Scarlett n’a pas arrêté de la journée. Chaque mail envoyé en a ramené trois dans sa boîte de réception, un ressac infini bien moins plaisant que celui qu’elle entend depuis les fenêtres ouvertes lorsqu’elle est chez elle. Les galas de fin d’année se sont terminés et laissent place à ceux de la nouvelle année, dans un réflexe perpétuel de trouver une excuse pour mettre une belle tenue, prétendre aider une cause et se taper dans le dos pour s’auto-féliciter - n’est-ce pas pour cela que tous ces gens-là organisent ces événements ? Scarlett connaît la danse et les codes par cœur, et elle sait quel client envoyer à quel soirée mondaine pour faire bonne impression, quel speech faire pour marquer les esprits, à qui parler pour se refaire un bon réseau. Il y a évidemment la awards season pour toute sa clientèle dans l’industrie du cinéma, ils s’envolent à LA, en profitent pour faire une petite tournée médiatique sur place, Scarlett garde un œil sur eux de loin. Et bien sûr, du côté de la politique, la trêve des fêtes de fin d’année est terminée, cette période féérique où tout conflit social est oublié parce que tout le monde est occupé à manger de la bûche, et les équipes de Scarlett recommence à écrire les discours de gérants d’entreprises qui s’apprêtent à licencier la moitié de leurs effectifs, ou ceux des politiciens qui ont voté une loi controversée. Tried & True PR tourne à plein régime, et le cerveau de Scarlett aussi.

Elle a presque hésité à annuler son dîner avec Ruben, mais la date a été fixée il y a des semaines, avant la folie de Noël - que Scarlett a passé en Thaïlande à surfer, toute seule, laissant les autres subir leurs réunions familiales. Elle a la vague sensation de devoir maintenir une vie sociale correcte, un pilier nécessaire à chaque personne, comme manger, travailler, dormir, faire du sport. Et puis, après tout, la compagnie de Ruben ne lui est pas désagréable, il fait accidentellement parti de sa vie depuis plusieurs années maintenant et, sans que Scarlett l’ai remarqué, il est devenu l’une des rares personnes qu’elle respecte - pour son éthique de travail, son ambition, son intelligence. Elle commence à se dire qu’il se pourrait bien qu’elle l’apprécie.

Le téléphone sonne et Scarlett reconnaît le numéro de Sorraya, la réceptionniste. Ruben est en bas, blablabla, oui oui, faîtes le monter, demande Scarlett, occupée à rédiger ce qu’elle espère être le dernier email de la journée. Ruben est déjà venu, il connaît les lieux et en effet, quelques minutes plus tard, il rentre dans la pièce après avoir brièvement toqué. « Installe-toi », dit-elle en guise de bonjour et en faisant un signe vers l’une des chaises installées devant son bureau. « Je termine juste ce mail », annonce-t-elle sans prendre la peine de s’excuser - l’avantage de Ruben, c’est qu’il a toujours compris que le travail était une priorité pour Scarlett. Après tout, c’est la sienne également. « Parfois je me demande si j’aurais décidé de travailler dans le PR si j’avais su que j’allais m’occuper de tels abrutis », siffle Scarlett en tapant sur son clavier, les clics métalliques brusques reflétant son agacement. « J’ai réservé à 20h30 pour Alchemy, au fait », elle signale - un restaurant de nourriture japonaise pas loin de son agence où elle a déjà déjeuné avec Ruben, et dont elle se souvient vaguement qu’il avait apprécié le repas.


@Ruben Hartfield  

i was reminiscing just the other day

@scarlett bridgers

lieu: spring hill.
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Aucun des deux n’avait renvoyé un message à l’autre, ou en tous cas pas à ce sujet là, parce-que ce n’était pas quelque-chose de nécessaire: s’ils avaient dit qu’ils se rejoignaient pour aller diner, ils le feraient et il n’y avait pas plus à se demander. Cela faisait d’ailleurs un bon bout de temps qu’ils n’avaient pas pris un moment comme cela là - pas que c’était là dans leurs habitudes et qu’ils avaient besoin de se retrouver régulièrement pour partager les derniers potins en date, mais avec la fin d’année chargée, les temps libres s’étaient faits rares et peu disponibles à être partagés entre eux. Aucun des deux, une fois de plus, n’y verrait la moindre chose à pointer du doigt puisque l’un comme l’autre savait pertinemment que le travail était la chose primant sur le reste et que si temps restant il y avait, là ils pouvaient se permettre de profiter.

Il était arrivé à l’heure - même: il était arrivé avant l’heure, parce-que Ruben avait beau avoir un planning aussi chargé que celui d’un ministre il détestait arriver en retard et faisait toujours en sorte d’organiser son temps pour que cela n’arrive pas. Les seules exceptions à la règle étaient lorsqu’une opération tournait mal et s’allongeait alors que le patient était déjà sur la table, ou si une véritable urgences passait les portes du dit-service juste avan qu’il n’accroche sa blouse au vestiaire. Mais une fois de plus, il s’agissait là de raisons honorables et qui resteraient compréhensibles pour des personnes comme Scarlett qui, à défaut de ne pas être en retard puisque c’était à son bureau qu’ils s’étaient donnés rendez-vous et que c’était à Ben de faire le trajet, avait encore le nez plongé sur l’écran de son ordinateur lorsqu’il passa la porte de son bureau. « Installe-toi » Bien sur qu’il referma la porte du bureau en souriant. « Je termine juste ce mail » - « Bonjour Ben, je suis ravie de te voir, t’as l’air en forme. » Il avait pris une voix qui était là pour la miner et se moquer gentiment d’elle, alors qu’il avança jusque son bureau - pour contourner ce dernier dans un premier temps, déposé un baiser sur joue parce-qu’il savait que cela allait l’irriter, et enfin s’asseoir dans l’une des chaises qu’elle lui avait indiqué.

« Parfois je me demande si j’aurais décidé de travailler dans le PR si j’avais su que j’allais m’occuper de tels abrutis » - « Je t’épargne la réflexion: la réponse est non. » Elle ne faisait pas partie de ces personnes qui aimaient perdre leur temps, si bien sur si toutes les conditions avaient été explicites depuis le début elle aurait surement rebroussé chemin. « J’ai réservé à 20h30 pour Alchemy, au fait » Il était vrai qu’il n’avait pas un instant mis son nez dans cette partie là de la soirée - mais elle lui fait assuré, le jour où la date avait été actée dans le calendrier, qu’elle se chargeait du reste et il n’avait pas remis en question cette partie là de la discussion. « Bon choix. » Et parce-qu’il ne voulait pas la déranger alors qu’elle n’avait pas terminer les quelques tâches qui lui restait de la journée, Ruben ne reprit pas la parole de suite. A la place, il se laissa aller à ce qu’il savait le mieux faire: être curieux - et non, pas être infidèle, pas dans ces conditions là. Là où l’attention de Scarlett était concentrée sur son ordinateur, celle de Ben l’était sur toutes les autres choses présentes sur le bureau de la jeune femme. Et comme Ruben se croyait chez lui partout où il allait, il n’attendit pas de faire prier pour attraper chaque chose et les observer comme si c’était là une attitude normale. Alors bien sur que son attention s’arrêta sur une chose et une autre, mais surtout sur l’agenda de la brune qui était posé aussi sur le bureau, attrapant ce dernier et le posant sur ses genoux pour le feuilleter. Il savait avoir un planning chargé de son côté, mais elle n’était pas en reste: chaque heure de la semaine semblait avoir sa couleur et son problème. L’une d’entre elle tira d’ailleurs un petit rire amusé à Ruben. « Tu fais des rendez-vous avec les époux de tes clients toi maintenant, t’as le temps pour ça. » Parce-que ses yeux avaient accroché le nom de Swann en feuilletant - Swann C., ils ne pouvaient être mille en ville à se faire appeler de la sorte, et que cela aurait été un trop gros hasard que ce ne soit pas lui.

« Bonjour Ben, je suis ravie de te voir, t’as l’air en forme. » Scarlett pousse un soupir, ne décrochant pas même un regard vers Ruben qui s'avance vers elle, probablement avec un sourire stupide aux lèvres, content de sa "blague". « Bonjour Ben, je suis ravie de te voir, tu as l'air... », elle relève enfin les yeux vers Ben, « pas en forme », elle continue, mais Ben l'interrompt d'un baiser sur la joue, elle s'écarte d'un mouvement brusque de la tête, elle qui déteste le contact physique. Elle siffle entre ses dents, offusquée et, à son plus grand désarroi, elle doit retenir un sourire amusé. Elle choisit de fusiller Ruben du regard à la place. « Sérieusement, tu prends le temps de dormir ? » Elle commente, replongeant son attention sur l'ordinateur. « Rappelle-moi les effets du manque chronique de sommeil sur le cerveau ? » Après tout, c'est lui leur neurochirurgien, et il est bien placé pour le savoir.

