« Tu sais, c'est exactement ça. T'as pas d'autre option, alors tu continues, même si t'as l'impression de traîner un poids mort avec toi. C'est pas que t'es fort ou courageux, c'est juste... la vie. Tu te débrouilles avec ce que t'as. » Maeve a entendu son soupir aussi distinctement qu’elle entend le ton profondément accablé de sa voix, et elle ne peut s’empêcher de relier son précédent discours à celui du présent ; s’il évoque une difficulté qu’il ne nomme pas, la petite rêveuse sent bien que l’affliction continue de le torturer. Il a l’air de comprendre ce qu’elle veut dire — à savoir, endurer les affronts que la vie nous fait, mais elle ne parvient pas à déterminer s’il évoque également une tare physique, une maladie ou bien un chagrin intarissable dont il n’arrive pas à solder la grandeur. ’’Exactement… On se débrouille avec ce qu’on a.’’ elle le répète en haussant ses épaules menues, sans même savoir qu’il a également effectué ce geste juste avant elle ’’Je ne sais pas ce que tu as traversé, Sam, mais j’espère que tu iras rapidement mieux.’’ elle ne demande pas des précisions et elle n’a peut-être même pas envie d’en avoir, jugeant qu’il s’agit de son jardin secret et qu’il lui faut le conserver ; il ne lui doit rien, pas même un quelconque aveu de vérité, et ce n’est pas Maeve qui va exiger des explications. Elle espère seulement qu’il peut compter sur quelqu’un comme elle sait pouvoir se reposer sur Lani, dans une absolue confiance qui ne souffre d’aucun défaut, même si l’homme qui lui fait face lui semble désespérément seul. « T'as de la chance d'avoir quelqu'un comme ça dans ta vie. Izan, c’est un peu pareil pour moi.Ce n'est pas un ami de longue date ni même l'un des meilleur mais il m’a maintenu en vie d’une certaine manière aussi. Même quand j’essayais de m’éloigner, de tout foutre en l’air, il était là pour me remettre sur les rails. Et c’est pas facile, tu vois ? Quand tout autour de toi te pousse à te renfermer, à te couper du monde, il faut vraiment des gens comme ça pour te ramener à la réalité. » il avoue donc, à demi-mots, qu’il a traversé quelque chose de suffisamment douloureux et compliqué pour en ressortir abîmé. Néanmoins, elle se rassure en considérant l’ami qu’il cite comme une main tendue qu’il peut saisir en cas de besoin et, elle comprend très bien pourquoi cette présence amicale est nécessaire ; si elle peut aisément se passer de relation amoureuse, Meï sait qu’elle ne saurait pas vivre sans sa meilleure amie à ses côtés. ’’Je vois très bien ce que tu veux dire, et c’est une bonne chose que tu puisses compter sur quelqu’un, comme ça. Ce n’est pas grave si tu ne le connais pas depuis longtemps, le principal est qu’il soit là pour toi.’’ elle hausse de nouveau ses épaules mais avec un air plus réjoui, en courbant ses lèvres sous un sourire plus détendu, puisqu’elle ne peut s’empêcher d’être compatissante à l’égard de cet inconnu qui lui semble tout de même isolé dans sa douleur. Elle ne le connait pas mais, inutile de chercher plus loin ; Sam ne lui paraît pas suffisamment mauvais pour mériter un tel châtiment.

Lorsque la serveuse apporte leurs commandes respectives, Maeve s’empresse de se saisir de son milkshake rose pour en avaler une bonne gorgée, sans voir les pensées de son interlocuteur qui volètent dans ses yeux, appréciant le petit moment de silence qui s’installe afin de retrouver un semblant de neutralité émotionnel, ayant été happée par celles de Sam. « T’as vraiment l’air de bien t’en sortir, même si je me doute que c’est pas toujours facile. Moi, je serais probablement resté enfermé chez moi si j’avais dû faire face à ce que tu vis. » - ’’Non,’’ qu’elle répond avec douceur en reposant son verre, poursuivant aussitôt avec un petit sourire suave ’’Ou alors, seulement au début. C’est effrayant de ne pas voir, parfois… Je ne peux pas me rendre compte de ce qui se passe autour de moi, je ne peux pas voir si on pointe une arme sur moi, si une alarme se déclenche dans un magasin, je ne suis pas capable de trouver la sortie aussi facilement que les autres mais… Je ne connais aucun malvoyant qui a décidé de rester chez lui. Je ne vois plus le monde extérieur, mais je n’ai pas envie d’en être exclue.’’ et elle est persuadée que cela aurait été pareil pour Sam : on croit toujours que l’on est pas assez fort, jusqu’au jour où on doit l’être. Comme il a dit tout à l’heure : tout réside dans le fait de ne pas avoir le choix.
Commençant à dévorer sa gaufre avec une gourmandise non dissimulée, elle attend son jugement quand il feuillette son carnet pour découvrir ses croquis et ses ébauches, jusqu’à ce que la critique tombe : « Franchement, Maeve, t’as un vrai talent. Y a quelque chose de très... sincère dans tes dessins. Comme si tu laissais voir un bout de ton monde à travers eux. Ça me parle, tu vois ? » les paroles de Sam l’émeuvent grandement, puisque c’est bien pour cette raison qu’elle s’adonne à la peinture : transmettre des émotions et partager son univers. Pressant ses lèvres dans un sourire, elle essuie le coin de ses lèvres avec une serviette en papier avant de lui répondre, d’une voix que l’on sent troublée par l’émotion ’’Ça me touche beaucoup… Merci, Sam, vraiment.’’ récupérant son carnet, elle le dépose sur la table à côté de son assiette avant d’entendre la petite sonnerie de son téléphone qui retentit, et qui lui signale que quelqu’un cherche à la joindre. Mince, serait-elle en retard ? « Merci de m’avoir montré ça. Ça en dit long sur toi, et j’apprécie que tu partages ça avec moi. » - ’’C’est avec plaisir.’’ ouvrant son carnet, elle récupère un stylo de son autre main afin de feuilleter sur une page au-hasard, y inscrivant l’adresse de son atelier dans le coin de l’un de ses croquis avant d’arracher la feuille pour la tendre à Sam avec un grand sourire. ’’Si tu veux qu’on organise quelque chose pour tes élèves autour de l’art, n’hésite pas à me contacter. J’en serai ravie.’’ gardant son sourire sur ses lèvres, elle entreprend de ranger ses affaires tout en lui répondant, avec une voix amusée : ’’En effet, c’était excellent !’’ c’est bien pour cela qu’il n’en reste plus une miette sur le plateau, n’est-ce pas ’’Je dois y aller mais, comme je t’ai dit, n’hésite pas si tu as besoin. À bientôt peut-être !’’ accrochant la anse de son sac-à-main sur son épaule, elle récupère également ses fournitures en disant, dans un dernier écho et un ultime sourire doucereux ’’Prends soin de toi, Sam.’’

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