La dernière fois que j'avais passé du temps avec Jules, c'était de nuit et dans un lieu bondé de monde qui ne souhaitait que s'éclater en dansant ou en trouvant le ou la partenaire idéale pour le reste de leur soirée. Et ça avait été relativement productif pour mon amie qui avait réussi à séduire un homme sous mes conseils avisés. J'avais eu raison, Jules est une jeune femme qui a tous les charmes dont a besoin une femme pour plaire. Alors elle n'a vraiment pas de timidité à avoir. Mais c'est en même temps ce qui fait son charme, ce qui a fait que je suis devenu un peu trop jaloux quand elle a trop bien réussi à plaire à ce type en boîte. Elle l'avait bien pris au final, parce que je lui avais promis de la protéger et en quelque sorte c'est ce que j'avais fait. C'est seulement le sentiment qui me trahissait. Pas question de lui en parler, je n'ai pas envie de perdre notre amitié. Je préférais la laisser trouver l'homme qui lui plairait vraiment. Surtout que je sais qu'elle préfère les plus vieux que moi, donc je me suis fait une raison. De toute façon Jules reste assez un mystère pour moi et je ne saurais pas du tout comment lui plaire. Je l'avais donc convié à me rejoindre pour le marché de Noël, histoire de passer un moment ensemble, et entendre ses dernières nouvelles depuis que je l'avais un peu décoincé, parce que oui je voulais tout savoir. On s'était rejoint quelques minutes plus tôt avant de décider d'aller boire un bon chocolat chaud dans l'une des tavernes adaptées. Alors, qu'est-ce que tu me racontes de beau depuis la dernière fois ? J'espère que tu as pu faire des rencontres intéressantes … Lui demandais-je sur un petit air taquin et curieux. Tout ce que je pouvais espérer c'était de ne pas être jaloux si elle me parlait d'un homme et de ne pas être content s'il n'y en a toujours pas un. Parce que ça, ça ne pouvait que bientôt arriver. Une femme prude et jolie comme Jules ne peut pas rester éternellement sans se faire séduire. Même si ça ne doit pas être souvent qu'elle se fait draguer par des hommes bien plus mûrs. Enfin, j'en sais rien à vrai dire.
Elle avait été ravie de recevoir un coup de téléphone de la part d'Enzo. Lorsqu'ils s'étaient quittés après cette soirée en boîte de nuit, elle avait eu la désagréable impression qu'ils n'étaient pas prêts de se revoir. C'était comme si Enzo avait voulu mettre une barrière entre eux – invisible certes, mais une barrière tout de même. Son coup de sang l'avait mis mal à l'aise, et il s'en était immédiatement voulu. Jules avait eu beau lui assurer que ça n'était pas grave et qu'au contraire, elle avait apprécié qu'il agisse avant que les choses ne s'enveniment trop, mais même ces arguments logiques et sensés n'avaient pas eu l'air de convaincre l'agent. Alors forcément, quand elle avait reçu son appel, elle avait été un peu étonnée. Positivement étonnée, bien sur : elle n'avait pas imaginé entendre parler de lui aussi vite. Elle s'était donc empressée d'accepter son invitation à dîner à la taverne, au marché de Noël. « Tu ne m'attends pas depuis trop longtemps ? » Demanda-t-elle en posant ses mains sur ses épaules. Elle avait travaillé toute la journée, et s'était dépêchée de rentrer pour autrement. Elle avait quitté son éternel jean – débardeur au profit d'une robe aux reflets pêches qui mettait en valeur son teint hâlé. Elle se pencha légèrement en avant, et posa un baiser sur sa joue gauche. Elle se posta face à lui, et ils se mirent en route vers la taverne. Un serveur les accueillit et les dirigea vers une table près d'une baie vitrée. « Pas grand chose, en réalité. Les jours se succèdent et se ressemblent. » Dit-elle en haussant les épaules. Mais elle mentait ; il y avait bien quelque chose qui avait changé, depuis la dernière fois qu'ils s'étaient vus. Jules avait fait une rencontre surprenante avec son passé. Avec Aaron, son ancien metteur en scène – la personne dont son père avait le plus eu envie de l'éloigner. Elle trouvait ce coup du sort drôlement osé. « A peu de choses près. » Précisa-t-elle, pleine de malice, sans pour autant s'étendre sur le sujet. Si Enzo voulait en savoir plus, il poserait des questions. « Et toi ? » Demanda-t-elle, curieuse d'en savoir plus. Elle savait que c'était un homme occupé par son travail, mais elle savait aussi qu'il aimait faire la fête. « Quoi de neuf dans ta vie ? »
