the one that I want
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Je sors de la salle de bain avec un sourire aux lèvres, changeant ma dégaine pour voir la réaction de la petite famille. « Woaaahh, t’as la classe, Leo. » Eva tape dans ses mains, Noah rit comme une petite hyène et Archie lui semble plus dubitative. « C’est pas toi qui dis que le tabac tue ? » Je monte les yeux au ciel en regardant mon aîné, avant de sortir ma cigarette éteinte de ma bouche. « C’est un déguisement Archie ! Je ne vais pas l’allumer. » Au moins, je sais qu’il n’est pas consommateur de clope à tout juste 12 ans, c’est rassurant. « Mais t’es supposé être qui en faite ? » Bon, mon costume tombe à l’eau de toute évidence. « Danny Zuko ! » Je tente un petit pas de danse « Dans Grease ! Non ? Ça ne te dit rien. » Je baisse les yeux sur mon déguisement, c’est pour le moins soft, c’est certain, chaussures noires, chaussettes blanches qui remontent, jean noir bien cintré, t-shirt blanc et bien sûr, la veste en cuir. Sans oublier, les lunettes de soleil adaptées, la gomina dans les cheveux que j’ai foncée pour l’occasion et la cigarette qui fait tant réagir mon fils. « Eva, je suis dépité, j’ai loupé l’éducation filmographique de mon fils. » Au tour d’Archie de lever les yeux au ciel, alors qu’il saute du canapé. « T’es pas supposé te déguiser en un truc qui fait peur pour Halloween p'pa ? » Il a petite pas tord, mais je capitule, de toute évidence, Archie n’est pas enchanté de me voir sortir, il préférait sans doute que je reste à la maison, et cette pensée ternit un peu mon humeur joviale. 
 
Je finis tout de même par pousser la porte de la maison pour me rendre au bal d’Halloween. J’ai l’impression d’être un adolescent à nouveau, encore plus alors que c’est Kay qui m’accompagne à ce bal. J’avais lancé ma bouée sans trop d’espoir, et pourtant, elle a dit oui. Contre toute attente, je n’ai même pas eu besoin de supplier. Ou presque pas, dirons-nous. Le sourire aux lèvres, j’arrive sur place, mon esprit est léger, je me sens bien, heureux, une sensation de légèreté que je n’ai plus ressentie depuis des mois. Et quand mon regard se pose sur elle, je sens mon cœur rater un battement. « Mais non, c’est une blague ? » Voilà une Sandy Olsson parfaite qui s’approche de moi, je ne peux pas le croire. « Kay, tu es splendide ! Et tu sais ce qu’on dit ? Les grands esprits se rencontrent. » Je m’approche d’elle, la serrant brièvement dans mes bras avant d’attraper sa main pour la faire tourner. « Alors on va danser, bébé ? » Je tente de prendre une grosse voix, qui me donne probablement l’air ridicule, mais qui a au moins l’avantage de la faire rire. Et bon Dieu, que j’aime ce rire. « Apparemment ont doit suivre les panneaux jusqu'à un bâtiment d'une usine désaffectée. » Je me demande bien dans quel bourbier ont c’est mis. 

 « Tu es sûre que ça va aller ? » Je suis fille unique, et ma mère ne joue son rôle de grand mère que depuis un an seulement, et par intermittence. Je sais qu’elle m’en veut de ne pas lui avoir parlé de Mae, mais en même temps, c’est elle qui m’a demandé d’aller accoucher de ma fille aînée ailleurs qu’ici, je ne vois pas pourquoi j’aurai mentionné ma 2ème grossesse. En plus de ça, nos contacts n’en étaient pas vraiment.« On va aller jeter des sorts aux voisins Mamie ? » Je ris un peu devant ce petit diablotin, impossible pour elle de ne pas fêter Halloween. L’année dernière, on était toutes les quatre déguisées, cette année, chacune vit la fête des morts de son côté. Enfin… Lennon ne le fête pas du tout puisqu’elle est partie quelques jours pour le boulot.

Moi, je suis restée vague sur mes projets pour ce soir, je n’ai aucunement envie de me justifier auprès de qui que ce soit. Lennon est au courant que j’ai recroisé Leo quelques fois devant l’école de nos enfants, mais elle n’est pas au courant que je suis son ‘date’ de la soirée. Cette situation est quelque peu cocasse quand on y pense, et je n’ai pas envie d’envenimer les choses ou de créer des quiproquos avec qui que ce soit.

Une fois à la maison, je cherche quelque chose à me mettre dans la caisse de déguisements, mais rien ne m’enchante vraiment. Il va falloir trouver autre chose pour ce soir. En tombant sur mon vieux perfection en cuir, j’ai une idée lumineuse. Je pense immédiatement à cette Sandy dans Grease, une valeur sûre. Il suffit de trouver un legging en simili cuir, un haut moulant qui laisse les épaules dénudées, et plus qu’à donner du volume et des boucles à mes cheveux blonde. C’est sans doute ce qui me prendra le plus le temps, mais je ne perd pas espoir. Un maquillage quelque peu éxagéré à la mode des années 70, un rouge à lèvres bien pétant, une touche de parfum, et il ne reste plus qu’une paire d’escarpins rouges. Je suis plutôt satisfaite du rendu je dois bien admettre.

Le taxi me dépose à l’endroit de notre rendez-vous, pile à l’heure convenue avec Leo. « Mais non, c’est une blague ? » Une voix dans mon dos me fait faire volte-face rapidement. C’est Leo, et mon regard égale le sien, en comprenant que notre déguisement du soir est parfaitement accordé, sans même en avoir discuté en amont. Quelle était la probabilité pour que nous ayons la même idée ? Je ris, amusée, et particulièrement satisfaire de la vue de lui en jean moulant et veste en cuir. « Kay, tu es splendide ! Et tu sais ce qu’on dit ? Les grands esprits se rencontrent. » Je ris et m’approche de lui en le prenant dans mes bras un court instant. « On dirait qu’il y a des choses qui ne changent pas. » Notre connexion, j’entends par là. On en avait déjà eu la preuve il y a cinq ans, si on y réfléchit bien. « Alors on va danser, bébé ? » demande-t-il en me faisant déjà tournoyer sur-moi même. Je me prends au jeu en riant. « Allons voir de quoi tu es capable ! » Dans mes souvenirs, il n’était pas vraiment un bon danseur, disons qu’il se débrouillait comme il pouvait, mais ça faisait aussi son charme. Bras dessus bras dessous nous nous dirigeons vers l’entrée de l’usine désaffectée. Je ne sais pas trop à quelle sauce nous allons être mangés. Les créatures autour de nous sont toutes aussi effrayantes les unes des autres, et je nous trouve très softs au milieu de ça. Je me presse un peu contre lui, pas forcément rassurée. « Je t’ai dit que j’aimais toujours pas Halloween ? » C’était déjà le cas quand on était des gamins et qu’on sortait ensemble. Est-ce que c’est une façon de lui dire que je suis là uniquement pour lui ? Peut-être bien…

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Je ne me souviens pas de la dernière fois où je me suis permis une telle sortie, à bien y penser, il me semble qu’il n’y en a pas eu depuis que Sloane nous a quittés. Peut-être que les mots de Kay ont fini par faire leur chemin dans mon esprit. Prendre soin de moi, prendre du temps pour moi. C’est ce qu’on me répète depuis des mois, pourtant, je ne peux m’empêcher de ressentir une part de culpabilité de laisser mes enfants ce soir, alors pourtant qu’ils étaient déjà couchés quand je suis parti et qu’Eva m’a assuré qu’il n’y avait pas de soucis pour elle. Heureusement, le simple fait de retrouver Kay, dans son magnifique déguisement, fait taire un peu ce sentiment. Renaitre l’âme d’adolescent en moi. Je pense à notre dernier bal, à ce sentiment dévorant qui me tenait alors que je pouvais l’avoir contre moi. Nos peaux qui se touchent, nos lèvres qui se cherchent. Je chasse cette pensée le plus vite possible, Kay n’est pas une femme libre, ce qui ne fait pas disparaître mes sensations à son propos pour autant. « On dirait qu’il y a des choses qui ne changent pas. » Elle glisse ses mots à mon oreille et un frisson me parcourt à cette idée. Certaines choses ont changé pourtant, nous ne sommes plus des adolescents, mais des adultes responsables. Si nous avons cédé à la tentation il y a 5 ans, j’imagine que Kay, elle sera plus forte que moi, puisqu’elle n'est plus célibataire. Il ne nous reste que le poste d’amis. Une relation qui n’a finalement jamais été à l’ordre du jour entre nous.
 
