road shimmers / festival international d'architecture, mai 2023, Venise (Italie)
Vivian était arrivée tôt à l'aéroport. Certes, elle n'avait pas pour habitude d'être en retard, pour autant, cette fois-ci, elle était arrivée très en avance. Bien trop excitée par ce qui l'attendait en Europe, à savoir le festival international d'architecture, elle n'aurait pas pris le risque de louper son avion à cause d'un quelconque embouteillage. Elle était donc arrivée très en avance par rapport à l'heure de l'embarquement, et s'était donc installée dans un café, où elle avait payé un thé bien trop cher, histoire de patienter jusqu'à l'arrivée de son binôme pour l'évènement. Sous la bénédiction d'Iris et Mica, les grands patrons, Vivian avait eu l'autorisation de se rendre en Italie pour l'évènement, et mieux que si elle était seule, elle serait accompagnée par Noor, ce qui représentait une belle occasion pour apprendre à mieux se connaître. Ayant commencé à bosser ensemble quelques mois auparavant, les deux jeunes femmes s'entendaient bien, mais pour autant, n'avait jamais eu l'occasion de vraiment discuter depuis leur première rencontre, à ce fameux congrès. Ce voyage, serait peut-être l'occasion. Nul doute que Noor serait à l'heure et qu'elle ne décollerait pas seule, mais pour le moment, la brune avait sorti sa tablette pour annoter ses derniers plans, tasse d'eau fumante à côté de l'objet. Le brouhaha de l'aéroport était rapidement devenu lointain à ses oreilles, la concentration prenant le pas sur tout le reste. Depuis qu'elle avait eu l'autorisation de se rendre au congrès, Vivian était de bien meilleure humeur. Bien loin de vouloir se l'admettre, le départ précipité de Seth l'avait plus ébranlé qu'elle l'aurait cru, et simplement l'envisager la faisait enrager. Cet abruti avait déboulé dans sa vie alors qu'elle n'avait rien demandé, et avait disparu aussi vite qu'il était arrivé, sans un mot. Les quelques messages qu'elle s'était abaissée à lui envoyer étaient restés sans réponse, mais était-elle seulement étonnée de son silence? Il lui avait déjà fait le coup une fois, quand il avait fini en taule. Et évidemment, elle n'avait pas pu s'empêcher de se renseigner, visitant prisons et commissariats les plus proches quand il avait disparu, au cas où. Sans résultat, aucun. Et ça l'avait rendue dingue, pendant des jours. Dieux, elle lui en voulait. Mieux valait pour lui qu'il ne réapparaisse jamais au grand jamais dans son champ de vision, ou il serait bien reçu. Salopard. C'était probablement pour cette raison que la jeuen femme était si soulagée à l'idée de changer d'air. Son dernier voyage datait de Semarang, en Indonésie, et la jeune femme n'était pas repartie depuis, du moins, pas pour des vacances. Le voyage qui l'attendait n'en était pas vraiment, c'était certain, mais l'Europe était suffisamment loin pour qu'elle puisse oublier un instant qu'elle était de nouveau seule chez elle, après des mois de cohabitation. Quand elle avait finalement relevé les yeux de sa tablette, le fond de thé restant dans sa tasse était bel et bien froid. Mais au moins, la jeune femme avait terminé les dernières modifications sur l'un de ses deux projets actuels. Ne restait qu'à l'envoyer à son client, pour qu'il y jette un oeil, et pour l'informer qu'elle serait injoignable dans les prochains jours; cause voyage d'affaire. Son mail envoyé, elle s'était sentie plus légère. Mr Hamilton était désormais au courant de son absence de quelques jours, et Auden l'était déjà. Ses affaires étant réglées pour le moment, elle aurait tout le loisir de se concentrer sur la lecture de son bouquin du moment dans l'avion, et cette seule idée était très agréable. De loin, par pur hasard, elle avait aperçu la silhouette de Noor dans la foule. Elle s'appretait à se lever pour aller à sa rencontre quand cette dernière avait tourné la tête dans sa direction, l'australienne s'était donc contentée d'un signe de la main pour l'inviter à la rejoindre. Les deux brunes finalement côte à côte, Vivian avait adressé un sourire franc à sa collègue. « Noor. Tu es pile à l'heure! » Si elle en croyait les horaires affichés sur le grand panneau, l'embarquement de leur vol était sensé commencer dans une dizaine de minutes. Vivian avait rangé sa tablette dans son sac, avant de relancer son attention vers sa collègue. « Tu as hâte? Moi j'ai hâte. Je n'ai pas été à ce genre d'évènement depuis des lustres. » Pour être honnête, elle n'y avait été qu'une seule fois, pendant ses études, et ce n'était pas si loin à l'époque. Cependant, elle en gardait de très bon souvenirs, et était véritablement ravie d'avoir une nouvelle occasion d'échanger avec des architectes de tous horizons. « Notre avion décolle bientôt, mais j'imagine qu'on a le temps pour un café avant d'y aller. Tu veux quelque chose? » Elle, comptait bien reprendre un thé si Noor décidait de s'assoir à ses côtés pour la prochaine dizaine de minutes. Après, elles n'auraient plus qu'à s'envoler vers l'Europe.
Noor s'était rendue compte au matin de partir de son appartement qu'elle ne savait pas où était rangé son passeport. Ce qui était embêtant, puis qu'elle avait rangé avec tout son dossier pour son visa permanent lui permettant de rester en Australie. Ce n'était pas son habitude d'être aussi désorganisée, mais les jours qui avaient suivi sa fête d'anniversaire avaient été terribles, et elle avait eu l'impression que tous ses amis s'étaient réunis pour la mettre au sol, ce qui expliquait sans doute qu'elle soit un peu perdue.
Il n'y avait plus qu'à espérer qu'elle ait bien fait sa valise, malgré la fatigue et l'état second dans lequel elle se sentait ces derniers. Le taxi était là de toute façon, et elle n'avait pas le temps de vérifier les vêtements qu'elle avait emporté avec elle.
Elle avait profité du trajet pour envoyer un mail à l'ambassade du Mexique pour le renouvellement de son passeport - il était encore valable une année, mais elle n'avait aucune idée du prochain séminaire qu'elle allait pouvoir suivre grâce à Archiris Company et préférait donc prendre les devants que de se retrouver bloquée à Brisbane pour de l'administratif.
Elle arrivait à l'aéroport alors qu'elle venait juste d'envoyer son mail, ce qui signifiait aussi qu'elle n'avait pas eu le temps de lire les mails de ses clients et de préparer ses réponses. Et ce n'était pas dans l'avion qu'elle allait pouvoir le faire. Enfin, il serait toujours temps de le faire quand elle serait arrivée en Italie, ça l'aiderait peut-être à rester éveillée, le temps de s'habituer au décalage horaire.
« Vivian, tu es arrivée tôt ! » lança-t-elle en s'approchant de sa collègue.
Bien plus qu'elle en tout cas, et sans doute à raison parce que l'embarquement allait commencer, et que Noor n'avait pas eu le temps d'aller se chercher un café pour pouvoir aborder sereinement le voyage.
« Je crois que le seul séminaire d'architecture que j'ai fait, c'était pendant ma dernière année de fac. C'est te dire comme ça date... »
Elle y avait rencontrée Seth, qui l'avait ensuite aidée à avoir un poste de stagiaire dans le cabinet dans lequel il travaillait. Quelques bons souvenirs noyés sous beaucoup de mauvais donc.
« Si on a le temps d'un café, ça me va. J'ai pas beaucoup dormi les dernières nuits, et ça va m'aider à tenir un peu pendant le vol. Surtout que j'aimerais avancer sur certains projets. »
Elle montra sa propre tablette, ayant déjà noté que Vivian avait la sienne dans son sac. Le voyage se promettait d'être studieux.
« Tu es déjà allée en Europe ? » demanda-t-elle à sa collègue alors qu'elles se dirigeaient vers le café le plus proche.
