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La conversation dure depuis une minute ou deux "— et parce que ça fait partie de l’expérience de la tournée." "Tester toutes les baignoires de tous les hôtels où on reste aussi." Petit plissement de paupières, paume de main qui s’écrase contre sa joue tandis que son coude est posé contre le comptoir du bar devant lequel elles patientent pour une raison qui échappe à Jo. Bref, elle reprend en réfléchissant de façon poussive, bien décidée à faire sa mauvaise tête "J’aimais pas la dernière. Elle était pas assez profonde, on voyait mes seins par-dessus la mousse." "Josephine." Le Josephine vaut à Stefani de se faire fusiller du regard à l’instant où elle l’ouvre, sa putain de grande gueule. C’est Jo, pas Josephine. Elle a quoi, vingt cinq piges à tout casser cette connasse, à qui croit-elle donner des ordres ? Elle ne fait partie de son équipe que depuis quelques semaines, qu’elle est déjà là, à se comporter comme sa daronne alors que c’est Jo, la patronne, et qu’elle ne demande qu’une seule chose : s’isoler après la première balance qu’elle vient de terminer en prévision de sa date de demain et enchaîner les quelques épisodes de la saison elle-ne-sait-trop-combien des Kardashian qu’elle s’enfile comme des petits gâteaux en se demandant si Kim a toujours été moralisatrice et Kourtney aussi chiante avec son accent de pétasse gavée aux compléments alimentaires. Elle n’a pas envie de sociabiliser avec le reste de la petite troupe qui constitue son entourage direct au cours de sa tournée ; ils sont déjà en train de se mettre une mine quelque part, et ce n’est pas son rythme de vie, c’est aussi simple que ça. De toute façon, la famille qu’on lui vend, elle n’en veut pas quand vient cette heure en particulier et qu’elle doit anticiper la nuit qu’elle va passer à ruminer, se retenir de prendre son téléphone, et chialer un peu dans son oreiller. Elle ne sait pas vraiment ce que c’est la famille, Jo, et elle en un peu raz le pompon qu’on lui vende cette notion à tort et à travers, elle doit le dire. De ce fait, elle préfère encore rester seule que de devoir supporter les conditions des autres à ce sujet. Qu’ils aillent tous se faire foutre, voilà ce qu’elle se dit en continuant de fixer son assistante qui lève les mains devant elle comme une inconsciente prise à flâner dans la savane et qui tombe sur le plus redoutable des animaux sauvages. Elle est restée plus qu’apathique ces derniers temps, mais elle sent qu’il ne lui faudrait pas grand-chose pour basculer vers son mode par défaut qui consiste à débiter des saloperies, défier, frapper, tirer, mordre — pas nécessairement dans cet ordre "C’est qu’une proposition. J’insiste pas." "T’as plutôt intérêt. C’est moi qui te payes, l’oublie pas." Elle l’aime bien dans le fond. Seulement, il faut qu’elle redescende d’un étage parce que Jo n’a qu’une prérogative : claquer des doigts, et elle disparaitra.

Enfin, elle la quitte du regard pour le déporter sur sa droite, et se redresse presque immédiatement en fronçant les sourcils. Stefani fait la même chose "C’est pas cette actrice ? Ma—" "—bel Griffiths." Elle termine la phrase de la jeune femme, ne la regarde pas quand elle lui fausse compagnie sans chercher à lui expliquer quoi que ce soit, et fait à Mabel vers qui elle s’approche en lui disant seulement "Tu me suis, ou c’est une coïncidence ?" Elle ne lui demande pas l’autorisation pour s’asseoir, elle le fait, et se pose juste en face d’elle. Elle jette un regard bref au verre qu’on vient poser devant la jeune femme juste à l’instant où elle-même s’installe. Le serveur lui demande si elle veut quelque chose, Jo refuse simplement d’un signe de tête, la penche légèrement sur le côté en reposant ses yeux sur Mabel à qui elle ne dit rien de plus pour l’instant, lui offrant juste un léger sourire au travers des lumières tamisées qui bordent le coin dans lequel elles sont retirées. Ça aura au moins le mérite de tenir Stefani à distance et de la faire monter dans sa chambre sans qu’elle ne juge nécessaire de continuer à lui coller au train.

