Amiral Beauregard. Je suis tellement souvent appelé et interpellé comme ça que ça me semble banal, mais l'entendre de la bouche d'Abel donne une tout autre dimension à cette dénomination. Il a une façon de parler et d'accentuer les mots qui leur donnent une toute autre signification. L'envie de, finalement, oublié la parti 'bar' et de passer directement au dessert chez l'un de nous est de plus en plus présente, mais je décide de laisser durer le plaisir et profite d'un changement de sujet « ce mentir que de dire que ça ne me manque pas, mais c'est, en vrai, une décision que j'ai prise moi-même car quelque part je sentais que le moment de lever le pied était venu » haussais-je les épaules «Mais même si je ne serais plus embarquer sur un bâtiment de la royal navy, j'aurais d'autres tâches à accomplir » expliquais-je « Mais c'est trop compliqué à expliquer » Encore une fois, je me dis que je devrais lui annoncer que j'ai des enfants, mais au final je me ravise, ne souhaitant pas gâcher la soirée qui commence si bien.
Arrivé à l'intérieur du bar, je fais jouer la carte de la notoriété pour que nous puissions avoir droit à une table, précisant que je pourrais aisément le faire entrer dans le restaurant trois-étoiles à côté de l'opéra. Moi, j'y voyais quelque chose d'innocent en lui proposant cela, mais Abel le prend comme une éventuelle nouvelle invitation « Il se pourrait bien que oui ...» Répondais-je, sourire en coin avant de me tourner à nouveau vers le bar et, comme si de rien n'était, lui annonce quelle bière je lui conseil, rigolant doucement lorsqu'il se moque de mon accent « Je n'ai jamais été doué pour les langues » expliquais-je « J'adore le français, mais qu'est-ce que c'est compliqué ! J'ai appris quelques rudiments de la langue quand j'étais basé là-bas, mais j'ai tout oublié» je secoue doucement la tête « Tu parles d'autres langues, toi ? » Demandais-je en reportant mon attention sur le jeune homme qui s'est fortement rapproché de moi.
Nous sommes ensuite appelés par Bernie qui nous accompagne jusqu'à la table. Une fois installés et, après avoir passer la commande pour la bière, je pose mon regard sur Abel et lui pose trois questions, souriant à ses réponses. J'apprends qu'il écoute de tout, qu'il n'a pas forcément de films préférés, mais surtout qu'il n'a absolument aucune obligations, car sinon il ne serait pas là, avec moi « Tu marques un point là, j'avoue» soufflais-je en hochant la tête, mon regard plongeant dans l'azur de ses iris « Du coup si je te propose de finir la soirée chez moi, tu accepterais ?» vu les signes qu'il m'envoie et la réelle alchimie qu'il semble y avoir entre nous, je pense que cette question est plus que rhétorique.
Mais, avant qu'Abel ne puisse répondre, le serveur revient avec les deux bières et prends rapidement notre commande concernant le repas avant de repartir « à la nôtre » dis-je en levant mon verre vers mon compagnon de soirée, lui offrant par la même occasion mon plus charmant sourire et prends une longue gorgée de la bière « Est-ce que tu as des frères et sœurs ? » Demandais-je ensuite, fort curieux d'en apprendre davantage sur celui qui va sûrement partager mon lit cette nuit.
Est-ce que je le faisais exprès ? Carrément. Il faut dire que le grand blond avait tout pour appeler mon côté le plus charmeur – et dragueur – possible. Et il ne semblait pas si insensible à cela, bien au contraire d’après ce que je pouvais entrevoir dans sa façon de réagir. Cela me plaisait forcément si je voulais être honnête ; et je n’allais pas m’arrêter en si bon chemin. Toutefois, il semblait que le bel amiral avait décidé de lever un peu le pied, comme si quelque chose – ou quelqu’un ? – lui avait rappelé qu’il était bon quand même de penser à autre chose qu’au travail. Tiens, est-ce que cela faisait écho en moi ? possible. « Si tu veux en parler, sens-toi libre. Même si je ne suis pas familier avec ce monde-là, je ferais semblant de comprendre pour ne pas te vexer. » dis-je avec un rire. Bien sûr, je plaisantais. « Plus sérieusement, cela me plairait d’en apprendre davantage. » Et c’était sincère. Ce n’était pas juste pour faire la conversation ou tenter de séduire encore davantage Beauregard. Même s’il n’y avait pas que son regard que je considérais comme beau pour le coup.
