« J’avoue, mon opinion est sans doute biaisée » il hausse les sourcils sous la curiosité qui pointe, partageant son regard entre le visage de son interlocuteur et la devanture du café incriminé qui ne lui inspire rien de particulier, si ce n’est qu’un petit ravalement ne serait pas du luxe, mais pas de quoi justifier que Min le porte en horreur au point de le notifier aussi spontanément. « Je bois beaucoup de café pour ne pas dire trop et, selon mon expérience, ce n’est pas dans les chaînes qu’on y trouve le meilleur. C’est aussi là où je me suis arrêté pour la première fois quand je suis arrivé à Brisbane. C’était une drôle de période entre incertitude et… espoir. Mon appartement est tout près d’ici. » ah La dernière information passe au travers du reste, puisqu’il retient seulement l’attachement mitigé, mais surtout symbolique en apparence : ce fut le premier instant de sa nouvelle vie. Est-il en train de vivre un instant similaire, à présent qu’il assume pleinement qui il est ? ‘’L’espoir, tu l’as trouvé avec Link. L’incertitude…’’ il enfonce ses mains dans ses poches en levant le menton vers le bar, détaillant les restes d’affiches publicitaires collées contre le mur. ’’…Elle risque de t’accompagner pendant un petit moment, encore.’’ mais ce n’est pas forcément une mauvaise chose, du moins, il le pense en mordillant machinalement l’intérieur de sa joue, sans véritablement faire attention aux passants qui traversent la ruelle derrière eux. « Ce n’est pas le pire que j’aie bu, mais je préfère celui adjacent à la galerie d’art. » Min vend tellement bien son précieux breuvage que décision est prise de rejoindre le fameux café pour que le pianiste puisse vérifier la véracité du propos, sans qu’il ne perde son sourire puisque la conversation — et la compagnie de Min sont agréables. Suffisamment, du moins, pour qu’il se sente libre de parler sans surveiller son langage, sans réfléchir outre mesure aux mots qu’il peut ou non employer, puisqu’il a l’impression que le coréen est de ceux qui savent écouter et qui, inconsciemment, offrent un terrain propice aux échanges, même les plus confus, même les plus sensibles et les plus noueux, ceux qu’on ne révèle pas aux inconnus d’ordinaire. Pourtant, Min en est un, mais Izan le suit dans les dédales de la ville sans se questionner sur leur destination, simplement bercé par les mots qu’ils partagent. C’est réconfortant et même rassurant de savoir que, dans le chaos actuel de sa vie, il peut encore trouver un écho suave chez autrui, et il n’est pas forcé de faire semblant cette fois. « Je suis d’accord avec toi, on ne devrait pas avoir à annoncer notre sexualité à notre entourage. Il n’y a que nous que ça regarde. Je veux croire que les futures générations l’auront plus facile que nous, mais en même temps, je vois l’état du monde actuellement et les gains qu’on est en train de perdre et je me dis que ce combat ne prendra jamais fin. Je ne veux pas être défaitiste, mais aux États-Unis les femmes n’ont plus le droit de se faire avorter et de disposer de leur corps comme elles le veulent dans plusieurs états, qu’est-ce que ça présage pour nous? N’oublions pas que dans certains pays, c’est encore punissable de la peine de mort. » pas de quoi se réjouir, donc, mais cela remet quelque peu les choses en perspective ; leur sort aurait pu être pire. Ils ont eu la chance de naître sous une bonne étoile pour cette partie de l’histoire, même si la loi d’un pays n’est pas forcément effective dans tous les foyers, et ils sont bien placés pour le savoir. « J’avais un modèle quand j’étais ado. Je n’avais juste pas le courage pour le suivre. Il avait deux ans de moins que moi et absolument tout nous séparait. Imagine un peu, j’étais le premier de classe qui passait son temps dans ses livres et lui l’artiste dans l’âme pour qui l’école était secondaire. Si je n’étais pas devenu son tuteur en mathématique, je ne crois pas qu’on se serait parlé. Il colorait ses cheveux et appliquait du maquillage autour des yeux. Il n’en avait rien à faire du regard des autres et assumait complètement sa bisexualité. Je l’enviais pour ça, mais je n’ai jamais pu lui avouer mon secret… Enfin, jusqu’à récemment. La vie fait drôlement les choses parfois. » - ’’Il était grave courageux, déjà…’’ surtout si on replace les choses dans son contexte : les établissements scolaires sont des rouages cruels qui accueillent des enfants lumineux pour fabriquer des adultes qui ont la mine grise. Sortir du cadre équivaut à s’attirer les foudres des autres élèves qui veulent se rassurer dans l’idée qu’ils sont comme tout le monde, et qu’ils ne peuvent donc pas devenir une cible. ’’Tu as gardé contact avec lui, du coup ?’’ il le demande avec un petit sourire attendri, trouvant que l’histoire s’achève d’une bien jolie façon pour les deux.