Quand Jules m’avait rejoint au point de rendez-vous qu’on s’était donné, je fus surpris par sa tenue qui la mettait vraiment en valeur. Elle semblait vraiment radieuse et j’étais encore plus content de la revoir aujourd’hui. Je souriais face à son baisé sur ma joue et surtout face à cette attention particulière de s’être faite une minimum jolie pour venir manger avec moi. Non je viens d’arriver. Lui avais-je simplement répondu avant qu’on ne se mette en route pour la taverne où j’espérais bien avoir une table pour deux de disponible. Heureusement ce fut le cas et une fois installé je me permettais de lui demander si quelque chose de nouveau s’était passé dans sa vie depuis qu’on s’était vu. Mais apparemment pas grand-chose. Elle n’avait donc rien à me raconter ? Tant mieux dans un sens, même si à côté de ça je suis un peu déçu que la leçon de la dernière fois n’ait pas servi à grand-chose. Ca finirait bien par venir je suppose. Mais quand elle rajouta que c’était à peu de chose près, je commençais à avoir un doute. Il y avait quelque chose, et je me sentais tout à coup bien trop curieux. Mais pas le temps d’en demander davantage qu’elle enchaîna en me retournant la question. Elle espérait peut-être ne pas m’en parler, ou elle jugeait que ce n’était pas intéressant ? J’allais le savoir, c’est une certitude. Je passais donc rapidement sur mes nouvelles. Totalement rien d’intéressant. J’ai juste passé tout mon week-end avec ma fille. Lui répondais-je en étant impatient d’en savoir plus sur les nouveautés de Jules, comme si je sentais qu’elle avait une info croustillante à m’annoncer. Mais je sens que toi, tu as bien plus intéressant à me raconter, je me trompe ? T’as rencontré quelqu’un ? C’était la question bateau, basique, mais c’est ce qui m’effrayait sûrement le plus, c’est ce qui m’intriguait le plus. J’espérais à la fois avoir tord et en même temps avoir raison.
Sincèrement intéressée, Jules lui posa quelques questions concernant ce fameux week-end. Lorsqu'elle avait rencontré Enzo, elle avait tout de suite saisi que celui qui deviendrait plus tard son ami cachait quelques ambiguités. D'apparence dure et stricte, il s'était en réalité révélé être un cœur tendre, aussi délicat que touchant. La plus grande surprise de Jules avait été d'apprendre qu'il avait un enfant – une petite fille, plus précisément. Paradoxalement, ça ne l'avait pas surprise : elle savait qu'Enzo avait un passé, un vécu. « Comment va-t-elle ? » Demanda-t-elle, les yeux pétillants de malice. L'Américaine avait toujours espéré qu'un jour, elle aussi aurait l'opportunité de devenir mère. Mais elle était aussi très réaliste : vu la vitesse à laquelle avançait sa vie personnelle, elle ne risquait pas de pouponner de si tôt. Alors elle regardait les autres faire, souvent avec émerveillement, parfois avec envie. « Qu'avez-vous fait de beau ensemble ? » Il suffisait à Jules de fermer les yeux pour imaginer Enzo en compagnie de sa fille, se baladant au parc, mangeant une glace, ou barbotant dans l'eau claire de l'océan. Elle sursauta en sentant quelque chose lui chatouiller l'épaule. Elle fronça les sourcils, et commença à imaginer le pire – elle savait que l'Australie regorgeait de bêtes et insectes en tout genre qu'elle détestait. Ses doigts fins s'emparèrent d'un long ruban aux reflets argentés, qu'elle ramena vers elle et qu'elle identifia finalement comme étant des serpentins. « Je préfère des serpentins à une tarentule. » Plaisanta-t-elle pour justifier sa soudaine inquiétude. Elle relâcha les serpentins, et le serveur vint les interrompre dans leur discussion pour prendre leur commande. Elle opta pour une salade composée, et répondit enfin à l'agent. « Il se pourrait bien, oui. » Confirma-t-elle, pleine de malice. Malheureusement, cette rencontre fortuite n'avait pas débouché sur grand chose – si ce n'est un dessin fait à la va-vite, qui l'avait saisie, elle, dans un moment de réflexion. « C'est un peu plus compliqué que ça, en réalité. Je n'ai rencontré personne, mais j'ai recroisé quelqu'un. » Quelqu'un à qui elle tenait beaucoup, et qu'elle comptait bien revoir prochainement – même si, paradoxalement, ça lui faisait presque autant de mal que ça lui faisait de bien. Aaron. Rien que de penser à lui, ses yeux brillaient d'émotion et de douceur. « Quelqu'un que j'ai beaucoup aimé. » Avoua-t-elle à demi-mot, surmontant sa timidité pour faire une confidence pareille. « Et qui vit désormais ici, à Brisbane. »