Il lui semblait que Vivian était une Australienne pur jus, ayant toujours vécu dans son pays natal. Mais elle avait pu faire des voyages, enfant ou depuis qu'elle était active professionnellement. Noor n'avait comme souvenirs de l'Italie que beaucoup trop de caves visitées avec Dani, et quelques visites touristiques... Et elle n'avait pas vraiment envie de penser à Dani ou au reste de ses amis pour le moment.
road shimmers / festival international d'architecture, mai 2023, Venise (Italie)
Noor était pile à l'heure, et rapidement, la jeune femme avait repéré sa collègue assise au bar de ce café d'aéroport, cette tasse presque vide posée à côté de sa tablette. « Vivian, tu es arrivée tôt ! » L'australienne lui avait souri, tout en rangeant sa tablette dans son sac. Immédiatement, la jeune femme avait transmis son excitation de partir en congrès à l'autre bout du monde, et sa collègue avait eu l'air réceptive à son enthousiasme, bien qu'un poil stressée de son - presque - retard. « Je crois que le seul séminaire d'architecture que j'ai fait, c'était pendant ma dernière année de fac. C'est te dire comme ça date... » Elles partageait donc au moins ça, en plus du reste, bien que la dernière année de fac de Noor devait remonter un peu plus que celle de Vivian... Quand l'anglaise avait été sur le point d'être diplômée en architecture, Vivian, elle, était probablement encore en désintox. Elle n'avait été couronnée de lauriers que bien après sa talentueuse collègue. « C'est la même chose pour moi. Mais j'en garde un très bon souvenir. » Et elle espérait que ce nouvel évènement lui plairait tout autant que le premier. Avisant le tableau qui annonçait un début d'embarquement pour leur vol d'ici une dizaine - une quinzaine même - de minutes, l'australienne avait proposé à la brune de se poser une minute le temps d'un café, avant de partir ensemble vers leur porte. « Si on a le temps d'un café, ça me va. J'ai pas beaucoup dormi les dernières nuits, et ça va m'aider à tenir un peu pendant le vol. Surtout que j'aimerais avancer sur certains projets. » Vivian avait eu un petit rire . « Les grands esprits se rencontrent. Mais bon, on a quand même plus de vingt heures de vol, il va bien falloir que tu dormes à un moment donné. Alors pas d'excès de café. » De toute façon, elle ne comprenait pas bien ce qui pouvait bien pousser les gens à ingurgiter des litres de cette boisson qu'elle jugeait infecte. Le thé, c'était tellement plus délicat, avec tellement plus de subtilité... Mais passons. Pour le moment, Noor voulait un café, et c'est ce qu'elle avait eu, puisqu'elles en avaient le temps. De son côté, Vivian avait pris un second thé, même si fade car de piètre qualité. « Tu es déjà allée en Europe ? » La jeune femme n'avait pas eu à réfléchir longtemps. Les souvenirs étaient gravé au fer rouge dans sa mémoire. « Plusieurs fois oui, quand j'étais plus jeune. Slovénie, Allemagne, Bulgarie et Pays-Bas. Mais je ne suis jamais restée assez longtemps pour visiter vraiment, ce n'était que de courts séjours. » Ce qu'elle s'était bien gardé de dire, c'est que cela correspondait à certaines des compétitions internationales auxquelles elle avait participé, quand elle patinait encore à haut niveau. De bons - très bons - souvenirs, surtout qu'elle y avait brillé, mais pour autant, puisqu'elle y avait été pour la compétition, le tourisme était resté très secondaire pour elle. Mais oui, elle avait déjà été en Europe, et maintenant elle espérait que Noor ne lui demanderait pas plus de détails sur ce qu'elle y avait fait. Malgré l'affection qu'elle vouait à sa collègue, elle n'était pas prête à lui divulguer la moindre information sur son passé noir. « Ce sera ma première en Italie, par contre. Et il paraît que Venise est magnifique à cette période de l'année. » Elles auraient tout le loisir de s'en rendre compte par elles-même une fois en territoire Italien. « Et toi alors? Tu viens de Londres si je me souviens bien. Est-ce que tu as parcouru l'Europe en long en large et en travers quand tu y étais? » C'est ce que bon nombre de personnes aurait fait à sa place. Mais avec les études - et le budget qui allait avec une vie d'étudiante -, la brune n'en avait peut-être pas eu l'occasion. Le duo venait de terminer ses boissons quand l'appel pour l'embarquement de leur vol avait retenti entre les murs du Terminal 1. Avec un sourire au barman, les deux jeunes femmes avaient payé leurs consommations, et Vivian avait pris le chemin de leur porte attribuée, sa collègue sur les talons. Elles avaient embarqué assez rapidement, malgré la longue file qui s'étalait déjà quand elles étaient arrivées. Et lorsque Vivian avait atteint son siège, elle avait soupiré de soulagement. Les aéroports étaient un vrai cauchemar pour elle; trop de gens qui se mouvaient autour d'elle en même temps, trop près. Heureusement, il était tôt, et l'immense bâtiment n'avait pas encore été pris d'assaut par les voyageurs de jour. Un peu d'attention pour éviter les zones vraiment bondées, et elle parvenait à éviter les crises de panique. Dans l'avion, c'était beaucoup plus simple. Certes, il s'agissait d'un habitacle fermé, mais ici, les gens n'avaient pas le loisir de bouger quand et comme ils le souhaitaient, et ça restait rassurant pour l'australienne. Autant que ça pouvait l'être, en tout cas. Le premier vol durerait un peu plus de quinze heures, avant la seule et unique escale à Dubaï. D'ici là, les deux architectes auraient certainement bien avancé sur leurs projets respectifs, et qui sait, peut-être même qu'elles auraient commencé à mieux se connaître.
« J'avais bien aimé ce séminaire, même si mes souvenirs sont un peu flous ! »
Déjà parce que sa dernière année d'université remontait à plus de huit ans - presque dix -, et aussi parce qu'elle y avait retrouvé beaucoup de ses camarades de promotion, et qu'ils avaient beaucoup parlé le soir au bar. Des nuits courtes et beaucoup de soirées, donc, mais également beaucoup de bons souvenirs d'étudiant.
Mais avant de replonger dans un séminaire, il leur fallait déjà faire la vingtaine d'heures d'avion qui les séparaient de l'Italie. Beaucoup trop de l'avis de Noor, qui n'avait jamais été une grande fan de ce moyen de transport, mais l'Australie était une île loin de tout... Il fallait s'y plier, mais elle suivit d'abord Vivian vers le café du coin, pour prendre une bonne tasse de cette boisson qui lui permettrait de garder les yeux ouverts pendant une partie du voyage.
« Je pense qu'à un moment, ils éteindront toutes les lumières pour qu'on dorme. C'est ce qu'ils font souvent sur les longs courriers » estima-t-elle.
Mais en attendant, elle avait des dossiers à compléter. Elle avait déjà réussi à se mettre à jour sur les mails de ses clients, les demandes de changement bien notées dans un de ses documents pour pouvoir s'en occuper quand elle serait dans les airs sans wi-fi.
« Que des courts séjours ? T'as pas dû beaucoup profiter avec le jet-lag ! »
Dommage, parce que la liste des pays cités par Vivian semblaient tous magnifiques à visiter - Noor n'avait fait que l'Allemagne parmi ces quatre-là, et elle avait bien aimé.
« Je suis Mexicaine, en fait » dit-elle, plus très sûre d'en avoir déjà parlé à Vivian. « Mais j'ai étudié en France et j'ai eu mon premier job à Londres, après le diplôme. Une des amies de la fac voulait être œnologue, alors on a beaucoup fait les vignobles ! Je suis déjà allée en Italie, mais surtout dans le Nord, et jamais jusqu'à Venise. »
Elle avait toujours rêvé de visiter cette ville de l'amour, mais c'était étrange d'y aller pour le travail et accompagnée d'une collègue. Enfin, ce n'était pas comme si elle avait un petit-ami pour l'y accompagner. Même si sa relation avec Max était ambiguë, ils étaient encore loin d'une relation...
Leurs cafés terminés, il était déjà l'heure d'embarquer, et elles se laissèrent guider par la signalétique de l'aéroport. Il leur fallut un bon quart d'heure avant de se retrouver assises - en classe affaires, une nouveauté surprenante pour Noor, qui avait toujours voyagé en classe économique jusque là. Les sièges étaient bien plus confortables, et rendaient la perspective de vingt heures assise sans rien faire un brin plus agréable.
Elle sortit son ordinateur et sa petite to-do list, planifiant déjà ce qu'elle avait à faire avant leur escale et changement d'avion à Dubai. Elle espérait e finir le plus possible, pour pouvoir tout envoyer à leur arrivée à Venise, et n'avoir que des modifications demandées par les clients à faire durant la semaine de séminaire. Elle voulait profiter un peu pour jouer les touristes, et profiter de balades en bord de canal, pas juste rentrer à l'hôtel pour se prendre la tête sur son ordinateur.
« T'as beaucoup de travail, toi, ou tu as été plus organisée ces dernières semaines ? » demanda-t-elle.
