Il la regardait. Cette blouse blanche qui l'avait opérée il y avait de cela bientôt cinq mois à dire vrai. Déjà. Le temps passait vite mine de rien. "Et comment vous sentez-vous ?" Elle eut un haussement des épaules tout en le regardant. "La kiné se passe plutôt bien. Je vais plutôt bien. Et j'ai hâte de me sortir de ce fauteuil roulant." Ce qui était tout à fait normal à dire vrai. Il était normal qu'elle en ait marre de ce fauteuil. "Ca va plutôt bien doc. Mieux qu'il y a quelques mois." Il eut un hochement de la tête. Elle avait un meilleur moral. Elle était moins abattue. Quelques mois en arrière, elle était ronchon. Elle n'avait pas envie de sourire. Elle n'avait envie de rien faire. Si ce n'était se morfondre dans sa chambre. Elle avait envie de se glisser dans un trou de souris et disparaître. La seule chose qui arrivait à la faire tenir, c'était son fils à dire vrai. Son petit brin de soleil. Lewis n'aurait pas été là, sans doute que ... Et bien, sans doute qu'elle se serait laissée couler. Elle y avait pensé ... Mettre un terme à sa vie. Mais elle s'était dit qu'elle ne pouvait pas le faire. Pour la simple et bonne raison que son fils serait seul. Sans personne sur qui veiller. Et qu'elle ne voulait pas qu'il se retrouve seul au monde. Certes, Casey avait encore de la famille. En ce temps là, elle pensait que c'était mort. Qu'elle ne reprendrait jamais contact avec Loan. Pas après ce qu'elle avait pu faire. Il avait également encore son père. Mais elle ne savait pas où il était. Oh Noah, ce cher Noah ... Elle l'avait traité de tous les noms possibles et imaginables quand il était parti. Mais bon, passons. Là n'était pas vraiment le sujet.

"Et votre thérapie ?" C'était la question qu'il ne fallait pas vraiment poser à dire vrai. Casey avait haussé des épaules à nouveau. "J'aimerais que ça se termine aussi." Il lui fit quelque peu les gros yeux. "Souvenez-vous de ce que j'ai pu vous dire Casey. La guérison est non seulement physique, mais également morale." Elle le savait bien. Elle savait qu'elle devait oublier Spencer. L'enfant qu'elle avait perdu. L'accident. Elle devait tourner cette page. Mais ils y avait certaines pages qu'elle n'arrivait pas à tourner. Morgan. Loan. Noah. Spencer. Des chapitres de sa vie qu'elle n'arrivait pas à clôturer. Mais elle ne désespérait pas pour autant. Parce que pour Morgan et Loan, c'était en bonne voie. Noah, encore faudrait-il qu'elle puisse lu parler. Et elle était loin de se douter que ça allait se produire d'ici la demie-heure qui allait suivre. Pour sûr. "Je sais tout ça. Mais vous savez également que c'est pas évident." Du tout. On ne guérit pas comme ça d'un claquement de doigts. Quoi qu'il en soit, la séance avait débuté. Elle s'était installée sur la table et il l'auscultait pour vérifier que tout allait bien. Il continuait de faire un suivi, même si Casey n'en avait pas réellement besoin. Après tout, il n'était que son chirurgien. Et rien d'autre. Il n'était pas celui qui faisait sa rééducation. Il n'était pas celui qui était là pour la faire souffrir en faisant des exercices stupides. Mais c'était sympatique. De savoir qu'il continuait à prendre de ses nouvelles. Et voir qu'elle allait bien. Ouais. Pour sûr. Elle n'irait pas jusqu'à dire qu'il était un ami, mais elle aurait presque pu considérer que c'était le cas.

Après la petite séance torture, Casey en avait enfin terminé. Et elle allait rentrer chez elle. Elle s'était arrêtée près du distributeur pour prendre une bouteille d'eau. Elle avait une petite soif. Elle avait inséré une pièce dans le distributeur mais rien ne vint. Et elle eut un drôle d'air sur le visage. "Non, c'est une blague." Elle n'allait pas s'énerver pour si peu. Mais ça l'énervait quelque peu de voir que la boîte de conserve avait mangé sa pièce et qu'elle ne lui crachait rien. "C'est pas possible." Elle soupira et secoua la tête. "C'est bien ma vaine ..." Elle tapotait quelque peu contre le distributeur qui semblait n'en vouloir faire qu'à sa tête. Tant pis. Elle allait devoir s'asseoir sur sa bouteille d'eau. Du moins, si on peut dire cela ainsi.

Aujourd’hui, jour de repos. Je n’aime pas ça. Quand je n’ai rien à faire, je réfléchis trop à des choses auxquelles je ne veux pas penser. La culpabilité me ronge depuis près de huit ans maintenant. Depuis que je l’ai abandonnée. Elever un enfant est difficile et pourtant, je l’ai laissée seule dans cette épreuve. Je n’ai jamais autant fait preuve de lâcheté qu’à ce moment de ma vie. On fait tous des erreurs, et celle-ci est la pire que j’ai commise. Si c’était à refaire, est-ce que je recommencerais ? Je n’en ai aucune idée. Aujourd’hui, j’ai mûri, j’ai réfléchi, mais il y a quelques années, je n’étais pas prêt. On ne se connaissait pas assez selon moi, alors comment accomplir la mission la plus difficile de notre existence ? Être parent… Ce n’était pas concevable pour moi à l’époque. Et si jamais je n’avais pas supporté la pression et que j’étais tombé dans l’alcool comme lui ? Et si j’étais devenu violent aussi et que je m’en étais pris à eux ? Je ne pouvais pas prendre ce risque… Je ne voulais pas faire subir à Casey et à notre enfant, ce que j’ai subi dans mon enfance. Je ne pouvais pas m’y résoudre.

Voilà à quoi je pense quand je n’ai pas l’esprit occupé. Voilà ce qui me ronge, ces éternelles questions bourrées de « et si ? ». Voilà pourquoi je me plonge corps et âme dans mon travail, me dévouant totalement à mes clients. Malheureusement pour moi, je suis en repos aujourd’hui. J’ai pourtant demandé au cabinet de me supprimer mes jours de repos obligatoires, mais ils n’ont pas voulu, ce n’est pas légal. Mon supérieur m’ordonne même de faire une vraie pause et de me déconnecter de mon travail pendant ces jours-là.

Ce matin en me réveillant, j’ai reçu un message de mon frère, m’avertissant qu’ils organisaient une journée de don du sang à l’hôpital aujourd’hui. Mon frère est journaliste, il est toujours au courant de tout. J’ai un sang universel, je peux le donner à tout le monde, alors en général quand ils organisent des journées comme ça, j’y vais. Et puis, je me rendrais utile et ça m’occupera.

C’était ce que je m’étais dit. Voilà la raison pour laquelle, je me trouvais dans cette pièce avec des machines partout, en train de donner mon sang. J’avais passé le fameux questionnaire juste avant, pendant de trop longues minutes à mon gout et j’attendais maintenant qu’ils se décident à m’enlever ces tubes. Je faisais même la conversation avec la personne à côté de moi pour m’occuper, parce qu’on trouve toujours le temps long quand on ne fait rien. La discussion était plus ou moins intéressante, mais l’infirmière nous coupa pour me débrancher. J’en avais fini. Je me sentais légèrement faiblard, mais rien d’inhabituel. On me donna des petits pains à manger ainsi qu’une petite bouteille de jus d’orange. Je m’installais dans un coin pour manger pour reprendre des forces. Enfin, j’avalais la moitié de mon jus d’orange avant de quitter le service de don du sang. Je peux rentrer maintenant, j’ai fait ma bonne action de la journée.

Je parcourais les couloirs de l’hôpital, en direction de la sortie, ma bouteille à moitié vide à la main. Au détour d’un couloir, alors que je passais dans un couloir adjacent, je sentis mon portable vibrer alors je baissais la tête en direction de ma poche pour le récupérer. Cependant j’avais un peu dévié de ma trajectoire de ce fait et dans mon champ de vision périphérique je remarquais que j’avais failli heurter un fauteuil roulant. Je m’étais arrêté juste à temps pour ne pas le toucher.

« Oups ! »

Mais alors que je relevais vivement la tête, levant une main en avant par réflexe, je me figeais sur place, lâchant même ma bouteille sous le choc. Choqué. Pétrifié. Stupéfait. Ebahi. Je reconnaitrais cette femme entre mille…

« Casey… »

J’étais surpris de tomber sur elle. Surpris de la voir là, devant moi. Mais ce qui me paralysa le plus, ce n’était pas de revoir cette femme que j’avais lâchement abandonnée. Non, ce qui me bouleversa davantage c’était de la voir en fauteuil roulant. J’en restais bouche bée, incapable de prononcer le moindre mot. Mon regard horrifié était fixé sur son fauteuil. Des millions de scénarios affluaient dans ma tête. Pourquoi ? Qu’est-ce qu’il lui est arrivée ? Depuis quand ? Est-ce que c’est permanent ? Est-ce à cause de moi ? Trop de questions, mais je me contentais de rester immobile, sous le choc. Mon estomac était tellement noué que cela en devenait douloureux. J’en arrêtais même de respirer.

