@Izan Da Silva

Depuis qu’il avait avoué à Swann avoir besoin d’aide, Min-Kyung expérimentait de bons jours et de mauvais jours, chose parfaitement normale selon son thérapeute. Le chemin vers la guérison n’était pas une ligne droite et il y aura des hauts et des bas tout le long du processus. Il ne devait pas se mettre la pression, que ce n’était surtout pas une compétition. Comme il s’agissait de Min, évidemment qu’il se mettait la pression. C’était l’histoire de toute sa vie depuis le jour de sa naissance. Son thérapeute le savait, Min le savait aussi, mais avant de lâcher prise, la route serait longue.

Aujourd’hui, c’était une mauvaise journée. Dans les bons jours, Min fonctionnait normalement. Il avait généralement eu une bonne nuit de sommeil et une séance de sport satisfaisante. Il avait l’énergie nécessaire pour faire tout ce qu’il avait à accomplir. Bref, il allait bien. Dans les mauvais jours, c’était tout le contraire. En général, ça coïncidait avec une nuit d’insomnie. Par conséquent, il n’avait aucune patience et manquait d’énergie. Il n’arrivait pas à performer lors de ses entraînements, ce qui en ajoutait à sa frustration, mais le pire, c’étaient les pensées intrusives. Elles causaient l’insomnie qui pourrissait tout le reste. Évidemment, ces pensées tournaient autour de ses parents et de son coming out, mais depuis qu’il parlait à un thérapeute, d’autres histoires revenaient à la surface, des choses qu’il pensait oubliées depuis des années. Min avait fait un excellent travail en repoussant tout ça dans un coin de sa tête comme si rien n’était jamais arrivé, ou pire, que c’était normal et non pas de l’abus. Maintenant, tout ça lui explosait à la figure. Il aurait préféré que sa soirée de dimanche se passe autrement…

Link venait de partir après un weekend en amoureux. Il avait d’ailleurs oublié l’un de ses t-shirts sur le sofa et Saja dormait dessus. Ils avaient regardé pour des maisons à vendre dans la région. Min souhaitait acheter pour enfin quitter cet appartement. Il avait délibérément décidé de s’installer dans un endroit bien en dessous de ses moyens afin d’économiser. Après une année entière à mettre de l’argent de côté, il avait réussi à réunir une somme très intéressante. La difficulté c’était de trouver un endroit qui conviendrait à tous les deux. Aucun d’eux ne voulait être trop éloigné de son lieu de travail. Link pouvait difficilement être plus près, il vivait dans un appartement au-dessus du garage qui l’employait. En contrepartie, ça lui prenait 1h30 pour venir le voir. Donc oui, ça causait pas mal de discussions et parfois même un peu de tensions. Surtout quand Min était dans un mauvais jour. Il regardait encore les sites de maisons à vendre, mais il n’arrivait plus à se concentrer. Frustré, il referma l’écran de son portable et commença à faire les cent pas dans son salon. Il n’avait toujours rien dit à Lincoln et il savait que ce n’était pas une bonne chose. Il avait promis d’être honnête et il ne l’était pas. Il ne voulait pas lui causer de stress, donc l’intention n’était pas mauvaise, mais il y a une raison pour quoi on disait que l’enfer était pavé de bonnes intentions. Min se frotta le visage. Dans un tel état d’agitation, Min aimait aller courir. La course l’aidait à se détendre et à se vider la tête. Toutefois, comme il l’avait déjà fait ce matin et qu’il ne devrait techniquement plus le faire à cause de ses genoux, le faire une deuxième fois serait juste stupide. Il ne pouvait pas non plus rester enfermer dans l’appartement, alors il attrapa une veste et choisi d’aller se balader. Il prendra quelque chose à manger en chemin.

Le temps était plus frais. C’était agréable de se balader dans les rues et il n’était pas le seul à avoir eu cette idée. Il aimait l’énergie du quartier et sa diversité, mais il avait hâte d’avoir sa propre maison avec un terrain. Maintenant qu’il avait un chat, il pensait adopter un chien. En appartement, c’était impossible, mais avec une maison… Il marcha pendant un bon moment en réfléchissant à la maison et à toutes les choses positives qui étaient arrivées dans sa vie. Il essayait vraiment très fort de ne pas penser à ses parents. Évidemment, plus il essayait de les chasser de son esprit, plus ils s’accrochaient. Ils auraient surement quelque chose à dire s’il leur faisait part de son projet. Ils diraient qu’elle devait être assez grande pour qu’ils puissent y aménager aussi. En étant le fils de la famille, il était de son devoir de prendre soin de ses parents vieillissants. Ça n’arriverait pas. Il ne pouvait plus concevoir vivre sous le même toit qu’eux. De toute façon, ils ne lui parlaient plus depuis son coming out. Une façon de plus de les décevoir. Min avait envie de se frapper la tête contre un mur. N'importe quoi pour ne plus réfléchir… Quelque chose attira alors son regard, un éclat arc-en-ciel. Il s’arrêta. Il reconnut aussitôt l’endroit, c’était l’une de ces associations LGBTQ+, un endroit sûr et sans jugement pour les membres de la communauté en difficulté. Il avait failli aller là une fois, peu après son arrivée à Brisbane. Il n’était pas rentré. Il avait le sentiment d’être trop vieux pour ça, que ces endroits étaient plutôt destinés aux jeunes sans ressources. À 36 ans, il devrait pouvoir s’occuper de lui-même.

Avant même de s’en rendre compte, ça faisait déjà un moment que Min se tenait devant la bâtisse. Peut-être qu’il devrait entrer. Là, il était certain de trouver quelqu’un qui l’écouterait, mais qu’est-ce qu’il leur dirait ? Qu’il n’était pas capable de sortir ses parents de sa tête. Pourquoi? Parce qu’il regrettait de leur avoir avoué son homosexualité et qu’ils l’avaient violemment rejeté. Il sentait encore l’impact du vase sur son visage, de l’eau qui éclaboussait ses vêtements et des fleurs éparpillées sur le sol. Min se rapprocha d’un pas, puis se ravisa. Frustré contre lui-même, il tourna les talons, prêt à reprendre son chemin.

Entre la sortie de son dernier album, son voyage promotionnelle, ses représentations aux quatre coins du globe et sa première histoire d’amour ratée, inutile de dire qu’il n’a pas beaucoup de temps à accorder aux associations dans lesquelles il s’est engagé, Izan, mais ses avocats et son Label sont unanimes sur la nécessité de le voir se pavaner partout où il pourra redorer son blason fracturée par les médisances de sa propre famille. Lincoln est sur le pied de guerre pour faire justice, même si le pianiste le trouve un tantinet trop naïf à espérer qu’une médiation parvienne à adoucir les relations avec les siens ; ils le détestent tous plus ou moins, et il ne se fait aucune illusion sur la question : aucun membre de sa famille n’osera contester la haine que lui voue sa mère, quand bien même en sont-ils prisonniers. Et puisque celle-ci le dépeint comme une personne odieuse, un criminel responsable de la mort de son propre petit-frère, il faut bien contrebalancer l’indigne scandale autour de son nom, et cela passe par dresser un portrait élogieux et généreux de sa personne : parmi toutes les associations auxquelles il aurait pu prétendre, c’est dans une association lgbt+ qu’il est apparu, Lynda derrière lui, penchée au-dessus de son téléphone à taper quelques emails à dieu-sait-qui. ‘’Arrange-toi pour sourire le plus possible, faut qu’on voit que t’es détendu, ok ?’’ il soupire en mordillant le coin de sa lèvre, franchement agacé de devoir jouer un rôle dans un lieu qui lui tient tant à coeur, et qui l’a tant aidé lui-même. N’est-ce pas effroyable d’y revenir avec un intérêt autre que donner du temps et de l’énergie pour aider ceux qui en ont besoin ? Bien que sincère dans son engagement, il éprouve un malaise plutôt virulent à l’idée d’être un faussaire que l’on accueille à bras ouverts, et auquel on accorde des étreintes doucereuses, accompagnées de « ça fait longtemps », qui ne font qu’accentuer sa culpabilité. ’’J’ai été très occupé…’’ il ne ment pas, Izan, mais il est vrai qu’il a délaissé ses engagements associations pour consacrer tout son temps libre à son ex-compagnon — maintenant qu’ils sont séparés, il n’aura plus d’excuse, n’est-ce pas.

Pris dans la spirale des heures qui défilent en même temps que les personnes qu’il rencontre, il finit par s’échapper à l’extérieur en arrondissant ses lèvres pour expier un air nerveux, en glissant l’une de ses mains dans ses boucles brunes pour les repousser en arrière. Il déteste ça, mais a-t-il seulement le choix ? Il ravale sa salive en serrant les dents, balayant les alentours d’un regard circulaire en remarquant, après quelques secondes, la silhouette persistante qui siège devant l’entrée, en semblant apeurée d’y faire son entrée. Ces enveloppes fuyantes, intimidées et indécises, il en a vu des tas, Izan, et il les connaît si bien parce qu’il a été l’une d’elles quand il était plus jeune. Ce chemin qui n’atteint pas sa destination, par crainte, par peur, par honte, il l’a fait aussi, et il aurait aimé que quelqu’un empêche la déroute alors, d’un pas tranquille, il se rapproche de l’inconnu en lui octroyant un sourire qui se veut rassurant, s’il parvient à capter son regard. ’’On ne mord, vous savez…Enfin, ça dépend qui. Mais vu qu’ils ont été nourris aujourd’hui, ça devrait aller.’’ qu’il lance pour dédramatiser l’instant, bien qu’il se sache peu doué en la matière, le pianiste ‘’Vous voulez entrer ? Il n’y a plus grand monde mais, il y a moi. Et je sais faire du thé.’’ faut dire qu’infuser un sachet dans un verre d’eau, c’est pas le bout du monde, ouais ’’Ou café.’’ le thé, c’est plus sûr, mais il n’est même pas sûr que l’homme devant lui acceptera la main (maladroite) qu’il lui tend.