Ne pouvant pas véritablement estimer la distance entre les locaux de l’association et le café plébiscité par Min, Izan sort une main de sa poche pour glisser ses doigts dans ses cheveux, repoussant ses boucles brunes en arrière avant de lever le menton vers la façade, véritablement impatient de goûter à la boisson brunie qui rend le coréen si critique. « B’soir! Qu’est-ce que je vous sers? » - « Je vais prendre un Macchiato, merci. » lançant un regard à la silhouette de son acolyte qui s’éloigne, il reporte son attentions sur la serveuse souriante, lui rendant son rictus poli avant de faire un pas vers le bar pour commander la même chose, faisant confiance au jugement de Min. Puis, il traverse la salle afin de le rejoindre, tirant simplement la chaise pour s’installer en face de lui, en soupirant longuement comme s’il s’était retenu de respirer pendant de longues années. ’’Tu devrais quand même le dire à Link, tu sais… Pour ce que ça vaut, je suis sûr qu’il voudrait vraiment être là pour toi. C’est ça aussi, un couple. Pas seulement les bons moments.’’ mais comme Min a longtemps été seul avec ses mensonges et ses tourments, il n’y a rien d’étonnant à ce qu’il continue de faire cavalier seul face à l’adversité. ’’Les mensonges et les dissimulations détruisent les relations.’’ s’il esquisse un minuscule sourire pour masquer sa tristesse, il baisse les yeux avant de ravaler difficilement sa salive, en ne pouvant s’empêcher de penser à sa propre histoire défaite.

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@Izan Da Silva

« Tu as gardé contact avec lui, du coup ? » Min voudrait dire oui, faire comme si les dix-huit années de silence n’étaient jamais arrivées, mais ça ne serait pas la vérité. Il grimaça, anticipant déjà la déception dans le regard d’Izan même si l’histoire se terminait bien malgré tout. « S’il s’assumait, moi ce n’était pas du tout le cas. Nous sommes allés à une soirée, je commençais ma première année d’université en médecine à l’époque. C’était avant que je décide de devenir vétérinaire. Bref, nous étions à la soirée et Sid a fait une blague. Vraiment, c’était une remarque stupide et sans importance. Il a demandé si moi aussi j’aimerais embrasser les jolis garçons de l’école. Je faisais tout pour que les gens ne le découvrent pas. J’ai cru qu’il l’avait deviné, alors j’ai paniqué et je lui ai littéralement sauté à la gorge. Une réaction disproportionnée et qui n’était pas du tout mon genre. Je déteste le conflit, je me mets rarement en colère. Je suis plus du genre à chercher le compromis et à battre en retraite si les choses se compliquent. Bref, j’ai coupé tous les ponts avec lui parce que je n’étais pas suffisamment courageux pour répondre par l’affirmative. » Min but une gorgée de café. À cette heure du soir, c’était surement une mauvaise idée, mais qu’est-ce qu’il était bon. « Il y a quelques semaines, quelqu’un s’est présenté à la clinique pour une urgence avec son chat. C’était Sid. Nous venons tous les deux de Melbourne. Les chances qu’on se recroise ici après dix-huit ans… Je l’ai invité à prendre un café… et je me suis excusé. Je lui ai dit qu’il avait raison, que j’aurais aimé embrasser les jolis garçons de l’école. La vie n’offre pas souvent de deuxième chance. Il faut les saisir quand elle passe. » Dans ces circonstances, revoir Sid lui avait permis de faire la paix avec l’adolescent terrifié qu’il a été et de voir tout le chemin accompli.