Comme lorsqu'elle devait réviser pour ses partiels quand elle était étudiante, Noor repoussait un peu le moment de s'immerger dans le travail en posant des questions à Vivian. Elle aurait été chez elle qu'elle aurait briqué l'appartement de fond en comble pour se changer les idées...
road shimmers / festival international d'architecture, mai 2023, Venise (Italie)
L'embarquement n'ayant pas encore commencé, les deux jeunes femmes s'étaient accordé un peu de temps en plus le temps de se boire quelque chose, sous la proposition de Vivian, qui elle avait déjà profité d'un thé avant l'arrivée de sa collègue. Si la jeune femme avait bien l'intention de profiter d'une deuxième boisson chaude aux plantes avant de prendre l'avion, l'autre brune avait, elle, opté pour un café, qui l'aiderait à garder les yeux ouverts un peu plus longtemps, selon ses dires. Pas d'abus, lui avait intimé l'indienne avec un sourire amusé. Sur un vol aussi long que celui qu'elles s'aprêtaient à prendre, il lui faudrait bien faire ami-ami avec le sommeil à un moment donné. « Je pense qu'à un moment, ils éteindront toutes les lumières pour qu'on dorme. C'est ce qu'ils font souvent sur les longs courriers » Soit, mais ce n'était qu'un détail. « Tu sais, la caféine se fiche bien qu'il fasse nuit dehors. » Mais Noor avait probablement l'habitude d'en boire, si bien qu'au final, elle avait probablement perdu de son effet au fil du temps. Sa collègue faisait bien comme elle voulait. Si elle préférait bosser durant tout le vol et avoir sommeil une fois en terres italiennes, c'était bien son problème.
La curiosité de Noor avait été satisfaite en partie quand l'indienne lui avait raconté avoir fait plusieurs petits séjours en Europe, quand elle était plus jeune. L'architecte s'était bien abstenue de révéler pour quelle raison elle y avait voyagé, laissant plus volontiers croire à des vacances, ce que sa collègue avait paru gober sans trop se poser de questions. Tant mieux, elle ne tenait pas vraiment à évoquer des bribes d'un passé qui lui était encore douloureux, à une quasi inconnue. « Que des courts séjours ? T'as pas dû beaucoup profiter avec le jet-lag ! » Vivian avait secoué la tête. « C'était pas si terrible, en fait. Le plus dur c'était l'après, le retour en Australie. » La jeune femme avait toujours eu plus de mal à récupérer dans ce sens là, au retour, quand le décalage horaire rajoutait des heures à 'horloge, quand il était deux heures du matin à Brisbane, mais huit heures de moins là d'où on arrivait.
Elle avait questionné Noor sur ses origines, parce qu'il lui semblait qu'elle venait de Londres, une information qu'elle tenait de leur première rencontre. Si elle avait étudié en Europe, peut-être avait elle eu plus d'opportunités pour visiter le continent que celle qui venait de l'autre bout du monde? « Je suis Mexicaine, en fait. » Une seule et unique phrase pour obtenir l'attention pleine et complète de l'ancienne patineuse; des origines autres qu'australiennes. « Mais j'ai étudié en France et j'ai eu mon premier job à Londres, après le diplôme. Une des amies de la fac voulait être œnologue, alors on a beaucoup fait les vignobles ! Je suis déjà allée en Italie, mais surtout dans le Nord, et jamais jusqu'à Venise. » Vivian s'était contentée d'un hochement de tête, pensive. « Tu n'es partie du Mexique que pour les études? Et ça ne te manque pas? » Elle était curieuse de voir ce que ressentait Noor à ce sujet. « Je suis née et j'ai grandi à Brisbane, mais ma mère est indienne. Quand j'étais petite, j'ai passé beaucoup de mes vacances près de Bangalore, chez mes grands-parents. » Et même si d'un point de vue légal, elle n'était qu'australienne, ses racines lui importaient tout autant que son acte de naissance.
Les deux jeunes femmes avaient discuté joyeusement pendant cette petite pause qu'elles s'étaient accordé, puis sur tout le trajet qui les avait mené jusqu'à leur porte d'embarquement. Une fois dans l'avion, l'indienne s'était enfin permis un soupir, soulagée de ne plus avoir à côtoyer une foule de gens agacés par les files d'attente, même de loin. L'avion, c'était plus rassurant. Personne pour la bousculer par accident ou pour la coller de trop près. C'était parfait. D'autant que la classe affaire leur promettait des sièges plus confortables, plus de place pour étendre les jambes, et un cocktail de bienvenue. Pour Vivian qui, comme sa collègue probablement, n'avait jamais voyagé autrement qu'en classe éco, le luxe était très appréciable. L'une à côté de l'autre, les deux femmes avaient sorties leurs affaires respectives pour pouvoir commencer à travailler aussi tôt que possible, et sans même se consulter. « T'as beaucoup de travail, toi, ou tu as été plus organisée ces dernières semaines ? » Allumant sa tablette, la brune avait rapidement ouvert un document. « J'ai réussi à m'organiser suffisamment pour ne pas être submergée. L'un de mes projets en cours est en attendre, le gars veut absolument l'avis d'un ami avant de se décider, et on commence à prendre du retard. Mais en soit, c'est son problème. » Auden était le seul responsable de l'état d'avancement de son futur logement. Et s'il préférait que ça traîne, quitte à ce que tout soit à l'arrêt jusqu'à dieu savait quand, c'était bien son problème, oui. Elle l'avait relancé plusieurs fois, sans succès. Et le fait que la jeune femme connaisse sa situation actuelle, par rapport à sa femme disparue, était le seul détail qui l'avait pour le moment empêchée de lui voler dans les plumes. « J'ai un dossier à finaliser pour une cliente que j'ai en commun avec Micka, mais ça devrait être rapide. Et puis, j'ai un autre truc sur le feu. » Un projet sur lequel elle travaillait en sous marin depuis des semaines, et qu'elle prévoyait de présenter à un congrès australien d'ici quelques mois. Pour le moment, personne n'avait besoin de savoir, alors la jeune femme se taisait religieusement.
Elles avaient entendu la voix du pilote pour la première fois alors qu'une hôtesse de l'air venait de leur apporter ce qu'elles appelaient le "cocktail de bienvenue", un mélange de jus de fruits dépourvu d'alcool, apparemment réservé aux classes supérieures. Alors que Vivian venait d'accepter son verre avec gratitude, leur pilote avait annoncé un décollage imminent, alors que l'avion avait commencé à se mouvoir tranquillement jusqu'à la piste. Chacun avait alors fait son devoir en attachant sa ceinture, et la brune s'était laissée retomber contre le dossier de son siège. « J'ai vraiment hâte d'y être. C'est une ville vraiment romantique, il paraît. Je me demande si c'est réellement comme sur toutes ces photos qu'on voit sur internet. » Elle qui avait un peu voyagé, était consciente que parfois, une image était bien loin de représenter la réalité d'un lieu, malheureusement. « J'espère que ce sera le cas. Même si on devra en profiter entre collègues, au lieu de partager ça avec quelqu'un de spécial. » Avant que son esprit lui impose n'importe quel visage qui l'aurait fait sortir de ses gonds, l'australienne avait dévisagé sa collègue. « Est-ce qu'il y a quelqu'un que tu aurais aimé emmener dans ta valise? » Sa curiosité exacerbée n'était pas vraiment naturelle, mais tout moyen était bon pour ne pas penser à ses propres aventures sentimentales.
Noor haussa les épaules, guère inquiétée par sa consommation de caféine. Elle en buvait toute la journée en travaillant, son petit thermos dans un coin du bureau, et ça ne l'avait jamais empêchée de trouver le sommeil une fois rentrée chez elle. Ou peut-être que son corps était juste habitué à fonctionner sur quelques heures de sommeil et de longues heures de travail - et qu'elle finirait par le payer un jour.
Elle était donc sûre qu'elle trouverait le sommeil quand les hôtesses éteindraient la lumière pour mimer la nuit. Elle profita de son café en discutant avec sa collègue, contente d'avoir l'opportunité de mieux la connaître. Elles se croisaient régulièrement, que ce soit dans la salle de pause comme à travailler sur un dossier commun, mais ça restait des conversations superficielles.
« Je suis partie à dix-sept ans, et je n'y suis jamais revenue. C'est... J'ai aimé mon enfance, et ma famille, mais en partant ailleurs, je me suis aussi rendu compte que je ne partageais plus leurs valeurs, et c'était compliqué. »
Sa famille avait du mal à comprendre qu'elle travaille, qu'elle ne soit pas mariée, qu'elle n'ait pas d'enfants. Elle n'avait même pas osé leur dire qu'elle vivait en colocation avec un homme qui n'était qu'un ami, certaine que ça aurait crié au scandale si ça s'était su. Elle se sentait plus chez elle à l'étranger que dans le pays dans lequel elle avait grandi, un décalage qu'elle ne s'expliquait pas et qui la mettait très mal à l'aise.