« Tu… »

J’avais tenté de prononcer une phrase cohérente, mais seuls des brides de mots s’échappaient de ma bouche. J’étais incompréhensible. La dernière fois que je l’ai vue, elle se portait bien, elle marchait, elle était à Sydney. Et là, je la retrouve, dans un fauteuil, dans un hôpital… J’étais désemparé.

C'était un peu la poisse mine de rien. Non pas que Casey était gripsou. Elle aurait très bien pu mettre des sous, à nouveau, dans le distributeur. Mais quelle garantie elle avait ? Si ça se trouvait, elle allait tenter de remettre de l'argent dedans et elle perdrait à nouveau. Bah, tant pis. Elle allait retenter. Ainsi donc, la voilà mettant de l'argent à nouveau dans le distributeur. Elle fit son choix et attendit patiemment que le Saint Graal lui soit délivré. Manque de chance, rien ne vint. "Non, c'est une blague ..." Elle baissa la tête. A croire qu'aujourd'hui, c'était pas le jour. Du tout. Elle poussa un soupir. Un jeune patient qui passait par là donna un coup bien placé au distributeur. "Il est un peu récalcitrant." Un second coup et hop, Casey avait ses boissons. "Merci." lui dit-elle dans un sourire. Elle lui tendit une des bouteilles d'eau. Parce qu'elle n'en avait pas besoin de deux. "Ca doit faire longtemps que tu dois être ici pour connaître les petits trucs sur le distributeur." Il eut un léger sourire. "Ouais. Cette machine n'arrêtait pas de piquer mon fric. J'pouvais pas la laisser continuer à m'arnaquer." Ce qui était tout à fait normal. Après tout, personne n'aime se faire plumer. "T'es là pour quoi ?" lui demanda Casey, quelque peu curieuse. "Opération du coeur." Jamais les opérations les plus faciles. "Ils me disent que je devrais bientôt sortir. Mais ils vont encore se servir de moi comme pelote de laine durant quelques jours." La blonde eut un petit sourire amusé. "Oui, je sais ce que c'est." Le jeune lança la bouteille en l'air et la rattrapa. "Bon, faut que j'y aille. Sinon, ils vont encore lancer une alerte comme quoi j'me suis tiré." Il avait bien du courage ce gamin. Il était jeune. Seize ou dix-sept ans et il devait avoir subi pas mal d'opérations. Elle n'avait pas trop à se plaindre au final.

La blonde déboucha la bouteille, histoire de boire un coup. Après tout, c'était le but de l'opération, non ? Elle allait repartir tranquillement mais c'est là qu'elle croisa un homme. Et quel homme. Elle n'aurait su dire si c'était un coup de chance ou bien si aujourd'hui c'était un jour de malchance. Peut-être un peu des deux. En tout cas, la bonne chose, c'était qu'il se souvenait d'elle. Il savait encore comment elle s'appelait. "Ah ... Noah ... J'ai longtemps cru que tu ne savais plus comment je m'appelais ..." Parce qu'il ne répondait pas à son téléphone. Parce qu'il ne répondait pas à ses mails. Ou bien à ses sms. Elle avait tenté de le joindre à de nombreuses reprises après qu'il l'ait abandonnée, juste après avoir appris qu'il allait devenir père. Elle avait tenté de le joindre pendant trois à quatre mois. Et puis, elle avait fini par abandonner. A quoi bon lui demander de ses nouvelles ? Il ne voulait pas faire partie de sa vie. Elle avait respecté cela. Et maintenant ? Et bien, Casey ne savait pas trop. Elle n'avait jamais su pourquoi il était parti. Il n'y avait pas eu d'explication. Voulait-elle le savoir maintenant ? Elle n'en savait trop rien. Le revoir ... là ... Le croiser ... Ca faisait remonter tout un tas de souvenirs. Comme si c'était la veille. Elle avait presque l'impression qu'ils s'étaient quittés la veille. Alors que ça faisait neuf ans. Comme quoi, elle avait toujours tenu à lui, et ce même si elle avait pu retrouver un peu de bonheur entre temps grâce à Spencer. Mais oublier le père de son fils, c'était juste mission impossible. Parce qu'ils avaient un lien. Et quoi qu'il arrive, ils l'auraient toujours.

En tout cas, si elle était surprise, il y en avait un autre qui l'était tout autant. Noah ne s'attendait pas à la revoir. L'inverse était également vrai. Il avait du mal à terminer ses phrases. Mais par son tu, elle devinait qu'il parlait de son état actuel. "Oui, je suis dans un fauteuil roulant. La vie est garce parfois." Qu'elle se retrouve en fauteuil, ça ne la gênait pas. Mais elle avait perdu Spencer. Et son bébé. Et ça, c'était autre chose. Et dire que dans à peine un mois, elle aurait accueilli un garçon. Ou une fille. Elle n'aurait pas cette chance. Elle trouvait que c'était une bonne chose que Lewis ait un petit frère ou une petite soeur. Ca allait devoir attendre maintenant. "Mais c'est comme ça." Casey présumait qu'il allait vouloir savoir ce qui lui était arrivé. Est-ce qu'elle allait le lui dire ? Sans doute. "J'te croyais encore sur Sydney." En réalité, elle avait longuement cru qu'il s'était fait la malle et qu'il avait quitté l'Australie. Force est de constater qu'elle s'était trompée.

Je savais qu’elle vivait dans cette ville à présent, ou du moins qu'elle y passait de temps en temps. Mon frère m’avait dit qu’il l’avait vue il y a quelques temps. Je constate qu’il s’est bien gardé de me dire dans quel état il l’avait vue. Mais je ne m’attendais pas du tout à tomber sur elle, pas ici de surcroît. Je me doutais bien qu’un jour j’allais finir par la croiser de loin puisqu’on était tous les deux à Brisbane maintenant mais je ne pensais pas littéralement tomber nez à nez avec elle. Ça m’avait perturbé de la revoir, parce que tout ce que je m’efforçais d'enfouir en moi, ma culpabilité, mes sentiments pour elle, tout ressurgissait alors que je l’avais devant les yeux. Et la revoir dans cet état, dans un fauteuil roulant ne faisait que m’achever. A-t-elle eu un grave accident ? Est-elle malade ? Est-ce définitif ou temporaire ? Tellement de questions dans ma tête, pourtant j’étais incapable de prononcer la moindre phrase cohérente, juste son prénom.

Elle devait m’en vouloir à mort d’être parti sans aucune explication. Surtout qu’elle a cherché à me joindre des mois après, sans que je me décide à lui répondre. J’avais été tellement lâche, tellement désemparé par la situation. Si j’avais pris le temps d’écouter ses messages, de lui répondre ou même de la contacter à ce moment-là, cela n’aurait rendu les choses que plus difficiles. Je ne pouvais plus revenir en arrière. Ça n’avait aucun sens. Je sentais d’ailleurs la rancune dans sa voix lorsqu’elle s’étonna que je me souvienne encore de son nom. Comment l’oublier ? Il me hante depuis des années. Je n’ai jamais cessé de penser à elle et ce n’est pas demain que j’arrêterai.

Mais ce qui me perturbait le plus, c’était son fauteuil. Vraiment. Il s’était passé quelque chose de grave, et je n’étais même pas présent pour elle, dans cette épreuve. Elle n’avait sans doute pas eu besoin de moi, mais cela n’empêchait pas ma culpabilité de grandir. Il faut dire que de mon côté ça n’avait pas été facile non plus dernièrement. Par ma faute, une pauvre fille est internée… Il n’y a pas de quoi se réjouir. Je n’avais pas pu poser la question quant à son état, elle avait su à quoi je faisais allusion malgré tout. Oui, merci, je le constate que tu es dans un fauteuil roulant. Ça ne m’aide pas vraiment à comprendre pourquoi. En tout cas, elle semblait résignée à accepter son état. Cela voulait-il dire qu’elle était coincée dans ce fauteuil depuis longtemps ? Ou pour une longue durée encore ? Je m’interrogeais énormément sur ce problème, mais elle changea de sujet. Je reprenais mes esprits petit à petit.

« J’y étais, jusqu’à il y a deux ans. J’ai été muté ici. » Et elle alors ? Qu’est-ce qu’elle fait ici ? Je sais que mon frère l’a vue il y a quelques mois, mais ça ne me dit pas la raison de sa présence à Brisbane ni même dans cet hôpital, même si la raison semble évidente à première vue. « Et toi ? Qu’est-ce que tu fais ici ? »

J’avais repris contenance, un peu, et je réalisais que je n’avais plus ma bouteille dans la main. Alors en baissant la tête je la vis par terre. Je me baissais pour la ramasser. On a des réactions un peu stupides parfois, incontrôlées, certes, mais stupides. Mes yeux se posèrent de nouveau sur son fauteuil et j’avais besoin de savoir ce qu’il lui était arrivé. Si elle allait rester comme ça éternellement ou si ce n’était que temporaire, ce que je lui souhaitais.