Izan s’installa en face de lui. Il y avait quelque chose dans sa façon d’agir qui le rendait inconfortable. Est-ce qu’il regrettait de l’avoir accompagné ici? C’était surtout Min qui parlait depuis le début. Izan l’écoutait, ponctuant son récit de remarques pour le faire réfléchir, mais aussi l’apaiser. Jusqu’à maintenant, il avait fait un sans-faute. « Tu devrais quand même le dire à Link, tu sais… Pour ce que ça vaut, je suis sûr qu’il voudrait vraiment être là pour toi. C’est ça aussi, un couple. Pas seulement les bons moments. » Jusqu’à maintenant… L’expression de Min s’assombrit et il baissa les yeux sur son propre café. Il avait dit lui-même qu’il ne se fâchait jamais. Il sentait pourtant l’agacement monter en lui et former une boule dans son estomac. C’était surement parce qu’il savait qu’Izan avait raison, que de cacher la vérité à Link n’amènerait rien de bon. « Je ne veux pas l’inquiéter. Je ne veux pas que son regard sur moi change et qu’il me traite comme si j’étais une chose brisée même si c’est la vérité. » Il grimaça, haïssant ce sentiment d’impuissance qui ne le quittait pas depuis des semaines. « Les mensonges et les dissimulations détruisent les relations. » Évidemment, comment ne pas faire le parallèle avec son histoire avec Sid? Ils n’étaient pas un couple, simplement des amis. Pourtant, les mensonges et les cachotteries avaient mené à la fin de leur amitié. Il soupira longuement, évacuant du même coup la tension. « Tu as sans doute raison. » Il osa un coup d’œil en direction d’Izan. Il y avait de la tristesse dans son sourire. Il parlait par expérience. Ça se voyait dans ses yeux. « Tu as perdu quelqu’un? » Qu’il osa demander après un moment de silence. « Depuis tantôt, je parle beaucoup. Si jamais tu as besoin de parler, je peux écouter aussi. » Min sourit timidement. « Je ne suis pas un expert, mais il y a un principe en mathématique qui dit que deux négatifs font un positif. Je suppose que tous les deux, on devrait arriver à quelque chose de bien… »

La question qu’il a posé s’est accompagnée d’un sourire curieusement suave, comme s’il avait espéré entendre une issue favorable à cette histoire mais, devant la grimace que lui offre son interlocuteur, il a comme l’impression que la réalité est tout autre et, en présage, il fronce lentement ses sourcils en le dévisageant, curieux de cette expression tout à fait incontrôlée « S’il s’assumait, moi ce n’était pas du tout le cas. Nous sommes allés à une soirée, je commençais ma première année d’université en médecine à l’époque. C’était avant que je décide de devenir vétérinaire. Bref, nous étions à la soirée et Sid a fait une blague. Vraiment, c’était une remarque stupide et sans importance. Il a demandé si moi aussi j’aimerais embrasser les jolis garçons de l’école. Je faisais tout pour que les gens ne le découvrent pas. J’ai cru qu’il l’avait deviné, alors j’ai paniqué et je lui ai littéralement sauté à la gorge. Une réaction disproportionnée et qui n’était pas du tout mon genre. Je déteste le conflit, je me mets rarement en colère. Je suis plus du genre à chercher le compromis et à battre en retraite si les choses se compliquent. Bref, j’ai coupé tous les ponts avec lui parce que je n’étais pas suffisamment courageux pour répondre par l’affirmative. » il comprend mieux la grimace, mais se rend compte qu’il l’a mal interprété : elle était porteuse d’une culpabilité qui semble être récurrente chez Min, lui qui ploie sous les (nombreuses) mauvaises réactions qu’il a eu pour tenter de protéger son secret. Qui peut l’en blâmer ? Peut-on réellement le sermonner pour avoir eu cet instinct de conservation ? Dans les yeux du pianiste, Min peut observer qu’il n’y a pas l’ombre d’une déception ou d’une quelconque remontrance, mais seulement l’écho d’une compassion qu’il est disposé à lui accorder depuis le début de leur entrevue. Remerciant la serveuse d’un sourire poli, il appuie son coude sur la table en zieutant brièvement sur le contenu de sa petite tasse blanche, avant de relever ses longs cils noirs vers le coréen afin de l’écouter attentivement. « Il y a quelques semaines, quelqu’un s’est présenté à la clinique pour une urgence avec son chat. C’était Sid. Nous venons tous les deux de Melbourne. Les chances qu’on se recroise ici après dix-huit ans… Je l’ai invité à prendre un café… et je me suis excusé. Je lui ai dit qu’il avait raison, que j’aurais aimé embrasser les jolis garçons de l’école. La vie n’offre pas souvent de deuxième chance. Il faut les saisir quand elle passe. » - ’’Et il a réagi comment ?’’ il le demande d’une voix calme en usant de l’une de ses mains pour remonter sa tasse jusqu’à ses lèvres afin d’en boire une gorgée, concédant au breuvage une certaine qualité mais n’étant pas suffisamment critique en la matière pour noter une réelle différence avec les autres cafés. Il espère que le fameux Sid a eu une réaction plus mesurée que Min à l’époque, mais il n’en doute pas vraiment ; difficile de ne pas comprendre pourquoi le coréen, qui subissait une pression monstre, ne pouvait pas avouer qu’il rêvait d’embrasser les autres garçons de sa promo. ’’Je crois que ta peur est compréhensible, tu sais… Je ne suis pas sûr que j’aurais réagi différemment à l’époque du lycée. Surtout s’il y avait eu un risque que mes parents l’apprennent.’’ et considérant la façon dont l’histoire s’est terminée entre eux, il aurait eu raison.

