« Ouais, je vais faire ça. » Ezra était tourné vers la voiture lorsque Ginny lui répondit et partit en direction de l'intérieur du garage. Il ne fit pas l'effort de lui rappeler où se trouvait les machines à café, l'organisation du garage n'ayant pas réellement changé depuis cinq ans. Il s'était agrandit, mais Ezra avait tenu à mettre un point d'honneur à garder l'organisation intacte, car c'était aussi grâce à ça que les habitués restaient des habitués, ils n'étaient jamais perdus lorsqu'ils venaient chez lui. Et puis, dans le pire des cas, même si Amelia aurait pu sentir le malaise entre Ginny et lui, la connaissant, elle ferait quand même l'effort d'orienter la jeune femme. Il se concentra donc sur le travail qu'il avait à faire. Lorsqu'il laissait ses mains et sa passion oeuvrer, il oubliait généralement tout le reste. C'était aussi ça, à l'époque, qu'il l'avait déterminé dans son choix de carrière. Il savait qu'il aurait pu faire une brillante carrière dans l'architecture s'il avait voulu, il s'en sortait pas trop mal à l'école et les cours étaient intéressants, mais ce n'était pas la mécanique. Ce n'était pas ce plaisir de ressortir d'une séance de réparation le front en sueur et les mains sales, ni ce plaisir de pouvoir faire plaisir aux gens en leur remettant leur voiture à neuf. Ce n'était pas non plus ce plaisir de se sentir réellement utile dans la vie de tous les jours, pour souvent des choses qui lui semblaient simples à lui. C'était tout ça pour lui, choisir de devenir mécanicien. Bien sur, lorsqu'il avait annoncé à son père qu'il décidait de changer de carrière, ce dernier avait eu un faux espoir que son énième fils rentre dans l'armée. Mais Ezra n'en avait rien fait. Il avait toujours eu horreur de ça et ce n'était pas à vingt-deux ans qu'il allait changer d'avis. Et puis ça faisait des années qu'il avait arrêté de demander l'avis de son père là-dessus. Il resta donc un moment à se pencher sur les problèmes que la voiture de Ginny pouvait avoir. Il ne vit pas réellement le temps passer, et si vous lui demandiez, il ne saurait dire s'il était resté dessus pendant quinze, vingt minutes ou bien une heure. En tous cas, ça lui avait permis de se calmer un peu les nerfs, et lorsqu'il releva enfin la tête du capot, il soupira. C'était bien beau d'avoir fuit pendant quelques instants Ginny, mais elle était toujours là et les soucis qu'elle semblait avoir amené au garage aujourd'hui n'étaient sûrement pas partis tous seuls. Et comme à trente ans, vous êtes censés mener une vie d'adulte et affronter vos soucis, il prit son courage à deux mains et retourna à l'intérieur du garage, trouvant un chiffon au passage pour nettoyer la saleté qui avait pu s'accumuler sur ses mains pendant qu'il laissait la magie opérer. Il trouva Ginny assise dans la salle café, semblant perdue dans ses pensées. Il fut un temps où il aurait directement su à quoi elle pensait, et ce temps lui paraissait tellement loin maintenant lorsqu'il la regardait, assise là, devant lui. Frappant trois coups contre la porte ouverte pour ne pas la surprendre, il lui fit un petit sourire timide et poli lorsqu'elle leva le regard vers lui. « Ta voiture devrait de nouveau rouler normalement, mais c'est pas impossible qu'elle refasse des siennes à nouveau. Si c'est le cas, il faudrait que tu reviennes, j'regarderai entre temps si j'ai pas des pièces en rab' dans la réserve pour réparer ça plus en profondeur la prochaine fois... Si ça se présente. C'est possible qu'elle reste sage comme elle l'est là aussi. » Contrairement au ton qu'il avait employé tout à l'heure, il parlait cette fois ci calmement, et sa voix aurait même pu être amicale s'il n'avait pas toutes ces pensées qui revenaient