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La coïncidence est invoquée. Jo ne la contredit pas parce qu’elle le sait très bien, que ça ne peut être que ça, une coïncidence, de tomber sur Mabel dans cet hôtel qu’elle a rejoint il y a quelques instants à peine avec son assistante ; le reste de son équipe les rejoindra plus tard avec quelques verres dans le nez, elle en est sûre. Elle hoche la tête, pose ses bras croisés au bord de la table avec l’air d’une petite fille sage qu’elle n’a jamais été, trop dissipée et insolente pour réussir à bien se tenir à table. Ce n’est pas le cas là. Elle est relativement calme, Josephine. Si ce n’est la torpille de sa jambe sous la table qui tressaute, accélère et décélère à alternance variable, elle a juste l’air d’être là comme ça, sans raison particulière.

Sans avoir besoin de fouiner, son regard tombe sur le verre que Mabel a surement commandé avant qu’elle ne vienne s’installer, et se demande si c’est pour ça qu’elle est ici seule : boire. Elle trouve ça putain de triste, mais ça ne l’est pas autant que de se gaver de télé-réalité pour supporter une douleur inhérente à des erreurs commises, si ce n’est sans le vouloir, au moins pas dans le but de créer du grabuge, ça elle le jurera devant quiconque voudra faire son procès et la déclarer coupable. Elle, elle ne juge pas, là : elle s’interroge juste. Seulement, elle ne le fait pas à voix haute pour une fois, et déporte ses yeux du morceau d’ananas que Mabel porte à sa bouche pour faire le point sur son visage. Elle l’écoute, opine avec un air de surprise qui éclaire ses traits usés par les insomnies et son manque d’appétit "T’es vraiment venue ?" Ça ne l’étonne qu’à moitié. Les billets pour ses concerts se sont tellement bien vendus que ça a fait éclore un nouveau regain d’intérêt autour d’elle, et qu’on se bat pour avoir accès à ses dates. Ça, et les rumeurs autour de sa rupture avec Midas qui n’a été officialisée par aucun d’entre eux puisqu’il ne s’agit pas d’une rupture, et que personne n’a besoin de connaître leur vie ; au moins sur ça, ils sont d’accords. Elle pince les lèvres, se décale de la table pour s’appuyer contre le dossier de sa chaise, ses bras se décroisant pour que, d’une main, ses ongles d’une longueur raisonnable viennent battre la mesure contre le bois poli — tap, tap, tap "T’aurais dû t’annoncer, je t’aurais fait faire le tour du propriétaire et on t’aurais fait cadeaux de quelques trucs, on sait recevoir les invités. T’es venue avec Rosie ?" Elle se demande ce que les parents des gosses qui viennent avec eux à ses concerts ont dans la tête. Avant 15 ans, ça devient risqué de venir voir chanter Jo Carter ; pas parce qu’il s’y passe des choses scandaleuses, mais parce qu’elle a un langage fleuri, et que la connotation graveleuse pointe souvent le bout de son joli minois espiègle. En vrai, ça l’amuse, de pervertir la jeunesse, et voir des gamines qui ont encore du lait au bout du nez fredonner des choses du type you said you like my eyes and you like to make 'em roll en croyant qu’elle parle de chamaillerie quand elle parle très clairement d’orgasme. Une chose est sûre, ça la fait doucement ricaner.

Elle passe sa langue sur sa rangée de dents du haut, cesse de faire tressauter sa jambe sous la table et cliquer ses ongles dessus, refusant la semi-proposition de Mabel avant de se raviser "Si ça peut te faire plaisir, je vais prendre une camomille." Elle en prend un bon coup dans la gueule, la bad bitch qu’elle est supposée être "Hé, s’il vous plaît ?" Elle passe sa commande elle-même, sourit à peine au garçon qui vient la prendre, et ce pas parce qu’elle est désagréable, juste parce qu’elle n’en a pas envie, et retourne son attention vers la jeune femme à qui elle demande "Rassurée de ne pas boire seule, ou je dois commander la même chose que toi pour être acceptée dans ton cercle pour ce soir ?"

