| thick skin and an elastic heart (rakai) |
| | (#)Dim 4 Juin 2023 - 0:52 | |
| « Oui, je devrais divorcer. » Il n’avait jamais pensé à un éventuel mariage. Il en était même pas à l’étape de tenir la main de Kai sans s’inquiéter de ne pas se respecter, ou de ne pas le respecter, lui. Depuis leur tout premier échange, il craint de ne pas être à la hauteur car une petite partie de son cerveau est manquante. Même si le garçon lui as assuré depuis le début qu’il n’était pas rebuté par sa particularité, il a toujours pensé qu’il avait agi ainsi par politesse et tous les jours il redoutait le moment où Kai lui demanderait si cette asexualité était immuable ou s’il pouvait faire une exception pour lui. C’est injuste de sa part, de le penser, mais Raphael n’a pas assez d’expérience relationnelle et même s’il a toujours cru en la sincérité de son ami, une petite voix dans sa tête ne peut s’empêcher de répéter : s’il ne t’a pas dit qu’il était marié, peut-être a-t-il menti en affirmant que ta différence n’est pas un problème ? « On a des alliances et Mila portait une robe blanche, » Ce ne sont que des détails mais ils semblent importer pour Raphael. Chaque miette ajoutée à la péripétie le fait s’interroger quant à la quantité de chose qu’il lui a cachées, ou qu’il lui cache encore. Un mariage, ce n’est pas rien. Il s’était toujours imaginé terminer sa vie avec une alliance au doigt et une personne qu’il aime dans ses bras. Ce rêve qu’il entretient est sacré ; bien plus que sa virginité, d’ailleurs, dont il ne sait quoi en faire tant il s’en désintéresse. « Mais on n'a pas fait de cérémonie en soi. On s'est juste mariés, tout simplement. L'important pour Mila était d'avoir la certitude que quelqu'un serait toujours là pour elle, lié à elle. » Il expire doucement, sa poitrine remuant que très légèrement la surface de l’eau. « Est-ce que tu es toujours là pour elle ? Où habite-t-elle, cette Mila ? » Il a obtenu un nom, au moins. C’est un pas de plus vers la vérité, même si elle l’étourdit et lui serre le cœur.
Il ne devrait pas réagir ainsi. Il n’a pas le droit de le faire.
Et, quand Kai lui demande ce qu’il en est de tout ça et s’il lui en veut, il le regarde à nouveau en efforçant ses lèvres de sourire un peu. Heureusement, ses yeux ne sont pas mouillés et la moiteur de ses mains se fait avaler par les secousses du spa. « Non. On n’a jamais parlé des relations passées alors… Je comprends que tu n’aies pas voulu en parler. » Il se pince les lèvres, hésitant. « C’est pas comme si c’était sérieux entre nous, de toute façon. Ce serait normal si tu n’avais pas envie de te coincer avec moi. » Le mot est lourd de sens et il regrette de l’avoir employé. Seulement, il est trop vexé, trop apeuré, pour relativiser. « On fait que s’amuser un peu et c’est tout, pas vrai ? » Même si Kai lui a affirmé d’avoir d’yeux que pour lui quelques minutes plus tôt. Cette information lui est sortie de la tête, sa place ayant été cédée aux sentiments négatifs qui lui font regretter d’avoir posé la toute première question. « De toute façon, j'ai des trucs à régler avant tout alors... » C'est une chose qu'il n'aurait jamais dite autrement. Kieran n'a rien à voir là-dedans et son simple nom ne mérite pas d'être prononcé. Mais, le danseur veut appuyer sur la plaie, faire mal à son tour. C'est égoïste, mais il est ainsi bâti, Raphael. La jalousie lui fait perdre la raison et, à la fin, il refuse d'être celui qui souffre le plus.