Néanmoins, j’appréciais entendre que mon cher compagnon de soirée semblait être près à remettre cela avec moi. Pourtant, ce premier rendez-vous n’avait même pas réellement commencé si on peut dire. Enfin, nous verrons bien où cela pouvait nous mener. En tout cas, pas forcément sur le chemin des langues – enfin pas celle qui se trouvait dans sa bouche du moins, je ris intérieurement à cette pensée. « Je pourrais te donner des cours, je crois que je n’ai pas encore tout perdu. » avouais-je. Il est vrai que cela avait été la première chose que j’avais mené en parallèle de mon entrée à l’Opéra : apprendre le français. Cela avait été dur mais je pouvais m’arguer d’être au moins bilingue même si un léger accent demeurait. « Oui, je parle l’espagnol mais je triche un peu car il s’agit aussi de ma langue natale si je peux dire, au même titre que l’anglais. Je parle le français et l’italien. » Maîtriser quatre langues pouvait paraître perturbant, mais à dire vrai, le fait d’être bilingue par mon éducation avait bien aidé pour être honnête.
Fixant Tom avec un intérêt qui n’était pas uniquement pour ses beaux yeux – quoi que ? enfin comprenez quand même que je cherchais quelque chose de plus… concret que partager un verre. Et sa question suivante me conforta dans l’idée que nous étions sur la même longueur d’onde. Pourtant, je n’eus le temps de répondre que le serveur vint nous apporter nos boissons. Pourtant pendant toute la prise de commande pour le repas, je n’avais pas lâché une seconde Thomas des yeux, si ce n’est pour regarder le serveur quand il me demande ce que je désirais. Cela en disait long sur la réponse à sa question. Néanmoins, celui-ci sembla bien soudainement s’intéresser à autre chose. Avait-il peur que je dise non ? Levant mon verre pour lui répondre, je pris une gorgée de ma bière, qui en effet était parfaite. « Oui trois frères. Et pour répondre à la question sous-jacente, c’est moi l’ainé. » dis-je avec un sourire. Quoi ? Bien sûr qu’Oliver était mon cousin dans le sens biologique mais qu’est-ce que j’en avais à faire ? Hein, voilà. « Et toi ? De la famille ? » Etrangement, je restais bien plus large. En effet, le presque quadragénaire en face de moi pouvait très bien avoir construit quelque chose avec quelqu’un. Enfin, peut-être que cela s’était fini s’il se trouvait là. Ou pas ?
Je lève la main et secoue la tête pour lui signifier silencieusement que ce n'est pas un sujet duquel je souhaite parler aujourd'hui. Ou du moins pas tout de suite. De toute manière, j'ose espérer que ce ne soit pas la dernière fois que nous nous voyons aujourd'hui et qu'il y aura bien d'autres occasions pour lui parler de ma famille. Mais pour l'instant je ne souhaite tout simplement pas gâcher mon coup ce soir.
C'est donc un changement de sujet qui s'opère lorsque nous entrons dans le bar et que nous attendons que Bernie nous trouve une table. C'est ainsi que j'apprends que mon interlocuteur, en plus d'être sacrément beau gosse et excellent danseur, est aussi polyglotte ! « Ah ouais quand même ! Quatre langues ? Eh bien, dis donc, respect… Le français tu l'as appris à Paris, je suppose » dis-je en hochant la tête « Et l'italien alors ? »
Là, sans savoir pourquoi je finis par exprimer le fond de ma pensée en lui demandant s'il accepterait que nous finissions la soirée ensemble chez l'un ou l'autre. Malheureusement, le serveur revient avec nos bières et repart avec nos commandes, si bien qu'Abel n'a même pas le temps de répondre. Et j'en profite pour orienter la conversation sur un tout autre sujet : la famille. C'est quelque chose d'hyper important pour moi et je me rends rapidement compte qu'il en est de même pour le danseur : il l'ainé d'une famille composé de trois plus jeunes frères. « Ah ouais, que des hommes !» Je laisse échapper un rire amusé « Nous, on est un peu plus nombreux » j'attrape ma bière « Il y a d'abord moi, puis Sam, puis les jumeaux James et Ian... » Je fronce légèrement les sourcil « Ian est décédé au combat en 2012 » précisais-je rapidement « Ensuite Ezra et enfin Lizzie, la petite dernière et seule fille » je souris doucement « Ma mère est décédé peu après la naissance de Lizzie et mon père ... » Je pince les lèvres « ... Il m'a renié quand il a appris que j'allais me marier avec un autre homme » haussais-je les épaules « Depuis mon divorce il est un peu plurent avenant et notre relation commence tout doucement à revenir à la normale, mais il n'acceptera jamais totalement mon orientation sexuelle » je hausse les épaules « Mais je m'en fou. J'ai bientôt quarante ans, une belle carrière, deux enfants et je gagne bien ma vie. Je n'ai pas besoin de lui pour ... » Je me tais subitement en me rendant compte que ma parole a dépassé ma pensée en évoquant mes deux enfants «... Pour vivre » reprenais-je, comme si de rien n'était avant de soupirer doucement « Et du coup oui, je suis père célibataire. Alex et Clara sont chez leur mère, là, et nous sommes en garde partagée » je conclus mes paroles en prenant une longue gorgée de ma bière, espérant secrètement que l'avis d'Abel me concernant ne changera pas.
