant les dernières minutes, Eli s’attendit à l’entendre prendre la parole. Mais elle n’en fit rien, et il la suivit du regard lorsqu’elle se leva, intrigué et se demandant où elle avait l’intention d’aller. Ce ne fut que lorsqu’il sentit ses bras se nouer autour de lui qu’il comprit, et il ferma brièvement les yeux et sentant Flora se blottir contre lui. Le parfum floral de la brune, mêlé à ceux de l’air marin et la crème solaire, vint lui chatouiller agréablement les narines tandis que la brise qui remuait ses mèches châtain lui apporta les effluves de son shampooing, encore perceptibles derrière le parfum de l’eau de mer. Par réflexe, les bras d’Eli, considérablement plus épais que ceux de Flora, vinrent étreindre cette dernière, avec toutefois étonnamment bien plus de douceur. L’accolade d’Eli se fit considérablement plus prudente et légère que celle que lui prodigua la Constantine, qui semblait ne jamais plus vouloir le lâcher. Et c’était une sensation délicieuse, il était forcé de se l’avouer. La sensation de son corps frêle blotti au creux du sien, tellement plus massif, était extraordinaire, et seule la bienséance empêchait Eli de l’étreindre de toutes ses forces pour la sentir toute entière contre lui. Cette étreinte n’avait rien à voir avec celle à laquelle les avait contraints (bien que contraints fut un grand mot, car il aurait certainement été tout à fait possible de procéder autrement, s’ils l’avaient voulu) leur petite escapade dans le récif. Aussi sensuelle qu’avait été la première, elle était supposée être pragmatique et nécessaire. Ici, c’était un véritable câlin, empli d’une affection perceptible qui lui conférait un caractère éminemment intime, un je-ne-sais-quoi qui remuait impitoyablement les entrailles d’Eli. L’héritier partit d’un petit rire lorsqu’elle remit en question sa santé mentale, relâchant davantage l’étreinte lorsque Flora recula pour croiser son regard. « Hé ! C’est pas parce que c’est ton anniversaire que tu peux tout te permettre », fit-il mine de s’offusquer, nullement crédible dans ses propos tant son visage était rieur. Il plongea le regard dans le sien, longuement et intensément, l’ombre d’un petit sourire en coin sur les lèvres, gardant le silence en parcourant les nuances de ses iris d’ambre fondue. Il ne la quitta pas des yeux jusqu’au moment où elle se reporta sur ses cadeaux, avant de hausser les épaules d’un air enfantin lorsqu’elle l’interrogea. « Et pourquoi pas ? », répliqua-t-il avec malice et légèreté, avant de lui souffler : « J’aime faire plaisir aux autres. C’est un de mes plus vilains défauts, tu auras l’occasion de t’en rendre compte. » L’émoi perceptible de Flora devant la multitude d’ustensiles qu’elle avait entre les mains lui gonfla le cœur de tendresse, et il la regarda avec avidité s’animer de gestes et de paroles désordonnés. Elle était toujours adorable – mais là, elle l’était probablement plus que jamais. Un petit rire s’échappa des lèvres d’Eli tandis qu’elle remettait en question sa capacité à se servir des objets qu’elle semblait trouver trop beaux pour les user. « Si tu as trop de scrupules, je te les reprendrai avec plaisir. Je n’aurai aucun scrupule à les user jusqu’à la corde. Ensuite, j’en rachèterai simplement d’autres », renchérit-il. Il se sentait sur un petit nuage devant la réaction profondément touchante de Flora, lui ouvrant à nouveau les bras lorsqu’elle l’attrapa dans une nouvelle accolade. « Avec plaisir. Je suis content que ça te plaise. Et ce n’est pas une folie – tu mérites ce qu’il y a de meilleur, alors, c’est ce que je t’ai pris », murmura-t-il. Avant qu’Eli n’eût le temps de réfléchir, l’une de ses mains logées dans le dos de Flora remonta le long de sa peau douce pour se loger à l’arrière de sa tête, nichée dans le creux de son épaule, et s’enfonça dans ses mèches châtain pour les caresser avec douceur. À nouveau, quelque chose remua faiblement dans ses entrailles, et il relâcha bientôt Flora, la gratifiant d’un sourire adorable.

La suite de l’après-midi défila assez rapidement. Avant de sonner l’heure du départ vers le port de Brisbane, Eli sabra une bouteille de champagne d’un geste grandiloquant et ils trinquèrent une nouvelle fois aux trente ans de Flora, se perdant complaisamment dans des discussions sans fin. Celles-ci se poursuivirent sans jamais tarir alors qu’ils hissèrent les voiles du bateau pour reprendre la route en sens inverse. L’heure de traversée s’écoula en un claquement de doigts, et bientôt, ils larguèrent l’ancre exactement au point où ils s’étaient retrouvés, quelques heures plus tôt. Eli aida Flora à rassembler ses affaires, et lui tendit ensuite les palmes, le masque et le tuba qu’elle avait utilisés un peu plus tôt. « Tiens, tu peux les garder. Je les avais achetés pour aujourd’hui, et comme tu peux t’en douter, j’en ai pas l’usage », argumenta-t-il afin de devancer les protestations qu’il savait qu’elle échapperait immédiatement. « N’oublie pas de les apporter la fois prochaine, d’accord ? », demanda-t-il, en apparence avec légèreté, mais son regard un peu plus grave qu’à l’accoutumée trahit combien sa question était sincère – pas au sujet du matériel de plongée, mais bien concernant son espoir de pouvoir réitérer l’expérience. Il la raccompagna ensuite jusqu’au ponton auquel était amarré le Wind Waker, et se dressa face à elle, la dardant une dernière fois du regard. « Merci pour cette journée, Flora. J’ai adoré t’avoir à mes côtés. Et encore joyeux anniversaire », lui souffla-t-il, et pour la première fois, ce fut lui qui combla la distance qui les séparait pour poser avec douceur ses lèvres contre sa joue, à peine plus longtemps qu’une seconde, à peine plus fort qu’un effleurement. Il laissa échapper un léger souffle en reculant, et adressa un dernier sourire plein de douceur à la petite brune, avant de la regarder s’éloigner.

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