« Allons voir de quoi tu es capable. » Je sens bien qu’elle doute de mes compétences. « Tu pourrais bien être étonnée. » Je ne suis qu’à moitié sérieux. Sans aucun doute, depuis notre bal, il y a vingt ans, j’ai amélioré un peu mon niveau. Plus particulièrement depuis mon mariage, puisque Sloane nous a fait prendre des cours intensifs afin d’avoir la plus belle des danses d’ouverture. Je me suis pris au jeu, et finalement, j’ai découvert que j’aime bien ça. Même si ma coordination n’est pas encore au niveau de Travolta. Nous nous dirigeons vers l’usine désaffectée, l’ambiance est plus qu’effrayante, ceux qui ont travaillé à la déco n’ont pas fait les choses à moitié, à peine rentrés, les lumières clignotent nous laissant parfois dans le noir, des bêtes effrayantes semblent prendre vie. Je m’extasie devant ce spectacle. Kay, un peu moins. « Je t’ai dit que je n’aimais toujours pas Halloween ? » Elle se blottit contre moi, j’en profite pour glisser mon bras sur son épaule. « Heureusement que je suis là pour te protéger alors. » Première étape : trouver le bar. Il me semble que je ne sais même plus quel goût à l’alcool depuis le temps, mais je ne suis pas venu en taxi pour me priver. Je paye la première tournée et nous voilà à faire le tour de la salle pour observer les décorations. Parfois, Kay se fait surprendre et j’en ris. Me moquant gentiment d’elle. 
 
« Tu préfères peut-être que l’on aille sur la piste de danse ? » Nos verres sont presque finis, un petit coup sec et le fond du verre est dans mon gosier. La tête me tournant déjà presque un peu, me permettant de me faire oublier mes soucis pour profiter tout simplement de ce moment. La musique est festive, mes mains attrapant celle de Kay pour mener la danse, nos corps se rapprochant et se désunissant au rythme de la musique, accompagnés par nos rires. Bordel, ça fait du bien. Puis la musique qui s’adoucit un peu. « Un slow ? Ça se fait encore ça ? » L’occasion pour certains de sortir prendre l’air, pour ma part, je compte bien en profiter. Me glissant un peu plus proche de Kay, pour la serrer contre moi. « Ça me rappelle des souvenirs… » Un sourire mélancolique sur mon visage alors que ma main ressent un peu l’étreinte au niveau de son dos, mon autre main venant à la rencontre de son coude, frôlant sa peau, non sans un certain retour de désir. « Ça m’a manqué… » Je lui glisse à l’oreille. Conscient que les mots sont lourds de sens… Tout ça, cette alchimie avec elle, ça m’a manqué. J’ai l’impression que je pourrais rester ici pour toujours.  

« Tu pourrais bien être étonnée. » Et j’ai bien l’intention de l’être. J’arque un sourcil, amusée et un poil provocatrice. Parce que oui, j’ai envie de voir ce que donne la nouvelle version de mon premier amour. C’est donc bras dessus bras dessous que nous nous dirigeons vers l’entrée de l’usine. Je n’arrive pas à croire que nous ayons choisi le même déguisement de couple sans même se concerter. Une fois à l’intérieur, je ne fais pas la maligne, et je ne tarde pas d’ailleurs à mentionner à mon cavalier que je ne suis toujours pas à l’aise dans ce genre de soirée. Le sous-titre est bien assez évocateur : si je suis là, c’est uniquement pour passer du temps avec lui. « Heureusement que je suis là pour te protéger alors. » Un sourire conquis étire mes lèvres, alors que je sens déjà son bras m’entourer, comme une protection invisible.

Une fois que nous avons trouvé le bar, c’est avec un cocktail chacun que nous repartons pour nous trouver un endroit ‘tranquille’. Qui dit tranquille dit surtout loin du faux sang qui coule au milieu de la pièce, telle une fontaine de chocolat, mais qui me donne plus envie de vomir que de passer le doigt dedans. Je ne suis pas à mon premier sursaut, et je suis sûre que ce ne sera pas le dernier, au grand plaisir de Leo qui se fout bien de ma gueule.

« Tu préfères peut-être que l’on aille sur la piste de danse ? » propose-t-il en me tendant la main, que je prends sans une once d’hésitation. Après tout, nous sommes aussi là pour ça n’est-ce pas ? Le cocktail au nom de ‘Machiavel’ que je viens d’ingurgiter était probablement plus traitre encore qu’il n’y paraissait, et je sens une chaleur m’envahir des pieds à la tête. A moins que ce ne soit la proximité avec le seul homme de ma vie ? Je ris avec lui, apprécie son avance feinte et ses pas de danse vraiment plus aguerris qu’il y a vingt ans. La tête qui tourne, je dois dire que je suis bien contente que la musique s’adoucisse un peu. « Un slow ? Ça se fait encore ça ? » demande-t-il alors que naturellement, nos corps se retrouvent comme deux aimants incapable de se tenir loin l’un de l’autre. « Ça me rappelle des souvenirs… » « De très lointains souvenirs alors… » mais qui ne s’oublient pas, c’est certain. La pression de sa main dans mon dos me fait frémir, et je viens entourer mes bras autour de son cou, mon regard pendu au sien. « Ça m’a manqué… » finit-il par me glisser à l’oreille, alors que mon corps tout entier est déjà en train de s’embraser. Je sais que je joue un jeu dangereux, j’ai déjà flanché une fois, je dois absolument tenir en place cette fois. Il n’est pas question que je doive à nouveau quitter Brisbane pour le fuir, que je fasse subir ça à toute ma famille, à Lennon qui ne me pardonnerait pas un second écart. Il n’en est pas question.

Pourtant là, dans ses bras, l’odeur de sa peau vient affoler mes sens, sa proximité m’enivre, je dois redoubler d’efforts pour ne pas flancher. Amis. Nous devons être amis. « Tu m’as manqué aussi. » Ce n’est pas tout à fait ce qu’il a dit, mais c’est ce que j’ai compris. Je ne relève pas la tête vers lui, bien trop dangereux à cet instant précis. A la place, je reste lovée dans ses bras, mon visage enfoui dans son cou. Il y a tant de choses que je vais devoir lui dire, tant de risques qu’il m’en veuille au point de ne plus jamais vouloir me revoir, me rayer de sa vie. Alors j’ai simplement envie de profiter qu’il ne soit pas encore au courant. Parce que ce qu’on ne sait pas ne fait pas mal.