« Mais, pourquoi ce fauteuil ? Qu’est-ce qu’il t’est arrivé ? »

Je voyais qu’elle devait lever la tête pour me regarder vu que je n’étais pas à sa hauteur. Autant lui éviter de chopper un torticolis en plus du reste. Alors j’allais m’asseoir sur une chaise à côté du distributeur. Je ne savais pas vraiment combien de temps j’allais rester là, mais autant m’asseoir, je serai à sa hauteur comme ça.

Incroyable mais vrai. Il était là. Devant elle. Alors que Casey pensait ... Elle ne savait pas trop ce qu'elle pensait à dire vrai. Disons qu'elle avait toujours cru que ... Elle ne savait pas. Elle ne savait plus quoi penser. Elle l'avait aimé. De tout son coeur. Au départ, elle n'avait pas pensé qu'ils pourraient vivre ensemble. Que ça casserait rapidement. Mais la blonde avait fini par remarquer qu'ils s'entendaient bien. Et qu'ils étaient plutôt bien assortis tous les deux. Elle se disait qu'un jour, ils fonderaient une famille tous les deux. Ils auraient pu être bien. Et cette grossesse ... avait peut-être tout foutu en l'air entre Noah et elle. Peut-être que c'était de sa faute. Peut-être qu'elle n'aurait pas dû se montrer aussi enjouée. Peut-être qu'elle n'aurait dû rien dire. Et se faire avorter. Elle avait vingt-six ans, bientôt vingt-sept. Sur le coup, il était vrai que Casey pensait pas que c'était une bonne idée. Plutôt le contraire. Elle avait emménagé il y avait moins d'un an. Commençait tout juste une carrière dans la police. Et quoi ? Elle tombait enceinte ? Ouais, la faute à pas de chance, si on pouvait dire cela ainsi. Mais sur le coup, Casey n'avait pas pensé que ... Et bien, que ça nuirait à leur relation. Elle avait pensé, au contraire, que ça l'aurait renforcée. Et qu'ils auraient été bien tous les deux. Elle s'était trompée. Elle avait fait son choix. Lui également. Et ça les avait séparés. Et c'était dur. Dur de le revoir. Maintenant. Est-ce qu'il était heureux ? Avait-il refait sa vie ? Avait-il fini par avoir des enfants avec une autre ? Il était normal que Casey se pose des questions, tout un tas de questions. Seulement, est-ce qu'elle voulait avoir les réponses ? Ne préférait-elle pas fuir ? S'en aller loin de lui ? Et ne plus penser à tout cela ? En réalité, elle n'en savait rien.

Casey en vint à atterrir. Parce qu'elle était perdue dans ses pensées et elle était très loin de l'hôpital. Et de Noah surtout. Deux ans. Deux ans qu'il était muté à Brisbane. Elle eut un léger hochement de la tête. Que ça soit deux ans, six mois, ou bien une semaine, ça faisait quand même bizarre de le voir sur Brisbane. Qu'il soit ici. Et dire ... et dire que c'était elle. Parce qu'après tout, elle était née ici. Elle avait ses racines. Sa famille. Elle y avait vécu pendant vingt-cinq ans avant de se décider à partir afin de fuir ses problèmes. Et maintenant qu'elle était revenu, et qu'elle faisait face à son passé, Noah surgissait également. Coup du destin ? Peut-être. Peut-être qu'il était temps d'en parler. De mettre les choses à plat. De ne plus se cacher derrière les erreurs du passé, ou bien les non erreurs. "Le boulot ..." dit-elle dans un hochement de la tête. Par rapport à ce qu'il venait dire. Parce que c'était pas le boulot qui l'amenait. Non. Elle aurait préféré. "Opération de la colonne vertébrale. Le meilleur chirurgien était sur Brisbane et voulait pas se déplacer jusqu'à Sydney." Un bien pour un mal, en quelque sorte. Parce que ça lui avait permis d'arranger les choses avec sa soeur. Avec ses proches. Ca allait mieux avec Loan. Elles se voyaient de temps à autre. Loan apprenait à connaître son neveu. Mais il n'y avait pas qu'avec Loan qu'elle tentait d'améliorer les choses. Il y avait tous ceux qu'elle avait laissé. Comme Mickey. Et bien d'autres. Au final, que cette intervention se passe sur Brisbane, c'était pas plus mal. C'était même bien.

Casey pensait s'en tirer juste comme ça. Elle pensait qu'il n'y aurait pas plus de questions. Du moins, elle voulait se convaincre que c'était le cas. Mais une réponse amenait forcément à une autre question. Et ainsi de suite. Il voulait savoir ce qui s'était passé. Normal. Il avait fini par s'installer. Si la blonde avait écouté sa colère, elle se serait tirée. Elle aurait fait demi-tour, là, tout de suite, et elle aurait fui. Mais non. Elle n'en ferait rien. Il était temps d'avoir cette discussion. "Accident de voiture. Il y a six mois maintenant." en vint-elle à lui dire. "Un camion nous a coupés la route." Elle avait failli y passer. Mais elle s'en était sortie. Et maintenant, elle devait se sortir de ce fauteuil roulant. Elle finirait par y arriver. D'ailleurs, il ne lui restait plus que quelques séances. Elle se déplaçait plutôt bien sur les barres. Viendrait les béquilles et avec un peu de chance, exit le fauteuil dans les semaines qui allaient suivre. Et c'était tout ce qu'elle demandait à dire vrai. "D'où cette opération que j'ai eu il y a cinq mois maintenant." Et depuis quatre mois, elle se battait, jour après jour, pour marcher à nouveau comme avant.

J’étais bien avec elle. Pour la première fois de ma vie, je m’étais senti bien avec une femme. Notre histoire n’avait duré que quelques mois, certes, mais c’était les meilleurs mois de ma vie. Tout allait bien entre nous, malgré quelques tensions de temps en temps, comme chez tous les couples. Pour la première fois de ma vie, j’étais satisfait de ce que j’avais, heureux de me réveiller chaque jour dans le même lit que cette jolie blonde. J’aimais mon travail, j’aimais Casey, j’aimais ma vie. Mais un jour, tout ce bonheur a disparu. Envolé. C’est la panique qui avait pris le pas sur tout le reste. J’allais être père. Oui. Mais je n’étais pas prêt. Je ne m’en sentais pas capable. Pas à ce moment là. Est-ce que je suis maintenant ? Je n’en ai aucune idée, mais à cette période, j’en étais sûr. Je ne pouvais pas prendre cette trop grosse responsabilité au risque de tout gâcher, comme mon père l’avait fait. C’est sans doute dans mes gênes, si j’ai des enfants, il est possible que je devienne comme lui. Que je finisse par perdre mon travail pour une erreur que j’aurais commise et je deviendrais comme lui. C’est pour cette raison que je me tiens éloigné de la moindre bouteille d’alcool. Je ne veux infliger ça à personne. Ce que ma mère a subi, ce qu’on a vécu, je ne veux pas le reproduire. Alors, je me mets des barrières. Ça peut paraitre stupide aux yeux d’une personne extérieure, aux yeux de Casey, mais pour moi c’est d’une logique implacable.

Je lui avais expliqué que j’étais à Brisbane à cause de mon travail. Sinon, je suppose que je serais resté à Sydney auprès de ma famille. Mais mon cabinet en a décidé autrement. Soit, ça ne fait pas de mal un peu de changement. Je pensais juste qu’elle allait rester là-bas. Mais non. C’est tout de même incroyable les coïncidences. J’ai choisi de venir faire don de mon sang aujourd’hui, j’ai fait une bonne action et voilà que je tombe sur cette femme. Celle qui hante mes pensées depuis des années. Coup de chance ? Coup du destin ? Ou alors on veut me punir ? Est-ce une bonne chose de se revoir après ce qu’on a vécu ? Je ne saurais le dire. Toujours est-il que ça me fait bizarre de me tenir en face d’elle, de lui parler.

Elle était ici à cause d’une opération de la colonne vertébrale… Mon dieu, rien que ça… Ce n’est pas le genre de petite opération à prendre à la légère. J’ouvris de grands yeux d’un air surpris en constatant à quel point c’était grave. J’étais dépité. Oh, et c’est à cause de son chirurgien qu’elle est à Brisbane. Mais ça veut dire qu’elle vit ici ? Ou qu’elle séjourne à l’hôpital ? Ou alors, elle fait les allers-retours entre Sydney et l’hôpital ? Il y a plusieurs scénarios possibles.