Manifestement, Thomas ne semblait pas vraiment enclin à discuter davantage de son parcours ou même du fonctionnement de l’armée ; ce que je comprenais dans un certain sens. En effet, parler travail ce n’était pas toujours plaisant. Cela étant, je faisais plutôt parti de l’équipe #travailpassion. En effet, cela avait toujours paru étrange pour mon père notamment de vouloir vivre de cela. Être danseur à ses yeux, ce n’était pas vraiment un travail. Enfin tout ce qui n’attrayait pas à quelque chose proche de son domaine ne semblait pas être digne d’intérêt. Et, je crois que cela était partagé par beaucoup de personnes en vérité.
« C’est bien cela. Je pense qu’il était normal d’apprendre la langue de mon pays résident. Et puis… cela aide pour beaucoup de choses. » Au-delà de l’aspect administratif particulièrement tordu pour ce pays, discuter avec les résidents était bien plus simple quand ils voyaient qu’on pouvait échanger dans la même langue qu’eux. Cela m’avait fait bizarre au début, beaucoup semblait réfractaire à discuter dans une langue commune. « J’ai eu l’occasion de collaborer plusieurs fois avec des compagnies italiennes et je me suis fait quelques amis là-bas qui m’ont appris. Cela motive ! » Il est vrai que c’était une chance de pouvoir converser de bien des façons. C’était quelque chose qui m’avait aidé dans bien des situations.
J’avais attrapé mon verre tout en l’écoutant. Manifestement de son côté, sa famille était bien plus importante. Il en était l’ainé, un cadet puis deux jumeaux dont l’un qui était décédé. Apparemment, il avait également choisi la voie de l’armée aussi. Un choix qui lui aurait coûté la vie ? Je préférais ne pas rester sur cette idée, même si cela faisait plus de dix ans, c’était un souvenir sans doute douloureux. Une petite sœur complétait quand même cette fratrie. Toutefois, niveau rapport familiaux, il semblait que les choses soient complexes pour Thomas avec son père. Tiens quelque chose que j’avais en commun avec lui. Bon je n’étais pas allé jusqu’au mariage, mais je savais d’ores et déjà que cela poserait ô combien problème à mon paternel si c’était avec un homme.
Néanmoins, je suis surpris d’apprendre d’emblée que Thomas était père et cela par deux fois. Mon regard cobalt s’arrête sur lui alors qu’il avait arrêté de parler, sans doute cette information n’avait pas été prévue au programme. D’ailleurs voilà qu’il vint à soupirer, tentant de faire un état assez bref de sa situation avant de boire. Pour le coup, je restais silencieux, ne m’attendait pas à ce que mon interlocuteur soit pleins de surprises. Mais c’était sans doute à moi de briser le silence.
