La tempête l’inquiétait. Ça faisait quelques jours que les chaînes météo en parlaient et plus ça allait, plus Brisbane était en alerte. Faith suivait la météo avec attention et ne pouvait s’empêcher de penser à Russell. Elle savait qu’il allait être appelé à intervenir, à gérer des situations difficiles, catastrophiques même. Elle voulait aider, mais elle ne savait pas comment y parvenir. Elle savait qu’elle allait pouvoir apporter son aide après. Il y aurait des gens qui seraient approuver psychologiquement et elle allait pouvoir intervenir avec son diplôme d’assistante sociale. Puis, un matin, en cuisinant ses oeufs au plat, une idée vint illuminer son esprit : elle allait cuisiner des repas et des collations pour les pompiers de la caserne. Les troupes devaient être nourries si elles voulaient être au max de leur efficacité et Faith savait que les pompiers ne prendraient pas le temps de cuisiner des repas nourrissants. Si elle se fiait à Russell et son habitude de sauter des repas les journées qui étaient occupées, elle savait que ce serait pratique pour eux. Elle ouvrit donc son livre de recette, en sélectionna plusieurs qu’elle pourrait mettre à congeler dans des plats individuels. Il ne leur resterait plus qu’à les réchauffer et les manger en quelques minutes et ils seraient pleins d’énergie. Lorsqu’elle eût terminé de lister ce qu’elle avait besoin comme ingrédients, elle se dirigea vers le supermarché pour faire ses emplettes. En plus de la nourriture, elle acheta une caisse de boisson avec électrolyte et des contenants pour mettre la nourriture. Elle passa la journée à faire différents plats. Il y avait des plats de soupe aux légumes puisqu’elle savait que ça pourrait les réchauffer suite à une journée à l’extérieur au froid et à la pluie. Ensuite, elle avait fait un mijoté de boeuf aux légumes et une purée de pomme de terre, des pâtes alfredo au poulet et brocoli et finalement un plat de riz frit aux crevettes et aux légumes. Elle avait également fait trente petites boules à l’avoine, chocolat et canneberge ainsi que trente-six muffins aux bananes. Lorsqu’elle eût terminé, elle déposa tout dans deux sacs différents et se dirigea vers la caserne. Elle avait autour de 30 portions de repas plus les collations. Elle était épuisée, mais contente de pouvoir contribuer à l’effort général. Sur le chemin de la caserne, elle constata que le vent s’était levé. Le matin-même, il faisait encore doux, une faible brise soufflait, mais il fallait se rendre à l’évidence que la tempête était vraiment à leur porte. Faith se promit de se barricader par la suite dans son appartement pour rester en sécurité. Elle ne voulait pas avoir besoin des services d’urgence. Arrivée à la caserne, elle sonna à la porte et attendis que quelqu’un lui ouvre la porte. Elle ne prit pas le temps de regarder adéquatement qui était devant elle puisque sinon, elle aurait reconnu Joaquin, un ami de Noah. Elle devait dire que les dernières fois qu’elle l’avait vu, elle était souvent sous l’effet de l’alcool, mais pas assez pour qu’elle ne se souvienne pas de lui. Elle se baissa aussitôt pour montrer au pompier ce qui se trouvait dans les sacs qu’elle avait apporté. ”Je ne veux pas déranger qui que ce soit, mais je suis une amie de Russell et je me disais que la caserne aurait beaucoup trop de travail dans les prochains jours. J’ai apporté des petits plats préparés, il doit y avoir autour de 30 portions avec autour de 60 collations.” Elle tendit ses sacs à l’homme devant elle. ”Les plats peuvent être conservés au réfrigérateur pendant environ quatre jours, sinon ils peuvent être congelés. Les contenants peuvent passer directement du congélateur au micro-onde.”