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@Izan Da Silva

Min-kyung n’avait fait que quelques pas lorsqu’une voix derrière lui l’arrêta net. Son cœur s’emballa dans sa poitrine. Quelqu’un l’avait vu lorsqu’il s’était arrêté devant la bâtisse. Évidemment, ils ont cru qu’il avait besoin d’assistance. Ce n’était sans doute pas la première fois que quelqu’un restait planté devant la porte sans oser rentrer. C’était bien la dernière chose qu’il voulait. Min se retourna en direction de la voix, tous ses sens en alerte. Il était aussi tendu qu’un cerf prêt à bondir au moindre signe de danger. Un homme se tenait à quelques pas de lui, un sourire sur les lèvres, un visage jamais vu auparavant. Il s’en souviendrait sinon, il avait des yeux remarquables. Chaque fibre de son corps hurlait pour prendre la fuite, mais quelque chose l’empêchait de bouger et gardait ses pieds solidement fixés au sol. « On ne mord, vous savez…Enfin, ça dépend qui. Mais vu qu’ils ont été nourris aujourd’hui, ça devrait aller. » Peut-être que dans d’autres circonstances, cette remarque l’aurait fait sourire. Il avait probablement dit à des stagiaires quelque chose de semblable par le passé en faisant référence à leurs patients. Cette fois, son visage resta impassible. Il regardait fixement l’homme comme s’il s’attendait à ce qu’il sorte une arme à tout moment pour lui sauter dessus. « Vous voulez entrer? Il n’y a plus grand monde mais, il y a moi. Et je sais faire du thé ou café. » Cette proposition piqua son intérêt. Min-Kyung refusait rarement un café, mais quelque chose dans la voix de cet homme laissait entendre que le thé était l’option la plus sûre. Il avait envie d’un café bien noir, mais s’il voulait se donner une chance et dormir cette nuit, il devait être raisonnable. Son visage ne montrait aucune émotion, mais son regard trahissait une intense réflexion. Il hésitait. D’un côté, il voulait qu’on le laisse en paix. De l’autre, il ne voulait pas rester seul. Min avait besoin d’un peu de compagnie, même celle offerte par un pur étranger.

« Du thé… ça ira. » Il paraissait presque surpris d’avoir parlé. Il fronça les sourcils et serra les poings, mais ses épaules finirent par s’affaisser et se détendre. Un soupir tremblant franchit ses lèvres comme s’il venait de fournir un effort colossal. Sa bouche se crispa dans ce qui pourrait peut-être passer pour sourire avant de suivre l’inconnu à l’intérieur.

L’hésitation se lit si aisément dans les yeux de l’inconnu que le pianiste se flagelle intérieurement d’être aussi peu adroit avec les mots ; d’ordinaire, il n’est pas chargé de l’accueil des personnes qui viennent quérir de l’aide en ces locaux — pour des raisons évidentes, mais il sait qu’il n’a pas le loisir d’aller chercher un.e bénévole pour régler sa maladresse avec l’homme qui ne le quitte pas des yeux, et dont l’examination silencieusement est tout à fait réciproque ; l’inconnu le regarde avec méfiance quand le pianiste l’observe avec la crainte de le voir filer sans possibilité de le retenir. Après sa proposition, un long silence pesant s’installe, un mutisme partagé que même Izan n’ose pas troubler, ne sachant pas tellement ce qu’il pourrait dire pour prouver sa bonne volonté ; son invitation est une main tendue, mais il ne peut pas forcer le beau brun à la saisir. « Du thé… ça ira. » à la fois soulagé d’entendre une réponse positive et de ne pas avoir à se battre contre les boutons de la machine à café, le pianiste esquisse un petit sourire chaleureux en hochant son menton de haut en bas. Bien qu’ayant remarqué la réaction presque interdite de l’homme qui semble apeuré, Izan décide de ne pas s’y attarder outre mesure, songeant qu’il n’y aurait rien à cueillir de cette fleuraison anxieuse : il préfère oeuvrer à l’apaiser silencieusement et discrètement, plutôt que de la mettre en lumière. ’’Venez…’’ qu’il prononce avec douceur en ouvrant la porte, lui faisant signe de passer le premier d’un geste de la main, accompagnant la deuxième invitation avec un sourire qui se veut rassurant. ’’Suivez-moi, on va se mettre dans un coin tranquille.’’ et ce n’est pas ce qui manque, dans cet établissement ; c’est dans l’une des petites pièces aménagées que le pianiste conduit son interlocuteur, en se retournant parfois sur le chemin pour s’assurer qu’il ne l’a pas perdu en route — sait-on jamais qu’il fasse demi-tour. Dans le doute, il laisse la porte entrouverte : elle n’est pas totalement fermée mais pas totalement ouverte non plus ! ’’Un parfum en particulier ?’’ prenant la boite, il la dépose sur la petite table basse ronde devant le canapé collé au mur, sur lequel Min peut s’installer s’il le souhaite. Et si on voit qu’il n’a pas l’habitude de gérer ce genre de situation, il s’efforce de faire de son mieux : ramenant deux mugs remplis d’eau chaude, il les dépose devant lui en s’asseyant sur le sofa, se demandant maintenant comment aborder la chose. Merde, il devrait y avoir un mode d’emploi, quand même. Autant crever l’abcès tout de suite, non ? ’’Vous n’êtes pas obligé de me dire votre nom, je vous rassure. Et ce qui se dit ici, restera ici.’’ il espère que cette précision va déjà adoucir la difficulté de l’exercice pour Min : se dévoiler à un illustre inconnu sur un sujet aussi personnel que douloureux. ’’En fait, vous parlerez de ce que vous voudrez.’’ pour l’encourager à sauter le pas, il lui adresse un sourire suave et compatissant, sachant très bien combien l’aveu est difficile. Mais ces afflictions et la douleur qu’il lit dans ses yeux, n’est-ce pas la raison de sa venue ? Ne souhaite-t-il pas s’en soulager ? Izan attend, sans rompre le contact visuel, de savoir si oui ou non il peut l’aider.

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@Izan Da Silva

« Venez… » Min-Kyung le suivait comme un automate. Partout autour de lui, il y avait des affiches aux couleurs vives qui présentaient les services disponibles ici et ailleurs dans la ville pour ceux qui en avaient besoin. Qu’est-ce qui se serait passé s’il était venu dans un endroit semblable quinze ans plus tôt? Sa vie aurait surement été différente. Il n’aurait probablement pas attendu d’avoir trente-cinq ans pour avoir un petit ami. En revanche, pour ses parents, la réaction aurait été la même, ça, il en était certain. La crise aurait été aussi violente, plongeant Min dans la même tourmente qu’aujourd’hui. Les choses seraient juste arrivées plus tôt. Comment le Min-Kyung de vingt ans, immature et sans expérience, aurait pu survivre à ça? Il préférait ne pas y penser.

On l’amena jusqu’à une petite salle aménagée pour être confortable, inviter à la conversation, mais surtout à l’abri des oreilles indiscrètes. Min s’installa sur le sofa qui en avait vu d’autres, les mains sur les genoux, le visage toujours aussi fermé. Il avait l’impression que l’homme en face de lui n’était pas habitué à ce genre d’exercice. Il sentait la nervosité derrière ses gestes. Tant mieux, ils étaient deux dans ce cas. Min regarda la boîte contenant les sachets de thé. Il préférait le thé en feuille, mais il tendit la main pour prendre celui au jasmin, réalisant qu’elle tremblait légèrement. Il attendit, toujours en silence, que l’homme revienne avec deux tasses remplies d’eau chaude. Min y plongea le sachet et l’odeur du jasmin ne tarda pas à se répandre. Pendant ce temps, l’inconnu s’était lui aussi installé sur le sofa à son autre extrémité. Cette soudaine intimité dérangea Min qui se sentait de plus en plus obligé de dire quelque chose pour briser le silence qui pesait sur eux. « Vous n’êtes pas obligé de me dire votre nom, je vous rassure. Et ce qui se dit ici restera ici. » Min se mordit la lèvre. « Je peux dire mon nom », dit-il enfin, la voix rauque. « Je ne me cache pas. » Il y avait une certaine insistance dans sa voix. C’était important que cet homme le sache et le comprenne. Le problème, ce n’était pas tant son homosexualité que la réaction de ses parents face à celle-ci. « Je m’appelle Min-Kyung, mais tu peux m’appeler Min. » Il regarda Izan dans les yeux un bref instant avant de rapporter son attention sur la tasse. Lorsqu’il ne souriait pas, son expression était tellement sévère, mais son regard était toujours aussi triste. « En fait, vous parlerez de ce que vous voudrez. » Parler de quoi? Min pouvait parler de la température, de ses dernières vacances, de son travail et de ses patients adorés. Il pouvait parler de n’importe quoi, sauf de ce qui l’affligeait et tout ceci ne serait qu’une perte de temps. Il se mordit la lèvre, alors que le silence s’étirait encore une fois. « J’ai toujours pensé que ce genre d’endroit était surtout destiné aux plus jeunes sans ressources. J’aurais dû venir ici quand j’avais vingt ans, pas à trente-six. Je n’aurais probablement pas perdu autant de temps. J’ai l’impression qu’à mon âge, je devrais avoir les moyens de me débrouiller, d’avoir le contrôle sur ma vie. » Il s’esclaffa. « Je me suis rarement autant trompé. » Entre son index et son pouce, il prit la petite corde qui empêchait le sachet de disparaître au fond de la tasse et le remua un peu. « Mon petit ami est rentré à Kilcoy ce soir, je ne le verrai pas avant la fin de semaine prochaine et je n’avais pas envie d’être seul ce soir. Il ne sait pas ce qui se passe avec moi. Il sait ce qui est arrivé, mais il ne sait pas dans quel état ça m’a mi. Je sais, je devrais lui dire. Je ne veux juste pas qu’il s’inquiète. »