Ruben accepte néanmoins de s'asseoir, et elle peut retourner à son email, une gestion de crise d'un politicien qui a été pris à coucher avec son assistance de 20 ans sa cadette et se demande pourquoi son propre parti souhaite qu'il s'excuse publiquement. Elle a l'impression d'être entourée d'imbéciles, perpétuellement - Dieu merci, des imbéciles qui paient assez chers pour que Scarlett soit le cerveau qui leur manque. Mais parfois, elle se demande si elle avait réalisé à quel point elle se retrouverait à gérer des inepties pareilles, et si elle aurait accepté ce métier. « Je t’épargne la réflexion: la réponse est non. » Cette fois-ci, Scarlett décoche un sourire sincèrement amusé à Ruben, qui l'a très bien cerné sur ce côté-là. « Peut-être que j'aurais dû être chirurgienne. Au moins les patients sont endormis et se taisent. » Mais elle sait que Ruben n'a pas choisi ce métier pour éviter le contact, au contraire, il doit être persuadé de sauver la veuve et l'orphelin. Il n'est pas ami avec Rory Craine pour rien - ils font parti de ces gens insupportablement altruistes. Scarlett, elle, s'imagine parfois loin de tout, sur une île tropicale, avec sa planche de surf, à n'avoir à parler à personne, n'aider personne. Mais elle s'ennuiera probablement, se dit-elle. Malgré tout ce qu'elle peut dire, le chaos de son travail est un rush perpétuel qui la stimule et qu'elle adore.

« Tu fais des rendez-vous avec les époux de tes clients toi maintenant, t’as le temps pour ça. » Concentrée sur son email, Scarlett lève un sourcil. « Mais qu'est-ce tu racontes », elle réplique en secouant la tête, avant de jeter un coup d'oeil vers Ruben et de comprendre qu'il feuillette son agenda ; elle se demande d'abord de qui il parle, bêtement, parce qu'elle ne fréquente pas les époux de ses clients, avant de comprendre dans un éclat, parce qu'elle a oublié une demi seconde qu'aux yeux du monde, Swann est le mari de Rory Craine, et pas le gamin au pied de la barre d'immeuble de leur banlieue. « Ben ! » Elle s'exclame, presque prise de court - un fait rarririsme et l'une des raisons pour laquelle elle tenait pas à remettre Swann dans son quotidien. Elle se penche par dessus le bureau et referme l'agenda sur les doigts de Ruben, et le tire vers elle, claquant sa langue contre son palais. Elle l'enferme dans son tiroir. « On ne t'a jamais dit que la curiosité était un vilain défaut ? » Elle lui signale d'un ton sec. « T'es pire qu'un enfant », elle ajoute, avant de presser la touche entrée de son clavier pour envoyer l'e-mail. Elle se lève et pousse un soupir de fatigue après cette longue journée. D'un geste automatique, elle lisse sa jupe de tailleur avant de commencer à récupérer ses affaires sur son bureau, son sac à main rangé. « Allons-y, on est déjà en retard », elle signale, comptant bien garder enfermé dans le tiroir l'ombre de Swann.

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« Bonjour Ben, je suis ravie de te voir, tu as l’air... » Elle ne releva le regard vers lui qu’à ce moment, un sourcil désormais haussé sur le visage du jeune homme. « pas en forme » Il leva les yeux au ciel - et pensa gagner cette partie là de leur conversation en lui clouant le bec en déposant un baiser sur sa joue. Oh, cela eut au moins un des effets escomptés, puisqu’elle le fusilla du regard juste après s’être écartée de lui comme s’il était répugnant - il savait que ce n’était pas le cas. « Sérieusement, tu prends le temps de dormir ? » - « Quelques heures ici et là, ça m’arrive. » Il aurait pu mentir sur la question, mais ce n’était en rien le cas. « Rappelle-moi les effets du manque chronique de sommeil sur le cerveau ? » Levant les yeux au ciel, il eut un petit rire avant de se laisser tomber dans l’un des fauteuil qu’elle lui avait indiqué. « Ca nous pousse à faire d très mauvais choix de fréquentations. » C’était trop facile, aussi, les perches tendues se saisissaient trop facilement.

«  Peut-être que j'aurais dû être chirurgienne. Au moins les patients sont endormis et se taisent. » - « Dans ce genre de cas, ce sont les proches qui se mettent à parler encore plus si les patients peuvent pas s’exprimer. Franchement, c’est pas mieux. » Bien sur que Ben avait un excellent rapport avec ses patients et leurs proches, ce n’était pas la question - il avait une pratique presque irréprochable, il le savait, tout le monde le savait. C’était surtout qu’il exerçait pour le plaisir des connaissances et de la pratique, pas pour tailler une bavette avec ceux qui passaient sur sa table. Ou seulement si cela pouvait avoir des vertus thérapeutiques.

Scarlett reporta sa concentration sur le dernier email qu’elle se devait de traiter, pendant que lui se laissait aller à sa curiosité naturelle - qui n’était pas forcément des meilleures venues, il le savait mais ce n’était pas pour autant qu’il changerait sa façon de faire. « Mais qu'est-ce tu racontes » Il vit bien qu’elle orientait son attention dans sa direction, mais ce ne fut pas pour autant qu’il se stoppa dans son processus, ayant lu une ligne bien trop intéressante sur l’agenda de la jeune femme. « Ben ! » Le ton prêté à ses paroles avait changé, surnom presque prononcé à bout de souffle dans un élan trop brusque: elle était surprise de son comportement et de ce qu’elle trouvait sous ses yeux. Relevant les siens vers Scarlett, le dit-Ben n’eut pas le temps de faire ou répliquer quoi que ce soit cependant puisqu’elle se pencha par dessus le bureau pour récupérer son agenda - non sans refermer dans un premier temps ce dernier sur les doigts du chirurgien. « Aïe, t’es folle ! » Il retira ses mains d’un coup sec vers lui, la laissant récupérer son bien. « On ne t'a jamais dit que la curiosité était un vilain défaut ? » - « On m’a toujours dit que c’est ma plus grande qualité, en vérité. » Ce qui était, pour ici, véritablement le cas. « T'es pire qu'un enfant » Il haussa les deux sourcils d’un coup; avant de lever ses mains devant lui et d’agiter ses doigts sous le nez de Scarlett. « Tu sais combien ils valent, ces dix doigts ? T’as pas envie de les abimer. » Elle ne l’avait pas vraiment fait - mais il était vrai que ce n’était pas une bonne idée de le faire.

« Allons-y, on est déjà en retard » - « On est pressés finalement ? »

Et alors qu’elle se levait pour sortir de son bureau, elle replaça ses vêtements comme si cela était nécessaire. « T’es sublime, pas besoin d’en faire une tonne. » Il leva les yeux au ciel mais avec un sourire tiré aux coins des lèvres - amusé, moqueur, il était arrivé de cette sorte et il comptait bien garder cette attitude aussi longtemps que possible. Se levant à son tour, Ruben suivit le mouvement de la marche jusque l’extérieur du bureau de la brune. Sur le chemin, marchant à sa cadence, il se pencha quelque peu sur le côté pour que ses paroles ne soient audibles que par elle. « Me dis pas que tu te tapes Swann s’il te plait. » Pourquoi aurait-elle son prénom dans son agenda, sinon ? Alors qu’il n’était que le mari de son client ? Parce-que Ben avait essayé de faire les liens très rapidement, et il ne voyait pas pour quelle raison aurait-elle pu avoir rendez-vous avec lui. « Dis moi au moins que c’est pour le boulot et qu’il avait besoin de conseils ou quelque-chose dans ce genre là. » Jetant un regard en coin dans sa direction, il gardait son sourcil curieux haussé sur son visage.

Ruben évoque les proches des patients, prétend que “ce n’est pas mieux”, ce qui fait doucement sourire Scarlett qui sait qu’il adore être Docteur Hartfield, ce qu’elle a déjà remarqué quand il a été son tuteur à l’université et endorsé ce rôle de “sachant”. Elle a été sceptique au début, se demandant ce qu’un mec de son âge pourrait avoir à lui apprendre ; encore aujourd’hui elle se demande parfois comment il a réussi à inverser son apriori négatif. Elle ne lui dirait jamais frontalement, évidemment, mais elle doit bien avouer qu’elle a fini par le trouver assez intelligent et passionnant. Pas assez, cependant, pour justifier qu’il fouille dans ses affaires personnelles.  « Aïe, t’es folle ! » Elle a un rire jaune. « Dire à une femme qu'elle est folle après l'avoir provoquée, oh, Ruben, je ne t'imaginais pas comme ça », elle ironise avec un sourire en coin qui lui laisse le temps de se reprendre et calmer son cœur qui s'est emballé sous le coup de la surprise. Depuis qu'elle a révélé à Swann qu'elle vivait à Brisbane aussi, lors de ce fameux gala où ils se sont croisés, elle a su que cela retomberait dans les oreilles de gens comme Rory et Ruben. Mais elle a pensé pouvoir le contrôler et le faire dans ses termes. Maintenant qu'elle a eu la bêtise de réagir, elle sait que Ruben va s’y accrocher, curieux comme il est. « On m’a toujours dit que c’est ma plus grande qualité, en vérité. » Bien évidemment, se dit-elle, en levant les yeux au ciel. Lui a-t-on seulement déjà rapproché quelque chose, à ce golden boy ? Cela n’empêche pas Scarlett de lui tirer l’agenda des mains sans aucune douceur. « Tu sais combien ils valent, ces dix doigts ? T’as pas envie de les abimer. » Une nouvelle fois, Scarlett lève les yeux au ciel. « Continue à fouiller dans mes affaires, et tu verras ce que je fais de tes doigts », dit-elle, retournant à son mail pour le finir avant d’éteindre son ordinateur, prête à partir et à, elle l’espère, changer de sujet de discussion.