Evidemment Jules est une jeune femme qui s'intéresse aux autres, qui s'intéresse même parfois bien plus aux autres qu'à elle en première. Il est évident que je ne dirais jamais de Jules que c'est une femme superficielle qui aime son reflet. Enfin, elle ne serait pas devenue mon amie sinon. Elle me demanda forcément des nouvelles à sa place et je ne pouvais pas lui refuser, je n'ai rien à cacher et rien de bien intéressant à raconter. Je lui parle tout de même de ma fille, parce que outre mes histoires avec les femmes qui n'avancent nulle part, elle est la seule partie de ma vie passionnante. Elle va bien, très bien. Répondais-je avec un sourire ravi sur le visage. Si l'année dernière j'aurais été incapable d'évoquer la présence de ma fille dans ma vie, aujourd'hui je serais prêt à me le placarder sur le front. Et puis les femmes aiment les enfants la plupart du temps et ça ne les surprend pas que je sois déjà papa. Tout comme Jules. On a beaucoup jouer, heureusement qu'il n'y a pas eu de témoins d'ailleurs. Disais-je dans un petit rire avant de poursuivre Mais je suis allé la fatiguer au parc aussi. Elle marche pas depuis longtemps, mais qu'est-ce qu'elle gambade ! Disais-je en continuant de rire, épuisé par ce petit bout de femme qui promet. C'est alors que Jules se mit à sursauter et je ne pus m'empêcher de rire devant le gag. Encore plus quand elle vit que ce n'était que de simples serpentins qui lui avait attaqué la jambe. Une fois que le serveur eut pris nos commandes, je pouvais que relancer la conversation et mis à part ma fille, je n'avais rien d'autre à raconter et je sentais que mon amie c'était l'inverse. Alors j'insiste et j'obtiens enfin une réponse. J'écarquille les yeux, surpris par cette réponse positive, puis l'écoute continuer attentivement. Apparemment elle venait de revoir une personne qu'elle avait beaucoup aimé. C'était toujours aussi mystérieux, mais mon côté interrogatoire devait rester un minimum enfoui, surtout avec mes amies et mes proches, j'aime pas poser trop de questions et faire mon chieur, mais parfois c'est un peu compliqué. C'est intéressant tout ça. Disais-je d'une voix bien plus monotone que ce que je n'aurais voulu. C'était bizarrement pas une nouvelle qui me réjouissait et je me surprenais à ne penser à rien, à aucune question. Moi qui pensait que j'allais lui poser dix milliard de question, voilà que c'était le trou noir.
Pas de témoins ? Quelle idée ! L'Américaine, elle, aurait aimé pouvoir assister à ce genre de réunion familiale. Elle s'imaginait un tableau parfait et idyllique, où Enzo remplissait son rôle de père à merveille. « Pourquoi tu dis ça ? » Demanda-t-elle d'une voix d'où un semblant de reproche transperçait. Il n'était peut-être pas un père parfait – mais qui pouvait se vanter de l'être, de toute façon ? Chacun faisait de son mieux avec les cartes qu'il avait en mains, voilà tout. Il suffisait de le comprendre et de l'accepter. Personne ne pouvait éviter les erreurs, les mauvaises expériences, les tatonnements ; c'était aussi ça qui rendait les relations parents – enfants si complexes. C'était en tout cas l'avis, peut-être un peu biaisé et naïf, de Jules. « Je suis sûre que c'était très mignon à voir. » Ajouta-t-elle, sur un ton plus doux et plus conciliant. Il pouvait bien jouer au gros dur, Jules voyait clair dans le jeu de son ami : elle le devinait doux et aimant, tendre et protecteur. Elle l'imaginait veiller sur sa fille en marchant derrière elle, ses deux mains avancées vers le petit corps fragile de son enfant, prêtes à la rattraper en cas de chute imminente. Et cette image qu'elle avait en tête, Jules l'adorait. « Profites-en bien ! Quand elle aura pris plus d'assurance, tu n'auras pas fini de courir derrière elle. » Plaisanta-t-elle, amusée. Elle l'entraînerait d'un bout à l'autre du parc, prendrait des risques inconsidérés en haut des toboggans pour attirer l'attention de son père, et lui ferait sans doute quelques frayeurs. « Mais ne t'inquiétes pas trop : je suis sûre que tu assures dans ce rôle de père. » Affirma-t-elle, ses lèvres s'étirant en un large sourire. Elle débordait d'enthousiasme et de sincérité. « Tu la vois souvent ? » Demanda-t-elle, maintenant que sa curiosité avait été piquée. Enzo ne lui avait jamais caché l'existence de sa fille, mais était resté très évasif à propos du reste. Jules avait respecté son silence, consciente que les confidences arriveraient un jour ou l'autre, lorsqu'ils se connaîtraient mieux. Et c'est d'ailleurs ce qui arriva – en tout cas la concernant. Elle était prête à raconter à Enzo tout, dans les moindres détails, de son entrevue avec Aaron. Elle avait envie de partager ça avec lui, convaincue qu'Enzo serait fière de son poulain. « Intéressant ? » Répéta-t-elle, presque interloquée. Elle s'était attendue à une avalanche de questions, à des remarques pour la mettre en garde, mais certainement pas à ce genre de non-réaction. « Tu ne trouves que ça à dire ? » Demanda-t-elle, cherchant à comprendre le manque de réaction de son ami. N'avait-il pas tout fait pour l'aider à prendre confiance en elle ? Pour la pousser à se lâcher un peu plus qu'elle ne le faisait ? « Je pensais qu'une telle nouvelle susciterait plus de questions indiscrètes. » Ajouta-t-elle, presque déçue.