« Ma mère est indienne, aussi ! Du Nord, elle est hindi. J'y suis allée deux fois, mais je me suis plus sentie touriste qu'autre chose. »
Loin de Bangalore, qui était bien au Sud si sa géographie de l'Inde n'était pas trop mauvaise. Une langue différente, sans doute une autre culture aussi. Et une autre expérience, si Vivian y avait passé ses vacances d'enfant. Noor avait été adulte quand elle était allée en Inde pour la première fois, et elle y était allée sans sa mère, qui avait refusé de rentrer au pays après avoir été déshéritée par ses parents pour avoir épousé un étranger.
Elles allèrent s'installer dans l'avion une fois leurs consommations finies. Le luxe de la classe affaire déstabilisa Noor, plus habituée à être parquée dans la classe économique. Quoi même pour elle qui était petite, c'était agréable de pouvoir étendre ses jambes et avoir la place d'être confortable dans son siège. Elle devrait peut-être le conseiller à Hugo et Kai, qui râlaient toujours d'avoir leurs genoux dans le siège de devant chaque fois qu'ils prenaient l'avion.
« J'aurai bien aimé faire le carnaval de Venise. J'avais vu des images quand j'étais étudiante, mais j'ai jamais eu l'occasion d'y aller ! Bon, on y va pas à la bonne époque, mais faudra vraiment que je le fasse un jour ! »
Le carnaval aurait pu être agréable, même avec une collègue. Alors que de simples promenades dans la ville du romantisme, avec sans doute beaucoup de couples autour d'elles... Peut-être que certains moments seraient gênants, surtout si certains comprenaient mal pourquoi elles s'y baladaient ensemble.
« J'ai pas de copain en ce moment. Juste un flirt, mais on est pas allé bien loin » avoua-t-elle à Vivian, pensant au sourire charmeur de Max. « Et toi ? Je le prendrais pas mal si tu préférais qu'il soit à ma place, promis ! »
road shimmers / festival international d'architecture, mai 2023, Venise (Italie)
L'australienne trouvait Noor de plus en plus intéressante. En plus d'être une personne naturellement chaleureuse, la brune avait des origines tout aussi exotiques que les siennes, et avait baroudé suffisamment partout, avait habité et travaillé dans suffisamment de pays pour que son histoire soit vraiment intéressante. D'ailleurs, Vivian en était presque jalouse. Certes, elle avait un peu voyagé, pour de courts séjours pour la plupart, où elle n'avait pas eu le temps de s'imprégner de telle ou telle culture. Son premier vrai voyage ne remontait qu'à peu de temps. Semarang. Oui, ça avait été une bouffée d'air frais dans son quotidien, elle qui n'avait connu que Brisbane et Bangalore, au final. Donc, elle était curieuse, et n'avait pas pu s'empêcher de poser davantage de questions à sa collègue, pour en apprendre plus sur elle, quand elle ne la connaissait que par leur relation de travail. « Je suis partie à dix-sept ans, et je n'y suis jamais revenue. C'est... J'ai aimé mon enfance, et ma famille, mais en partant ailleurs, je me suis aussi rendu compte que je ne partageais plus leurs valeurs, et c'était compliqué. » Doucement, Vivian avait hoché la tête. Elle ne comprenait que trop bien. Pas la première partie, qui impliquait de quitter son pays, celle qui mettait en avant un défaut de partage des valeurs. Si enfant elle s'était toujours pliée aux exigences de ses parents, en grandissant, elle avait commencé à émettre des opinions différentes. Si elle était encore en contact avec eux, notamment avec sa mère, cette dernière aurait sûrement été affreusement déçue de la voir toujours célibataire, sans enfant, travaillant pour elle-même et, pire que tout, ayant habité avec un homme hors mariage - et avec qui elle n'était même pas en couple. « Ma mère est indienne, aussi ! Du Nord, elle est hindi. J'y suis allée deux fois, mais je me suis plus sentie touriste qu'autre chose. » C'était probablement normal. L'architecte ne partageait pas cette sensation, probablement parce qu'elle avait passé un temps considérable en Inde étant enfant. Si elle n'y avait été que deux fois, sur des périodes réduites, elle aurait très certainement partagé le sentiment de sa collègue.
Le voyage avait pris une autre dimension quand elles s'étaient enfin installées dans l'avion. La classe affaires était vraiment confortables, et Vivian avait retenu un soupir de soulagement en réalisant qu'elle ne serait pas collée entre deux personnes inconnues, et que, mieux que le reste, elle allait avoir assez de place pour étendre ses jambes à son aise. Plus sereine d'avoir enfin échappé à la foule du hall d'aéroport, l'architecte avait recommencé à discuter joyeusement avec la mexicaine, évoquant le boulot, parce qu'entre collègues, le sujet n'était jamais bien loin. La brune avait un peu de boulot à abattre, Noor aussi, elles ne risquaient pas de s'ennuyer malgré les nombreuses heures de vol. Cependant, elles avaient papoté encore un moment, leur destination, qu'elles n'avaient jamais visité ni l'une ni l'autre, restait un bon sujet de conversation. « J'aurai bien aimé faire le carnaval de Venise. J'avais vu des images quand j'étais étudiante, mais j'ai jamais eu l'occasion d'y aller ! Bon, on y va pas à la bonne époque, mais faudra vraiment que je le fasse un jour ! » Evidemment, l'architecte partageait son avis. Le carnaval devait être un évènement magnifique, mais comme le disait sa collègue, ce n'était définitivement pas la bonne période, pour leur plus grand malheur. La ville restait parmi les plus romantiques, cependant, et l'architecte ne savait rien de la vie sentimentale de Noor. Et si cette dernière avait dans sa vie une personne spéciale avec qui elle aurait préféré faire le voyage, plutôt que sa collègue? « J'ai pas de copain en ce moment. Juste un flirt, mais on est pas allé bien loin. » La brune n'était probablement pas consciente du petit sourire rêveur qui avait étiré ses lèvres à l'évocation du fameux flirt, mais Vivian avait eu une mimique amusée. « Juste un flirt, vraiment? T'attends quoi pour lui sauter dessus? Ton sourire en dit long... » Elles n'étaient peut-être pas assez proches pour que Noor ait réellement envie d'en dire plus, mais elle était curieuse, l'australienne. « Et toi ? Je le prendrais pas mal si tu préférais qu'il soit à ma place, promis ! » Vivian avait eu un vague sourire. « Tristement célibataire, depuis un moment maintenant. Y a bien ce mec que je vois de temps en temps en ce moment, mais il traverse une mauvaise passe et je pense pas qu'il soit en état de me voir autrement que comme une amie. » A son plus grand regret. Loin d'être amoureuse ou quoique ce soit du genre, la jeune femme ne pouvait pourtant pas nier être attirée par Auden. Mais des sentiments? Non. Elle n'avait rien ressenti du genre, de plus fort qu'un simple pincement au coeur depuis... L'autre. « Y a eu un mec à un moment donné. On était pas ensemble, pas du tout, mais y avait définitivement... Quelque chose. » L'architecte avait secoué la tête, résignée. « Mais c'est du passé. Il s'est tiré du jour au lendemain, sans la moindre explication, et depuis, plus rien. » Elle l'avait assez mal vécu, Vivian. Mais pour son égo, elle ne comptait pas s'appesantir sur les difficultés qu'elle avait eu à laisser tomber ce connard, et à passer à autre chose. « En ce moment, je me concentre sur les histoires d'un soir. C'est court, c'est satisfaisant, et aucune chance de se faire ghoster ensuite, puisque c'est fini. » Histoires d'un soir... Ou de deux. Peut-être qu'elle recontacterait Anwar, à l'occasion, histoire de voir s'ils ne remettraient pas ça, une prochaine fois. Tournant la tête vers le hublot, l'australienne s'était rendue compte que l'avion avait commencé à se déplacer, avalant l'asphalte à une vitesse modérée. Quelques minutes plus tard, la carlingue prenait son envol.
Noor rougit devant les sous-entendus de Vivian - elle n'avait pas pensé laisser passer autant de choses dans son petit sourire, mais si même une collègue qui la connaissait peu arrivait à voir à travers... Elle devait vraiment être transparente.
« J'ai tendance à aller trop vite et à me faire briser le cœur. Du coup, j'essaye de pas me faire trop de films... »
Elle avait peur de souffrir, même si Max lui avait envoyé un message pour lui souhaiter bon voyage - et quand elle lui avait annoncé son départ pour Venise, il lui avait même demandé de bien le prévenir quand elle serait arrivée. Alors qu'elle n'était même pas sûre que Hugo, pourtant son colocataire, ait remarqué qu'elle préparait sa valise ou cherchait vainement son passeport dans tout l'appartement.
Et clairement, elle aurait préféré partir avec Max pour Venise. Pas qu'elle doute de la compagnie de Vivian, mais elles n'étaient que collègues, en partance pour la ville des amoureux... Pour un congrès d'architecture, certes, mais Noor espérait quand même pouvoir profiter un peu de la ville et de ses attractions.
