Les bruits dans la jungle n’ont rien de rassurant, et c’est peu dire. Entre le craquement des branches et le grondement sourd d’une bête à quelques mètres, on pourrait presque croire que le diable lui-même habite cette foutue île. Et bien sûr, tout cela semble parfaitement convenir à Ruben, avec son optimisme à la con et ses rêves de nature sauvage. Franchement, on tombe sur une île pleine de dinosaures assoiffés de sang et il trouve ça "fascinant".

« Tu comptes sourire encore longtemps, ou tu veux qu’on se fasse croquer direct ? » je souffle en scrutant la jungle autour de nous, ma main crispée sur une branche que j’ai arrachée tant bien que mal. Une arme pathétique, mais mieux que rien.

Un soupir m’échappe alors que Ruben semble déjà se préparer à explorer plus loin, à la recherche d’une quelconque échappatoire. J’aurais dû m’en douter, bien sûr. Au fond, il ne doute jamais, lui ; il croit toujours qu’on va finir par trouver une issue, que chaque cauchemar a sa fin. Je serre les dents en le voyant s’avancer, comme s’il savait ce qu’il faisait. « Ça t'amuse vraiment, hein ? » Je murmure, mon regard fixé sur les ombres mouvantes qui dansent entre les feuillages. Je sens l’humidité de la jungle imprégner ma chemise, chaque bruissement d’aile ou de feuille me mettant sur les nerfs. Ce n’est pas le moment de croire aux miracles, encore moins de se la jouer explorateur.

Je lâche un rire sans joie, presque un ricanement nerveux. Tout ça est si absurde. Coincés dans un jeu sordide, traqués par des bêtes qui n’auraient jamais dû exister. Et lui, il y trouve presque un défi. Je suis tenté de le suivre, mais la peur est plus forte que je ne veux bien l’admettre. « Ruben, écoute, si tu as un plan, c’est le moment. Parce que moi, j’ai pas prévu de finir en amuse-bouche pour T-Rex. » Le silence s’installe une seconde, seulement perturbé par le grognement lointain d’une bête. Tout mon corps se crispe. Instinctivement, je serre ma branche plus fort, comme si ça pouvait vraiment me protéger.

Et je reste là, immobile, à espérer que cette fois, il ait raison.

« Tu comptes sourire encore longtemps, ou tu veux qu’on se fasse croquer direct ? » A entendre la voix d’Auden s’élever vers lui, Ruben tourna quelque peu son regard et effectivement son air un peu trop heureux d’être ici pour lever les yeux au ciel. « Qu’est-ce que tu peux être rabat-joie. » Ce n’était pas parce-qu’ils étaient perdus dans une forêt regorgeant de dinosaures en tous genres, sortis d’une autre époque, après avoir subi un crash d’avion sur une île déserte qu’il se devait de perdre son enthousiasme naturel… non ? Ou peut-être que si ? « Ça t'amuse vraiment, hein ? » Il lâcha un soupir. « Y’a pire comme situation. »

« Ruben, écoute, si tu as un plan, c’est le moment. Parce que moi, j’ai pas prévu de finir en amuse-bouche pour T-Rex. » Une seconde de silence, tout au plus. « J’ai pas prévu de finir dévorer non plus, si ça peut te tranquilliser un peu. »

Laissant la marche à travers les feuillages de côté pour se tourner définitivement vers lui, il posa ses poings sur ses hanches alors qu’il haussait un sourcil en regardant dans les yeux son compagnon de galère. « Tu veux qu’on fasse quoi, hein ? Qu’on se lamente sur notre sort ? Je sais faire aussi, sans soucis. Mais je suis pas sur que ça nous avancera à quoi que ce soit. » Certes, la situation n’était effectivement pas idéale s’il approchait cette dernière avec un peu plus de réalisme, mais ils auraient aussi pu mourir pendant le crash - ça n’avait pas été le cas, alors autant tenter d’en tirer quelque-chose. Ruben se força à étirer davantage son sourire à la suite des paroles précédentes. « Et j’en ai rien à faire si ça te tape sur le système de me voir sourire: si t’es pas content, tu peux faire demi-tour et retourner au niveau de la carcasse de l’appareil. Mais perso, j’ai encore moins confiance en les personnes restées sur place qu’en certaines des bêtes sauvages qu’on pourrait croiser dans la forêt. »