La musique change à nouveau, revenant à quelque chose de plus dansant, et même si je voudrais rester là encore longtemps, je me rends bien compte que nous ne pouvons pas rester lovés dans les bras l’un de l’autre au milieu de kangourous ensanglantés. Je glisse ma main dans la sienne pour ne pas le perdre pendant que nous fendons la foule dansante, et nous commandons un 2ème verre. C’est dangereux, je sais, mais j’ai juste besoin de faire taire mon cerveau un instant. Je sais aussi qu’il est mon garde-fou, et ue le faire taire mettrait totalement à nue cette partie de moi qui ne contrôle rien, qui vit avec passion, et qui pourrait - encore - faire de grosses bêtises. Tant pis. « Alors dis-moi, Danny, il y a combien de temps que tu n’avais pas dansé comme ça ? » Je suis obligée de me rapprocher de son oreille à chaque fois que je veux lui parler, à cause du niveau sonore élevé. Mais je ne vais pas m’en plaindre, c’est loin d’être désagréable.

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La douceur et le piquant de nos étreintes m’ont manqué, cette impression de ne pouvoir faire taire le désir, toujours un peu présent en sa présence. Elle est ma kryptonite, celle à qui je ne pourrais résister. C’est un début d’étreinte, comme celle-là qui nous a menés il y a 5 ans à la tromperie, juste avant mon mariage. Si je me suis souvent senti coupable, je ne pense pas avoir vraiment réussi à regretter cet instant, la passion dévorante qui nous a réunies à nouveau. Ce soir sur cette piste de danse, elle renaît en moi, alors que ma main renforce un peu son emprise pour la coller à mon corps. Depuis la mort de Sloane, je n’ai plus connu ce sentiment, celui du désir qui brûle, qui m’enivre, ou peut-être que c’est ce cocktail un peu chargé. « Tu m’as manqué aussi. » Mon cœur palpite un peu plus fort. Mes sens en ébullition. Je dépose un baiser protecteur sur ses cheveux. Une partie de moi ne sachant pas combien de temps, elle sera dans ma vie, je n’ai pas envie de perdre une minute. 
 
C’est à regret que je m’éloigne d’elle, la musique ne nous permettant pas de continuer cette étreinte. Elle prend ma main, m’accompagnant au bar pour boire un nouveau verre. Je sais déjà qu’il sera de trop, mon corps n’est plus habitué à recevoir de telles doses d’alcool. Pourtant, je le prends avec plaisir, heureux de pouvoir pour une soirée laisser tous mes problèmes de côté. « Alors dis-moi, Danny, il y a combien de temps que tu n’avais pas dansé comme ça ? » Nous sommes comme des adolescents dans une boite de nuit, nos cocktails à la main, les sourires échangés. La manière dont je pose mes yeux sur elle maintient, qui n’a rien d’amicale. Mais il me semble qu’elle me le rend. « Ça fait longtemps, mais c’est parce que j’attendais ma Sandy. » Je lui fais un clin d’œil. Avant de glisser à nouveau mes lèvres proches de son oreille. « Et toi, tu t’es entraînée, avoue ? Tu n’as rien perdu de ton déhanché en tout cas. » C’est une image qui ne concerne pas la danse qui me vient à l’esprit, me troublant un bref instant. Sans doute pas assez de temps pour que Kay le voit, car à cet instant même toutes les lumières s’éteignent, la musique aussi. Des cris qui raisonnent dans la pièce alors que des bruits effrayants sont envoyés sur les enceintes. Seuls des petits néons rouges éclairant à peine la pièce. 
 
Je me fais bousculer, perds le contact de Kayna. « Kay ? » Je crie son nom, mais le brouhaha de la fouille couvre ma voix alors que je plisse les yeux pour tenter de la retrouver. Je retrouve l’endroit où nous étions, sans certitude d’être au bon endroit, car je n'y vois rien. Mes mains devant moi pour essayer de la retrouver, je me retrouve à tripoter des gens qui n’ont rien demandé. « Désolé… » Finalement, ma main attrape un bras, et le simple frisson qui parcourt tout mon corps me fait dire que c’est elle. « Tu es là ! » Je me suis penché très proche d’elle pour glisser les mots à son oreille. Ma main attrapant la sienne pour ne plus la quittes dans cette foule déchaînée. J’imagine qu’il y a un peu d’agitation, probablement prévue par les organisateurs, sur sa piste. « Pas trop effrayée ? On va se mettre à l’abri ? » Déjà, je l’attire dans un coin un peu plus reculé, un couloir tout aussi peu éclairé nous accueille, un peu à l’abri de l’agitation. Dans le noir, j’arrive à peine à définir les courbes de son visage, mais je peux sentir son corps si proche du mien, son souffle qui se mélange au mien. Elle est adossée au mur, alors que je suis devant elle, je sens son souffle saccadé. Ma main remonte le long de son bras jusqu’à sa nuque, l’alcool qui me fait tourner la tête, toutes mes émotions en bataille. 

On ne peut pas nier l’attraction qui nous lie, ça a toujours été. Je peine à penser que nous puissions un jour être de simples amis, mais j’espère que nous y arriverons. Parce que l’affection que je lui porte n’a pas l’air d’avoir faibli avec les années, malgré l’éloignement, l’absence de contact. Il a toujours été là. Il était là lorsque je regardais Nicola, il est là depuis que je regarde Mae. Personne ne pourra rien y faire, et même si je décide une nouvelle fois de tout planter pour fuir comme je sais si bien le faire, je sais qu’il sera toujours là pour la simple et bonne raison qu’il sera toujours mon premier amour, et il sera toujours le géniteur de mes enfants. Pourtant, je ne veux pas détruire ce que j’ai construit avec Lennon ces dernières années. Avec elle j’ai réussi à trouver un équilibre, elle a été présente pour moi dans tous les instants de ma vie, elle est la seule que je n’ai jamais fui, et d’ailleurs je pense qu’elle ne m’aurait pas laissé faire. Elle est ancrée en moi comme un tatouage qu’on ne pourra jamais retirer, et le faire recouvrir ne suffira pas à oublier qu’il est là, toujours là, juste caché. Tout comme Leo, Lennon fera toujours partie de ma vie, mais je n’ai pas envie de la blesser à nouveau, de nous faire endurer une de mes bêtises. Je suis adulte et responsable.

Enfin, sauf quand il s’agit de commander un deuxième verre. Je sais pertinemment que c’est une bêtises, et pourtant je le fais quand même. Irrécupérable, Anderson. « Ça fait longtemps, mais c’est parce que j’attendais ma Sandy. » Le clin d’oeil qu’il m’adresse me fait rire autant qu’il met mes sens en émoi. Un flirt assumé, sous couvert d’un couple mythique que nous sommes censés incarner le temps d’une soirée. « Et toi, tu t’es entraînée, avoue ? Tu n’as rien perdu de ton déhanché en tout cas. » Je le regarde, un sourire mutin au coin des lèvres. « Tu as remarqué mon déhanché… » Je joue de mes sourcils, exagérément, plus pour rendre la situation amusante, à défaut de me sentir trop envahie par un désir sous-jacent.

Je n’ai pas le temps de poursuivre dans cette partie de flirt des années 80, que déjà Halloween nous montre son premier visage. J’avais oublié où nous étions, et quelle date d’ailleurs. Pourquoi j’ai accepté de venir au juste ? Je me pose la question. Je suis séparée de Leo pendant la vague humaine qui surgit, pendant que la panique s’empare de moi. Je hurle son nom, mais ça ne suffit pas à couvrir les bruits d’épouvante des haut parleur. Je suis prête à me cacher sous une table le temps que la tempête ne se calme, alors qu’une main agrippe mon bras. Mon premier réflexe est de hurler de surprise, mais je comprends vite qu’il s’agit de Leo, et je sens mon corps se détendre en une fraction de seconde. Sa main dans la mienne, je me sens rassurée et tente de calmer mon rythme cardiaque. Je crois que l’alcool m’est monté à la tête à une vitesse grand V… « Pas trop effrayée ? On va se mettre à l’abri ? » Je n’ai pas le temps de répondre, je crois qu’il n’a pas besoin que je le fasse, je l’avais déjà prévenu que je n’était pas friande de ce genre d’ambiance, alors il peut sans aucun doute imaginer à quel point mes jambes peinent à soutenir mon corps.