« S'il te plaît vraiment, j'espère que vous arriverez à trouver à vous trouver vraiment » souhaita-t-elle quand même quand Vivian lui parla de son crush.
"Good person, wrong time", sans doute. C'était dommage, mais s'entêter dans une relation quand on n'était pas prêt pour ça, c'était surtout risquer de se blesser et de blesser l'autre. Même si ce n'était pas toujours facile de laisser partir la personne qu'on aimait.
« J'ai eu aussi le gars qui est parti du jour en lendemain. J'avais déménagé à Londres pour lui, et je me suis retrouvée toute seule, alors que j'étais même pas sur le bail de l'appart... Vraiment mauvais souvenir. »
Quoi que se retrouver à la rue n'était pas le pire des souvenirs que Seth ait pu lui laisser... Elle aurait presque préféré qu'il n'y ait que ça, finalement - parce qu'elle se souvenait encore de tout ce qu'il avait pu lui hurler dessus, ces insultes mâtinées d'alcool qui revenaient parfois la hanter, même des années plus tard.
« J'ai jamais vraiment réussi les histoires d'un soir... Je suis trop romantique, j'ai besoin de connaître la personne avant de me retrouver dans son lit » avoua-t-elle à mi-voix.
Sa seule aventure avait été Icare, et ça avait créé un certain nombre de malentendus entre eux, qu'ils peinaient encore à éclaircir, parce qu'ils avaient des manières radicalement différentes de fonctionner et avaient du mal à se comprendre. Noor comprenait qu'on puisse aimer rencontrer des gens juste pour quelques heures, mais elle en était incapable.
« C'est parti ! Je dirai bien que j'ai hâte d'arriver, mais on a vraiment beaucoup trop d'heures de vol pour que je le dis dès maintenant ! »
C'était peut-être le seul reproche qu'elle ferait à l'Australie. Les paysages étaient magnifiques, et les habitants adorables, mais ils étaient loin de tout. Il fallait quasiment un jour d'avion pour retrouver l'Europe, des dizaines d'heures pour l'Asie ou l'Amérique - beaucoup trop pour Noor, qui avait aimé pouvoir partir en vacances sur ces continents, en partant et en arrivant dans la même journée.
« Vu qu'on aura notre soirée de libre en arrivant, je compte bien profiter un peu des bars et rencontrer des Italiens » avoua-t-elle à Vivian. « Et toi ? Sortie dès ce soir ou tu vas plutôt t'écrouler sur ton lit ? »
road shimmers / festival international d'architecture, mai 2023, Venise (Italie)
Leur vol allait être long, et dans un sens, Vivian était soulagée. Elle savait déjà qu’elle s’entendait bien avec Noor, mais plus les deux jeunes femmes discutaient, plus elles se découvraient quelques points communs, parfois assez improbables. C’était facile de parler avec la brune, de tout et de rien, ça paraissait naturel. C’est dans cet élan que la jeune femme avait abordé des sujets un peu plus personnels. Après tout, elles s’envolaient vers l’une des villes les plus romantiques du monde, et l’australienne était curieuse de savoir s’il y avait quelqu’un dans le cœur de Noor. Et il y avait bien quelqu’un, si elle en croyait la jeune femme, même s’il n’y avait soi-disant rien de plus qu’un flirt. Le sourire de la mexicaine en disait plus long qu’elle voulait bien l’admettre, alors l’architecte s’était permis un sous-entendu à ce propos, très efficace pour faire virer les joues de sa collègue au cramoisi. « J’ai tendance à aller trop vite et à me faire briser le cœur. Du coup, j’essaye de pas me faire trop de films. » Elles étaient bien différentes sur ce point, quand l’australienne, elle, était toujours à l’origine de ses ruptures. De façon plus ou moins classe, elle était prête à l’admettre. « Vaut mieux avoir un cœur brisé qu’un cœur qui n’a jamais servi, tu crois pas ? » C’était fort, venant de quelqu’un qui n’avait jamais ressenti plus qu’un gros béguin dans toutes ses relations passées, et dont le cœur n’avait jamais été brisé comme l’avait été celui de Noor. Elle ne connaissait pas cette douleur là, Vivian. Mais ça, sa collègue n’avait pas besoin de le savoir. Logiquement, cette dernière lui avait ensuite retourné la question, et elle n’avait pas hésité à lui répondre franchement. Elle lui avait parlé d’Auden, de son attirance pour lui, de ses doutes par rapport à leur relation actuelle, sans jamais évoquer son prénom, cependant. « S’il te plaît vraiment, j’espère que vous arriverez à trouver à vous trouver vraiment. » Vivian avait simplement hoché la tête. Elle tenterait probablement quelque chose, quand l’occasion se présenterait, quand ce serait le bon moment. Sans vraiment d’espoir que cela fonctionne, car à part le jour de leur rencontre, il n’avait pas eu l’air d’éprouver pour elle autre chose qu’une amitié respectueuse, quand elle ne pouvait plus nier son attirance pour lui. Et comme pour faire un lien qui n’avait pas lieu d’être, la jeune femme avait ensuite parlé de Seth à celle qui éta it assise à ses côtés. Elle n’avait pas pu s’empêcher de parler de ce cas désespéré qu’elle avait accueilli chez elle pendant plusieurs mois, et qui s’était tiré sans un mot ou une explication un beau matin. Ou était-il parti au milieu de la nuit ? Elle ne savait même pas. A sa grande surprise, sa collègue ne l’avait pas jugé. « J’ai eu aussi le gars qui est parti du jour au lendemain. J’avais déménagé à Londres pour lui, et je me suis retrouvée toute seule, alors que j’étais même pas sur le bail de l’appart… Vraiment mauvais souvenir. » Et ça, l’australienne voulait bien le croire. Elle s’estimait heureuse de n’avoir jamais eu de souci de ce côté-là. En même temps, elle n’avait pas été si longtemps que ça en colocation, et même si elle gardait de formidables souvenirs de ses années en commun avec Stella, elle restait très satisfaite de sa nouvelle vie en solitaire. La plupart du temps, du moins. « Il est devenu quoi ce gars, tu sais ? » Définitivement dans le camp de sa collègue, la jeune femme avait espéré qu’il s’était pris un retour de karma spectaculaire après un coup comme ça.
L’australienne avait ensuite admis sans la moindre honte que de son côté, elle préférait se concentrer sur les coups d’un soir, les histoires sans lendemain, les étreintes passagères. C’était beaucoup moins prise de tête qu’une véritable histoire, et le moins qu’on puisse dire, c’est que Vivian y trouvait satisfaction. « J’ai jamais vraiment réussi les histoires d’un soir. Je suis trop romantique, j’ai besoin de connaître la personne avant de me retrouver dans son lit. » Silencieusement, la brune avait hoché la tête aux dires de sa collègue, qui avait baissé d’un ton pour presque chuchoter. Rien n’était honteux dans le fait de ne pas aimer ça, et là-dessus, elle n’avait pas de jugement à émettre. Pour tenter de détendre l’atmosphère qui était devenue un poil plus tendue, l’australienne avait décidé de lui donner une énième anecdote sur sa vie sentimentale catastrophique. Grimaçant, Vivian avait coulé un regard vers la brune. « J’ai regretté une seule fois ce genre d’aventure. Avec ce type dont je te parlais tout à l’heure. On s’est tourné autour pendant des semaines, l’attraction était évidente, mais je refusais d’aller plus loin, parce que justement, c’était plus un inconnu. » Un soupir, agacé. « Mais j’ai fini par céder. Et il a disparu dans la foulée. » Et bien sûr, elle s’en voulait. Jamais elle n’aurait dû coucher avec Seth. Il avait eu ce qu’il avait convoité… Et elle s’en mordait les doigts, maintenant. C’était tellement plus facile, le sexe sans attaches. Elle avait à peine remarqué que l’avion prenait son envol, avant que ce dernier n’eût quitté terre. « C’est parti ! Je dirais bien que j’ai hâte d’arriver, mais on a vraiment beaucoup trop d’heures de vol pour que je le dise dès maintenant. » Les lèvres de Vivian s’étaient étirées en un sourire amusé, alors qu’elle n’attendait qu’une seule chose ; sortir sa tablette pour s’occuper l’esprit avec ce qu’elle avait prévu. « Vu qu’on aura notre soirée de libre en arrivant, je compte bien aller profiter un peu des bars et rencontrer des italiens. » Programme intéressant, même si maintenant Vivian savait avec certitude que sa collègue ne terminerait pas jusqu’entre les draps d’un latin. « Et toi ? Sortie dès ce soir ou tu vas plutôt t’écrouler sur ton lit ? » L’australienne avait eu un sourire franc. « Si tu comptes aller à la pêche aux italiens, alors évidemment que je t’accompagne. » L’avion ayant atteint son altitude de croisière, la jeune femme avait détaché sa ceinture pour pouvoir récupérer son sac – et sa précieuse tablette. « Si ça te dit bien sûr, je ne veux pas m’imposer. » Elles pouvaient aussi faire chacune de leur côté, après être restées plus d’une vingtaine d’heures assises l’une à côté de l’autre.