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| | | | (#)Dim 4 Juin 2023 - 1:27 | |
| Alors que Raphael réclame davantage de détails sur mon mariage avec Mila, je me sens propulsé à la caisse de mon histoire, de mes potentiels non-dits. Ma gorge est si sèche qu'elle me paraît constituer un affront souverain à l'humidité de la pièce et peu à peu, la petite voix dans ma tête qui me souffle que toutes choses ne sont pas bonnes à dire s'accentue. « Est-ce que tu es toujours là pour elle ? Où habite-t-elle, cette Mila ? » Je baisse les yeux, lèvres pincées. Je n'ai plus envie de répondre au danseur même si mon coeur tonne de lui dédier ces renseignements qu'il sollicite en l'honneur de l'affection exponentielle que je lui voue. Raphael a le droit de savoir, je m'en convaincs. « Oui, c'est mon amie, » j'affirme ainsi. « Elle est à Brisbane. » Et je devine, j'appréhende, j'anticipe, que cette information sera plus difficile à avaler pour mon interlocuteur que si je lui avais répondu que Mila habitait New York ou Tombouctou. Têtu, je poursuis ma ligne de conduite de lui être honnête. « Je n'ai pas déménagé à Brisbane pour elle. Nous nous sommes retrouvés par hasard. » Je précise. Cela m'avait fait indéniablement plaisir de renouer avec elle, mais il n'en demeurait que la surprise de la revoir avait été entière.
Non sans peine et peur, je m'enquiers sur la rancune que le Elly puisse nourrir à mon égard. Au sourire forcé qu'il m'adresse, mon coeur se serre douloureusement et un venin s'imprègne dans mon sang glacé qui ne fait qu'un tour. Je mesure l'avoir blessé, j'abhorre cette politesse déplacée qu'il m'adresse. « Non. On n’a jamais parlé des relations passées alors… Je comprends que tu n’aies pas voulu en parler. » Je m'apprêtais à corriger sur le fait que je n'avais pas refusé d'en parler, simplement, que je n'en avais pas trouvé l'occasion. Est-ce là une excuse valable, néanmoins ? Être marié compose-t-il une information à délivrer dès le début d'une relation ? Encore une fois, j'entends Noor s'offusquer de mon comportement dans ma boîte crânienne. « C’est pas comme si c’était sérieux entre nous, de toute façon. Ce serait normal si tu n’avais pas envie de te coincer avec moi. » J'entrouvre les lèvres, dissimulant péniblement ma surprise. Mon palpitant se heurte, manque un battement, produit un salto digne d'une débandade assassine. "C'est pas comme si c'était sérieux entre nous." La phrase rebondit détestablement contre les parois de mon crâne. Raphael ne m'avait-il jamais pris au sérieux, quand je ne cessais de lui révéler mes secrets ? Quand je lui avais relaté cette agression et que je m'étais effondré mentalement dans sa chambre ? Quand je lui disais qu'il était l'un des seuls à qui je divulguais être drag queen et ne pas être hétérosexuel ? Quand je lui avais laissé entendre que je ne souhaitais pas autant de rapports sexuels que les autres ? Quand je lui annonçais aujourd'hui avoir été forcé par un ex ? Pensait-il qu'il s'agissait de ma part d'un odieux jeu de séduction ? « On fait que s’amuser un peu et c’est tout, pas vrai ? » Le clou s'enfonce, mon coeur se brise. "Un peu" ? "C'est tout" ? Je maintiens quelque peu son regard à son "pas vrai", priant qu'il s'esclaffe soudainement, qu'il m'indique que bien sûr que non, ce n'est pas vrai, qu'il ne pense pas un traitre mot de ses paroles qu'il me déblatère avec son sourire figé que j'interprète si faux, que je meurs d'envie d'effacer de ses lèvres.
« De toute façon, j'ai des trucs à régler avant tout alors... » Des trucs à régler ? Quels trucs à régler ? Avant tout ? Avant quoi ? Avant nous ? Le silence nous enveloppe, je me demande s'il oserait me les dire, ces fameux trucs à régler, et je fais l'inventaire des confidences qu'il m'a offertes lors de nos précédentes rencontres, comme s'il s'agissait d'une compétition, de preuves de sérieux. Alors pourquoi tu veux savoir si je vois d'autres personnes, pourquoi tu veux savoir ce que nous sommes, si tu as des trucs à régler avant tout, Raphael ? Hurle mon regard. Je le toise, profondément blessé, bouche bée. Je n'ai jamais su me défendre, la preuve ultime remontant à mon agression où si j'avais pu peut-être blesser mes assaillants, j'ai préféré tenter de les persuader de cesser de me frapper. J'avais eu tort.
Avais-je encore tort, avec Raphael ?