« La colonne vertébrale… Mais tu vis sur place ou tu fais les allers-retours depuis Sydney ? »

Si elle vit toujours à Sydney, ça doit être usant de se déplacer constamment. Surtout qu’elle devrait avoir besoin d’un chauffeur. Dans la logique des choses, elle devrait habiter dans le coin, ou alors avoir une chambre à l’hôpital. Enfin trop de questions avaient pris possession de mon esprit. Je devais faire le tri avant de lui poser, à supposer qu’elle me réponde d’ailleurs. Ce qu’elle était disposée à faire apparemment. Elle m’expliqua en quelques mots qu’elle avait eu un accident de voiture il y a six mois… Oh… On se dit toujours que ça n’arrive qu’aux autres, jusqu’au jour où ça nous tombe dessus… Elle ajouta qu’un camion les avait percutés. Euh… Comment ça « nous ». Elle n’était pas seule à ce moment-là ? Est-ce que son… Enfin… Notre fils était avec elle ? Il n’a pas survécu ? Sous le mélange de différentes émotions que je pouvais ressentir, j’étais incapable de me rappeler les paroles de mon frère. Est-ce qu’il l’avait vue toute seule ce jour-là ? Est-ce que le petit était avec elle ? Je ne m’en souvenais plus.

« “Nous” ? Tu veux dire que tu n’étais pas toute seule ? »

Je devais être légèrement chiant avec toutes mes questions. Mais si elle ne voulait pas me répondre, elle n’avait qu’à me le dire franchement. Je ne me vexerai pas pour ça et puis, je peux comprendre que ce soit un sujet douloureux qu’elle ne veuille pas aborder.

Le destin nous joue de drôles de tours parfois. Et pour Casey, c'était un drôle de tour. Elle n'irait pas jusqu'à dire qu'elle était ravie de tomber sur Noah à l'hôpital. Mais au moins, ils pourraient avoir cette explication. Certes, c'était un peu tard. Parce que cette explication, elle aurait aimé l'avoir il y avait de cela quelques années. Lorsqu'il l'avait quittée. Ca aurait été mieux. Bien mieux. Mais c'était comme ça. Il était parti sans rien dire. Il n'avait pas souhaité lui donner de nouvelles. Il n'avait pas eu envie de lui dire où il allait, ce qu'il comptait faire. Et le pire, c'était qu'il avait pris soin d'éviter toutes les affaires sur lesquelles Casey avait pu travailler. Tout ça pour noyer les pistes, si on peut dire cela ainsi. Mais tout ça, c'était derrière elle maintenant. Maintenant, elle devait faire face à Noah. Maintenant, ils devaient avoir une discussion qu'elle avait rêvé à de nombreuses reprises. Le temps était à l'explication. Et peut-être au pardon. Pourrait-elle lui dire que ce n'était pas grave ? Qu'elle oubliait tout ça ? Peut-être que oui. Loan avait eu la force de tourner la page et de lui pardonner la mort de Morgan. Noah n'avait pas fait pire. Sans doute ... Sans doute qu'elle y arriverait. Elle n'avait pas trop le choix de toute manière. Elle n'allait pas lui en vouloir toute sa vie, non ? Non, elle ne pouvait pas.

Quoi qu'il en soit, elle avait fini par lui expliquer les raisons de sa présence sur Brisbane. Une opération dont elle se serait bien passée si elle n'avait pas eu cet accident. Casey s'était souvent posée la question. Et s'ils avaient pris quelques minutes de plus dans le cabinet du médecin ? Et si elle l'avait embrassé avant qu'ils ne montent dans la voiture ? Est-ce que l'accident se serait produit ? Ou bien auraient-ils pu en réchapper tous les deux ? Elle ne savait pas. Elle s'était torturée l'esprit à de nombreuses reprises sans réellement trouver la réponse à cette question. "J'ai que ça à faire pour les allers et retours depuis Sydney." Casey avait été un peu froide sur le sujet. Mais elle trouvait la question quelque peu stupide. Elle avait des amis sur Sydney, certes. Des amis qui auraient pu garder Lewis pendant sa rééducation. Mais ça n'aurait pas été une vie. Pour elle, comme pour son fils. "J'suis en location dans une maison sur Logan City." Elle en avait peut-être trop dit. Parce qu'il n'aurait pas de mal pour la retrouver. Et venir la voir chez elle. Et Casey ne savait pas si elle était prête pour le laisser rentrer dans sa vie. "Faire la route toutes les semaines, ça aurait été bien trop compliqué." Et puis, ça aurait été difficile, bien difficile pour elle. Tant au niveau fatigue qu'au niveau gestion. Elle n'avait pas voulu infliger cela à son fils. Certes, il avait changé d'école. Certes, il avait perdu quelques copains dans la bagarre. Mais c'était pas comme si elle avait définitivement coupé les ponts avec Sydney. Enfin, peut-être. Loan lui avait demandé si elle finirait par partir ou bien si elle allait rester. L'idée de rester définitivement était tentante. Surtout si ça lui permettait de renouer le contact totalement avec sa famille.

Casey s'expliqua également sur les raisons de son opération. Et l'accident dont elle avait été victime. Et bien évidemment, la question suivante ne tarda pas à être posée. Inquiet. Elle le sentait inquiet lorsqu'il avait posé la question. Il était au courant qu'il avait un enfant. Garçon ou fille, elle n'aurait su dire si Noah savait. Mais il savait qu'il en avait un. Et sans doute qu'il devait être inquiet de savoir s'il était dans l'accident maintenant. "Non, je n'étais pas seule." Elle aurait pu être méchante. Elle aurait pu être garce en lui balançant au visage qu'il y avait de cela neuf ans, il se fichait de savoir si l'enfant qu'elle portait allait vivre ou non. Pourquoi ça l'intéresserait maintenant ? Avait-il reconsidéré la question ? Avait-il mûri ? Et réfléchi à tout cela ? Peut-être. "Si tu veux savoir, il va bien. Il n'était pas avec nous quand l'accident s'est produit mais à l'école." Une chance pour lui. Une mère l'avait ramenée chez elle. Et l'avait gardé le temps que Casey sorte du coma. Elle s'était d'ailleurs battue pour que Lewis ne soit pas envoyé en famille d'accueil durant ce temps. Et aujourd'hui encore, même si Casey n'était plus sur Sydney, elle appelait souvent son amie pour savoir comment elle allait. La blonde passa une main dans ses cheveux. Elle avait ce tic quand on lui posait une question qui l'ennuyait. C'était d'ailleurs Noah qui lui avait fait remarquer qu'elle avait ce tic. "J'étais avec mon mari." Est-ce qu'elle avait besoin de rajouter qu'il était mort ? Qu'il n'avait pas survécu ? Que les pompiers l'avaient sortie du véhicule en premier et que ça avait coûté la vie de Spencer ? Franchement, elle n'avait pas envie de s'étendre sur le sujet. Ca faisait six mois. Mais ça faisait encore mal. "Et j'veux pas m'étendre là dessus." Elle avait beau avoir fait une thérapie, c'était toujours autant douloureux. Et toujours autant difficile d'en parler.

Il m’était impossible de savoir si elle était contente de me voir ou non. L’expression de son visage était assez fermée et elle ne laissait rien transparaitre. Moi-même, je ne savais pas ce que je ressentais. Etais-je réellement heureux de la revoir ? Je suppose que oui. Elle m’avait pas mal manqué je dois dire. Ça me faisait plaisir de me retrouver devant elle certes, mais je ressentais comme un sentiment de malaise. Peut-être qu’il venait de moi, parce que j’avais longtemps culpabilisé de l’avoir abandonnée. Et que me retrouver là devant elle était une sensation assez étrange en fait. Ou alors, peut-être que ça venait d’elle. Elle ne m’avait sans doute pas pardonné, ce que je peux parfaitement comprendre. A sa place qu’est-ce que j’aurais fait ? Comment je me serais senti ? Comment j’aurai réagi ? Je n’en ai aucune idée parce qu’à l’heure actuelle, j’ai du mal à avoir les idées claires, je me sens dépassé par les évènements, à côté de la plaque. J’ai du mal à réaliser qu’elle se tient devant moi, après toutes ces années.

J’étais tellement à l’ouest et sous le choc de la voir ici, et en fauteuil roulant de surcroît, que je posais des questions plutôt stupides. Du moins à en juger par sa réaction. Elle me répondit froidement qu’elle n’avait pas que ça à faire concernant les allers-retours potentiels depuis Sydney. Oui, bon ça va hein. Pas la peine de prendre ce ton-là. Ce genre de réaction me confortait dans mon idée qu’elle éprouvait toujours de la rancune à mon égard. Le contraire m’aurait étonné de toute manière. Elle ajouta qu’elle vivait dans une maison sur Logan City. Il me semble que ce n’est pas très loin de chez moi. Me donner ainsi son quartier me permettrait de la retrouver facilement. Mais, je n’envisageais pas vraiment d’aller l’importuner jusque chez elle. A quoi bon ? Elle ne veut sans doute plus me voir, elle a surement fait une croix sur moi depuis le temps. Ce n’est donc pas dans mon intérêt de forcer les choses pour de nouveau faire partie de sa vie. C’est moi le fautif dans l’histoire, ce n’est pas réellement à moi de faire le premier pas. Enfin, je pense. Je hochais la tête lorsqu’elle expliqua que faire la route toutes les semaines aurait été difficile. Certes. Surtout dans son état.

