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Raelyn Blackwell & @Amos Taylor

La solution d’Amos est la bonne et je le sais. Être séparée de Micah sera un déchirement, un dont je n’aurais pas deviné l’étendue avant de devenir mère, mais un déchirement aussi temporaire que nécessaire. Mon bébé n’est pas en sécurité avec moi, avec nous et, l’admettre, c’est me donner l’impression que j’ai échoué à la protéger, échoué en tant que mère et je ne suis pas taillée pour l’échec. Le goût est amer dans ma gorge, et à l’idée que, ce soir à dix heures - il est plus sûr de la transporter de nuit - Callum viendra chercher Micah pour l’emporter avec lui dans une destination dont lui seul aura connaissance, c’est un acte de foi presque au dessus de mes forces. J’ai confiance en lui. Mais qui peut me prouver que l’endroit où il la déposera, les gardiens qu’il lui trouvera, seront fiables ? Certes, il restera avec elle. Détaché à Micah pour sa protection, il surveillera de loin, dans l’ombre, pendant que nous à Brisbane n’avons pas besoin de lui : Amos ne me quittera pas d’un pas tant que toute cette histoire n’est pas terminée. Sa milice, équipe de sécurité mise sur pied par son frère d’arme, renforcera quant à elle la sécurité du casino. La somme que nous versons à ces anciens militaires est astronomique, mais s’il y a bien un poste de dépense où je ne lésine pas sur les moyens, c’est bien la sécurité. Que ce soit pour ma famille, ma personne ou mes affaires, je considère que l’argent investi pour nous protéger est de l’argent bien dépensé.

La solution d’Amos est la bonne, mais d’ici quelques heures, Micah ne sera plus dans mes bras, et cette pensée m’est insupportable. Alors finalement, sortir prendre l’air pour observer les illuminations installées par la ville - ou plutôt, observer Micah s’émerveiller devant les illuminations installées par la ville - c’est ce que nous pouvions faire de mieux pour ces derniers instants avec elle avant les prochains. Le problème sera résolu, et plus rapidement que quiconque ne l’imagine certainement. Me séparer de mon bébé, c’est l’assurance que je retrouve rapidement Aberline pour lui régler son compte. Je n’aurais de cesse de la traquer afin de m’assurer un rapide retour vers ma fille. Micah a tout juste un an. Mon anniversaire, le sien, les fêtes, c’était hier. Il y a moins de trois mois, elle se mettait pour la première fois sur ses deux jambes pour découvrir le monde un peu plus loin du sol. Qui peut me dire quels seront ses prochains progrès, pendant qu’elle sera loin de nous ? Qui peut me dire ce que nous allons rater ? Rien. Je m’y engage. Lou Aberline ne me prendra pas un moment de plus que nécessaire avec ma fille. Pour pouvoir agir sans craindre des représailles sur ma fille, il faut l’éloigner mais, une fois qu’elle sera hors d’atteinte, je serai impeccable, froide et, s’il le faut, radicale. Pour l’instant, je tente de ne me concentrer que sur le sourire de Micah qui tend ses mains vers l’une des lanternes comme si elle espérait l’attraper. « Elle sont bien plus loin. Trop loin pour que tu les attrapes. » Je dépose un baiser sur le front de ma poupée et, forcée d’admettre qu’elle devient trop lourde pour que je la porte pendant trop longtemps d’affilée, je la dépose doucement dans ceux de son père. « Tu crois qu’elle sait ? Ou en tout cas qu’elle sent quelque chose ? » Notre peine à tous les deux ? Le sentiment de déchirement que nous ressentons, est-il communicatif au point de l’angoisser même si elle est bien trop jeune pour comprendre de quoi il retourne ? « Tu crois que ça l’inquiète ? » Va-t-elle souffrir du manque ? Pleurer tous les soirs puisqu’au visage familier de ne penchera sur son lit, et le matin parce que c’est un parfum inconnu qui la réveillera ? La chaleur est étouffante, sous l’été australien. Pourtant, j’ai la chair de poule. « Je veux pas qu’elle ait peur. » Pour l’instant, elle a l’air exactement comme elle est toujours. Insouciante, joyeuse et pleine de vie. Mais une fois loin d’Amos et de moi, comment réagira-t-elle ?