Une fois dans un coin plus reculé et plus calme, je peux prendre le temps de respirer. Bloquée entre lui et le mur, je ne prends pas immédiatement la mesure de cette proximité. Mais lorsque Leo laisse glisser sa main sur mon bras, remontant jusqu’à ma nuque, je sens mon corps tout en tient répondre à sa sollicitation. Très vite le décor vient me brûler les entrailles, et mon souffle qui s’était pourtant calmé, devient erratique, pour des raisons bien différentes d’un peu plus tôt. « Leo… » que je lâche de manière rocailleuse en fermant les yeux, sentant son souffle aux notes sucrées buter contre mes lèvres. Je sais le danger qui rôde. Il nous colle à la peau depuis toujours, chaque fois que nous sommes réunis. Une de mes mains vient se glisser dans son dos, attrapant son t-shirt pour l’approcher de moi, sans vraiment m’en rendre compte. La faible lueur qui nous éclaire ne me permet pas de distinguer son regard, j’en ressens juste l’intensité, et je choisis de fermer les yeux quelques secondes pour tenter de me reprendre, en vain. Mon autre main vient se poser sur son torse, retrouvant sans aucun mal les lignes de son buste à travers son t-shirt cintré. « Il faut qu’on soit raisonnables. » dis-je finalement en le poussant légèrement de ma main, retirant la prise de la seconde. Raisonnables. Voilà. C’est ce qu’on doit faire. « J’ai pas prévu de quitter Brisbane à nouveau. Et on sait très bien toi et moi qu’à chaque fois qu’on a succombé… » Je lui adresse une petite moue qui veut tout dire…

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Mon corps tout entier reprend vie au contact du sien, l’impression de renaître, de sortir de ce long sommeil dans lequel son absence m’a plongé. Ce soir, il n’y a pas de limites, je n’ai plus de femme, plus de responsabilité, je ne suis plus que ce désir qui m’habite. Je le laisse prendre place, ma main qui effleure sa peau, qui attrape sa nuque qui rapproche un peu plus nos corps. « Léo. » Elle me supplie presque ; ne me repousse pas. Bien au contraire, sa main glisse dans mon dos, attrape mon t-shirt pour accentuer encore notre étreinte. Je me perds dans ce contact charnel, mon autre main qui vient se glisser dans son dos. Nos corps sont si proches qu’il est presque impossible d’imaginer les défaire. Son souffle sur mes lèvres, si proches des siennes. Un appel à franchir cette distance pour l'embrasser, à poursuivre cet instant enivrant. « Il faut qu’on soit raisonnable. » Les mots sonnent comme une sentence, alors que déjà, elle glisse sa main entre nous pour nous éloigner. Je n’ai pas envie d’entendre ces mots ce soir, encore moins d’être raisonnable. « J’ai pas prévu de quitter Brisbane à nouveau. Et on sait très bien toi et moi qu’à chaque fois qu’on a succombé… » Ces simples mots suffisent à me faire lâcher mon étreinte. Redescendre un peu l’adrénaline qui est montée au grand galop en moi, sans doute aidé par l’alcool. La lumière se rallume à ce moment-là, nous plongeant dans une ambiance tamisée, alors que mon regard se fixe dans le sien. « Qu’est-ce que je suis supposé comprendre avec cette phrase ? Que c’est moi la raison de tes départs ? » Cette pensée me fait mal, mon cœur qui semble se serrer alors que je fais encore un pas en arrière. Je crois que je n’ai jamais voulu évoquer cette possibilité. Notre lien était si fort, si intense, qu’il me semblait impossible, qu’il soit à l’origine de notre perte.
 
Je reprends tout de même. « Raisonnable, je connais trop bien ce mot. Je lui suis depuis des années. » J’avais choisi une relation raisonnable, avec une fille raisonnable. Raisonnablement accepté que l’on fasse des enfants, puis tout aussi raisonnablement que l’on se marie. C’était la raison aussi qui m’avait poussé à suivre ma femme et à changer de travail. « Je suis raisonnable... Mais avec toi ce soir... Je n’en ai aucune envie. » Alors elle devra l’être pour deux sans doute, parce qu’elle a sans doute bien plus à perdre que moi. Moi j’ai vécu sans elle toutes ces années, si elle part alors je m’en remettrais, je l’ai déjà fait 2 fois, je pourrais le faire une 3ème. Qu’il y ait un baiser ou pas, ça ne changera pas grand-chose. Bien sûr, pour Kay, ce n’est pas le même topo ; elle a sans doute toute une vie à perdre, une femme avec une petite fille. Une vie de famille. Ce que j’avais moi aussi il y a 5ans, quand j’ai cédé. Il faut croire qu’elle est plus forte que moi... Ou simplement moins submergé par les émotions en ma présence que je ne le suis. « Il me faut un nouveau verre, on y retourne ? » J’ai envie de faire taire toutes les émotions que ces dernières minutes ont fait naître en moi. Les anesthésier avec l’alcool me semble en ce moment la meilleure des idées.

Je suis tiraillée entre le désir puissant qui me pousse à l’attirer plus près encore, et la raison qui me hurle de m’éloigner de lui. C’est un combat acharné, une lutte puissante entre le petit ange et le petit démon. Je sens mon coeur qui tambourine si fort dans ma poitrine que j’en ai presque la nausée. Une vague d’angoisse me secoue, comme un cauchemar qui reviendrait me hanter. « Qu’est-ce que je suis supposé comprendre avec cette phrase ? Que c’est moi la raison de tes départs ? » me demande-t-il, le regard puissant, blessé, peut-être perdu aussi. « Qu… quoi ? Mais je… non ! » Je bégaye, incapable de formuler une réponse qui ait du sens. Il fait un pas de recul, créant une falaise entre nous. Je sais que j’ai initié cette distance, mais pas au point d’en ressentir le manque, l’absence. « Raisonnable, je connais trop bien ce mot. Je lui suis depuis des années. Je suis raisonnable... Mais avec toi ce soir... Je n’en ai aucune envie. » Je sais, ça. Je l’ai senti. Parce que nous ne savons pas être raisonnables lorsque nous sommes ensemble. Ça n’était déjà pas le cas quand nous nous sommes rencontrés il y a 23 ans, ça n’a pas non plus été le cas il y a 5 ans juste avant qu’il ne dise oui à la femme qu’il aimait. Aucun scrupule, et pourtant, j’étais déjà avec Lennon, je risquais gros, même si le risque était peut-être plus grand pour lui.

« Il me faut un nouveau verre, on y retourne ? » Fait chier. Il commence son avancée en direction du bar, j’hésite un instant à le rejoindre, par peur de ne faire qu’empirer les choses. Est-ce que j’ai déjà fait quelque chose de bien pour lui ? Est-ce que je ne me suis pas contentée de toujours tout gâcher ? C’est le sentiment que j’ai. Et pourtant, je me liquéfie à l’idée qu’il puisse continuer de croire que je suis partie à chaque fois à cause de lui. Je hâte le pas et avant qu’il n’atteigne le bout du couloir dans lequel on s’était réfugiés, j’attrape sa main pour l’inciter à se retourner. « Leo… » Lorsque mon regard accroche le sien, j’aimerai pouvoir répondre à ses envies, envies que je partage même si je dois me faire violence pour écouter la raison. « Je suis jamais partie à cause de toi. Jamais. » Je sais qu’il a pu croire tout ce temps que c’était le cas, et pourtant, c’était même plutôt l’inverse. Si j’ai fui, c ‘était pour le protéger. Le protéger d’une vie étriquée de patent quand on a encore toute la vie devant soi. Le protéger du bordel que j’étais capable de mettre dans sa vie, dans son couple. Et d’un côté, je ne regrette pas de l’avoir fait, parce qu’il a pu connaître le bonheur d’une vie de famille. Je n’y suis pour rien quant au décès de sa femme, mais je suis heureuse qu’il ait pu vivre une relation équilibrée avec elle. « Je suis désolée. » Ma voix est étriquée dans ma gorge, mes yeux remplis d’une émotion qu’il est probablement le seul à pouvoir faire naître avec cette intensité.