Pour moi, être père, n'avait presque jamais été une possibilité. Je ne voulais pas être père, de peur de ne pas être à la hauteur, de faire souffrir mon enfant, mais cela avait été totalement débile, surtout quand Maxyn a finit par être enceinte, même dans mon dos, il fallait que j'assume mon rôle de père, même s'il m'a fallut presqu'un an pour y arriver, pour assumer ma descendance. Alors forcément, je me trouve un peu pathétique en tant que père. Disons que je ne suis pas très habitué. Lui répondais-je simplement, ne sachant pas comment vraiment décrire mes ressentis face à ce nouveau boulot. En tout cas, Jules semblait croire que c'était mignon à voir. Peut-être. Je souriais, pas très sûr de cette affirmation. Je me suis ensuite mis à rire face à sa remarque sur le future que je vais avoir avec ma fille. Est-ce que j'assurais vraiment ? Je ne saurais dire, mais je sais que je m'améliore de jour en jour, à chaque fois que je la vois, à chaque fois que j'ai de nouveau le droit de m'occuper d'elle. Assez oui, un week-end sur deux, et parfois même quelques soirs quand ça arrange sa mère. Lui répondais-je simplement. Je ne suis pas sûr d'être le meilleur des pères, mais je fais de mon mieux et je m'améliore à chaque moment passé avec elle. C'est ce que je me dis. Disais-je dans un rire. Je me lance peut-être des fleurs, mais si je ne le fais pas, je ne pourrais pas avoir confiance en moi dans mon rôle de père, et ça risque d'être pire. C'est alors que la nouvelle de Jules tomba, et je … C'était étrange. J'avais ce côté ravi pour elle, et en même temps totalement déçu. Parce que je ne pourrais plus la coacher ? Peut-être. Pas seulement. Je ressentais un peu de jalousie, il fallait que je l'admette. Forcément, mon manque d'enthousiasme interloqua Jules. Je m'en doutais, et moi-même je trouvais ça douteux. Il fallait vraiment que je me force pour éviter toute gêne. Allez mon gars. Oui excuses-moi, je ne sais pas, je suis un peu … ailleurs. Débile, voilà ce que tu es. C'est donc quelqu'un que tu connaissais d'avant ? Pas vraiment mieux. T'es déjà sortie avec lui ? Ah ben déjà mieux. Mais l'intérêt n'y était pas. Je me forçais, et je me sentais terriblement faux. J'espérais tout de même que ça passerait. En attendant mon amie semblait radieuse, ça devrait me suffire.