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« Elle est intriguée. Et elle est si belle… » Bien sûr qu’elle l’est. Amos représente mon idéal masculin et je suis assez gorgé de suffisance pour affirmer qu’avec lui comme père et moi comme mère, elle ne pouvait rien être d’autre que magnifique. Avant de tendre ma fille à son père, je caresse son nez presque retroussé, la tête penchée sur le côté, comme si je réfléchissais. « Lui, il ne vient ni de toi ni de moi. » Et j’esquisse un sourire, moins intéressée par les mystères de la génétique que fascinée par la tête blonde que sur laquelle je dépose un baiser. Malheureusement, malgré la légèreté du moment, je peine à ne pas me laisser envahir par la douleur et la peur qui s’intensifient toutes deux alors qu’approche la séparation.

« Et, non, je ne crois pas. Pas encore en tout cas. » - « Pas encore… » Donc bientôt. Je le sais et Amos ne m’apprend rien, n’éclate aucune bulle d’innocence ou de crédulité. Je suis une pessimiste. J’ai toujours détesté me bercer d’illusions. Je considère que ceux qui rêvent trop s’exposent à la dure réalité de notre univers. Pourtant, ce soir, j’aimerais être capable de me convaincre que tout ira bien, me convaincre d’une réalité alternative enjolivée et utopique. « Et, c’est pour ça qu’il faut en profiter. Et, puis, on lui expliquera. Elle comprend tout ce qu’on lui dit. Si on lui explique en étant rassurants, elle ne s'inquiètera pas. Si on s’y prend bien, elle n’aura pas peur. » Les lèvres pincées, je secoue la tête pour chasser mes idées noires. « Tu le crois vraiment ? » Qu’il existe un monde dans lequel elle n’aura pas peur ? Des choses que nous pouvons faire et dire pour faire en sorte que la séparation ne soit pas un déchirement et une source d’angoisse pour notre petite fille qui se construit encore ? « Je sais que c’est la chose à faire. » J’ajoute, pour être certaine qu’il ne pensera pas que je fais marche arrière. Je n’ai pas tout de suite réussi à voir le bien fondé de la solution d’Amos, parce que je suis une mère et que l’idée de me séparer de mon poupon altère mon jugement, mais je le sais à présent. « Je le sais. » Je la répète, pour me le rappeler.

« Mais, oui, on lui manquera. J’en suis certain. C’est peut-être égoïste, mais je ne suis pas sûr d’avoir envie qu’elle soit parfaitement heureuse sans nous. » Si c’est égoïste, alors je le suis aussi. J’ignore qui s’occupera de Micah pendant que nous gèrerons le problème Aberline, mais je la déteste déjà autant que je lui suis reconnaissante. Ma fille devrait être avec sa mère et son père, personne d’autre. Pour ça, je rêve de faire souffrir ma némésis des heures durant jusqu’à ce qu’elle expire son dernier souffle. « Je ne veux pas qu’elle soit impactée, ce n’est pas ça. Je dis juste que ça me ferait un drôle d’effet si elle se passait trop facilement de nous. » - « Je sais. Je ressens la même chose. » J’ignore si cela le rassurera de savoir que nous sommes aussi égoïstes l’un que l’autre. Je me moque de l’être à vrai dire : comme lui, je ne veux pas que Micah souffre. Je déteste simplement l’idée qu’elle puisse s'épanouir dans les bras de quelqu’un d’autre. « Je ne veux pas rater des étapes. » De sa vie, ai-je besoin de le préciser ? Ma détermination à en finir vite sera accrue, même si je n’ai pas l’intention d’agir de façon impulsive et irréfléchie. Doucement, je pose mon front contre celui de ma poupée et je lui souffle quelques mots qui font échos à ceux que j’ai adressés à Amos. « Je te promets de tout faire pour te retrouver vite. » Le plus vite possible. L’éclat dans ses yeux alors qu’elle regarde les illuminations, je veux le retrouver sans avoir la sensation de l’avoir réellement quitté.

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« Je l’ai lu sur internet. Tu sais que ça m’a souvent appris pleins de choses… Et, ma mère dit ça. Elle dit que les bébés comprennent tout, parce qu’ils se fient bien plus que nous à notre instinct. » Pour une fois, j’espère sans réserve ou retenue que Margaret Taylor ne se trompe pas. Elle n’est pas le meilleur porte-parole à mes yeux : elle a trop mal agi par le passé pour m’être autre chose qu’antipathique. Elle m’a manqué de respect, a manqué de respect à son propre fils et bien que je ne sois pas mesquine au point de le lui rappeler, elle a même mal accueilli l’annonce de ma grossesse, de l’arrivée futur de mon poupon qu’elle porte aujourd’hui aux nues. A chaque fois qu’elle exprime le regret de ne pas la voir autant qu’elle le souhaiterait, je meurs d’envie de le lui jeter au visage. « Je manque d’objectivité en ce qui la concerne, de toute façon. » Nous en manquons tous les deux. Au moins, je le reconnais : à mes yeux, Micah est parfaite, en avance, digne d’un petit génie et j’ai envie de le croire, que ses instincts sont plus fiables encore que ceux des autres d’enfants et sa palette de sentiments plus évoluée.