« Et bien de mon côté, il y a Oliver, suivi des jumeaux Paolo et Liam. Bon Ollie est mon cousin en réalité mais nous avons grandi ensemble. » déclarai-je pour reprendre la conversation. D’ailleurs, je préférais ne pas aborder le fait que j’étais sans nouvel de mon cadet. Je préférais poursuivre. « J’ai des rapports aussi compliqués avec mes parents, mon père. Un choix de carrière qu’il n’avait jamais envisagé pour l’ainé de ses enfants. Danser, ce n’était pas ce qu’on peut appeler un métier pour lui. Concernant ma sexualité, j’ai préféré lui éviter une nouvelle déception de la part de son premier fils. » dis-je avec un rire pour tenter de détendre la situation. « Mais bon, je pense que les parents espèrent sans doute que leurs enfants aient une vie qu’ils estiment la mieux selon eux, mais dont la représentation est bien pour nous. » En effet, je n’avais aucune espèce de passion pour cet univers financier. Je trouvais cela plus barbant qu’autre chose. Et puis cette histoire de… lignée et tout ce qu’il s’en suivait, très peu pour moi. « Et pour le coup, je ne suis pas père célibataire. J’espère que ce n’était pas un critère pour toi ? » demandai-je alors avec un clin d’œil avant de me lever pour m’approcher de lui, plantant mes iris dans les siens alors que j’avais attrapé le haut de sa chemise pour l’attirer vers moi. « Tu vas continuer encore longtemps à éviter le moment de m’embrasser ? » dis-je dans un sourire taquin. Au moins, il ne pourrait plus reculer là.
Parler de mon boulot n'est pas évident. Même si j'aime ce que je fais et que j'apprécie fortement tous les avantages qui viennent avec ma notoriété, beaucoup de gens ne comprennent pas comment j'ai pu choisir cette voie-là. L'armée étant décrier un peu partout dans le monde, la guerre étant source d'inquiétude pour beaucoup de gens et les armes étant source de conflits dans bien des circonstances. Lorsque je parle de mon travail, je rentre bien trop souvent dans des débats qui n'ont pas lieu d'être et ça me fatigue à tel point que je coupe souvent court aux conversations.
J'oriente, donc, la conversation vers le fait que le danseur sait parler plusieurs langues et apprend ainsi qu'il a souvent collaboré avec des troupes italiennes. « Ça, c'est intéressant !» m'exclamais-je, préférant me concentrer sur la passion et le métier de mon interlocuteur « On danse beaucoup en Italie ? Je connais pas mal de troupe française et est-européenne et australienne aussi, évidemment, mais je n'ai jamais entendu parler de l'Italie en vrai » j'incline légèrement la tête sur le côté, désireux d'entendre ses explications.
Vient ensuite le sujet de la famille sur lequel je m'attarde bien plus longtemps que celui du travail. J'explique rapidement ma position dans la famille puis ma relation avec mon père et me rends rapidement compte qu'il en est de même pour Abel ! Il a déçu son père en choisissant la danse et ne se voit pas le décevoir avec son orientation sexuelle, la tenant secrète. « Je vois… En fait, on est différent tout en étant pareil » reprenais-je en attrapant mon verre en main « Toi tu as déçu ton père avec ton choix de carrière, moi j'en ai fait sa fierté. Il est un haut gradé de la Royal Australian Air force, donc sur ce côté-là, on s'entend bien » je souris doucement en levant mon verre « Et, je l'ai déçu en lui annonçant que j'aime les hommes » haussais-je les épaules en prenant une gorgée de ma bière.
Tout en continuant sur ce sujet, j'annonce, sans m'en rendre compte, que je suis père de deux enfants. Fort heureusement, cette révélation ne semble pas troubler outre mesure mon compagnon de soirée qui décide même d'en tirer un trait d'humour en me disant que lui est célibataire sans enfants et espérant que ce n'est pas un critère pour moi. « J'espère surtout que ce n'est pas un critère pour toi » dis-je en reposant mon verre sur la table alors que je suis le jeune homme des yeux lorsqu'il se lève de sa chaise « Je veux dire, je ...» Je ne peux en dire davantage qu'il se penche vers moi et me demande d'une façon plus ou moins directe, de l'embrasser.
Ignorant mon cœur qui s'accélère brusquement, je me redresse, pose une main sur son visage et l'embrasse avec une certaine retenue et timidité, juste le temps de goûter à la douceur de ses lèvres avant d'y mettre un peu plus d'entrain. « On ne prendrait pas nos plats à emporter ? » Soufflais-je après un baiser de plusieurs secondes. « Je suis bien incapable de manger maintenant... » Et de toute manière, le dessert est beaucoup plus agréable.
