let me be your anchor
@Faith Palmer + Autumn Galloway

Tu ne sais pas trop comment tu te sens, maintenant que tu as enfin quitté l’hôpital. Tu pensais que de ne plus avoir à regarder les murs blancs t’apporteraient un soulagement certain, mais la vérité est que tu es incertaine maintenant que tu as retrouvé ta vraie vie. Cette vraie vie qui ne ressemble en rien à celle que tu as laissé derrière, il y a six mois à peine. Si tu refuses de te replonger dans les évènements qui ont tout déclenché, cette soirée qui a précédé ton hospitalisation, tu ne peux t’empêcher de ressentir maintenant plus que jamais l’absence de Kieran, ce départ que tu aurais dû voir venir à des kilomètres à la ronde, mais que tu n’arrives toujours pas à accepter. Il y a cette rage qui bouille au fond de ton être, celle que tous les spécialistes autour de toi te forcent à extérioriser d’une manière saine, mais tu ne sais pas comment, et honnêtement, tu n’es pas certaine d’en avoir envie. Parce que tu lui en veux tellement, à Kieran, de t’avoir abandonné à ce moment précis, alors que tu avais besoin de lui plus que jamais. Tu lui en veux d’avoir disparu dans la nature, ne t’offrant qu’une lettre avec des explications bancales et des adieux que tu ne veux pas accepter. Tu lui en veux d’être lâche, oh si lâche, et tu ne sais pas de quoi tu rêves le plus après plusieurs mois à devoir te faire à l’idée : le retrouver, ou te venger.

Dans l’immédiat toutefois, tu ne peux faire ni un ni l’autre, alors tu tentes de faire ce que ta psychiatre t’encourage à faire depuis des mois : te concentrer sur ce que tu peux contrôler. Tu peux contrôler comment réagir à la nouvelle de ta mère, celle qui t’ordonne de ne plus rentrer en contact avec Faith, celle que tu considères pourtant comme ta tante depuis des années. Tu as essayé de lui tirer les vers du nez, mais ta mère refuse de s’étendre sur le sujet, donc tu contrôles la situation en te dirigeant directement à la source. Tu ne l’as pas dit à tes parents parce qu’ils ne comprendraient pas – comme ils ne semblent jamais en mesure de te comprendre – mais il te faudrait une raison extrême pour tourner le dos à Faith. Même avant ton hospitalisation, même avant cette descente aux enfers qui semble être tienne depuis des mois, des années peut-être, elle semblait te comprendre mieux que quiconque, mieux que tout ceux qui juraient être tes proches pourtant et tu as besoin d’elle. Quelque chose te dit qu’elle aussi, a besoin de toi. Tu ne pourrais pas l’expliquer, tu ne sais pas le pourquoi, ni le comment, mais c’est un pressentiment que tu ne peux secouer depuis cette discussion cryptique avec ta mère. La distance entre Toowomba et Brisbane n’est pas longue, et tu tais toutes tes pensées sous une playlist qui t’amène à chanter d’un bout à l’autre de la ville. Ce n’est pas une solution permanente, mais tu te sens un peu plus légère après ta séance karaoké improvisée, préférant arriver chez ta tante avec un semblant de sourire qu’une humeur misérable. Quelques coups contre la porte laissent entendre ton arrivée, et quand la silhouette de Faith apparaît une fois la porte ouverte, il te suffit d’un coup d’œil porté sur elle pour savoir que ton pressentiment ne t’avait pas trompé. « Coucou tata. » que tu souffles, utilisant ce surnom que tu utilisais pour elle lorsque tu n’étais qu’une gamine. « T’as un peu de temps pour moi? » que tu lui demandes, plaçant une boîte de beignes entre vous. S’il y a une chose que ta mère a instillé en toi, c’est de ne jamais te présenter chez autrui les mains vides.