Sans un regard pour son père, ma fille le repousse lorsqu’il se penche vers elle pour déposer un baiser sur son front. Son charmant minois semble lui dire "pas maintenant papa, je suis occupée", et j’éclate de rire malgré la mélancolie qui m’étreint depuis que nous avons pris notre décision. « Quel caractère de cochon. On dirait sa mère. » De la façon la plus théâtrale qui soit, mes lèvres forment un O, signe que je suis outrée ou que je prétends l’être. « C’est bien. Poses tes conditions princesse. » Je rentre dans son jeu, prétendant féliciter ma fille alors que dans les faits, je n’aime rien de plus que leur complicité, à Amos et elle. Elle n’est pas consciente que, ce soir, elle nous sera arrachée. Sinon, Micah ne raterai aucune occasion de récupérer de l’affection auprès de ce père qui la considère comme la prunelle de ses yeux.

« Tu vois, elle ne réalise pas encore. Mais, si j’avais eu une autre option, je nous imposerais pas celle-là. » - « Je sais. Et elle sera plus en sécurité. » L’aimer, c’est prioriser son bien-être. Sa survie, dans le cas présent. Pour autant, j’ai l’impression que l’on s’apprête à m’arracher le cœur. « Je n’aime pas plus que toi, pour les mêmes raisons que toi. Je sais ce que ça implique. » Il le sait parce qu’il l’a vécu, j’en suis consciente. Il n’a pas vu Sofia grandir et s’était promis que pour Micah, tout serait différent. Son cœur doit être en miette et je me demande si, au fond de lui, il ne se dit pas que c’est de ma faute. Je nous mets en danger. Il a accepté et embrassé toutes mes facettes, mais sans moi, sans le Club, nous n’aurions pas à faire ce genre de choix déchirant. Me le dirait-il, si c’était le cas ? « Et moi, je te promets de tout faire pour que ça soit encore plus vite que vite… » Moi, je m’adressais à Micah. Le concernant, j’ai presque l’impression qu’il en fait la promesse autant à notre bébé qu’à moi. « Si tu parles pour la première fois sans nous, je te le pardonnerais pas, espèce de fripouille. » Bien sûr, il n’en est rien. C’est à moi que j’en voudrais, le cas échéant. « J’ai un pari à gagner contre ton père. » Un pari que je gagnerai si Maman est son premier mot, et qu’il gagnera si c’est papa. Dans les faits, je suis certaine qu’il a plus de chances de l’emporter. Ma fille est une vraie fille à papa.

Le feu d’artifice commence, et Micah sursaute dans mes bras à la première explosion sonore. J’éclate de rire, avant de coller mon front contre celui de mon bébé qui, une fois la peur passée, s’amuse et rit à présent du spectacle qu’elle a sous les yeux. « On devrait essayer d’en profiter au maximum. De ne rien rater, dès maintenant » - « Oui… » Je rejoins les bras de mon complice qui entoure mes épaules pour me tenir contre lui. J’observe ma fille pendant de longues minutes, avant de relever les yeux vers Amos. « Callum a dit qu’il nous ferait un rapport tous les jours ? » Sans nous dire où elle est, il pourra nous dire comment elle va. J’ai besoin d’au moins ça pour être certaine qu’elle est en sécurité.