Alors je vais te laisser les régler, je pense sans être en mesure de prononcer, la gorge serrée de mon coeur si gros. Je me hisse du spa et sur le seuil de la pièce, des trémolos dans la voix, fuyant soigneusement le regard du Elly, épris d'une pudeur nouvelle à son égard, j'articule : « Je suis désolé. » Navré du mal que je lui ai fais, manifestement, mais aussi d'avoir été à côté de la plaque sur de nombreux points. J'attrape mon sac dans la chambre et je quitte l'hébergement pour m'asseoir sur le balcon, à l'extérieur. J'inspire profondément, recueille mes jambes de mes bras, pose mon front sur les genoux de mon pantalon trempé. Je regrette mes secrets, je me maudis d'avoir été si ouvert, si transparent. Je pense à Noor que j'ai terriblement envie d'appeler mais je me souviens l'avoir déçue encore et encore, elle aussi, avec mes secrets, alors j'essaie péniblement de me consoler en m'indiquant que cela me servira de leçon. Que ça m'apprendra à être naïf. A croire pouvoir être librement qui je suis. |
| | | | (#)Dim 4 Juin 2023 - 2:06 | |
| « Oui, c'est mon amie, » Okay, d’accord, il a le droit d’avoir des amis, ça c’est un fait et il ne pourra pas débattre en sa faveur sans faire preuve de mauvaise foi. « Elle est à Brisbane. » Ah bon. C’est un détail cocasse, tiens. « Je n'ai pas déménagé à Brisbane pour elle. Nous nous sommes retrouvés par hasard. » Quelle coïncidence… « C’est un sacré hasard. » Dans d’autres circonstances, il l’aurait cru. Seulement, il ne peut pas raisonner convenablement maintenant qu’il s’accroche fort à son cœur pour ne pas le laisser tomber dans le fond de sa poitrine. Ce dernier a assez souffert. Il ne mérite pas d’être abandonné une deuxième fois. Son propriétaire ne s’en remettrait jamais et il ne pourrait plus jamais aimer de la manière si singulière qu’il a appris à le faire.
Alors il attaque. Il n’a pas le choix de le faire (qu’il croit) pour s’en sortir indemne. Il ne veut plus en entendre parler parce qu’il veut à tout prix éviter de se faire d’autres idées. Si Mila habite dans la même ville que Kai, tant pis. De toute façon, il a lui-même certaines choses à régler de son côté, comme il le fait savoir à son ami qui ne peut que réceptionner le coup qui lui est envoyé. Il voit bien à son visage déconfit qu’il prononce les meilleures choses à dire pour lui faire perdre confiance en lui. Il lui rend la monnaie de sa pièce à défaut de savoir régler les malentendus autrement. C’est un geste égoïste alimenté par seulement la jalousie. Il refuse de regarder le jeune homme plus longtemps, se referme mentalement dans sa petite bulle et le vrombissement du spa l’aide à se dissocier de la situation tandis que Kai s’extirpe de l’eau pour s’échapper de cette tension. « Je suis désolé. » Pour seule réponse, il se mord le bout de la langue et détourne le visage.
Plus tard, vers onze heures, il grimpe sur le balcon, où il peut apprécier la vue que lui offre le ciel complètement découvert. Couché sur une chaise pliante, il fixe la lune avec embarras. Sa couleur est tout à fait blanche. Hum. Étrange. Il pense à appeler Kai pour lui demander si c’est normal mais il décide de ne rien dire, se contente de jouer avec la couture du t-shirt sec qu’il a enfilé avant le dîner, ses pensées et inquiétudes tournant à mille à l’heure dans sa boîte crânienne. Bien sûr qu’il a honte – bien sûr qu’il est trop têtu pour faire le premier pas.
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| | | | (#)Dim 4 Juin 2023 - 2:47 | |
| A mesure des minutes qui défilaient, je perdais espoir en la relation que je pensais entretenir avec Raphael. Le visage entre les mains, je rejouais le fil de notre conversation abominable, l'annonce de mon mariage ayant métamorphosé les paroles du garçon pour ce que j'interprétais telles de l'ironie et de l'indifférence. Une partie de mon être en voulait au danseur d'avoir affiché ce sourire poli que je détestais profondément. Je lui tenais rancune d'avoir assuré qu'il n'y avait rien de sérieux entre nous, dénigrant par la même occasion les moments que nous avions passés ensemble et durant lesquels je lui avais ouvert mon coeur et divulgué avec un naturel et une confiance désarmants des volets de mon histoire et de ma personne que je gardais d'ordinaire honteusement secrets. Je maudissais l'australien de qualifier nos échanges de simples amusements quand je les avais chéris incommensurablement. Je ruminais de son annonce d'avoir d'énigmatiques éléments à régler avant "tout", me laissant à la fois confus et naïf, redoutant les propres non-dits du garçon et à quel point ces éléments mystérieux pouvaient être des freins.
