La pression monte à ce stade des auditions. Une semaine depuis que Cora avait reçu l’appel lui donnant le rôle principal et elle avait à peine vu ce temps s’écouler. Un bien rapide avant-goût des quatre mois de tournage qui vont suivre. Mais aujourd’hui est un jour d’audition – encore – où la jeune femme doit donner la réplique à ceux et celles qui seront avec elle à l’affiche. Malgré le caractère « à la chaine » et très fatigant qu’ont ces auditions, la jeune femme s’amuse à chaque fois. Elle trouve que c’est toujours gratifiant de rencontrer autant de monde et de voir de nouveau visage, et pourquoi pas, celui d’une future célébrité, comme elle. Alors à chaque fois qu’une personne passe devant elle, elle ne peut s’empêcher de sourire en pensant à ce qu’ils pourraient devenir. C’est une façon bien positive de penser comme on sait que, à côté de cela, tous ont un rêve qui ne se réalisera peut-être pas et que seulement quelques personnes seront choisies. Fort heureusement, ce n’est pas à elle d’annoncer ce genre de mauvaise nouvelle. Un soulagement, étant donné qu’elle en serait bien incapable. Dire qu’elle a le beau rôle dans cette industrie serait un euphémisme. Et les auditions s’enchainent, les personnes défilent et Cora continue de donner encore et encore la même réplique jusqu’à ce que l’un des producteurs annonce qu’il est l’heure de la pause de midi. Elle n’est jamais trop en accord avec cette façon de faire. De dire à des gens qui attendent leur tour depuis des heures d’attendre encore sans avancer que l’équipe revienne du restau où ils vont rester des heures sur le dos du studio. Mais bon, peut-être faire une remarque à celui qui signe son cachet ? Pas vraiment. C’est pourquoi, elle finit par aller dans la salle où beaucoup attendent. Après tout, quelqu’un doit au moins s’excuser du désagrément. « Bonjour à tous. Je voulais vous communiquer mon soutien pour l’audition à venir et vous souhaiter bonne chance. Je m’excuse de l’attente qui vous est imposée. » Dit-elle avec un sourire se voulant le plus compatissant possible. Elle se souvient de ses propres auditions alors qu’elle n’était qu’une enfant et que maman la forçait à rester assise à apprendre son texte plutôt que de la laisser partir. C’était bien pénible de rester en place et même en étant adulte, ça doit être la même chose. Elle soupire intérieurement pour ne pas montrer combien la situation l’ennuie puis elle sort pour aller déjeuner. Sur son passage, alors qu’elle marche entre les candidats, elle ne peut s’empêcher de poser un regard sur eux et de retenir leur visage. Quand elle arrive sur celui d’une jeune femme a l’air particulièrement malade. Elle se stoppe avant d’aller en sa direction. Elle n’a pas l’air bien, pâle et maigre. « Est-ce que vous allez bien ? » demande-t-elle, visiblement inquiète. « Vous devriez sortir d’ici pour vous rafraîchir et vous restaurer, les auditions ne reprendront pas avant une bonne heure. » Elle commence à fouiller au fond de son sac, voir ce qu’elle peut y trouver. Une bouteille d’eau pour commencer.
Sa convocation était arrivée dans sa boîte mail la semaine passée et depuis son estomac était noué. Pour la première fois depuis qu’elle tâchait de faire décoller sa carrière dans le cinéma, elle allait pouvoir se battre pour un personnage important, un second rôle dans un long-métrage. Elle avait apprit son texte, le connaissait par coeur, bien décidée à ne pas laisser passer sa chance cette fois-ci. Elle voulait réussir le casting, reprendre le contrôle de sa vie. Alessio l’avait aidé à se sentir bien, mais le stress était monté de jour en jour, le sommeil s’était enfuit entraînant la faim sur son passage, elle avait passé du temps avec Raffa et depuis sept heures ce matin qu’elle attendait dans cette grande salle aux murs blancs, elle commençait à se sentir mal. Sa tête lui tournait et elle se détestait de ne pas avoir fait d’efforts pour aller mieux au moins aujourd’hui. Le matin elle avait essayé de manger des œufs et du bacon, mais ce n’était pas passé, l’angoisse était à son paroxysme. Autour d’elle tout le monde était propre sur soi, certains révisaient leur texte, d’autres grignotaient, d’autres encore écoutaient de la musique, peu discutaient entre eux et elle était assise au milieu, tâchant de garder ses esprits. Le temps s’était écoulé tout doucement, amenuisant les réserves d’énergie de la blonde. Si elle ne passait pas vite, elle finirait par tomber dans les pommes. Et elle n’avait pas pensé à prendre un truc à manger dans son sac, ces derniers temps, elle ne mangeait quasiment pas de toutes façons. Mais ses espoirs de passer d’ici peu s’envolèrent lorsqu’une jolie rousse vint les remercier pour leur patience. Elle avait l’air sincère et cela fit sourire Elena qui la connaissait de nom, c’était une actrice prometteuse et elle adorerait pouvoir lui donner la réplique. Si l’intention était bonne, venir s’excuser ne changerait de toutes manières pas le fait qu’elle se sentait mal et qu’elle allait devoir attendre encore avant de pouvoir passer devant le directeur de casting. D’autres personnes, plus connectées à la réalité poussèrent des soupirs agacés. Elena, elle, se répétait en boucle son texte pour éviter d’avoir à se concentrer sur autre chose lorsque une tête rousse se pencha vers elle. Alors, sa tête faisait peur à ce point ? Pourtant, elle s’était maquillée et avait tâché de paraître présentable. Un autre sourire se dessina sur son visage. « Ca va merci ! » Sa voix faible démontrait pourtant le contraire. Elle était touchée que la comédienne s’intéresse à elle aussi essaya-t-elle de se lever en s’adossant au mur derrière elle. « Vous avez raison, je vais aller faire un tour. » A peine fut-elle debout qu’elle chancela, se rattrapant comme elle pouvait à la rouquine. Autour d’elles, les gens s’étaient arrêtés de respirer semblait-il. Elle s’excusa d’une petite voix avant de prendre son sac et de sortir aussi vite que possible non sans tituber à plusieurs reprises. Une fois à l’extérieur, elle s’assit sur le bord d’un trottoir, la tête entre les mains, honteuse de s’être ainsi donnée en spectacle. Des larmes de rage lui échappèrent. Elle n’allait pas pouvoir revenir passer l’audition, ce serait ridicule !