Depuis qu’elle était sobre, elle cherchait toujours un moyen de se faire pardonner ses erreurs du passé. Elle essayait toujours de trouver de nouvelles manières de rendre service aux gens dans le besoin. C’était pour ça qu’elle avait décidé de devenir marraine dans l’organisme qui l’avait aidé à abandonner complètement l’alcool. En devenant assistante sociale pour l’association Beauregard, elle avait également l’impression d’aider les gens dans le besoin. C’était également pour les mêmes raisons qu’elle avait décidé de nourrir la caserne des pompiers pour la prochaine journée. Elle se doutait bien que trente portions n’étaient pas assez pour qu’ils tiennent quelques jours, mais c’était toujours mieux que rien et elle s’était promise que si la température n’était pas trop mal le lendemain, elle trouverait moyen de refaire des petits plats. De toute manière, elle ne pouvait pas se retrouver à rien faire seule dans son appartement. C’était trop dangereux qu’elle se mette à ressasser le passé et qu’elle ait envie de se trouver une bouteille à boire. Ça faisait déjà deux ans qu’elle n’avait pas touché à la bouteille, mais l’envie se trouvait encore parfois forte. Elle savait qu’elle serait une alcoolique pour le restant de ses jours même si elle ne touchait pas à une goutte pendant des dizaines d’années.
Alors qu’elle expliquait à l’homme qui était devant elle pourquoi elle le dérangeait et ce qu’elle avait apporté pour les pompiers, elle sentit qu’il l’analysait. Peut-être prenais-t’il le temps de regarder si elle avait l’air d’une personne fiable et s’il pouvait lui faire confiance. Elle comprenait quand même que les gens pouvaient être réticent à manger de la nourriture qu’une inconnue apportait, mais s’il prenait le temps de demander à Russell, ce dernier allait confirmer qu’il n’y avait aucune inquiétude à avoir. « Faith ? » Elle se figea légèrement, elle ne connaissait personne à la caserne à part Russell. Elle leva les yeux alors que l’homme répétait son nom. « Faith Palmer ? » Elle le reconnut immédiatement. Même si elle était souvent sous les effets de l’alcool lorsqu’elle le voyait et que plusieurs années s’étaient écoulées depuis leur rencontre, elle n’avait pas oublié ce visage. « Joaquin Bates. » Elle était nerveuse. Elle ne l’avait pas revu depuis que Noah était décédé et elle n’avait aucune idée de l’opinion qu’il avait d’elle. Il ne l’avait pas connu dans les meilleures années de sa vie. Elle passa sa main dans ses cheveux dans un geste nerveux. « Ça fait déjà un peu plus de trois qu’on ne s’est pas vu. Comment vas-tu ? » Elle ne savait pas comment agir avec lui. Il était ami avec Noah et elle savait que son mari s’était déjà confié à lui. La tenait-elle responsable de la mort de son mari ? Elle se mise à jouer avec son alliance, elle la portait toujours depuis tout ce temps. Russell lui avait déjà parlé de son ami Quino, son supérieur, mais elle n’avait jamais fait le lien que c’était Joaquin.