Néanmoins, nul besoin de se soucier de frein lorsque la machine est au point mort, n'est-ce pas ?
La porte du logement luxueux s'ouvre enfin sur Raphael qui s'allonge sur la chaise pliante, sans mot dire, et fixe le ciel. Les minutes défilent, toutes aussi insupportables les unes que les autres. Je le toise pendant qu'il scrute la lune à s'en brûler la rétine. J'inspire profondément, l'agacement s'amplifiant périlleusement au fil du temps, et finalement, j'opte pour agir comme je n'avais su le faire dans le passé.
Malgré tout, Raphael détiendra toujours le pouvoir de délier mes restrictions.
« T'es dégueulasse parce que je t'ai jamais menti. » Je finis par accuser, faisant référence au hasard qu'il doutait pour qualifier mes retrouvailles dernières avec Mila. « C'est pas que je n'ai pas voulu t'en parler, c'est que j'en ai jamais eu l'occasion. Tu voulais que je te le dise quand ? Au bar à l'entracte, le soir où on s'est rencontré ? "Bonsoir, je suis Kai, marié sans enfant" ? » Je singe, coeur battant, la voix tremblante par l'émotion, par la peur de le perdre, par l'espoir de croire encore en nous et de vouloir nous sauver, de vouloir faire de cet épisode une dispute de laquelle nous rirons d'ici quelques semaines. « Ou tu aurais préféré que je te le dise jamais, peut-être ? Que je sois malhonnête avec toi ? Pour mériter tes doutes sur moi ? » Je lance. « Tu crois vraiment que j'ai pas envie d'être avec toi ? Tu crois vraiment que pour moi, nous deux, c'est qu'un jeu ? Tu crois vraiment qu'à mes yeux, c'est pas sérieux ? Que nous deux, c'est pas sérieux ? » Rhétorique, je n'attends pas la réponse de Raphael pour rétorquer : « Je t'ai dit des choses que j'ai dites à personne. T'as vu Bea comme personne l'a jamais vue. Tu me connais mieux que ma propre famille, que mes meilleurs potes. Que mon épouse, même, si ça te fait plaisir. » Je soupire, secoué de tremblements. « Je suis sincèrement désolé de t'avoir blessé. Mais je ne te laisserais pas dire que je te mens. Je te laisserais pas dire que pour moi t'es du vent, que t'es qu'un jeu. » Je marque une pause, concluant : « Je ne m'"amuse pas un peu avec toi". Je m'attache beaucoup à toi. Je tiens énormément à toi. Avec toi, je suis moi, 100% moi, comme je le suis avec personne d'autre sur cette planète. Mila, elle fait partie de mon histoire, je ne peux pas l'effacer et ce n'est pas avec Mila que je veux passer mes journées, c'est avec toi. C'est avec toi que je veux être coincé. » |
| | | | (#)Dim 4 Juin 2023 - 3:20 | |
| Il pensait lui tendre une perche en regardant la lune. Kai aurait pu lui expliquer quand est-ce qu’elle allait changer de couleur, l’origine de ce phénomène, et ils se seraient installés un à côté de l’autre pour l’admirer. Mais… Raphael avait mal entendu. La nouvelle lune, c’était le lendemain, et il allait encore une fois prouver au garçon qu’il a parfois du mal à retenir l’information qu’on lui donne et qu’il s’agit d’un de ses plus grands défauts, aux côtés de celui de la jalousie, bien dans le haut de l’échelle. Pour certains, c’est de la négligence. Pour d’autres, un manque d’intérêt. Ce n’est pas exactement ça ; le danseur sait à peine mettre les mots sur cette faille qui l’empêche de se concentrer quand il le faut. Il paraît que c’est un déficit d’attention, quelque chose comme ça. En tout cas, c’était ce que le pédopsychiatre avait dit à ses pères lorsqu’il était jeune gamin et qu’il n’arrivait pas à se rappeler une seule leçon d’anglais, d’histoire ou de mathématiques. Aussi, il ne faut pas lui demander de faire le résumé d’un film une fois le visionnage terminé ; les chances qu’il ait préféré rêver en regardant par la fenêtre sont bien trop grandes.