« Ouais c’est sûr. »

Les raisons de son handicap m’intriguaient. Pas parce que le malheur des autres m’intéresse. C’est juste que je voulais comprendre comment elle avait pu finir dans cet état. Surtout qu’elle avait insinué qu’elle n’était pas seule le jour de l’accident. J’avais immédiatement pensé à son fils. Enfin, notre fils. Je ne vais jamais m’y faire. Je n’avais jamais été présent pour lui, mais je voulais tout de même savoir s’il lui était arrivé quelque chose. Il serait temps que je m’en préoccupe… C’est un peu tard mais bon. Elle me confirma qu’elle n’était pas seule dans la voiture et m’assura qu’il allait bien et qu’il était à l’école ce jour-là. Je me sentis soulagé. Même si je ne l’avais jamais rencontré. Mais alors qui était avec elle ? J’attendais qu’elle continue pour m’en dire plus, mais elle passa une main dans ses cheveux. Oh. Je connais cette manie. C’est moi qui lui ai fait remarquer à l’époque. A chaque fois qu’elle fait ça c’est que quelque chose la perturbe ou la dérange. Ma question est si embarrassante que ça ? Et là, elle m’avoua enfin avec qui elle se trouvait. Son mari. J’avais l’impression qu’une pierre venait de tomber dans mon estomac. J’avais arrêté de respirer quelques secondes. Nouveau choc de la journée, je les cumule. Elle avait donc refait sa vie. Et il semblerait qu’elle ait réussi puisqu’elle s’était même mariée. J’étais content pour elle. Si elle était heureuse, c’était le principal. Pourtant, je ne pouvais pas m’empêcher de ressentir une pointe d’amertume. Peut-être même de jalousie ? Elle avait réussi à retrouver quelqu’un alors que moi j’avais lamentablement échoué. Je baissais la tête pour regarder la bouteille que je tripotais entre mes doigts. Elle était avec son mari… Elle est mariée… C’est… Bien ? Je suppose ? Alors pourquoi est-ce que je n’arrive pas à me réjouir ? C’est pour ça qu’elle était gênée d’en parler ? Parce que je suis son ex ? Peut-être.

Mais elle ne voulait pas s’étendre sur le sujet. Oh ? Pourquoi ? C’est une bonne chose si elle est mariée non ? Elle ne veut pas étaler son bonheur ? Pas devant moi ? Ou alors… Il était avec elle dans la voiture. Et s’il n’avait pas survécu ? Cela expliquerait son refus d’en parler. Me cracher son bonheur au visage serait beaucoup plus facile pour elle. Je veux dire, elle n’a aucune raison de le cacher. Surtout pas devant moi, pas après ce que je lui ai fait. Ça aurait même pu être une forme de vengeance. Mais le fait qu’elle ne veuille pas en parler est justement beaucoup plus parlant. Le sujet doit être douloureux, ça doit être la raison pour laquelle elle ait stoppé la discussion. Ça me semble beaucoup plus logique en tout cas. Je soupirais avant de relever la tête pour la regarder.

« Je suis désolé. »

Pour son mari. Je pourrais aussi être désolé de plein de choses, de l’avoir abandonnée, elle et son fils, de ne pas avoir donné la moindre nouvelle dans les mois qui ont suivi, de l’avoir évitée pendant tout ce temps. Désolé pour tout. Je constatai également qu’elle ne me posait pas la moindre question. Elle n’était pas curieuse de ce que je faisais ici, ni curieuse de savoir comment j’allais, si j’avais refait ma vie ou de savoir n’importe quoi me concernant. Comme je l’avais pensé au départ, elle doit avoir de la rancune envers moi. Je la dérange. Alors, je vais la laisser tranquille. Je me levais de mon siège.

« Je vais te laisser tranquille maintenant, tu dois avoir plein de choses à faire, bien plus intéressantes que de répondre à mes questions. Je ne t’embête pas plus longtemps. J’étais content de te revoir. Et … Euh… Prenez soin de vous. »

Je n’étais pas vraiment à l’aise. Je ne savais pas vraiment quoi dire. Mais je ne voyais pas ce que je pouvais rajouter de plus. Je ne vais pas lui dire à la prochaine, parce que je ne sais pas si elle envisage de me revoir ou non, ce qui m’étonnerait. Je lui adressais un petit sourire avant de tourner les talons et de commencer à partir.

Pourquoi ... pourquoi lui avait-elle dit où elle habitait ? Elle n'en savait trop rien. Peut-être qu'inconsciemment, elle avait envie de le retrouver. Peut-être qu'elle avait envie  qu'ils se revoient. Qu'ils discutent de tout cela. Elle l'aimait. Tout comme elle le détestait d'ailleurs. Elle avait souvent pensé à lui. Se demandant bien où il était. Ce qu'il pouvait faire. Et elle avait fini par lâcher un peu de lest, si on peut dire cela ainsi. Elle avait fini par l'oublier. Et maintenant, elle pouvait jeter au loin tous les efforts qu'elle avait pu faire. Même si, à dire vrai, elle était quelque peu ravie. Au moins, ils auraient cette explication qu'elle attendait depuis si longtemps. Sauf s'il se décidait à esquiver le tout.

Quoi qu'il en soit, Casey lui avait parlé brièvement de l'accident. Du fait que leur fils n'était pas avec eux mais que néanmoins, elle n'était pas seule. Avec Spencer. Celui qui avait été son époux. Ils étaient ensemble depuis près de six ans. Et pourtant, ils n'étaient mariés que depuis un an. Une année merveilleuse, il n'y avait pas de doute là dessus. En tout cas, Spencer était mort. Elle ne l'avait pas mis en terre. Crémation il y avait eu et elle avait pu déverser ses cendres par delà la mer. Selon ses instructions. Noah était désolé. Elle ne répondit rien à cela. De quoi était-il désolé ? Que son mari était mort ? Qu'il les avait abandonnés ? Il y avait tellement de choses pour lesquelles il devait être désolé. "Merci ..." se contenta-t-elle de lui dire d'une faible voix. Casey aurait tant aimé ne plus souffrir de cette histoire. Elle aurait tant aimé avoir un coeur de glace et ne plus rien ressentir. Elle aurait été seule, elle n'aurait pas pu compter sur son fils, sans doute qu'elle se serait laissée aller dans sa solitude. Qu'elle aurait été froide et renfermée. Peut-être qu'elle aurait coulé. Et qu'elle n'aurait pas remonté la pente. Mais pour son fils, elle se devait d'être forte. D'aller mieux. De se battre pour lui. Et pour ne pas le laisser tout seul. Pour sûr. Car à part elle, pouvait-il compter sur quelqu'un d'autre ? Noah ? Lewis ne savait même pas que son père existait. Enfin, si, elle lui en avait parlé. Mais Casey lui avait dit qu'elle n'avait plus aucune nouvelle et qu'elle ne savait pas où il était. Pourquoi lui mentir ? Il n'était peut-être pas totalement en âge de tout comprendre mais bon, passons.

Noah avait fini par se lever. Prétextant qu'elle devait avoir des choses à faire. Des choses autres que répondre à ses questions. Elle était sur le cul. Après cinq minutes, peut-être dix à tout casser, il comptait déjà se tirer ? "Alors c'est tout ? C'est tout ce que t'as à me dire après pratiquement neuf ans ?" S'il cherchait à la faire sortir de ses gongs, à la faire réagir, il avait plutôt trouvé le bon moyen. "Tu te fous de moi là, j'rêve !" En même temps, elle ne savait plus trop à quoi s'attendre. Elle avait rêvé de cet entretien à de nombreux reprises avec Noah. Elle avait pensé à ce moment si souvent mais à chaque fois, d'une manière différente. Parfois, elle rêvait qu'elle retombait dans ses bras. Qu'elle lui pardonnait tout. Et qu'elle passait à autre chose. Parfois, ils s'engueulaient. Et pas qu'un peu. Mais ça finissait par aller mieux. Comme avec sa soeur Loan. Et parfois encore, ça se transformait en cauchemar. Parce qu'il se passait quelque chose de grave. Comme le pousser, qu'il fasse une chute. Rien de grave dans cela sauf que dans sa chute, il se cognait et ça le tuait sur le coup. Casey savait que ça n'arriverait pas. Parce qu'elle était dans son fauteuil roulant. Et qu'elle aurait bien du mal à le pousser. Néanmoins, elle avait tourné cette conversation dans sa tête dans tous les sens. Et maintenant, elle devait y faire face. Maintenant, elle devait faire face à son passé. Et réussir à tourner la page. A pardonner. Ce qui n'était pas une chose simple, pour sûr.