Trop souvent. C’est la fréquence à laquelle Cora aperçoit des jeunes filles malades dans les rangs des candidats. Elle se souvient d’une fois, quand elle reprit sa carrière, d’une nana qui allait de casting en casting pour vendre des vomitifs aux candidates. Et nombre d’entre elles se faisaient prendre au jeu. Comme si être jeune et maigre était plus important que la vie. Comme si, c’était ça l’essence de ce métier, de convenir aux canons de beauté. Certes, c’est ça. Et en même temps, non, parce que celle qui ont le succès sont celles qui se démarquent. Alors oui, Cora, elle sait reconnaitre les visages de ces filles affamées et malade quand elle en voit. Elle sait et elle porte suffisamment d’attention aux personnes qui l’entourent pour s’en inquiéter. C’est pourquoi quand elle croise le regard de cette jeune fille, elle ne peut s’empêcher d’aller à sa rencontre et de voir si elle peut l’aider. « Ca va merci ! » Non, ça ne va pas. Il n’y a qu’à entendre la faible tonalité de sa voix. Elle observe la jeune femme qui chancèle et tente avec difficulté de se redresser sur ses deux jambes. Là, ça ne va pas du tout. Cora a envie de tendre les bras pour l’aider, mais elle sait que les personnes dans cet état ont beaucoup de problème avec l’aide que l’on peut vouloir leur apporter. Elle ne put cependant s’empêcher de lui suggérer de sortir et de se restaurer. « Vous avez raison, je vais aller faire un tour. » Cora sourit. Cette jeune fille a l’air raisonnable. Du moins, ce fut la pensée qui traversa l’esprit de Cora avant que la petite blonde ne lui tombe dans les bras. Cora la rattrape. Et sans pouvoir réagir, elle la laisse partir plus loin. Tout le monde les regarde, pourtant elle ne peut détacher son regard de la fille. Celle-ci parti, elle se racle la gorge. « Vous devriez travailler votre texte. » lâcha t-elle en tentant de paraître aimable. Elle marche vers la porte, d’un pas naturel, avant de se précipiter dehors pour retrouver la fille en question. Elle a des nœuds dans l’estomac et des films dans la tête. Impossible qu’elle la laisse partir avant de s’être assurée qu’elle va bien. Elle court, jusqu’à rejoindre l’extérieur où elle aperçoit le dos de la concernée. Doucement, elle marche derrière elle, jusqu’à s’asseoir elle aussi sur le bord d’un trottoir. Elle ne sait pas trop quoi dire. Après tout elle ne la connait pas. Mais comme geste de soutien et de réconfort, elle pose sa main sur l’épaule de la jeune femme, l’invitant à lui dire ce qui ne va pas.