Lorsqu’elle s’était dirigée vers la caserne des pompiers en cette fin d’après-midi, Faith ne se doutait pas qu’elle tomberait sur Joaquin. Si elle l’avait su, elle aurait probablement décidé de ne pas y aller. Malgré qu’elle était sobre depuis quelques années, elle était encore honteuse de son passé. Elle était surtout honteuse de ne pas avoir été à la hauteur de son défunt mari. Noah avait toujours été patient avec elle, même lorsqu’elle était au plus creux. Et elle, elle n’avait pas été capable de se reconstruire auprès de lui. Il ne lui faisait pas assez confiance pour lui parler de sa maladie, de lui demander de l’aide. Et elle s’en voulait encore. Elle avait fait beaucoup de travail sur elle, avait consulté des professionnels pour l’aider avec son deuil et son sentiment de culpabilité, mais elle devait avouer que de revoir Joaquin la replonger dans ce sentiment d’échec. « Très bien ma foi ! Et toi ? » Elle ne savait quoi lui dire. Est-ce qu’il serait déçu de voir qu’elle avait reprit le contrôle de sa vie alors qu’elle avait ruiné la vie de Noah ? Ou au contraire, il ne lui souhaitait pas de mal et serait content de voir qu’elle avait enfin réussi à s’en sortir ? Elle se dit que l’honnêteté était toujours la meilleure option. « Ça va plutôt bien ! La tempête m’inquiète un peu, mais je crois que je suis prête à pas mal d'éventualités. » Elle n’était pas adepte de small talk, mais elle ne savait pas vraiment quoi dire de plus. Ça faisait longtemps qu’elle n’avait pas vu l’homme, elle n’allait quand même pas se mettre à lui raconter sa vie dans le cadre de la porte de la caserne, avec le vent qui commençait à se lever tranquillement. « Entre si tu veux, il n’y a quasiment personne. Je vais aller ranger tout ça. » Elle le suivit à l’intérieur. Elle se dit que c’était l’occasion idéale de renouer avec lui, de se libérer du malaise qu’elle avait en imaginant ce qu’il pensait d’elle. « T’as dit que tu connaissais Russell ? » Un sourire prit place sur ses lèvres en pensant à Russell. Son amitié était tellement important pour elle. Il lui faisait du bien et elle lui faisait complètement confiance. Il lui avait démontrer qu’il pensait la même chose d’elle en l’appelant le soir où il était sur le point de perdre le contrôle et de boire. « Oui, et quand même assez bien. On se connaît depuis environ 1 an et demi je dirais. » Elle n’osait pas lui dire qu'ils s'étaient rencontré au Alcoolique Anonyme. Elle se doutait que Russell lui avait dit qu’il allait là-bas, mais elle ne voulait pas prendre la chance de divulguer son secret. Pendant que Joaquin était de dos à elle, en train de ranger les petits plats, elle prit une grande inspiration et décida que c’était le moment de crever l’abcès. « Je… Je sais que Noah s’est confié beaucoup à toi… Je me sentirai toujours coupable de ce que je lui ai fait subir, mais sache que… Je voulais juste que tu sache que je me suis fait aider… » Sa voix se brisa. C’était une des premières fois depuis longtemps qu’elle parlait du passé avec quelqu’un qui avait connu son mari.

« T’as le temps pour un café ? » Faith fit signe que oui de la tête. « Avec une cuillère de sucre et un peu de lait s’il te plaît. » Maintenant qu’elle avait retrouvé Joaquin, elle voulait prendre le temps de clarifier le passé. Elle n’avait pas gardé contact avec la famille de son défunt mari, ni avec ses amis, sauf Abraham. Elle était triste de ne pas pouvoir partager de souvenir de lui avec des gens qui l’avaient bien connu. Elle aurait voulu pouvoir s’expliquer, pouvoir tenter de réparer le passé avec son ancienne belle-famille, mais ça n’avait pas été le cas et maintenant qu’elle pouvait le faire avec un de ses amis proches, elle n’allait pas perdre cette chance. « Oui, il me parlait beaucoup… Mais je suis personne pour te juger Faith.» Elle passa sa main dans ses cheveux. Elle était soulagée qu’il ne la juge pas, mais en même temps, elle se sentait encore terriblement honteuse des années d’enfer qu’elle lui avait fait vivre. « Je sais par quoi t’es passé, par quoi vous êtes passés tous les deux… » Le désir de fonder une famille avait été tellement fort et les deuils qu’ils avaient dû faire de trop nombreuses fois l’avait complètement anéantie. Et elle avait été trop égoïste pour voir que Noah souffrait également des fausses couches. Si elle avait été capable de voir sa souffrance également, ils auraient pu affronter ça à deux et Noah n’aurait pas hésité à lui parler de son cancer. Il serait encore présent aujourd’hui. « Je n’ai pas été capable d’écouter sa peine, de prendre le temps de surmonter ça avec lui et je lui ai fait subir ma détresse, ma auto-destruction. » Sa voix se cassa légèrement. Elle allait mieux aujourd’hui, était capable de parler du passé sans avoir le goût de retoucher à la bouteille, mais en parler avec un proche de Noah était plus difficile que ce qu’elle avait pensé. « Je suis tellement désolé que mon comportement t’ai arraché un ami… » Parce que c’était comme ça qu’elle se sentait réellement. Elle était la seule et unique responsable de la perte d’un grand ami de Joaquin et elle devait se faire pardonner de l’échec et de la tournure que leur mariage avait pris.