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« Et, ne l’encourage pas, toi. Pas avec moi en tout cas. » J’éclate de rire et, Micah, qui semble consciente d’être l’objet de notre amusement même si elle ne comprend pas ce que nous nous disons, se joint à moi. Les lumières perdent l’attention de notre puce l’espace d’une minute, mais la retrouvent bien vite. Amos a raison : elle n’a pas l’air perturbée, ni consciente de la séparation qui s’annonce. Au contraire, après une semaine cloitrée dans l’appartement, elle retrouve sa joie enfantine et son insouciance naturelle. Je préfère la voir comme ça que chouinant à la moindre occasion, grognon et taciturne, mais je ne peux m’empêcher de penser que ce n’est qu’une parenthèse temporaire, qu’après cette douce soirée, elle me sera arraché pour une durée non déterminée. « Il faut bien qu’elle s’entraîne. » J’adresse à Amos un immense sourire qui dévoile toutes mes dents, un sourire de jeune femme insolente, avant de ramener en arrière les cheveux encore courts de ma fille. Ils sont restés blonds, tout comme ses yeux sont restés bleus, n’en déplaise à ceux qui nous annonçaient déjà que c’était temporaire. « Mais, tu peux repousser tout le reste du monde et n’aimer que nous. » Si seulement. Je suis trop égoïste pour me dire que, le souhaiter, c’est la condamner à être seule puisqu’un jour, nous ne serons plus là pour veiller sur elle. La seule chose que je vois, c’est que plus elle sera méfiante, plus elle sera en sécurité. Et en ces temps difficiles, rien ne compte plus. « Tu vois ? Internet a parfois raison. » - « Oui, elle n’a pas l’air de le sentir encore. » Et tout réside dans le encore. Je ne suis pas certaine que je serai capable de garder ma peine pour moi pour ne pas la contaminer lorsque sera venu les temps des au revoir.

« Tu sais que j’ai déjà gagné ce pari ? Les statistiques prouvent que c’est plus facile pour un enfant de dire papa que maman. Et, ça aussi, c’est internet qui le dit. » - « Ne sois pas trop prétentieux. Peut-être qu’elle défiera les statistiques. » Ne sommes-nous pas convaincus qu’elle est particulière, notre poupée ? « Mais, si tu veux, on peut faire semblant d’ignorer… ou faire semblant qu’elle dit maman quand elle baragouine… » Il tend l’oreille puisque, justement, Micah semble vouloir s’exprimer et communiquer avec nous. Bien sûr, rien de ce qui passe la barrière de ses lèvres roses n’a le moindre sens et, face à la provocation d’Amos, je ris avant de le repousser gentiment du plat de ma main. « Fais le malin. » Oui, j’ai déjà perdu. Et pas uniquement parce que les moyennes parlent d’elles même : ma fille est envoûtée par son père et, parfois, dans son charabia, j’ai l’impression de comprendre qu’elle me parle déjà de lui.

« Tous les deux jours. » Je serre les dents. Tous les deux jours, ce n’est pas assez. Il n’aura rien d’autre à faire que d’assurer la sécurité de Micah, ne peut-il pas décrocher son portable une fois par jour, tel que je l’aurais souhaité ? « Qu’est-ce qui l’empêche d’appeler chaque jour ? » J’ai beau savoir que c’est la bonne solution, l’accepter, c’est une autre paire de manche. Alors je négocie chaque détail, en espérant que cela rendra la séparation moins difficile. « Mais, je suis sûre qu’il sait ce qu’il fait, qu’il a fait le choix le plus approprié pour elle. Il est parent lui aussi, il sait ce qu’il fait. Nous, on doit rester concentrés sur notre objectif et ce sera vite un mauvais souvenir » Sur ce point, je suis d’accord avec Amos. Avec Micah loin et en sécurité, nous serons libres de prendre le problème à bras le corps. Dans mon esprit, j’imagine déjà une rencontre avec la reine de la bassecour. Pour l’instant, je n’ai fait porter aucun message en ce sens à Aberline : j’attends que Micah soit loin, qu’elle soit en sécurité. « Quand tout sera rentré dans l’ordre… On devrait prendre la mer avec Micah, prendre quelques jours de vacances. Je veux me gaver de ce regard-là. » - « Quand tout sera fini, je ne la lâcherai jamais plus. » Plus rien ni personne me forcera à exiler ma fille je ne sais où. Sa place est à nos côtés, malgré notre train de vie hors normes et dangereux. Dans les bras de son père, ma fille sursaute à chaque nouvelle explosion du feu d’artifice. Moi, je plaque doucement mes mains sur ses oreilles pour qu’elle n’ait plus peur. « Chut… Ce n’est rien. »