« Ça viendra. » Dit-elle d'une voix affirmée, sûre d'elle. Les hésitations d'Enzo la faisait sourire : elle pouvait comprendre que les premières étapes soient aussi existantes que difficiles, d'autant plus qu'il s'agissait d'un premier enfant. Et il n'avait malheureusement pas l'occasion de la voir quotidiennement – autant d'éléments qui pouvaient rendre la tâche un peu plus ardue. « Je trouve ça bien que tu aies droit à quelques moments supplémentaires. Ça va vous rapprocher encore davantage. » Fit-elle remarquer. Et Jules était bien placée pour le savoir : elle-même avait souvent été catégorisée « fille à papa », pour des raisons qui lui échappaient. Elle ne l'avait pas franchement bien vécu, trop timide pour se défendre ou pour s'affirmer face à une attaque aussi basse, aussi minable. Pourquoi aurait-elle dû repousser son père ? Ils avaient toujours eu un lien unique, avait toujours été proches, et avaient toujours œuvré pour le bien de l'autre. « Je pense qu'il n'y a pas de parents parfaits. On fait au mieux avec ce qu'on a. » Jules était persuadée que dès l'instant où l'enfant avait droit à de l'attention et de l'affection de la part de ses parents, le plus gros du travail était fait. « Et je suis sûre que c'est vrai. » Conclue-t-elle, appuyant sa phrase d'un sourire plus que sincère. La discussion bascula sur un sujet nettement plus léger – la rencontre fortuite qu'elle avait fait, quelques jours plus tôt. « Je vois ça. » Plaisanta-t-elle, surprise par le manque de réaction de son ami. Lui qui avait tout fait pour qu'elle s'ouvre un peu à la gent masculine, voilà qu'il ne réagissait pas lorsqu'elle lui avouait qu'elle avait appliqué ses conseils. « Oui. Assez bien, d'ailleurs. » Affirma-t-elle en se mordillant la lèvre inférieure. Elle ne savait pas trop si elle devait pousser les révélations plus loin, ou attendre qu'Enzo lui pose des questions. À cet exercice, elle était novice. Elle s'apprêtait à en révéler un peu plus sur le compte d'Aaron lorsque son interlocuteur sembla reprendre un peu de poil de la bête. Elle secoua négativement la tête. « Non. Il est marié. » Avoua-t-elle en baissant les yeux. Jules n'était pas fière d'elle ; elle s'en voulait d'être tombée amoureuse de cet homme déjà casé, et heureux en ménage. Elle ne voulait pas jouer les trouble-fêtes, et encore moins les briseuses de couple. Mais en même temps... Elle le voulait, lui. Elle s'en voulait d'espérer quelque chose, d'attendre un signe quelconque de sa part, alors qu'il ne lui devait rien et qu'il n'avait même pas conscience de son intérêt pour lui. « Je l'ai rencontré l'année dernière, quand j'étais en tournée. C'était le metteur en scène de l'opéra. » Révéla-t-elle.
Heureusement je m’étais rendu compte de mon erreur bien assez tôt, avant même que ma fille ne commence à se souvenir de sa petite vie. J’avais mis quand même cinq mois à me reprendre en main, à me dire que j’avais fait une belle connerie que je risquais de regretter toute ma vie. Je n’étais pas revenu pour mon ex, celle que j’aurais du épouser, non, pour ma fille et seulement pour elle, parce que je m’étais rendu compte que je ne valais pas mieux que ma mère et que je voulais être le père parfait pour ma fille comme l’avait été mon père avec moi et mes sœurs. Je ne répondais cependant pas à mon amie, sceptique face à ses paroles, et même lorsqu’elle rajouta qu’elle était sûre que c’était vrai. Elle connaît mon histoire après tout et elle me juge un peu trop bien, comme tous mes autres amis, enfin, la plupart, même si je me suis fait tirer les cheveux par Mina. Je veux bien te croire … Lui répondais-je simplement. En attendant le sujet délicat arriva et je me suis laissé aller à mes sentiments chose que je n’ai pas du tout l’habitude de faire, surtout dans mon boulot. Mais je savais de toute façon que l’homme dont elle était éprise était sûrement encore un de ces amours impossibles dont elle était habituée, tout comme moi, mais j’essayais tout de même de m’y intéresser. Et elle avait fait fort. Un homme marié. Il n’y a sûrement rien de pire, à part quand ce n’est pas réciproque bien sûr. Je n’osais d’ailleurs pas encore lui demander si c’était réciproque d’ailleurs. Jusqu’à ce qu’elle me raconte leur rencontre. Je pouvais comprendre son attirance pour lui, les boss sont toujours attirants à ce qu’il paraît. Le mien ne l’est pas du tout, même si j’étais gay. Ah oui d’accord … Je comprends mieux pourquoi tu dis que t’as la poisse en amour. Et il s’est passé quelque chose entre vous je suppose ?! Et il avait sûrement dit qu’il préférait sa femme. Définitivement, je n’aimais pas cette histoire qu’elle me racontait avec ce type qui ne semblait pas honnête. Mais j’essayais tout de même de faire comme si de rien n’était.