« Mais c’est une bonne nouvelle si tu vas mieux aujourd’hui. » Il avait l’air sincère dans ses paroles et ça lui fit plaisir. Elle prit une gorgée de son café qui avait assez refroidit maintenant pour être capable d’être bu tranquillement. « C’est là-bas que vous vous êtes rencontré Russ et toi ? » Un nouveau hochement de tête. Elle avait rencontré Russell au AA et il était maintenant tellement important pour elle. Elle commençait à ressentir des sentiments pour lui qu’elle n’était pas encore capable d'expliquer, mais elle savait qu’elle tenait à lui un peu plus qu’à un simple ami. « Quand je l’ai vu dans une réunion pour la première fois, ça faisait déjà environ six mois que j’étais complètement sobre. C’est devenu un ami vraiment important pour moi. » Elle prit une pose, repensant à cette soirée où elle avait dû aller le voir chez lui alors qu’il était absolument détruit par la rencontre qu’il avait eût avec son fils. « Je crois que c’est un de tes amis de longue date ? Il m’a souvent parlé de son ami Quino, mais je n’avais pas fait le lien que c’était toi. »

« Tu sais Faith, je ne suis pas certain que tu sois la cause de son geste… » Elle haussa les épaules, tombant dans ses pensées. Elle était convaincue du contraire, mais les années de thérapies avaient réussis à atténuer la douleur de la culpabilité du suicide de son mari. Elle était toujours aussi convaincue que si elle avait réussis à l’épauler autant qu’il l’avait fait avec elle pendant ses fausses couches et son opération, il aurait été plus fort pour combattre son cancer. « C’est mon meilleur ami. J’avais dix-sept ans lorsque je l’ai rencontré à la caserne et on ne s’est plus jamais quittés après ça, enfin… » Elle trouvait ironique que Noah ait été un très bon ami à Joaquin et que maintenant, Russell l’était également. Pas qu’elle était en couple avec Russ, mais elle devait s’avouer qu’il ne lui était pas indifférent. Plus le temps passait, plus elle le côtoyait et plus elle l’appréciait. Elle avait seulement peur que Joaquin voit d’un mauvais oeil qu’elle soit près de son ami d’enfance après ce qui était arrivé à Noah. « Il est comme mon frère. » Faith aimerait tellement avoir une amitiée comme celle-là. Elle n’avait jamais réussi à se bâtir une relation forte, qui était capable de braver le temps et les épreuves. Elle était contente toutefois que Russell ait quelqu’un sur qui compter. « C’est vraiment une bonne personne. Je sais qu’il a eu son lot de difficultés lui aussi… Je l’apprécie beaucoup. » Elle était d’une honnêteté désarmante avec Joaquin, mais elle se disait qu’elle lui devait bien ça après des années sans lui donner de nouvelle. Elle voulait qu’il sache qu’elle ne laisserait pas tomber son ami, qu’elle ne répèterait pas les mêmes erreurs avec lui qu’avec son mari. « Il m’a aussi souvent parlé de son amie Faith, mais je n’aurais jamais imaginé que ce soit toi ! Le monde est petit et le destin aime bien nous le rappeler. » Un sourire apparut sur son visage. Elle était contente de voir qu’il l’appréciait suffisamment pour parler d’elle à son ami d’enfance. Quoi qu’elle était un peu inquiète de savoir ce qu’il disait d’elle. Peut-être la trouvait-il un peu trop envahissante ? Peut-être qu’il la jugeait d’avoir abandonné sa fille en Irlande alors qu’il voulait tellement reprendre contact avec ses fils ? « J’espère qu’il parle de moi en bien ! » Elle accompagne ses paroles d’un petit rire un peu timide. Elle accordait une bonne importance à l’opinion qu’avait Russell envers elle.