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Faith Palmer + @Autumn Galloway

Les trois derniers mois avaient été un horreur. Faith avait coulé profondément suite au décès de Noah pour tenter de refaire surface par la suite. Si elle était déjà alcoolique, elle avait laissé son vice prendre possession de sa vie complètement jusqu’à frôler l’urgence. Elle s’était complètement refermée, refusant l’aide à laquelle elle aurait eu droit, espérant même que Noah vienne la chercher. N’étant pas capable de commettre elle-même l’irréparable, elle avait prié pour que sa consommation d’alcool mette fin à sa vie, recommençant à boire lorsqu’elle ouvrait les yeux et constatait qu’elle était encore sur terre. Son mari lui demandait de se pardonner à elle-même pour les dernières années, pour son incapacité à mettre un enfant au monde, mais elle en était incapable. Il était parti avec la dernière petite partie de vie qui la retenait encore. La douleur qu’elle ressentait partout dans son corps était insupportable. Puis, un matin qu’elle s’était levée avec un marteau piqueur qui cognait dans le fond de sa boîte crânienne, elle entendit vit sur son facebook une publicité des alcooliques anonymes. Comment avait-elle fait pour se lever et se rendre au meeting ? Elle n’en avait aucune idée. Le 8 mars 2020 avait été le premier d’une série de plusieurs autres. Elle essayait de garder en tête les paroles que les gens des AA, qu’elle méritait de vivre et qu’elle méritait de s’en sortir, mais c’était souvent plus facile à dire qu’elle a fait. On était un peu plus de la mi-mars. Elle avait déjà une rechute à son actif, mais elle essayait. Elle essayait tellement fort. Elle devait le faire pour Noah. Elle devait le faire pour tous ses petits anges au ciel.
Ce matin-là, elle s’était levée avec l’impression qu’un camion lui avait passé sur le corps. Trois jours qu’elle n’avait pas touché à l’alcool, le compte étant retourné à zéro lorsqu’elle avait laissé une bouteille de vin gagner. Les symptômes de sevrage étaient difficiles à gérer. Elle avait des douleurs physiques qui lui donnaient constamment envie de reprendre la bouteille pour avoir quelques minutes de répits. Elle se dirigea difficilement vers la salle de bain, prit le temps de s’arrêter devant la chambre qui devait être celle de leur futur enfant, mais qui fut plutôt le berceau de la tragédie, posa son front contre la porte close et ferma les yeux quelques instants avant de continuer son chemin. Lorsque son regard croisa le miroir, elle constata à quel point elle avait l’air d’une épave. Ses traits étaient creusés, ses yeux bordés de cernes foncés. On pouvait lire dans son visage tout le poids de sa souffrance. Elle s’épongea avec une débarbouillette d’eau froide pour essayer de se réveiller, sans voir de réel résultat. Elle prit une grande inspiration et entendu des coups portés à sa porte. Pendant quelques secondes, il lui passa à l’esprit qu’elle n’irait pas ouvrir, que la personne devant son appartement finirait par quitter. Elle prit toutefois son courage à deux mains et tourna la poignée. « Coucou tata. » Autumn. Celle qu’elle considère comme sa nièce et même comme sa fille se tenait devant elle alors qu’elle la croyait encore à l’hôpital. Faith n’avait pas trouvé le courage depuis le décès de Noah pour lui rendre visite, ni même lui donner un coup de téléphone. Celle pour qui elle avait toujours accepté de faire des efforts, limiter sa consommation avant de lui rendre visite était devant elle et maintenant, le coeur de la quinquagénaire battait à tout rompre. « T’as un peu de temps pour moi? » Elle attrapa la boîte de pâtisserie qu’elle lui tendait, fit un signe de tête et céda sa place pour la laisser entrer. Comment ferait-elle pour lui annoncer que Noah était parti ? Qu’il avait décidé de s’accrocher à ce crochet plutôt qu’à la vie ? Faith n’avait pas eût la force de contredire les parents de la jeune femme lorsqu’il lui avait imposé de ne pas l’avertir pour ne pas retarder sa sortie de l’hôpital, mais elle se retrouvait maintenant avec le fardeau et elle n’était pas prête pour ça.  « Tu es sortie depuis quand ? » Elle se dirigea à l’évier aussi rapidement que son corps le permettait. Elle se fit couler un verre d’eau froide pour tenter de chasser la sécheresse qui s’était installée dans sa gorge.  « T’es parents sont au courant que tu es ici ? » Faith était convaincue du contraire. Après la crise que la mère d’Autumn lui avait faite au funéraille de Noah, la manière dont elle lui avait dit qu’elle ne voulait plus que sa fille soit en contact avec elle, elle savait que ses parents seraient contre tout contact.