Cette jolie rousse était bien trop gentille avec elle, qui ne méritait pas qu’on lui porte cette attention. Elle était sortie en pensant être tranquille, mais l’actrice l’avait rejoint et s’était assise à côté d’elle en silence. Sûrement ne comprenait-elle pas comment on pouvait en arriver là, lorsque tout nous sourit il est parfois difficile de faire face au mal-être d’autrui, mais au moins, elle ne l’ignorait pas et faisait même preuve d’empathie envers elle. Jamais elle ne tirerait profit de quoi que ce soit en étant vue avec elle ce qui ne l’empêchait pas de s’être inquiétée pour elle et de l’avoir suivi à l’extérieur. Elena se sentait encore plus stupide d’avoir agit de la sorte et de se retrouver maintenant comme ça. Elle leva la tête vers la jeune femme. « Désolée j’ai l’air ridicule... » Sa voix avait retrouvé un peu d’aplomb, très certainement grâce à l’air frais qu’elle respirait. Rester dans la même salle aussi longtemps était plutôt anxiogène. Elle se passa la main dans les cheveux avant de prendre une grande inspiration et essuyant les larmes sur son visage. Elle sentait que la demoiselle l’écoutait aussi décida-t-elle de vider un peu son sac, elle n’allait pas non plus lui raconter mais sa vie, ce n’était pas le but et ce serait encore plus dérangeant, non simplement quelques mots, histoire de se sentir plus légère. « J’ai rien mangé ce matin à cause du stress et du coup j’ai la tête qui tourne c’est affreux. J’ai l’impression que je pourrai jamais y arriver... » Un petit rire moqueur lui échappa, elle était lamentable, comment avait-elle pu tomber aussi bas, elle la bête de concours, l’espoir italien du patinage ? C’était risible vraiment. « Comme si ce n’était pas fait pour moi. » Elle avait laissé échapper ça dans un murmure, presque jalouse sur le coup du succès que pouvait connaître Cora. Après une énième grande respiration, elle se redressa en tachant de sourire et de se recomposer un visage correct. « Moi c’est Elena ! J’adore ce que tu fais, quand j’étais petite j’étais ulta fan ! » Effectivement, elle avait l’habitude de la regarder chaque fois qu’elle passait à la télé et espérait secrètement que sa notoriété nationale lui permette de la rencontrer. Au moins, elle aurait eu une bonne image de sa personne pas comme aujourd’hui. Elena désigna le sac de l’actrice du bout du doigt. « Excuses-moi mais tu aurais de l’eau j’ai complètement oublié d’en prendre et je meurs de soif. » Elle attendit de savoir si oui ou non elle allait accepter de continuer sur la lignée et lui fit un sourire reconnaissant. « Merci au fait. »
Un geste qui peut valoir mille paroles. C’est tout ce à quoi Cora pense avant de s’asseoir aux côtés de la jeune fille. Après tout, que peut-elle faire de plus ? Elle ne connait rien, ni son nom, ni sa vie. Et bien qu’elle ait une vague idée du problème, elle n’en est pas certaine et se refuse à s’aventurer en terre inconnue. Elle marche sur des œufs un peu, mais elle est portée par cette envie de porter secours et d’aider cette jeune femme. Si elle le pouvait, Cora, elle porterait le monde sur ses épaules. Mais ça, il faut le faire petit à petit. « Désolée j’ai l’air ridicule... » Elle répond d’un sourire avant de hocher la tête pour lui dire non. Elle a l’air doux dans sa voix quand elle lui répond. « Non, juste un peu perdue. Mais ça va aller. » Elle veut la rassurer avant tout. C’est une impression qu’elle a, que cette fille, elle doit rester avec elle. Elle l’observe sans discuter qui sèche ses larmes. Elle ne peut pas être celle qui parle la première, parce que c’est pas elle qui doit avoir besoin de tout déballer. « J’ai rien mangé ce matin à cause du stress et du coup j’ai la tête qui tourne c’est affreux. J’ai l’impression que je ne pourrais jamais y arriver... » Son sourire se renforce, un peu comme pour la contredire. C’est normal ce qui lui arrive, ça lui a pris des années avant d’apprendre à gérer son stress et ce n’est pas tout le monde qui comme elle peut avoir la chance d’apprendre à la faire dès son plus jeune âge. « Comme si ce n’était pas fait pour moi. » Elle ne sourcille pas au moment où la jeune femme s’abat toute seule. C’est un comportement compréhensible dans ces moment-là. Ce qu’elle ne veut pas, c’est que sa pensée dépasse le moment. La comédie est un métier difficile. Autant pour y rentrer que pour y rester et pour avoir vingt ans de carrière, Cora avait du mené bien des batailles. « Moi c’est Elena ! J’adore ce que tu fais, quand j’étais petite j’étais ultra fan ! » Un rire sort. Flattée. Surtout d’un compliment dans un moment pareil. Elle s’apprête à se présenter, par politesse, parce qu’objectivement, elle n’en a pas besoin. Mais elle est interrompu. « Excuses-moi mais tu aurais de l’eau j’ai complètement oublié d’en prendre et je meurs de soif. » Si, elle en a. « Merci au fait. » Elle fouille dans son sac et en retire une bouteille en plastique et ajoute tout en la posant dans la main de la jeune « Tu n’as pas à me remercier, c’est tout naturel. Par contre, j’espère que ça ne te dérange pas, j’ai déjà bu dedans. » Elle montre le bouchon défait. Bien sûr, elle suppose que dans un moment pareil, cela n’a aucune importance. « Est-ce que tu veux essayer de manger quelque chose ? Mon sac est un vrai garde manger. » Elle commence à en sortir des gâteaux, toutes sortes de cochonneries. « Tu sais, il ne faut surtout pas que tu te décourages. Je sais que ça a l’air facile à dire sorti de ma bouche. Mais il faut que tu tiennes le coup Elena. Et que tu apprennes à gérer le stress, parce que c’est un métier qui va beaucoup te demander, beaucoup de force. » Et c’est pourquoi manger, c’est important. Mais Cora va se passer de ces phrases pleines de morales sur l’alimentation. « Est-ce que ça te dit de déjeuner et d’oublier un peu cette audition avec moi ? »
