Tu ne savais pas trop pourquoi Faith avait tenu à ce que vous rendiez visite à ton oncle au cimetière, mais ce n’était pas quelque chose que tu te voyais lui refuser, jamais. Alors si Faith ressentait le besoin de venir parler à son défunt mari, qu’elle voulait que tu lui tiennes la main pour passer à travers ce moment, alors tu serais là. C’était une promesse que tu lui avais fait il y a longtemps, une que tu n’avais pas l’intention de briser. Le soleil brillait haut dans le ciel, la température douce pour une journée d’hiver, complètement à l’opposée des émotions que t’évoquais chaque fois une visite au cimetière. Tu étais chanceuse de ne pas compter trop de monde dans cet endroit. Tu n’avais perdu personne avant la mort de Noah, et tu n’avais perdu personne depuis, et si tu étais reconnaissante pour ce fait, tu n’étais pas sans savoir que l’absence de celui que tu avais toujours considéré comme un oncle avait laissé un grand trou dans ton univers. Un trou à un moment où ta vie ne semblait être que ça : des trous que tu ne savais pas comment remplir. Des trous qui t’avaient forcé à partir loin, à chercher des réponses en dehors de tout ce que tu connaissais avant. Avec le recul, tu savais que tu avais eu besoin de cette pause, de ces longs mois passés au Canada à changer le monde un voyage à la fois, mais tu savais aussi que tu avais prolongé ta guérison, attendu peut-être trop longtemps avant de réellement t’occuper des dommages causer par les trous. Tu te demandais si Faith s’était occupée de ses trous, elle aussi. Tu savais qu’elle allait mieux, que l’alcool était une histoire du passé, bien que la tentation ne disparaîtrait jamais complètement. Mais est-ce qu’elle allait vraiment mieux? Est-ce qu’elle se sentait seule? Est-ce que c’était pour cette raison qu’elle avait ressenti le besoin de venir ici? « Est-ce que tu veux que je te laisse un peu de temps toute seule? » que tu lui demandes d’une petite voix, n’osant pas parler trop fort sachant que toutes les personnes ici aujourd’hui étaient sans aucun doute en deuil, de quelqu’un qu’ils avaient perdu récemment, ou moins récemment comme c’était le cas pour Faith et toi. « Tu sais que tu peux tout me dire, hein? » que tu lui rappelles, ta main toujours liée à la sienne. Il y avait des choses que tu voulais lui dire toi aussi, mais tu n’étais pas certaine que le moment soit l’opportunité idéale pour cela.

5 ans et 7 mois que Noah était décédé. La douleur était moins vive avec le temps, mais le manque était toujours présent. Faith avait encore de la difficulté à comprendre son geste dans ses mauvais jours, même si elle avait fait la paix avec la culpabilité qu’elle avait ressenti durant quelques années. Noah était son âme soeur, celui avec qui elle s’imaginait faire sa vie même s’ils n’avaient pas été épargnés. Elle avait beau être au fond du trou, dans une dépression profonde qu’elle tentait de fuir avec l’alcool, Noah avait toujours été présent, à essayer de la supporter du mieux qu’il le pouvait. Il n’avait jamais perdu patience avec elle et elle savait qu’elle n’aurait pas pu avoir meilleur mari que lui. Dernièrement toutefois, un autre homme était en train de se frayer un chemin tranquillement vers son coeur qu’elle avait cru fermé à double tour. Russell était un homme bon et elle se sentait de plus en plus sereine en sa présence. Il était également un ancien alcoolique, il comprenait sa douleur et les difficultés par lesquelles elle était passée. Il était conscient qu’elle était sujette aux rechutes même si ça faisait de nombreuses années qu’elle était sobre et surtout, il ne la jugeait pas pour ses actions passées. Elle sentait son coeur d’enfant prendre place lorsqu’elle était avec lui et ça lui faisait peur. Elle avait honte de penser à un autre homme, peur d’oublier son mari. Elle avait peur d’oublier à quel point elle avait aimé Noah, d’oublier tout ce qu’ils avaient vécu ensemble, autant les bons moments que les moins bons. D’ailleurs, c’était pour ces raisons qu’elle n’avait pas réussi à enlever son alliance après toutes ces années. Elle avait encore besoin de le sentir près d’elle à tout moment de sa journée, de sa vie.