L’exercice est compliqué pour celui qui n’a pas franchement l’habitude de tenir le rôle d’accompagnateur mais quelque chose, dans le silence douloureux qui englobe l’homme qui lui fait face, lui donne envie de faire l’effort, sans être toutefois certain d’y parvenir. Songeant naïvement que l’hésitation de l’inconnu vient peut-être du fait qu’il craint d’être exposé devant l’oeil d’autrui, Izan tente de le rassurer mais, bien évidemment, il se trompe sur toute la ligne, le maladroit, et l’identité préservée ce n’est absolument pas le noeud du problème. « Je peux dire mon nom » ah qui lui fait hausser les sourcils en même temps qu’il prend une fine inspiration, se rendant compte qu’il est complètement à la ramasse et qu’il ferait mieux d’appeler quelqu’un d’autre mais, maintenant qu’il est cloué sur ce fauteuil, il ne peut que difficilement se faire remplacer sans paraître démissionnaire auprès de celui qui a besoin d’aide « Je ne me cache pas. » ce qui ne l’aide pas véritablement à comprendre la nature du problème, même s’il se réjouit de savoir que ce n’est pas celui-là. « Je m’appelle Min-Kyung, mais tu peux m’appeler Min. » - ’’Enchanté, Min, je m’appelle Izan.’’ qu’il répond d’une voix tranquille en considérant son interlocuteur avec un regard bienveillant, ne cherchant pas à le presser ou à le déloger de son mutisme qui doit être confortable, ou peut-être pas tant que ça puisqu’il cherche à le rompre ? Izan est aussi éclairé qu’il est à l’aise dans cette discussion, ce qui n’est vraiment pas grand-chose. Mais il l’invite à parler, sans espoir de le voir s’établir avec honnêteté, comprenant qu’il va falloir du temps pour gagner sa confiance et lui inspirer suffisamment de sécurité pour qu’il veuille lui confier ses peines. Lui-même, au prisme d’un chagrin amoureux qui le terrasse, ne daigne pas partager ce qu’il ressent alors, il ne peut pas vraiment le juger sur sa retenue. « J’ai toujours pensé que ce genre d’endroit était surtout destiné aux plus jeunes sans ressources. J’aurais dû venir ici quand j’avais vingt ans, pas à trente-six. Je n’aurais probablement pas perdu autant de temps. J’ai l’impression qu’à mon âge, je devrais avoir les moyens de me débrouiller, d’avoir le contrôle sur ma vie. » il se moque de lui-même mais Izan ne joint pas son rire au sien, pressant plutôt ses lèvres l’une contre l’autre en paraissant compatissant, mais surtout à l’écoute « Je me suis rarement autant trompé. » n’ayant que trop peu d’intérêt pour sa propre boisson, il observe néanmoins le geste de Min pendant quelques secondes, avant de répondre, d’une voix calme et posée ’’Je ne sais pas si c’est une question de contrôle… Mais nous recevons des personnes de tous les âges, tu sais ? Parfois, même plus âgés que toi.’’ et il dit la vérité, Izan, même s’il se garde bien de préciser que les situations sont encore plus compliquées dans ce cas de figure, puisque souvent ces personnes n’ont pas pu vivre la vie qu’elles espéraient, et ont été cantonnées à un schéma qui a été leur prison. Est-ce que ce sera suffisant pour que Min se sente davantage légitime ? Il l’espère, en tous cas. « Mon petit ami est rentré à Kilcoy ce soir, je ne le verrai pas avant la fin de semaine prochaine et je n’avais pas envie d’être seul ce soir. Il ne sait pas ce qui se passe avec moi. Il sait ce qui est arrivé, mais il ne sait pas dans quel état ça m’a mi. Je sais, je devrais lui dire. Je ne veux juste pas qu’il s’inquiète. » plissant légèrement ses paupières, Izan hoche son menton de haut en bas en essayant de faire le tri dans les informations qu’on vient de lui donner, échappant un premier ’’Je comprends que tu ne veuilles pas l’inquiéter, mais je suis persuadé qu’il préfèrerait être là pour toi, même de loin. Et son soutien pourrait beaucoup t’aider, non ?’’ sûrement que oui, mais ce n’est pas vraiment l’élément le plus important du discours. Min a parlé d’un évènement responsable de son état, mais sans plus de détails, et c’est bien de ce côté qu’il lui faut creuser : prendre le problème à la racine. ’’Qu’est-ce qui s’est passé ?’’ jouant machinalement avec le bracelet noir qui ceint son poignet, il incline son menton sur le côté en attendant la réponse, espérant que Min veuille bien lui confier la raison de son désespoir.

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@Izan Da Silva

« Enchanté, Min, je m’appelle Izan. » « Enchanté, Izan. » Le nom ne sonnait pas anglophone, mais il ne pourrait pas dire quelle en était l’origine. S’était-il arraché à une contrée lointaine afin de s’installer ici ou, comme lui, était-il né en ce pays de parents immigrants pour grandir sous l’influence de deux cultures, peut-être à l’opposé l’une de l’autre? Dans ce cas, peut-être qu’il pourrait comprendre. Si seulement il trouvait le courage de tout raconter, il y avait tant à dire.

Izan lui confirma qu’ils recevaient des gens de tous les âges. Ça ne le surprenait pas. C’était une fausse idée qu’il s’était faite, inspirée par la peur, un prétexte pour ne jamais mettre les pieds ici. Amusant comme la vie pouvait vous amener là où vous vous attendiez le moins. Pourtant, il voulait faire confiance à l’univers, même si ça le plaçait dans une situation hautement inconfortable. Puis, le souvenir le frappa. Lui assit sur un sofa comme celui-ci dans son appartement de Redcliff. À la place d’Izan, Lincoln, inquiet et nerveux devant un Min-Kyung secoué à la suite d’une mauvaise rencontre dans un bar. Il était venu le chercher aux petites heures de la nuit, sans poser de question alors qu’ils se connaissaient à peine. C’était bien avant qu’ils ne deviennent un couple, mais dans l’intimité de son appartement, des choses furent révélées qu’il n’avait jamais dites à personne, un timide premier pas dans l’acceptation de soi. Min voudrait tellement qu’il soit là. Un constat qui lui brisa le cœur. « Je comprends que tu ne veuilles pas l’inquiéter, mais je suis persuadé qu’il préfèrerait être là pour toi, même de loin. Et son soutien pourrait beaucoup t’aider, non? » Min acquiesça doucement d’un signe de tête. Il retira le sachet de thé et but une première gorgée. « Link est du genre anxieux », dit-il enfin en reposant la tasse. « Et c’est un fumeur. Lorsqu’il est stressé, il enchaîne les cigarettes. Il essaie d’arrêter. Si je lui en parle, j’ai peur qu’il recommence. » Il soupira. « Je sais, c’est une piètre excuse, mais je ne sais pas comment lui dire à part : désolé, mais ton copain est en train de perdre la tête, car il réalise enfin que ses parents ne l’ont jamais aimé. Il y a surement une meilleure façon de faire les choses, mais ça résume plutôt bien la situation. »

Min reprit la tasse et, cette fois, il la garda dans ses mains. Son pouce en suivait la courbe, glissant de haut en bas. « Qu’est-ce qui s’est passé? » Il savait que la question viendrait. Il ne fut donc pas surpris d’entendre Izan la poser. Après tout, c’était pour ça qu’il était ici. Min leva les yeux vers le plafond. « La fucking fin du monde, voilà ce qui s’est passé. » Min n’employait jamais de langage vulgaire, mais ça, Izan ne pouvait pas le savoir. « J’ai fait mon coming out à mes parents plus tôt au printemps et ça s’est très mal passé. Ma mère a détruit mon téléphone et m’a lancé un vase au visage. J’en ai gardé des marques pendant deux semaines, juste ici. » Il passa une main sur sa joue là où le vase l’avait atteint. « Mon père n’a rien dit, mais les silences sont souvent plus éloquents que des mots. Je n’aurais jamais dû leur dire. Eux à Melbourne et moi ici, ce n’était pas nécessaire de le faire. J’étais enfin heureux, tout allait bien, mais il a fallu que je leur dise en sachant pertinemment qu’ils réagiraient mal. Peut-être que j’avais espoir de me tromper, que mes parents m’aimaient et qu’ils ne feraient jamais ça au fils qui a toujours fait ce qu’ils demandaient. » C’était comme si un barrage venait de céder et Min ne pouvait plus s’arrêter de parler. À la tristesse s’ajoutait une frustration évidente qui teintait ses mots d’amertume. Derrière ses apparences calmes, une colère bouillonnait depuis longtemps. « Gagne tes compétitions de course, être deuxième ce n’est pas suffisant, soit un premier de classe et deviens médecin ou avocat, mais préférablement médecin pour que tu puisses t’occuper de nous lorsqu’on sera vieux. Ça, ce fut leur première grande désillusion. J’ai été admis en médecine sans aucun problème avec toutes les bourses d’excellence que tu peux imaginer, mais j’ai lâché après la première année pour devenir vétérinaire. La première décision que j’ai prise pour moi. Évidemment, un vétérinaire, ce n’est pas un vrai médecin à leurs yeux. Ensuite, épouse une gentille fille coréenne même si tu es australien et fonde une famille. Ça non plus, je ne pouvais pas leur donner. Du moins pas comme ils le voudraient. Ils ont essayé, pourtant. Ma mère m’a présenté toutes les filles célibataires de ses amis. Elle organisait des repas à la maison et chaque fois, il y avait une fille différente. Elles étaient gentilles, plusieurs aussi inconfortables que moi, d’autres franchement motivées à m’avoir. La dernière n’avait pas plus que vingt-deux ans alors que j’approchais les trente-cinq. C’est pour cela que j’ai pris la fuite. J’ai tout laissé derrière moi pour venir à Brisbane… » Min s’arrêta brusquement, prenant conscience de ce tout ce qu’il venait de dire. « Désolé, je parle trop. »