C’était assez surprenant de découvrir la personne derrière la star de l’écran. Elle n’avait jamais douté du fait que la rouquine était quelqu’un de bien, mais en avoir la confirmation lui faisait plaisir. Oh combien ce genre de statut sociétaire pouvait rapidement monter à la tête ! Ne serait-ce qu’en audition, elle en avait croisé plus d’un qui parce qu’il avait eu un petit rôle quelque part regardait les autres de haut et ne se sentait plus péter. C’était un métier assez arbitraire, il suffisait parfois de jouer comme il faut pendant deux minutes pour atterrir sur un tapis rouge et beaucoup se prenaient les pieds dedans sitôt l’effet de foule passé. Sans réel talent on obtenait difficilement la consécration d’avoir une longue carrière. Cora était de ces gens là, de ceux qui avaient vraiment réussis et Elena comprenait que sa gentillesse était une de clefs de ce succès. Elle prit la bouteille, reconnaissante, avant de boire de grandes gorgées, mon dieu ce que ça faisait du bien ! « Oh merci, j’avais vraiment soif en fait. » Elle jeta un œil à ce qui restait de liquide et grimaça. « Je t’en achèterai une autre, désolée. » Ses paroles étaient rassurantes, elle avait bien conscience que ce métier était difficile, qu’il demandait beaucoup de travail, parfois non rémunéré, des heures de répétitions, des heures à attendre pour savoir si oui ou non, on correspondait au profil voulu, du temps passé à répondre à des annonces en ligne. Elle n’avait pas peur de ce genre de choses, le travail elle connaissait, était même acharnée, ce qui l’avait menée sur le haut des podiums à une certaine époque. Ce qui lui faisait vraiment peur et qu’elle n’admettrait jamais, c’était d’y arriver. Car réussir signifiait également qu’elle pouvait à nouveau tomber et elle ne le supporterait pas une deuxième fois. Mais elle voulait croire qu’elle pourrait un jour y arriver. Peut-être était-ce la raison pour laquelle elle avait choisi la comédie et pas le patinage, parce qu’elle avait moins de risques d’y percer. Sans le savoir, elle se mettait des bâtons dans les roues à longueur de temps. Elle hocha la tête et refusa d’un geste de la main les sucreries qu’elle lui tendait. Si elle mangeait sucré, elle se connaissait, elle allait devenir ingérable et ce n’était pas le moment. « Je sais que c’est un métier difficile, parfois je me demande juste pourquoi je m’obstine dans cette voie. » Elle se releva doucement, en faisait attention à ne pas tomber, prête à accepter son invitation. La jeune femme ne pouvait cacher le plaisir que cela lui faisait et les biscuits qu’elle lui avait mit sous le nez lui avait rappelé qu’elle mourait de faim. « J’avoue que j’ai vraiment faim. Ca ne te dérange pas que je partage ta table ? » Après tout, elle avait peut-être envie de manger avec son équipe, ce qui était plutôt normal. Qui avait envie de déjeuner avec une pauvre fille dans son genre ?
« Oh merci, j’avais vraiment soif en fait. Je t’en achèterai une autre, désolée. » Elle éclate de rire, sans méchanceté. Elena est adorable. Et polie. C’est surtout ça qui amuse Cora sur le moment. Elle espère que ça ne sera pas mal interprété. C’est bien rare qu’elle se heurte à autant de simplicité. « Tu sais, c’est qu’une bouteille d’eau. Ils m’en donnent une avant que j’vous donne la réplique. » Oui, parce que mine de rien deux dizaines de candidats se sont présenté devant elle ce matin. Beaucoup de chose à dire. « Tu en as plus besoin que moi. » Et surtout, Cora ne va pas courir après. Elle préfère être aux petits soins et proposer à la jeune femme d’avaler un petit quelque chose pendant qu’elle semble un peu plus détendue. Elle essaie de ne pas le montrer, mais elle s’inquiète alors qu’il n’y a peut-être aucune raison réelle de le faire. Peut-être que la jeune femme s’est juste privée une fois. Qu’elle refuse d’avaler un petit quoi que ce soir ne calme pas la paranoïa de Cora. Il faut pourtant qu’elle arrête. Après tout, c’est la dure réalité de la vie. Ces filles qui veulent être actrice et abandonnent tout pour finir par se retrouver à faire des strip tease face à des producteurs lubriques. « Je sais que c’est un métier difficile, parfois je me demande juste pourquoi je m’obstine dans cette voie. » Elle ne sait pas quoi répondre. Tout a été si facile pour elle. Enfin, grâce à maman. C’est maman qui s’est obstinée pour elle, pour qu’elle devienne une