« T'es dégueulasse parce que je t'ai jamais menti. » Il sursaute presque lorsque le ton sévère de Kai l’extirpe de sa bulle contemplative. Il pose ses deux grands yeux ronds et surpris sur le garçon et ne glisse pas un mot lorsqu’il continue son monologue. Son cœur se serre, évidemment, et bien qu’il s’empêche de l’interrompre en mettant sa fierté de côté, l’exercice est difficile. C’est impossible pour lui de se mettre à penser à autre chose alors que les reproches déferlent sur lui comme la pluie le fera demain. Crispé sur sa chaise, il déglutit, tétanisé dans un mutisme nécessaire, alors que la voix de Kai, elle, est tremblante et austère. « Je ne m'"amuse pas un peu avec toi". Je m'attache beaucoup à toi. Je tiens énormément à toi. Avec toi, je suis moi, 100% moi, comme je le suis avec personne d'autre sur cette planète. Mila, elle fait partie de mon histoire, je ne peux pas l'effacer et ce n'est pas avec Mila que je veux passer mes journées, c'est avec toi. C'est avec toi que je veux être coincé. » Les larmes montent à ses yeux. Il a envie de changer de sujet, de calquer son comportement sur celui de Kai, d’annoncer que la lune est blanche et que l’article qu’a lu son ami pour tirer une conclusion de nouvelle lune était falsifié. Mais il ne le fait pas, parce que ce serait la pire des erreurs, et ce serait sa faute à lui seule si leur vaisseau spatial s’écrasait sur la berge. D’ailleurs, il a pleinement conscience d’être le principal fautif dans cette histoire parce que, cette crise de jalousie, il l’a sentie venir, l’a calculée, l’a trouvée exorbitante, mais l’a quand même exprimée parce qu’il est têtu, l’âne dansant. Il fait souvent l’erreur de prioriser sa fierté que les sentiments d’autrui. « J’ai peur de pas pouvoir être la personne que tu voudrais que je sois. » Il annonce du tac au tac, d’une seule inspiration, rapidement, ne mâchant aucun de ses mots. « Dans toute ma vie, personne ne m’a fait autant confiance que toi. J’ai l’impression de ne pas mériter la confiance d’un garçon tellement plus gentil et intelligent que moi. Si tu savais comme je suis stupide, Kai, je suis incapable de prendre soin de mes amitiés, alors comment je pourrais prendre soin de… de mes amours ? » Il passe nerveusement sa main dans ses cheveux, s’érafle le fond du crâne pour se faire mal puis lâche dans un sanglot : « Mon meilleur ami m’a menti, lui. Je l’ai cru, je le croyais heureux parce que c’est ce qu’il me disait, et j’étais heureux qu’il soit heureux, puis j’ai appris qu’il m’avait menti et c’était plus pareil. Tous les deux on était plus capables d’être heureux, après ça. » Et, ça, c’est de sa faute, car il s’était permis de tomber en amour avec l’interdit et de ruiner ce qu’ils avaient encore. « Alors… Maintenant je préfère voir des mensonges partout pour me protéger. Oui, je crois que c’est ça. » Ses joues ruissellent, la lune pas nouvelle les font briller. Ça devrait être à son tour de dire à Kai qu’il voudrait être coincé avec lui mais les mots ne viennent pas. Le doute est toujours enraciné en lui, comme une plante qui veut germer mais qui attend un peu de soleil pour le faire. « Je ne veux pas te décevoir. Je ne sais pas comment aimer, Kai. Je ne sais pas distinguer mes sentiments, ils se ressemblent tous, sont de gros amas de… amas de… Je ne sais pas. Des amas impossible à trier en tout cas. »
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| | | | (#)Lun 19 Juin 2023 - 3:20 | |
| Mes poings se serrent fermement, mes ongles inscrivent sévèrement des demi-lunes au creux de mes paumes. Mon coeur, quant à lui, tonitrue à tout rompre, pulsé par la colère, le désespoir, la fierté, la rage. Je déverse abondement ce cocktail explosif sur Raphael, je lui hurle l'injustice qui m'infiltre tel le pire des poisons, d'une voix si froide et catégorique que je me reconnais péniblement. Je m'en voudrais, assurément, d'user de cette férocité avec cet homme pourtant si cher à mon coeur, néanmoins, y sied ma volonté de défendre ce à quoi je tiens si chèrement.