« T’es sublime, pas besoin d’en faire une tonne. » Une nouvelle fois, Scarlett fusille Ruben du regard - parce qu’elle n’aime pas recevoir de compliment si frontalement, n’aime pas qu’il le fasse avec son air mesquin de celui qui sait qu’il embête, n’aime pas que cela pourrait presque l’amuser elle-même. « Nina a tellement de chance d’être avec un homme qui sait faire de si beaux compliments », elle réplique en secouant la tête.

Ils sortent de son bureau ensemble, remonte l’open space où quelques employés sont encore la tête plongée dans leurs ordinateurs. Scarlett est fière de recruter des gens aussi ambitieux qu’elle, qui savent s’investir comme il faut, quand il le faut. Elle déteste les gens qui comptent leurs heures et voient le travail comme la seule façon d’avoir un salaire à la fin du mois - ils ne sont animés par aucune passion et aucune motivation, et n’ont pas leur place à Tried & True PR. « Me dis pas que tu te tapes Swann s’il te plait. » Glisse Ruben dans un murmure à son attention, et elle pousse un soupir excédé. « Ne le dis pas à Rory », elle répond du tac au tac, sans même le regarder, son visage sérieux trahissant à peine sa plaisanterie. Elle n’a pas envie de récompenser la curiosité déplacée de Ruben en lui donnant une vraie réponse et pourtant, elle sait très bien qu’il ne lâchera pas l’affaire. Après tout, il n’a pas menti, il est quelqu’un de curieux et d’intéressé, et cela est habituellement un trait que Scarlett apprécie, elle qui déteste les gens passifs et désintéressés - mais elle préfère quand la curiosité de Ruben ne se porte pas sur elle et sa vie personnelle. Il la connaît assez pour la savoir pudique, mais cela ne l’arrête pas toujours. « Dis moi au moins que c’est pour le boulot et qu’il avait besoin de conseils ou quelque-chose dans ce genre là. » Scarlett appuie sur le bouton pour appeler l’ascenseur, et pousse un nouveau soupir. « Tu sais ce que j’adore chez toi, Ruben ? » Elle demande d’un ton qui souligne l’évidente ironie de sa question. « C’est que tu n’insistes jamais quand quelqu’un n’a pas envie de te répondre. » Elle lui jette un regard en coin avant qu’ils rentrent dans l’ascenseur, déjà occupé par quelques hommes en costard.

L’ascenseur descend les quelques étages, et bientôt les voilà dehors, dans la chaleur moite des soirs d’été de Brisbane. Le restaurant est à quelques minutes à pied, et le serveur qui les accueille leur propose poliment de s’installer sur la jolie terrasse, au mobilier en bois vernis, avec des plantes vertes qui grimpent sur l’immense pergola et des bougies sur les tables. On leur apporte les cartes, et Scarlett pousse celle des vins vers Ruben, elle qui ne boit quasiment jamais, et reporte son attention sur la nourriture. Mais elle voit bien que Ruben a encore le regard pétillant, comme un enfant qui a trouvé une astuce pour faire tourner en bourrique ses parents. Elle ne coupera pas à la discussion, et décide cette fois-ci de prendre - légèrement - les devants. « Tu ne t’es jamais dit qu’avant d’être l’époux de Rory, Swann est sa propre personne, et qu’il est possible qu’il ait une vie sociale ? » Elle demande en levant un sourcil, consciente que, malheureusement, Ruben ne manquera probablement pas de relever qu’il est étonnant qu’en plusieurs années à se connaître, cette information n’ai jamais été révélée, alors que Ruben lui-même est meilleur ami avec Rory. Mais Scarlett espère, un peu naïvement peut-être, que donner un petit morceau de réponse à Ruben calmera sa curiosité et qu’il s’en tiendra là.

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« Dire à une femme qu'elle est folle après l'avoir provoquée, oh, Ruben, je ne t'imaginais pas comme ça » - « Je le fais pas par plaisir, crois moi, mais parce-que t’as perdu la tête. » Il ne le faisait même pas avec l’intention nécessaire dans la voix pour que sa réaction soit véritablement prise comme argent comptant. Simplement: il n’était pas question qu’elle abime le moindre de ses dix doigts alors que ces derniers étaient littéralement apte à faire des miracles. « Continue à fouiller dans mes affaires, et tu verras ce que je fais de tes doigts » Et s’il avait été face à d’autres personnes, Ruben aurait répliqué sans hésiter un seul instant et sans même se poser un seul instant la moindre question. Face à Scarlett en revanche, il savait que ce type de paroles pouvait se retourner contre lui - et décida d’étirer un faux sourire en guise de réponse, qu’elle ne verrait probablement pas puisque son attention était de retour sur son ordinateur et sur le dit-mail qu’elle se devait de terminer avant qu’ils ne quittent les locaux.

« Nina a tellement de chance d’être avec un homme qui sait faire de si beaux compliments » - « Elle le sait, t’en fais pas pour elle. » Si elle rentrait dans son jeu, bien sur qu’il jouerait davantage et plus fort.

Si elle évitait de jouer, c’était là en réalité qu’il sortirait ses meilleurs cartes et le moindre tout qu’il pourrait trouver en cours de route. Alors lorsqu’elle en arriva à éviter la question Swann avec presque brio - ça lui avait presque couter ses dix doigts, après tout -, lui ne perdit pas le fil de l’histoire et attendit même pas qu’ils soit sortis de l’immeuble pour repartir de plus belle sur ce sujet là. La liste des raisons pour lesquelles Scarlett pouvait avoir eu rendez-vous avec le mari de Rory se composait d’aucune valable aux yeux de Ruben, si ce n’était certaines qu’il n’avait pas envie de voir être confirmée. Alors bien sur qu’il osa la première à voix haute de façon amusée, en croisant presque secrètement les doigts à l’abri des regards pour que cela ne soit pas vrai. « Ne le dis pas à Rory » Avec surement une seconde de trop, il eut un petit rire étranglé - il aurait du voir l’amusement dans ses gestes, dans sa voix, à défaut d’avoir accès à son regard; il n’était rien de tout ça en cet instant et il était trop bien - mal - placé pour savoir que cela pourrait ne pas être une plaisanterie. Pas qu’il n’avait pas confiance en Swann concernant l’amour qu’il portait à Craine et la fidélité qu’il lui avait juré, mais simplement que lui-même renvoyait une image de gendre parfait sans en être un. Il devait y avoir une véritable explication - il ne voyait pas de réponse plus plausible à toute cette discussion. « Tu sais ce que j’adore chez toi, Ruben ? » - « Tu veux une réponse par ordre alphabétique ? » - « C’est que tu n’insistes jamais quand quelqu’un n’a pas envie de te répondre. » Le fait que les portes d’ascenseur s’ouvrirent sur eux à cet instant là évita à tous les deux une réplique de sa part qui aurait pu se trouver être de trop, pour sure sarcastique une fois de plus; il n’avait cependant pas assez d’énergie en lui pour se concentrer à la fois pour ne pas faire une crise de manique dans la cage de fer et pour répliquer quelque-chose de construit à l’égard des paroles de la jeune femme, il fallait choisir ses combats.

