Si l’événement avait été tragique, il avait été l’occasion pour Atlas ainsi que le reste de la famille Siede de réaliser qui était réellement là, ou qui l’était par simple facilité. Et malgré ce qu’il était possible de reprocher à Gayle - son autorité, son manque de patience et sa soif de pouvoir notamment - fort était de constater qu’elle était l’une des rares qui étaient restés aux côtés d’Atlas. Alors même si Lewis devait admettre qu’elle lui faisait toujours un peu peur tant ses réactions étaient parfois impossible à anticiper, il avait appris à apprécier cette grande blonde charismatique et à comprendre pourquoi Atlas la considérait comme une réelle amie. Et évidemment, si elle n’était pour lui qu’une connaissance qu’il croisait depuis qu’il était enfant, le lien avait évolué quand Atlas était entre la vie et la mort. Il n’était pas sûr si elle avait vu en lui le petit frère qu’elle n’avait jamais eu, mais Gayle s’était adoucie, l’autorisant à lui confier toutes ses craintes et ses peurs et juste comme ça, elle avait montré une facette de sa personnalité qu’elle ne montrait probablement à personne. Pas de la faiblesse, comme elle l’aurait pensé, mais une compassion qui faisait d’elle une femme encore plus forte que ce qu’elle montrait déjà au monde. Mais s’il ne se dépêchait pas, elle redeviendrait la pire version d’elle-même parce qu’il serait en retard et elle était bien la seule qui le faisait prendre conscience du temps qui filait.

« C'est pas trop tôt. J'sais quoi t'acheter pour ton anniversaire »
« Parce que tu me fais des cadeaux toi maintenant ? »

C’était tout un tas de rencontres qui avait changé Lewis, et Gayle faisait définitivement partie de ceux qui lui avaient appris à se forger une répartie. La blonde n’avait pas anticipé qu’il l’utiliserait contre elle, et il devait admettre recevoir non sans une certaine satisfaction ses petits regards outrés - Lewis était hésitant lorsqu’il s’agissait de Gayle et pourtant, il se savait intouchable. Malgré ses grands airs, elle tenait bien trop à Atlas et par extension à ses proches pour être la même qu’avec ses talents, par exemple. « T'en veux une ? Tu veux autre chose ? » A sa première remarque, il avait pensé durant une fraction de seconde qu’elle parlait de sa main dans sa figure, alors il avait été soulagé et avait accepté la bière avec grand plaisir. « Faut qu'on parle de ton frère. » Il avait levé les yeux au ciel, elle n’était pas obligée de le souligner parce qu’il était évident qu’ils ne se voyaient jamais pour autre chose. Avant, c’était pour que Lewis déverse son chagrin avec quelqu’un qui le comprenait mais qui n’était pas un membre de sa famille sur lequel il ne voulait pas rajouter davantage de craintes et de tristesse. Maintenant, c’était à chaque fois pour tenter de sortir Atlas de cette torpeur et de le forcer à voir le positif après tant de temps passé à vivre un cauchemar. « Il va finir par me rendre dingue... »  « J’ai réussi à lui parler un peu, la dernière fois. Mais je pense que j’ai été maladroit. » Sa bière en main, il s’amusait à retirer l’étiquette de la bouteille en participant à la discussion presque comme-ci il la prenait en cours de route.  « J’ai vraiment peur qu’il se remette jamais d’avoir vu sa carrière s’arrêter, Gayle. » avait-il confié en se frottant le visage.  « Mais là-dessus, y a rien de vraiment nouveau alors qu’est-ce qu’il se passe ? » avait-il demandé parce que cette réunion de crise et cette invitation laissaient entendre que l’agent avait eu une nouvelle altercation avec son ami. Et si Lewis savait que leurs discussions ne le regardaient pas, il était assez curieux et inquiet pour Atlas pour feindre que tout était normal.