Elle avait demandé à Autumn cette journée-là de l’accompagner au cimetière. Elle avait besoin de se remémorer avec la jeune femme les sorties qu’ils avaient fait à trois, ces moments où Faith dérobait Autumn à sa famille pour l’apporter chez eux pour faire une soirée cinéma, ces moments de simplicités d’où découlait de nombreux bons souvenirs. Elles arrivèrent sur sa tombe, mains dans la main. Ça lui faisait bizarre de voir Autumn être maintenant capable de la supporter. Ce n’était définitivement plus la jeune fille de dix ans qu’elle portait sur son dos pour la faire rire. « Est-ce que tu veux que je te laisse un peu de temps toute seule? » Faith releva les yeux vers cette femme qu’elle considérait comme sa nièce. « Non, reste. J’ai apporté les vieux albums avec les photos de nos différentes activités avec lui. Ça te dis qu’on les regarde ? » Faith sortit de son sac à main une couverture carrée qu’elle entreprit d’étendre au sol. Elle se sentait sereine, proche de son défunt mari à ce moment-même. Elle sortit un album un peu vieillot qui contenait toutes les photos. Elle était vieux jeux Faith, elle faisait encore imprimé tout ce qu’elle photographiait pour les avoir en format papier. « Tu sais que tu peux tout me dire, hein? » Faith lui fit un sourire avec un hochement de tête. Elle n’avait pas encore parlé de Russell à Autumn, ayant peur qu’il pense qu’elle voulait le remplacer alors que ce n’était absolument pas le cas. « J’ai juste besoin de me remémorer les bons moments qu’on a eu tous ensemble malgré les dures années que l'on a traversées. » Autant elle que sa nièce. Alors que Faith s’enfonçait dans l’alcoolisme, Autumn avait dû se battre avec ses propres démons.

Malgré toutes les années qui se sont écoulées depuis la mort de Noah, penser à lui demeurait douloureux et tu ne pouvais pas t’imaginer ce que cela pouvait être pour Faith. Et chaque fois que tu pensais à lui, tu ne pouvais t’empêcher de penser à la décision qu’il avait prise. Celle de s’enlever la vie avant que la mort ne cogne à sa porte. Et tu ne pouvais même pas lui en vouloir pour ça. Comment aurais-tu pu après tout, toi qui avais trop souvent danser la fine ligne entre la foi de vivre et l’envie de mourir? Toi qui avais trop souvent pensé à baisser les bras, à laisser tes troubles gagner la guerre, trop fatiguée pour tenir une autre bataille. Tu ne voulais pas abandonner Faith à ton tour, la simple idée te répugnait, mais ton trouble avait trop souvent été plus fort que ta volonté. La dépression t’enveloppant si profondément entre ses griffes que tu n’étais pas certaine de pouvoir t’en échapper complètement un jour. Tu allais mieux aujourd’hui, la dépression toujours bien trop proche, mais elle n’avait plus le contrôle et tu avais décidé de voir cette visite au cimetière comme une chance de te souvenir de ta force, tout en offrant à Noah, et à Faith aussi, toute l’empathie qu’ils méritaient, qu’importe les circonstances. « Non, reste. J’ai apporté les vieux albums avec les photos de nos différentes activités avec lui. Ça te dis qu’on les regarde? » D’un hochement de la tête, tu acceptes la proposition de la Palmer, la regardant avec curiosité alors qu’elle sort un vieil album photo de son sac. Tu tends les mains pour lui prendre l’album alors qu’elle se concentre sur une couverture qu’elle vient installer au sol, juste devant la tombe de Noah. « J’ai juste besoin de me remémorer les bons moments qu’on a eu tous ensemble malgré les dures années que l’on a traversées. » « Je comprends. Je pense que ça lui ferait plaisir à Noah, de nous voir ensemble, ici. » Ça lui ferait plaisir de réaliser que tes parents n’avaient pas gagné, avec leurs jugements et leurs menaces, voulant te tenir loin de Faith. Il serait sans doute de voir que tu continuais de prendre soin d’elle, autant qu’elle prenait soin de toi.