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Jo a envie de faire remarquer à Mabel que, dans leur milieu, tout le monde dit des tas de choses sans nécessairement les penser. Elle s’abstient toutefois, elle n’a pas le même attrait pour la contradiction depuis quelques semaines, et c’est tant mieux pour ses interlocuteurs qu’elle laisse libres d’interpréter ses silences comme ils l’entendent. Elle se fout un peu de tout, elle n’est qu’un corps qui va et vient au rythme des dates imposées sur son calendrier. En fait, elle est presque devenue la poupée qu’on n’aurait tant aimé qu’elle soit, celle qui ne fait que cligner des yeux quand on l’assoit et qui les ferme quand on l’allonge — elle est loin de la gamme au-dessus, celle qui parle au point d’en devenir agaçante. Là, elle se contente d’un "Merci, j’apprécie.", qui répond aux compliments dont Mabel la couvre sans qu’elle ne se sente obligée de les glaner ni même de se demander à quel point elle pense ce qu’elle dit.

Elle réagit davantage à ce qu’elle ajoute, laisse un léger rire lui échapper "Je chante de la pop, pas du hard-rock, les pogos, c’est pas commun dans mes shows." Ce qui l’est, c’est le fait de vouloir recréer ses looks, ses make-ups, échanger des bracelets, et s’amuser des doubles-sens qu’il y a dans ses titres les plus populaires en les criant sans craindre d’être réprimandé par qui que ce soit. Les jeunes femmes et les jeunes hommes qui la suivent ont une énergie certaine, elle reste saine toutefois ; elle aime se dire que, lorsqu’on se rend à l’un de ses concerts, on se sent en sécurité. Cela dit, elle peut entendre les arguments de Mabel qui a préféré la jouer low-key, et ajoute seulement "Mais je comprends." Tout comme elle comprend l’absence de Rosie sur laquelle elle n’a rien à dire de plus que "Elle viendra quand elle sera plus grande." Elle ne lui propose de lui envoyer du merch pour la gamine, elle doute qu’un sweat-shirt avec des grossièretés inscrites dessus en lettres calligraphiées d’inspiration rococo soit du plus bel effet sur une petite-fille de son âge — même si ça la ferait personnellement mourir de rire, mais elle n’a jamais prétendu avoir un humour universel.

On lui apporte sa petite théière d’eau chaude qu’elle verse sur son mélange de camomille qui flotte gaiement dans son bain le temps qu’elle se recentre sur les paroles de la blonde "C’est pas archi-efficace pour dormir non plus la camomille, si tu veux mon avis." Un vrai cocktail bien tassé avec de l’alcool fort le serait davantage, si tant était qu’elle en avait envie d’un, mais c’est loin d’être le cas. Des comportements auto-destructeurs, Jo en a certainement, comme tout le monde, mais pas au point de tomber dans l’alcool ou dans la drogue, et pas uniquement parce qu’elle a perdu quelqu’un à cause de cette merde en particulier. Elle relève son regard vers Mabel, s’arrête sur la notion de mocktail qu’elle utilise pour se justifier, elle le sent "Tu bois ce que tu veux en vrai." En vrai, elle est assez grande pour se gérer, n’est-ce pas ce que Midas lui a dit lorsqu’elle lui a partagé avec lui son sentiment de ne pas avoir suffisamment aidé Charlie ? Il lui a fait entendre qu’elle avait fait ses choix, que les autres n’y pouvaient rien, qu’elle était une grande fille. C’est la même chose avec Mabel : Jo peut s’étonner de la voir boire de l’alcool, mais peut-elle réellement la contraindre à ne pas le faire ?

Bien sûr que non "Je te regarde parce que t’es assise juste en face de moi, Mabel." lui fait-elle dans un profond soupir, aussi las qu’il est lourd. Et c’est vrai. D’ordinaire, elle lui aurait cracher au visage qu’être autant sur la défensive, c’est signe de cacher quelque chose, mais à quoi bon ? Elle n’est pas là en tant qu’inquisitrice, elle est là parce qu’elle préfère encore boire cette putain de camomille avec elle que de retrouver sa chambre d’hôtel qui prend des allures de maison hantée quand elle pense à la petite voix qui s’insinuera dans sa tête pour lui murmurer vicieusement qu’elle mérite d’être seule, qu’elle l’a bien cherché. Elle retire sa boule à thé de sa tasse, elle sucre son infusion avec un peu du miel qu’elle a demandé — pas trop, mais assez pour avoir besoin de le remuer avec la cuillère dont elle s’empare du bout des doigts en prenant soin de ne rien faire tinter, plus délicate que d’ordinaire, et change de sujet après un instant à rester concentrée sur sa tasse "C’est pour quel projet, ton tournage ?" A-t-elle le droit de lui poser la question, ou va t-elle l’envoyer paître à nouveau ?