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« Je ne serais pas surpris qu’elle soit à l’origine d’un exploit, mais pour toi, je dis juste qu’il vaut mieux que tu sois prudente, que tu ne te fasses pas trop d’illusions. Je ne voudrais pas que ça te fasse de la peine. » Alors que je la tiens contre moi, ma fille tend les bras vers son père pour attraper son t-shirt sa barbe, ou tout ce qui tombera sous ses petits doigts encore potelés. Je lève les yeux au ciel, faussement excédée, avant de secouer la tête. « Regarde-la. C’est certain qu’elle dira papa. » Elle le cherche souvent des yeux. J’ai le pressentiment que d’ici quelques semaines, elle réalisera qu’il existe deux petites syllabes qui permettent d’invoquer son être humain préféré. J’ai beau prétendre que je suis jalouse, j’ai hâte que Micah les prononce, ces premiers mots. Est-ce qu’elle sera incapable de s’arrêter, après ça ? Est-ce qu’elle apprendra une nouvelle sonorité, de nouveaux mots tous les jours ?

« La sécurité. On n’est jamais trop prudent, même avec un téléphone satellite. Je l’aurais écouté, il nous aurait fait envoyer des télégrammes en morse. » Qu’est-ce que la sécurité a à voir là-dedans ? Tant qu’il ne nous donne aucune information ne permettant de déterminer la localisation de notre bébé, quelle différence celui peut bien faire, qu’il appelle tous les jours ou un sur deux ? S’il craint que les appels soient écoutés et tracés, le faire une fois par semaine suffirait à mettre en péril la sécurité de Micah. J’ai besoin d’invoquer toute ma patience, de me rappeler que j’ai des nerfs d’acier pour ne pas contaminer mon bébé de ma nervosité. Je ne veux pas qu’elle ait peur lorsqu’elle nous sera arrachés. Je ne veux pas qu’elle ait peur tout court, c’est pourquoi je place mes mains sur ses oreilles après qu’elle ait sursauté plusieurs fois depuis le début du feu d’artifice. « Il y a un spectacle son et lumière un peu plus loin. On devrait peut-être migrer. » - « Oui. Je ne veux pas qu’elle ait peur. » Et si les lumières l’amusent, je sens qu’elle prend sur elle et fait appel à tout son courage pour ne pas pleurer face au boucan produit par le feu d’artifice.

Sauf qu’Amos échange un regard avec Callum, et je tourne la tête à temps pour le voir secouer la tête. Une vague de rage me renverse : pour qui se prend-t-il exactement ? De quel se pose-t-il en décisionnaire ce soir, surtout ce soir ? Il est notre employé. Qu’il ait été choisi pour être responsable de la sécurité de notre poupée n’y change rien : il ne me dictera pas ma conduite, il ne me dictera pas l’heure à laquelle je devrai me séparer de Micah ou combien de temps j’ai encore le droit de passer avec elle. Si je veux toute la nuit pour dire au revoir à ma fille, je prendrai toute la nuit. Pour le bien de Micah, je n’explose pas dans une rage folle. Mais je lui jette un regard noir, avant d’enrouler une main autour du crâne de mon bébé et d’embrasser ses cheveux, dans un geste qui hurle ma possessivité. « Je suis désolé. » Ma poitrine se soulève à un rythme plus rapide, signe précurseur de ma colère. Mon regard noir n’est pas destiné à Amos, mais j’ai du mal à m’en défaire alors que je tourne la tête dans sa direction. « Il me prend déjà ma fille. Il n’a aucun ordre à me donner. » Si j’exagère, je n’en ai cure. Si je fais preuve d’ingratitude – au regard de tout ce que Callum fait pour ma famille – je m’en moque royalement. « Il va nous la prendre, il va l’emmener. Mais il va attendre. » Je serai intraitable sur le sujet. Amos, roi parmi les hommes, ne s’indigne pas de mon attitude possessive et un tantinet désagréable. « On ne restera que tous les trois aussi longtemps que ça nous chantera. » Son bras passé autour de mes épaules a vocation à me rassurer, et ça marche. Je sais qu’il a nos intérêts à cœur. Je sais que, pour nous et pour moi, il s’opposera à son frère d’armes, même s’il estime que ce dernier a raison, parce qu’il sait ce qui m’en coûte, de laisser Micah partir. Il ne doit pas être plus à l’aise avec cette séparation que moi. « Aussi longtemps que ça te chantera, d’accord ? » Je hoche la tête, convaincue qu’il irait au front si je le lui demandais. Je déglutis difficilement, je caresse une fois de plus les cheveux de Micah, je ferme les yeux et, finalement, je réponds lorsque je les rouvre. « On va voir le spectacle, pour elle. » Et égoïstement, un peu pour moi ou pour nous. J’ai envie de voir l’émerveillement dans ses yeux d’enfant une dernière fois avant de la laisser. « Après, il pourra partir avec elle. A la fin. »

