Ça lui fait du bien d’avoir sa meilleure amie à la maison. De ne pas être tous les jours face à Tom et tout ce qui s’effrite, ces petites choses qui partent en vrille, ces difficultés évoquées par son professeur et qui la terrifie parce qu’elle n’a aucune idée de comment les gérer. Avoir un gosse, c’est compliqué. Avoir un gosse presque toute seule, pire encore. Les nuits passées sans dormir, les boulots de merde pour joindre les deux bouts alors que son fils était gardé par des inconnus, les cris inconsolables à cause des coliques ou des dents… Elle avait surmonté tout ça pourtant, avait l’impression d’avoir gravi les plus terribles des montagnes, celles qui nous font nous retrouver dans le noir, à hurler aussi fort comme pour couvrir les pleurs enfantins, celles où on en vient à supplier la chair de sa chair à, enfin, pour au moins une heure ou deux, fermer les yeux et laisser maman dormir. Ça faisait longtemps désormais que Tom faisait ses nuits, et pourtant l’Everest qui se pointait devant elle, Alienor ne l’avait pas vu venir. Non, pas l’Everest, l’Annapurna. Bien plus hostile comme territoire. L’adolescence était un pic d’incompréhension et d’appréhension. Désormais, si elle ne dormait plus, ce n’était pas à cause des cris d’un bébé qui avait faim, mais parce qu’elle se demandait ce qui pouvait bien se passer en classe – et surtout à côté des classes – pour Tom. Alors au moins cette soirée c’était le temps de souffler un peu, de penser à autre chose autour d’un bon repas.
Elle se doutait que Wild aussi, avait besoin de se changer les idées. Le retour de Clay après dix ans et, surtout, avoir appris qu’il était revenu en Australie depuis une année, était une vérité compliqué à avaler. Elle-même avait été profondément blessée de cet abandon doublé du secret de ce retour. Et pourtant, elle n’avait jamais été amoureuse de lui. Carter, en revanche, c’était autre chose, mais elle avait 13 ans et puis bon, qui n’avait jamais été amoureux du pote de sa grand sœur ? Ça lui était largement passé depuis. Toujours était-il que son amie avait été emportée dans un tourbillon qui semblait ingérable et qu’elles avaient toutes les deux bien besoin de souffler un coup. Et le rire qui avait envahi leur gosier au-dessus du poulet parmigiana avait soulagé plus d’un cœur de sa lourdeur des derniers mois. Tom avait un large sourire en embrassant sa marraine avant d’aller dormir.

–Bonne nuit mon chaton.
– Maman ! J’ai 12 ans, je suis plus un chaton !
– Je sais mon grand, et toi, tu sais que je t’aime ?

Le pré-adolescent part se coucher en ronchonnant sur le fat que sa mère était vraiment trop relou parfois. Elle savait pourtant à quel point ce rituel était important pour son fils ; il lui était arrivé de la réveiller en pleine nuit parce qu’elle avait oublié de lui dire qu’elle l’aimait avant qu’il aille dormir. Même durant ses gardes, elle n’oubliait jamais de lui envoyer un message.
L’enfant au lit, il était temps de se détendre en sirotant son vin avec une bonne fournée de ragots. À commencer par l’épisode 223 des amours de sa meilleure amie qui, décidément, avait un sens du narratif admiratif – et du timing surtout. Si Alienor était du genre à toujours se tourner vers des mauvais garçons – qui, contrairement à ceux des films pour adolescentes ne se transformaient jamais en beaux gosses avec tout de même un grand cœur, mais restaient bel et bien des crétins égocentriques – Wild avait un sens bien plus affuté dans le choix de ceux qui partageait un bout de sa vie. Plus affuté, mais jamais vraiment au bon moment. Et c’était pas faute, pendant une bonne partie de son adolescence, d’avoir imaginé mille plans pour l’aider à déclarer son amour à Clay. Plans qui n’avaient jamais fonctionné – sans doute parce que les garçons étaient des crétins qui ne comprenaient jamais rien.

– J’arrive toujours pas à croire qu’il soit rentré sans rien nous dire. Et que Carter le traître ait gardé ça secret !

Les garçons…
Enfin si toute cette histoire la désespère plus qu’autre chose, le nom qui s’infiltre dans la conversation, lui, lui fait grincer des dents. Elle n’a jamais apprécié Leroy Kearns. Depuis le début. Un mauvais pressentiment, et puis sa tête ne lui revient pas vraiment. Sentiment conforté par le nombre de lapin qu’il a posé à Wild. Autant dire que le jour où ils avaient rompu, si elle s’était montrée compatissante devant son amie, elle avait surtout eu envie d’ouvrir une bouteille de champagne. Alors qu’il se repointe dans les Feux de l’Amour version Fitzjames n’est pas vraiment une bonne nouvelle. Voilà le come back d’un personnage qu’elle aurait préféré oublier.
Come back qui semble en plus particulièrement prometteur pour la série puisqu’elle apprend qu’ils se sont embrassés. Ally s’étouffe é moitié, avalant sa gorgée de rouge de travers, toussant dans sa serviette et se bavant dessus.

– Pardon ?! s’étrangle-t-elle encore sous le coup de la surprise.

Il lui faut quelque gorgée d’eau pour calmer la toux qui menace et étouffer la chaleur qui lui pique les yeux. Alienor n’a jamais caché son inimité envers Lee – elle en serait probablement bien incapable de toute manière – donc Wild ne doit probablement pas être surprise de sa réaction.

– Mais c’était juste comme ça, un baiser nostalgique en souvenir du bon vieux temps, hein ? Vous allez pas vous remettre ensemble… si ?