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C’est marrant comme toutes les mères qu’elle rencontre se sentent obligée de lui parler de leurs gamins. Elle s’en cogne, Jo. Elle a demandé des nouvelles de Rosie par politesse, elle n’a pas envie de connaître le plan que sa mère a fait pour elle pour les dix huit prochaines années. Franchement, elle en a sa claque que ceux qui l’entourent lui imposent leur putain de parentalité. Si elle s’en plaint, on lui dira que c’est normal pourtant, que c’est dans l’ordre des choses, et que ça fait partie des prérogatives des gens de sa génération, de commencer à se reproduire et à fonder une famille. On lui dira aussi que ça prouve à quel point elle est immature de refuser de s’intéresser à ce sujet en particulier quand, en vérité, ce n’est pas tant qu’elle est immature, plutôt concentrée ailleurs que sur l’idée de se faire mettre enceinte. Que peut-elle répondre à ce que Mabel lui dit ? Pas grand-chose, elle le craint. De ce fait, elle opine du chef, ne contrarie pas le discours de la maman parfaite qu’elle lui a toujours donné l’impression d’être : elle sait mieux qu’elle, elle le lui fait bien entendre en s’épanchant lourdement sur le bien-être de sa gamine, sur ce qui est bon de lui imposer ou pas, et sur ce sujet, Jo n’a pas besoin d’avoir le dernier mot, ainsi elle la laisse palabrer si ça lui chante. Et visiblement, ça a l’air d’être le cas.

Finalement, elle réfléchit un instant et pense que Mabel s’épanche autant sur Rosie pour ne pas s’épancher sur la tristesse que ça représente de siroter un mocktail comme une pauvre conne au bar de l’hôtel ; elle pourrait le faire dans sa chambre, ce serait plus pathétique encore, mais au moins, elle le ferait à l’abri des regards. A-t-elle seulement envie de le lui faire remarquer ? Non, et elle ne le fait pas, s’intéressant à tout autre chose, et c’est à la raison pour laquelle elle se trouve sur place "Tu travailles toujours pour Dior ?" Elle fronce les sourcils, essaye de remonter dans ses souvenirs tandis que sa jambe recommence à tressauter sous la table. Une chose est sûre, la camomille ne lui fera pas d’effet, et pas uniquement parce qu’elle n’en a pas encore bu la moindre gorgée. Elle souffle doucement sur sa tasse, reprend dans la foulée "Je croyais que t’avais arrêté le mannequinat ?" Ou était-ce simplement les défilés ? Jo en a assez sur son assiette pour piocher dans celle des autres, alors il y a des détails qu’elle oublie sans que ce soit nécessairement parce que ça lui est égal. Elle aussi à un emploi du temps chargé et une vie privée qui la torture.

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"Hm, c’est vrai que t’as pas besoin d’être mannequin pour faire des campagnes de pub." Ça se saurait étant donné que certaines d’entre elles sont immondes à crever. Comme elles mettent en scène de grandes stars qui font se pâmer les grands patrons prêts à vendre leurs daronnes pour que leurs poches se remplissent, personne ne dit grand-chose si ce n’est merveilleux, à quand la prochaine ? A part la questionner sur le projet qui la mène ici, Jo ne peut pas faire grand-chose d’autre pour meubler la conversation. La réticence de Mabel est évidente, elle la fait même se raidir chaque fois que Jo ouvre la bouche. Elle semble la couver avec volonté, et la chanteuse n’est pas dans un état propice à son obstination habituelle pour pousser le bouchon et le faire sauter pour qu’elle déverse enfin ce qui semble tant créer une tension dans son corps. En somme, elle a d’autres problèmes, Jo, et ceux des autres lui paraissent infiniment moins graves, surtout quand ils concernent ces autres qu’elle peut à peine qualifier d’amis. De ce fait, elle joue le jeu, même si le sujet ne l’intéresse pas plus que les tribulations des Kardashian qu’elle a finalement hâte de retrouver, s’étant peut-être trop avancée sur l’idée d’être en meilleure compagnie avec l’actrice qu’elle regarde d’un oeil morne, laissant l’inquisition au placard, et lui répondant selon la même intention "Je travaille avec Frolov pour mes costumes de scène, c’est une marque Ukrainienne." Choix salué par l’opinion publique d’ailleurs, quelle bonne Samaritaine, cette Josephine — Beyoncé et Doja Cat l’ont fait avant elles, cela dit. Elle l’informe, ne sait pas où elle va avec cette information, puis elle ajoute dans la foulée d’un profond soupir qu’elle noie dans une gorgée de sa camomille — elle est parfaitement sucrée, c’est au moins ça "Je sais comment fonctionne les partenariats, je m’étonnais juste que tu sois toujours comptée dans leur égérie après ta décision de quitter les podiums." précise-t-elle, pas demeurée au point d’avoir besoin qu’on lui parle comme si c’était le cas. Putain de condescendance, c’est à ça qu’elle ressemble quand elle fait la leçon aux gueux du coin ? Elle ne répond pas à cette question silencieuse, reprend à la place "Mais c’est bien, ça maintient ta visibilité auprès du grand public —" Les petites meufs friquées du seizième arrondissement de Paris, qu’elle pense sans le dire "— et ça te permet de t’habiller au frais de la princesse, personne d’assez stupide ne peut refuser ça." Tout le monde est gagnant à la fin. Hourra.