« Comme je le disais tout à l’heure, je ne suis pas sûr que tu sois la cause de la disparition de Noah. Lui aussi avait été malmené par ce que vous avez vécu et son cancer a été le coup de massue… » Elle se mit à faire tourner son alliance qu’elle portait toujours autour de son doigt. Elle ne se décidait pas à l’enlever. Noah était encore présent dans son esprit à chaque moment de sa vie. « Je ne peux m’empêcher de penser que si j’avais été capable de l’aider, de vivre nos deuils ensemble à la place de m’enfoncer dans l’alcool, il aurait été plus fort pour l’annonce de son diagnostique. » Elle prit une grande respiration afin de contenir ses larmes qui menaçaient de faire surface avant de continuer. « Surtout, il m’aurait fait assez confiance pour m’en parler. » Sa voix se cassa. Le fait qu’il ne lui avait pas parlé de son cancer avant de s’enlever la vie était encore douloureux. Ça lui montrait à chaque fois à quel point son mariage avait été un échec malgré l’amour qu’ils se portaient l'un envers l’autre.

Même si son mariage avec Noah n’avait pas été de tout repos et qu’ils avaient vécu de dures épreuves, il n’y avait aucun doute que Faith l’avait aimé comme elle n’avait jamais aimé quelqu’un. Ça avait pris son départ pour qu’elle se sorte de son alcoolisme, mais elle lui avait promis qu’elle ferait tout en son pouvoir pour se pardonner et se sortir de la torpeur dans laquelle elle était plongée depuis la perte de leurs foetus. Revoir Joaquin était une occasion de faire un pas de plus dans la guérison. Elle savait que de revoir les proches de Noah serait difficile, mais ça allait bientôt faire quatre ans qu’il était partit et elle avait besoin de leur exposer son point de vue, d’espérer obtenir un pardon de leur part. « Peut-être, mais on ne peut pas revenir à ce qui est passé Faith… Et puis peut-être qu’il serait passé à l’action même si tu n’avais pas sombrer dans l’alcool et que tu avais été présente pour lui… » Le mouvement du pouce de Joaquin sur son bras se voulait rassurant. Elle ne l’avait pas beaucoup côtoyé du vivant de Noah, mais elle voyait maintenant la raison pour laquelle ils étaient amis. C'était vraiment une bonne personne. Il avait les mots pour la rassurer et il avait l’air sincère. L’émotion menaçait de déborder. La conversation était plus difficile qu’elle ne l’avait pensé. Elle était sur le chemin de la guérison, mais revenir sur son passé n’était pas une mince affaire, surtout avec quelqu’un qui le connaissait aussi bien et qui avait peut-être même des idées préconçues et des jugements vis-à-vis ses agissements.. « On ne peut avoir aucune certitudes et il faut que tu réussisses à te pardonner Faith, pour toutes ces choses dont tu te sens coupable. » Elle passa son doigts sous ses yeux, récupérant quelques larmes avant qu’elles dévalent ses joues. « J’imagine que c’est plus facile à dire qu’à faire, que tu as sûrement dû entendre cela des centaines de fois et peut-être même que tu es sur ce chemin-là, déjà… » Elle hocha de la tête d’un signe positif. Elle essayait du moins de rester sur ce chemin. L’approche des fêtes et de la date de son départ étaient une période difficile, mais qu’elle essayait de rendre la plus douce possible. « En ce qui me concerne, c’est tout ce que je te souhaite, que tu réussisses à te pardonner et à aller de l’avant. » La discussion avec Joaquin était difficile, mais elle lui faisait du bien. Elle savait que sur le long terme, elle aurait un effet réparateur. « Tu es le premier de ses proches qui accepte de me reparler. Il y a encore Abraham, mais il a toujours été proche autant de moi que de Noah. Mais de ses autres amis, de sa famille, tu es le premier. » Elle prit une gorgée de café pour essayer de garder le contrôle de ses émotions. « Le mois prochain, ça fera 4 ans. Tu te rends compte ? » Dans un geste automatique, elle se mit à faire tourner son alliance autour de son doigt. Ça lui permettait de se recentrer et de rester dans l’instant présent. « Merci pour tes mots. Ça me fait du bien. Tu es une bonne personne Joaquin. Je comprends pourquoi Noah et Russell t’apprécient autant. » Et elle le pensait vraiment. Elle était contente que la vie l’ait remise sur son chemin. Elle releva les yeux vers lui, un sourire doux sur ses lèvres. « Il est chanceux d'avoir un ami comme toi. » Elle parlait maintenant de Russell bien sûr. Elle était contente de savoir qu’il avait un ami sur qui s’appuyer lorsqu’il vivait un moment difficile alors qu’elle, elle n’avait personne d’autre que le Sutton.