Je fronçais légèrement les sourcils face à la réflexion de mon vis-à-vis. Intéressant ? J’étais un peu surpris mais la suite me fit sourire davantage, comprenant finalement l’intérêt de Thomas. Il est vrai qu’en dehors des personnes qui fréquentaient l’univers de la danse, je n’avais que rarement trouvé des passionnés pour être honnête. Et même les personnes que j’avais rencontré – comprenez pour un rendez-vous – n’étaient pas forcément intéressées par cette partie de moi. « Et bien oui ! L’une des compagnies les plus connues est la Scala de Milan ! C’est très réputé, cela m’étonne que tu ne connaisses pas pour le coup. Enfin, il y a beaucoup de compagnies européennes aussi donc peut-être pour cela. » Il est vrai que le Ballet de Milan avait brillé pendant de longues années sur la scène internationale, moins maintenant d’après des changements de direction répétés. « C’était très enrichissant pour être honnête. »
Cependant, je n’avais moi-même pas envie de trop m’étaler sur le sujet. Oh je pourrais en parler pendant longtemps mais j’avais bien d’autres idées en tête. Et je pense que mon langage non verbal en disait beaucoup. Même si je m’étais décidé à faire une petite incartade pour discuter famille. A dire vrai, je restais plutôt assez succinct sur le sujet mais au vue de comment Thomas s’était confié, je me sentais d’en faire de même. Enfin, ce n’était pas non plus de la pitié, peut-être plus pour le mettre à l’aise. « Je crois qu’on est fait pour décevoir nos pères. » dis-je avec humour en le pointant légèrement du doigt alors que je tenais mon verre en même temps. Dans ce genre de moment, il n’y avait que l’humour pour aller de l’avant, pour se figurer autre chose que de n’être qu’une déception dans celui qui avait participé à notre venue au monde. D’un côté, je lui devais bien des choses. Et d’un autre, j’avais réussi à me faire un chemin là où il ne m’aurait jamais vu alors que je savais que c’était fait pour moi.
« Un critère ? » répétais-je alors que je m’étais levé pour m’avancer pour lui. « Tant que tu ne me forces pas à t’appeler daddy, tout va bien. » Cependant, je dois avouer que le voir soudainement hésitant, pris au dépourvu provoquaient en moi une certaine satisfaction – et une excitation réelle. Est-ce parce qu’il était un quadragénaire en puissance, haut gradé de l’armée et moi un presque trentenaire qui avait conquis la scène mondiale ? Cela avait tout l’air d’un cliché et qu’est-ce que je m’en foutais. Je ne voulais qu’une chose à cet instant : connaître le goût de ses lèvres. Je sens qu’il se tend, venant glisser sa main contre ma joue, venant m’embrasser alors finalement, avec une certaine timidité. Je trouvais cela mignon. Mes yeux étaient restés ouverts, prenant le soin de détailler ses traits, appréciant ce goût qu’avait sa bouche contre la mienne. Il décide de rompre le contact, venant me demander si ce ne serait pas mieux de prendre à emporter. « Tu penses que tu vas m’échapper comme ça ? » demandais-je alors avec un rire. « Vraiment ? Moi, je suis affamé au contraire. » Glissant mon bras dans le creux de ses reins, je venais le pencher légèrement pour lui voler un nouveau baiser. « J’ai menti tout à l’heure. J’ai bien une obligation. Et elle s’appelle Amiral Thomas Beauregard. »
« On est fait pour décevoir nos pères » cette phrase à elle seule résume tellement bien nos situations respectives que je la trouve presque ironique. Sourire amusé sur les lèvres, je secoue doucement la tête et lève mon verre vers le jeune homme « Tu as bien résumé la chose » confirmais-je à haute voix avant de laisser échapper un rire. Toute cette situation me donne encore plus envie, du coup, d'apprendre à connaître Abel plus en détail.
Et par détail, j'entends 'détail physique'. Car au final, c'est bien sur son physique que j'ai craqué au tout début. Même si je découvre en lui quelqu'un d'extrêmement intéressant, je dois avouer que ce qui me fait le plus envie chez lui, c'est de savoir la saveur qu'ont ses lèvres. Et, comme s'il pouvait lire mes pensées, il m'y invite la seconde d'après, ne me laissant pas le choix que de l'embrasser et déclenchant en moi de nombreuses émotions que je pensais avoir perdue depuis bien longtemps. Lorsque je lui demande, dans un souffle, si on ne prendrait pas nos plats à emporter, il me répond que je ne pourrais pas lui échapper et qu'il est affamé. « Moi aussi » dis-je avec un sourire en coin « Mais pas pour des burgers et des frites » je me redresse et me recule lorsque le serveur revient avec nos commandes.