Je serre la mâchoire, laissant Ruben débiter son discours, chaque mot me donnant juste un peu plus envie de l’envoyer balader. « Qu’est-ce que tu peux être rabat-joie. » Cette réplique lui vaut un regard noir. Qu’il prenne cette situation à la légère, c’est une chose, mais de là à jouer les joyeux aventuriers au milieu d’une île truffée de dinosaures affamés ? Non, merci.

« Y’a pire comme situation. » - « T’as toujours un mot à dire, hein. » J’inspire, jetant un œil aux arbres qui nous entourent. « Faire demi-tour et retourner à la carcasse ? Avec ces guignols ? Tu sais bien que c’est pas mon truc de jouer les optimistes, mais je préfère encore tenter ma chance avec toi qu'avec eux. » Ruben est horripilant mais il a au moins l'avantage d'être une seule personne, ce que je préfère à l'inverse d'un groupe de parfaits idiots.

Ruben peut bien sourire autant qu’il veut, c’est lui qui semble oublier ce qu’on risque à chaque pas. Mais ses mots me percutent, même si je ne veux pas l'admettre. Au fond, il a raison : on est en vie. « Allez, je te suis, va, tant que tu te prends pas pour Tarzan. » Un sourire ironique étire mes lèvres. « Et si jamais tu deviens un peu trop sûr de toi, je te rappelle juste que les vrais héros finissent toujours par se faire croquer en premier. » Sauf dans les films américains, évidemment, ils sont trop patriotiques - même de figures imaginaires - pour cela.

Je le laisse passer devant, tentant d’ignorer le grondement distant qui s’approche un peu plus à chaque seconde. Tentant aussi d'ignorer les battements de mon coeur toujours plus proches les uns des autres, mes blagues ne pouvant me faire oublier la situation dans laquelle nous nous trouvons. « T'as de quoi faire une arme au cas où ? » Je me doute qu'il n'a pas un pistolet sur lui - merde, un américain aurait au moins servi à ça - mais je tente tout de même. Que s'il meure, je sache au moins s'il y a quelque chose à tirer de sa dépouille.

Qu’il lui lance des regards noirs: cela ne changerait pas son état d’esprit, ce n’était pas la peine de s’y essayer, il le savait pourtant. « T’as toujours un mot à dire, hein. » - « Toujours voyons. » Avec son grand sourire aux lèvres.

« Faire demi-tour et retourner à la carcasse ? Avec ces guignols ? Tu sais bien que c’est pas mon truc de jouer les optimistes, mais je préfère encore tenter ma chance avec toi qu'avec eux. » Il haussa un sourcil dans sa direction, ce dernier soulignant clairement silencieusement un alors pourquoi tu râles puisqu’ils savaient de toute manière tous les deux qu’ils ne feraient pas demi-tour. Même si la suite des aventures ne s’annonçait pas radieuse, ils préféraient tous deux encore ne pas la passer avec le reste des survivants: c’était chose sure.

« Allez, je te suis, va, tant que tu te prends pas pour Tarzan. » - « Pas de risques. » - « Et si jamais tu deviens un peu trop sûr de toi, je te rappelle juste que les vrais héros finissent toujours par se faire croquer en premier. » - « Ah, ah. » Il secoua quelque peu la tête. « Mon but est de repartir d’ici en un seul morceau, t’en fais pas. » Il ne comptait pas jouer les héros comme il lui suggérait de ne pas le faire, il comptait simplement sur sa bonne étoile pour s’en sortir autant que possible plutôt facilement - toutes choses considérées, étant donné qu’ils étaient en plein milieu d’une forêt sur une île ils ne pouvaient avoir où après avoir été victimes d’un crash aérien.