La discussion qu’elle avait avec Joaquin lui faisait du bien. Parler de Noah avec quelqu’un qui l’avait vraiment connu était en quelque sorte thérapeutique. Même si elle était chamboulée et qu’elle savait que cette soirée-là, un coup seule à la maison, serait difficile sur le plan psychologique, elle était heureuse d’avoir pris le temps de parler à Joaquin de comment elle se sentait vis-à-vis lui. Et le plus important : il avait pris le temps d’écouter sans chercher à la couper et à minimiser ses sentiments. Elle sentait qu’elle faisait un pas de plus dans sa guérison. Elle savait qu’elle devait se pardonner à elle-même, mais ça passait avant tout par demander pardon à ceux qu’elle pensait avoir blessé. « Toi aussi, j’en suis persuadé… » Elle lui fit un léger sourire. Elle essayait vraiment d’être une amie à l’écoute pour Russell. Elle voulait l’aider du mieux qu’elle le pouvait et elle n’avait même pas à se forcer. Lorsqu’elle était entrée dans les AA, elle ne voulait pas nouer de lien avec les autres participants. Elle savait que c’était un couteau à double tranchant, que même s’ils pouvaient s’aider dans leur quête vers la sobriété, ils pouvaient aussi se tirer vers le bas et rechuter ensemble. Par contre, elle n’avait pas pu s’empêcher de créer un lien avec Russell. Et elle savait que ça irait bien puisqu’elle se sentait solide dans le combat contre l’alcool. Elle était au courant qu’elle n’était pas à l’abri de se sentir appelé par la bouteille, mais les risques étaient moins présents que lorsqu’il y a quelques années. Et pour preuve, elle n’avait même pas été tenté d’ouvrir la bouteille de gin que Russell avait acheté et ramené chez lui le soir où il lui avait envoyé un sms en panique. Les chances qu’ils soient dans une mauvaise passe en même temps étaient quand même minime. Elle avait le goût de prendre le risque pour lui. « Tu fais quoi maintenant ? Je ne sais plus si Russ me l’a dit ou non… » Joaquin l’avait quand même connue plus longtemps sans emploi que sur le marché du travail. Elle était honteuse d’avoir été si longtemps dans un état végétatif. « Tu te souviens que j’avais fait mon cours d’assistante sociale quand je me suis mariée avec Noah ? Et bien je suis de retour dans ce poste, mais pour l’association Beauregard. Tu connais ? » Elle était fière de pouvoir aider les malades et leurs familles. Elle avait l’impression qu’elle payait en quelque sorte sa dette à la société après avoir été aussi longtemps dans l’incapacité de faire quoi que ce soit. Elle avait toujours aimé être dans l’entre-aide et son travail lui avait manqué même si elle ne s’en rendait pas compte pendant qu’elle était dans l’enfer de l’alcool. « Et toi ? Tu es monté en grade depuis le temps non ? Ça fait combien de temps que tu es capitaine ? » Elle avait l’impression qu’elle ne faisait que parler d’elle depuis qu’elle était arrivée à la caserne et elle voulait maintenant s’informer un peu de Joaquin. Elle allait probablement être portée à le revoir un peu plus souvent maintenant qu’elle savait qu’il était très prêt de Russell. Elle avait hâte de raconter à ce dernier que finalement, elle connaissait ce fameux Quino depuis de longues années.