« Excusez-moi » l'interpellais-je précipitamment alors qu'il s'était déjà retourné pour partir. « Vous pouvez nous mettre tout ça à emporter s'il vous plaît» je sens son regard jugeur autant sur moi que sur Abel, mais je n'en ai absolument rien à faire. « Bien sûr. Donnez-moi 2 minutes et je le fais » répond-il poliment en reprenant nos assiettes. Je lance un coup d’œil au danseur puis me lève de ma chaise, lui caresse doucement le bras puis reprend mes affaires et me dirige vers le comptoir afin de payer en attendant que l'homme ne revienne.
Cinq minutes plus tard, je me retrouve à nouveau sur le trottoir en compagnie d'Abel et me tourne vers lui « Chez toi ou chez moi ?» Demandais-je « Mon appartement de fonction est à côté de la base militaire au niveau du port» expliquais-je « Cinq minutes à pied » reprenais-je en désignant la direction à prendre.
Est-ce que tout ceci n’était pas étrange ? ô que non. Au contraire, j’avais connu des rendez-vous qui s’étaient déroulés sans beaucoup moins d’étapes. Est-ce que c’était dérangeant ? pas le moins du monde. Le fait qu’on se tournait au tour depuis quelques longues minutes déjà était un jeu qui me plaisait énormément, un jeu auquel mon interlocuteur semblait très doué, je devais bien l’admettre. D’ailleurs, il avait sauté le pas ; je m’étais fait un peu plus entreprenant afin de voir si le beau militaire allait se décider à se montrer un peu moins en retrait. Celui-ci avait parfaitement bien contre-attaqué. « Tu m’en diras tant. » répondis-je alors avec un sourire en coin. Cependant, l’arrivée du serveur vint à nous séparer. Ma tête se tourna sur ce dernier qui avait rapidement fait demi-tour face à la demande de Thomas. J’étais partagé pour le coup face à la tête que tirait l’employé. Affronter le regard d’autrui n’était pas une fin en soi – question d’habitude, mais je trouvais cela presque mignon. Sans doute n’était-il pas habitué à voir pareil élan d’affection, quand bien même son avis sur la question. Regardant Beauregard s’éloigner, je me décide de finir ma bière avant de le rejoindre. Apparemment, il avait décidé de tout régler quand je le vis se tourner vers moi. Je n’allais pas me lancer dans cette bagarre tout de suite, cela attendra la prochaine fois.
« Chez toi alors. Je suis à vingt minutes. » déclarai-je comme si son argument pesait le plus dans la balance. A dire vrai, je ne pensais pas tant à manger des burgers et des frites comme l’avait souligné Thomas, j’étais plus pressé si je puis dire. Un empressement que je sentais comme réciproque pour le coup. Marchant à ses côtés, suivant finalement mon guide de Sydney jusqu’à l’endroit qu’il habitait, je n’avais pas arrêté de penser durant ce laps de temps. J’étais resté silencieux, me contentant de fumer ma cigarette jusqu’à ce qu’on arrive devant le bâtiment. Il est vrai que cela ne serait pas dans cet appartement de fonction que j’apprendrai à davantage le connaître. C’était étrange le sentiment qu’il avait fait naître en moi pour le coup.
Ce ne fut que lorsque nous arrivâmes à son étage et que nous fûmes entrés, que je me décidais à laisser parler cette envie qui n’avait fait que croître depuis ces dernières – longues minutes. Plaquant alors Thomas contre la porte d’entrée une fois close, je vins fondre sur sa bouche pour venir plaquer mes lèvres dessus dans un baiser moins timide et hésitant. Il n’y avait personne d’autres que nous, personne pour nous déranger. Autant en profiter.
La soirée prend très rapidement la tournure que j'imaginais car je le sais : le baiser que nous échangeons n'est que le premier d'une longue, très longue série. Tout à coup, je n'ai plus faim tant, mon être réclame un tout autre désir. Sans plus hésiter, je demande à ce qu'on nous emballe les frites et les burgers puis vais payer nos consommations et retrouve mon compagnon du soir à l'extérieur. Sans aucune hésitation et d'un commun accord, nous décidons de nous rendre chez moi. J'avais dis cinq minutes, mais au final nous mettons bien moins de temps avant de passer la porte de mon appartement de service.