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« J’aimerais te dire le contraire, mais… Mais, je t’avoue que je réfléchis déjà à ce que je vais te réclamer pour cette victoire. » Je m’offusquerai si j’avais vraiment la défaite mauvaise. C’est généralement le cas, mais pas dans le cas présent : quel que soit le premier mot que prononcera ma fille – le premier mot intelligible, j’entends – je sais déjà que je serais autant bouleversée que lorsqu’elle a fait ses premiers pas. A l’époque, j’ai été submergée par mes émotions parce qu’elles étaient nouvelles, parce que je ne pensais pas un jour ressentir ce genre de chose à ce genre de degré d’intensité. Cette fois, je me berce d’illusion : je me dis que ce sera plus faible, puisque ce ne sera pas inconnu.

Micah est heureuse, ce soir. Si Amos ne m’avait pas convaincue du bien-fondé de son plan d’éloigner notre fille de la ville, j’aurais pu faire marche arrière. Une part de moi est tentée de le faire, l’impulsive, cette qui écoute ses tripes et son cœur. L’autre sait que c’est la bonne décision, même si la prendre me brise le cœur, nous brise le cœur à tous les deux. La part réfléchie, la part raisonnée, elle trouve son réconfort en se disant que c’est bien la preuve que ma princesse souffrait de l’enfermement et que nous faisons ce qu’il convient de faire. Ce n’est pas plus agréable ou facile pour autant. Et ce qui est bien plus dur, c’est d’accepter de prendre des consignes ou ordre auprès de l’homme qui, à mes yeux de maman farouchement protectrice, me prend mon enfant. « Ce n’est pas un ordre, Rae. C’est un conseil. Il y a du monde et il ne veut pas nous perdre dans la foule. Après, je t’accorde que c’est vexant… » - « Elle n’agira pas maintenant. Elle est idiote, mais elle ne l’est pas à ce point. » Toute action aussi publique serait médiatisée et signerait l’arrêt de mort de sa petite association de malfaiteurs. Si elle n’en a pas conscience, si sa folie a atteint le point où elle l’aveugle, quelqu’un d’autre le lui dira. « Et il ne nous la prend pas. » Je déglutis. J’ai du mal à le regarder dans les yeux, Callum. Quand tout sera passé, j’arriverai à mettre ma rancœur mal placée – elle l’est – de côté pour me fier à nouveau à son professionnalisme et ses talents. Pour l’instant, c’est au-dessus de mes forces. La mauvaise foi, alliée habituelle de ma moitié, est la seule chose à laquelle je suis capable de me raccrocher. Si, c’est ce qu’il fait. « Elle ne passera pas une journée de trop loin de nous. Mets ton cœur à l’aise. Allez, viens. » C’est le bon choix, celui qu’Amos fait. Remettre Micah à Callum tout de suite aurait été brutal : nous avons convenu que nous aurions jusqu’à la fin de la soirée. La déplacer à la nuit tombée est de toute façon le meilleur des choix.

J’ai besoin de savoir où elle va. Je me le répète tous les jours et, bien qu’Amos me donne pour justifier de nous laisser tous les deux dans l’inconnu tout un tas d’arguments militaires et réfléchis, j’ai envie de hurler que, même sous la torture, je ne donnerais pas la moindre information sur ma fille. J’ai besoin de savoir où elle va. et, alors que nous nous installons sur des gradins à moitié vide, je tente une approche subtile. « Tu penses qu’il va l’emmener où ? » Je ne lui demande pas de changer d’avis. Je lui demande son avis en tant qu’ancien frère d’armes du gardien désigné de Micah, en tant que père, mari, meilleur ami et amant. « Tu me donnes la bouteille d’eau, s’il te plait ? » Mécaniquement, je m’exécute. Ce n’est qu’au bout de plusieurs minutes que je tourne la tête dans sa direction et remarque qu’il n’a pas bu la moindre gorgée. La bouteille est là, entre ses jambes. Il ne joue pas avec son alliance, pourtant. Pas encore ? « Tu n’as pas soif ? » Ou plutôt, pas ce genre de soif ? Je l’interroge en caressant doucement les cheveux de notre bébé.