Elle a un léger rire à sa dernière remarque. Elle repousse sa tasse, s’incline en arrière pour laisser son dos reposer contre sa chaise et cesse à nouveau de faire gigoter sa jambe qu’elle stabilise avec ses mains qu’elle pose sur ses genoux. Légèrement de gingois, elle fait à Mabel "Avec tout le respect que j’ai pour Dior et sa légende, je suis loin de correspondre à l’image de la marque." Elle ne se dévalorise pas, jamais elle ne le fera. Elle est simplement terre-à-terre et trop honnête pour vouloir vendre une image d’elle qui ne colle pas à la réalité. Dior est mythique, mais Dior est comme Chanel : ce sont des marques de femmes actives, mûres et sophistiquées, d’un milieu social qui dépasse largement la moyenne et qui trouve difficilement son public auprès des jeunes, d’où l’entrée récente de Rihanna dans leur écurie pour vendre leur parfum mythique. Elle n’a pas encore ses entrées dans ce monde-là, Jo, elle se nourrit toutefois des mythes qui peuplent l’univers dans lequel elle gravite, et elle sait que sa place ne se trouve pas au sein de maisons comme celle-ci, si tant est qu’on lui laisse sa chance de devenir égérie d’une quelconque marque un jour. Ça viendra, elle est impatiente pour beaucoup de choses, mais pas pour ça. Pour l’heure, ce n’est pas un but pour elle, elle a déjà passé quelques contrats, dont un avec la maison qui l’habille pour sa tournée, mais aussi avec la marque qui la sponsorise — Mac Cosmetics pour ne pas la citer —, et avec qui il est prévu de travailler sur une collection à son image étant donné que son esthétique se prête parfaitement à celui de la marque de légende, et ça lui suffit ; d’abord la musique en effet, ça lui semble plus sage d’envisager les choses de cette manière que de se mettre à vendre des gels douche qui sentent vaguement le parfum qu’elle porte — Lost Cherry de Tom Ford, si vous vous posez la question. Ça ne la fera pas devenir plus populaire de se lancer dans des campagnes, elle le sait. Midas ne l’a pas fait, et sa carrière n’a pas déclinée, même durant sa longue période de jachère créative, et en ça, comme en beaucoup d’autres choses encore, il restera une référence qui lui prouve qu’on peut y parvenir sans se vendre à outrance, quitte à faire des choix douteux. Elle le garde à l’esprit, ça lui met un petit coup au coeur, mais elle reste digne, et ponctue à l’adresse de Mabel "J’ai le temps pour ce genre de choses." Elle replace les bagues qu’elle porte au doigt, chasse une paillette collée à l’arrondi de son index de sa main dominante, et reste un petit instant à réfléchir sans savoir sur quoi rebondir. Après quelques secondes de latence, elle lui demande avec malice, se penchant en avant pour s’accouder de nouveau à la table "C’est quoi la pire marque pour laquelle t’as fait de la pub ? Allez, tu peux pas avoir toujours fait dans le bon goût, je suis sûre que tu caches des casseroles, Griffiths."