J'ai envie de secouer le garçon sur sa chaise luxueuse à mesure que le silence nous enveloppe. Je me retiens de lui beugler de prononcer quelque chose. Je m'imagine lui tourner les talons, colérique. Pourtant, je demeure figé sur place, campé sur ma position, prêt à militer pour faire entendre raison au Elly. S'il y a bien quelqu'un à qui je n'ai pas menti, c'est lui. Il est le seul à jouir de ce privilège alors que notre rencontre ne remonte même pas à une petite année. Il est l'unique avec qui je m'autorise à être entièrement moi, à être authentique. Il est le seul qui fréquente autant Bea que Kai et qui réjouit les deux de cette union sereine dotée de plénitude, quand bien même le concept me terrifie dès que je prends un peu trop de recul. A l'idée de perdre cette magie, mes yeux picotent. Je les imagine assaillis par l'acidité de mon égocentrisme à vouloir conserver Raphael auprès de moi, de repousser l'idée que le garçon me mène un bateau et que j'ai fait preuve d'une naïveté affreusement risible et honteuse ; ou alors, est-ce une sorte singulière d'amour ?
« J’ai peur de pas pouvoir être la personne que tu voudrais que je sois. » Mes lèvres s'entrouvrent, ma mâchoire se décrispe. Je le considère, perplexe, incertain de comprendre le lien entre notre dispute précédente et cet aveu douloureux qui me glace le sang. « Dans toute ma vie, personne ne m’a fait autant confiance que toi. J’ai l’impression de ne pas mériter la confiance d’un garçon tellement plus gentil et intelligent que moi. Si tu savais comme je suis stupide, Kai, je suis incapable de prendre soin de mes amitiés, alors comment je pourrais prendre soin de… de mes amours ? » Je hoche spontanément ma tête en signe de dénégation, rejetant la dépréciation que le danseur se voue. Je réduis précautionneusement la distance entre nos deux silhouettes et le sanglot que l'australien me dédie par la suite a l'effet d'un net bris contre mon coeur. « Mon meilleur ami m’a menti, lui. Je l’ai cru, je le croyais heureux parce que c’est ce qu’il me disait, et j’étais heureux qu’il soit heureux, puis j’ai appris qu’il m’avait menti et c’était plus pareil. Tous les deux on était plus capables d’être heureux, après ça. » Les questions se multiplient dans mon esprit. A quel sujet son meilleur ami lui a-t-il menti ? A propos de l'amour qu'il lui portait ? Je n'ose formuler ma question, sensible à la souffrance que ce souvenir réveille en Raphael, soucieux de remuer le couteau dans cette plaie lorsque je priorise immensément la vision du Elly heureux. « Alors… Maintenant je préfère voir des mensonges partout pour me protéger. Oui, je crois que c’est ça. » Des rivières de peines et de misères se tracent sur ses joues pâles, mon souffle se coupe. « Je ne veux pas te décevoir. Je ne sais pas comment aimer, Kai. Je ne sais pas distinguer mes sentiments, ils se ressemblent tous, sont de gros amas de… amas de… Je ne sais pas. Des amas impossible à trier en tout cas. » Sans l'expliquer, un rictus anime la commissure de mes lèvres. Un soupçon de nervosité, une attache que je peux transformer en point de départ pour cheminer vers mon interlocuteur : « Ca tombe bien, je suis un spécialiste en amas impossibles à trier. » J'ose annihiler les quelques dizaines de centimètres qui nous séparent pour m'installer contre Raphael, sur la chaise. Je prends possession de sa main, la couve des miennes. J'inspire profondément, soupire doucement, plante mes dents dans ma lèvre inférieure.