Heureusement, ils furent rapidement de nouveau dehors et même si l’air était épais et oppressant du à la saison en cours, c’était toujours un bonheur aux yeux de Ruben de le retrouver plutôt que l’intérieur d’un ascenseur. Le trajet ne dura que quelques minutes à pieds, temps durant lequel aucun des deux ne prononça mot - ce ne fut que lorsqu’ils furent installés à la table qui leur avait été réservée, que Ben avait retrouvé toute contenance et surtout tout curiosité qu’il reporta son regard sur la jeune femme. Devait-il relancer le sujet ou allait-elle reprendre leur discussion seule ? « Tu ne t’es jamais dit qu’avant d’être l’époux de Rory, Swann est sa propre personne, et qu’il est possible qu’il ait une vie sociale ? « Elle avait glissé la carte des vins dans sa direction, mais il ne toucherait pas au contenu de cette dernière - il ne pouvait se permettre de boire alors qu’il n’était pas encore d’à quel point il aurait sa soirée de libre, l’astreinte n’étant jamais très loin de lui tomber dessus. Observant Scarlett encore un instant, et de façon bien plus douce qu’elle n’avait pu le faire plus tôt avec son agenda, il tira la carte des mets de ses mains - tout en haussant un seul de ses sourcils. « Je le sais, j’ai pas besoin de me poser la question. » Il s’adossa à sa chaise, ouvrant la carte devant lui sans porter son regard sur les lignes inscrites pour le moment. Son regard restait ancré sur le visage de la jeune femme. « J’essaie juste de comprendre comment t’en es venue à avoir un rendez-vous avec lui, alors qu’il est le mari de ton client. » Il n’existait pas de règles tacites comme à l’hôpital où certaines lignes ne devaient pas être franchies avec les clients et leurs proches, surement, mais cela n’empêchait pas Ruben d’essayer de comprendre comment les choses avaient pu se construire dans cette situation.

« Je connais Swann, et j’ai du mal à me dire qu’il soit du genre à se taper quelqu’un d’autre que Rory. » Il eut un petit rire, secouant quelque peu son visage de gauche à droite en portant son regard cette fois ci sur le menu. « Ils sont bien trop amoureux l’un de l’autre pour que je puisse véritablement l’imaginer. » Il avait beau de son côté être amoureux de sa fiancée, ce n’était pas d’un même niveau: ils parlaient de Rory et Swann dans cette situation, et il n’avait jamais connu plus amoureux qu’eux c’en était presque à vomir parfois. « Mais si c’est effectivement ce qu’il se passe… » Il inspira longuement, expira pendant un temps similaire - et remonta ses yeux émeraudes dans ceux bien plus foncés de la jeune femme. « Tu me paies combien pour que j’en parle pas à Rory ? » Elle retrouverait l’éclat d’amusement singulier dans le regard de Ben, cela allait sans dire - pourtant, un voile de sérieux sur ce dernier était presque peu rassurant finalement.

« Tu veux une réponse par ordre alphabétique ? » Répond Ruben avec un sourire à la provocation. Scarlett secoue la tête. Elle se souvient de toutes les premières impressions qu’elle a eues sur les gens qu’elle rencontre, et Ruben n’est pas une exception. Elle se souvient de ses traits jeunes - parce qu’elle s’est dit qu’il était trop jeune pour être un tuteur - et de l’avoir immédiatement trouvé insupportable par son attitude de professeur et petit prodige avec le cœur sur la main. (Il convient peut-être de préciser que, elle l’admet, Scarlett trouve toutes les personnes qu’elle rencontre insupportables au premier abord.) Mais après avoir appris à connaître Ruben, elle a réalisé que, comme souvent, elle ne s’est pas trompée dans son intuition : Ruben est insupportable. Ce qu’elle n’a pas anticipé, néanmoins, c’est qu’il est le genre de personnes insupportables qu’elle apprécie. Sa vivacité d’esprit, son humour et sa franchise font de lui l’une des rares personnes que Scarlett aime appeler pour dîner ensemble après une longue journée de travail.

Ils s’installent tranquillement au restaurant, l’air toujours pétillant entre eux, une vague éléctricité logée dans leurs gestes. Ruben est trop curieux pour s’en tenir au bout que Scarlett lui jette, elle le sait, elle a eu l’erreur stupide de trop réagir à la mention de Swann. Non seulement Ruben n’est pas stupide, mais il n’a surtout pas l’habitude de voir Scarlett déstabilisée, ne serait-ce que pour quelques secondes. C’est pour ça qu’être proche de quelqu’un insupporte Scarlett, se dit-elle. Ils finissent toujours par trop vous connaître. Pire encore, ils peuvent se comporter comme Ruben et vous lancer un regard adouci, comme pour proposer une trêve de quelques minutes. « Je le sais, j’ai pas besoin de me poser la question. » Il ne détourne pas le regard quand il s’appuie sur la chaise et ouvre le menu du restaurant. Son attention est sur Scarlett, son sourire légèrement inquisiteur, et Scarlett n’a pas envie de prétendre que la longue liste de poisson frais l’intéresse. Plus elle aura l’air de vouloir éviter la conversation, et plus Ruben ira dans la brèche. « J’essaie juste de comprendre comment t’en es venue à avoir un rendez-vous avec lui, alors qu’il est le mari de ton client. »  « Encore une fois, qui a dit qu’il était seulement le mari de mon client ? » Elle commente, un sourcil levé. Elle sous-entend bien entendu qu’elle le connaît autrement, mais choisit à nouveau de ne pas offrir de détail sur ce qu’elle décrit. Elle baisse les yeux un instant et décide rapidement ce qu’elle désire dîner - elle n’a jamais été de ceux qui sont indécis, ni au restaurant, ni dans son quotidien.

« Je connais Swann, et j’ai du mal à me dire qu’il soit du genre à se taper quelqu’un d’autre que Rory. » Cette fois-ci, Scarlett a un petit rire, parce que l’idée lui paraît aussi improbable. « Difficile à imaginer, n’est-ce pas ? » Elle ajoute, continuant à ne donner aucune clarification. « Ils sont bien trop amoureux l’un de l’autre pour que je puisse véritablement l’imaginer. » Ils sont effectivement le couple le plus insupportablement mignon que Scarlett connaît - elle ne les a pourtant vu ensemble qu’au gala où elle a croisé Swann, mais elle a vu comment Rory le regarde, et comment il a parlé de Swann pendant les déjeuners pourtant professionnels qu’il a pu avoir avec Scarlett. Dans ces moments, on dirait que ses yeux sont faits d’or liquide. « S’ils n’étaient pas aussi mignons, ça en serait presque insupportable, toute cette niaiserie », réplique Scarlett.

« Mais si c’est effectivement ce qu’il se passe… » Continue Ruben d’un ton cérémonieux. « Tu me paies combien pour que j’en parle pas à Rory ? » Elle lève les yeux vers lui. Il a cet éclat mesquin dans les yeux, mais pendant quelques secondes, une ombre passe. Comme s’il hésitait, une milliseconde, sur la plaisanterie. « Mais qui te dit que Rory n’est pas déjà au courant ? » Elle répond. Et c’est vrai. Simplement, pas tout à fait comme Ruben se l’imagine. Elle redresse ses épaules, et ne cille pas lorsque ses yeux se plongent dans ceux de Ruben. « Cela date, Rory n’a plus de souci à se faire. C’était avant qu’ils se connaissent et, de toute façon, Swann est trop adorable pour moi, il l’a toujours été. » Au loin, le serveur s’approche d’autres tables, et Scarlett lui fait un signe de la main sans quitter Ruben du regard. « Mais c’est vrai que Rory n’a pas su immédiatement que son mari était le premier amour de son attachée pr. A vrai dire, Swann ne savait pas non plus. Quand il m’a connue, je ne m’appelais pas Scarlett. Difficile de faire le rapprochement, jusqu’à qu’il ne me voit et me reconnaisse physiquement. » Elle a parlé d’un ton absolument neutre et sérieux, qui pourrait cacher une plaisanterie ou la vérité, et elle est ravie d’avoir un instant le dessus avec cette annonce surprenante avec laquelle Ruben ne saura probablement pas quoi faire. Le serveur que Scarlett a appelé s’approche, et elle enchaîne, comme s’ils venaient simplement de parler de la pluie et du beau temps. « On commande ? » Elle a un sourire amusé et relève les yeux vers le serveur. « Je vais vous prendre le menu du jour, avec les sashimis de saumon, et une bouteille de San Pellegrino, s’il-vous-plaît. »

@Ruben Hartfield  

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(c): dcminions (gif), luleaby (codage).

***
« Encore une fois, qui a dit qu’il était seulement le mari de mon client ? » Il pencha quelque peu sa tête sur le côté. « C’est justement cette partie là qui m’intéresse. » Et ne cherchait même pas à prétendre le moindre contraire, ses questions étaient plutôt explicites depuis le début comme quoi il désirait savoir comment Swann s’était retourné dans l’agenda de Scarlett alors qu’à sa connaissance il n’était que le mari de son client, justement. L’idée que l’anglais ait quelconque relation en dehors de ce cadre là avec la brune face à lui lui semblait absurde, et les seules idées qui lui venaient n’étaient pas fameuses - bien que basées surement sur son propre exemple, mais cela n’avait pas besoin d’être précisé. « Difficile à imaginer, n’est-ce pas ? » - « Impossible presque, même. » - « S’ils n’étaient pas aussi mignons, ça en serait presque insupportable, toute cette niaiserie » Bien sur que cela arracha un rire sincère et amusé à Ruben, qui l’exprima ç gorge déposée sans se cacher. « C’est insupportable. Crois moi, je les supporte depuis longtemps maintenant, je sais de quoi je parle. » Mais c’était dit ici avec la plus grande des tendresses et le plus adorable des regards. C’était insupportable, certes, mais c’était la chose la plus mignonne qui lui ait été donnée de voir - et les deux méritaient tout cet amour qu’ils éprouvaient l’un pour l’autre.

