Les mains dans les poches, c’était d’un pas assuré qu’il avait dévié du chemin le menant du bunker au laboratoire pour s’insérer un peu plus dans la forêt. C’était une habitude qu’il avait prise depuis le début de l’expérience, s’autorisant à s’approcher toujours un peu plus des mastodontes qu’il avait aidé à réintroduire puis à se multiplier. Il les connaissait, était persuadé d’un réel lien entre lui et ses sujets, et il n’avait pas de meilleur objectif que celui de les voir évoluer maintenant qu’il avait réussi la folie d’en arriver jusque là. Il était conscient des risques, le briefing matinal était toujours le même : ne pas croiser les survivants en dehors des éventuelles missions d’infiltration. Ne pas mourir bêtement tué par un individu - animal ou humain. Mais Diego était prudent, avançant sans un bruit dans la jungle dense qui s’offrait à lui et regorgeait de l’ensemble de ses rêves déambulant joyeusement dans cet habitat devenu le leur. Il se sentait en totale harmonie avec son environnement, presque maître des lieux, et alors qu’il avait saisi ses jumelles pour observer un couple de diplodocus se délecter de quelques feuilles, il avait entendu des branches se briser derrière lui. Surpris que des vélociraptors s’aventurent jusqu’aux abords de la forêt, il l’avait été encore plus en voyant finalement une jeune femme blonde arriver à une vitesse folle sur lui, ne se stoppant que dans un lourd impact contre lui. « Vous n’êtes définitivement pas un dinosaure. Je vous en prie, cessez de hurler ! » avait-il lancé à la jeune femme, effrayée et pour cause, mais dont il ne parvenait pas à saisir le degré d’hystérie. « Vous êtes poursuivie ? » avait-il demandé en regardant par son épaule - plutôt ravi d’imaginer pouvoir enfin voir un sujet né sur ce sol, sans son intervention, venir à lui. Mais rien. La forêt était désespèrement vide et cette femme lui faisait perdre un temps précieux, alertant déjà les spécimens qu’il observait qui s’étaient enfuis. « Voilà, vous leur avez fait peur. » Il avait tapé ses cuisses d’un geste agacé, certains survivants ne leur facilitaient pas la tâche. Et alors qu’elle l’interrogeait du regard il avait enfin réalisé qu’il venait de briser la première règle du Dr E. Vile : ne pas croiser les survivants. Se grattant l’arrière du crâne, il attendait d’entendre la jeune femme prononcer de vraies paroles et en profitait pour trouver une excuse à sa présence ici alors qu’il lui était inconnu.

Tout est étrange. Un mal de crâne la gagne alors que ses pieds foulent le sol à toute vitesse. Elle court sans connaître la direction vers laquelle elle se dirige. De sa mémoire immédiate, elle n’a que l’image de la carcasse de l’avion, des gens qui hurlent, qui pleurs et qui s’inquiète et puis le flash de cette bête terrifiante qui s’est jeter sur eux. Elle n’est pas une peureuse, mais elle tient à la vie. Alors, elle a pris la fuite, en direction de la forêt. Il n’est pas question d’un séjour paradisiaque, mais d’un enfer qui ressemble à un mauvais scénario de film. Autour d’elle, par ricochet, l’écho des cris des survivants lui glace le sang. A force de s’enfoncer dans la forêt luxuriante, elle ne trouve plus de chemin et même le simple bruit de sa propre respiration l’inquiète. Elle prend une pause, juste une seconde. Le soleil est encore haut dans le ciel, mais tout paraît lugubre autour d’elle. Des pas ce fond entre non loin de sa position. Les buissons s’agitent et son cœur s’accélère. Une bestiole saute par-delà la végétation et s’en est trop pour elle, Nina se met à hurler. Prise par surprise, elle recule et tombe dans une flaque avant de se relever, les mains emplies de boues alors que face à elle se trouve désormais une dizaine de créatures qui l’observent avec curiosité et des dents acérés. Elle voudrait se frotter les paupières, mais l’une des bêtes bougent et son sang ne fait qu’un tour. Il faut qu’elle cours, qu’elle s’en aille loin de ce délire complet.