Je m’approche de lui, lentement pour lui laisser le temps de me fuir s’il le désire. Loin de moi l’idée de jouer avec lui, avec ses sentiments. Je crois que je suis toute aussi perdue que lui. « Je suis désolée. » que je répète presque dans un souffle, avant de fondre sur lui en entourant son buste de mes bras, et en me lovant contre son corps presque comme le ferait un enfant. La tête tournée sur le côté, l’oreille plaquée contre son coeur, je reste à son contact un instant. Juste le temps de sentir mon propre coeur reprendre un rythme si rapide, si intense qu’il en devient presque douloureux. Je m’écarte finalement de lui, la main sur mon palpitant, le regard dans le vague, et un vent de panique qui m’assaille à nouveau. Je croyais que j’en avais fini, mais de toute évidence, c’était un leurre.

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La confusion des sentiments reste présente quand je suis avec Kayna, parfois, le plus souvent notre connexion efface le reste, me permet de tout oublier. Puis un mot me fait revenir en arrière, me rappelle à l’abandon, qui date aujourd’hui, mais qui m’a brisé le cœur à l’époque. « Qu… quoi ? Mais je… Non ! » Elle dit non, mais je n’en sais toujours pas plus. J’attends qu’elle se livre à moi, qu’elle m’explique un jour. Je me dis que je dois être patient, mais dans ces instants, ça m’est difficile. Pour ne rien forcer, je préfère proposer de retourner à la fête, d’ailleurs, je me dirige déjà vers cette dernière. C’est elle qui me retient, qui renoue le contact avec nos mains. Je me laisse faire, incapable de ne pas vouloir la sentir à nouveau contre moi. « Leo… » Mon regard trouve le sien, en quête de réponse. Je sais que ce n’est pas le lieu, sans doute pas le moment. Mais j’ai besoin de savoir que je ne suis pas la cause de tout ce gâchis. « Je ne suis jamais partie à cause de toi. Jamais. » J’entends l’émotion dans sa voix, ce besoin que je la crois. J’acquiesce à ses mots, une manière de faire rentrer l’information dans mon crâne. Même s’il est dur pour moi de ne pas savoir, de ne pas comprendre. « Je suis désolée. » Un faible sourire accueille ces mots. Jusqu’ici, j’étais persuadé de ne plus attendre d’excuses, et pourtant, les mots me font du bien, réchauffent mon cœur. 
 
À nouveau, elle se rapproche de moi, et je la laisse faire. « Je suis désolée. » Mon cœur qui s'accélère à nouveau. Ce besoin d’elle toujours aussi présent, cet aimant qui me donne envie de me coller à elle. C’est elle qui prend les devants pourtant, qui vient se nicher dans mes bras, dans une étreinte emplie d’émotion. Mes bras qui l’entourent sans réfléchir. « Kay… » Je caresse ses cheveux, pour tenter de faire partir les sentiments négatifs qui semblent l’envahir et dont je voudrais pouvoir la protéger. « Je voudrais pourquoi te dire que je ne t’en veux plus… Mais je ne suis pas sûr que ça soit le cas. » Je ne peux pas lui mentir, lui dire que tout est pardonné, il est évident que la plaie est encore ouverte pour moi. Elle reprend un peu d’espace et semble bouleversée, la main sur sa poitrine attire mon regard dans cette direction, et quand elle quitte son torse, j’ai une vision plus claire de la cicatrice qui habille son torse aujourd'hui. Une de mes mains, sans doute un peu trop baladeuses, se lève pour aller toucher du bout du doigt la naissance de sa cicatrice, glissant doucement contre cette dernière. Comme un besoin irrépressible. « C'est douloureux ? » Elle n’a pas l’air de souffrir, mais semble avoir arrêté de respirer. Je me rends compte que mon geste est d’une intimité propre à la relation que nous avions, il y a plus de vingt ans. Pas celle de ce soir. Je redescends alors ma main. « Allez, viens, on y retourne, ne me donne pas plus envie d’essayer de te corrompre. » Sur la piste, en public, il semble plus simple de ne pas céder à mes envies. 

Moi qui pensait naïvement que cette soirée serait une simple fête, en mémoire du bon temps, sans discussions difficiles. Juste un déguisement, quelques pas de danse, des rires et un ou deux cocktails. Mais il faut croire que nous ne sommes pas doués pour ce genre de chose depuis que nous avons grandit. Les non dits ont grignoté petite à petit ce qu’il restait de notre lien, j’en ai bien peur. Je n’aime pas qu’il pense que j’ai fui à chaque fois à cause de lui. Parce que s’il ne s’agissait que de lui et moi, les choses auraient été bien différentes. Parfois je me laisse penser à ce qu’aurait pu être notre vie si je n’étais pas tombée enceinte à dix-huit ans, si je n’avais pas fui pour mettre au monde le fruit de notre passion. Je préfère ne pas me laisser pousser la porte de cette réflexion, pas maintenant, pas près de lui, c’est trop dangereux.

A la place, je le retiens et me love contre lui en m’excusant. Je n’avais jamais pris le temps de le faire, peut-être que je n’avais pas non plus pris la mesure du mal que ça a pu lui faire. J’ai bêtement imaginé que s’il m’aimait vraiment, il aurait cherché à me retrouver. J’ignore s’il l’a fait, mais je n’ai pas revu son visage après ma fuite, ma seule certitude est là. Il a fallu que je revienne pour le revoir, et on connaît la suite. Les bras du père de famille se referment sur mon corps et c’est mon coeur qui choisit de faire des siennes. « Je voudrais pouvoir te dire que je ne t’en veux plus… Mais je ne suis pas sûr que ça soit le cas. » Je me doute, oui. Je ne prétends pas avoir la capacité de faire en sorte qu’il me pardonne. Et encore, il n’est pas au courant du plus important. Après ça, je ne vois pas comment il pourra me pardonner quoi que ce soit.

Une vague d’angoisse me pousse à m’écarter de lui, le temps de calmer mon palpitant, vérifier que je ne suis pas - à nouveau - en danger. Impossible, ce coeur est censé être fonctionnel… mais le corps a de la mémoire, et cette sensation ressemble à s’y méprendre à ces quelques malaises que j’ai pu faire. Mais cette fois, je ne m’évanouis pas. Et lorsque Leo pose son doigt sur le haut de mon buste, je frissonne immédiatement. Mon coeur bat encore à tout rompre, mais je ne suis toujours pas à terre. « C'est douloureux ? » demande-t-il en glissant son doigt sur le haut de la cicatrice. Je souffle un « Non… » les yeux clos, le corps en ébullition. Lorsque la pression de son doigt s’envole, je réouvre les yeux, comme à nouveau frustrée de la privation de son contact. « Allez, viens, on y retourne, ne me donne pas plus envie d’essayer de te corrompre. » Je me mords la lèvre inférieure dans un sourire amusé, sans doute un peu trop conquis, et glisse ma main dans la sienne pour retourner là où se trouve l’animation. Un nouveau verre, donc. Probablement la pire idée, mais si ça peut nous empêcher de trop réfléchir, trop souffrir dans cette réflexion.