actrice. Cora hausse les épaules pour montrer qu’elle ne sait pas trop. En général, c’est le rêve de gloire qui pousse à aller dans cette voie. « Tu sais, si on avait tout tout de suite beaucoup d’expérience ne vaudraient pas d’être vécu. Les rêves, c’est un sacrifice, mais faut pas les abandonner parce que quand tu y es et bien tu y es. Et personne ne pourra t’enlever ça. » On pourrait se demander si elle ne parle pas pour elle. Au final, même si maman la fait connaître, c’est bien Cora qui a fait les sacrifices. Sa jeunesse. Son couple. Sa vie privée. Son bébé. Elle tente de ne pas y penser. Ce qui est important là, c’est d’aider Elena. Cette dernière qui a l’air d’avoir bien de la peine à tenir sur ses jambes. « J’avoue que j’ai vraiment faim. Ça ne te dérange pas que je partage ta table ? » Nouveau sourire. Cora se relève bien vite. Un geste qui ne fait que montrer la différence d’énergie entre les deux femmes. « Bien sûr que non. Sinon, je ne te l’aurais pas proposé. » C’est adorable la timidité. Elle pourrait aller manger avec les autres de l’équipe, mais elle préfère cent fois s’assurer qu’Elena ait quelque chose dans le ventre. « Tu souhaites un restaurant en particuliers ? » Elle n’a pas de grande directive. « J’te laisse choisir. On pourra parler de ta gestion du stress. J’espère que je ne te fais pas trop peur pour l’audition tout à l’heure. » Elle essaie de la détendre. « Tu as quel âge Elena ? »
Un peu dans les vapes, secouée par les derniers événements , Elena n’avait pas songé qu’effectivement, l’actrice ne s’était sûrement pas procuré sa bouteille toute seule. Elle n’avait en tête que la gentillesse qu’elle avait à son égard. Aussi, elle ne put s’empêcher de se trouver un peu stupide. Sa main vint cacher son visage pour éviter de le lui montrer et elle hocha rapidement de la tête pour acquiescer. « Merci, c’est gentil. » Sa voix était petite, timide. Pourtant, elle essayait de ne pas songer au fait que la personne inquiète pour son état de santé était une personne reconnue, célèbre, qui devait vivre d’autres expériences qu’elle et qui n’avait aucun intérêt à lui porter de l’attention. Et pourtant, elle était là, à vouloir la rassurer, à vouloir s’occuper d’elle. La blonde avait perdu tous ses moyens et toute contenance. Elle se sentait fragile et apeurée. Ridicule en somme. Et si elle était d’accord avec les propos de la rousse, elle ne pouvait s’empêcher de penser que tout devait être plus facile pour elle. Maintenant, elle avait un nom, une place dans le milieu. Même si elle faisait un flop demain, elle avait de grandes chances de pouvoir rebondir après. Alors, certes, ce métier est des plus incertains, la foule qui vous soutient peut du jour au lendemain décider de vous lâcher et tout fini par s’effondrer, rien n’était jamais sûr, il fallait s’accrocher continuellement. Et pour ça, Cora méritait pas mal d’admiration. Ne sachant que lui répondre, elle se contenta de hocher la tête par la positive, laissant un petit sourire timide naître à la commissure de ses lèvres. Cora était adorable, pas hautaine pour un sou et en plus elle lui proposait d’aller manger. Aussi bien pour contenter son estomac qui s’était réveillé que sa curiosité d’actrice, la jeune femme accepta. Partager un moment avec elle ne pourrait être que bénéfique. Son expérience et sa maturité dans le milieu lui permettraient d’y voir plus clair. Par contre, elle aurait largement préféré ne pas avoir à choisir. « Heu… Je m’y connais pas trop. Ca a l’air bien ça non ? » Une brasserie au bout de la rue qui semblait plus que correcte lui faisait de l’oeil. Elle ne voulait pas non l’emmener dans un endroit miteux, ça aurait été assez stupide. Tout en s’y rendant, Cora s’intéressa un peu à elle. « J’ai vingt-six ans. » Une fois de plus, on avait dû la prendre pour plus jeune que son âge. De toutes manières, le rôle demandait une apparence entre vingt et vingt-trois ans. Un peu précis, mais sa bouille enfantine lui avait permis d’accéder au casting, elle n’allait pas s’en plaindre. Après avoir fait retentir la sonnette du restaurant, elles allèrent s’installer à une table au fond de la salle. « Mais on a le temps au moins ? » Elena n’était pas du genre inquiète, mais elle n’aurait pas voulu mettre sa bienfaitrice dans l’embarras. Elle jeta un œil à la carte, les prix n’étaient pas excessifs, mais les plats semblaient bons. La salade de chèvre chaud lui faisait de l’oeil. Pour répondre à son inquiétude tout à l’heure, Elena passa sa main dans ses cheveux, histoire de reprendre un peu du poil de la bête. « Je suis pas certaine d’y retourner pour être honnête. » En le disant, elle prenait conscience de la bêtise de ses paroles. Elle avait la chance de pouvoir manger et discuter avec sa future partenaire de jeu, de pouvoir sympathiser avec elle, ce qui lui donnait un avantage certain par rapport aux autres. Surtout au niveau du stress, elle n’avait pas envie que Cora dise quoi que ce soit à l’équipe technique. Le copinage très peu pour elle. Comme c’était étrange d’être là avec une actrice dont elle avait vu et apprécié les films !