« Link est du genre anxieux »  un fardeau qu’il ne connaît que trop bien et qui fait rouler ses lèvres l’une contre l’autre pendant quelques secondes, puisqu’il comprend pourquoi Min ne veut pas partager son chagrin avec son compagnon — une attention louable au demeurant, mais il ne peut s’empêcher de penser qu’il ne doit pas oublier ses propres besoins en voulant protéger l’homme qu’il aime. « Et c’est un fumeur. Lorsqu’il est stressé, il enchaîne les cigarettes. Il essaie d’arrêter. Si je lui en parle, j’ai peur qu’il recommence. » - ’’Je comprends.’’ et il dit vrai, Izan, ne cherchant nullement à le caresser dans le sens du poil pour satisfaire un quelconque besoin hypocrite de lui donner raison, car il ne semble pas y avoir de solution miracle pour préserver tout le monde, n’est-ce pas « Je sais, c’est une piètre excuse, mais je ne sais pas comment lui dire à part : désolé, mais ton copain est en train de perdre la tête, car il réalise enfin que ses parents ne l’ont jamais aimé. Il y a surement une meilleure façon de faire les choses, mais ça résume plutôt bien la situation. » les mots le percutent à la vitesse d’un fourgon dont les freins auraient lâché, puisqu’il a l’impression d’entendre des paroles qu’il aurait pu prononcer lui-même. Il est toujours sagement assis dans le même fauteuil, aucun véhicule-fou n’a brisé le mur pour l’envoyer valser dans le décor et, pourtant, il y a une urgence toute douloureuse qui circule dans son corps, et il en ressent les effets jusque dans ses muscles qui se tendent, sa gorge qui se serre et son coeur qui s’agite sous une émotion qu’il n’identifie pas tout à fait. C’est vraiment pas le moment de se laisser gagner par l’angoisse, pas vrai ? Mais c’est difficile d’omettre l’enclave située derrière sa langue, qui l’empêche de respirer correctement pendant quelques secondes, si bien qu’il racle sa gorge en se redressant, changeant de position sur sa chaise en espérant se libérer des filets de la nervosité, dans une tentative totalement illusoire de retrouver un peu de contenance. Espérant que son trouble ait échappé à l’oeil de son interlocuteur — il vaudrait mieux pour sa crédibilité, qu’on se le dise, il réunit toute sa lucidité pour poser une nouvelle question, en espérant que la suite du récit l’aide à dissiper son malaise « La fucking fin du monde, voilà ce qui s’est passé. » il veut bien le croire, ouais « J’ai fait mon coming out à mes parents plus tôt au printemps et ça s’est très mal passé. Ma mère a détruit mon téléphone et m’a lancé un vase au visage. J’en ai gardé des marques pendant deux semaines, juste ici.  » ses yeux suivent la main qui indique la peau de son visage heurté, en se désolant du caractère répétitif des histoires entendues entre ces murs ; les parents sont malheureusement les pires bourreaux pour leurs enfants « Mon père n’a rien dit, mais les silences sont souvent plus éloquents que des mots. Je n’aurais jamais dû leur dire. Eux à Melbourne et moi ici, ce n’était pas nécessaire de le faire. J’étais enfin heureux, tout allait bien, mais il a fallu que je leur dise en sachant pertinemment qu’ils réagiraient mal. Peut-être que j’avais espoir de me tromper, que mes parents m’aimaient et qu’ils ne feraient jamais ça au fils qui a toujours fait ce qu’ils demandaient. » il y a des phrases qui lui viennent mais Izan pressent que son interlocuteur n’a pas fini de parler, et que c’est davantage un besoin qu’une envie ; Min doit vider son sac, déverser toute sa colère, sa rage et sa tristesse sur cette table basse pour espérer repartir plus apaisé, et ce n’est certainement pas le pianiste, encore affligé de cette sensation de douleur en écho, qui va l’en empêcher. Avec une attention toute particulière, il écoute les mots qui lui sont confiés et qui ricochent tantôt avec aigreur et tantôt avec déception, puisque Min lui fait le récit d’une vie toute formatée qu’on a voulu lui imposer et, avec un courage admis, il n’a pas cédé à ce moule traditionnel qui aurait satisfait ses parents : certains y verront de l’égoïsme, Izan considère plutôt que c’est l’instinct de survie. « Désolé, je parle trop » peut-être parce que tu sais qu’il y a quelqu’un qui t’écoute il le soulage d’un sourire rassurant avant de prendre la parole, d’un ton tout aussi quiet : ’’On ne fait pas des enfants pour qu’ils soient le reflet de notre volonté, tu sais. Les parents ne doivent rien exiger de leurs enfants, et encore moins leur imposer des choix de vie.’’ le parallèle effectué avec sa propre histoire — et sa relation somme toute foireuse avec sa mère — est aisé, mais il tâche de rester concentré sur la situation de Min, ne pensant pas vraiment que sa propre expérience aiderait d’une façon ou d’une autre ’’Tu leur as dit parce que tu voulais les inclure dans ta vie, dans ton histoire d’amour avec Link’’ sa voix est un peu hésitante quand il use du nom du petit-ami, et il fronce même les sourcils comme pour demander confirmation, avant de poursuivre ’’Je suis désolé que tu aies eu à subir cette violence.’’ psychologique, certes, mais aussi physique. Rien ne peut justifier un tel déferlement de haine, et encore moins l’amour de deux personnes. ’’Ils n’ont pas essayé de revenir vers toi ? De s’excuser ?’’

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@Izan Da Silva

« On ne fait pas des enfants pour qu’ils soient le reflet de notre volonté, tu sais. Les parents ne doivent rien exiger de leurs enfants, et encore moins leur imposer des choix de vie. » Min-Kyung éclata de rire. Izan ne cherchait probablement pas à faire de l’humour, mais c’était plus fort que Min. Il n’y avait rien de joyeux dans ce rire. Désabusé, ironique, cinglant peut-être, mais pas heureux. « Désolé », dit-il enfin alors qu’il reprenait le dessus, ses épaules encore secoués par son hilarité. « Ce n’est pas à moi que tu devrais dire ça, mais à eux. Ils n’écouteront pas, évidemment. Ils sont plus vieux donc ils savent ce qu’il y a de mieux pour leur progéniture. Le cliché des parents asiatiques est vrai. Pas pour tous, mais ça reste une réalité pour plusieurs. Ils ont laissé derrière leur pays pour donner une vie meilleure à leurs enfants. Ils ont fait d’énormes sacrifices pour ça. Ils en attendent donc autant de leurs enfants. Et si jamais l’enfant n’y arrive pas ou craque sous la pression, ce ne sont pas les attentes qui sont trop élevées, mais l’enfant qui est paresseux ou faible. J’ai vu ça chez plusieurs de mes amis ainsi que chez des membres de ma famille qui vivent en Corée du Sud. » Parler lui faisait du bien. Il avait moins l’impression que sa tête allait exploser, mais il n’avait plus d’énergie, un peu comme s’il venait de courir un marathon. Peut-être qu’il arrivera à dormir cette nuit. Ça serait bien de commencer la semaine un peu plus en forme et les idées claires.

« Tu leur as dit parce que tu voulais les inclure dans ta vie, dans ton histoire d’amour avec Link ». Il sentait l’hésitation dans la voix d’Izan, mais entendre le surnom de son petit ami de la bouche d’un autre le fit sourire avec une tendresse évidente, comme chaque fois qu’il était question de lui, d’ailleurs. C’était son petit miracle, l’une des rares et précieuses choses positives dans sa vie actuellement. « Je ne sais pas si c’est vraiment pour ça que je leur ai dit. Je crois que je voyais ça plus comme une étape dans mon cheminement. Je me suis toujours caché, depuis le jour où j’ai réalisé mon attirance pour les garçons j’ai tout fait pour que personne ne le remarque, y compris fréquenter des filles. » Il grimaça, peu fier de ce qu’il avait fait. « Le jour où j’ai décidé que je ne me cacherais plus, évidemment, ça signifiait aussi le dire à ma famille. Quand je décide de faire quelque chose, en général, c’est pour le meilleur et pour le pire. » Maintenant que c’était fait, il n’y avait aucun retour en arrière possible. C’était un accomplissement en soi et il devrait en être fier. Il n’était en rien responsable de leur réaction, mais ça restait ses parents. Même s’ils ont été terriblement exigeants avec lui toute sa vie, il ne lui était jamais venu à l’esprit de les couper de son existence. « Je suis désolé que tu aies eu à subir cette violence. » Il regarda Izan dans les yeux en souriant tristement. « Tu n’as pas à t’excuser. Ce n’est pas ta faute. Tu n’as pas lancé ce vase. » Pourquoi les gens sentaient-ils le besoin de toujours s’excuser lorsqu’il racontait son histoire? Swann avait eu la même réaction. Ça le touchait et il comprenait que c’était une marque de compassion, mais ça l’étonnait toujours d’entendre des excuses comme s’ils se sentaient responsables de ce qui lui était arrivé. « Ils n’ont pas essayé de revenir vers toi? De s’excuser? » Min cligna des yeux. Ils n’étaient pas revenus vers lui, mais il se demandait comment il réagirait si l’un d’eux tentait de le contacter. D’un côté, il ne voulait plus les voir, mais une part de lui, désespérée de voir sa famille de nouveau réunie, voulait que ça arrive. « Non. Ma sœur les a contactés après les faits. C’est la première de ma famille a qui j’ai fait mon coming out. Je savais que j’aurais son soutient et j’avais raison. » Cette fois, Min sourit, amusé. « Elle l’a tout de suite accepté avec beaucoup trop d’enthousiasme. S’en est suivie une conversation que je ne pensais jamais avoir avec ma sœur sur mes coups de cœur du moment. Elle n’a jamais eu la langue dans sa poche et nos parents l’ont toujours vu comme l’enfant problématique. Donc, quand je lui ai raconté ce qui s’était passé, j’étais content qu’elle soit à Séoul, car elle était furieuse. Elle les a téléphonés et, connaissant Doo-na, elle n’a pas dû être tendre à leur égard. Elle ne leur parle plus depuis. Dans leur entêtement, mes parents ont perdu leurs deux enfants. Je ne sais pas s’ils vont finir par entendre raison. » Il fit une pause, les sourcils froncés comme s’il réfléchissait. « Je crois que s’ils reviennent vers moi, ce ne sera pas par amour, mais par nécessité. Ils vont avoir besoin de moi pour quelque chose. » Ses parents ont toujours été extrêmement pragmatiques dans leurs décisions, laissant rarement les émotions guider leurs choix. Ça ne serait pas si surprenant qu’ils viennent à lui, mais ils auront épuisé toutes les autres options avant. « Je ne sais pas si j’arriverais à me contenter de ce genre de relation. L’homosexualité est très mal vue en Corée du Sud encore aujourd’hui. Il est très possible qu’ils deviennent des parias aux yeux du reste de la famille à cause de moi. Il y a beaucoup de travail à faire pour faire évoluer les choses. Est-ce vraiment leur faute s’ils ont grandi avec cette mentalité. Je suppose qu’on peut leur reprocher leur manque de volonté à essayer de comprendre, mais… » Il s’arrêta, visiblement déchiré par des points de vue différents. Malgré ce qu’ils lui avaient fait, Min tentait quand même de leur trouver des excuses. « C’est tellement confus dans ma tête. »