Il nous faut un certain temps pour réussir à nous réintégrer à la fête, mais l’effort est mutuel, et bien vite nos rires reprennent le dessus. Nous évoquons certains souvenirs amusants, et l’ambiance est de nouveau plus légère. Un photographe vient à notre rencontre, vêtu de sa plus belle cape draculesque. Nous nous prêtons au jeu un peu plus loin à l’endroit où se trouve le photocall. Leo me fait tourner sur moi-même, parfaitement dans nos rôles, et je ris comm il y a longtemps que je n’avais pas ri. Je pense que l’alcool aide assez. Pour la dernière photo, nous nous retrouvons dans les bras l’un de l’autre, face à face, et j’entends vaguement le photographe qui nous somme de nous embrasser pour la photo. Je ne réfléchis même pas, ni aux conséquences d’un tel cliché, ni à ce qui pourrait advenir à la suite de cet instant. La main sur sa joue, je m’approche doucement et viens sceller mes lèvres sur les siennes. Juste un baiser, simple, mais puissant. Lorsque je réouvre les yeux, j’ai du mal à me reconnecter avec la réalité. « Ce qui se passe entre Danny et Sandy reste entre Danny et Sandy… » Une façon d’être sûre qu’il n’ira pas parler de ce baiser furtif à n’importe qui…

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Leo & @Kayna Anderson ☆ crédit/giphy

Les doigts qui piquent, presque engourdi au contact de sa peau. Le temps en suspens alors que j’observe cette cicatrice, que je comprends l’importance de ce qui lui est arrivé. Il est évident maintenant qu’ils l’ont ouverte, qu’ils ont été dans son entre pour faire remarcher son cœur. Tout ce qui m’importe pourtant, c’est qu’il batte encore, assez pour que l’on vive ce moment. Pour que l’on se soit retrouvé. « Non… » Le temps qui s’est stoppé reprend quand elle me répond, ma main qui quitte le contact de sa peau, pour reprendre la soirée là où elle s’est arrêtée.
 
Il faut un peu de temps, mais les rires reprennent, la fête continue. Encore un cocktail, peut-être deux. J’ai arrêté de compter, ça n’a plus d’importance. Je veux juste profiter, pas de regret, si cette soirée est à nouveau la dernière que je passe avec Kay, alors elle doit être grandiose. Aussi extraordinaire que nous l’avons été, je la fais danser, boire, rire au point que l’on finit même parfois par oublier ce qui nous a fait rire à la base. Merci, l’ami l’alcool. Quand le photographe vient nous accoster, je me prends au jeu, je suis Danny et je fais virevolter ma Sandy. Nous sommes dans un jeu de théâtre qui ne compte plus. C’est sans doute pour ça que quand le photographe nous demande un baiser, elle s’exécute. Tout mon corps réagit, resserrant mes bras contre elle pour l’empêcher de repartir trop vite. Je ne sais plus exactement ce que je ressens, mais je sais que je ne veux pas que ce baiser s’arrête. Mes lèvres continuent de chercher les siennes, mais elle est déjà loin. Il me semble que j’ai à peine eu le temps de les sentir, de me rendre compte que ce moment est arrivé. « Ce qui se passe entre Danny et Sandy reste entre Danny et Sandy… » Je lui rends un demi-sourire. « Je ne dirais jamais rien qui puisse te causer du tort. » Contrairement à elle, je ne suis plus dans le jeu. Ce baiser a fait renaître en moi des sensations presque inconnues. Et je me moque que ça ne soit que pour une soirée, qu’elle ait quelqu’un dans sa vie qui compte plus que moi. Je prendrai ce qu’il y a à prendre. 
 
« On va prendre l’air ? » Je crois qu’on en a besoin tous les deux, tout est trop fort dans cette pièce, la musique, les sensations, les étours de l’alcool. Pour une fois, nous ne nous tenons pas la main pour sortir. Chacun de notre côté, je jette un œil sur elle alors qu’elle entoure ses bras autour de son corps. Et spontanément, j’enlève ma veste en cuir pour la lui mettre sur les épaules. « Je suis sûr que c’est ce qu’aurait fait Danny. » Je lui souffle en riant. « Tu te souviens qu’on est déjà venu ici ? » Une lueur d’amusement se fixe dans mon regard alors que j’attrape à nouveau sa main pour l’entraîner avec moi, tous les deux titubant. « Je me demande s’il est toujours là. » Elle rit, moi aussi. Je me demande si elle se souvient, ça date d’il y a longtemps. On contourne l’usine pour se retrouver dans un endroit plus clame. Ici, il y a même un coin de verdure où il me semble voir un couple déjà bien occupé. Mais ce n’est pas ça qui m’intéresse, mon regard se porte contre le mur. « Il est là ! » Je pose ma main contre un tag un peu raté en riant. Nos deux initiales taguées contre le mur et entourées d’un cœur. « On était vraiment aussi cliché ? » Je ris en me souvenant de la soirée où nous sommes venues faire les rebelles et taguer cette vieille usine dont personne n’a plus rien à faire. Je suis quasiment sûr que l’idée du cœur était la mienne. Et j’avoue, j’ai un peu honte. 

Je dois bien admettre que retrouver une certaine légèreté me fait du bien. Je n’aurai jamais imaginé pouvoir retrouver mon premier amour de cette façon là, retrouver notre complicité, nos rires… Je m’en nourris en espérant que rien ne puisse venir entacher ce moment. Mais lorsque le photographe nous pense en couple et nous demande de nous embrasser, je me sens comme dans un film, et pourtant, je ne réfléchis même pas. Comme si j’étais dans une dimension parallèle, un univers alternatif où les choses auraient été différentes entre nous. Où nous aurions grandit ensemble, élevant nos enfants comme un couple imparfait mais rempli de bonnes volontés. Mes lèvres sur les siennes, je sens mon coeur repartir dans une course folle. Je fais en sorte de ne pas laisser ce moment s’éterniser, parce qu’on sait lui et moi à quel point ce serait dangereux. « Je ne dirais jamais rien qui puisse te causer du tort. » Je ne sais pas qui il est aujourd’hui, comment il a évolué, l’homme qu’il est devenu. Je sais que quand on se fréquentait, il n’aurait jamais rien fait qui aurait pu me causer du tort, mais aujourd’hui nous ne sommes plus les mêmes. Mais je crois qu’il est resté l’homme bon que j’ai aimé autrefois. Je lui offre alors un sourire tendre, caressant sa joue avant de prendre un peu de recul, toujours dans l’optique de ne pas succomber à ce qui nous a toujours pendu au nez.