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@Faith Palmer + Autumn Galloway

Tu n’as pas besoin de l’observer longtemps pour savoir que quelque chose ne va pas. Tu ne dirais pas que tu as un don ou quoique ce soit, mais tu as toujours été plutôt douée pour remarquer la misère des autres. Peut-être parce que tu es si familière avec cette dernière, comme une présence éternelle dont tu ne peux défaire et tu ne peux que la reconnaître chez les autres, surtout ceux qui te sont proches, ceux à qui tu tiens. Faith est parmi ceux-là, haute sur ta liste, sans doute parce que tu t’es toujours sentie bien plus comprise par elle que par tes propres parents. Parce qu’elle a une oreille attentive que tu n’as jamais su retrouver chez ta mère, parce qu’elle a une épaule soutenante plus forte que celle de ton père et qu’elle est capable de garder tes secrets, tes craintes et tes peurs plus facilement que ton frère, peu importe à quel point tu fais confiance à Owen. Tu es instantanément sur tes gardes, cherchant à comprendre ce qui peut expliquer pourquoi elle te semble si pâle soudainement. Pourquoi il manque un certain éclat dans le fond de ses yeux. Tu te demandes pourquoi elle n’est jamais venue te voir à l’hôpital non plus. Tu lui en voudrais presque, si tu n’étais pas si inquiète pour elle. Elle te débarrasse des pâtisseries que tu lui as apporté, mais plutôt que de te serrer dans ses bras comme elle le ferait normalement, t’offrant plutôt un simple hochement de la tête pour entrer dans l’appartement avant de refermer la porte derrière toi. « Tu es sortie depuis quand? » qu’elle te demande, avant de te tourner le dos et de se rendre à la cuisine. Tu as l’habitude de faire comme chez toi, alors c’est exactement ce que tu fais, laissant tes chaussures à l’entrée avant de suivre ta tante, continuant de la dévisager, un air inquiet sur ton visage. « Ça fait deux semaines. » que tu lui avoues sans trop en dire, la dernière chose que tu as en tête étant tes propres nouvelles. Pour une fois, tu n’as pas envie de parler de l’hôpital, de la bouffe immangeable, des millions de sessions de thérapie, de ta rupture et de tout ce qui s’est passé juste avant. Tu ne fais que ça, parler de toi depuis six mois, et tu as besoin d’une pause. « Tes parents sont au courant que tu es ici? » Ah. Donc de toute évidence, peu importe les raisons que tes parents pensent qu’ils ont pour te tenir éloignée de Faith, il s’est passé quelque chose entre eux. Une chicane peut-être, ou tu ne sais pas quoi. Rien qui ne te concerne vraiment, du moins, c’est ce que tu veux croire. Tes parents ont toujours eu cette tendance à exagérer, à créer des problèmes là où il n’y en a pas vraiment. À juger les autres, à toujours voir les défauts sans jamais chercher plus loin. « Non, ils m’ont dit qu’ils ne voulaient plus que je te voie. » Ça ne sert à rien de lui mentir, si Faith pose la question, c’est qu’elle a déjà une idée de la conversation que tu as pu avoir avec tes parents. « Je leur ai demandé pourquoi, mais ils ont rien voulu me dire, alors je me suis dit que toi, tu me le dirais. » Parce que Faith ne te fait pas de cachette. Parce qu’elle ne se cache pas derrière des secrets et des jugements ou toute autre chose comme peuvent le faire tes parents, et c’est exactement de ça dont tu as besoin en ce moment. Mais par-dessus tout, tu as besoin de savoir pourquoi elle a l’air si mal en point. Si fatiguée. Si triste. Est-ce que cela peut être en lien avec ce qui s’est passé avec tes parents? Tu as du mal à croire qu’ils puissent avoir tant d’influence sur ta tante, même si tu sais qu’elle a un cœur d’or, à toujours vouloir le meilleur pour autrui, à défaut d’être en mesure de se l’offrir à elle-même. « Qu’est-ce qui se passe tata? T’as pas l’air bien. » Elle te semble encore plus pâle que lorsque tu es entrée dans l’appartement, tu ne peux t’empêcher de craindre qu’elle ne perde connaissance devant toi et même si tu viens de passer six mois dans un hôpital, tu n’as pas la moindre idée de ce que tu devrais faire si cela venait à arriver. « Assieds-toi, s’il-te-plaît. » Tu tires une chaise et l’aide à y prendre place, ta main s’installant sur son épaule pour lui rappeler que tu es là. Tu es là et elle peut tout te dire.