Tu viens t’installer aux côtés de ta tante, ouvrant l’album entre vous deux. Les photos se multiplient sous vos yeux, étalent tes jeunes années, ton visage vieillissant au fil du temps, ta tête blonde passant au travers d’une multitude d’émotions selon les photos, de manière si typique pour ta personne. Tu allais commenter sur une horrible coupe faite par ta mère lorsque tu n’étais encore qu’une jeune adolescente, mais les mots moururent sur tes lèvres lorsque tu entendis ton prénom prononcé par une voix que tu reconnaîtrais n’importe où. « Autumn? » Tu lèves la tête, la surprise peinturant tes traits instantanément. « Qu’est-ce que tu… » Tu te lèves aussitôt, peinant à réaliser qu’il est réellement là jusqu’à ce que tu viennes te loger contre lui, sa présence te prouvant qu’il était bel et bien là et non pas un fragment de ton imagination. « Bonjour Faith… » C’est seulement à ce moment que tu réalises que Faith s’est levée à son tour et qu’ils sont désormais en train de se dévisager. « Vous vous connaissez? » « J’allais poser la même question. » que tu réponds, surprise et excitation t’envahissant. Jamais tu n'aurais pu croire que le monde serait si petit. Tu cherches la manière la plus douce d’expliquer à Joaquin qui est Faith pour toi, mais décides d’y aller directement avec la vérité. « Faith était mariée avec le cousin de mon père. Elle est comme une tante pour moi. » que tu lui dis, avec un sourire, heureuse d’enfin pouvoir présenter Joaquin à un membre de ta famille, quand bien même Faith et toi n’êtes pas liées biologiquement parlant. « Et Joaquin… » Tu hésites un moment, ton regard croisant celui du pompier, avant de finalement te lancer tête première. « Joaquin et moi on se fréquente depuis quelques semaines. » que tu annonces fièrement à Faith, espérant qu’elle ferait fit de la différence d’âge évidente entre vous deux.

Faith avait été en colère contre Noah pendant de long mois suite à son départ. Elle avait besoin de lui depuis toujours et il avait décidé de la laisser seule. Elle n’avait aucune idée de comment elle allait réussir à continuer à avancer sans lui alors que même avec lui elle avait de la difficulté. Il était le seul qui pouvait comprendre la douleur qu’elle ressentait depuis la perte de leurs enfants, depuis la perte de tout espoir de se faire une famille à eux seuls. Puis, elle avait été en colère contre elle-même. Elle avait tellement regretté de ne pas avoir été forte, d’avoir succombé à l’alcool et d’avoir laissé ses démons l’envahir. Il ne lui avait pas fait confiance pour son diagnostic et il avait décidé de partir à la place de se battre même si le pronostic n’était pas bon. Elle avait dû apprendre avec la thérapie à se pardonner à elle et à lui, mais elle n’était pas capable de dire encore aujourd’hui qu’elle comprenait sa décision. Elle n’avait pas eût le choix de l’accepter puisqu’elle ne pouvait pas revenir en arrière, mais elle ressentait régulièrement la douleur lui déchirer la poitrine lorsqu’elle regardait l’alliance qu’elle portait encore sur son doigt. Elle venait souvent sur sa tombe, pour lui signifier qu’elle ne l’oubliait pas, et elle avait ressentit le besoin cette journée-là d’être accompagnée pour être sûre qu’elle n’était pas la seule à penser à lui encore régulièrement. « Je comprends. Je pense que ça lui ferait plaisir à Noah, de nous voir ensemble, ici. » Faith hocha de la tête. Autumn était la seule personne qui lui restait de sa vie d’avant. Elle et Joaquin. Elle avait si peur d’oublier son mari qu’elle se rattachait à eux pour se rappeler que Noah avait bel et bien été vivant et non pas seulement un rêve. Feuilleter les photos et les agrémentés des histoires qui les accompagnaient lui faisaient du bien. Elle se sentait un peu plus légère que lorsqu’elle était arrivée un peu plus tôt. « Autumn ? Qu’est-ce