Cela ne répondait pourtant toujours pas à la question initiale de Ruben - et il n’avait pas l’intention de laisser cette dernière être happée dans une autre conversation parce-que cela semblait être plus arrangeant pour Scarlett. Il était curieux, assumait ce trait de caractère sans s’en cacher - et surtout, il avait réellement envie de savoir ce qu’il devait faire de cette information qui n’en était même pas véritablement une. « Mais qui te dit que Rory n’est pas déjà au courant ? » Il haussa légèrement l’un de ses sourcils sur son visage, pencha sa tête sur le côté. « Parce-que je le suis pas. Et que je connais Rory depuis trop longtemps pour savoir qu’il m’en aurait parlé si c’était le cas. » Et surtout: il aimait bien de trop Swann pour laisser un accord de ce genre se mettre en place. Alors il y avait forcément une autre explication, et bien sur qu’il y avait une part de sérieux en lui lorsqu’il demandait si’l se devait d’ne parler à son ami. Il ne sut pas exactement si c’était qu’elle avait véritablement envie de rétablir la vérité ou si elle souhaitait simplement se débarrasser de lui, mais Scarlett finit par reprendre la parole. « Cela date, Rory n’a plus de souci à se faire. C’était avant qu’ils se connaissent et, de toute façon, Swann est trop adorable pour moi, il l’a toujours été. » Swann n’était compatible qu’avec Rory de toutes façons, ce n’était même pas une question - tout autre personne n’était pas assez adorable pour l’un, l’autre ou les deux. « Mais c’est vrai que Rory n’a pas su immédiatement que son mari était le premier amour de son attachée pr. A vrai dire, Swann ne savait pas non plus. Quand il m’a connue, je ne m’appelais pas Scarlett. Difficile de faire le rapprochement, jusqu’à qu’il ne me voit et me reconnaisse physiquement. » Elle lui décrivait la situation comme si elle lui racontait son dernier week-end à la plage, et une partie de Ruben fut fasciné de la regarder faire - mais il n’en dirait rien, autant parce-que ce n’était pas pertinent dans leur conversation que parce-qu’il était resté un brin en arrière sur un autre élément.

« On commande ? » Elle ne lui laissait ni le temps ni le choix d’agir autrement. « Je vais vous prendre le menu du jour, avec les sashimis de saumon, et une bouteille de San Pellegrino, s’il-vous-plaît. » - « Je vais prendre la même chose qu’elle, merci beaucoup. » Il ne releva son regard du visage de la jeune femme que pour le porter sur le serveur, un sourire de circonstance sur ses lèvres alors qu’il tendait les cartes à ce dernier.

Il n’attendit pas qu’il soit reparti bien loin avant d’enfin répondre au sujet principal de cette conversation. « Donc tu t’aies vraiment tapé Swann. » Parce-que c’était cette partie là de la conversation qui trottait dans sa tête sans qu’il puisse se débarrasser de l’image qui s’imposait à lui. C’était difficile de l’imaginer au bras de quelqu’un d’autre que Rory, mais effectivement c’était un quelque-chose qui se devait d’être arrivé. « J’en reviens pas. » Sa surprise était authentique et il ne cherchait même pas à la cacher à la jeune femme. « Premier amour en plus tu dis ? C’est incroyable. » Il ne se frottait pas réellement les mains mais l’image était facilement imaginable, puisque son sourire trahissait exactement tout ce que son comportement était restreint de montrer. Parce-que c’était là presque une mine d’or pour lui, la brune n’étant pas du genre à réellement partager des informations personnelles: il venait de taper sans le vouloir dans la fourmilière. « T’as envie de m’écraser les doigts de nouveau à combien de pourcent si je fonce dans la brèche, là ? » Il était curieux mais pas fou: il tenait à la vie tout de même, et il savait qu’elle serait capable de le ruiner sur place juste pour être sure de ne pas se faire coiffer au poteau.

« C’est insupportable. Crois moi, je les supporte depuis longtemps maintenant, je sais de quoi je parle. » Ruben ne plaisante pas, mais sa voix trahit tout de même toute la tendresse qu’il ressent pour le couple de Rory et Swann. « Je veux bien te croire », Scarlett réplique avec un sourire mesquin. Scarlett n’a jamais été une grande romantique, et trouve rapidement fatiguant les couples qui tiennent tant à prouver au monde qu’ils s’aiment. Swann ne trouve grâce à ses yeux que parce qu’elle sait que sa douceur est sincère, car elle en a été la cible, et même si cela fait longtemps, elle garde une certaine loyauté face à la patience dont il a fait preuve avec elle.

Essayant de s’amuser de la situation, Scarlett reste sur le fil, sans répondre à tout à fait à la curiosité de Ruben. Elle voudrait presque lui mettre le doute, mais elle sait qu’elle gagne simplement du temps - elle n’arrivera jamais à faire croire à Ruben que Swann ait pu tromper Rory. « Parce-que je le suis pas. Et que je connais Rory depuis trop longtemps pour savoir qu’il m’en aurait parlé si c’était le cas. » Evidemment, touché. Ruben et Rory sont le genre d’amis insupportables qui se confient tout et se soutiennent dans les épreuves, bref, tout ce que Scarlett essaie habituellement d’éviter dans son quotidien. Elle est rassurée à l’idée d’ignorer pleins de choses de la vie de Ruben, qu’il en ignore autant de la sienne aussi. Elle prend soin de ne jamais trop en dire - et quand elle y pense, Swann est probablement l’une des dernières personnes qui a eu accès à elle sans les mille murs qu’elle a érigé depuis. Et si plus de quinze ans se sont écoulés depuis, ce vertige de la vulnérabilité ne lui manque pas. Mais elle sait aussi qu’il est difficile de garder une relation sans jamais répondre aux questions de l’autre, et si elle n’a pas besoin de Ruben dans sa vie, elle est tout de même chiffonné à l’idée que sa pudeur lui fasse perdre sa compagnie. Elle décide donc de répondre vaguement sans rentrer dans les détails, et de profiter de l’effet de surprise qui est, elle doit l’avouer, assez jouissif.

« Je vais prendre la même chose qu’elle, merci beaucoup. » Demande Ruben à l’attention du serveur, ses yeux toujours un peu écarquillés. Et évidemment, à l’instant même où le serveur s’éloigne, Ruben revient à l’attaque - qui resterait de marbre à une telle annonce ?

« Donc tu t’aies vraiment tapé Swann. » Scarlett lève les yeux au ciel et pousse un soupir. « Quelle poésie, Ruben », elle siffle entre ses dents. « J’avais quatorze ans, calme toi. » Elle ne précise pas que Swann était légèrement plus âgé, l’un des “grands” dans la cour, et ne précisera absolument pas qu’en réalité, elle ne s’est pas exactement tapé Swann, puisqu’ils n’ont jamais couché ensemble. C’est d’ailleurs probablement la raison pour laquelle elle a toujours du respect pour lui : de tous les hommes qu’elle a pu fréquenter, il est le seul qui ne s’est pas laissé dicter par ses hormones. Surtout durant cette période sombre de la vie de Scarlett où elle ne supportait pas qu’un homme la touche de nouveau, avoir du contrôle sur la situation a été salvateur - bien plus que Swann ne peut se l’imaginer, puisqu’elle ne lui a jamais confié.

« J’en reviens pas. » Son visage est en effet marqué par la surprise, ce qui amuse un instant Scarlett, au milieu de l’écume des souvenirs qui remontent. Elle peut presque entendre la voix de Swann adolescent, qui l’appelle Arabella, et sentir sa main moite dans la sienne quand ils marchaient entre les barres d’immeubles. « Premier amour en plus tu dis ? C’est incroyable. » Elle secoue la tête, chasse presque le terme. « Je ne sais pas si c’est le mot qu’utiliserait Swann », elle avoue en haussant les épaules. « Et si tu lui répètes que je l’ai utilisé… Je veillerais à ce qu’on lègue ton corps à la science que tu aimes tant », elle plaisante à moitié, son ton et son regard neutres. Elle ne sait même pas pourquoi elle a eu la stupide de parler d’amour : par sincérité, pour surprendre Ruben un peu plus dans son aveu ?