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J’imagine mal Aberline attaquer au beau milieu d’un événement qui rassemble autant de badauds. Ce serait signer l’arrêt de mort de sa petite entreprise, et n’est-ce pas ce pourquoi elle se bat ? Le pouvoir, en plus de la vengeance ? Le contrôle sur le milieu criminel de Brisbane ? Elle l’aurait sa vengeance, mais perdrait tout espoir d’avoir un jour plus que cela. Elle est devenue folle - il faut l’être pour menacer de s’en prendre à un bébé, et la quantité de drogue qu’elle ingère ne doit pas aider - mais est-elle prête à tout perdre ? Et pourquoi, pour s’en prendre à moi ? Moi qui n’ai pas tué Blanche ? Qui ne l’ai pas trahie, pour la simple et bonne raison que nous n’avons jamais été proches ni alliées ? A mon sens, ce serait dépasser le stade de la folie pour sombrer dans l’autodestruction pure et simple, et je doute qu’elle rêve de finir sa vie derrière les barreaux. Non, Aberline tentera de faire ce que les nuisibles font le mieux : attaquer dans l’ombre et de façon vicieuse. « Tu as raison. Il y a trop de monde… » Une main toujours appuyée dans le dos de ma poupée, je serre le genoux d’Amos de l’autre pour le rassurer. Il est à cran. Peut-être pense-t-il que c’est une mauvaise idée, de venir ici aujourd’hui. Je me moque des réjouissances organisées par la ville et je me moque des illuminations, mais j’avais besoin de passer un dernier moment léger et heureux avec Micah avant de l’exfiltrer, pour reprendre les termes de mon militaire de mari. « Je ne sais pas où il va l’emmener et c’est difficile, tu sais. » - « C’est ridicule, qu’on soit dans l’ignorance. Même sous la torture, je ne donnerais aucune information qui puisse mettre sa vie en danger. » Autrement dit : l’endroit où elle est cachée. Je mourrais la tête haute si cela me prodigue la certitude qu’elle vivra et demeurera en sécurité. J’ai beau connaître toutes les raisons qui font que c’est mieux ainsi, alors qu’est venu l’heure de quitter Micah, je n’arrive pas à les digérer. « Mais je lui rappellerai quand même tout à l’heure que c’est un bébé, qu’il peut pas la protéger comme un adulte capable de comprendre ce qui arrive, parce que pour ça, on l’a laissé à la maison. Je crois que c’est inutile, mais je serai soulagé de le lui avoir dit. » Je hoche la tête, sans le quitter des yeux. Micah est un bébé d’un an à peine. S’il doit l’enfermer quelque part pendant des jours, alors autant la garder près de nous. Non, elle doit pouvoir sortir, continuer à apprendre à marcher maladroitement dans l’herbe et sentir l’air extérieur sur son visage. Elle doit être stimulée par des sons, des couleurs et des sensations différentes pour continuer de grandir et se construire. C’est pour ça que nous l’éloignons, pas pour qu’elle soit enfermée dans une autre prison.

« Non. Elle m’occupe les mains et il le fallait. » Amos le verbalise moins, mais il n’aime pas plus cette situation que moi. C’est une évidence et je me demande si elle réveille ses démons. Il est sevré. Je peux affirmer avec fierté que le plus difficile est derrière lui et qu’il est plus solide concernant la boisson qu’il ne l’a jamais été. Mais les circonstances sont exceptionnelles : ne risquent-elles pas de faire vaciller sa détermination à résister à la tentation ? Est-ce trop tôt pour affronter ce genre d’épreuve ? « Je le répète, mais ça ne pourra pas durer des siècles. Parce que je ne suis pas sûr qu’une bouteille d’eau suffira, mais là, ça va… Tout va bien. » Mon regard passe de ses yeux, à ses lèvres jusqu’à ses mains qui jouent nerveusement avec l’opercule en plastique de la bouteille. « Tu n’as pas joué avec ton alliance depuis longtemps. » J’ai compris de quoi tu parles. « Mais ça ne veut pas dire que j’ai oublié le signal. » Je peux toujours t’aider. Je peux toujours être là pour toi. Doucement, je dépose un baiser sur les cheveux de ma fille qui tape dans ses mains en observant le spectacle avec des yeux brillants. « Tu avais raison. » Elle dépérissait. Et je le savais, je ne voulais juste pas le voir. « Ça fait du bien, de la voir comme ça. » Cela nous prouve qu’aucune décision que nous avons pu prendre n’a eu d’impact permanent sur notre fille. L’éloignement n’en aura pas, j’en envie d’y croire. Elle se reconstruira, et tout ne sera plus qu’un lointain souvenir.