que tu… » Faith leva la tête et vit Joaquin arriver près d’elles. Elle se leva, un sourire au visage. Elle se demandait bien comment ce dernier et Autumn se connaissait, mais en même temps, Noah et lui était si proche que ça ne l’étonnerait pas vraiment que le pompier ait passé des moments dans la famille de son mari était encore vivant et qu’il ait rencontré la jeune femme. Jusqu’à ce que cette dernière se lève et aille se loger dans les bras de l’homme. Le sourire de Faith s'évanouit, laissant place à un regard d’incompréhension. Elle était quasiment sûre de se tromper, mais elle avait l’impression qu’Autumn connaissait Joaquin mieux que ce qu’elle le pensait. Sa manière de se lover contre lui laissait croire qu’ils étaient plus intime que ce qu’elle doutait. « Bonjour Faith… Vous vous connaissez? » - « Bonjour Joaquin… » Avant même qu’elle puisse répondre à sa question, Autumn prit la parole. « J’allais poser la même question. Faith était mariée avec le cousin de mon père. Elle est comme une tante pour moi. » Le cerveau de Faith allait extrêmement vite. Elle ne voulait pas se faire d’illusion, mais elle avait hâte que quelqu’un lui explique ce qui se passait. « Et Joaquin… Joaquin et moi on se fréquente depuis quelques semaines. » Il n’y avait plus de doute. Ce que Faith avait cru comprendre avec le comportement d’Autumn était maintenant confirmé : ils se fréquentaient. Faith ne savait pas comment réagir. Joaquin était plus vieux que sa nièce… Elle avait de la difficulté à les imaginer ensemble. En même temps, ce sourire sur le visage de la blonde voulait tout dire. Faith se racla la gorge légèrement. « Joaquin était un… un bon ami de Noah. Ils se connaissaient déjà avant qu’on se marie. » Faith ne pouvait pas s’empêcher de penser à ce que son mari pensait de ce couple improbable. Elle devait garder l’esprit ouvert. Elle qui avait toujours dit à sa nièce qu’elle pouvait tout lui dire et qu’elle serait toujours-là pour elle, elle devait lui montrer qu’aujourd’hui encore, sa promesse était d’actualité, mais elle avait besoin d’assimiler la nouvelle. « Vous vous êtes rencontrés comment ? »

La dernière chose à laquelle tu t’attendais en te rendant au cimetière avec Faith aujourd’hui, c’était de tomber sur Joaquin. Ou pire encore, de réaliser que ces derniers se connaissent. Si les deux semblent surpris, voire même choqués, tu trouves cette coïncidence plus drôle qu’autre chose, possiblement parce que tu ne vois pas la situation sous le même regard. Parce que tu oublies les années qui te séparent des deux parties, la relation familiale qui te relie à une, le lien amoureux qui t’attache à l’autre te plaçant dans une situation qui pourrait paraître délicate, mais dont tu ne vois que le positif. Joaquin et Faith sont deux des personnes les plus importantes pour toi, et le fait qu’ils se connaissent déjà te semble être une bonne chose. Tu ne peux qu’espérer que la relation entre eux en soit une bonne, même si tu ne connais pas encore les détails, ni comment ils se sont connus ou depuis combien de temps ils se connaissent. Tout deux semblent plus intéressés à connaître ton lien avec chacun que t’expliquer comment eux se connaissent. « Joaquin était un… un bon ami de Noah. Ils se connaissaient déjà avant qu’on se marie. » Tu te retournes vers le pompier, qui te semble plus pâle qu’à l’habitude. « Oh, je savais pas que tu connaissais Noah aussi. C’est lui que tu es venu voir aujourd’hui? » C’est peut-être étrange, de parler de ton oncle comme s’il était vivant et présent aujourd’hui parmi vous, mais tu veux croire que même après la mort, les âmes d’autrui ne disparaissent pas complètement. Que Noah est là, avec vous quelque part. Et si tu te fis aux airs sévères sur les visages de Joaquin et de Faith, tu n’es pas certaine de la réaction qu’il aurait eu face à cette scène.

