Il n’y a rien dans cette histoire que j’aurais choisi volontairement. De briser le coeur d’Ezra, de faire du mal à Noah, de ne plus reconnaître Auden, de détester la nouvelle version de l’homme de ma vie. « Promis, ça l’est pour de vrai. » divorcer à nouveau et pour vrai, non pas pour casser un mariage forcé, est au-delà de tous les scénarios catastrophes que j’aurais pu inventer pendant mes pires moments de panique. Pendant mes pires crises d’anxiété. Et pourtant, lorsque j’explique en quelques mots la situation à Ezra, tout fait du sens. Auden ne m’aime plus. Je n’aime pas la version que je suis, devant lui. Ezra n’a pas tort, lui qui a un pas de recul - et quelques années de haine entre les dents. Il ne me donne pas l’impression de se réjouir de l’état des choses non plus. Mais son calme et son objectivité font du bien, font changement des hauts et des bas en dents de scie par lesquels je navigue depuis que je suis revenue ici.

C’est probablement ce pourquoi le ton baisse d’un cran. Les regards se font plus doux, plus avenants. La professeur n’est pas encore revenue et c’est tant mieux. Cette conversation a mis bien trop de temps à avoir lieu et maintenant, elle me donne l'impression d’un antidote et non d'un poison. Loin des adieux. « Tu seras jamais vraiment seule seule, Gin. » la chaleur qui vient prendre la place du vide glacial et permanent au fond de mon ventre me prend de cours, je perds une seconde le souffle. Bien sûr, qu’il ne disparaîtra pas. Bien sûr que tout ça, c’est temporaire. Mais il ne peut pas se surprendre de me voir le prendre tout sauf pour acquis. J’ai bien assez merdé pour savoir que mon retour ne signifie pas qu’on m’accueille de nouveau à bras ouverts peu importe où je remets les pieds. « Je comprends où tu veux en venir, mais t’auras quand même toujours du monde à tes côtés. » le sous-entendu soulage, Ezra n’aurait même pas besoin de se justifier plus que cela. Mais un Beauregard étant un Beauregard, il va jusqu’au bout de sa pensée. « Je suis en colère parce-que j’ai peur pour Noah, et que j’ai été triste. Mais t’es pas non plus abandonnée si tu le lâches lui. » dans quelques mois, on analysera le tout. On se dira qu’on a été tellement nuls, qu’on a géré nos disputes comme des idiots et non comme des adultes. Pour l’instant, je nous trouve beaux. Maladroits, mais incroyablement doux.

« Je t’aime. » que je m’entends lui répondre, comme s’il s’agissait d’une vieille évidence trouvée au fin fond d’une encyclopédie qu’on n’avait pas sortie de ses tablettes poussiéreuses depuis des années. « Je te l’ai pas dit depuis tellement longtemps. » le sentiment a changé, évolué, grandi, il s’est modulé. Reste que j’ai toujours aimé la personne qu’était Ezra. Aimé celle que j’étais devant lui, aussi. Avoir réalisé que l’inverse était le cas avec Auden rend les choses plus claires. Plus simples.

Dans le couloir, des pas puis un grincement sur la poignée de la porte semblent indiquer qu’être grondés dans le bureau du proviseur fini toujours par se terminer. « Je pense que c’est maintenant qu’on doit retourner chacun à nos vies. » un sourire vif passe sur mon visage, dessine deux fossettes dans mes joues. « Sois en colère, sois triste, sois ce que tu veux. » mes yeux trouvent les siens, ma voix n’accuse en rien, glisse seulement. « Mais il faut que tu saches que je ne partirai plus jamais. » Ezra aura tout le droit de me croire ou non, d’attendre des preuves ou de sauter à pieds joints dans cette promesse-là. « J’ai plus envie. De fuir. » mais c’est important pour moi qu’il l’entende. Que je me l’entende dire.