« T’as envie de m’écraser les doigts de nouveau à combien de pourcent si je fonce dans la brèche, là ? » Elle fait mine de réfléchir avec un sourire poli. « Disons qu’en temps normal, l’envie est déjà assez présente, donc… » Il la cherche, il la trouve. Elle lui accorde un petit sourire sincère, parce que malgré tout, derrière sa question, il lui demande sincèrement une sorte de permission. Elle sait que derrière sa curiosité et son insolence, Ruben a toujours respecté sa pudeur. « Tu me connais assez pour savoir que je ne vais pas répondre à toutes tes questions. Mais je te connais assez pour savoir que tu vas en poser quand même. Donc vas-y. » Elle a dit cette dernière phrase avec détachement, comme pour s’assurer qu’elle a encore le contrôle sur la situation.


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« Je veux bien te croire » Qui ne pourrait croire en réalité que le couple formé par Rory et Swann pouvait être agaçant à souhait, alors que leur amour était parfait et parfois presque trop réel pour la vraie vie ? C’était pourtant le cas - et bien sur que non, le mari de son ami ne s’était pas amusé à aller voir ailleurs pendant que ce dernier avait le dos tourné. Scarlett avait beau tenter de tourner dans tous les sens ses mots pour ne pas admettre qu’il se trompait afin de le laisser mariner encore un instant et un autre, il fallait se rendre à l’évidence: il ne croirait jamais qu’elle avait une liaison avec le jeune homme.

En revanche, une autre information sortie du lot de toutes celles qu’elle mettait en avant sur la table, et c’était celle qui soulignait qu’elle connaissait déjà Swann avant d’avoir croisé la route de Rory apparemment. Les termes de cette partie là étaient encore à définir, si bien qu’il n’était pas question qu’il lâche le morceau de suite - sa première supposition revenait sur le tapis sous forme d’une affirmation désormais dans sa bouche, ce qui fit lever allègrement les yeux au ciel chez la brune. « Quelle poésie, Ruben » Il était connu pour sa dextérité, pas pour son maniement des mots, il ne fut en rien offensé. « J’avais quatorze ans, calme toi. » Il fronça les sourcils. « T’étais super jeune. » Dans sa tête et dans les idées qu’il était en train de se faire, elle était plus vieille que cela - il n’avait pas la raison de cette idée là, mais elle était dans son esprit en train de prendre sa place lorsqu’elle lui avait donné la fourchette de temps dans laquelle elle avait rencontré Swann. Surtout qu’elle désignait ce dernier comme son premier amour: ce n’était donc pas une histoire anodine qu’ils avaient vécu, et Ruben était abasourdi d’en apprendre autant en l’espace d’un temps si réduit sur la jeune femme.

« Je ne sais pas si c’est le mot qu’utiliserait Swann » - « Incroyable ? T’embrasses si mal que ça ? » Il allait finir poussé sur la route en sortant du restaurant. « Et si tu lui répètes que je l’ai utilisé… Je veillerais à ce qu’on lègue ton corps à la science que tu aimes tant » Il haussa un sourcil: même pas, sa solution à elle était plus créative et plus adaptée effectivement. « Pour ne pas connaitre les résultats qui sortiraient sur mon étude ? Hors de question. » Du gâchis de temps et de connaissances, à ses yeux.

Il revint rapidement à leurs moutons, parce-qu’apprendre comment Scarlett avait prévu de se débarrasser de lui une fois qu’il deviendrait trop insupportable n’était pas forcément la partie la plus amusante de cette conversation. Ben mourrait d’envie d’en savoir plus, de continuer de creuser dans les détails de ce fameux premier amour de l’énigmatique brune face à lui, mais bien qu’il appréciait plus que tout jouer avec les limites il tenait à ne pas franchir ces dernières; si bien que même si la formulation donnait surement envie à Scarlett de lui arracher les yeux, il avait au moins le mérite pour lui de demander la permission avant de continuer à être insupportable. « Disons qu’en temps normal, l’envie est déjà assez présente, donc… » Il fronça le bout du nez, fit une petite moue. Certes, il se doutait bien que c’était le cas, mais elle n’était pas non plus obligée de le préciser avec autant d’assurance et aussi peu d’hésitation. «  Tu me connais assez pour savoir que je ne vais pas répondre à toutes tes questions. Mais je te connais assez pour savoir que tu vas en poser quand même. Donc vas-y. » Touché; s’ils ne connaissaient finalement que peu d’informations sur le passé de chacun - bien qu’une partie de l’enfance de Ruben ait été décrite dans la biographie de son frère, si bien que certains éléments n’étaient plus autant mystérieux que cela aurait pu l’être -, ils avaient au moins appris à s’apprivoiser quelque peu à travers les années. Laissant un instant et un nouveau s’écouler sans prononcer le moindre mot, réfléchissant avec intérêt à la gestion qu’il adresserait à Scarlett en sachant pertinemment qu’effectivement, son nombre de crédit était bientôt écoulé, il finit par hausser un sourcil. « Tu dis premier amour quand t’avais quatorze ans, je vais supposer que c’est de l’époque où vous étiez tous les deux en Angleterre j’ai pas envie de perdre des crédits de question sur cette partie là et c’est pas le plus intéressant. » Il était assez perspicace en général, le petit. « Vous avez gardé contact entre temps ? Vous vous voyez encore souvent aujourd’hui ? » C’était presque léger comme type de questions: elle pourrait y répondre facilement et sans trop avoir envie de le trucider sur place.

L'amour. Voilà un mot qui ne peuple pas le quotidien de Scarlett. Ce n'est pas une émotion qui lui paraît importante, même si elle conçoit bien que ce côté, elle est plutôt une exception que la règle. Elle se rappelle l'avoir ressenti, probablement, deux ou trois  fois, avec toujours cette impression de pouvoir le contrôler, bien loin de l'imaginaire follement romantique et dévorant. Elle suppose qu'elle a aimé Swann, oui, parce qu'elle l'a rencontré à une période charnière où elle était capable d'avoir cette émotion, que cela l'intéressait - depuis, elle a trouvé d'autres priorités. Mais Swann et elle étaient trop jeunes et stupides, ils n'ont jamais osé mettre des mots sur ce qu'ils ont partagé. Scarlett suppose simplement que cela a dû compter, parce que Swann n'est pas du genre à vivre ces choses-là sans qu'elles soient importantes.

« Incroyable ? T’embrasses si mal que ça ? » Scarlett balance son pied contre la cheville de Ruben, sous la table. « Wouldn't you like to know ? » Elle siffle en secouant la tête. En réalité, leur relation n'a jamais été sur ce terrain-là, un véritable miracle compte tenu de la propension de Ruben à vouloir faire son numéro de médecin charmant à la terre entière et, elle doit l'avouer, celle de Scarlett à aimer un peu trop flirter. Mais elle n'aime pas perdre son temps avec quelqu'un en couple, et Ruben est vissée aux bras de Nina depuis qu'elle le connaît. L'une des raisons pour laquelle elle peut aujourd'hui considérer Ruben comme un... Ami, probablement, n'ayant pas eu l'occasion de le séduire et le jeter après trois semaines. Même si elle n'hésitera pas une seule seconde à écraser ses doigts s'il s'approche trop près. « Pour ne pas connaître les résultats qui sortiraient sur mon étude ? Hors de question. » Même dans leurs disputes et leurs plaisanteries, l'ambition et la passion de Ruben ne sont jamais très loin. Scarlett préférerait qu’ils discutent de son travail plutôt que de sa vie amoureuse passée, mais elle a bien compris qu’elle ne pourrait pas y couper. Elle essaie de se dire qu’elle doit bien ça à Ruben après ne s’être pas gênée pour lire la biographie de Rhett - qui comporte d’ailleurs bien peu d’informations intéressantes, sur Ruben… Ou sur Rhett, que Scarlett n’a jamais trouvé très passionnant. Les sob stories d’addicts ne l’intéressent pas.

Elle autorise donc quelques questions à Ruben se demandant ce qu'il compte choisir. « Tu dis premier amour quand t’avais quatorze ans, je vais supposer que c’est de l’époque où vous étiez tous les deux en Angleterre j’ai pas envie de perdre des crédits de question sur cette partie là et c’est pas le plus intéressant. » Elle pince les lèvres. Il est insuportablement  fin sur ce coup-là. Même si, paradoxalement, il est complètement à côté de la plaque quand il dit que ce n’est pas “le plus intéressant”. Ruben serait probablement à nouveau speechless s’il savait à quoi a ressemblé l’enfance de Scarlett. « Vous avez gardé contact entre temps ? Vous vous voyez encore souvent aujourd’hui ? » Oh, pense Scarlett, presque soulagée. On est loin des questions qui l’angoissent, rien ne mentionne son passé, au contraire. Ruben faut savoir la suite, ce qui est arrivé après leur relation. C’est beaucoup moins secret que le reste. Scarlett se détend légèrement sur sa chaise. « Aucun contact depuis, hm, 2009, 2010 ? Son nom est revenu dans mes dossiers quand j’ai pris Rory comme client il y a environ deux ans. » Pas la peine de préciser qu’elle a été plus que surprise. « Mais je ne l’ai pas recontacté. Je savais qu’on finirait par se croiser. Ce qui est arrivé en novembre, à un gala. » Elle se souvient parfaitement de la surprise de Swann, teintée de sa rancœur à l’idée que Scarlett ait attendu tout ce temps. « Je ne l’ai revu qu’une fois depuis, nous avons dîné ensemble tous les deux il y a quinze jours, comme tu as pu le voir dans mon agenda. » Elle s’en tient aux questions de Ruben et ne précise absolument rien de plus, comme à son habitude.