Prendre du temps pour parler avec Joaquin lui faisait plus de bien que ce qu’elle aurait pensé. Elle ne connaissait pas beaucoup le pompier et lorsqu’elle l’avait côtoyé, elle était plus souvent qu’autrement sous l’effet de l’alcool. Elle n’avait donc pas vraiment de souvenir net de lui, autre que Noah l'appréciait beaucoup comme ami et qu’elle n’était pas contre le fait de le voir une fois de temps en temps. Elle était contente de pouvoir le revoir, lui montrer qu’elle avait changé et qu’elle était devenue une toute autre Faith. Une Faith qu’elle aurait aimé pouvoir faire connaître à son mari. Elle était toutefois forcé d’avouer que l’élément déclencheur de sa thérapie avait été le décès de celui-ci. Elle questionna Joaquin sur son entrée en grade. « Depuis que Russ est parti ! En réalité, avant que Russell ne disparaisse, on était tous les deux en lice pour devenir Capitaine. Russ’ disparu, ils m’ont filé les reines. Ça fait six ans du coup…» Elle se gratta le côté de la tête. Ça voulait dire qu’il avait monté en grade alors que Noah était encore vivant et qu’ils se voyaient. Elle n’avait pas retenu l’information. Quoi qu’elle était dans le plus creux de sa maladie à ce moment-là. Elle ne sortait plus vraiment de chez elle autre que pour aller au bar, aller retrouver Cade. Comme il semblait avoir un petit penchant pour l’alcool lui aussi, elle avait trouvé un certain réconfort et un absence de jugement chez lui qui lui avait fait du bien. Le fait qu’il lui dise ouvertement qu’il la trouvait de son goût également remontait son estime d’elle-même qui était à ce moment-là au plus bas, même si elle n’avait jamais succombé à ses avances. « Noah a dû m’en glisser un mot, mais je dois avouer qu’à ce moment-là, j’étais plus souvent qu’autrement complètement HS. » Elle ne releva pas le fait qu’il était contre Russell pour le poste. Elle ne connaissait pas les compétences de se dernier pour le poste de capitaine donc elle ne voulait pas se prononcer à savoir qui des deux aurait été le meilleur capitaine. « Russell et Noah qui disparaissent de ta vie dans un intervalle de deux ans… J’imagine que ça n’a pas été facile ? » Faith n’avait aucune gêne à poser des questions profondes. Probablement une déformation professionnelle. Elle n’avait pas de problème par contre à ce que son interlocuteur lui dise qu’il ne souhaitait pas avoir cette discussion. Elle était sensible au fait que certain sujet pouvait être plus difficile pour certain à aborder.
« C’est quoi cette association du coup ? » Elle prit une grande inspiration avant de commencer à décrire son travail. Elle était tellement fière d’avoir réussi à se réhabiliter assez pour reprendre un poste important dans cette association. « C’est une association pour aider les gens qui sont atteints de cancer ainsi que leur famille et leur proche. On les aide à tous les stades de leur maladie, du début de l’annonce à la rémission ou bien aux soins palliatifs. Et on est présent pour les familles endeuillés tant qu’ils ont besoin de nous. » Elle prit une grande inspiration. Occuper ce poste n’était pas toujours facile pour elle, mais elle avait besoin de sentir qu’elle faisait la différence pour les gens qui vivaient avec ce diagnostic. « J’ai découvert l’asso via la demande d’emploi un peu moins d’un an après le décès de Noah. J’aurais aimé qu’il puisse avoir accès à leur service pour l’aider. Mais j’ose espérer que je puisse faire une différence de la vie de ceux qui font appel à nos services.» Elle s’était emportée, avait donné probablement plus de détails qu’aurait vraiment voulu connaître Joaquin, mais elle était passionnée de son travail. Lorsqu’elle en parlait, elle avait beaucoup de choses à dire.