S’il a été bousculé par la similitude de leurs maux, il se rend rapidement compte que leurs trajectoires de vie n’ont pas grand-chose de comparable, même s’il a encore l’impression d’être le reflet de sa douleur. « Désolé » pendant que les épaules de Min sont traversées par une vague d’hilarité désabusée, Izan hausse les siennes avec indulgence, lui concédant un sourire conciliant puisqu’il sait, au fond, que ce rire est aussi nerveux et incontrôlable qu’une quinte de toux, et il n’en point ombrage. « Ce n’est pas à moi que tu devrais dire ça, mais à eux. Ils n’écouteront pas, évidemment. Ils sont plus vieux donc ils savent ce qu’il y a de mieux pour leur progéniture. Le cliché des parents asiatiques est vrai. Pas pour tous, mais ça reste une réalité pour plusieurs. Ils ont laissé derrière leur pays pour donner une vie meilleure à leurs enfants. Ils ont fait d’énormes sacrifices pour ça. Ils en attendent donc autant de leurs enfants. Et si jamais l’enfant n’y arrive pas ou craque sous la pression, ce ne sont pas les attentes qui sont trop élevées, mais l’enfant qui est paresseux ou faible. J’ai vu ça chez plusieurs de mes amis ainsi que chez des membres de ma famille qui vivent en Corée du Sud. » il ne connait pas suffisamment les moeurs de la Corée du Sud mais il n’est pas totalement étranger au concept relaté, si bien qu’il laisse ses sourcils remonter sur son front quand il confie, avec une amertume presque lointaine dans la voix — pas effacée mais tenue à bonne distance  car il n’est pas le sujet d’exposition et n’a aucune envie de l’être, ayant seulement à coeur de partager l’idée que Min n’est pas seul ’’Je sais ce que c’est, cette redevance dont tu parles.’’ il en a payé le prix toute son enfance et son adolescence, et il y avait visiblement des intérêts plutôt costauds puisqu’il continue de rembourser une dette qui lui paraît insolvable ’’Ils la foutent sur nos épaules et on croit qu’on leur doit quelque chose mais, en réalité, on ne leur doit rien. Ils ne peuvent pas nous faire payer le prix de leurs choix.’’ mais il croit encore, parfois, qu’il est le fils indigne que sa mère dépeint ; cela expliquerait assurément pourquoi elle ne l’aime pas, non ? Chassant ces pensées intrusives pour se concentrer sur les paroles de Min, il fronce légèrement ses sourcils en penchant son menton sans avoir encore touché à son thé, étant bien trop préoccupé par l’état de son interlocuteur pour accorder la moindre importance à sa possible soif. « Je ne sais pas si c’est vraiment pour ça que je leur ai dit. Je crois que je voyais ça plus comme une étape dans mon cheminement. Je me suis toujours caché, depuis le jour où j’ai réalisé mon attirance pour les garçons j’ai tout fait pour que personne ne le remarque, y compris fréquenter des filles. » Min le relate avec ce qui ressemble à de la honte et des regrets, mais Izan ne se fait point juge de ce qui lui est conté, comprenant que son interlocuteur a fait ce qu’il pensait être nécessaire pour sa survie. ’’Ça ne me surprend pas vraiment… J’veux dire, tu n’es pas le premier a avoir essayé de rentrer dans la case qu’on te désignait. Tu as fait ce que tu as pu dans une situation très compliquée.’’ - « Le jour où j’ai décidé que je ne me cacherais plus, évidemment, ça signifiait aussi le dire à ma famille. Quand je décide de faire quelque chose, en général, c’est pour le meilleur et pour le pire. » comme il s’est déjà pris le pire en pleine figure, on peut imaginer que le meilleur est à venir, non ? « Tu n’as pas à t’excuser. Ce n’est pas ta faute. Tu n’as pas lancé ce vase. » - ’’Je ne suis pas désolé par culpabilité, mais pas compassion.’’ qu’il rectifie d’une voix douce en se penchant enfin pour récupérer sa boisson encore chaude, l’apportant à ses lèvres pour en boire une fine gorgée, avant de demander si les parents ont tenté de renouer avec le fils qu’ils ont renié, sans véritablement savoir quelle réponse il espère obtenir « Non. Ma sœur les a contactés après les faits. C’est la première de ma famille a qui j’ai fait mon coming out. Je savais que j’aurais son soutient et j’avais raison. » le sourire amusé qui se dessine sur les lèvres de Min se répercutent sur celles d’Izan, qui se réjouit intérieurement de savoir que l’homme n’est pas tout seul face au tsunami du rejet parental ; au moins, il a une alliée de poids dans cette bataille. « Elle l’a tout de suite accepté avec beaucoup trop d’enthousiasme. S’en est suivie une conversation que je ne pensais jamais avoir avec ma sœur sur mes coups de cœur du moment. Elle n’a jamais eu la langue dans sa poche et nos parents l’ont toujours vu comme l’enfant problématique. Donc, quand je lui ai raconté ce qui s’était passé, j’étais content qu’elle soit à Séoul, car elle était furieuse. Elle les a téléphonés et, connaissant Doo-na, elle n’a pas dû être tendre à leur égard. Elle ne leur parle plus depuis. Dans leur entêtement, mes parents ont perdu leurs deux enfants. Je ne sais pas s’ils vont finir par entendre raison. » il s’apprête à prendre la parole mais, voyant l’expression de son interlocuteur, il s’abstient, comprenant qu’il ne lui faut point troubler la réflexion qui est à l’oeuvre derrière ses pupilles « Je crois que s’ils reviennent vers moi, ce ne sera pas par amour, mais par nécessité. Ils vont avoir besoin de moi pour quelque chose. Je ne sais pas si j’arriverais à me contenter de ce genre de relation. » et ça se comprend, si bien qu’Izan hoche son menton de haut en bas sans même s’en rendre compte « L’homosexualité est très mal vue en Corée du Sud encore aujourd’hui. Il est très possible qu’ils deviennent des parias aux yeux du reste de la famille à cause de moi. Il y a beaucoup de travail à faire pour faire évoluer les choses. Est-ce vraiment leur faute s’ils ont grandi avec cette mentalité. Je suppose qu’on peut leur reprocher leur manque de volonté à essayer de comprendre, mais… »  - ’’Mais rien ne justifie qu’on fasse preuve de violence.’’ qu’il dit en reposant sa tasse sur la table basse, en poursuivant : ’’On peut entendre l’argument culturel et générationnel mais, tu n’as tué personne, tu n’es coupable d’aucun crime. Tu n’as rien fait pour mériter ça.’’ puisqu’il a employé le terme à cause de moi, il semble important d’appuyer le fait que Min n’a aucune responsabilité dans cette histoire, et qu’on ne peut décemment pas le tenir coupable de l’amour qu’il partage avec son petit-ami. « C’est tellement confus dans ma tête. » ce qui est parfaitement compréhensible dans ces conditions, puisque assimiler un rejet aussi brutal — même si Min a dû l’envisager, n’est pas quelque chose que l’on peut faire avec facilité. ’’Tu dois être encore sous le choc, c’est compréhensible… C’est difficile et violent ce que tu as vécu.’’ s’il ne lui confère pas explicitement le statut de victime, il tient à ce que la chose soit claire : peu importe à quel point son orientation sexuelle bouscule les traditions et les mentalités de sa famille, on ne peut lui amputer aucune faute. ’’Est-ce que tu ressens le besoin de parler à un professionnel ?’’ il l’a demandé d’un ton hésitant parce qu’il sait très bien que c’est le genre de question qui peut braquer la personne en face, et même s’il ne met aucun jugement dans le besoin ou non de consulter un psychologue, il craint que son interlocuteur interprète mal sa démarche, qui est pourtant seulement bienveillante. ’’Il y en a de disponibles, ici. Peut-être pas tout de suite mais tu peux avoir un rendez-vous très rapidement.’’ qu’on se le dise : Izan ne cherche nullement à se débarrasser de Min ou à écourter leur conversation, bien au contraire, mais il est réaliste sur le fait qu’il n’est pas le mieux placé pour l’accompagner, puisque la seule chose qu’il peut lui offrir est sa propre expérience. ’’Mes parents m’avaient déjà rejeté quand j’ai décidé de ne plus me cacher — ne plus me mentir serait plus exact, alors je ne sais pas exactement ce que tu peux ressentir mais, pour être le paria de ma famille depuis plus de dix ans, sache que cette douleur, là, que tu as, elle ne restera pas. On s’imagine qu’on ne pourra pas vivre sans eux mais tu prends l’habitude, et ils sont remplacés par des gens qui ne te tournent pas le dos, qui restent avec toi et t’accompagnent. Tu te construiras une autre famille, la tienne, et celle-là, tu la garderas à vie. Crois-moi.’’