« Je ne devrais pas me plaindre ; après tout, c'est moi qui ai créé cette situation alambiquée. » Dit-elle en haussant les épaules. En réalité, elle ne l'avait pas sciemment créée : elle s'était carrément jetée dans la gueule du loup, tout en sachant pertinemment que cela ne serait pas une bonne idée. Il ne lui avait jamais caché son statut d'homme marié ; il ne lui avait jamais menti, ne lui avait jamais rien promis. Il n'avait entretenu aucune ambiguïté, et ne l'avait jamais faite espérer. De plus, les sentiments qu'elle avait développé pour Aaron n'étaient pas soudainement apparus : elle avait eu le temps de le connaître, de le découvrir, de l'apprécier, de l'admirer. Elle aurait pu fuir en comprenant ce qui lui arrivait, mais elle ne l'avait pas fait pour plusieurs raisons. « Non, il ne s'est rien passé. » Avoua-t-elle en secouant la tête. Elle trouvait même surprenant qu'Enzo puisse penser le contraire. Jules la timide n'avait rien d'une vipère briseuse de ménage. Pire, elle était profondément idéaliste : elle rêvait encore du prince charmant et du cheval blanc. Hors de question pour elle, donc, d'aller briser le rêve d'une autre femme. « Il est marié, je te rappelle. Je ne suis pas une briseuse de couple. Je refuse de l'être. » Murmura-t-elle à voix basse, vérifiant d'un coup d'oeil aux alentours que personne ne les écoutait. Jules n'était pas fière d'elle, et ne voulait surtout pas être entendue par des oreilles indiscrètes. « C'est à cause de lui si je suis ici aujourd'hui. » Finit-elle par dire. Pour la première fois depuis son arrivée à Brisbane, elle se sentait suffisamment en confiance pour révéler à quelqu'un les véritables raisons de sa présence ici. « Quand je suis rentrée à Los Angeles, après la tournée,... Ça n'a pas été très fort. Pendant un an, j'ai vécu avec une troupe et auprès d'un homme que j'admirais. Quand je me suis retrouvée toute seule... Bref, je ne vais pas te faire un dessin. » Elle avait passé des journées entières allongée dans son lit, à regarder les heures passer. Elle n'avait plus eu goût à rien. « Il m'a conseillé de partir pour changer d'air. Et oublier. » L'opération aurait pu être un succès. Mais maintenant qu'elle savait qu'Aaron était dans les parages... Ça changeait la donne. « Mais il est là, Enzo. Il vit ici, à Brisbane. » Dit-elle en tapotant sa main, les yeux pétillants de bonheur. « Ça ne peut pas être un hasard. »
Je devenais davantage perplexe au fur et à mesure de son récit, même si au début, il était évident que j’étais jaloux et que je m’étais de suite imaginé tout plein de choses. Mais c’est vrai que c’était de Jules dont on parlait et qu’à l’époque elle avait du être tout autant timide que de nos jours, et que forcément elle n’aurait jamais forcé la main à un homme marié de tromper sa femme. Je me sentais con d’avoir insinué ça auprès de mon amie mais elle ne le prenait pas mal, heureusement pour moi. C’est alors qu’elle m’expliqua qu’il était la raison de sa venue à Brisbane. Je ne laissais rien paraître, mais j’étais surpris et ne comprenais pas vraiment ce qu’elle voulait dire Comment ça ? Lui demandais-je avant qu’elle ne me réponde par sa petite histoire de tournée et de solitude. Seulement, c’est à partir de ce moment-là que je devenais perplexe. Tu veux me faire croire que c’est juste un hasard ? Et en plus un coup du destin ? Attends, tu avais n’importe où dans le monde pour aller te changer les idées, et pouf tu choisis pile poil la ville où monsieur habite ?! Je n’avais pas mis d’intonation agressive, loin de là, j’étais vraiment sceptique, mais c’est surtout l’agacement et la jalousie qui parlait plus pour moi. J’aurais pu me réjouir pour elle, vraiment, mais je n’y arrivais pas, fallait que je cherche la petite bête, et au fond ça me faisait chier d’être comme ça, je ne le suis limite jamais et il fallait que je le sois avec Jules au risque de perdre mon amitié avec elle. J’ai juste envie de me frapper le crâne contre la table pour parler si brutalement avec elle. Après tout c’est une grande fille et elle fait bien ce qu’elle veut. Je le sais bien, mais je ne peux m’empêcher de lui dire ma façon de penser. De l’accuser un peu d’avoir surtout fait exprès, elle ou lui peu importe. Dans tous les cas, je suis juste jaloux, quoi qu’il fasse de leur vie ça ne me regarde pas, mais je n’arrive pas à retenir ma langue malheureusement.