au galop dans sa tête. Il voulait d'ailleurs en toucher deux mots de nouveau à Ginny, mais il ne savait pas par où commencer. S'il attaquait trop rapidement le sujet, c'était pas improbable qu'il se sente mal de nouveau. Mais en adulte, il devait affronter cette situation. Alors il vint s'asseoir dans un des sièges à côté de Ginny, reportant comme il le faisait à chaque fois qu'il ne savait pas trop quoi dire son attention sur ses mains, qu'il ferait mieux d'aller laver sérieusement une fois qu'il en aurait fini avec Ginny - si on peut dire. Le noir, sale comme ça l'était là, c'était pas super propre ni sexy. « Pour... Noah... Prononcer le prénom de son fils qui lui était encore inconnu était une chose étrange, pas du tout naturelle pour lui. « Si ça te dérange pas, j'aimerai bien avoir le numéro de sa chambre et je... Je passerai peut-être, un soir, après le boulot... Si ça te va, bien sûr, tu sais ce qu'il y a de mieux pour lui après tout... » Après tout, elle était sa mère, celle qui avait partagé cinq ans de sa vie. Elle savait mieux que personne ce qui était bon pour le petit, et même si Ezra avait toujours rêvé de rencontrer son fils - même si le fait qu'il soit malade l'avait, avouons le, un petit peu refroidit quant à savoir comment il allait trouver son fil -, il ne s'imposerait jamais à l'équilibre familiale que Ginny avait pu créer. Jamais. Ce n'était en aucun cas une personne égoïste quand il s'agissait de sa famille, même inconnue ou éloignée, comme l'était devenue Ginny et par conséquences Noah avec le temps.

Ezra était nerveux, attendant la réponse de Ginny. D’un côté, il espérait très fortement qu’elle dirait oui, car pendant ces cinq ans il ne s’était pas passé une journée sans qu’il songe à quoi pouvait ressembler son fils. Il espérait qu’il avait les yeux et le sourire de sa mère, il serait alors le tombeur de ses dames lorsqu’il grandirait. Enfin, s’il grandissait. Mais pour le moment, Ezra essayait de chasser les pensées concernant la maladie de Noah, il voulait se concentrer sur l’essentiel, le rencontrer et gérer seul par la suite le flot de pensées qui allait avec. Il devait se concentrer pour ne pas craquer devant Ginny, que ce soit de colère, de chagrin ou de quoi que ce soit. Il n’était plus prêt à paraître aussi vulnérable devant elle, pas encore. Alors lorsqu’il vit un grand sourire se dessiner sur le visage de la jeune femme après qu’il eut posé sa question, il savait déjà qu’il pouvait être soulagé. « Chambre 103. Première étage. La chambre sur la droite quand on tourne à gauche à la première intersection dans le couloir. » Ezra ne put s’empêcher d’avoir un petit sourire à son tour. « Merci, je retiendrai. » Il comprenait à quel point il avait toujours aimé voir le sourire de Ginny quand celui-ci s’effaça soudainement. Comme si elle venait de dire une bêtise ou de dire quelque-chose qui la faisait penser à quelque-chose de triste, il ne savait pas déterminer. Fronçant les sourcils, il tenta de ne pas s’inquiéter du premier coup - il fallait qu’il garde sa dignité, car depuis qu’elle était dans le garage il avait l’impression de l’avoir perdu. Après tout, il s’était fait plaqué comme un idiot par la jolie demoiselle qui était à ses côtés et il continuait d’avoir le coeur battant plus rapidement lorsqu’il la voyait. Pathétique. « Ca va ? Si ça te dérange vraiment je… Je pourrais attendre tu sais. » Il ne voulait pas déranger, oh non, au grand jamais. « Il faudra juste que tu me prévienne quand tu voudras passer. Ca serait dommage que tu viennes, alors qu'il n'est pas dans un bon jour. » Ezra reprit alors une expression plus neutre lorsque Ginny lui dit ça. Au moins, ce n’était pas lui qui dérangeait, elle était