« T'as de quoi faire une arme au cas où ? » Ruben sortit le petit couteau qu’il avait trouvé dans un bagage aux côtés de lui quand il s’était réveillé. « J’ai que ça. » Parce-qu’il n’avait pas pu trouver autre chose et qu’il n’était pas venu équipé à la base. Tout ce qu’il avait en plus du reste des personnes présentes, c’était le maigre contenu de son sac à dos: « Et mes accessoires de chirurgie mais je suis pas sur d’en faire grand chose. » Il tourna son regard vers Auden. « Toi ? » Etait-il mieux paré ?

Je fixe le couteau que Ruben tient entre ses doigts, incapable de retenir un léger ricanement. Voilà donc notre arme ultime face à une horde de créatures préhistoriques : un couteau de poche. Parfait. Autant se jeter dans la gueule du T-Rex directement, ça nous ferait gagner du temps. « Génial. Au moins, si on doit passer sur la table d’opération en pleine jungle, t’auras de quoi nous ouvrir en deux. » Je ne peux pas m'empêcher de laisser échapper un soupir d’exaspération, même si je sais qu’il fait de son mieux. Enfin, j’espère. Ruben, lui,  hausse un sourcil l'air faussement innocent, et continue de - putain de - sourire. « Et mes accessoires de chirurgie, mais je suis pas sûr d’en faire grand-chose. Toi ? » Je regarde le bâton que je tiens fermement et les pierres tranchantes dans ma poche. Pas de quoi faire frémir un dinosaure, mais ça donne une illusion de sécurité. « Moi ? J’ai ça. » Je lève le bâton et secoue la tête. « Autant dire qu’on est mieux lotis que les autres, mais si on croise un carnivore, on servira juste d’amuse-gueules. »

Il ne perd rien de son enthousiasme, ce qui, bizarrement, me rassure un peu. D’ordinaire, je trouve ce sourire agaçant, mais ici, dans cette jungle qui semble se resserrer autour de nous, c’est presque un ancrage. J’essaie de masquer mon inquiétude par une dernière pique. « Alors, chef, paré à nous sortir de cette galère, ou ta “bonne étoile” va nous abandonner dès le premier pas ? »
Un grondement, à la fois lointain et trop proche, résonne entre les arbres, rappelant que le moindre faux pas pourrait être notre dernier. Pourtant, nous nous mettons en marche, nervosité ou pas.

A travers la jungle, chaque craquement sous nos pas résonne trop fort dans le silence environnant. La végétation est dense, entrelacée de fougères gigantesques et de lianes nous engloutissant peu à peu. Je pense à toutes ces nuances de bleu et de vert, à toutes les peintures que je ne pourrais peut-être jamais réaliser avec cette inspiration. Au-dessus de nous, des ombres se dessinent, probablement de grands oiseaux ou autres créatures d'un autre temps (on ne serait plus à ça près), et leurs cris stridents me serrent la poitrine. Si Ruben est nerveux, il n’en montre rien, avançant avec cette assurance irritante lui étant parfaitement inhérente.

Soudainement, notre maigre cortège s’arrête et je m'accroupis derrière un buisson. Juste devant nous, entre deux troncs massifs, des empreintes larges et profondes marquent le sol boueux. Quelque chose de grand (immense) est passé par là. Récemment. Je jette un regard à l’horripilant Hartfield, et pour une fois, mon sourire s’estompe, remplacé par une lueur d’inquiétude qui fait sûrement écho à la sienne. « Je crois qu’on devrait prendre un autre chemin. » Je murmure aussi bas possible, allant à contre-courant de l’habitude qui a toujours été mienne. Avant que je puisse développer mon plan, un rugissement déchire l’air, perçant et terrifiant. La terre vibre sous nos pieds, les feuilles tremblent autour de nous. Le grondement s’approche, et cette fois je jure que Ruben et moi échangeons un regard de panique partagée. Pas de sourire, pas de sarcasme. Juste l’adrénaline pure et brute.

« Cours ! »