Sa course effrénée l’amène plus loin encore dans la jungle. Elle ne fait attention à rien, jetant constamment un regard derrière elle pour être sûre de ne pas avoir été suivie. Et c’est ainsi qu’elle finit sa course contre un corps chaud qui la fait hurler de surprise. « Vous n’êtes définitivement pas un dinosaure. Je vous en prie, cessez de hurler ! » Ses yeux s’écarquillent sous les paroles de l’éberlue. « Dinosaures ?! » Elle hurle plus fort encore alors que ses doigts viennent chercher la peau au creux de son coude pour la pincer avec force, ce qui la fait crier à nouveau. « Vous êtes poursuivie ? » Instinctivement elle jette un nouveau regard derrière elle. « C’est quoi ce bordel ? » Et voilà qu’elle croise le regard, visiblement exaspérer, de l’homme qui lui fait face. « Voilà, vous leur avez fait peur. » Une nouvelle fois, elle regarde tout autour d’eux, mais ne voit rien. « Je leur fait peur ? Y’en avais une dizaine avec des dents de malade et un regard à faire flipper les morts ! » Peut-être qu’elle frôle l’hystérie après tout. « L’autre il me parle de dinosaures comme s’il était en balade digestive et après c’est moi qui leur aie fait peur ? » Qu’importe l’état de ses mains, elle tire sur ses nattes comme si cela allait changer quoique ce soit à cette réalité tordue. « C’est quoi ce délire ? Vous étiez dans l’avion aussi ? »

Je suis convaincu du bien fondé de l’expérience et ce depuis que le Docteur Vile m’a accueilli à bras ouverts, m’assignant les tâches les plus complexes : celles liées à la génétique. Aussi loin que je me souvienne, je n’ai jamais eu l’opportunité de mettre mes compétences à la faveur d’une cause qui me tient autant à cœur, ou plutôt qui me fascine. Cette main tendue, je l’ai attrapée, sans penser un seul instant aux conséquences négatives, le positif prenant toujours le dessus chez moi. Vivre avec des dinosaures, un rêve fou, un rêve devenu possible grâce à un scientifique que j’admirais, que j’admire et que j’admirerais probablement toute ma vie. Me promener dans cette jungle est une récompense parmi tant d’autres mais elle est la récompense, selon moi, car je ne connais aucun sentiment similaire à celui d’être à proximité de pareils animaux. Je les trouve aussi beaux que fascinants, aussi mystiques que dangereux et j’aime l’idée de pouvoir les dompter - probablement parce que j’aime le pouvoir, si je dois être entièrement honnête.

Ma balade s’annonçait plaisante, et voila qu’après quelques minutes seulement je me retrouve piégé. Ce ne sont pas les dinosaures qui m’inquiètent, mais plutôt leur proie, et j’aurais préféré qu’ils réussissent à s’en saisir pour m’éviter cette rencontre inopinée. « Dinosaures ?! » Je souris, presque amusé que ce soit le premier mot prononcé par la première survivante que je rencontre. « C’est quoi ce bordel ? » Je me retiens de dire que je n’apprécie pas la façon dont elle décrit mon projet, mon plus grand accomplissement. D’autres me féliciteraient. Je jette un coup d’oeil autour de moi et je constate que les sujets que je souhaitais étudier de plus près se sont enfuis et pour cause : ses hurlements glacent mon propre sang. « Je leur fait peur ? Y’en avais une dizaine avec des dents de malade et un regard à faire flipper les morts ! » J’écarquille les yeux, essayant de mimer son attitude en me rappelant soudainement des règles de base lorsque l’on se retrouve face aux survivants. Je suis supposé avoir peur, je joue donc la peur, que je ne ressens aucunement. « L’autre il me parle de dinosaures comme s’il était en balade digestive et après c’est moi qui leur aie fait peur ? » Peut-être parce que je suis en balade digestive et je me dois d’être plus discret. « C’est quoi ce délire ? Vous étiez dans l’avion aussi ? » Je m’amuse de l’entendre me vouvoyer après m’avoir appelé l’autre juste avant. Un signe qu’elle est perdue, désemparée, et quelques caractéristiques de plus que j’ajouterai à mes notes dès que je serai revenu. « Je… euh oui, vous ne m’avez pas vu ?! » Je réponds, ajoutant une sorte de mine offusquée quant au fait qu’elle ne m’ait pas repéré. Je suis bel homme, j’attire l'œil, et elle me vexerait presque si je commençais à croire à mon mensonge. « J’essaie juste de vous dire qu’on ferait mieux d’être discrets pour ne pas alerter ces bêtes, vous comprenez ? » Je lui parle comme à une enfant parce que son niveau semble être celui là, rien de plus. Je peux l’aider, je n’ai pas le choix maintenant que je suis face à elle, mais ma patience est limitée. « Je me suis perdu en m’éloignant pour chercher de l'aide. Il y a forcément un moyen de partir d’ici ? » Et je racle ma gorge, pour sortir ma plus belle interprétation de l’homme en détresse, quoique bien trop coiffé pour ressembler à un réel survivant d’un crash d’avion. « Je veux pas mourir ici, j’ai peur… » Ridicule.