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Raelyn Blackwell & @Amos Taylor

Je ne suis pas idiote, et je ne suis pas non plus ignorante des effets de l’alcool sur un homme. Amos n’est pas sevré depuis assez longtemps pour ne pas être chamboulé par la scène que nous sommes en train de jouer sans entendre chanter les sirènes de l’alcool. Moi-même, j’ai découvert que la douleur était plus vive lorsque je traverse une passe compliquée que lorsque que je suis épanouie, que j’ai confiance en moi et que je suis heureuse. N’ai-je pas replongé, plus de dix ans après mon sevrage, parce que j’ai cru que ma vie s’effondrait ? Parce que j’avais le sentiment de me retrouver seule, aussi seule que lors de mon arrivée à Brisbane mais plus d’une décennie après ? Sans Amos, j’aurais fini par me noyer, incapable de résister à l’appe des sirènes de la cocaïnes. Mais c’est différent pour lui, non ? Micah sera loin, mais en sécurité, et je resterai à ses côtés. En mon for intérieur, je sais qu’il aurait voulu m’éloigner aussi, s’il avait pu le faire. Pas parce qu’il veut affronter ça seul, mais parce qu’il est terrorisé à l’idée qu’il m’arrive quelque chose. Mais c’est mon ennemie, ma Némésis qui menace la vie de ma fille et notre équilibre et je ne suis pas une chose fragile : j’ai bien l’intention de l’affronter moi aussi. Amos savait que je refuserais d’être traitée comme une chose fragile, de toute façon.

« C’est bien parce que c’est agréable de la voir heureuse que je n’ai pas encore joué avec… » Je ramène les cheveux encore courts de ma fille en arrière, pour dégager son regard alors que ses yeux brillent, ma poupée étant absorbée par le spectacle son et lumière qu’elle a sous les yeux. « Elle l’est. » Et je pense même qu’elle n’a pas cessé de l’être pendant ces derniers jours, ces dernières semaines pendant lesquelles nous l’avons gardée enfermée au loft pour sa propre protection. Elle était frustrée, angoissée, mais je refuse de croire que nous l’avons rendue malheureuse d’une façon où d’une autre. Je suis tentée de négocier, je suis tentée d’essayer de convaincre une fois de plus Amos que nous pouvons la cacher nous-même, dans un endroit dont nous connaîtrons l’existence et où nous pourrons alors lui rendre visite mais je sais d’avance que c’est peine perdue et, surtout, une part de moi sait que nous avons choisi la solution la plus sécuritaire et que, malgré la peine et le déchirement que je ressens, c’est ce qui passe avant tout le reste. Personne n’atteindra Micah là où elle sera, où qu’elle soit, et c’est tout ce qui compte. « Mais… il faut que je réfléchisse déjà à quoi faire après… » Après, tu seras avec moi. Ses mâchoires se contractent presque imperceptiblement, et j’ai envie de lui souffler à l’oreille que je sais tout ce qu’il ressent, que j’ai compris. « Je ne suis pas certain que j’arriverai à dormir si c’était plus compliqué que je ne l’imagine. » Je hoche la tête et, après être restée songeuse un instant, je soulève ma fille pour la tendre à son père. « Prends-la. » Pour lui aussi, cette séparation doit avoir des allures de déchirure. Lui aussi mérite de pouvoir tenir son bébé, s'enivrer de son odeur pour ne pas l’oublier, et se saouler de tendresse plutôt que d’autre chose. « Je serai avec toi, après. » Tu ne seras pas seul. Micah en sécurité, nous arpenterons à nouveau les couloirs de l’Octopus côte à côte, plus séparément. Nous retrouverons un semblant de normalité - je dis bien semblant, puisqu’une fois à la maison, nous nous souviendrons que notre fille n’est plus là. Moi, pour l’oublier ou en tout cas arracher le pansement le plus vite possible, je songe déjà à un plan. « Je vais lui faire parvenir un message, quand Micah sera en sécurité. » A Lou Aberline, mais elle ne mérite pas que son nom soit prononcé à voix haute, et certainement pas alors que ma fille est sur les genoux de son père, à quelques centimètres de moi. « Pour organiser une rencontre. Ça a assez duré. » La jeune femme a eu assez de temps pour jouer à l’esprit frappeur. Assez de temps pour continuer à ronger l’os d’une vengeance qui n’a plus lieu d’être, puisqu’elle a fait la paix avec son principal tortionnaire.