Leo propose qu’on aille prendre l’air, et je le suis dans un hochement de tête. Il est clair que ça ne pourra pas nous faire de mal, après toute cette énergie dépensée à repousser l’attraction qui nous guide l’un vers l’autre. A l’extérieur, un frisson me parcourt, alors que je prends conscience que ma veste en cuir est restée à l’intérieur. Mais le gentleman à mes côtés n’a pas attendu que je demande quoi que ce soit pour entendre mes désirs. Il serait bien qu’il n’entende pas tous mes désirs, d’ailleurs. « Je suis sûr que c’est ce qu’aurait fait Danny. » Je ris un peu, amusée par ce jeu de rôles qu’on se donne depuis notre arrivée sur les lieux. En même temps, je n’en reviens toujours pas de la connexion que nous avons eue pour venir habillés comme un parfait petit couple assorti, sans même se concerter. « Tu te souviens qu’on est déjà venu ici ? » Je dois me replonger dans ma propre mémoire, mais je ne mets pas longtemps à retrouver le chemin du souvenir en question. Ma main dans la sienne, il me guide vers le côté du bâtiment. « Impossible qu’ils n’aient pas repeint depuis le temps… » Comme deux gamins, nous courons presque pour retrouver ce mur de tags qui visiblement est resté - presque - intact, juste un peu rongé par les années. Pourtant la peinture des bombes aérosol persiste. « Il est là ! » « J’y crois pas ! » La main de Leo effleure le coeur avec nos initiales, et je souris, peut-être un peu bêtement. « On était vraiment aussi cliché ? » Cette fois c’est un rire qui filtre entre mes lèvres. « On était des gamins amoureux…» Je sors mon téléphone de la poche secrète de mon legging en simili cuir, et active le mode selfie. Dans la pénombre, on ne voit pas grand chose mais il faut quand même immortaliser cet instant. Je me rapproche de lui, essayant de cadrer la photo pour que le tag apparaisse derrière nous, et c’est dans la boîte. Avant de m’éloigner, je plaque un baiser sur sa joue, puis range mon téléphone dans ma poche.

Nous reprenons notre marche autour du bâtiment, sa veste toujours sur mes épaules, et je ne réfléchis pas lorsque je viens me saisir de sa main, entrelaçant nos doigts, comme à l’époque. « Je me suis parfois demandé quel couple on aurait été si les choses avaient été différentes. Si on avais eu des enfants, des animaux, une ferme à la campagne… » Je ris en imaginant le tableau, alors que je suis plutôt une femme de la ville, mais peut-être qu’avec lui les choses auraient été vraiment différentes, qui sait. « Tu m’as même pas dit ce que tu faisais comme boulot. » Il est peut-être temps d’en apprendre un peu plus sur le ‘nouveau Leo’…

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Leo & @Kayna Anderson ☆ crédit/giphy

Je reste ébahi devant ce mur, ce vestige de notre amour qui est là devant nos yeux. Un cliché comme on en fait peu, mais à l’époque, c’était comme un rite de passage, on ne s’aimait pas vraiment tant que l’on n’avait pas gravé ça quelque part pour l’éternité. Je pense au Leo de cette époque, à l’insouciance, à l’amour dévorant que j’avais pour Kay. La certitude bien ancrée qu’elle serait ma femme pour la vie, que rien ne pourrait nous séparer. Un premier amour dans toute sa splendeur. À cette époque, je n’avais pas encore connu la peine de me faire arracher le cœur par celle en qui j’avais le plus confiance à l’époque. « On était des gamins amoureux… » J’étais dingue d’elle, parfois ça faisait presque mal, être loin d’elle semblait me brûler les entrailles, je ne pensais qu’à elle, je ne vivais que pour la voir, la serrer contre moi, la toucher… Que pour découvrir encore et encore son corps, dont il me semblait qu’il serait impossible de se lasser un jour. La simple pensée de cette époque me donne envie d’elle à nouveau, je n’ai plus de filtre, l’alcool a tout annihilé, et les émotions semblent plus fortes encore. Heureusement, c’est elle qui prend le devant, sort son téléphone pour nous prendre en selfie. Je sens qu’on risque de regretter cette photo une fois sobre. Mais le baiser qu’elle pose sur ma joue me fait tout oublier à nouveau. 
 
Je me dis qu’il serait sans doute plus simple que l’on prenne nos distances, car chaque contact avec elle fait renaître le désir chez moi, et que ne pas y céder semble de plus en plus dur à chaque seconde. Mais quand elle prend ma main, nos doigts vont instinctivement s’enlacer, comme s’ils étaient créés pour ça. « Je me suis parfois demandé quel couple on aurait été si les choses avaient été différentes. Si on avait eu des enfants, des animaux, une ferme à la campagne… » Je me laisse porter par ses mots, ferme un peu les yeux pour imaginer la scène. « Je crois que j’aurais jamais pu te traîner à la campagne. » Je n’en aurais pas eu envie, pas si ça ne la comblait pas complètement. « J’étais sûr que c’était toi, Kay… » Je tourne le regard vers elle et vois son regard interrogateur. « La femme de ma vie, j’étais sûr que c’était toi. » À cette époque-là et longtemps après encore. « Ces scénarios, je les ai retournés dans tous les sens, mais… Les choses sont comme elles sont. » Et je ne peux m’empêcher de me dire que c’est elle la responsable, et que je n’ai toujours eu aucune explication. Je doute qu’elle vienne un jour, et ce soir, je doute de pouvoir continuer à faire sans longtemps. 
 
« Tu ne m’as même pas dit ce que tu faisais comme boulot. » Je me rends compte qu’on vit dans le passé, qu’on ne connaît rien de nos nouveaux nous. « Je suis vraiment trop bourré pour parler de ça ! Et c’est glauque en plus. » Je ne suis pas sûr que ma patronne aimerait que je parle de mon travail comme ça. Sous le regard insistant de Kay, je finis pourtant par lâcher. « Je travaille pour les cancéreux. » C’est sans doute une manière totalement inappropriée de décrire mon job. « Et je suis totalement nul pour ce job, c’était celui de Sloane. » Je ris un peu. Ma main va toutefois quitter la sienne quand j’évoque ma femme. « Ma mère a eu un cancer et à sa mort, on s’est engagé dans une association. Moi, je devais juste faire la gestion publique à la base, mais là, je me retrouve adjoint de direction. » Et après plus de 6 mois dans ce poste, je n’ai toujours aucune idée de ce que je suis supposée y faire. « Le journalisme me manque. » C’est la première fois que je le dis à haute voix, l’alcool aidant. En général, je me montre plus modéré. J’ai fait ça pour la bonne cause, pour soutenir les familles qui sont passées par là, comme la nôtre. Mais là, je me sens inutile, ce n’était pas le cas dans mon précédent job. « Et toi, Kay, comment tu occupes tes journées ? » À part en tenant compagnie à son ancien amour de jeunesse en deuil.  

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Ma main dans la sienne, mon pouce qui effleure le dos de sa main, je me laisse aller à une réflexion que j’ai toujours eu seule jusqu'à maintenant. J’ignore pourquoi je prononce ces mots à haute voix, peut-être à cause de l’alcool qui a aidé à baisser beaucoup de barrières. « Je crois que j’aurais jamais pu te traîner à la campagne. » Je ris un peu, imaginant nos anciens nous dans un endroit rural éloigné de tout. Je secoue la tête en riant. « Tu as raison. » « J’étais sûr que c’était toi, Kay… » pas sûre de comprendre, je tourne la tête dans sa direction, croisant son regard plein d’émotion. « La femme de ma vie, j’étais sûr que c’était toi. » Une boule dans la gorge, je serre malgré moi sa main, comme pour lui signifier que je suis là, même si ce n’est pas cette version de moi qu’il voulait à l’époque. « Ces scénarios, je les ai retournés dans tous les sens, mais… Les choses sont comme elles sont. » C’est vrai. On ne peut pas changer le passé, même si avec ma maturité d’aujourd’hui, les choses auraient très certainement été différentes. Moi aussi j’ai voulu croire qu’il serait l’homme de ma vie, qu’il viendrait me trouver sur l’île voisine pour savoir pourquoi j’ai fui. Il aurait vu le fruit de notre amour, aurait compris, serait resté… Tout un tas de scénarios que moi aussi je me suis fait dans ma tête mais qui ne sont jamais arrivés.