"Il est vrai que t'es vachement doué pour fuir. C'est ce que tu comptes faire ? Encore une fois ?" Il était normal, après tout, qu'elle ait un peu rancoeur contre lui. Qui n'en aurait pas à dire vrai. "Neuf ans pu*ain !" Ouais, elle avait lâché un gros mot. Et alors ? "T'as pris la mouche alors que j'étais enceinte ! De ton fils ! Tu t'es jamais dit que tu pourrais prendre des nouvelles de temps à autre ? Juste pour voir si on allait bien !" En colère. Elle était en colère. Mais ça lui faisait du bien. Peut-être qu'il fallait que ça sorte. Peut-être qu'elle devait évacuer cela. Une bonne fois pour toute. Trop de tension. Ca l'empêchait pas de dormir. Mais si Casey pouvait régler cette histoire une bonne fois pour toute, pourquoi pas ? "Mais non, à la place, t'es resté muet ! T'as fait la sourde oreille. Tu t'es pas manifesté. Rien." Dans l'histoire, elle pensait à Lewis. Parce qu'il lui avait posée quelques questions sur son père. Mais qu'aurait-elle dit ? Qu'il ne voulait pas de lui ? Que Noah se foutait carrément de lui et qu'il avait préféré l'abandonner, les abandonner une fois après avoir appris qu'il verrait le jour ? "T'as quoi à répondre à ça ? Hein ? C'était quoi ton excuse ?"

A quoi bon rester plus longtemps. Elle n’avait pas l’air très enclin à la conversation et j’avais l’impression de lui faire perdre son temps plus qu’autre chose. Elle m’en voulait, c’était évident – à sa place j’aurais sans doute le même sentiment à mon égard – il n’y avait qu’à écouter le ton de sa voix lorsqu’elle s’adressait à moi. Est-ce qu’elle s’attendait à ce que j’aborde le sujet ? Est-ce qu’elle s’imaginait que j’allais moi-même m’engager sur ce terrain glissant ? Non, si elle n’engage pas cette conversation, je ne le ferai pas. Pourtant, il faudra bien crever l’abcès un jour. Et ce jour ne sera pas aujourd’hui.

C’est du moins ce que je pensais. Parce qu’à peine j’avais fait quelques pas pour m’éloigner d’elle que je l’entendis m’interpeller. Je sentais qu’elle commençait à s’énerver. Elle me demanda si c’était tout ce que j’avais à lui dire depuis neuf ans. Neuf ? Bon sang, le temps passe plus vite que je ne l’aurais cru, je pensais que ça faisait huit ans. Il faut dire que j’ai eu une mauvaise période il y a quelques années. Ça a dû me faire perdre la notion du temps. Puis, elle s’emporta vraiment. Je pris une profonde inspiration et je me retournais pour lui faire face, haussant le ton à mon tour.

« Qu’est-ce que tu veux que je te dise ? »

Qu’est-ce qu’elle s’imaginait ? Que j’allais ramper à ses pieds pour l’implorer de me demander pardon ? Que je me confonde en excuse en pleurant ? Et bien non, ce n’est pas du tout mon genre, j’ai quand même un minimum de fierté. Je ne vais pas me jeter à ses pieds pour qu’elle me supplie de lui pardonner, alors qu’est-ce que je peux faire hein ? J’ai merdé, j’en suis conscient, c’est moi le fautif de l’histoire, ok. Mais je ne vais pas changer ma façon d’être pour autant. Je veux bien tenter de me racheter si elle envisage que je revienne dans sa vie, mais je ne ferai rien si elle ne me le demande pas. Borné ? Oui totalement. Je n’ai pas un caractère à me laisser marcher sur les pieds ou à revenir la queue entre les jambes. Ce n’est pas moi.

Sa réplique frappa là où ça fait mal. Elle me jeta violemment au visage le fait que j’étais doué pour fuir. Alors ça, c’est vraiment un coup bas. Je me mordais l’intérieur des joues sous l’énervement que je sentais monter en moi. Je ne m’énervais pas parce qu’elle avait tort, bien au contraire. Je m’énervais contre moi-même, parce qu’elle pointait du doigt ce pourquoi je culpabilisais depuis des années. La lâcheté. Oui j’étais doué pour ça, à mon grand regret. Elle semblait monter en pression à mesure qu’elle parlait. Oui, neuf ans. Ça fait neuf ans que je n’assume pas mon rôle de père. Neuf ans que je suis parti comme un voleur. Elle me reprocha le fait que je n’ai jamais pris la moindre nouvelle d’eux. Comme si je pouvais lui téléphoner comme ça d’un seul coup comme si de rien n’était juste pour voir s’ils allaient bien ? Non mais est-ce qu’elle s’entend parler ? Evidemment après quatre ans d’absence j’allais décrocher mon téléphone et lui dire “Hey salut ! C’est le père de ton fils tu te souviens de moi ? Alors dis-moi comment tu vas ?” Non mais est-ce qu’elle s’entend des fois? Alors oui, je suis resté muet, qu’est-ce que je pouvais faire d’autre ? Je n’allais pas revenir comme une fleur, le sourire aux lèvres après des années d’absence et faire comme si tout allait bien… Je la regardais s’énerver, bouillant intérieurement également, attendant qu’elle finisse. N’importe qui aurait pu faire profil bas, baisser la tête et lui offrir des excuses sincères, mais je n’étais pas comme ça. Lorsqu’on élève la voix contre moi, je me dois de répondre sur le même ton. On a tous les deux un caractère fort et ça a toujours explosé entre nous pour cette raison. Ce n’est pas maintenant que ça allait changer. Elle voulait connaitre mon excuse ?

« Est-ce tu t’entends parler sérieusement ? Est-ce que tu réalises les absurdités que tu oses sortir ? Non mais franchement ! Comment voulais-tu que je prenne des nouvelles ? Oh ben oui évidemment, j’allais décrocher mon téléphone après des années d’absence et passer un coup de fil juste pour savoir si tout allait bien ? Et qu’est-ce que j’aurais dit ? Bonjour, c’est moi, c’est Noah tu te rappelles de moi ? Tu sais l’homme qui est parti lâchement quand il a su que tu étais enceinte, le père de ton fils, comment tu vas depuis le temps ? »

C’était complètement absurde. Je levais les yeux au ciel et soupirais d’agacement.

« Je savais que vous alliez bien, tous les deux. Je vous avais aperçus quelques fois à Sydney. J’allais pas débarquer devant toi comme si de rien n’était, ça n’a pas de sens ! »

La situation aurait été bizarre et insensée. Le père qui débarque en pleine rue pour saluer son ex-copine et son fils après des années de silence… Normal.

« Je ne pouvais pas me manifester ! Comment j’aurais pu ? Je ne voulais pas chambouler ta vie, et la sienne, une nouvelle fois. Pour quoi faire ? La preuve, tu étais mariée. Le père qui débarque après tant d’années, ça fait mauvais genre non ? Il ne me connait pas, mais je suis sûr qu’il me déteste. Et je le comprends. »

Je soupirais et baissais la tête, les mains sur mes hanches. Le ton de ma voix avait baissé, j’étais plus calme. A présent, c’est la culpabilité qui parlait. Moi qui pensais lui tenir tête… Comme quoi, on n’est jamais maître de soi-même. Je me devais de lui expliquer mon geste. Je m’étais tut pendant trop d’années, elle méritait de savoir, quand même. Je relevais la tête pour la regarder, hésitant encore.

« J’ai paniqué. J’angoissais. Je n’étais pas prêt. Et surtout… Je ne voulais pas devenir comme Lui… »

Quand on était encore ensemble, je lui avais un peu parlé de ma situation familiale, à savoir qu’avec ma mère, ma sœur et mon frère, on venait d’Irlande du Nord. Mais je n’avais que vaguement mentionné mon père parce que pour moi, il ne fait plus partie de ma vie. Je ne sais pas si elle va se souvenir que j’avais juste précisé qu’il était violent et alcoolique. J’en avais tellement peu parlé aussi… Mais je n’aime pas parler de lui. A croire qu’on a tous des problèmes avec nos pères dans cette famille.

Crever l'abcès. Une bonne fois pour tout. Régler cette histoire. Afin qu'elle puisse passer à autre chose. Afin qu'elle puisse se reconstruire. Afin qu'elle puisse voir, également, si elle pourrait ou non construire à nouveau quelque chose avec Noah. Casey ne pouvait pas le rayer définitivement de sa vie. Après tout, il était le père de son fils. Quand bien même elle ne savait pas si elle le voulait encore dans sa vie, oui, il allait, d'une manière ou d'une autre, rester dans sa vie. Ou du moins, si Noah voulait connaître son fils. Leur fils. Peut-être qu'il s'en fichait. Peut-être que s'intéresser à Lewis ne le préoccupait aucunement. Elle n'en savait rien. C'était lui qui finirait par lui d'une, d'une certaine manière, s'il souhaitait avoir un quelconque impact. Dans le cas contraire, elle tirerait un trait totalement sur lui. Et lui pourrait également faire une croix définitive sur leur fils et elle.