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"Parce que j’aime ce qu’ils font." Point final. A propager la rumeur que Jo n’est qu’un mètre cinquante-quatre de complications, de paradoxes et de mauvaise foi, la majorité des gens qui l’entourent lui prête des velléités tordues, des désirs qui le sont tout autant, quand son raisonnement ne dépasse pas les simples volontés et affirmations d’une femme de son âge. Elle veut être à son avantage, elle veut suivre la ligne de son album qui est légère, fun et sexy, elle veut marquer les esprits avec des pièces légendaires qui seront accolées à son nom, à son image lorsqu’on en parle, et c’est ce que que propose la maison avec laquelle elle travaille pour ses tenues de scène. Leur signature est assez reconnaissable pour faire de ces dernières un indispensable de la pop culture — ses corsets strassés, estampillés de leur fameuse découpe de coeur qui surplombe ses décolletés, finiront au Grammy Museum quand le temps sera venu — et c’est tout ce qui importe à Jo. La stratégie autour de tout ça est simple comme bonjour, ainsi elle n’a pas à donner d’autre réponse que celle qu’elle vient de prononcer à l’adresse de Mabel.

Elle l’écoute lui donner un cours dont elle n’aura guère l’utilité, et comme elle a toujours été une très mauvaise élève (probablement avec un trouble de l’attention, personne n’a jamais cherché à le détecter, et pourtant, maintenant qu’elle y pense, il doit y avoir quelque chose là-dessous), elle avoue perdre le fil au bout d’un moment donné. Elle continue de la regarder toutefois, recommence à agiter sa jambe sous la table, et pense à nouveau que sa condescendance et son obstination à lui apprendre des choses qu’elle sait déjà ne sert pas l’amabilité qu’elle lui a trouvé lors de leur discussion — elle avait plus d’alcool dans le sang aussi, ce n’est à pas oublier. Elle finit par éclater de rire lorsqu’elle l’entend dérouler son avis pour l’associer à une maison de haute couture ; ça a l’air plus important pour elle que ça ne l’est pour Jo qui lui fait savoir, sarcastique "J’ai déjà un manager, mais si jamais j’envisage d’en changer un jour, je te promets de t’appeler." C’est une façon plus polie que ses habitudes de lui dire de se mêler de ses fesses. Elle entend que sa curieuse implication pour les contrats publicitaires de Jo sont une façon pour elle de ne pas s’arrêter sur ses propres problèmes, alors au fond, elle la laisse babiller sans plus l’arrêter, mais la vérité, c’est que ça rentre dans une oreille pour ressortir par l’autre tandis qu’elle boit gorgée sur gorgée de camomille.

Elle ne peut même pas compter sur du croustillant lorsqu’elle lui pose une question qui appelle l’auto-dérision. Mabel se prend beaucoup trop au sérieux pour avouer à Jo qu’elle a commencé sa carrière en promouvant des horreurs, et si elle est déçue, elle ne peut pas prétendre être surprise "T’es vraiment une petite princesse parfaite." lui fait-elle remarquer sans méchanceté, avec un peu de lassitude peut-être, parce que la perfection, c’est quand même grave chiant, qu’elle pense sans le dire, consciente que tout le monde n’a pas le même avis qu’elle sur le sujet. Elle fait tournoyer le reste de sa camomille dans le fond de sa tasse qu’elle tient par le dessus, s’y perd le temps de laisser Mabel lui renvoyer l’ascenseur en acceptant sa question sur laquelle elle ne médite pas "Je regrette rien." Bien sûr que si. Ça ne concerne pas ses choix artistiques toutefois, elle n’a pas à en parler avec Mabel "Je peux pas dire que j’assume tout ce que j’ai fait, c'est pas pour autant que j'en suis pas fière." Elle continue, pose sa tasse devant elle avec l’intention de ne plus y toucher "J’ai pas réécouté mon EP depuis qu’il est sorti, il y a huit ans. Je suis quand même contente de ce que j’ai produis à l’époque, ça correspondait à une période de ma vie." Elle hoche la tête, réfléchit en levant les yeux vers le plafonnier qui surplombe leur table "Y a des trucs un peu cringe que je me souviens avoir écrit et que j’écrirais plus aujourd’hui même si on me payait des milliards, mais c’est pas si grave, ça m’a permis de m’améliorer." Le public n’a pas adhéré à ses premiers titres, c’est la vie. Ça lui a fait chier sur le moment, elle a passé l’éponge aujourd’hui parce que son succès actuel a mis du baume sur son amertume et qu’elle a pris un peu de recul pour admettre qu’elle n’était pas prompte à faire des concessions à l’époque. C’est différent désormais, elle sait qu’elle doit sacrifier certaines de ses ambitions pour dorloter celle qui l’a fait rêver depuis qu’elle est gamine. Elle reprend après un instant, celui dont elle a besoin pour se préparer à citer celui qui occupe ses pensées quoi qu’elle fasse "Et je renierai jamais d’avoir fait un télécrochet. J’aurais pas rencontré Midas sans ça, et rien que pour ça, c’est pas envisageable pour moi de cracher dans la soupe." C’est son père qui serait étonné de voir à quel point son ingrate de fille est capable de se montrer reconnaissante. Ça l’emmerderait surtout de savoir qu’elle est reconnaissante d’avoir rencontré quelqu’un qu’elle aime et célèbre plus qu’elle ne l’a jamais aimé et célébrer, cette ordure.