La seule escale du voyage était passée vite. Elles avaient atterri, avaient déambulé dans l’aéroport puis Vivian avait somnolé sur un siège au niveau de la porte du terminal correspondant à leur transit jusqu’à ce que l’heure soit venue. Elles avaient décollé à nouveau, avec pour objectif cette fois, leur destination finale. Venise. Quand l’avion s’était finalement posé pour la seconde fois, l’horloge locale affichait un début d’après-midi pluvieux. Pourtant, ça n’enlevait absolument rien au charme de la ville qui s’étendait devant les yeux de l’australienne. Quelques passages de douanes et vérifications de papiers plus tard, les deux collègues avaient récupéré leurs valises. « Bien. J’imagine qu’il ne nous reste plus qu’à dénicher un taxi pour aller jusqu’à l’hôtel. » Vivian ne rêvait plus que d’une douche chaude interminable après un voyage qui lui avait laissé des courbatures.
« Disons que mon cœur a été un peu trop brisé... Mais je suis pas très douée pour ralentir non plus » avoua Noor dans un sourire désolé.
Elle était sans doute un peu trop attirée par Max, et le fait qu'ils soient littéralement voisins et que le chat du jeune homme se retrouve souvent chez la jeune femme n'aidait pas à prendre du recul. Il n'y avait plus qu'à prier pour que cette fois-ci, elle s'en sorte mieux, parce que vu l'état de sa relation actuelle avec ses amis, elle n'aurait pas une épaule pour pleurer et lui faire boire de la tequila jusqu'à ce qu'elle ait l'impression d'être un peu entière et plus en mille morceaux.
Comme avec Seth, six ans plus tôt. Elle se souvenait encore de leur appartement vide, du regard désolé du propriétaire qui ne pouvait pas lui louer les lieux, et de son départ impulsif en Californie. Elle avait eu besoin de chaleur et de dépaysement pour avancer, et la Silicon Valley lui avait amené tout ça.
« Tu me croiras jamais, mais ce gars, je l'ai recroisé quand je suis arrivée ici. Sa mère est Australienne, je crois, il est revenu vivre chez elle, ou pas loin d'elle. Il avait pas vraiment changé... Prêt à tout pour avoir du fric sans rien faire, à écumer les bars et les commissariats... »
Elle l'avait croisé quelques fois, avait failli succomber de nouveau - parce que Seth restait son premier amour, et que malgré la violence de leur relation, elle avait toujours une certaine tendresse pour lui. Et un cœur fragile qui ne savait pas se protéger.
« C'est con, c'était un bon architecte, il aurait pu faire de beaux projets s'il s'était pas laissé tomber dans l'alcool » reprit-elle, se souvenant des dessins qu'elle avait pu voir quand ils vivaient ensemble.
Elle s'étira un peu sur son siège, pour regarder la terre s'éloigner par le hublot. Les longues heures de vol vers l'Italie allaient commencer, et Noor avait hâte de pouvoir de nouveau marcher à sa guise, et de pouvoir découvrir au passage les canaux de la belle Venise. Hors de question de rester à l'hôtel alors qu'elles avaient peu de jours sur place, et beaucoup d'heures de travail. Son temps libre serait consacré à découvrir la ville - et à appeler Max, dans la limite des heures de décalage qu'ils allaient avoir.
« Bien sûr que tu peux venir avec moi ! En plus, t'as jamais pris le temps de visiter pendant tes précédents voyages, alors je veux savoir tes premières impressions sur l'architecture européenne ! »
Le faire au milieu de verres de Spritz n'était peut-être pas très professionnel, mais ce n'était pas comme si Noor ou Vivian allaient s'en vanter auprès de leurs supérieurs. Elles allaient juste profiter vraiment du séminaire, et en revenir avec de bons souvenirs entre collègues.
Une escale et quelques heures de plus dans un autre avion, Noor retrouvait sa valise avec une pointe de soulagement - on n'était jamais à l'abri d'une erreur, surtout avec un changement d'avion. Elle suivit donc Vivian le cœur léger vers la zone des taxis, cherchant à savoir pour combien d'attente elles en avaient.
« Je rêve d'un bain, et de changer de vêtements » souffla-t-elle au moment où un taxi s'arrêtait justement devant elles, commençant déjà à mettre leurs valises dans son coffre. « Et après, d'aller déambuler dans les rues, et de pouvoir juste marcher. Ça fait trop longtemps qu'on est assises ! »
road shimmers / festival international d'architecture, mai 2023, Venise (Italie) Le temps passait vite en compagnie de Noor. Leurs vols étaient consacrés à plusieurs choses, travailler sur leurs projets d'architecture, ceux qu'elles avaient amenés en conscience, et dormir, le tout entrecoupé de discussions animées. Apprendre à se connaître en dehors du travail, tout ça tout ça. Quand la petite brune avait émis l'envie d'aller faire la tournée de quelques bars pour rencontrer les locaux, les charmants italiens, Vivian avait sauté sur l'occasion pour lui proposer de venir avec elle. Le temps serait plus agréable à deux, encore plus dans une ville qu'elles ne connaissaient pas, ni l'une ni l'autre. « Bien sûr que tu peux venir avec moi ! En plus, t'as jamais pris le temps de visiter pendant tes précédents voyages, alors je veux savoir tes premières impressions sur l'architecture européenne ! » Comme tout architecte, l'australienne connaissait l'architecture européenne par coeur, mais entre la voir en photo et l'avoir en face des yeux, la différence était énorme. Elle avait hâte, vraiment hâte, de découvrir Venise. Et de ne penser à rien d'autre qu'au festival d'architecture, aux charmants étrangers, et à sa collègue qui tendait de plus en plus à devenir une amie.
Quelques heures plus tard, l'avion était posé en terres italiennes, et les valises récupérées. Les jambes enfin déliées, marcher lui avait fait un bien fou, et malgré son envie de retrouver l'hôtel, l'idée de se retrouver assise dans un taxi ne l'enchantait pas des masses. Après une étude du trajet de l'aéroport jusqu'à leur lieu de repos, il n'y avait plus l'ombre d'un doute qu'elles ne pourraient pas y arriver à pied. Pas avec vingt heures de vol dans les jambes, et leurs valises. Résignée, Vivian avait alors pris la tête de leur duo pour rejoindre l'aire réservée aux taxis. Le choix était vaste, et leur préférence était allée à celui qui les avait abordées le plus rapidement. « Je rêve d'un bain, et de changer de vêtements. » Donnant sa valise à leur chauffeur, qui venait d'embarquer celle de Noor, l'australienne avait adressé un sourire à cette dernière. « Et après, d'aller déambuler dans les rues, et de pouvoir juste marcher. Ça fait trop longtemps qu'on est assises ! » Vivian n'aurait pas pu être plus d'accord avec sa collègue. « C'est le meilleur programme du monde, ça. De l'eau chaude, des fringues propres, une belle soirée qui s'annonce. On aura pas le temps de profiter demain, avec le festival, alors autant en profiter au maximum tant qu'on peut. » Elles seraient en Italie pour quelques jours, mais occuperaient probablement tout leur temps en journée au congrès, à rencontrer d'autres architectes du monde entier, à échanger sur tel ou tel projet, à en découvrir d'autres toujours plus époustouflants. Oui, Vivian était fatiguée du voyage, mais franchement excitée par l'aventure qu'elles allaient vivre en Europe.