Voilà pourquoi elle n'avait pu le laisser partir sans rien dire. Voilà pourquoi elle l'avait interpellé. A sa manière. Elle n'avait pas été très cordiale sur ce point là. Mais c'était fait exprès à dire vrai. Elle voulait ... Elle voulait que ça soit percutant. Elle voulait qu'il réagisse. Elle cherchait pas vraiment à le faire sortir de ses gongs. Quoi que ... Quand elle interrogeait ses suspects, c'était le meilleur moyen pour obtenir la vérité. Parce qu'on dit ce qu'on pense sur le moment. Parce qu'on ne cherche pas à détourner la vérité. Parce qu'on n'a pas le temps de se construire une histoire. Prendre au dépourvu quelqu'un, lui faire répondre par la colère, c'était le meilleur moyen de savoir, au fond, ce qu'il ou elle avait au plus profond de lui. Oui, Casey était plutôt vache d'utiliser ses techniques d'interrogatoire contre Noah. Mais au moins, elle serait fixée une bonne fois pour toute. Il n'avait rien dit. Il l'avait laissé déverser sa haine contre lui. Il n'était pas maso. Il n'aimait pas se faire engueuler. Et elle savait que tout ce qu'elle avait pu ui dire n'était pas tomber dans l'oreiller d'un sourd. Peut-être cherchait-il seulement à mettre ses idées en ordre. A préparer sa défense. Après tout, la vie était marrante. Elle était flic. Elle savait mener de bons interrogatoires. Elle savait faire cracher la vérité. Et lui, il était avocat. Et il connaissait des techniques d'avocat également. Pour contrer tout cela. Ils ne s'étaient que rarement disputés lorsqu'ils étaient en couple. Là, disons qu'ils rattrapaient les six mois où ils avaient été ensemble. Ils n'en viendraient pas au moins et les assiettes ne voleraient pas non plus.

"J't'ai pas demandé de m'appeler. T'aurais pu m'envoyer un mail ou un sms ! C'est compliqué ça ? De donner des nouvelles afin que j'arrête de m'inquiéter ?" Casey passait une main dans ses cheveux. "Bordel, t'es parti sans rien dire. J'aurais pu comprendre que tu veuilles t'éloigner mais de là à ce que tu coupes carrément les ponts et que tu donnes même pas signe de vie !" Principalement, c'était ce qu'elle lui reprochait le plus. "J'savais même pas si t'étais en vie ! Y'a des moments où j'me demandais si t'étais pas mort ! J'étais à la limite de chercher dans les hôpitaux ta trace mais on m'a conseillé que j'devais laisser tomber et que ça servait à rien." Peut-être qu'elle aurait dû faire plus d'efforts. Qu'elle aurait dû se battre. Qu'elle aurait dû le chercher plus. Son coéquipier de l'époque, c'était lui qui lui avait conseillé de laisser tomber. Que s'il était parti, c'était qu'il avait ses propres raisons. Et que le chercher lui ferait plus mal qu'autre chose à dire vrai. Noah lui avoua qu'il n'était jamais bien loin. En quelque sorte, il l'avait surveillée. Est-ce que ça lui faisait plaisir d'entendre cela ? Peut-être bien. Parce que ça signifiait qu'il n'avait jamais pu mettre une réelle distance entre lui et elle. Qu'il se devait de rester plus ou moins à proximité afin de savoir si tout allait bien. "Ne mets pas sur la table mon mariage. J'avais certes refait ma vie mais je n'étais pas mariée à l'époque. J'me suis mariée seulement il y a un an." Une année trop courte. Y'avait des jours où elle se demandait, d'ailleurs, pourquoi elle avait attendu autant avec Spencer. Peut-être parce que ... peut-être parce qu'elle avait le coeur brisé et qu'elle ne savait pas s'il pourrait être réparé grâce à Spencer. Peut-être parce qu'elle avait peur qu'il s'en aille, lui aussi. "Oh, c'est sûr qu'il pourrait te détester si j'lui avais raconté que t'as pris la fuite quelques temps après avoir su qu'il allait naître. Mais il n'en sait rien. Je lui ai simplement dit que ça n'avait pas fonctionné entre nous et que tu étais parti après sa naissance." Pour son fils, pour Lewis, Casey avait tenté d'enjoliver les choses. Pour pas qu'il déteste un père qu'il ne connaissait pas. "D'ailleurs, j'sais pas pourquoi j'ai fait ça. Ca aurait été sans doute plus simple pour moi, comme pour lui, qu'il sache toute la vérité. Mais j'en ai rien fait." Peut-être parce qu'elle se disait qu'un jour, elle retomberait sur Noah. Elle s'était pas vraiment trompée puisqu'il était là, devant elle.

Casey passa une main devant ses yeux durant quelques instants. Les nerfs qui retombaient peut-être bien. Savoir qu'elle avait enfin cette explication qu'elle attendait depuis si longtemps. C'était pas rien. Ca lui faisait plaisir. Intérieurement, elle était soulagée. Après, elle ne savait pas vraiment ... Elle ne savait pas vraiment si ça la ravissait de savoir qu'elle pourrait tourner cette page. Le pourrait-elle vraiment ? Pourrait-elle s'ôter de la tête Noah ? Va savoir. Il jugea bon de lui préciser qu'il avait eu la trouille. Qu'il avait peur. Qu'il ne souhaitait pas devenir comme lui. "Et tu crois pas que j'avais la trouille moi aussi ? De savoir que j'étais enceinte seulement six mois après notre relation ? Tu crois pas que j'me suis dit que c'était trop tôt ? Que ça allait gâcher ce qu'il y avait entre nous ? Mais tu vois, j'avais cru ..." Elle poussa un soupir. Repenser à tout cela. A ce qu'elle avait pu vivre. A l'état d'esprit qu'elle avait à ce moment là. Elle en avait pleuré. Durant des jours et des jours. D'ailleurs, là, elle avait le regard qui papillonnait. Quelque peu humide. "Tu crois pas que j'aurais préféré qu'on essaie de résoudre ça à deux ? Faire un pas devant l'autre. Voir ce qu'il pourrait advenir de jour, jour après jour ?" Noah avait pris la décision pour eux. Peut-être pas la meilleure pour eux, mais pour lui, si. "T'avais peur ... d'être comme lui ... Mais tu crois que c'était la meilleure solution de partir ? Qu'est-ce qui te dit que tu serais devenu comme lui ?"

La revoir ainsi devant moi avait fait ressurgir bons nombres de souvenirs plus ou moins enfouis dans ma mémoire. Certains souvenirs me hantaient déjà assez souvent, comme mon abandon. Mais, en la voyant, le souvenir de notre rencontre refaisait surface, puis les bons moments qu’on avait passés ensemble pendant ces six mois. Six bons mois. Pour la première fois dans ma vie, je m’étais senti bien durant ce laps de temps. Mais tout ceci fut interrompu par la lâcheté. On ne peut pas changer le passé ceci dit, alors quoi qu’il en soit il est trop tard pour rattraper le temps perdu.

Enfin, inutile de ressasser le passé parce que l’heure était au règlement de compte et aux explications. Je lui en devais, j’en avais pleinement conscience mais est-ce que j’avais la force de l’affronter là maintenant ? Alors qu’elle parait si vulnérable dans son fauteuil ? Je ne sais pas trop quoi penser. J’avais même envisagé de fuir, encore une fois, prétextant ne pas vouloir la déranger plus longtemps. Mais était-ce vraiment la raison ? Je ne saurais le dire. Le fait est que la voir dans cet état après des années de silence radio est perturbant. Cependant, elle semblait désirer des réponses à ses questions. Elle était limite devenue agressive mais c’était le meilleur moyen de me faire réagir et elle le sait. La colère et l’énervement sont des moyens plutôt efficaces de récolter des informations. On dit ce qu’on pense sous l’impulsivité du moment. Ce sont les nerfs qui parlent et en général on n’en tire rien de bon. Je n’aime pas spécialement cette méthode d’interrogatoire, on ne récolte jamais les bonnes informations. On ne dit pas forcément ce qu’on ressent vraiment sous la colère.

Elle continua à s’énerver et tenta de contrer mes arguments. Lui envoyer un mail ou un sms ? Evidemment, ça semble tellement logique. Je ne réponds pas à ses appels mais je vais lui envoyer un mail… Non mais franchement… Est-ce la colère à mon encontre qui met son cerveau en veille ? Si je ne lui répondais pas c’est parce qu’il y avait une raison. Comment ne peut-elle pas le voir ? Envoyer un mail ou un message est encore plus stupide que d’appeler. Je préférais lever les yeux au ciel plutôt que de répondre à tant de stupidité et puis de toute manière elle continua aussitôt sur sa lancée, m’empêchant d’en placer une. Elle me reprocha d’être parti sans rien dire, et de n’avoir donné aucune nouvelle. Apparemment, elle m’imaginait mort. Oh, rassurant.