« Vous vous êtes rencontrés comment? » C’est une question à laquelle tu vas devoir t’attendre souvent lorsque tes proches vont rencontrés Joaquin, et pourtant la réponse en est une qui est compliquée, et quelque peu morbide. Mais jamais pire que d’avoir cette discussion au beau milieu d’un cimetière. « Sur un pont… » Tu te mordilles la lèvre, légèrement honteuse. Ce n’est pas un secret toutefois, si Faith n’est pas au courant des moindres petits développements de ta vie, tu n’étais pas sans lui dire que tu avais connu quelques mois assez sombres l’an dernier. « C’était l’an dernier, quand j’allais moins bien. » que tu précises, en espérant que ça suffît à Faith pour faire la connexion entre le rôle de Joaquin en tant que pompier et ta présence sur un pont, pendant un soir de grosse dépression, là où tu ne te sentais pas capable de voir au-delà de ta peine et des douleurs t’envahissant. Tu ne sais pas si c’est la situation actuelle, ou le rappel de votre rencontre et de ton état d’esprit ce soir-là qui rend le tout autour de vous plus lourd, mais tu sens Joaquin qui se détache peu à peu de toi, et tu n’es pas certaine d’apprécier le mouvement de recul qui le pousse loin de toi. « La situation est pour le moins… Incongrue? Délicate? » Tu hausses les épaules. Tu ne vois pas le problème, mais il semblerait bien que tu sois la seule. « C’est simplement une drôle de coïncidence, non? » que tu tentes, essayant tant bien que mal de faire descendre la tension dans l’air. « Je ne savais pas qu’Auty était… la nièce de Noah… » Comment est-ce qu’il aurait pu savoir après tout? Tu n'avais pas l’habitude de voir Noah en dehors des évènements familiaux, ou en petit groupe seulement avec lui et Faith. Tu n’avais jamais rencontré ses amis proches, et puis la distance avait fait en sorte que vous n’aviez pas ce genre de relation où tu débarquais simplement sans t’annoncer. Si ça avait été le cas, peut-être que tu aurais croisé Joaquin avant l’an dernier. Et ce fait te rappelle que vous ne seriez pas où vous êtes aujourd’hui, si ça avait été le cas. Mais tout ça, ce ne sont que des et si sans valeur, quand la réalité demeure celle que vous connaissez, pas vrai? « Le monde est petit. » que tu te contentes d’ajouter, voulant mettre le moins d’emphase possible sur le fait que plus que jamais, votre différence d’âge semble être mis vers l’avant, même si personne n’a osé le dire encore. « On regardait des vieilles photos de famille, tu veux rester un peu? » que tu proposes à Joaquin, voulant plus que tout détruire la distance entre vous, sans toutefois le forcer à quelque chose qui le rendrait inconfortable. « Ça te dérange pas, tata? » que tu ajoutes à l’égard de ta tante, comme si tu voulais te convaincre qu’en dehors de ce moment précis, Joaquin et Faith s’entendaient bien.

Lorsqu’elle avait vu Autumn se blottir dans les bras de Joaquin, Faith avait immédiatement compris ce qui se passait entre eux deux. Elle avait vu le visage de sa nièce s’illuminer à son arrivée et ça la terrifiait. Elle ne savait pas comment réagir, quoi en penser. Le bonheur des deux personnes qui étaient devant était plus qu’important pour Faith, mais en même temps, il y avait cet écart d’âge, la maladie de Joaquin, la détresse qu’Autumn pouvait parfois ressentir… Faith adorait cette jeune femme, enfin, celle qui était maintenant une femme. Elle savait toutefois que dans ses mauvais jours, tout pourrait mal aller et que les possibilités de blesser Joaquin étaient présentes. Faith lança un regard à la tombe de Noah, se sentant désespérément seule à ce moment-même où elle devait réfléchir rapidement pour ne pas blesser les gens qui étaient avec elle. Elle essaya de lancer la conversation, de faire comme si rien n’était étrange, mais elle avait de la difficulté à avoir un visage radieux. ”Sur un pont…” Faith tourna son regard vers Autumn pour avoir plus d'explications. Elle croyait savoir c’était quand, savoir pourquoi elle était sur ce pont, mais elle ne voulait pas tirer de conclusion hâtive. ”C’était l’an dernier, quand j’allais moins bien.” Faith eût l’impression qu’on lui mettait un couteau en plein coeur. Savoir qu’Autumn n’allait pas bien était une chose. Savoir maintenant qu’elle avait eu besoin d’un pompier pour la garder sur terre en était une autre. Elle avait l’impression qu’encore une fois, elle avait passé à côté