« Je ne suis pas ton meilleur ami. Je ne sais pas exactement ce qui s'est passé entre vous, je ne te demande pas de me le dire si tu ne veux pas me le conter, mais je sais que je ne suis pas lui. Et nous ne sommes pas le duo que tu formes avec lui non plus. Nous sommes différents de cette dynamique-là, nous le serons toujours. Nous ne sommes que nous et personne d'autres que nous ne peut ressembler à nous. » Je promets, caressant doucement le dos de la main du danseur. « Quand j'ai posé la première fois les yeux sur toi, quand je t'ai rencontré dans ce bar, j'ai senti et lu en toi un tas de choses que j'avais jamais connu auparavant et aussitôt, je me suis senti à l'aise, je me suis senti... Comme quand on trouve sa place, comme quand on trouve sa maison. » Je hausse les épaules, nonchalant. « Tu l'as pas forcé, ça. C'est juste toi. C'est exactement toi. Et c'est tout ce que je veux. T'es déjà la personne que je veux que tu sois, Raphael. T'es celle qui me fait me sentir bien. Celle qui me fait me sentir légitime. Celle qui me permet de me donner le droit d'être moi et qui en plus, semble m'apprécier pour qui je suis. » Je lui offre un petit sourire complice puis inspire de nouveau longuement, déchiré par la vision de son visage meurtri par les larmes. « Je te propose que tu prennes soin de toi, pendant que je prends soin de moi, et qu'on s'aide à se prendre soin de l'un l'autre. C'est beaucoup de responsabilité, sinon, tu ne trouves pas ? » Je suggère posément. « Je ne t'ai jamais menti, je ne compte pas te mentir un jour. Ca me fait trop du bien d'être enfin sincère avec quelqu'un pour vouloir faire autrement. » J'avoue en me mordillant nerveusement la lèvre inférieure. « J'ai un passé auquel je ne peux rien y faire, mais il ne change en rien mon honnêteté du présent avec toi. » Armé d'une infinie douceur, j'ose essuyer les larmes récalcitrantes sur la mâchoire du trentenaire. « Il y a mille façons d'aimer et j'aime ta manière d'aimer bien à toi. » Ces conversations à n'en plus finir à toute heure du jour comme de la nuit, cet appel nocturne lorsque Raphael craignait le pire en sentant ma détresse lors de l'hospitalisation de Jiyeon, cette nuit blanche dans la caverne d'Ali Bea, ses paroles contre mes agresseurs de décembre 2022, ses taquineries à sa manière de rougir en passant par ses provocations et ses tentatives de me faire taire. Oui, vraiment, je ne changerais rien à la manière d'aimer et d'être de Raphael. Je m'allonge à côté de lui, sa main toujours entre les miennes. « Tu ne me décevras pas si tu restes fidèle à toi-même. » Je glisse mes doigts entre les siens. « Mais le "vrai" toi. Pas le "toi" blessé et jaloux qui me traite de menteur et me dit que c'est pas sérieux entre nous. » Je porte sa main contre mon coeur. « On va le soigner, celui-là, okay ? Et tu n'auras plus de raison de pleurer ces maux-là. Ce sera derrière toi, ce qui t'a fait du mal. Ce sera tes leçons du passé qui t'embelliront et te rendront encore plus beau que tu ne l'es déjà. » |
| | | | (#)Dim 23 Juil 2023 - 20:36 | |
| Ce ne sont pas les vérités qu’il aime prononcer. Au fond de lui, Raphael connait ses failles ; il ne veut tout simplement pas les révéler au grand jour puisque, s’il n’est pas le seul à les connaître, elles deviennent ce qu’il est aux yeux des autres. Il ne veut pas que Kai voit tout le noir qu’il comprime à travers les couches de couleurs avec lesquelles il se pavane. Ce ne sont que des boucliers, ou des éponges qui aspirent le regard et le jugement des autres. Si le flamant est rose, c’est parce qu’il est heureux. Si la corneille est noire, c’est parce qu’elle apporte les mauvais présages.
Kai ne mérite pas de se faire tacher. Toutes les blessures que cache Raphael au fond de son cœur, elles lui appartiennent. Si elles s’échappent des pores de sa peau, alors ce qu’ils forment tous les deux ne sera pas aussi joli que prétendu. Il voulait que son amitié – ou sa relation – avec le garçon tourne une page de sa vie, mais il est forcé d’admettre qu’il est encore fragile et que la moindre offense fait tanguer ses jambes. Toutes les injures, il devrait les crier à la tête de ce premier garçon qui l’a emprisonné dans ses mains et l’a écrasé de toutes ses forces, mais il n’a jamais été capable d’être complètement honnête avec Kieran, qui ne l’est encore moins. À eux deux, ils ne mangent que la moitié de la tarte, mais si Raphael et Kai s’attaquent à cette tarte en question, il n’en restera que quelques miettes. « Ca tombe bien, je suis un spécialiste en amas impossibles à trier. » Il sait comment lui parler. C’est