L'australienne avait passé tout le trajet du taxi à observer les paysages qui défilaient par la vitre du taxi, les yeux pleins d'étoiles. L'hôtel où elles allaient séjourner était élégant mais sans extravagance, parfait pour un séjour court, d'autant qu'il était réellement proche du lieu du festival pour lequel elles étaient là. En une dizaine de minutes en marchant, elles pouvaient y être. Le fait qu'elles n'aurait pas besoin de prendre un taxi toutes les cinq minutes pour tout et n'importe quoi était étrangement satisfaisant pour Vivian et son besoin d'indépendance. Les deux femmes s'étaient séparées un moment, chacune dans sa chambre, pour récupérer du voyage et prendre un peu de temps pour elles. L'australienne avait pris une douche brûlante, interminable, profitant de l'eau chaude réchauffant sa peau. Avec délectation, elle avait senti tous ses muscles raidis par leurs vols se détendre peu à peu. Puis, comme elle se l'était promis, elle s'était changée, avant d'envoyer un message à Noor, pour voir si elle était prête. Quelques minutes plus tard, les deux collègues étaient sorties en même temps de leurs chambres qui se faisaient face. Ravie, fraiche et reposée, elle avait adressé un sourire enjoué. « On se trouve un resto sympa où manger? On ne devrait pas avoir trop de mal. » Après tout, elles se trouvaient dans un quartier animé, et pendant le trajet en taxi, la jeune femme avait repéré sans mal plusieurs enseignes lumineuses. « Ensuite, on aura qu'à se laisser porter. Après tout, notre voyage ne fait que commencer. » Et Vivian comptait bien en profiter, à l'image de ce que Noor lui avait fait miroiter un peu plus tôt.
Vivian semblait apprécier le programme de Noor. Pourtant simple, puisqu'il impliquait juste une bonne douche à l'hôtel avant d'aller déambuler dans la ville - et aller manger dans un restaurant avec vue sur les passants -, il n'en restait pas moins agréable. Juste l'idée de pouvoir marcher, après toutes ces heures assise dans l'avion suffisait à satisfaire la jeune femme.
Quand elle se retrouva seule dans la chambre d'hôtel, elle prit d'abord le temps d'envoyer un message à Max pour lui dire qu'elle était bien arrivée, avant de contempler quelques secondes la conversation des Five - sans aucune réponse suite à son propre message vu qu'elle avait bloqué tous leurs numéros.
Elle jeta son téléphone sur le lit avant de filer à la douche. L'eau chaude l'aida à se détendre, et elle se sentait déjà un peu mieux quand elle sortit de la chambre avec sa petite robe d'été et sans maquillage - une vraie tenue de repos, avant d'enfiler son uniforme d'architecte sérieuse pour le festival, dès le lendemain.
Elle retrouva Vivian dans le couloir et elles sortirent ensemble de l'hôtel. L'air était frais et Noor serra son gilet autour d'elle. Ce n'était que le mois de mai et elle s'était peut-etre un peu emballé sur sa tenue...
« On tente du local ? Une bonne pizzeria ou une assiette de pâtes ? » proposa-t-elle tout en regardant les enseignes dans la rue entourant l'hôtel.
Elle avait faim, le repas pris dans l'avion remontant à plusieurs heures maintenant. Et elle préférait manger un vrai repas pour bien se caler, plutôt que de céder à une fringale nocturne. La dernière fois, elle avait dévorer des cornichons au nutella - et Hugo avait grimacé devant son air à elle, totalement satisfait. Il y avait quelque chose entre l'acidité des cornichons, bien conservés dans du vinaigre, et le sucré réconfortant de la pâte à tartiner, que son meilleur ami ne comprenait pas. Mais cet homme n'arrivait pas à manger épicé, et il détestait manger des cornichons, à part enroulés dans du jambon et de la raclette fondue. Elle, elle aimait les grignoter sans rien, ou bien trempé dans le nutella, un contraste qui lui avait plu même si elle avait dû promettre de ne plus jamais le faire dans le pot commun. Ce qui lui avait gagné le droit à son propre pot, bien étiquetté, rangé à côté du pot de cornichon pour ne pas que Hugo se trompe - et en dehors d'une fringale nocturne, il lui arrivait de grignoter un cornichon au nutella quand elle était en cuisine, perchée sur le comptoir à attendre que son plat ne mijote.
« J'aime beaucoup comment ils ont bâti la ville autour des canaux » observa-t-elle alors qu'elles commençaient à remonter la rue. « Vivre autour de l'eau plutôt que de tout assécher ppur y vivre... Je triuve ca assez magique ces lourdes maisons perchées sur des pilotis au dessus de l'eau ! »
road shimmers / festival international d'architecture, mai 2023, Venise (Italie) Les longues heures du vol interminable qui reliait l'Australie aux verdoyantes terres italiennes avaient rapidement été oubliées. Arrivées à l'hôtel, chacune des deux collègues avait rejoint une des chambres réservées, voisines, histoire de s'accorder un moment de détente en solitaire avant de sortir à nouveau, dans la nuit. Le moins que l'on puisse dire, c'était que la douche brûlante avait fait un bien fou aux muscles endoloris de l'australienne. Elle y était restée bien plus longtemps que nécessaire, simplement pour profiter au maximum de l'eau chaude et du jet massant sur ses épaules. Un texto plus tard, les deux collègues s'étaient retrouvées dans le couloir, fin prêtes à aller contenter leurs estomacs. Elles n'auraient aucun mal à trouver un endroit sympa où dîner pour leur première soirée à Venise. Lorsqu'elles avaient quitté l'hôtel, Vivian avait vu du coin de l'oeil la mexicaine resserrer les pans de son gilet. Le vent restait frais malgré la période de l'année, et la proximité avec les canaux ne devait pas aider. « Tu veux qu'on remonte te chercher une veste plus chaude avant d'y aller? » Elles ne seraient pas en plein air très longtemps, mais s'il fallait, l'australienne était prête à faire demi tour pour le bien être de sa collègue. Après tout, les deux jeunes femmes étaient encore proches de leur point de départ, ça ne leur ferait pas perdre beaucoup de temps de laisser Noor remonter à sa chambre, d'autant qu'aujourd'hui, elles avaient réellement toute la soirée de libre. Du moins, avant que la fatigue ne les rattrape.
« On tente du local ? Une bonne pizzeria ou une assiette de pâtes ? » A cette simple pensée, l'estomac de Vivian s'était tordu douloureusement. Certes elles avaient mangé dans l'avion, mais l'ombre de ces maigres repas était bien loin maintenant. « Evidemment. L'un ou l'autre, tout me va. » Elle ne pouvait pas être déçue en optant pour l'une des spécialités locales. C'était des plats courants un peu partout dans le monde, mais la jeune femme tenait à vérifier si la rumeur comme quoi il y avait une réelle différence entre les vraies pâtes italiennes et celles qu'on trouvait ailleurs. Malgré la faim, les deux collègues ne s'étaient pas précipitées dans le premier restaurant sur lequel elles étaient tombées, la promenade le long du canal occultant un instant tout le reste. « J'aime beaucoup comment ils ont bâti la ville autour des canaux. » En tant qu'architecte, Vivian ne pouvait qu'approuver. La façon dont tout était agencé était simplement captivant. « Vivre autour de l'eau plutôt que de tout assécher pour y vivre... Je trouve ça assez magique ces lourdes maisons perchées sur des pilotis au dessus de l'eau ! » Le paysage était différent sur bien des points, mais le temps d'une seconde, cela avait évoqué ses origines à l'architecte. « Ca me rappelle certaines villes d'Inde. La proximité avec l'eau, la façon dont tout s'organise autour... » C'était bien la seule chose qui pouvait rapprocher une ville riche européenne comme Venise avec n'importe quelle ville indienne. Elle n'y était pas allée depuis longtemps, et à vrai dire, cela commençait à lui manquer. Sa famille lui manquait. Sa grand-mère plus que les autres. C'était la seule qui n'avait pas cessé brutalement de lui parler quand elle avait déçu tout le monde, des années plus tôt.
Finalement, Vivian s'était arrêtée devant la devanture d'un restaurant, de manière si abrupte que Noor lui était presque rentrée dedans. « Pourquoi pas celui-ci? La Caravella... » De rapprochant de quelques pas, l'australienne avait rapidement parcouru la carte des yeux, avant de jeter un coup d'oeil vers sa binôme. Les suggestions lui avaient mis l'eau à la bouche. « Cuisine italienne et méditarranéenne, fruits de mer... Et la carte des vins a l'air pas mal du tout! » Et la présence d'une gelateria juste à côté était pour Vivian la cerise sur le gâteau. De là où elles se tenaient, dans la rue, l'australienne pouvait apprécier l'ambiance tamisée du restaurant, la décoration élégante tout en bois et en finesse, la terrasse extérieure aux tables drapées de jaune bouton d'or où les vénitiens passaient une soirée apparemment agréable. Pour eux, riant et déblatérant à toute vitesse, la température du vent ne semblait pas être un problème, au contraire. « On essaye? Ou tu préfères qu'on marche encore un peu, histoire de voir si on peut trouver encore mieux? » L'australienne marcherait sans se plaindre encore un peu s'il fallait, mais comme ultime argument pour ce restaurant là, la brune avait pointé du doigt le bar qui se trouvait tout juste en face. L'endroit, animé, promettait une belle fin de soirée, pour peu qu'elles se décident pour celui-ci.