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@Izan Da Silva

« Je sais ce que c’est, cette redevance dont tu parles. Ils la foutent sur nos épaules et on croit qu’on leur doit quelque chose, mais, en réalité, on ne leur doit rien. Ils ne peuvent pas nous faire payer le prix de leurs choix. » Il y avait une certaine amertume dans les paroles d’Izan, une frustration qu’il contenait mal, mais qui montrait qu’il comprenait que trop bien ce que Min a vécu durant toute sa vie. Min prit le temps de l’observer. Depuis le début, il ne faisait que lui jeter des regards furtifs par-ci par-là parce que c’était plus facile de l’ignorer même s’il ne le faisait pas vraiment. Là, il le regardait vraiment pour la première fois, fixant son regard au sien. Les mots n’étaient pas vraiment nécessaires. Ils portaient tous les deux les stigmates d’une enfance compliquée. Il avait envie de dire qu’Izan s’en était mieux sorti que lui, mais qu’en savait-il vraiment? Pendant longtemps, Min ne s’était jamais attardé aux événements de son enfance. Pour lui, il avait reçu une éducation normale jusqu’à ce que son coming out désastreux et le traumatisme qui en avait découlé mettent en lumière tous les abus. Il en était à un point où il ne pouvait plus simplement les ignorer, même si sa prise de conscience remontait à bien avant. Il ne serait jamais venu à Brisbane sans l’intense pression que lui imposaient ses parents, une pression qui a presque réussi à le faire entrer dans le moule de force. Il remerciait l’obscur instinct de survie qui l’avait poussé à prendre la fuite dans une ville dont il ne connaissait rien. « Ça ne me surprend pas vraiment… J’veux dire, tu n’es pas le premier a avoir essayé de rentrer dans la case qu’on te désignait. Tu as fait ce que tu as pu dans une situation très compliquée. » « Je ne sais pas si chercher à avoir la paix justifie que j’ai blessé quelques filles qui ne demandaient rien. Une part de moi espérait que les fréquenter débloquerait quelque chose. Ç’a eu l’effet contraire. » Il se souvenait qu’à l’époque, il devait se forcer à être affectueux avec elles ce qui lui donnait la réputation d’être distant. Ses partenaires finissaient toujours par s’éloigner et ce n’était pas plus mal. Min n’aurait jamais pu les rendre heureuses.

Parler de sa sœur lui faisait un bien fou, mais ça le rendait un peu triste aussi parce qu’il ne savait pas quand il pourrait la revoir. Ils ne vivaient plus sur le même continent et s’ils se parlaient chaque semaine grâce à la magie de la technologie, ce n’était pas la même chose que de la voir en personne. Sa dernière visite avait été une surprise organisée avec la complicité de Link pour son anniversaire. Il aurait difficilement pu lui faire une plus belle surprise. Doo-na ne savait rien de ses problèmes non plus, mais elle devait s’en douter. Elle le connaissait comme le fond de sa poche et si elle n’avait rien dit, c’est qu’elle attendait que Min le fasse de lui-même. Cela dit, ils avaient longuement discuté de la réaction de leurs parents et son opinion était la même qu’Izan : il n’avait rien fait pour mériter cela. « Je les ai quand même déçus », rétorqua Min à la fois triste et frustré. Les gens ne semblaient pas vouloir comprendre. Ce n’était pas si simple que ça que de tourner le dos à ceux qui ont tout donné pour qu’il ait les meilleures chances possibles dans la vie. « Tu dois être encore sous le choc, c’est compréhensible… C’est difficile et violent ce que tu as vécu. » Min pinça les lèvres et préféra ne rien ajouter. Il savait très bien qu’ils avaient raison, mais quelque chose en lui continuait de croire qu’il avait ses torts.

« Est-ce que tu ressens le besoin de parler à un professionnel? Il y en a de disponibles, ici. Peut-être pas tout de suite, mais tu peux avoir un rendez-vous très rapidement. » Min but une autre gorgée de son thé, mais le cœur n’y était pas. Il aurait dû prendre le café. « Je vois déjà un thérapeute. Un bon ami à moi me l’a recommandé. » Il grimaça, conscient du fait à beaucoup d’étrangers, mais pas à sa sœur ni à son petit ami. « Il est bien même s’il me force à beaucoup trop réfléchir sur des trucs auxquelles je ne préférai de plus jamais penser. Je suppose que c’est son travail de faire ça. En vérité, je n’ai jamais vraiment aimé parler de mes problèmes. Je me suis toujours débrouillé seul en me disant que si je ne me sentais pas bien, ça finirait par passer. Ça peut paraître difficile à croire vu ce que l’on est en train de faire, mais mon intention ce soir, ce n’était que d’aller me balader et changer d’air. En marchant, je suis passé devant l’association. Je me suis arrêté un moment et c’est là que tu m’as remarqué. Je ne serais jamais rentré si tu n’étais pas intervenu. » Et il le remerciait de l’avoir fait, car il passait vraiment une mauvaise soirée, seul avec ses pensées. Il n’était visiblement pas à l’aise, mais sachant ce qu’il vivait, il ne fallait pas s’attendre à un miracle.

« Mes parents m’avaient déjà rejeté quand j’ai décidé de ne plus me cacher — ne plus me mentir serait plus exact, alors je ne sais pas exactement ce que tu peux ressentir, mais, pour être le paria de ma famille depuis plus de dix ans, sache que cette douleur, là, que tu as, elle ne restera pas. On s’imagine qu’on ne pourra pas vivre sans eux, mais tu prends l’habitude, et ils sont remplacés par des gens qui ne te tournent pas le dos, qui restent avec toi et t’accompagnent. Tu te construiras une autre famille, la tienne, et celle-là, tu la garderas à vie. Crois-moi. » Min voulait vraiment y croire. Longtemps, il avait cru ses choses impossibles. Puis il était arrivé à Brisbane et avait rencontré Swann qui était marié à un homme charmant et avec qui il avait adopté un enfant. Ça serait mentir de dire qu’il n’a pas été un peu jaloux au départ, mais bien vite, Swann était devenu une inspiration. Min ne savait pas encore ce que l’avenir lui réservait. Il y avait encore beaucoup d’incertitudes et de craintes, mais il faisait tout en son pouvoir pour aller mieux. De sa poche, il sortit son téléphone de sa poche et montra à Izan une photo et lui en compagnie de Link. Le couple souriait à la caméra, visiblement amoureux. « J’espère que tu as raison. En tout cas, je veux y croire. » Il sourit. « Merci Izan de m’avoir écouté. C’est très apprécié. Je passais vraiment une soirée difficile. »

L’aveu, qui le dévoile comme victime des mêmes souffrances et injustices endurées par Min, ne s’éternise pas tellement sur sa bouche puisqu’il assouplit la courbe de ses lèvres devenues lourdes sous le partage formulé, des lèvres qui se pressent bien rapidement dans un sourire de façade pour cacher le trouble et le malaise ressentis, car il n’a pas vraiment envie qu’on creuse de ce côté là, Izan, étant davantage enclin à écouter que formuler « Je ne sais pas si chercher à avoir la paix justifie que j’ai blessé quelques filles qui ne demandaient rien. Une part de moi espérait que les fréquenter débloquerait quelque chose. Ç’a eu l’effet contraire. » il entend la culpabilité de fausseté et la considère comme la preuve que Min est doté d’une âme suffisamment généreuse pour ne pas considérer le problème autrement : on l’a forcé à faire semblant, implicitement ou explicitement, et s’il est celui qui a joué la comédie, il a seulement suivi le rôle qu’on avait écrit pour lui. ’Cela ne justifie peut-être pas mais ça explique pourquoi tu l’as fait. Parce que tu n’avais pas vraiment le choix, dans le fond… On ne t’a pas mis le couteau sous la gorge mais ces filles, elles étaient contactées bien avant que tu le saches, alors qu’est-ce que tu pouvais faire d’autre ?’’ c’est une question rhétoriques, puisque toutes les autres options l’auraient conduit à finir dans le même état que présentement, mais il n’aurait peut-être pas eu Link pour se raccrocher à la vie qu’il veut réellement mener. En somme, Izan est presque tenté de croire que tout arrive au bon moment pour une bonne raison. « Je les ai quand même déçus » il n’a pas honte d’hausser les épaules avec une nonchalance qui se fait porte-parole de l’indifférence, puisque dans les faits, la déception des parents évoqués ne le rend pas particulièrement triste ’’Tout comme ils t’ont aussi déçu.’’ et lui, au moins, n’est coupable d’aucune violence : il n’a pas frappé ses parents et n’a pas porté de rejet à leur encontre, mais a seulement admis être amoureux de quelqu’un d’autre, ce qui est loin d’être un crime. Mais il va lui falloir du temps avant d’admettre qu’il n’est responsable de rien et que le traitement qu’on lui impose est injuste, Izan a suffisamment essuyé les rejets et les humiliations de la part des siens pour connaître le sentiment qu’est celui d’être orphelin alors que les membres de votre famille vivent toujours, là, quelque part.