Inutile de s’attarder sur ses quelques minutes de retard, il suffisait à Lewis de la regarder dans les yeux pour comprendre que dans sa façon de voir les choses, elle avait déjà attendu trop longtemps. Alors Gayle n’avait pas tardé à indiquer la raisons qui l’avait amenée à inviter Lewis et il l’avait déjà deviné lui-même. Atlas était devenu leur sujet de conversation favori, et en même temps celui qu’ils redoutaient le plus. Après tout, ils ne se seraient probablement pas autant côtoyé s’il n’y avait pas eu cet affreux accident. « Comme c'est surprenant » Il n’appréciait pas les remarques qu’on pouvait lui faire sur sa façon de gérer sa relation avec Atlas, mais il avait appris à conjuguer avec le comportement de Gayle. Elle était une alliée de taille, alors il réussissait à recevoir ses touches d’ironie avec un léger sourire plutôt qu’avec les poings serrés. Ce n’était pas le genre de femme à rassurer les autres ou à tenter de diminuer leurs failles : elle était dure, et c’était exactement ce dont Atlas avait besoin à ce moment précis. Les états d’âme de Lewis n’étaient que secondaires et il n’attendait pas d’elle qu’elle le couve parce que ce n’était aucunement son rôle. Pourtant, au moment où il avait confié ses doutes, la blonde avait commencé à s’adoucir. « Mais si. Il lui faut juste du temps. » S’il était plutôt du genre à souhaiter qu’on soit honnête avec lui plutôt que de le traîter comme un gamin comme cela avait souvent été le cas pendant le coma d’Atlas, cette fois, il préférait davantage un mensonge rassurant à une vérité difficile à accepter. Il la connaissait de toute façon déjà, la vérité, et entendre Gayle la lui dire à nouveau n’aurait pas arrangé les choses. Sa façon d’essayer de l’apaiser n’avait pas beaucoup plus d’utilité, mais l’agent avait un charisme assez important pour que Lewis se concentre uniquement sur ses mots.

Et c’était à son tour, de confier ses inquiétudes au sujet de l’ancien pilote. « Il dort pas. » La gorgée de bière qu’il avait bu était du courage liquide pour affronter une discussion qui le dérangeait déjà beaucoup. Il savait, qu’il sortirait de chez Gayle en s’inquiétant encore un peu plus, alors qu’Atlas dissimulait du mieux qu’il pouvait une vérité pourtant évidente pour tous ses proches. « La dernière fois que je l'ai vu, il était juste épuisé. » « C’était quand ? » avait-il demandé, comme si cela avait une quelconque sorte d’importance. Mais il avait espoir que, peut-être, cela ait été avant la dernière fois où lui l’avait vu sans remarquer de fatigue exacerbée. « J'ai peur que son corps lâche à nouveau. » Lewis s’était frotté le visage, se repositionnant dans le canapé, continuant à déchiqueter une étiquette qui devenait sa seule échappatoire. « Je sais pas quoi te dire Gayle, je devrais même pas t’écouter me dire des choses qu’il voudrait jamais me confier. » Il avait soupiré, il se sentait coupable et pourtant totalement en position d’essayer de sortir son frère de cette mauvaise passe. « Tu lui as fait la remarque ? Il t’écoute bien plus que moi. » Ou plutôt, Gayle était loin d’être aussi subtil que Lewis et n’hésitait jamais à dire les choses qu’elle pensait haut et fort. « Il sait qu’on est là pour lui, il a juste aucune envie de montrer la moindre forme de faiblesse. » C’était la façon dont Atlas voyait les choses : réclamer de l’aide n’était pas digne de lui. « Mais s’il continue à nous mentir, à se mentir à lui-même en disant que tout va bien, moi aussi j’ai peur des conséquences. » Et il était tout à fait disposé à écouter Gayle lui confier ses idées pour sortir ce frère et cet ami de cet état dépressif qu’il refusait d’admettre et dans lequel il semblait pourtant s’enfoncer.