Plus Jules parlait, plus elle se rendait compte de l'aspect improbable de son histoire. Et pourtant : c'était bien ce qu'elle était en train de vivre et de subir. Un coup du destin, qui ne pouvait pas relever du hasard, selon elle. Elle fut stupéfaite de voir Enzo se montrer si peu enthousiaste, voire presque critique à son égard. Le fait qu'il remette en cause sa bonne foi la déstabilisait fortement, et elle se sentait presque mal à l'aise. « Je t'assure que c'est vrai. » Dit-il d'une petite voix, flirtant à nouveau avec la timidité du début, lorsqu'ils venaient à peine de se rencontrer. Elle avait l'impression qu'il l'accusait d'être responsable de son actuelle situation, à savoir qu'elle était venue ici en sachant pertinemment qu'Aaron vivait là – ce qui était absolument faux. « Je te rappelle que si je suis ici, c'est parce que mon père l'a décidé. » Ajouta-t-elle, toujours à voix basse. Elle n'osait désormais plus affronter le regard de l'agent, convaincue qu'elle y lirait un jugement strict et dénué de tout sentimentalisme. Elle était complètement désarçonnée, et ne savait pas comment réagir dans ce genre de situation. Jamais Enzo ne lui avait montré cette facette de lui, et elle aurait préféré qu'il ne la lui montre jamais. « J'ai été envoyée ici de force. Je n'ai rien choisi. » Si les premières semaines avaient été compliquées, aujourd'hui, elle regrettait de moins en moins ce dépaysement. Ça lui avait fait du bien, à tous les niveaux. Mais dès l'instant où elle se sentait vulnérable, elle redevenait cette petite fille perdue et timide, réservée et mal dans sa peau. « Et puis Aaron est Italien. » Sous-entendu, il vivait sur le continent Européen et n'avait rien à faire ici, en Océanie. « Rien ne pouvait laisser penser qu'on se retrouverait ici. » Renchérit-elle, espérant le convaincre. Mais en relevant les yeux vers lui, elle crut comprendre que c'était peine perdue : il ne semblait pas d'humeur à croire à son histoire – aussi dingue puisse-t-elle paraître. « Pourquoi tu réagis comme ça ? » Demanda-t-elle. Elle savait que cette première question en entraînerait d'autres. Enzo agissait étrangement depuis le début de cette soirée, et Jules s'en était bien rendue compte. « Quel intérêt aurais-je à te mentir ? » Aucun, tout simplement. Elle ne lui devait rien, et l'inverse était aussi valable. Plutôt que de le regarder, elle préféra porter son attention sur le serveur, qui revenait vers eux. Elle attendit qu'il dépose les plats sur la table pour reprendre. « Je t'écoute. » Finit-elle par dire.
Cette rencontre, cette idée du repas était clairement une mauvaise idée. Tout se déroulait de plus en plus mal, et je me sentais de plus en plus mal. D'abord parce que je me sentais différent, je ne me sentais pas moi-même et pas l'ami que je suis habituellement avec Jules. Elle est si mignonne, si désarmé face à mes paroles, elle ne comprend rien et moi j'ose faire mon chieur. Mais qu'est-ce qu'il m'arrive bordel ! Je voudrais me punir pour ce que je lui faisais subir parce que je n'étais pas digne d'un ami. Mais elle se justifiait, elle m'expliquait qu'elle n'y était vraiment pour rien. Je trouvais toujours ça gros, alors qu'au fond je savais qu'elle était sincère. Mais je n'aimais pas cette idée, j'aurais voulu qu'elle se retrouve dans une autre ville, j'aurais voulu qu'on se connaisse ailleurs et qu'il n'y ait jamais ce fichu Aaron dans mes pattes. Voilà. Mais voilà que je me rendais compte que j'étais simplement jaloux. C'est pas vrai. Je la laissais parler, me trouvant terriblement stupide. C'est une amie, elle me considère aussi comme tel, qu'est-ce qu'il me prend ? Voilà qu'elle me le demandais. Pourquoi j'agissais ainsi. Ca ne me ressemble tellement pas, elle s'en rend compte et je suis clairement foutu. Elle m'écoutait, mais qu'avais-je à dire pour ma défense, qu'avais-je à lui répondre ? Elle n'a aucun intérêt à me mentir, je le sais, mais je ne le supporte pas. Et je n'avais aucune échappatoire, les plats étaient là, et j'allais devoir me justifier. Je regardais Jules, mais je ne soutenais pas son regard, je n'y arrivais pas, je regardais mon plat et commençais à le manger, quitte à ce qu'elle s'impatiente, tant pis. Mais quand je lui dirais la vérité je serais incapable de rester une seconde de plus. Si seulement j'avais une excuse … C'est juste que je n'ai pas envie que tu te fasses briser le cœur une fois de plus … Disais-je en toute improvisation. Non, je ne pouvais pas lui dire que j'aurais voulu être à la place de ce fameux Aaron, je me sens déjà assez con comme ça.