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Bien sur qu’elle lui donna un coup de pied qui fit écarquiller les yeux du chirurgien. « Les mains, le pied, tu veux t’en prendre à combien de mes extrémités en une soirée ? » Il n’était pas question qui se laisse faire de la sorte, surtout que ce n’était pas dans ses habitudes. « Wouldn't you like to know ? » Elle siffla en secouant la tête, mais Ruben ne put s’empêcher d’arrêter son regard un instant sur les lèvres de Scarlett, haussant un sourcil, penchant quelque peu la tête sur le côté - il essayait d’imaginer, effectivement, ce que ça ferait. « Je suis sur que je pourrais être surpris. » Et dans le bon sens du terme, évidement. Ce ne serait pas quelque-chose qu’il se permettrait - autant parce-qu’il n’était pas question de montrer que c’était là dans ses habitudes que de connaitre le gout des baisers d’autres personnes qui n’étaient pas Nina -, que parce-que même si la brune était absolument charmante il ne désirait pas l’embrasser. Dans un autre univers, ils auraient formé un duo de choc - dans cette réalité, ce n’était pas quelque-chose d’envisagée.

Et puis: il avait un sujet de discussion qui le bottait davantage que de savoir si Scarlett embrassait bien ou non, puisqu’elle lui accordait quelques questions concernant Swann. Il aurait pu taper sur bien des éléments qu’il voyait se dessiner et être à sa disposition, mais Ruben savait jouer avec les limites du jeu sans les dépasser - et s’il en venait à agir de cette sorte, c’était volontaire. Il lança des questions sur des réponses qu’il ne pouvait avoir seul. « Aucun contact depuis, hm, 2009, 2010 ? Son nom est revenu dans mes dossiers quand j’ai pris Rory comme client il y a environ deux ans. » - « Un vrai pur hasard alors. » Le monde était parfois cruellement petit. « Mais je ne l’ai pas recontacté. Je savais qu’on finirait par se croiser. Ce qui est arrivé en novembre, à un gala. » Il y avait fort à parier que Ruben ait entendu parler de ce dit-gala, mais cela ne semblait pas être une information assez importante pour qu’elle reste imprimée dans son esprit - surtout si Rory n’avait pas jugé nécessaire de l’informer de l’infirmation que Scar lui fournissait en cet instant.

« Je ne l’ai revu qu’une fois depuis, nous avons dîné ensemble tous les deux il y a quinze jours, comme tu as pu le voir dans mon agenda. » Il fit une petite moue tout en plissant le bout de son nez. « Je suis presque déçu pour le coup. » Il attrapa la bouteille d’eau que le serveur avait déposé entre temps à côté de son verre pour s’en servir un et en boire une gorgée. « Je préférais largement ma version des choses où vous aviez une liaison, lui et toi. » Il aurait eu du mal à y croire, mais c’était plus croustillant qu’une simple rencontre qui n’avait mené à rien de nouveau entre eux apparemment. « Il était ravi de te recroiser au moins ? » Il s’agissait de Swann: il y avait de fortes chances pour que la réponse soit positive, mais Ruben cherchait là où il pouvait un quelque-chose de croustillant. « Parce-qu’après tant de temps sans se voir, les choses peuvent parfois être décevantes. » Par réflexe, il recula de suite ses chevilles de la trajectoires des pieds de Scarlett - il anticipait qu’elle allait vouloir lui rappeler qu'elle n'étiat pas décevante, et bien sur qu’il serait d’accord avec elle; c’était davantage amusant de s’en moquer pour le moment, alors il prenait cette tangente là.

Chercher Ruben amuse toujours beaucoup Scarlett, notamment car elle sait qu’il a l’habitude d’être le golden boy des cercles qu’il fréquente, et qu’elle adore le remettre à sa place. Avec affection, bien sûr. Ou du moins toute l’affection dont elle est capable. « Les mains, le pied, tu veux t’en prendre à combien de mes extrémités en une soirée ? » Elle regarde la montre argentée à son poignet.  « Hm, la soirée ne fait que commencer, qui sait ? » Elle lui sourit, à deux doigts de lui tirer la langue comme une gamine qui se chamaille. Elle ne l'avouera pas à voix haute, mais Ruben fait ressortir quelque chose de stupide chez elle, un comportement presque enfantin qu’elle ne se souvient même pas avoir pu vivre, quand elle grandissait en étant le parent de sa propre mère.

C’est étrange d’y penser, alors qu’elle convoque l’adolescente qu’elle a été devant Ruben, qui s’amuse évidemment à la chercher en retour. « Je suis sûr que je pourrais être surpris. » Il répond alors qu’elle mentionne l’idée de s’embrasser. Elle pousse un soupir. Elle sait qu’ils sont sur la même longueur d’onde, de ce côté-là, une certitude qui cimente leur relation.

Ce qui surprend surtout Ruben, c’est ce fameux lien avec Swann. « Un vrai pur hasard alors. » Scarlett hoche la tête. Oui, un hasard qui semble tout droit sorti de l’imagination de quelqu’un qui a vu trop de film, probablement. Elle a l’habitude de tout, avec son métier, elle a été mise dans la confidence d’affaires qui en choquerait plus d’un. Mais c’est le nom de Swann dans son dossier qui l’a le plus prise de court, après des années dans ce métier. Elle réalise néanmoins que Ruben ne semble pas comprendre à quel point ce hasard peut être bouleversant, lui qui s’attendait à une histoire beaucoup plus rocambolesque. « Je suis presque déçu pour le coup. » « Désolée que ma vie ne soit pas le feuilleton télévisé que tu souhaitais Ruben », elle réplique, absolument pas désolée. Ruben se sert un verre d’eau, et Scarlett pousse son propre verre du bout des doigts pour qu’il la serve, murmurant un s’il-te-plaît, parce qu’elle sait pertinemment qu’il serait du genre à lui signaler qu’elle n’a pas utilisé “le mot magique”. « Je préférais largement ma version des choses où vous aviez une liaison, lui et toi. » Elle secoue la tête. « Libre à toi de te taper Swann si tu souhaites du rebondissement », elle lui signale, consciente qu’il est trop occupé à se pavaner avec Nina, sa fiancée parfaite, neurochirurgienne et soeur de son meilleur ami, le jackpot parfait. A vrai dire, Scarlett doit avouer que Nina lui plaît bien aussi, elle est ambitieuse, brillante, un peu trop amoureuse de Ruben pour ne pas être insupportable, mais une femme intéressante tout de même.

« Il était ravi de te recroiser au moins ? Parce qu’après tant de temps sans se voir, les choses peuvent parfois être décevantes. » Au moment où Scarlett s’apprête à lui renvoyer un coup de pied, elle remarque que Ruben décale ses jambes, et elle est si surprise de son reflexe instinctif qu’elle éclate de rire - un vrai éclat, plus simplement un soupir amusé - et secoue la tête. « Tu sais pertinemment que je ne suis jamais décevante, je suis surprise que tu gâches un crédit de question pour une interrogation si stupide », elle lui signale avant de porter son verre d’eau à ses lèvres, méditant sa réponse. Ruben semble plus intéressée par la relation actuelle qu’elle a avec Swann, ce qui la rassure et la détend. Ce n’est rien de compromettant. « Je ne sais pas si ravi serait le terme. Je crois qu’il a été surpris, surtout », surpris que la Scarlett Bridgers dont il entendait parler depuis des mois soit en réalité la Arabella Bridgers du passé. « Et plutôt vexé que je ne l’ai pas recontacté plus tôt. Mais ça reste Swann, il n’a jamais été rancunier, ne l’est pas devenu avec les années », elle soupire. « Au bout de dix minutes il me disait déjà qu’il m’aurait invitée au mariage s’il avait su que j’étais à Brisbane. » Elle lève les yeux au ciel, fatiguée de la gentillesse de Swann. « Tiens, tu vois, la voilà ta réponse. J’embrasse assez bien pour être invitée à un mariage après 15 ans de silence ! »


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« Hm, la soirée ne fait que commencer, qui sait ? » Alors qu’elle s’étendait en gestes lents et provocateurs, il plissa le bout du nez - il lui aurait bien tiré la langue, il savait qu’elle aussi de son côté, mais ils se tenaient dans un lieu extérieur et avaient  appris à se comporter à peu près comme des adultes, alors ils se tinrent à carreaux pour cette fois là.