Le sujet de sa famille n’était jamais pris à la légère, celui d’Atlas l’était encore moins. Lewis avait un lien particulier avec lui, souvent utilisé comme premier argument lors des disputes de famille mais finalement toujours vu comme quelque chose de bénéfique à la dynamique des Siede. Ils s’adoraient tous, mais les affinités penchaient toujours d’un côté ou de l’autre et c’était cet aîné là que Lewis avait choisi de prendre en exemple. Alors l’avoir vu ainsi chuter, au sens propre comme au figuré, lui provoquait un chagrin qu’il ne se souvenait pas avoir ressenti auparavant. Ce que ressentait Atlas, en revanche et à juste titre, était bien plus puissant et le fait de ne pas réussir à en mesurer l’ampleur était l’une des difficultés auxquelles Lewis et Gayle faisaient face. « Y a une semaine et demie je dirais... » Il avait pincé les lèvres parce que cela n’importait finalement que peu : Atlas était toujours épuisé. Il n’avait pas besoin, ni envie, d’écouter les craintes de Gayle au sujet de son frère même s’il s’agissait de la raison de sa présence ici, alors il lui avait fait part de son cas de conscience sans anticiper l’explosion de la blonde. « Parce que tu crois que ça m'amuse de parler dans son dos à son petit frère ? » « Mais c’est pas ce que je dis ! Laisse ton rôle de mégère de côté sinon je me barre et on va pas avancer. » Ce n’était absolument pas son genre de s’emporter, encore moins d’être impoli, mais il avait appris à tenter de s’accorder à une Gayle parfois bien trop dure. Et puis, il avait légérement changé quand il avait compris que le sort avait souhaité s’acharner sur lui et sa famille, devenant bien plus susceptible et volcanique qu’auparavant. S’il avait caché sa nouvelle personnalité à son frère, Gayle en avait déjà fait les frais et il osait d’autant plus s’affirmer face à celle qui ne pouvait jamais réellement lui en vouloir. « Je suis flattée mais j'ai pas autant de pouvoir sur lui que tu sembles le penser. » Fermant les yeux avant de les lever au ciel, Lewis était venu frotter son visage pour s’empêcher de s’emporter à nouveau. Il n’avait aucune idée de comment l’amitié entre cette femme et son frère était née, ni même pourquoi lui se retrouvait à accepter de s’enfermer dans un appartement avec elle. « Personne en a. C’est le problème, il n’écoute que lui, et il est actuellement son pire ennemi. » A quel moment était-il devenu aussi philosophe ? Mais c’était la vérité, Atlas ne prenait de conseils de personne. A part peut-être une femme en particulier, mais il ne saurait se l’avouer. « Il faut qu'on le garde à l'oeil » Il avait acquiescé en attrapant sa seconde bière, sans avoir le temps de répondre alors que Gayle ripostait déjà. « T'éviteras de foutre des bouts d'étiquette partout » Il avait de toute façon besoin d’une distraction alors dans un élan visant à continuer de garder une sorte d’ascendant sur une femme dont le charisme était parfois effrayant, il s’était levé. Se dirigeant vers la poubelle qu’il avait ouverte avec son pied, il avait jeté les confettis qu’il avait générés dans un mouvement dramatique et avec un sourire exagéré et faux sur le visage. « Faut qu'on fasse en sorte qu'il se bouge de chez lui. Qu'il trouve un nouvel objectif à atteindre. » « Je fais de mon mieux pour lui proposer qu’on se voit régulièrement, je sais pas si tu le vois souvent toi ? » Bien sûr qu’il avait peur que ses mots soient encore mal interprétés et qu’elle lui saute à la gorge une nouvelle fois, mais ils devaient avancer. « A part voler, qu'est-ce qui le passionne ? » Lewis avait haussé les épaules. « Difficile à dire quand toute sa vie était son métier, comme tu l’as dit, c’était ça qui le passionnait. » Et il était évident pour ces deux-là de comprendre le désarroi dans lequel il était plongé même s’ils ne pouvaient pas le mesurer. « Imagine si t’étais dans l’incapacité de continuer à faire ton taff, tu ferais quoi pour pas devenir folle ? » Il s’était retenu de dire qu’elle l’était déjà un peu, son humour n’aurait probablement pas été bien reçu par la blonde. Mais le parallèle était utile : Gayle était elle aussi extrêmement attachée à son travail, et connaissait une facette d’Atlas à laquelle Lewis n’avait pas accès. Peut-être saurait-elle trouver une réponse bien plus évidente qu’elle n’en avait l’air.