juste inquiètes comme seule une mère sait le faire. Il lui accorda alors un nouveau petit sourire - difficile à croire que quelques temps auparavant, dans la même après-midi, il était prêt à monter sur ses grands chevaux devant elle; elle le perturbait réellement - avant de venir fouiller dans la poche de sa veste. Des tas de papiers diverses et variés trainaient dedans, mais il trouva plutôt rapidement ce qu’il cherchait. Il tendit alors le bout de papier cartonné à Ginny. « J’ai pas mieux qu’une carte de visite pour te donner mon numéro, tu m’excuseras. Tu sais, pour me tenir au courant de quand je pourrai passer ? » Il se sentit con d’avoir eu besoin de préciser pourquoi il voulait lui donner son numéro, comme lorsqu’ils se connaissaient à peine et qu’ils étaient encore plus dans l’adolescence - celle d’Ezra avait légèrement plus durer que d’autres personnes, refusant un peu de grandir pour pouvoir profiter de la vie de jeune adulte le plus possible -, maladroits et mal à l’aise en présence de l’autre. Lorsque Ginny eut pris la carte, Ezra se releva se son siège. Il était sur le point de dire à Ginny qu’il allait devoir la laisser parce-qu’il avait du travail qu’il l’attendait, ce qui était vrai, mais étrangement il ne voulait pas mettre fin à cette rencontre. Alors qu’elle avait elle aussi sûrement plein d’autres choses à faire, comme par exemple aller prendre soin de leur fils. Il resta donc une petite dizaine de secondes comme ça, debout devant elle, avant de passer une main dans ses cheveux, gêné. « Comment va ton frère, au fait ? Je suis désolé de te poser cette question, mais comme je n’ai plus de nouvelles non plus… » Gêné il l’était car le fait de parler du frère de Ginny leur faisait forcément penser à pourquoi il n’avait plus de nouvelles de lui. Le jour où Matt avait appris qu’Ezra avait mis sa petite soeur enceinte et que c’était en train de pus ou moins détruire sa famille de l’intérieur, il l’avait maudit, l’envoyant bouler méchamment aussi fortement qu’il l’avait pu. alors que de base, ils étaient censés être meilleurs amis. Et qu’Ezra, dans cette situation, avait pensé qu’il aurait pu au moins avoir le soutien de Matt. Mais rien. Que dalle, il l’avait juste lui aussi abandonné sans même lui accorder le bénéfice du doute et de l’erreur humaine. Il était resté bloqué sur sa position, pensant qu’Ezra était responsable du drame familial chez les McGrath, responsable du malheur de sa soeur et responsable sûrement pour tout un tas de choses dont Ezra n’était même pas au courant.

Même si Ezra savait qu'au fond, il n'aurait surement pas du poser cette question, il n'avait pas pu s'en empêcher. Après tout, des personnes qu'il connaissait, Ginny devait être la seule à pouvoir avoir gardé contact avec Matt. Toutes les personnes qui étaient restées dernière, à Brisbane, n'avaient plus de nouvelles de lui - Ezra s'était appliqué à savoir lorsque Ginny était partie. Il n'avait pas pu s'empêcher de trouver ça triste, pas que pour lui même si perdre d'un coup son meilleure amie et sa petite amie n'était pas quelque-chose de facile, mais aussi pour toutes les personnes de qui Matt avaient pu être proche. Les aléas de la vie, comme on pouvait les appeler. Mais après tout, peut-être qu'un jour il le reverrait, savait on jamais. Il ne pensait pas pouvoir réellement revoir Ginny et elle se tenait devant lui aujourd'hui. Une partie de lui n'en revenait toujours pas d'ailleurs. Il était là, l'observant comme il faisait quand il l'avait connu. Et c'est en l'observant de la sorte qu'il vit qu'elle perdit son sourire quand elle entendit sa question. Il avait pensé juste, c'était une mauvaise idée. « Il va bien. Il vit sa vie absolument parfaite, faisant