autant un problème qu’une bénédiction. Alors, quand il s’installe près de lui sur la chaise et que leurs mains se rejoignent, Raphael baisse les yeux ainsi que son bouclier pour se laisser pénétrer par les mots du garçon. « Je ne suis pas ton meilleur ami. […] Nous ne sommes que nous et personne d'autres que nous ne peut ressembler à nous. » Et s’il savait que ce n’était pas qu’une amitié, comment réagirait-il ? S’il savait pour le baiser dévastateur, puis le second, sacré ? Il comprendrait que Raphael ne peut pas aimer de la bonne façon et que, en s’ouvrant à lui, il met sa vie en danger. « Quand j'ai posé la première fois les yeux sur toi, quand je t'ai rencontré dans ce bar, j'ai senti et lu en toi un tas de choses que j'avais jamais connu auparavant et aussitôt, je me suis senti à l'aise, je me suis senti... Comme quand on trouve sa place, comme quand on trouve sa maison. » Ses yeux se gorgent d’une eau si chaude qu’elle déferle sur ses joues, rougies. Il refuse de le regarder, parce que, si Kai ne mérite pas de se faire tacher, Raphael ne mérite pas les compliments qu’il veut lui adresser. Il ne sait effectivement rien de lui. Il refuse de croire en ses mots parce qu’il ne s’est jamais senti chez lui dans son propre corps. Il est une bombe à retardement qui réagit mal aux surprises et, des surprises, il n’aura que ça. Vingt-neuf années de la vie de Kai lui sont inconnues. Bien sûr qu’il en découvrira des choses, sur lui. Cette Mila ne sera pas la dernière nouvelle. « Tu l'as pas forcé, ça. C'est juste toi. C'est exactement toi. Et c'est tout ce que je veux. T'es déjà la personne que je veux que tu sois, Raphael. T'es celle qui me fait me sentir bien. Celle qui me fait me sentir légitime. Celle qui me permet de me donner le droit d'être moi et qui en plus, semble m'apprécier pour qui je suis. » C’est plus facile de faire face à ses défauts qu’à ses qualités. Il ne peut pas les nommer, ces dernières. Comment Kai peut-il voir ce que Raphael ne voit pas chez lui-même ? Il rencontre son visage tous les jours dans le miroir depuis qu’il sait ouvrir ses yeux. « Je te propose que tu prennes soin de toi, pendant que je prends soin de moi, et qu'on s'aide à se prendre soin de l'un l'autre. C'est beaucoup de responsabilité, sinon, tu ne trouves pas ? » Pour seule réponse, il serre la main de Kai dans la sienne. Il reste muet. Il n’arrive pas à faire de promesse. Il craint de la détruire aussitôt prononcée. « J'ai un passé auquel je ne peux rien y faire, mais il ne change en rien mon honnêteté du présent avec toi. » Il acquiesce silencieusement. Alors, il y aura d’autres choses qu’il apprendra. Pourquoi lui en veut-il d’avoir mené une vie ? C’est peut-être de la jalousie. Raphael a l’impression d’avoir encore treize ans parce qu’il stagne. Ses relations ne le mènent à rien. Qu’est-ce qu’il pourra bien faire si celle qu’il entretient aujourd’hui avec Kai ne le sort toujours pas de son trou, comme toutes les autres ? Il a peut-être peur d’être blessé pour la trentième fois. À la moindre faille trouvée, il se tend, réagit. « Il y a mille façons d'aimer et j'aime ta manière d'aimer bien à toi. » Il recroise enfin son regard alors que ses mots sonnent tellement vrais et honnêtes, ainsi que ses yeux qui lui parlent autant que ses lèvres. « Tu ne me décevras pas si tu restes fidèle à toi-même. » S’il reste tendu et nerveux, il laisse Kai s’allonger à ses côtés. « Mais le "vrai" toi. Pas le "toi" blessé et jaloux qui me traite de menteur et me dit que c'est pas sérieux entre nous. » Il est donc un livre ouvert, et Kai un fervent lecteur. « On va le soigner, celui-là, okay ? Et tu n'auras plus de raison de pleurer ces maux-là. Ce sera derrière toi, ce qui t'a fait du mal. Ce sera tes leçons du passé qui t'embelliront et te rendront encore plus beau que tu ne l'es déjà. » Sa paume contre sa poitrine, la chaleur s’émane en mille feux. Il se permet de suivre des yeux la ligne qui sépare son torse en deux, puis son menton, puis sa bouche et son nez et ses pupilles. Ce n’est pas nécessairement un geste naturel lorsqu’il vient se poser contre Kai, mais il se laisse tenter par la nouveauté, parce que c’est peut-être dans l’inconnu que réside son bonheur. Pour seule réponse, alors que des dizaines d’émotions contradictoires sont en ébullition dans sa poitrine, il retrouve sa naturelle ironie quand il bredouille : « Tais-toi, tu as déjà volé toute la beauté sur cette planète. »
@Kai Luz La suite la suite la suite |
| | | | | | | | thick skin and an elastic heart (rakai) |
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