« Je vois déjà un thérapeute. Un bon ami à moi me l’a recommandé. » il hoche son menton dans un mouvement rassuré, puisque même s’il a été élevé avec des parents qui ne voyaient pas l’intérêt de « payer quelqu’un pour parler », il est bienheureux d’apprendre que Min s’emploie à soigner les blessures de son âme « Il est bien même s’il me force à beaucoup trop réfléchir sur des trucs auxquelles je ne préférai de plus jamais penser. Je suppose que c’est son travail de faire ça. En vérité, je n’ai jamais vraiment aimé parler de mes problèmes. Je me suis toujours débrouillé seul en me disant que si je ne me sentais pas bien, ça finirait par passer. Ça peut paraître difficile à croire vu ce que l’on est en train de faire, mais mon intention ce soir, ce n’était que d’aller me balader et changer d’air. En marchant, je suis passé devant l’association. Je me suis arrêté un moment et c’est là que tu m’as remarqué. Je ne serais jamais rentré si tu n’étais pas intervenu. » s’il est armé des meilleures intentions à l’égard du plus âgé, et qu’il n’attend strictement rien en retour, Izan est présentement nourri par un sentiment de fierté et de satisfaction absolue, puisqu’entendre qu’il a été utile à quelqu’un n’est pas quelque chose qu’il a l’habitude d’éprouver, à son plus grand regret. S’il partage des émotions à travers sa musique, ce n’est jamais aussi profond et personnel que le moment qu’ils viennent de partager ; sans le connaître, Min s’est livré à lui sans retenue et sans hésitation, et le pianiste a l’impression d’hériter d’une mission toute particulière, celle de rendre sa douleur un peu plus supportable, à défaut de pouvoir pleinement la dissoudre. ’’Pour être honnête, c’est la première fois que j’ai quelqu’un en entretien, comme ça…’’ il l’avoue dans un sourire doucereux qui se transforme un peu en grimace, comme s’il se moquait de sa piètre qualité en la matière, avant de livrer un discours un peu plus intime, qui dévoile à quel point il partage et connait les tourments de celui qui se tient devant lui. Est-ce que c’est moralement acceptable, de s’impliquer à ce point ? Ne devrait-il pas rester à son simple rôle d’accompagnateur ? Il s’en rend compte trop tard, une fois qu’il a achevé son discours, et il ne peut décemment pas ravaler ses phrases pour ne pas s’illustrer avec maladresse, et il ne peut qu’à présent espérer que son interlocuteur ne s’en offusque pas trop… « J’espère que tu as raison. En tout cas, je veux y croire. » comme cela ne semble pas être le cas, il défroisse ses traits crispés par l’appréhension pour partager son sourire, soulagé de le sentir plus apaisé qu’à son arrivée dans les locaux de l’association. « Merci Izan de m’avoir écouté. C’est très apprécié. Je passais vraiment une soirée difficile. » passait, ce n’est donc plus le cas ? Sous cette pensée encourageante, il accentue les contours de son sourire en détendant ses épaules, avant de zieuter en direction de son thé, pour lequel il n’a pas grand intérêt. ’’J’ai bien envie d’aller marcher…’’ une activité de retraité qui lui permet de se dégourdir autant les jambes que les idées, pas la peine de le juger ’’Tu m’accompagnes ? On pourrait jouer les touristes.’’ et sortir de cette salle où Min a déposé toutes ses afflictions, en espérant qu’il puisse repartir en étant plus léger.

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@Izan Da Silva

Izan réussit à le faire sentir moins coupable d’avoir fréquenté ces filles. Il avait raison : on ne lui avait pas vraiment laissé le choix. On avait poussé certaines d’entre elles dans ses bras en disant qu’ils formeraient un beau couple ensemble. Il avait brisé quelques cœurs, il le savait. Il aimait croire qu’aujourd’hui, ces filles ne pensaient plus à lui et qu’elles étaient heureuses dans les bras d’un homme qui les aimait réellement. Min devait surtout comprendre que tout ceci appartenait au passé maintenant et qu’il devait aller de l’avant. Il n’y avait aucun mal à reconnaître ses propres erreurs, mais en porter le poids de la culpabilité ne lui apportera rien de bon. Toute sa vie, il avait fait passer ses propres désirs en dernier soi-disant parce qu’ils n’étaient pas bien et qu’ils ne lui apporteraient jamais le vrai bonheur. Avec Link, il n’avait jamais été aussi heureux. Il avait enfin goûté au bonheur. Min ne voulait pas le perdre et il était prêt à se battre pour lui, même à bout de force.

« Pour être honnête, c’est la première fois que j’ai quelqu’un en entretien, comme ça… » Izan devrait s’accorder un peu plus de crédit, il faisait du très bon travail. On lui avait dit un jour qu’un simple bonjour pouvait suffire à sauver une vie. En étant une oreille attentive pour Min, il n’avait aucune idée du bien qu’il venait de faire. Même si ses paroles lui paraissaient maladroites, Izan avait tout de même trouvé les mots justes pour l’apaiser et le faire réfléchir. « Je ne suis pas un expert en la matière, après tout je ne suis qu’un vétérinaire », commença Min, un faible sourire aux lèvres, « mais tu as su écouter et ce n’est pas quelque chose que tout le monde peut faire contrairement à ce que l’on pourrait croire. J’avais besoin de parler, car j’ai une tempête dans la tête en ce moment et j’ai l’impression qu’elle me tue à petit feu. Je fais ce qu’il faut pour aller mieux et je n’ai pas l’intention de baisser les bras, j’ai beaucoup trop à perdre, mais il y a des jours plus faciles que d’autres. » Il sourit, cette fois franchement. Pendant un bref instant, Izan eut droit à un aperçu du vrai Min lorsqu’il va bien, le regard pétillant et amusé. « Qui sait, un jour quand j’irai mieux, je serai peut-être à ta place pour écouter des gens qui ont besoin de parler comme moi. C’est important de donner au suivant quand on peut. » Cette idée lui plaisait vraiment. Lui qui avait toujours craint de venir dans des endroits comme celui-ci, revenir ici pour aider quelqu’un comme lui bouclerait la boucle.

« J’ai bien envie d’aller marcher… » Cette déclaration le surprend un peu, mais Min était déjà debout avant qu’Izan ait eu le temps de poursuivre. « Tu m’accompagnes ? On pourrait jouer les touristes. » Peut-être qu’Izan avait besoin autant que lui de s’aérer un peu les idées, surtout après la conversation qu’ils venaient d’avoir. « Bonne idée. » Ils sortirent de la pièce, abandonnant leur thé devenu froid pour aller dans la rue. Min se sentait effectivement plus léger, mais aussi plus fatigué. Il devrait probablement rentrer, mais il n’était pas pressé de se retrouver seul à nouveau. Ainsi, il marcha aux côtés d’Izan, en silence, admirant les bâtisses autour de lui qui faisaient partie de son quotidien depuis plus d’un an déjà. Il s’en était passé tellement de choses. « Si tu veux boire un bon café, ne va pas là. » Il pointa la devanture d’un café comme on pouvait en voir partout à Brisbane. « Va deux rues plus loin par là. » Il pointa de nouveau. « Il y a un petit café attaché à une galerie d’art pour artistes émergents. C’est plutôt obscur comme endroit et, très franchement, je ne comprends pas toujours les œuvres qui y sont exposées, mais le café est excellent. » Il enfouit les mains dans ses poches. « Qu’est-ce qui t’a poussé à devenir bénévole pour l’association? » Min réalisa que sa question était peut-être inappropriée et il s’empressa d’ajouter. « Je suis désolé, c’est peut-être un peu trop indiscret. Tu n’es pas obligé de me répondre. Si tu réponds simplement parce que tu veux aider les autres, je vais comprendre. » Surtout avec cette apparente compréhension mutuelle basée sur des expériences similaires qu’ils partageaient. Min ne voulait pas trop creuser, Izan ne voudrait peut-être pas en parler, mais il aimerait connaître ce qui l’a poussé à vouloir donner de son temps, surtout pour une cause comme celle-ci.

Il n’a jamais été très éloquent avec les mots, Izan, souffrant gravement de sa maladresse verbale qui se passe très souvent de sa réflexion ou de sa considération, puisque sa langue est insubordonnée et n’attend guère l’approbation de son cerveau pour lancer les phrases qui échappent à son contrôle. Là encore, alors même qu’il a fourni un effort considérable pour surveiller les propos adressés à Min, le pianiste a l’impression d’avoir été un piètre conseiller et orateur, incapable de formuler la moindre sentence pour lui être salutaire. Alors, lorsque son interlocuteur entame son ébauche apologique, il hausse un sourcil en l’écoutant « Je ne suis pas un expert en la matière, après tout je ne suis qu’un vétérinaire » il note l’information qu’il n’avait pas, en répondant à son minuscule sourire par l’un des siens « mais tu as su écouter et ce n’est pas quelque chose que tout le monde peut faire contrairement à ce que l’on pourrait croire. J’avais besoin de parler, car j’ai une tempête dans la tête en ce moment et j’ai l’impression qu’elle me tue à petit feu. Je fais ce qu’il faut pour aller mieux et je n’ai pas l’intention de baisser les bras, j’ai beaucoup trop à perdre, mais il y a des jours plus faciles que d’autres. » le discours de Min force assurément l’admiration, déjà parce qu’il fait preuve d’une détermination sans faille malgré l’adversité, mais également parce qu’il est suffisamment intelligent émotionnellement pour reconnaître la difficulté des rouages de sa situation. Après avoir enduré une telle trahison et violence parentales, il n’est pas franchement étonnant que le coréen soit bouleversé mais, Izan penche sa tempe sur le côté en haussant faiblement son épaule, disant sur un ton léger ’’Avec le temps, il y aura de plus en plus de jours faciles, j’en suis sûr.’’ ce n’est donc peut-être pas la force ou la détermination qui conduisent vers la guérison, mais la patience : ne pas vouloir précipiter les choses, ne pas brusquer le cheminement du chagrin, laisser la peine faire sa trajectoire. « Qui sait, un jour quand j’irai mieux, je serai peut-être à ta place pour écouter des gens qui ont besoin de parler comme moi. C’est important de donner au suivant quand on peut. » le sourire du pianiste prend davantage de place sur ses lèvres, et il pose un regard tout à coup doucereux sur son interlocuteur, sans nul doute touché par la générosité dont il fait preuve, alors qu’il est lui-même encore frappé par la douleur. Assurément, Min possède une belle âme bienveillante, qui ne méritait pas l’affront qui lui a été porté, mais le malheur distille ses balles sans regarder qui en est le plus passible. ’’On comprend toujours mieux la peine de l’autre quand on l’a soi-même traversé, donc je pense que tu trouveras aisément ta place ici.’’ une façon de lui dire que la porte est ouverte, même si les adhérents ne sont pas de son ressort ; il ne doute pas que Min sera accueilli à bras ouverts lorsqu’il se sentira capable d’accueillir le récit des autres, une fois qu’il aura tourné la page de son propre chapitre.