Je choisis de changer de sujet, histoire de bifurquer sur un présent bien ancré dans la réalité. « Je suis vraiment trop bourré pour parler de ça ! Et c’est glauque en plus. » Glauque ? Je le regarde, surprise par sa réponse, commençant déjà à m’imaginer ce qui pourrait être glauque comme réponse pour une question aussi banale. « Je travaille pour les cancéreux. » « Oh. » Je ne m’attendais pas à ça. « Ça n’a rien de glauque, au contraire. » Enfin, c’est comme ça que je le vois. Mais je ne m’attendais pas à la suite non plus. Leo lâche ma main en m’annonçant que c’était le boulot de sa défunte femme, et qu’il n’est pas qualifié pour le poste. Double oh, même si celui ci est intériorisé. Le pire est à venir puisqu’il m’annonce de but en blanc qu’il a perdu sa mère d’un cancer, et là je suis obligée de m’arrêter, stoppant notre marche pour le regarder, les yeux brillants. « Leo… » « Le journalisme me manque. » J’imagine qu’il n’y a pas que le journalisme qui lui manque. Je ne réfléchis pas et m’approche pour le prendre dans mes bras, espérant que par cette étreinte il ressentira toute ma compassion. J’aurai aimé être là pour lui dans cette épreuve, mais sa femme l’a été de ce que je comprends, et tant mieux. « Pourquoi tu ne continues pas le journalisme ? » Ce n’est pas incompatible que je sache. Il a toujours eu cette passion, je suis la première à en avoir été témoin, et je ne m’imagine pas le pousser à faire autre chose, si c’est ce qui l’anime.

« Et toi, Kay, comment tu occupes tes journées ? » demande-t-il pour changer le projecteur de direction. ? Nous reprenons notre marche et cette fois je me contente de prendre son bras, passant le mien par derrière, comme lorsque nous sommes arrivés ici un peu plus tôt dans la soirée. « Je suis devenue juge pour enfants. » dis-je d’une voix enjouée. J’ai toujours une grande fierté de me l’entendre dire à voix haute. C’est le métier que j’ai toujours voulu faire, et il le sait. « J’ai été avocate pendant plus de dix ans, spécialisée dans les droits de la famille, et il y a quelques années j’ai pu accéder à ce poste qui m’appelait depuis toujours. C’est pas un métier évident, parfois j’ai l’impression de ne pas avoir les épaules assez solides. Mais je m’en sors. Pas trop mal je crois. » Je pourrai parler de ce métier pendant des heures, mais loin de moi l’envie de le couvrir de mon bonheur professionnel quand on sait que lui n’est pas épanoui de son côté. « Tu devrais reprendre le journalisme. Ça te collait à la peau Leo ! Et je suis sûre que ça te ferait du bien. » Toujours dans l’optique de penser à lui, faire les choses pour lui. « Si je peux t’aider pour quoi que ce soit, surtout n’hésite pas. Je suis là. » Oui, je suis là. Et je ne compte pas partir cette fois. Il a le droit de savoir les choses que je lui ai cachées si longtemps. Pas ce soir, mais je compte bien lui en parler, même si je sais que je risque gros.

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Je n’ai pas vraiment envie de parler de mon travail ce soir, pour le moment, on ne peut pas dire qu’il m’amène beaucoup de satisfaction. Je connais pourtant son potentiel, je l’ai vu, et même ressenti les premiers mois, quand nous nous sommes engagés avec Sloane. Je me souviens même d’être dit que c’était le bon choix, même si je ne l’aurais jamais pris seul. Aujourd’hui, je m’en sens bien plus détaché. « Ça n’a rien de glauque, au contraire. » Je sais que ça peut sembler difficile à comprendre, et pourtant, en ce moment, il est difficile pour moi de le voir autrement. « Je sais, c’est super, il y a plein de choses que j’adore, mais… Une bonne partie des gens que l’on aide finissent par mourir et… J’en ai un peu ras le bol de la mort, si tu vois ce que je veux dire. » J’ai déjà eu mon lot, et soutenir des familles en deuil n’est pas une simple affaire, quand même moi, je n’ai pas encore dépassé le mien. « Pourquoi tu ne continues pas le journalisme ? » Je hausse un peu les épaules, pas certain de vouloir m’épancher sur le sujet. « C’est compliqué pour le moment, mais j’y pense. » C’est toujours dans un coin de ma tête, mais pour le moment, ma priorité, c’est l’équilibre de mes fils, et on ne peut pas dire que l’on ait encore atteint un bon équilibre. 
 
Je lui retourne la question, content de pouvoir faire bifurquer la conversation. « Je suis devenue juge pour enfants. » Un franc sourire étire maintenant mes lèvres. « J’aurais sans doute pu le deviner. » Kay est une femme déterminée et ça a toujours été son but. « J’ai été avocate pendant plus de dix ans, spécialisée dans les droits de la famille, et il y a quelques années, j’ai pu accéder à ce poste qui m’appelait depuis toujours. Ce n’est pas un métier évident, parfois j’ai l’impression de ne pas avoir les épaules assez solides. Mais je m’en sors. Pas trop mal, je crois. » Je l’écoute avec attention, vois son regard s’animer quand elle parle de son métier. Ça me fait du bien, me réchauffe le cœur. « Je suis sûr que tu es parfaite pour ce job. » Je le pense sincèrement. « Par contre, maintenant que je sais ça, hors de question que je t’invite chez moi. » Je ris un peu, bien que ça ne soit qu’à moitié. En ce moment, ma vie est un tel chantier, que je ne sais pas bien ce qu’elle pourrait en penser en tant que juge. Je fais un mieux, est-ce que c’est suffisant ? J’ai bien souvent des doutes. « Tu devrais reprendre le journalisme. Ça te collait à la peau, Leo ! Et je suis sûre que ça te ferait du bien. » C’est drôle de penser que malgré les années qui se sont écoulées, elle me connaît mieux que personne. Elle a vu naître mes premiers documentaires, m’a vu m’acharner pour avoir des interviews, des stages, des opportunités. J’aurais aimé qu’elle connaisse une version de moi plus épanoui. « J’ai l’impression, pour le moment, que ça serait comme trahir ma mère… et ma femme… » Une loyauté que je ne peux pas briser. Puis il y a aussi l’aspect financier, je gagne mieux à la fondation que ce que j’ai jamais pu toucher en tant que journaliste, même quand je commençais à me faire un nom. « Puis, le milieu du journalisme est assez redoutable, je crois que je sais au fond de moi qu’un jour, j’y retournerais… » Même si je ne l’ai jamais dit à voix haute. « Mais j’ai besoin d’avoir les épaules un peu plus larges et de stabiliser ma vie avant. » Je m’imagine qu’elle peut comprendre ça. 
 
« Si je peux t’aider pour quoi que ce soit, surtout n’hésite pas. Je suis là. » Ça me touche réellement, et je sais qu’elle le pense. Actuellement, la chose que j’aimerais le plus d’elle, elle ne peut pas me la donner, c’est la vérité. « T’as déjà fait pas mal avec cette soirée. » Je lui donne un petit coup d’épaule. « Ça m’a fait beaucoup de bien d’oublier un peu les soucis. J’ai l’impression d’avoir été projeté 20 ans en arrière. » Une douce projection, que j’aurais bien menée un peu plus loin. Mais la réalité de la vie actuelle nous a rattrapées. « D’ailleurs, je crois qu’on en a déjà bien profité, on devrait rentrer. » Je n’ai pas envie de mettre fin à cette soirée. Mais la conversation m’a ramené dans le monde actuel. Je ne crois pas que j’ai envie de retourner à la fête, puis il est déjà passé 3 h du matin. C’est, une heure, raisonnable pour quitter la fête sans doute. Puisque raisonnable, nous devons être. « On partage un taxi ? » Je voudrais juste faire durer encore un peu ce moment. Incertain de ce que sera la suite de notre relation. 

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