Une partie de Charlie lui intimait de croire que l'attitude de l'homme qui l'accompagnait, s'il n'était pas en mesure d'affirmer qu'elle était inhabituelle, dénotait au moins d'une envie de plaire. Toutes les précisions qu'il prenait le soin d'apporter, ou encore les tirades farfelues que même un inconnu pouvait imputer à la nervosité, contribuaient à démontrer qu'il n'était pas seul à vouloir contrôler cette première impression décisive. Et si Jayden aurait des raisons de se flageller d'être un brin maladroit, il était loin d'imaginer à quel point cela le rendait attachant. « Elle a de la chance de t'avoir, et ton frère doit certainement penser la même chose. » le rassura-t-il, comme s'il en avait la moindre idée. Lui-même s'efforçait de se persuader qu'en dépit de leurs différends, Ezra le trouvait bon et généreux dans ce rôle d'oncle qui lui tenait à cœur. De ce que Jay lui avait révélé, ses relations fraternelles étaient plus apaisées que les siennes, si bien qu'il n'affirmait rien par politesse, mais bien par conviction qu'il était une personne dévouée, dont les limites du raisonnable étaient décuplées par l'abondance que lui procurait sa vie d'acteur. La mention d'Asher, que Charlie avait tenté de rendre moins amère que ne l'était le dernier souvenir qu'ils gardaient de sa présence dans la vie de leur ami, n'avait pas détendu l'atmosphère autant qu'il l'aurait souhaité. Il n'avait pas envie d'épiloguer, d'une part parce que Izan lui-même préférait se murer dans un silence de honte, et d'autre part parce qu'il n'y avait rien de plus à dire. Charlie ne le connaissait pas, et son inconstance lui avait ôté toute l'admiration qu'il avait eu pour la facilité avec laquelle il avait volé le cœur d'Izan. Sans même le savoir, Jay avait donc prêché le faux pour savoir le vrai, sans que Charlie ne se sente bafoué le moins du monde. L'état de ses relations passées n'était pas un secret, tout comme la sexualité avec laquelle il s'était promis de ne plus faire de compromis pour ménager les opinions des gens. Si Jay avait le moindre problème avec son homosexualité, ce qui l'aurait étonné compte tenu de son amitié avec Izan, alors il valait mieux couper court à ce moment qu'il avait trouvé agréable par ailleurs. Sans surprise, il affirma ne pas être dérangé, même si ses bafouillages l'amenaient à penser qu'il était plutôt décontenancé par la sincérité brute de Charlie que par ce qu'elle révélait sur son mode de vie. « T'as pas à t'excuser, je le vis très bien. Le divorce et le fait d'être gay. » rétablit-il avec un sourire complaisant. Il ignorait à vrai dire pourquoi Jay s'excusait. Si c'était pour son indiscrétion, ou pour le fait d'avoir face à lui un homme qui avait poussé le mensonge jusqu'à ses derniers retranchements. « Je m'entends toujours bien avec Ettie, c'était simplement pas juste ni pour elle ni pour moi de continuer à vivre un mensonge. » Un mensonge partagé, car Ettie s'était bien gardée d'avouer qu'une partie d'elle savait foncièrement que son mari la condamnait à n'avoir aucun désir pour elle, malgré tout l'amour qu'il lui portait. C'était peut-être bien la raison pour laquelle elle avait si bien accepté le divorce, même si elle avait voulu prendre le temps d'y poser des conditions que Charlie n'était plus en mesure de remplir.