Elle espère être assez supportive. Au final, on ne sait pas vraiment si on peut croiser leurs expériences. Cora a eu le succès très tôt, trop tôt certain dirait. Et c’est maman qui a construit tout cela. Certes, la jeune femme s’était débrouillée pour elle-même reconstruire sa carrière après avoir pris sa pause et tout envoyé balader. Mais serait-elle parvenue au même résultat si elle n’avait pas déjà été l’enfant chérie de toute l’Australie pendant dix ans? Probablement pas. Elle en serait sûrement au même point qu’Elena, à tenter les castings pour se faire connaître. Voilà pourquoi elle garde les pieds sur terre. Tout est une question de chance, et de persévérance. Après, aurait-elle suivi la même si elle avait pu grandir normalement ? Nous ne le saurons jamais. La jeune femme est timide à côté d’elle. A vrai dire, ils le sont tous. Les candidats de ce matin, ce qui est assez dommage mais après tout, elle n’a aucun pouvoir sur la façon dont on la perçoit. Elle fait de son mieux, voilà tout. Comme là, à écouter Elena et essayer de lui faire reprendre confiance en elle. Si elle est là déjà, c’est un accomplissement en soi. Si seulement Cora pouvait faire ça pour tout l’monde, donner un coup de main. Mais elle se contentera pour aujourd’hui d’un déjeuner avec Elena. Cora a faim, Elena aussi, c’est plus que probable. Il ne reste qu’à choisir l’emplacement, et de peur de choisir le mauvais endroit et qu’Elena refuse de se nourrir, Cora préfère lui laisser le choix. De toute façon, elle mange de tout elle. « Heu… Je m’y connais pas trop. Ça a l’air bien ça non ? » Elle hausse les épaules. Oui, ça lui conviendra très bien. « Bien sûr, ce sera parfait. » On peut facilement se dire qu’elle préfèrerait aller dans un restaurant un peu plus chic, mais ce n’est pas dans ces endroits là que l’on peut manger un plat vraiment nourrissant. Elle est adepte des grandes quantités. La brasserie semble idéale. Tout en y allant, Cora s’intéresse à Elena. Elle préfère lui faire parler d’elle pour l’aider à penser à autre chose. Et puis, elle lui semble bien jeune. Ça l’intrigue. « J’ai vingt-six ans. » Moins jeune que ce qu’elle pensait. Elena a l’air sortie tout droit de l’école, c’est mignon. Ou alors, c’est peut-être son air fragile qui la trompe. « D’accord. Dis-moi, tu cours les castings depuis longtemps ? » Simple curiosité. Elle entre dans l’endroit. Le choix se porte sur une table au fond de la salle, ce qui est bien mieux pour éviter qu’on ne la remarque. « Mais on a le temps au moins ? » Elle regarde sa montre et hausse les épaules. « Ne t’en fais pas pour ça, l’audition ne reprendra pas avant mon retour. Si on arrive en retard, on dira que c’est mon petit caprice. » Elle lui fait un clin d’œil. Evidemment, elle n’est pas sérieuse. Il y’a tout un tas de personne qui l’attendent et elle essaie au maximum de respecter l’emploi du temps de chacun. Surtout qu’il y’en a peut-être d’autre comme Elena qui attendent de pouvoir déjeuner. D’ailleurs, elle ne peut pas attendre longtemps et Cora n’a pas besoin de prendre beaucoup de temps à se décider. Elle sait déjà ce qu’elle veut. Elle laisse tout d’même le temps à Elena de faire son choix. « Je suis pas certaine d’y retourner pour être honnête. » Le sourire de la star s’efface pour laisser place à deux sourcils froncé. Ce serait une erreur. « Est-ce que c’est parce que je t’ai invité à déjeuner ? Tu sais, je n’ai aucun pouvoir sur la décision de la production, tu n’as pas à avoir peur du regard des autres. » Elle tente de savoir pourquoi. Autre chose lui que le stress en est peut-être la raison. « Si c’est le stress, il n’y a pas de quoi être mal à l’aise non plus, je suis sûre que tout se passera bien. Et puis, tu n’as rien à perdre à revenir. » Oui bon, c’est bien facile aussi de s’avancer sans connaitre.