Il la connaissait assez pour savoir à quel point il fallait avancer ses pions prudemment avec elle, mais il la connaissait aussi depuis trop longtemps pour continuer à se laisser impressionner. Il n’était plus un enfant, elle n’avait aucun pouvoir sur lui, et ce sujet avait tendance à faire sortir ce qu’il y avait de plus mauvais en lui. « Fais attention Lewis. Ne va pas trop loin. »  Sa réponse était aussi ferme qu’inattendue, Gayle avait gardé son calme et n’était pas partie en claquant la porte. Ils étaient tous les deux tendus mais ils savaient aussi parfaitement la raison qui les menaient à se retrouver ici, sans Atlas, ce qui était extrêmement rare. « Ouais, pardon, mais j’aime pas l’impression que tu donnes à tout ça, on parle pas dans son dos, on essaie de l’aider. » Au final, Gayle et Lewis n’étaient pas obligés de s’entendre ni même de se voir, ils le faisaient pour une seule et unique raison, alors les efforts, ils ne les faisaient que pour Atlas. Et lui, s’il savait, aurait vite fait de leur faire un sermon qui aurait sûrement bien plus de résonance chez son petit frère que chez cette amie que Lewis avait encore bien du mal à cerner. « Et vos parents ? Ta mère ? Ton père ? » Il avait haussé les épaules. « C’est presque devenu tabou avec ma famille, et ils sont au moins d’accord sur un point avec Atlas, il faut m’épargner. Qu’est-ce que ça peut m’énerver… » Et Gayle aussi le voyait comme un gosse, son regard en disait long. « Après… tu sais qui pourrait lui faire entendre raison. Mais je suis pas en contact avec elle, j’espère juste qu’eux le sont encore. » Elle était presque devenue un secret d’état, Alma, et depuis que son histoire avec Shiloh avait refait surface dans le présent, Lewis comprenait un peu plus son frère. Ils étaient les mêmes, sur bien trop d’aspects, mais cela ne l’aidait absolument pas à le comprendre, encore moins à l’aider.

Parler de ce souvenir douloureux n’était pas évident, encore moins avec le regard d’une blonde braqué sur soi. Alors il s’était appliqué à jeter ses morceaux d’étiquette à la poubelle avant de venir se réinstaller pour boire la seconde. « C'est bien, t'auras un bon point ou une image. » Il avait levé les yeux au ciel - elle l’exaspérait malgré cette sorte de sympathie qu’il ressentait pour elle. Les amis de son frère étaient ses amis, ou quelque chose du genre. Et si Gayle était aussi proche de lui qu’il le pensait, alors elle devait le voir assez régulièrement pour tenter de lui mettre un peu de plomb dans la cervelle. « La dernière fois que j'ai débarqué chez lui, il m'a proposé qu'on se fasse une soirée et qu'on sorte. » Il la regardait, curieux. « T'inquiète que c'est pas tombé dans l'oreille d'une sourde. » C’était un début, Atlas devait retrouver goût à la vie et cela passait par tout un tas de petites choses banales. Mais comment agiraient-ils, eux, s’ils étaient privés de leur passion ? « Je passerais mon temps sur le canapé d'Atlas à me plaindre de ma vie merdique. » « Ouais, pareil… » Le constat était presque effrayant, Atlas était un pilier pour beaucoup et ce pilier vacillait bien trop dangereusement. « La navigation. Il adorait ça plus jeune non ? Il me semble que les voiliers ça le passionnait. » Lewis avait hoché lentement la tête, peut-être que la solution n’était pas plus loin que cela, nichée dans les vieilles amours d’Atlas ? « Il reste aussi l'option humanitaire... S'il peut aider les autres, il oubliera peut-être qu'il souffre. Il a besoin de se rendre utile. » Un sourire s’était dessiné sur les lèvres de Lewis. « Je suis à court d'idées... » « C’est pas bête du tout ! » Il avait ignoré l’air triomphant qui était apparu sur le visage de Gayle et qui, de toute façon, revenait à intervalles bien trop réguliers chez elle. Pour une fois, il lui laissait le droit de se pavaner, parce qu’elle tenait peut-être le début d’une solution. « Pas forcément de l’humanitaire, mais du bénévolat, un truc du genre. Je vais regarder les associations de Brisbane. » Parce qu’éplucher le tout internet était quelque chose qu’il savait et adorait faire. Il fallait qu’ils soient malins, qu’ils ne présentent pas cela comme une façon de ne pas tourner comme un lion en cage dans son appartement mais qu’ils réussissent à lui faire trouver la solution lui-même. Lewis réfléchissait à la meilleure manière d’amener le sujet, mais rien ne lui venait. « J’peux faire ça là ? La bière est gratuite et comme ça après on voit comment on amène ça. » Un plan d’attaque allait se mettre en place tout au long de la soirée et il culpabilisait un tantinet de le mettre en oeuvre avec la meilleure amie de son frère, à l’abri de sa vigilance.