À peine la porte s'est-elle refermée derrière nous, qu'Abel passe aux choses sérieuses et, me plaquant contre la porte, il capture mes lèvres dans un baiser aussi doux que passionné. J'y réponds avec tout autant d'entrain, laisse tomber le sachet dans lequel se trouve la nourriture, sur le sol puis lève les mains pour déboutonner sa chemise qui vient rapidement rejoindre le sol avant que je ne repousse le danseur le temps de retirer la mienne. « La chambre est au bout du couloir » soufflais-je en désignant la porte face à nous.
Ni une ni deux, je passe à côté de lui, attrape sa main et l'entraîne derrière moi. La porte de ma chambre se referme derrière moi alors que je reprends notre baiser là où je l'avais arrêté, m'attaquant sans plus de cérémonie au bouton de son pantalon « ça fait trois heures que j'ai envie de faire ça» ce désire sexuel est apparu au moment où j'ai vu Abel entrer sur scène et n'a fait que grandir jusqu'à atteindre son apogée, là, ici, dans ma chambre.
Il est maintenant clair que pour lui comme pour moi, la seule chose qui nous intéressait était de se retrouver tous les deux, seuls pour assouvir ce désir qui n’avait fait que grandir depuis qu’on s’était mis à parler. A croire que je ne pense qu’à cela. A dire vrai, cela faisait partie de ma personne mais je devais quand même confesser qu’il était difficile de rester de glace face au regard du militaire. Un regard qui se faisait tantôt rieur, tantôt charmeur. J’avais pu en apprendre plus sur lui en une simple soirée que pour d’autres en plusieurs jours. Sans doute parce que les rapports n’étaient pas les mêmes, que nous cherchions quelque chose qui demandait moins de dictats ou de conventions sociaux. Qu’importe, je m’étais jeté sur lui, dévorant ses lèvres avec avidité alors que je sentais que ma chemise avait glissé sur ma peau pour rejoindre le sol, alors que j’en avais fait de même avec la sienne. Son souffle me fit sourire contre lui, alors que je le suivais sans résister. Pourquoi faire après tout ?
« Trois heures ? Est-ce que cela compte aussi le temps où j’étais en train de danser ? » demandai-je taquin lorsque je sentis ses mains venir s’attaquer à l’ouverture de mon pantalon. Laissant mes lèvres se perdre dans ses cheveux, je ne tardai pas à me retrouver dans mon plus simple appareil. Quelques secondes de plus, et il en était tout autant pour lui. Sans crier gare, j’avais attrapé l’amiral pour le retourner et le jeter sur son lit. Grimpant sur lui, je fondai sur ses lèvres de nouveau. « Et toute une nuit pour satisfaire cette envie. » soufflai-je alors que je glissais le long de son cou pour descendre bien plus bas.
Même si j’étais un animal en quête de plaisir, appréciant me laisser enivrer dans les effluves de la passion et de l’étreinte, je crois qu’entendre la voix de mon partenaire vibrer de la sorte provoquait une satisfaction sans commune mesure. Des sons rauques, des feulements qui ne pouvaient être exprimés que dans l’intimité de ce moment, loin de tout ce qui pouvait être formel. Une expression de liberté, de sentiment que rien ne pouvait surpasser. Je crois qu’on essaye souvent de trouver une comparaison à ce qu’on ressent dans ce genre de moment. A quoi bon ? il fallait prendre cela pour ce que c’était, sans chercher plus loin.
Ce ne fut que lorsque je sentis quelque chose me chatouiller le nez que j’ouvris les yeux. La faible lueur du soleil levant venait de me tirer d’un bref sommeil qui ne fut guère réparateur je crois pourtant je me sentais bien, allègrement bien. Ma tête se tourna instinctivement vers l’ombre, rencontre une masse de cheveux. Souriant, je me posais mes lèvres dessus alors que je laissais mes bras entourer le corps de Thomas pour le rapprocher de moi. On dit qu’on perd la notion du temps dans ce genre de moments, c’est bien vrai.