Les aveux que Jay distillait inconsciemment sur ses angoisses correspondaient au personnage que Charlie s'était imaginé. Un homme sûr de lui devant la caméra, et profondément brisé par des traumatismes dont il ignorait encore les origines. Ils avaient beau se connaître depuis peu, Charlie espérait qu'un jour il serait suffisamment en confiance pour se livrer, car il était loin de se douter des trésors qu'il renfermait en lui. « Oh tu sais, si c'était un garçon on dirait que c'est un comportement normal. C'est bien d'avoir du caractère. » dit-il en haussant les épaules. Les filles n'avaient pas le droit d'avoir un caractère trop prononcé, contraire aux qualités de douceur et d'empathie qu'on leur prêtait par essence. C'était injuste, et jamais Charlie ne se rabaisserait à dire à ses nièces qu'elles étaient trop affirmées, trop fières ou trop vocales quand c'était justement tout ce qu'on admirait chez ses neveux. « Je dirai rien, promis. » plaisanta-t-il à son tour, l'idée d'un Jayden déguisé en Batman lui évoquant cependant des fantasmes insoupçonnés. Ce qui ne l'aurait pas étonné, étant donné la détente avec laquelle il visait chaque fois le centre de la cible. « En général les athlètes sont plus dans l'émotion oui, ils n'ont pas d'armée de spécialistes de la communication pour les briefer sur ce qu'il faut dire et comment. On tire toujours des impressions sincères et authentiques, après une victoire comme une défaite. » dit-il, se remémorant son ancienne carrière comme un lointain souvenir. Charlie avait en plus l'avantage d'être une personne affable à qui on se prêtait volontiers au jeu des confidences. « Je fouillais pas vraiment dans leurs vies, du moins pas pour savoir plus que ce qu'ils voulaient bien partager. J'ai toujours eu beaucoup d'admiration pour les athlètes que j'ai eu la chance de rencontrer. » Il ne le disait pas avec condescendance, chaque journaliste demeurant libre de se spécialiser dans son domaine de prédilection. Certains faisaient simplement un meilleur travail que d'autres.

En ce qui concernait Charlie, il ne ferait pas du lancer de haches une spécialité. Chacune de ses tentatives était plus lamentable que l'autre, ce qui avait le don de l'amuser plus que de le dépiter à ce stade. D'ordinaire compétitif, il cédait sans problème cette bataille à Jayden, qui ne cessait de se surpasser chaque fois. Lorsque ce dernier entreprit d'enlever sa veste, puis de s'approcher dangereusement dans son dos, Charlie fut incapable de contenir sa surprise. Il se laissa manipuler comme un pantin, savourant le contact de ces mains qui parcouraient son corps comme s'il le connaissait déjà par cœur. D'abord sur ses doigts, avant de glisser jusqu'à ses hanches avec une naïveté effrontée qui lui arracha un frisson. Il pouvait sentir son souffle chaud et sucré dans son cou, l'odeur de mandarine qui émanait de sa peau, tandis que plus rien ni personne n'existait autour de lui. L'assurance de Jay, si elle ne lui semblait pas calculée, ne le laissa pas indifférent, et Charlie songea même qu'il avait eu la chance d'être mauvais, sans quoi il n'aurait jamais pu réaliser à quel point cette position lui semblait aussi déstabilisante que naturelle. Sa respiration s'était bloquée par défaut, en suspens comme tout le reste de ses émotions, virevoltant sans qu'il ne sache laquelle l'emportait sur l'autre. Puis miracle, la hache termina sa course dans la cible, comme si tout ce temps Jay était la seule pièce qui lui manquait. « Tu devrais ajouter bon professeur à la liste de tes qualités. » déclara-t-il en tournant le visage vers Jayden, qui ne savait visiblement plus où se mettre. Ses mains rebroussèrent chemin, reprenant leur place le long de son corps penaud. Charlie lui adressa un sourire séduit, espérant qu'il suffirait à apaiser ses regrets potentiels. Ce contact inespéré avait achevé de le convaincre que Jay n'était pas indifférent lui non plus, quoique moins affirmé que lui. Qu'il y avait peut-être une porte ouverte à autre chose, en temps voulu. Le reste du temps fila à toute allure, comme les lames qui fendaient l'air les unes après les autres. Jay avait fini par reprendre une couleur moins écarlate, satisfait de constater que ses conseils avaient payé, et que Charlie ne lui tenait pas rigueur de son élan intrépide. Bientôt, le temps qui leur était imparti fut écoulé, et avec lui ce rêve éveillé. Ils furent rappelés à la réalité qu'il fallait se séparer. Pour mieux se retrouver, espérait Charlie. « Le temps est passé tellement vite. » dit-il alors qu'ils se dirigeaient vers l'endroit où ils s'étaient salués pour la première fois, un instant plus tôt qui semblait une éternité. Profitant des libertés que Jay avait prises, il se risqua à l'enlacer pour garder encore un peu avec lui son odeur. « J'espère qu'on se reverra. » Ce n'était pas juste un souhait, c'était une promesse.