la fierté des parents. » Ezra ne put s'empêcher d'avoir un petit rire moqueur. En cinq ans, rien n'avait donc changé. Ginny était la même, et Matt semblait stagner au même point aussi. « C'est ce qu'il a toujours su faire de mieux, la fierté de vos parents. Certaines choses ne changeront jamais je crois. » Avoir les meilleures notes, les meilleures appréciations des professeurs, les meilleurs résultats sportifs, Matt les avait tous collectionné à l'époque où Ezra le connaissait, il n'était donc pas si étonné que ça que Ginny lui dise qu'il avait continué sur la même voix. C'était dans les valeurs de la famille McGrath d'être les meilleurs et de présenter le mieux possible. C'était le côté qui énervait le plus Ezra à l'époque, quand il passait le plus clair de son temps chez eux, que ce soit pour voir Matt, ou Ginny par la suite. Surtout pour lui qui, malgré un père strict, avait toujours été plus ou moins libre de ses mouvements et de ses choix. Il comprenait déjà Ginny à l'époque sur le côté un peu mis à part dans la famille, en ne faisant pas l'armée son père l'avait, comme son frère Max, mis un peu de côté. Et puis de toutes façons, il était difficile de passer après Thomas le fils parfait. Mais malgré cette différence de statut auprès de leur père, Thomas et Ezra n'avaient jamais réellement eu de soucis pour s'entendre entre eux. A la différence de Matt et Ginny. Cette dernière d'ailleurs semblait partie dans ses pensées, et ça peinait Ezra de la voir comme ça à cause de lui, de sa question indiscrète sur sa famille. Il se racla alors la gorge, tentant de garder un petit sourire - même s'il ne savait pas comment il arrivait encore à sourire alors que cette situation était des plus étranges. « Il mérite ta colère, Ginny. Ne t'affliges pas ça en plus. » Il s'étonnait d'arriver à dire des choses encore aussi gentilles et douces. L'oublier hein, c'était censée être sa mission des cinq dernières années. Il avait lamentablement échoué, il s'en rendait bien comptes aujourd'hui. Lamentable, il était. Il passa une nouvelle fois une main dans ses cheveux - vieux tic qui ressortait apparemment lorsqu'il était dans une situation délicate -, car il savait qu'il allait devoir malheureusement mettre un terme à cette rencontre, pour aujourd'hui. Il voulait trouver des mots pas trop blessant pour congédier Ginny. « Je... Je suis désolé, mais je vais devoir te laisser, je vais avoir du retard dans mon travail et... Tu devrais peut-être retourner auprès de Noah... Enfin tu sais mieux que moi ce que tu as à faire par la suite, désolé, c'était idiot de dire ça... Hm... Tu me tiendras au courant, s'il te plait ? Je veux dire, pour Noah, je pense... J'aimerai le voir, oui. » Il se trouvait idiot à parler de la sorte, en saccadé, d'être gêné devant celle avec qui il avait partagé tant de choses. C'est dans ces moments là qu'on voit que certains choses peuvent malgré tout changer, malgré tout ce qu'on peut se promettre et tout ce qu'on aurait eu envie de faire. Les choses changent indéniablement. Et Ezra qui restait là, à ne pas savoir comment il devait dire au revoir à Ginny. Faire comme si leur relation était tout à fait normale et aller lui faire une bise ? Lui serrer la main pour rester à distance, garder cette distance qui prouvait que ce n'était plus du tout pareil entre eux ? Ou juste lui faire un signe de la main et tourner les talons, retourner au travail et ne plus y penser ? Aucune de ces solutions ne paraissaient être la bonne. Rien ne sautait aux yeux, disant c'est moi je suis ce qu'il faut faire. Rien, nada, juste un moment de gêne qui s'installait une fois de plus, Ezra se maudissant d'être aussi idiot à son âge, de ne pas savoir se comporter en adulte.