de quelque chose, qu’elle n’avait pas rempli sa tâche de tante adéquatement tout comme elle n’avait pas remplie celle de femme. Elle releva les yeux vers Joaquin, le regard qui voulait avant tout dire merci. S’il n’avait pas été présent, elle n’aurait probablement plus Autumn à ses côtés tout comme elle n’avait plus son mari. ”La situation est pour le moins… Incongrue? Délicate?” Faith voyait le malaise dans l’attitude du pompier. Elle n’avait toujours pas parlé, essayant de digérer adéquatement toutes les informations qu’elle se faisait donner une après l’autre. Elle scruta le visage d’Autumn lorsque Joaquin relâcha son étreinte. Elle vit que ça ne lui faisait pas plaisir, mais Faith était au contraire soulagée, ayant besoin d’un peu de temps pour être prête à voir sa nièce dans les bras de son ami. ”C’est simplement une drôle de coïncidence, non?” Elle se demandait alors comment Noah aurait réagi à cette annonce. Il était un homme bon, drôle, généreux, mais elle était convaincue qu’il aurait de la difficulté à voir sa nièce avec son très bon ami. Faith devait chasser de son esprit elle-même l’image de la petite Autumn de sept ans qui courait partout autour d’eux. Ça ne faisait pas de sens dans son esprit. ”Je ne savais pas qu’Auty était… la nièce de Noah…” Elle hocha de la tête. Faith savait parfaitement qu’il n’aurait probablement jamais tenté de rapprochement avec elle s’il avait su, mais en même temps, elle était qui pour juger ce couple qui semblait improbable ? Elle avait abandonné sa propre fille. Pouvait-elle vraiment dire qu’elle était mieux ? ”On regardait des vieilles photos de famille, tu veux rester un peu? Ça te dérange pas, tata?” Tout d’un coup, regarder des vieilles photos où Noah avait à peu près l’âge d’Autumn et Autumn un peu moins de dix ans lui faisait drôle. Elle se demandait comment Joaquin réagirait à cette vision. ”Bien sûr qu’il peut rester.” Faith releva son regard vers son ami et essaya d’avoir un sourire sur ses lèvres qui se voulait rassurant. ”On t’a toujours considéré comme de la famille.” Faith reprit place sur la couverture qu’elle avait posée sur la tombe de Noah. Elle tenta un léger changement de sujet. ”Tu viens souvent lui rendre visite ?”

Tu le sens bien, que cette rencontre impromptue au cimetière crée des tensions entre Faith et Joaquin et que ce n’est sûrement pas la vibe habituelle entre eux, même si tu ne peux pas dire avoir eu l’occasion de les voir ensemble par le passé. Tu ne sais pas exactement ce à quoi ils pensent, mais tu es assez intuitive pour comprendre qu’il y a un malaise qui se crée, que ce soit au niveau de ton âge, les années qui te séparent de Joaquin – et de Faith par la même occasion – ou encore les rapports qui existaient auparavant entre Noah et Joaquin, qui rappelle au pompier tout ce qui vous sépare, tout ce que tu t’attardes à lui faire oublier depuis des semaines maintenant. Peut-être que tu aurais dû te mordre la langue, ne pas inviter Joaquin à rester avec vous, ne pas t’attarder sur le fait que tu vois Faith comme une tante, même si c’est quelque chose qui ne va certainement pas changer après tout ce temps. Pour toi, c’est sans doute plus simple d’oublier les années qui te séparent de Joaquin, mais voilà soudainement que tu redeviens une gamine à ses yeux, alors que la petite fille sur les photos n’existe plus depuis longtemps déjà et surtout, il ne l’a jamais connu. Votre relation ne serait pas ce qu’elle est si vos chemins s’étaient croisés il y a quinze ans, vingt ans de cela mais ce n’est pas le cas et tu aimerais le rappeler, là tout de suite, à ton amoureux pour qu’il ne se perde pas dans son inconfort, mais tu n’oses pas particulièrement avoir cette conversation devant Faith, qui elle aussi semble occupée à se faire à l’idée de ta nouvelle relation. « Bien sûr qu’il peut rester. » Ça devrait te rassurer, mais tu ne peux pas dire que ce soit vraiment le cas. « On t’a toujours considéré comme de la famille. » Pitié, pas ce mot… T’as envie de spécifier que non, toi tu ne l’as jamais considéré comme telle, parce que la petite fille sur les photos ne l’a jamais vu, ne l’a jamais croisé. Mais tu restes silencieuse, ne sachant plus trop où te mettre. Clairement, tes tentatives de briser la tension n’ont rien donné et soudainement, l’envie de fuir et de te mettre la tête dans le sable prend les dessus.