Vivian semblait aussi enthousiaste qu'elle à l'idée de découvrir la culture locale - et surtout l'alimentation. Enfin; Noor n'allait pas y goûter pour la première fois, mais son dernier passage en Italie s'était fait à l'occasion d'une route des vins avec Dani, et incluait donc beaucoup d'alcool entre deux plats de pâtes et un risotto. Et aucun regret malgré les migraines qu'elle avait pu avoir.
« Tu connais bien l'Inde ? » demanda-t-elle avec curiosité.
Elle savait que Vivian venait elle aussi de ce pays. Mais si elle s'était vite rapprochée d'Iris avec leurs origines mexicaines communes, il n'y avait pas eu la même complicité avec Vivian. Certainement parce que l'Inde était un concept assez lointain, qu'elle connaissait surtout par les histoires de sa mère. Elles n'y étaient jamais allées toutes les deux, trop pauvres pour se payer un tel voyage quand Noor était enfant.
« Je n'y suis allée que deux fois, et je suis restée dans la capitale, alors j'ai jamais vu leurs maisons sur pilotis » reprit-elle.
Elle avait espéré y trouver cette impression de familiarité et de nostalgie que pouvait avoir le Mexique à ses yeux. Elle s'était vite rendue compte que l'Inde était un plus gros pays que ce à quoi elle s'attendait, empreint de nombreuses cultures et langues différentes dont elle ignorait tout.
Vivian semblait affamée puisqu'elle s'intéressait plus aux restaurants et à leur carte qu'à l'Inde, au point que Noor faillit lui rentrer dedans, alors qu'elle regardait une maison de l'autre côté du canal.
« Je valide la carte des vins. Et on est là plusieurs jours, on aura le temps de tester plusieurs restaurants ! »
Peut-être même d'en avoir un préféré d'ici la fin du séjour, pour fêter leur dernier repas en terre italienne. Avec beaucoup trop de glaces et de verres de vin, et sans doute de discussions allant jusqu'à bien trop loin dans la nuit pour des femmes sensées passer leurs journées à un colloque sur l'architecture.
« J'approuve ce restaurant pour le dîner ! Avec une glace en dessert puis la soirée au bar, on devrait faire une bonne découverte locale dès ce soir ! »
Certes il y avait une partie de travail, Noor ne l'oubliait pas. Mais venir en Italie et ne faire que travailler ? C'était monstrueux. Elle voulait profiter de visites de Venise, et de sa vie nocturne, pour oublier un peu ses soucis et se décharger de tout ce qui rendait sa vie impossible ces derniers mois.
« En plus, ça sent divinement bon et j'ai très faim » ajouta-t-elle alors qu'un couple de clients sortaient du restaurant.
Son dernier repas remontait à plusieurs heures, un plateau délivré dans l'avion et manquant terriblement de goût. Les odeurs de pâtes, de crème et de fromage délivrées par la porte ouverte lui mettaient l'eau à la bouche, et elle n'était pas sûre de tenir à regarder toutes les cartes des autres restaurants.
Un serveur les remarqua bien vite et les conduisit vers une table libre, les inondant d'un italien incompréhensible mais charmant, auquel Noor se contenta de sourire, un peu dépassée. Heureusement que la plupart des pays avaient les mêmes rituels, à savoir s'installer et avoir quelques minutes pour lire le menu avant que le serveur ne revienne, parce qu'elle n'avait aucune idée de s'ils les avaient draguées ou leur avait juste parlé du plat du jour.
« J'étais pas prête pour autant d'italien et pas d'anglais » murmura-t-elle à Vivian tout en s'installant à la petite table qui offrait une vue sur la rue et le canal.
road shimmers / festival international d'architecture, mai 2023, Venise (Italie)
L’air frais malgré la période de l'année, fort contraste avec le climat australien, n'était même pas dérangeant, au final. Les yeux pleins d’étoiles, Vivian observait avec bonheur la délicate architecture vénitienne, ne resserrant les pans de sa veste qu’à de rares occasions, et sans même s’en rendre compte. Selon l’australienne, le lieu choisi pour le festival international d’architecture, pour lequel elles avaient traversé le globe, était on ne peut mieux choisi tant la ville était un bijou, semblant sorti des eaux calmes comme la cité de l’Atlantide. Pendant un moment, elles avaient longé le canal principal, discutant joyeusement, apprenant à mieux se connaître, s’intéressant à tout ce qui passait sous leurs regards curieux. « Tu connais bien l’Inde? » Noor avait rebondi sur la remarque de Vivian sur le pays d’origine de sa mère. Dans grande surprise, Venise lui rappelait certaines villes indiennes, qui comme leur cousine européenne, semblaient flotter sur l’eau d’un fleuve. « J’y allais souvent pendant mon enfance, pour voir ma famille côté maternel. Enfin, souvent… Une fois par an, généralement. » La brune avait réfléchi un instant, refoulant la vague de souvenirs sortie des tréfonds de sa mémoire. « Ma grand-mère est toujours là-bas. Mais ça fait longtemps que je ne l’ai pas vue. » La voix de l’australienne s'était bloquée dans sa gorge. C'était bien sa faute si elle n’avait pas vu Sati depuis des années. Bien qu’elle l’appelait encore régulièrement, la jeune femme n’avait pas pris le temps de se rendre jusqu'à Bangalore, manquant surtout de courage pour affronter l’ancienne. Cette dernière était bien l’une des seules de la famille à lui parler encore, malgré cela Vivian avait du mal à assumer ses erreurs passées devant elle, modèle de sagesse. Peu désireuse de continuer la conversation sur le sujet sensible, l’australienne était sur le point de changer de sujet quand Noor avait continué. « Je n’y suis allée que deux fois, et je suis restée dans la capitale, alors j’ai jamais vu leurs maisons sur pilotis. » Soulagée que la mexicaine n’ait pas insisté davantage sur ses problèmes de famille, Vivian avait hoché la tête. « Si tu as l’occasion d’y retourner un jour, c’est quelque chose à voir. » Tant pour l’architecture que pour la culture. Mais pour le moment, toutes les deux se trouvaient dans la ville la plus romantique d’Europe, et leurs estomacs commençaient à crier sérieusement famine. Heureusement pour le duo, Vivian s'était arrêtée, de façon abrupte, devant une devanture, la carte lui faisant de l'œil dès les premières suggestions. Alors, elle avait proposé à Noor de choisir cet endroit pour satisfaire leur faim. « Je valide la carte des vins. Et on est là plusieurs jours, on aura le temps de tester plusieurs restaurants. » C'était un point tout à fait logique, que Vivian ne pouvait qu’approuver. « J’approuve ce restaurant pour le dîner! Avec une glace en dessert puis la soirée au bar, on devrait faire une bonne découverte locale dès ce soir! » L’ambiance paraissait joyeuse et chaleureuse, ne restait qu'à espérer qu’ils seraient aussi accueillants avec des étrangères qu’avec les natifs. « En plus ça sent divinement bon et j’ai très faim. » Amusée, Vivian lui avait souri franchement. « Qu'est ce qu'on attend, alors? » Entraînant Noor vers l'entrée en passant un bras sous l’un des siens, la jeune femme avait senti avec ravissement l’air se réchauffer sitôt la porte franchie. Tout de suite, elles furent remarquées et accueillies chaudement par l’un des serveurs, déblatérant un italien chantant, charmant, mais bien trop fluide et rapide pour que Vivian ait pu comprendre autre chose que le benvenuto signore du jeune homme. Installées confortablement à une table, un peu a l’écart pour le plus grand soulagement de la brune et jouissant d’une vue superbe sur le canal, la soirée était plus que jamais prometteuse. Se penchant légèrement vers sa collègue, Noor avait murmuré. « J'étais pas prête pour autant d'italien et pas d'anglais » Vivian comprenait bien ce que sa collègue ressentait, étant elle-même vaguement mal à l'aise par rapport à ça. « Venise est une ville touristique, avec un peu de chance, les cartes seront sous-titrées en anglais... Sinon, on aura plus qu'à utiliser google traduction. » Le suspens ne serait levé que lorsque leur charmant serveur referait son apparition. Mais pour le moment, il n'était plus nulle part en vue. « Pour les boissons, ça devrait aller, les cocktails portent le même nom où qu'on soit. » Mojito était un mot international, à n'en point douter. « On n'a qu'à se dire que d'ici la fin de ce petit voyage, il faut qu'on apprenne à commander en Italien. Un petit challenge, avant de rentrer en Australie. » Si Vivian n'avait jamais eu de véritable don pour les langues vivantes, et ne cherchait pas à en apprendre d'autres que celles qu'elle maîtrisait déjà, elle restait une compétitrice dans l'âme. N'importe quel challenge, aussi insignifiant qu'il puisse être, rendait toujours les choses plus intéressantes.