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Elle pousse un très gros soupir, celui qui remplace l’envie soudaine qu’elle a de se lever avec fracas après avoir balancé le mocktail de son interlocutrice tout droit dans sa tronche. L’ananas c’est bon pour la peau, c’est bourré d’enzymes, alors qui sait : peut-être qu’elle en retirerait une expérience divine qu’elle pourrait vendre à Dior pour sa prochaine gamme de soin pour la peau. Elle se recule de la table pour que son dos cogne contre sa chaise, et les narines frémissantes, elle fait sans délai "Mabel, avec tout le respect que je te dois —", sérieusement, elle a du respect pour elle, promis, juré, "— t’es franchement mal placée pour me donner des conseils sur comment poser des questions et sur comment y répondre." Jo n’est pas dans son assiette, mais Jo n’est pas une carpette qui accepte de se faire marcher dessus pour autant. Qu’elle s’estime heureuse, la blonde, qu’elle consente à l’écouter déblatérer des trucs qu’elle sait déjà au lieu de lui faire remarquer (pas encore, en tout cas) qu’elle ne boit même pas le verre qu’elle s’est commandée surement parce qu’il ne s’agit pas d’alcool, mais d’un substitut qui ne semble pas l’attirer plus que ça. Elle affronte son regard une poignée de secondes supplémentaires, le laisse traîner dans le sien sans juger nécessaire de le baisser histoire de lui faire entendre qu’elle est bien sympa, mais qu’elle n’a aucune leçon à lui donner. Si elle veut refaire l’éducation de quelqu’un, elle n’a qu’à rejoindre sa gamine au lieu de chercher à lui tirer les oreilles.

"Et peut-être que dans dix ans, tu regretteras d’avoir accepté cette campagne de pub que tu tournes au fin fond du trou du cul du monde et qui t’obliges à partager la table d’une meuf qui s’est invitée au passage." Elle joue des épaules pour poser son menton sur sa propre épaule, starlette triste qu’elle est sur l’instant, mais starlette indubitable qu’elle est dans tous les cas. Le grand sourire, tout en dents légèrement de guingois, celles de devant subtilement écartées, qui illumine son visage a beau être faux, il est quand même bienvenue au milieu d’une tension évidente qui émane plus de Mabel qu’elle n’émane de Jo. Du moins, c’était le cas jusqu’à ce qu’elle mentionne elle-même Midas pour justifier que jamais elle ne regretterait son parcours dans un télécrochet. Forcément, c’est sur ça que Mabel s’arrête. Jo la corrige d’emblée sans agressivité, mais avec une ferme intention de ne pas la laisser croire aux conneries qu’elle a du entendre à droite et à gauche "Il m’apporte beaucoup." Pas de passé, que du présent, même s’il semble un peu compromis ces derniers temps, il reste tout de même un chouïa plus précis que cet avenir qui s’est brouillé au terme d’une dispute qui lui tourne dans la tête comme une mauvaise mélodie générée par une technologie maléfique. Elle pince les lèvres, ajoute juste après "Mais ouais, c’est le cas." Personne n’en doute, surtout pas elle "On apprend beaucoup des gens qu’on aime, c’est pour ça qu’on les aime." Pas seulement en l’occurence, sauf qu’elle est certaine que Mabel n’a pas envie d’entendre les éloges de Jo à l’égard de son petit ami ; elle a la décence de l’exempter de ça au contraire d’elle qui ne l’exempte pas des détails de sa maternité. Comme quoi, Jo sait être altruiste. D’ailleurs, elle lui demande, et ce plus pour faire dériver la conversation que par altruisme en vérité, mais passons "Tu bois pas ?" D’un signe de tête, elle lui montre son verre "C’est pas vraiment ton truc les mocktails en vrai, avoue."