La rencontre des années plus tard sur un différent continent entre Scarlett et Swann était du au hasard, et bien sur que cela rendait Ben quelque peu déçu de la tournure de cette histoire. « Désolée que ma vie ne soit pas le feuilleton télévisé que tu souhaitais Ruben » Elle n’était pas désolée, et bien sur que cela frustrait d’autant plus le docteur. Il aurait adoré discuter de cette histoire secrète avec la jeune femme pendant leur diner, mais ce serait partie remise - façon de parler, il n’avait pas envie qu’ils en arrivent un jour à ce point là, ou alors que ce soit pour discuter une fois de plus des aventures de Scarlett et non des siennes. A son murmure d’un s’il te plait, il ne cherchait pas à chipoter sur ce détail là pour une fois et rempli également son verre tout en continuant la conversation. « Libre à toi de te taper Swann si tu souhaites du rebondissement » A ces mots là, il ne put s’empêcher d’avoir un rire franc. « Oh, Scarlett. » Il secoua quelque peu sa tête de gauche à droite; officiellement, il n’était même pas question qu’aux yeux du reste du monde que la moindre des paroles qu’il allait prononcer puisse être rattacher à ses activités extra-scolaires. « Tu paris pas sur le bon mari pour moi, si tu penses ça. » Mais les mots qu’il énonçait là étaient de notoriété commune, donc il ne se mouillait pas trop. « Je te laisse Swann, promis. »

Bien sur qu’il était un peu idiot de temps en temps mais pas totalement fou, raison pour laquelle il poussa ses jambes avant même qu’elle n’ait l’occasion de lui redonner un coup de pied - un seul suffisait. Ben ne fut pas aussi discret qu’il aurait pu l’être, puisqu’elle s’en aperçut et que cela lui tira un rire franc - bien sur qu’il étira un sourire amusé dans la foulée pour le coup. « Tu sais pertinemment que je ne suis jamais décevante, je suis surprise que tu gâches un crédit de question pour une interrogation si stupide » - « Je pose les questions auxquelles je peux avoir des réponses, nuance. » Il haussa un sourcil dans sa direction; il avait appris et était formé à lire les indices présents à portée de regard et de main, il avait bien compris quelle partie de leur conversation lui serait interdite d’accès s’il tentait d’y entrer. « Je ne sais pas si ravi serait le terme. Je crois qu’il a été surpris, surtout. Et plutôt vexé que je ne l’ai pas recontacté plus tôt. Mais ça reste Swann, il n’a jamais été rancunier, ne l’est pas devenu avec les années » Il dodelina quelque peu de la tête; sur ce point là, il n’avait aucun argument à avancer puisque Swann resterait Swann effectivement et qu’il n’était même pas surpris de ce qu’elle avançait là tout comme il ne le fut pas de ses paroles suivantes. « Au bout de dix minutes il me disait déjà qu’il m’aurait invitée au mariage s’il avait su que j’étais à Brisbane. Tiens, tu vois, la voilà ta réponse. J’embrasse assez bien pour être invitée à un mariage après 15 ans de silence ! » Ce fut au tour de Ruben d’avoir un rire franc et sincère, de ceux qui vous faisaient pencher un brin la tête en arrière et vous faisaient souffler quelque peu par la suite. « J’aurais pas été mécontent de te croire au mariage, pour de vrai. » Il avait passé une soirée à peu près correcte, mais elle ne rentrait pas dans les dix meilleures de l’année malheureusement; il aurait voulu que ce soit le cas, au moins pour ses amis, mais il ne pouvait pas aller jusque là.

Attrapant ses baguettes et un sushi entre ces deux dernières, il reprit une expression un brin plus sérieuse lorsqu’il posa sa question suivante à Scarlett - assez pour qu’elle ait le temps de se demander quelle serait sa prochaine question, juste pour l’embêter. « Et toi, ça t’a fait quoi de le revoir après tout ce temps ? » Il y avait de fortes chances pour qu’elle passe cette question là, alors il enchaîna avec une autre pour ne pas perdre de temps ni de crédit - ou qu’elle plie définitivement la discussion. « Et t’as d’autres de mes amis dans ton cercle privé ou c’était le seul que tu cachais ? » Là, la question était plus innocente.

« Oh, Scarlett. Tu pas sur le bon mari pour moi, si tu penses ça. » Le coin des lèvres de Scarlett se soulève, un sourire discret à l’idée d’imaginer Swann et Ruben ensemble. Même si elle n’a pas été en contact avec Swann pendant quinze ans, elle ne peut pas l’imaginer avec quelqu’un d’autre que Rory. Pour Ruben et Nina, c’est légèrement différent. Leur amour est évidemment palpable, mais leurs égos aussi, et Scarlett se demande toujours comment leur couple fonctionne avec ces éléments. Elle a l’impression que Ruben aime plus son travail et le fait que Nina l’aime, peut-être, qu’il ne l’aime elle - ce n’est pas un reproche dans l’esprit de Scarlett, plutôt une constatation qui lui rappelle son propre rapport au couple qu’elle ne sait pas être toujours fonctionnel. Mais elle doit bien avouer que Ruben semble comblé par Nina, et vice versa, et elle leur souhaite tout le bonheur du monde, ou du moins, tout le bonheur qu’une future vie maritale peut apporter. C'est-à-dire un bonheur assez limité aux yeux de Scarlett. « Je te laisse Swann, promis. » « Laissons-le à Rory et n’en parlons plus  », elle propose comme un trêve, revenant à leur conclusion initiale sur ce couple si parfait qu’il en était insupportable.

Ils en reviennent aussi au sujet qui intéresse le plus Ruben, le lien mystérieux qui unit Swann et Scarlett. Il la questionne sur leurs retrouvailles, avec finesse. « Je pose les questions auxquelles je peux avoir des réponses, nuance. » Scarlett lève les deux mains, comme pour plaider coupable, lâchant un petit tsss entre ses dents qui a tout l’air d’un touché qu’elle accepte de reconnaître. Le respect que Ruben témoigne envers sa pudeur la met à l’aise et la pousse à être légèrement plus honnête qu’elle ne le serait habituellement, racontant à Ruben la surprise de Swann, et son invitation rétroactive au mariage qui ne manque pas d’amuser Ruben, qui l’aurait visiblement souhaité au mariage aussi. Scarlett devrait en être touchée, mais c’est exactement ce qu’elle cherche à éviter : hors de question de commencer à être dans le “cercle” des Craine et leurs satellites comme Ruben. Elle aime sa vie compartimentée, ses connaissances ne se mélangent pas, elle a des groupes pour des raisons spécifiques, voit beaucoup de ses relations comme transactionnelles, un deal qui lui convient parfaitement. Elle se demande vaguement quelle transaction s’opère entre elle et Ruben, qui justifie qu’ils passent au fur et à mesure des années autant de temps ensemble, mais ne veut pas s’y attarder.

Les sushis arrivent, ils commencent à manger, mais pas avant que l’air de Ruben s’assombrisse, faussement dans la réflexion, et Scarlett pousse un nouveau soupir. « Crache le morceau, Ben », elle commente avant de croquer dans le saumon cru et de sentir le wasabi se coller contre son palais. « Et toi, ça t’a fait quoi de le revoir après tout ce temps ? » Elle hausse les épaules, l’air détachée. Mauvaise pioche de question, se dit-elle. Mais étonnement, Ruben enchaîne immédiatement. « Et t’as d’autres de mes amis dans ton cercle privé ou c’était le seul que tu cachais ? » Elle rêve ou il lui offre une porte de sortie ? Elle plisse les yeux. « Hmmm, eh bien comme tu le sais, Rhett est mon meilleur ami depuis dix ans, et Nina mon ex petite-copine, mais à part ça, je crois que c’est tout », elle commente avec un sourire. Elle est particulièrement amusée à l’idée d’imaginer être l’amie avec Rhett, car même si Ruben peut se montrer tout aussi pudique qu’elle, il n’est pas difficile de deviner que la fraternité Hartfield est un lien particulier et mouvementé. Elle réfléchit quelques secondes, et décide d’ajouter : « Et ça ne m’a rien fait de le revoir. » Elle ment droit dans les yeux de Ruben, consciente qu’il ne sera pas stupide, qu'il n'est pas difficile de comprendre que si elle n’a pas recontacté Swann pendant deux ans où il était sous son nez, c’est qu’elle a ses raisons. Mais elle se dit qu’il la laissera mentir. « Je préfère que le passé reste le passé », elle ajoute. « Mais de tous les fantômes de Londres, Swann est sûrement le plus plaisant. C’est une bonne personne. » Elle inspire. C’est déjà presque trop pour elle. « Et c’est tout ce que j’accepte de dire. Du reste, je refuse de parler sans la présence de mon avocate », elle plaisante, piquante mais refermant tout doucement la porte qu’elle a un peu trop ouverte à son goût.


@Ruben Hartfield