« Tu viens souvent lui rendre visite? » Faith essaye, tu le sais et tu lui en es tellement reconnaissante, chose que tu tentes de lui faire savoir au travers d’un sourire. « Ça m’arrive… » Il y avait encore tellement de choses que tu ignorais sur Joaquin. Combien de choses encore allaient se mettre sur votre chemin pour tenter de vous séparer? Tu ne voulais même pas y penser, tes pensées menaçant déjà de prendre des directions que tu voulais éviter autant que possible. « Je viens voir mon père souvent et je passe sur les tombes des gens que j’ai connus… » Combien de gens avait-il été obligé d’enterrer ici dans le cadre de ses fonctions? Combien d’amis il avait perdu au fil du temps? « Je savais pas que ton père était enterré ici. » que tu murmures d’une douce voix, ta main cherchant naturellement la sienne avant de te souvenir du contexte, du malaise. Tu frôles à peine ses doigts avant de reprendre ta main et de l’enfouir dans la poche de tes pantalons. Tu pensais vraiment que tu pouvais faire comme si de rien était, que ce n’était qu’une coïncidence, que rien n’a besoin de changer, mais la vérité c’est que tu n’es plus bien, là ici, entre eux deux. Il y a sûrement trop de choses à dire, et aucune qui ne sera prononcé alors que vous êtes encore tous ensemble. Alors la situation est simple : tu dois te retirer du portrait. Prendre un peu de temps, d’espace. Espérer que rien ne soit aussi pire que tous les scénarios qui se dessinent dans le coin le plus tordu de ton esprit. « Vous savez quoi? Je, um, j’avais promis à une copine de l’aider avec un truc cet après-midi. » Niveau excuse vraiment, on ne fait pas pire, mais impossible de rendre ce moment plus tendu qu’il ne l’est déjà de toute façon. « On se voit plus tard à la maison, d’accord? » que tu dis à Joaquin, avant de réaliser ton impair. À la maison. C’est ce que son appartement est devenu après tout ce temps, mais pas ce qu’il devait rester. Fuck, what are you even doing Autumn? Tu déposes un léger baiser sur la joue de Joaquin, avant de te tourner et offrir une rapide embrassade à ta tante. Tu ne leur donnes pas réellement le temps de dire quoique ce soit avant de disparaître plus loin dans le cimetière, retrouvant le chemin de l’entrée jusqu’à ta voiture. Tu ne sais pas où tu t’en vas mais tu sais une chose: tu as besoin d’espace.

Au mois de mai, quand Faith avait croisé Joaquin à l'hôpital, qu’elle l’avait emmené prendre un café chez elle et qu’il lui avait annoncé qu’il avait rencontré une femme, elle avait été loin de se douter qu’elle la connaissait depuis bien longtemps. Brisbane n’était pas si petit que ça, c’était toute une coïncidence que la femme en question soit Autumn. Faith était à peu près certaine que cette dernière n’en avait pas encore parlé à ses parents et qu’elle était la première à rencontrer son petit ami. Elle faisait tout ce qu’elle pouvait pour les mettre à l’aise en sa présence, mais elle était convaincue que son malaise était palpable. Lorsqu’elle annonça à Joaquin qu’il avait toujours fait partie de la famille, elle s’était bien rendue compte que ce dernier s’était raidi, qu’Autumn avait pâli. Elle s’était rendue compte trop tard que le terme n’était pas le bon, que sa nièce ne l’avait jamais considéré comme de la famille, elle, et que Joaquin n’avait jamais fait la rencontre de cette dernière avant l’an passé. Faith aurait aimé pouvoir ravaler ses mots, mais c’était malheureusement impossible. Elle devait vivre avec sa bourde. Elle se pencha pour attraper sa bouteille d’eau et en prendre une gorgée tout en essayant de masquer son malaise, de meubler le temps qui semblait s’être figé. Lorsqu’elle demande à Joaquin s’il vient souvent rendre visite à Noah, Autumn lui fit un petit sourire reconnaissant. La quinquagénaire essayait vraiment de rendre tout le monde un peu plus à l’aise, elle y compris et elle était soulagée de voir que ses tentatives étaient remarquées même si elles se révélaient infructueuses. « Ça m’arrive… Je viens voir mon père souvent et je passe sur les tombes des gens que j’ai connus… » - « Je savais pas que ton père était enterré ici. » Ce mouvement naturel de la part d’Autumn qui tente d’attraper la main de Joaquin, cette manière de lui parler doucement, ça faisait si bizarre à Faith qui détourna le regard en se rendant très bien que ça pouvait être interprété de la mauvaise manière par les deux personnes concerné. Faith avait seulement hâte de pouvoir leur parler à l’un et l’autre seul pour lui expliquer son point de vue. Mais en fait, elle ne savait même pas pour le moment comment elle percevait leur relation. De toute manière, qui était-elle vraiment pour porter un jugement quelconque ? Elle avait bien à peu près le même âge que Noah elle et son mariage avait été un flop malgré l’amour qu’ils portaient l’un envers l’autre. « Vous savez quoi? Je, um, j’avais promis à une copine de l’aider avec un truc cet après-midi. » Faith connaissait trop Autumn pour savoir que c’était une excuse foireuse. Elles étaient censées passer l’après-midi ensemble, rester un peu sur la tombe de Noah et ensuite manger ensemble pour le dîner. « On se voit plus tard à la maison, d’accord? » Le visage de Faith afficha de la surprise. Comment ça la maison ? Décidément, Autumn ne lui avait pas tout dit dernièrement. Aux dernières nouvelles, elle avait un appartement à elle non ? Avant qu’elle ait le temps de prononcer quoi que ce soit, Autumn vint lui faire une rapide embrassade. « Ma puce att… » La blonde était déjà rendue trop loin pour que cette dernière puisse lui dire que tout allait bien aller, qu’elle avait besoin de temps. Faith était toutefois inquiète de son état d’esprit. Elle se retourna vers Joaquin. « Quino… Explique-moi s’il te plaît. Pourquoi elle a dit à la maison ? J’ai l’impression qu’elle me cache bien des choses… » Elle ne voulait pas coincer Joaquin, elle voulait seulement s’assurer que les deux allaient bien.