Elle attendait. Patiemment. Mais la réponse tardait à venir, et Enzo ne semblait pas décidé à expliciter le fond de sa pensée. Elle le regarda s'emparer de sa fourchette, et la planter dans un des légumes qui tapissaient le fond de son assiette. Elle aurait pu en faire autant, et oublier toutes ces remarques presque accusatrices. Elle aurait pu commencer à manger, et évoquer un sujet nettement moins houleux et épineux – le beau temps, les vacances, les collègues. Elle ne manquait pas d'idée. Mais malheureusement, Jules restait comme bloquée sur les paroles de son ami. Son esprit torturé se souvenait de chaque mot avec précision, du ton sec qu'il avait employé. Et elle avait beau chercher, elle ne comprenait pas. Comment avaient-ils pu arriver à ce stade ? Ce revirement de situation n'avait rien de logique, ni d'attendu. Enzo et elle s'étaient toujours bien entendus ; leur amitié avait été fluide, sans accroc. Elle l'observa manger, alors que la petite boule au fond de son ventre lui rappela que la faim avait laissé place à l'angoisse. « Enzo ? » L'interpella-t-elle finalement, alors que de longues secondes s'étaient écoulées. Elle attendait sa réponse, voulait comprendre. Jules était peut-être timide et réservée, mais elle n'en était pas moins tenace – même si, sans surprise, elle se laissait parfois déborder. Il consentit enfin à relever la tête, et à lui prêter un peu plus d'attention. Il finit par lui donner une réponse, qui la fit se sentir complètement idiote. Ses lèvres formèrent un petit « o » de surprise, et pendant quelques instants, ce fut à elle de ne pas savoir comment réagir. « C'est gentil. » Dit-il finalement, après qu'un sourire sincère se soit glissé sur ses lèvres. Sa main droite vint tapoter celle d'Enzo, dans un geste amical, qui visait à le rassurer quant à son état d'esprit. « Ça devrait aller. » Pour le moment, elle tenait bon et gardait la tête haute. Elle ne se laissait pas dépasser, ni abattre. Elle refusait de voir son « renouveau australien » échouer à cause d'Aaron. Elle était repartie du bon pied, et ne comptait pas couler à nouveau. « Et toi alors ? Je te trouve bien peu bavard, aujourd'hui. » Sa fourchette se planta dans une tomate cerise. Elle l'avait connu plus enjoué, plus éloquent. Quelque chose ne tournait pas rond. « T'en es où dans ta vie ? » Demanda-t-elle, curieuse. « A tous les niveaux, j'entends. »
Elle s’inquiétait de mon silence et je ne pouvais pas l’en blâmer. Je n’étais pas très sympa avec elle depuis qu’elle a commencé à me parler de son homme marié. Au fond, je lui trouvais une excuse, pour éviter que notre amitié se brise, mais ce n’était pas tant un mensonge que cela. Je commence à connaître ses mauvaises aventures, sa tendance à s’enticher des hommes inaccessibles et j’aurais bien voulu qu’elle arrête. Parce que moi-même je voudrais arrêter d’être attiré par des femmes aussi inaccessibles. Donc même si ce n’est pas la raison première, elle en fait partie. Et cela semble bien fonctionner pour mon bien. Je soufflais intérieurement et peut-être un peu aussi extérieurement quand elle me dit que c’était gentil et que ça irait bien. Même si je ne le croyais pas et que surtout je ne le voulais pas. Je me forçais à lui sourire quand elle en profita pour changer de sujet. Ce n’est pas plus mal mais le sujet n’est pas forcément très intéressant non plus. On aurait mieux fait de continuer de manger en silence pensais-je alors. Oui j’étais peu bavard, et je n’avais pas envie de l’être. Seulement pour sauver les apparences je devais me forcer. Où j’en étais dans ma vie … Sérieusement ? Toujours nulle part, elle devrait le savoir. Mais j’étais de mauvaise foi, valait mieux pour moi que je me contrôle mieux cette fois-ci. Je haussais les épaules, un peu maussade et lui répondais Je n’ai rien de nouveau à te raconter tu sais. Ma vie est plate, à tous les niveaux. Enfin, mon boulot ne sera jamais vraiment plat, mais tu sais bien que je ne peux pas en parler, donc bon. Non je n’avais vraiment rien à dire et envie de rien dire. Elle savait déjà tout sur ma nouvelle passion qu’était ma fille. A présent, tout ce qui m’importait c’était de terminer rapidement ce fichu plat et de me sortir de cette galère dans laquelle je m’étais fourré.
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