Le bout de ses doigts faisant lentement tourner sa tasse blanche sur la petite coupelle blanche, il observe sans crainte l’ombre qui passe sur l’expression de Min lorsque le sujet de Link est remis sur le tapis, mais il ne s’en formalise pas outre mesure. Il sait qu’il a raison, que ses arguments sont légitimes et, au fond, il sait que Min pense comme lui, qu’il est seulement retenu par les mauvaises idées qu’il a nourri, par manque de confiance, par pression familiale, par peur de ne pas être la personne qu’on attend qu’il soit. « Je ne veux pas l’inquiéter. Je ne veux pas que son regard sur moi change et qu’il me traite comme si j’étais une chose brisée même si c’est la vérité. » il retient un soupir en baissant les yeux quelques secondes, animé par une certaine forme de fatalité ; il sait très bien que rien ne pourra le faire changer d’avis et, songeant qu’il a suffisamment insisté pour plaider cette cause, Izan hoche son menton de haut en bas en décidant de ne pas poursuivre ce combat, même si son silence est peut-être bien plus bavard qu’il ne le croit. « Tu as perdu quelqu’un? » la formule ne lui semble pas vraiment appropriée, alors il hausse mollement ses épaules comme seule réponse, ne parvenant pas tellement à savoir s’il a réellement perdu ou non puisque, dans sa conception des choses, la personne qu’il a perdu n’a jamais réellement été là. « Si jamais tu as besoin de parler, je peux écouter aussi. » il ne partage pas vraiment le sourire de Min même s’il essaye, parce qu’il lui paraît bien plus facile d’aborder les problèmes d’autrui que les siens, et qu’il a un mal fou à suivre ses propres conseils visiblement « Je ne suis pas un expert, mais il y a un principe en mathématique qui dit que deux négatifs font un positif. Je suppose que tous les deux, on devrait arriver à quelque chose de bien… » l’idée lui paraît suffisamment douce et poétique pour qu’il esquisse un sourire doucereux, mais quoique le terrain de leur discussion semble propice à accueillir ses confidences, il ne sait pas vraiment comment formuler la chose alors, il le lance sans vraiment y mettre les formes : ’’Rien d’extraordinaire. Je viens de rompre parce que… Parce que j’étais qu’un moyen d’oublier quelqu’un d’autre, pour lui.’’ il ressent une profonde humiliation à le dire, et l’inconfort se propage dans ses épaules pendant qu’il se redresse sur sa chaise en remuant ses lèvres closes, ayant l’impression sacrément con en cet instant ’’Ça va aller. Tout le monde se remet d’une rupture, pas vrai ?’’ il vaut mieux, parce qu’il n’a pas franchement envie de rester dans cet état plus longtemps.

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