Tout allait rapidement dans le cerveau de Faith. Elle avait de la difficulté à comprendre ce qu’elle venait de voir, à se faire une tête sur comment elle se sentait que sa nièce et le meilleur ami de son conjoint soit visiblement en couple et même, vivent sous le même toit selon ce qu’elle avait comprit des paroles d’Autumn. Elle aurait aimé que cette dernière reste avec eux pour qu’ils puissent en discuter, mais en même temps, qu’est-ce qu’il y avait à dire de tout ça ? Faith était-elle vraiment en droit de poser un opinion sur ce qu’ils vivaient ? Ils étaient tous les deux adultes et malgré leur grande différence d’âge, ils avaient le droit de faire ce qu’ils voulaient de leur vie. « Elle vit chez moi depuis la tempête… Comme je te l’ai dit, j’ai rencontré Autumn en Avril 2023… Je l’ai empêché de sauter et j’ai appelé les collègues pour qu’il l’emmène à l'hôpital parce que je n’étais pas de garde ce soir-là. On s’est croisés à nouveau et j’ai pris de ses nouvelles parce que je fais ça avec tout le monde finalement… » Faith avait l’impression d’arracher des informations intimes de force à Joaquin. Elle était déchirée entre leur laisser leur histoire, ne pas s’immiscer, mais en même temps, elle devait être au courant de comment ils s’étaient rencontrés si elle voulait pouvoir se faire une tête sur la situation et pouvoir les supporter. Parce qu’au final, peu importait son opinion, elle serait toujours présente pour Autumn même si elle n’était pas nécessairement d’accord avec tous ses agissements. Que Joaquin soit au courant des tendances parfois suicidaires de ta nièce te rassurait sur un certain point. Il la connaissait mieux que ce qu’elle avait cru au début. Savoir qu’il avait été présent pour lui sauver la vie la remplissait de gratitude en même temps que ça lui brisait le coeur. Elle espérait tellement que la jeune femme puisse un jour trouver le bien-être et la paix… Toutefois, Faith était la mieux placée pour savoir que ça pouvait prendre du temps pour y arriver. « [...] Et il y a eu la tempête et j’ai cru qu’elle était blessée ou pire… Son appartement était en ruine, je lui ai proposé de s’installer à la maison [...] je ne savais pas que c’était la nièce de Noah sinon j’aurais insisté plus pour que ça n’arrive pas… Pour autant, je ne regrette pas. » Faith prit une grande inspiration. Elle avait pris le temps d’écouter ce que Joaquin avait à lui dire. Elle n’avait pas voulu qu’il se justifie au final, elle voulait seulement être au courant de là où était maintenant sa nièce dans sa vie. Elle rangea son album photo dans son sac, ne voulant plus apercevoir cette photo où Autumn n’avait que cinq ou six ans. « Je… Je ne suis pas placé pour juger quoi que ce soit Joaquin. Tout ce qui m’importe, c’est qu’Autumn soit heureuse. Elle a beaucoup souffert et j’aimerais que ça soit du passé. Tu es une bonne personne. Je vais juste… Je vais juste avoir besoin de temps. » Faith passa une main dans ses cheveux. « Je ne veux pas vous mettre de bâton dans les roues ou quoi que ce soit… » Elle effectua une pression sur le bras de Joaquin avec sa main pour tenter de le rassurer.