Comment aurait-elle pu prévoir qu’elle se retrouverait assise là, avec Cora Coverdale, une actrice qu’elle appréciait depuis un certain temps déjà et qu’en plus cette dernière serait préoccupée par sa situation ? La vie est franchement imprévisible quand elle veut. Pourtant, la jeune femme aurait aimé pouvoir apprécier le moment, plutôt que de se sentir aussi mal. On ne choisit pas toujours ce genre de choses hélas. « Un peu plus d’un an je crois. » Et avec seulement trois courts-métrages et quelques figurations à son actif on ne pouvait clairement pas parler d’une réussite. Un soupir lui échappa qu’elle essaya de masquer avec un semblant de bâillement. Cora calma son appréhension face au choix du restaurant. La rousse devait avoir l’habitude de choses plus luxueuses, ce qui n’était pas le cas de l’italienne. Elle avait beau avoir côtoyé le beau monde pendant presque quinze ans, cela faisait longtemps qu’elle n’avait plus les moyens de manger dans des endroits hors de prix. C’est donc assez surprise, qu’elle posa son postérieur à une table dans le fond. Pas tout à fait sûre qu’elle plaisantait, Elena la dévisagea quelques instants, avant de sourire et de plonger son nez dans la carte. Après tout, elle n’avait aucun assurance que l’actrice ne soit pas du genre à faire des caprices à tout va. Ce n’était pas ce qui se dégageait d’elle, mais elle était comédienne après tout. Elena espérait tout de même sincèrement que ça ne soit pas le cas. De ce fait et surtout parce qu’elle craignait les jugements négatifs de la part des autres candidats, elle confia ce qu’elle avait sur le coeur depuis que Cora lui avait conseillé d’aller prendre l’air. Quelque part la réaction de l’actrice la fait sourire intérieurement, face à ce genre de moue, difficile de dire que vous êtes sérieux. Elle était obligée en quelques sortes d’y aller finalement. Elle hocha doucement la tête. « J’ai du mal avec les ragots… » Ils avaient failli lui coûter la vie, la méchanceté gratuite était facile et affreusement accessible à ces gens qui adoraient détruire des vies. Et aussi bien pour elle que la jeune femme en face d’elle, Elena craignait que cela n’arrive. Son partenaire en patinage en avait subi les conséquences dix ans en arrière lorsque les médias s’étaient tournés vers lui pour savoir s’il avait connaissance du trafic. Elle savait combien sa carrière s’était retrouvée menacée à ce moment là. Et ne souhaitait ça à personne. « Et puis... » Mais elle n’eut pas le temps de finir sa phrase puisque la rouquine semblait avoir comprit où elle voulait en venir. Oui, elle mourait de trouille de vomir son repas sur ses genoux au moment de lui donner la réplique. Mais au fond, elle n’avait rien à perdre, sauf si bien entendu, ses craintes se réalisaient. « Oui c’est vrai... » Le serveur passa prendre leur commande, elle laissa la main sa sauveuse du jour avant de commander la salade qui lui faisait envie. « Je n’ai pas toujours été comme ça, avant je faisais des compétitions nationales et je les gagnais. Je crois que j’ai surtout peur d’y arriver. » Elle n’avait pas envie de se justifier, mais elle n’avait jamais formulé à voix haute cette crainte qui la faisait cauchemarder la nuit. Pourquoi alors lui dire à elle ? Son instinct lui murmurait qu’elle saurait l’entendre. Et puis, quelque part, elle était un peu agacée de se faire materner de la sorte. Elle avait besoin de dire qu’elle pouvait aussi être forte. Mais, elle n’avait pas le courage de l’envoyer promener. Pas après qu’elle se soit occupée d’elle comme ça.
Elle prend le temps de s’intéresser à la jeune femme assise en face d’elle. Elle aime beaucoup apprendre à connaître les gens et puis avec l’expérience, elle a observé que de poser des questions, ça les mettait à l’aise et les amenait à parler de chose et d’autre, que l’on aborde parfois plus facilement avec une personne inconnue plutôt que proche. Bien sûr, cela ne vaut pas toujours pour tout le monde. Mais ça ne lui coûte rien d’essayer avec Elena. La jeune femme semble de manquer terriblement de confiance en elle, ce qui n’est jamais pas bon pour le domaine dans lequel elle s’oriente. Et quand bien même elle n’arriverait pas à remédier à cela, il faut apprendre à le cacher. Il n’est jamais bon de montrer qu’il nous arrive de douter. « Un peu plus d’un an je crois. » Seulement ? Nouvelle surprise. Cela ne fait pas si longtemps que cela qu’elle essaie. « D’accord, c’est donc récent. Tu as déjà réussi à avoir quelques contrats ? » Elle ne sait pas trop où elle veut en venir avec ses questions. Certainement remonter l’estime qu’Elena peut avoir d’elle-même. Après tout, un an et demi, deux ans tout au plus, c’est peu pour percer. Il est certain qu’on ne peut pas comparer avec la situation de Cora, mais sa mère lui a fait courir les castings pendant bien plus longtemps que ça avant que le succès ne vienne vraiment frapper à sa porte. Elle essaie tant bien que mal de mettre la jeune femme à l’aise, elle fait quelques plaisanteries, dont on n’est pas sûrs qu’elles fassent leur effet. Cora est très souriante, jusqu’au moment où Elena lui confie qu’elle ne reviendra sûrement pas faire l’audition. Elle ne sait pas si la jeune femme sera prise ou non, et elle ne veut surtout pas lui donner de faux espoirs. Mais passer une audition, c’est une manière de se faire connaître, d’attirer le regard d’un producteur pour peut-être d’autre projet. Et puis, c’est une chance. Elle ne veut pas la laisser passer sa chance. « J’ai du mal avec les ragots… ». ça, Cora peut comprendre. Mais, il faut savoir faire fi des autres pour continuer dans ce domaine. Elle