« Bonne idée. » décision est donc prise d’abandonner la salle confortable, dont les murs sont jalonnés d’affiches aux slogans évocateurs, qui sont pleins de bonne volonté mais qui ne permettent assurément pas de remettre de l’ordre dans les pensées bousculées de ceux qui sont en proie aux tourments. Est-ce que marcher va permettre à Min de trouver la quiétude ? Il ne se fait pas d’illusions, Izan, mais il préfère l’entraîner dans une fuite incertaine plutôt que de le laisser s’épancher dans la flaque de ses déboires. Glissant une main dans sa poche, il marche aux côtés de Min en évitant soigneusement les questions qui commencent à s’agglutiner dans son propre esprit, et qui sont heureusement balayées par la prise de parole de son acolyte. « Si tu veux boire un bon café, ne va pas là. » haussant ses sourcils en même temps qu’il lève les yeux vers la façade du café somme tout ordinaire, il esquisse ensuite un petit sourire amusé en répondant ’’Mauvais souvenir ?’’ qu’il prononce en le regardant à nouveau, bienheureux de le voir reprendre une mine plus détendue que lors de leur rencontre. « Va deux rues plus loin par là. Il y a un petit café attaché à une galerie d’art pour artistes émergents. C’est plutôt obscur comme endroit et, très franchement, je ne comprends pas toujours les œuvres qui y sont exposées, mais le café est excellent. » - ’’On peut y aller, si tu veux. On essayera de comprendre les oeuvres ensemble parce que, je dois t’avouer que je n’y comprends pas grand-chose non plus…’’ Aubrey peut le confirmer ; il est un piètre dessinateur et la dépréciation est totalement réciproque, mais l’idée de partager cette perplexité artistique avec Min est suffisamment chaleureuse pour le faire sourire avec une douceur ravivée par l’amusement, même si la conversation prend soudainement un tournant plus sérieux « Qu’est-ce qui t’a poussé à devenir bénévole pour l’association? » un vague sujet qui fait hausser ses sourcils sur son front, et il se rend compte qu’expliquer son engagement est bien moins facile qu’il ne le pensait, si bien que son mutisme prolongé est mal interprété par Min « Je suis désolé, c’est peut-être un peu trop indiscret. Tu n’es pas obligé de me répondre. Si tu réponds simplement parce que tu veux aider les autres, je vais comprendre. » - ’’Non, non…’’ il chasse l’inquiétude de son comparse d’un simple mouvement de la main, apportant ensuite la pulpe de ses doigts à la naissance de ses cheveux, s’accordant quelques secondes supplémentaires avant de reprendre la parole ’’Disons que je viens d’une famille traditionnelle et croyante, tu vois le genre ? Mes parents ne tenaient pas des propos homophobes, mais pour eux, il est clair que ça n’existe pas dans notre communauté.’’ il roule des yeux pour accompagner le caractère tout à fait insensé de ce qu’il raconte, suivant toujours Min à travers les dédales de la ville silencieuse ’’Quand j’étais ado, j’avais pas de repère, pas de modèle pour me dire « c’est totalement ok d’être bisexuel », alors je crois que je voulais l’être pour d’autres. Mais en même temps, c’est contradictoire parce que je ne trouve pas ça normal, qu’on soit obligé de faire ça. Je veux dire, les hétéros n’ont pas d’associations pour les défendre, ils n’ont pas besoin d’annoncer à leur entourage qu’ils le sont et ils ne se demandent pas si leur orientation sexuelle est un problème ou non.’’ il laisse s’évaporer ses pensées sans réellement se demander si elles sont pertinentes par rapport à la question posée, alors il secoue son menton de gauche à droite en comblant son incertitude d’un sourire ’’Je m’égare un peu, là, mais c’est pour des personnes comme toi que je me suis engagé.’’

crédits/dayslily

@Izan Da Silva

« Mauvais souvenir? » Min s’était arrêté à ce café lors de son arrivée à Brisbane, le premier qu’il a bu dans sa nouvelle vie. Ce n’était donc pas un mauvais souvenir, mais il ne l’associait pas non plus à un moment particulièrement heureux de son existence. Il venait de prendre la fuite en laissant tout derrière lui pour recommencer à zéro avec toutes les craintes et les incertitudes qui accompagnaient généralement ce genre de décision. « J’avoue, mon opinion est sans doute biaisée », commença-t-il en grimaçant. « Je bois beaucoup de café pour ne pas dire trop et, selon mon expérience, ce n’est pas dans les chaînes qu’on y trouve le meilleur. C’est aussi là où je me suis arrêté pour la première fois quand je suis arrivé à Brisbane. C’était une drôle de période entre incertitude et… espoir. Mon appartement est tout près d’ici. » D’un geste de la main, il pointa vaguement la direction de l’immeuble où il habitait. Pour un vétérinaire, il n’avait pas choisi le plus beau quartier de la ville, mais il y avait une raison derrière son choix. « Ce n’est pas le pire que j’aie bu, mais je préfère celui adjacent à la galerie d’art. » Les goûts ne se discutaient pas et il ne voulait pas qu’Izan s’imagine que c’était imbuvable. « On peut y aller, si tu veux. On essayera de comprendre les œuvres ensemble parce que, je dois t’avouer que je n’y comprends pas grand-chose non plus… » La remarque le fit sourire, car il se reconnaissait aussi. Il n’avait jamais eu un très grand sens artistique et ne comprenait rien à l’art abstrait. Dans les musées, il préférait les toiles des grands maîtres et celles où il pouvait identifier le sujet. « D’accord, c’est par là. »

Min prit les devants et alors qu’ils marchaient sans se presser en direction du café, ils continuèrent à discuter. Cette fois, c’est Izan qui parla le plus. Min craignit d’avoir été un peu trop curieux en le questionnant sur les raisons qui le motivaient à ainsi donner de son temps, mais Izan le rassura aussitôt. « Non, non… » Apparemment, la question demandait tout de même un peu de réflexion. « Disons que je viens d’une famille traditionnelle et croyante, tu vois le genre? Mes parents ne tenaient pas des propos homophobes, mais pour eux, il est clair que ça n’existe pas dans notre communauté. » Ça lui rappelait sa propre famille et Min pinça les lèvres, désolé qu’Izan ait vécu plus ou moins la même chose que lui, mais tant que les mentalités ne changeront pas, il y aura d’autres familles comme la sienne ainsi que des jeunes forcés de vivre dans le secret. « Quand j’étais ado, j’avais pas de repère, pas de modèle pour me dire c’est totalement ok d’être bisexuel, alors je crois que je voulais l’être pour d’autres. Mais en même temps, c’est contradictoire parce que je ne trouve pas ça normal, qu’on soit obligé de faire ça. Je veux dire, les hétéros n’ont pas d’associations pour les défendre, ils n’ont pas besoin d’annoncer à leur entourage qu’ils le sont et ils ne se demandent pas si leur orientation sexuelle est un problème ou non. » « Je suis d’accord avec toi, on ne devrait pas avoir à annoncer notre sexualité à notre entourage. Il n’y a que nous que ça regarde. Je veux croire que les futures générations l’auront plus facile que nous, mais en même temps, je vois l’état du monde actuellement et les gains qu’on est en train de perdre et je me dis que ce combat ne prendra jamais fin. Je ne veux pas être défaitiste, mais aux États-Unis les femmes n’ont plus le droit de se faire avorter et de disposer de leur corps comme elles le veulent dans plusieurs états, qu’est-ce que ça présage pour nous? N’oublions pas que dans certains pays, c’est encore punissable de la peine de mort. » Min avait beaucoup lu sur le sujet et des histoires horribles, il en avait vu plusieurs. D’un côté, ça le faisait sentir moins seul, mais de l’autre ça le déprimait encore plus. Il ne faisait aucun mal à personne et pourtant, plusieurs trouvaient son mode de vie absolument répugnant. Comme s’il avait choisi d’être ainsi. « J’avais un modèle quand j’étais ado. Je n’avais juste pas le courage pour le suivre. Il avait deux ans de moins que moi et absolument tout nous séparait. Imagine un peu, j’étais le premier de classe qui passait son temps dans ses livres et lui l’artiste dans l’âme pour qui l’école était secondaire. Si je n’étais pas devenu son tuteur en mathématique, je ne crois pas qu’on se serait parlé. Il colorait ses cheveux et appliquait du maquillage autour des yeux. Il n’en avait rien à faire du regard des autres et assumait complètement sa bisexualité. Je l’enviais pour ça, mais je n’ai jamais pu lui avouer mon secret… Enfin, jusqu’à récemment. La vie fait drôlement les choses parfois. »

Ils approchaient maintenant du café. Sa façade était recouverte de graffitis aux couleurs vives et une terrasse étroite meublée de tables et de chaises dépareillées accueillait les clients qui souhaitaient siroter tranquillement leur café à l’extérieur. D’ailleurs, on sentait déjà le café depuis la rue. « C’est ici. » Min poussa la porte et un son de clochette attira l’attention d’une jeune femme derrière le comptoir. Elle accueillit les deux hommes d’un grand sourire. « B’soir! Qu’est-ce que je vous sers? » « Je vais prendre un Macchiato, merci. » Puis il s’éloigna, laissant Izan commander.