En vrai, je ne pensais pas finir la soirée dans les bras d'un autre homme et pourtant, c'est une tournure des plus agréable que celle-ci prend. Le corps d'Abel est comme je me l'imaginais sous ce juste au corps serré et moulant : parfait. Des muscles fins et parfaitement dessinés, une peau douce et un goût des plus somptueux, cet homme a tout pour plaire. À cela, s'ajoute une parfaite maîtrise de son corps ainsi qu'une vraie expérience en termes de sexualité. Le tout se mélange dans un orgasme tel que je n'en ai plus eu depuis longtemps. Certes, l'amour de Myrddin était magique, mais nos échanges sexuels étaient bien loin d'égaler celui que j'ai avec Abel. Je suis incapable de savoir à quelle heure nous tombons de fatigue, mais je sais que le sommeil était amplement mérité et totalement bénéfique.
Je ne sais pas quelle heure il est lorsque je sens la main de mon compagnon de soirée sur mon épaule puis son corps encore chaud contre le mien. Sans ouvrir les yeux, j'attrape sa main et l'embrasse avant de blottir mon dos contre lui, souriant en même temps. Je laisse encore passer quelques instants, tentant de grappiller encore quelques minutes de sommeil avant de prendre une profonde inspiration et, dans un soupir, je me tourne. Ouvrant les yeux, mon regard se plonge dans celui d'Abel et instantanément, les souvenirs de la soirée de la veille me reviennent. « Bonjour » soufflais-je en souriant, levant la main pour retirer une boucle qui lui barre le front. Je m'avance ensuite pour déposer un baiser sur son front avant de me tourner sur le dos.
Même si je n'ai clairement pas envie de quitter ce lit, je sais que je n'ai pas le choix. Alors, après un dernier soupir, je repousse la couverture et me lève. Installé au bord du lit, j'observe rapidement les vêtements qui sont répartis un peu partout dans la chambre et souris, amusé « Est-ce que tu veux un café ? » Demandais-je en lançant un coup d’œil au-dessus de mon épaule alors que j'attrape mon caleçon. « Et si tu veux prendre une douche... La salle de bain est juste à côté » expliquais-je « Fait comme chez toi » je lui adresse un doux sourire puis me lève et, enfilant au passage un jogging et un t-shirt, je me dirige, pieds nus, vers la cuisine où je m'attelle à la préparation de la boisson qui nous réveillera.
C’était peut-être l’une des rares fois où je savais que je me retrouverai dans ce lit en me réveillant. Déjà je n’avais pas atterri ici en étant complètement torché, première chose. Deuxième chose, l’affinité qui s’était créée avec Thomas était concrète. Je n’avais pas été intéressé uniquement par l’idée de me retrouver au lit avec lui. Oh bien sûr cela avait joué et je dois dire qu’on avait parfaitement su comment profiter pleinement de ce moment entre nous deux. D’ailleurs, les quelques tensions dans mon corps n'étaient pas dû uniquement au ballet de deux heures et demie que j’avais dansé hier soir. Certains mouvements étaient plutôt employés dans ce genre de contexte. Je souris d’ailleurs à cette pensée alors que j’avais réaffirmé ma prise autour du corps de Thomas.
Manifestement mon réveil l’avait tiré de son sommeil à en juger par ses lèvres qui étaient venues se poser sur ma main alors qu’il se collait davantage contre moi. Restant silencieux, je le laissais toutefois se retourner finalement, venant contempler les traits de son visage avant d’accrocher son regard. Mes yeux se levèrent en direction de cette main qui était venue relever une boucle qui me barrait le front. Un sourire étira alors mes lèvres. « Bonjour à toi aussi. » soufflais-je avant de le laisser s’extirper de mes bras pour se lever. Profitant encore du lit, je le regardais se lever, détaillant sa silhouette avec un plaisir évident. « Oui pour un café ! » m’exclamais-je en me redressant finalement. Mon regard se dirigea en direction de la porte qui menait à ladite salle de bain. J’acquiesçai alors que je me tournais pour me lever, fixant la vue qui s’offrait à moi à travers cette fenêtre. C’est vrai que ce n’était pas prévu mais c’était cela aussi finalement la liberté, celle de pouvoir de laisser aller à des désirs profonds et intenses.
Toutefois au lieu de me diriger vers la salle d’eau, je préférais quitter la chambre pour rejoindre Thomas qui était afféré dans la cuisine, je vins me glisser derrière lui, posant mes lèvres sur sa nuque alors que mes bras venaient l’enserrer de nouveau. « Prends ta douche avec moi. » lui soufflais-je alors dans le creux de l’oreille. Oui, c’était un instant hors de nos vies, alors autant qu’il dure encore un peu plus longtemps.