« Casey. Bon sang. Si je n’ai donné aucune nouvelle, c’est qu’il y avait une raison ! Je ne pouvais pas partir comme ça du jour au lendemain mais t’envoyer un petit mail sympa deux jours après pour te dire qu’on allait quand même rester en contact pour rester pote alors que je t’ai abandonnée ! Comment tu l’aurais pris franchement ? Avec le sourire ? Je ne crois pas. » Je poussais un soupir avant de reprendre. « Je n’aurais pas supporté de garder contact avec toi après ce que je t’ai fait. J’aurais culpabilisé encore plus. Quant au fait que j’étais vivant ou non, ma famille t’aurait avertie s’il m’était arrivé quelque chose. Au moins ma sœur. » Je sais que ma sœur l’aime beaucoup, elle m’en a d’ailleurs beaucoup voulu d’avoir quitté Casey. Alors s’il m’était arrivé quelque chose, elle lui en aurait parlé, j’en suis sûr. Elle ou mon frère d’ailleurs.

Durant ces neuf ans, je ne voulais pas revenir dans sa vie pour tout chambouler, ce n’était pas mon but. Pourquoi foutre sa vie en l’air une seconde fois ? J’avais même supposé qu’elle était mariée parce qu’elle avait mentionné un mari. Mais elle me stoppa rapidement, m’intimant de ne pas mettre ce sujet sur le tapis. Oh. D’accord. Son mariage ne datait que de l’année dernière ? Certes, mais elle devait fréquenter son mari à l’époque. Alors, ça revient un peu au même.

En revanche, elle m’indiqua qu’elle avait arrangé les angles avec so- notre fils. Il ne connait pas la vérité ? Elle a enjolivé la situation ? Pourquoi ? J’allais lui poser la question, mais mon air surpris avait dû lui mettre la puce à l’oreille parce qu’elle me répondait aussitôt. Elle ne sait pas pourquoi elle a fait ça. Tout simplement. Soit. C’est… sympa de sa part. Je suppose. Je ne savais pas quoi répondre à ça. Qu’est-ce que je pouvais dire de toute manière ? Rien. En tout cas, la tension semblait retomber peu à peu.

J’avais tenté de lui expliquer ma réaction à ce moment fatidique. J’avais paniqué. Tout simplement. J’avais agi inconsciemment pour la protéger de moi ? C’était surtout ce que je me disais pour me donner bonne conscience. Je ne bois pas, comment je pourrais devenir comme lui ? Mais d’un autre côté, je me dis que je suis tellement passionné par mon travail que le moindre coup dur aurait pu être digéré plus facilement avec l’alcool, comme il avait fait… J’aurais pu devenir comme lui, je le sais au fond de moi. Mon père n’a pas foutu que mon enfance en l’air on dirait. Il me bouffe encore maintenant. Les traumatismes de l’enfance restent ancrés à vie il parait… Elle aussi avait peur. Elle pensait également que sa grossesse arrivait trop tôt. Maintenant oui, je l’imagine bien, mais sur le coup, je n’y ai tout simplement pas réfléchi. Elle semblait chamboulée par tout ça et la voir comme ça ne faisait que m’attrister davantage. Si c’était à refaire, je ne prendrais peut-être pas la même décision. A vrai dire, je ne sais pas. Mes pensées sont complètement en vrac et j’ai vraiment du mal à réfléchir correctement. Résoudre ça à deux ? Peut-être. Mais à l’époque je n’étais pas aussi mature que maintenant.

« Rien de ce que je pourrais dire ne changera quoi que ce soit. On ne peut pas refaire le passé. Ce qui est fait est fait. Et je n’ai jamais dit que j’avais pris une bonne décision. C’était une décision, la mienne, c’est tout. Je n’ai pas réellement réfléchi, c’était plutôt spontané, je gère très mal le stress et je fais souvent n’importe quoi pour y remédier. Je ne supporte pas de ressentir ça. Alors, j’ai des réactions stupides. » Très stupide, au point d’abandonner la femme que j’aime et mon futur enfant. A ce moment, je ne ressentais que ça, le stress. Et je n’avais pas supporté. J’allais répondre à sa dernière question, mais la sonnerie de mon téléphone m’interrompit. Je glissais alors ma main dans ma poche pour le récupérer. Oui, on est dans un hôpital, c’est interdit, mais tant pis. Je regardais l’écran pour voir qui essayait de me joindre, mon boulot. « Excuse-moi. » Je mettais notre conversation en pause avant de décrocher. « Allô ? » C’était mon collègue, qui m’indiquait qu’une cliente super importante venait de débarquer au cabinet et qu’elle voulait absolument me voir. Moi et uniquement moi. Apparemment, elle se fichait que j’étais en repos pour la journée. Je soupirais. « Ok j’arrive. » Je raccrochais et rangeais mon téléphone dans ma poche. « Je vais devoir y aller. » Je fis quelques pas vers elle par réflexe mais je me stoppai. Qu’est-ce que je comptais faire ? Lui faire la bise ? « Dans tous les cas, ça m’a fait plaisir de te revoir. J’espère que ça va s’arranger ton problème de … euh… » Je ne trouvais pas le mot alors je lui indiquais simplement son fauteuil d’un signe. « Portez-vous bien et… A bientôt… Peut-être. » Je lui adressais un petit sourire avant de la saluer et de me diriger vers la sortie. Je ne savais pas si on allait se revoir par la suite. Est-ce que j'en avais envie? Aucune idée...

C'était pas simple. C'était pas évident de l'avoir face à elle en ce moment. C'était pas évident de le savoir en ville. Mais il était là. Il était là, face à elle. Et tous les souvenirs remontaient. La douleur, également. Douleur de quand il était parti. Quand il s'était tiré alors qu'elle était enceinte. Casey ne savait pas ce qui se serait passé, à l'époque, s'ils étaient restés ensemble. Peut-être que ça aurait fonctionné. Peut-être qu'il se serait éloigné quelques temps après. Elle n'en savait rien. Mais elle aurait aimé le découvrir. Elle aurait aimé savoir ce qui aurait pu se passer. Et maintenant, elle ne pouvait faire que des suppositions. Des hypothèses. Des théories. Casey avait passé une main dans ses cheveux. Elle aurait tant aimé avoir cette chance ... De vivre cette vie à trois. Même si ce n'était que pour un instant éphémère. Même si ce n'était que pour quelques mois. Ou bien quelques années. Ils auraient avancé, jour après jour. Ils auraient pris leur temps. Mais maintenant, c'était fini. Elle devait arrêter de se poser cette question. Elle devait arrêter de penser à cela. Elle devait ... se concentrer sur le présent. Et uniquement sur le présent.

Noah avait pris une décision. Il avait pris sa décision. Sa propre décision. Il ne l'avait pas concertée. Il n'avait pas cherché à connaître son avis. Il ne cherchait pas vraiment à avoir des excuses. C'était pas ... ce qu'il avait fait, c'était pas vraiment excusable. Mais ils n'auraient, malheureusement, pas l'occasion de poursuivre cette conversation maintenant. Parce qu'il venait de recevoir un coup de téléphone. Ca, c'était la faute à pas de chance. Ca, c'était pas drôle parce qu'elle aurait aimé aller plus loin. Continuer à discuter. A moins que c'était la meilleure des choses à faire. Pour éviter ... de dire des choses qu'elle n'avait pas envie de dire. Parce que sous le coup de la colère, sous le coup de l'émotion, on finissait par dire des choses qui n'étaient pas marrantes. Qu'on ne pensait pas vraiment. Et Casey n'avait pas envie d'en arriver là. Elle ne souhaitait pas envenimer les choses. Non. C'était bien suffisant. Pour aujourd'hui. Elle préférait ... penser à tout cela au calme. A penser à autre chose.

Après avoir raccroché, Noah avait fini par s'approcher d'elle mais s'était retenu. Avait-il souhaité lui faire la bise ? Elle n'en savait rien. Mais ça n'irait pas plus loin. Il la saluait. Allaient-ils se revoir ? Le voulait-elle ? Pour le moment, elle n'en savait rien. Elle resta interdite, muette durant quelques secondes. Le temps de réaliser qu'il la laissait pour ... En fait, elle ne savait pas trop pourquoi. Son boulot ? Une copine ? Une amie en détresse ? Elle n'en savait rien. "A bientôt peut-être ..." lui répondit-elle en empruntant les mêmes mots. Brisbane était une grande ville. Mais pas si grande que tout cela. Ils finiraient ... Ils finiraient sans doute par se rencontrer à nouveau. Quand ? Comment ? En quelle circonstance ? Elle n'en savait rien. Mais ils se rencontreraient à nouveau.