n’est pas sûre qu’Elena ait conscience des choses et de leur réalité. « Et puis... » Cora la coupe sans gêne. Elle devine sans difficulté ce qu’il se passe dans la tête de la jeune actrice. C’est la même chose pour beaucoup d’entre elles. « Oui c’est vrai... » C’est déjà une victoire en soi que la jeune femme admette qu’elle a raison. Après tout, y’a plus à perdre qu’à gagner si elle venait à ne pas y aller. Après, le regard des autres est une réalité. Mais en comparaison aux jeunettes qui n’hésitent pas à coucher pour ces auditions, on ne peut pas dire qu’Elena devrait avoir honte d’avoir partagé une table avec Cora. Vraiment, que quelqu’un jase, elle ne le laisserait pas faire tellement ce serait gratuit comme méchanceté. « Je n’ai pas toujours été comme ça, avant je faisais des compétitions nationales et je les gagnais. Je crois que j’ai surtout peur d’y arriver. » « C’est vrai ? Quel genre de compétition ? » Oui, sa curiosité est piquée. Malheureusement, Cora n’est pas du tout branchée sport, alors aucune chance qu’elle ne la reconnaisse, mais sait-on jamais ? « Pourquoi tu aurais peur ? » poursuit-elle avant de se rendre compte. « Désolée, je suis très curieuse. » Elle profite du silence qui s’en suit pour faire signe au serveur de venir prendre leur commande. Après tout, elles restent pressées. « Bonjour, je voudrais une assiette de frite avec une eau gazeuse. Est-ce que c’est possible de me mettre une part de gâteau à emporter ? Nous n’avons pas longtemps. » Les commandes prises, elle reprend sa conversation. « Tu sais, je pensais à ce que tu me disais sur les ragots. Je ne voudrais pas paraître trop dure mais, c’est la rançon du succès. Il y’aura toujours quelqu’un pour être méchant gratuitement et critiquer. J’y étais très sensible quand les réseaux sociaux ont commencé à sortir parce que c’était vraiment la première fois que je recevais autant de haine. » raconte t-elle en riant pour camoufler la gêne. « Mais, j’ai appris à me blinder. Et il faut commencer le plus tôt à le faire, c’est juste de la jalousie, ça montre que tu fais les choses bien. »
Si le fait que l’on s’intéresse à elle ne déplaisait pas tout à fait à Elena, une petite voix au fond d’elle commençait à s’agacer de ce ton protecteur et infantilisant qu’employait l’actrice envers elle. Elle aurait aimé pouvoir recevoir ces conseils sans mal le prendre et simplement s’entendre dire ce dont elle avait besoin, mais depuis toujours elle avait tendance à repousser les gens bien pour elle. Son oncle William en était le parfait exemple. Si à la base, Brisbane semblait le lieu parfait pour refaire sa vie puisque le dernier membre de sa famille en qui elle pouvait avoir confiance y habitait, il avait lui aussi contribué à lui faire regretter sa décision. Il était paternel, inquisiteur et s’il ne lui en voulait plus pour l’enterrement de sa sœur, il essayait toujours de la tirer vers le haut. Et Elena détestait ça, elle aurait aimé qu’on la laisser chuter en paix. Mais aujourd’hui, elle voulait faire l’effort d’écouter ce qu’on lui disait et de prendre en compte tout ça, aussi essaya-t-elle de ne pas envoyer Cora sur les roses. D’un petit geste de la main elle montra à quel point ce qu’elle avait fait était futile. « Deux, trois courts-métrages, quelques figurations, rien de transcendant quoi... » Peut-être qu’en lui posant ces questions la rousse espérait lui faire prendre conscience qu’elle n’était pas nulle. Ce qu’elle savait bien, elle ne savait juste pas comment gérer la pression des auditions et son manque de volonté. Du coup les efforts de Cora tombaient un peu à l’eau et pour éviter de paraître vraiment agaçante, Elena lui offrit un petit sourire. La jeune femme semblait faire tant d’efforts pour la mettre à l’aise, faire en sorte qu’elle se sente mieux, elle ne pouvait clairement pas tout démolir à chaque réponse. Elle essaya de lui expliquer, mais sa partenaire de tablée semblait avoir comprit qu’elle se cherchait des excuses et débusqua ses lamentations, ce qui eut pour effet de faire sourire un peu plus la blonde et la poussa même à se confier. Chose rare et qu’elle n’offrait qu’à très peu de personne ; sauf sous l’effet de l’alcool mais c’était autre chose. C’est tout naturellement qu’elle excusa la curiosité de la demoiselle, elle restait si évasive, avoir envie de savoir semblait tout naturel. « Je faisais du patinage artistique en Italie. » Une jolie période de sa vie, mais elle évitait de trop en parler pour éviter que quelqu’un à la mémoire d’éléphant ne fasse le lien entre elle et le scandale autour de sa famille. Elle avait suffisamment perdu dans cette histoire. De ce fait répondre à sa deuxième question restait délicat, la peur de réussir pour tout perdre à nouveau était bien présente, mais elle ne pouvait pas lui confier sans se mettre complètement à jour. Profitant de son silence, le serveur vint prendre le commande. Une fois chose faite, Cora se lança dans une sorte de sermon qui renfrogna un peu plus la voix intérieur de l’italienne. « C’est sûr que grâce aux réseaux sociaux, les gens jaloux et méchants sont bien contents. Mais la presse ne les a pas attendus pour détruire des vies... » Elle faisait bien entendu allusion à sa propre histoire, mais ça, la demoiselle ne pouvait pas le savoir. Et même si elle avait le sentiment qu’elle pourrait tout à fait se confier sans être jugée, elle préférait éviter de reparler de cette période douloureuse. « J’ai peur de réussir et que tout s’écroule. » Et d’enchaîner rapidement devant l’air surpris de Cora. « Je sais, c’est un risque à prendre et c’est irrationnel comme peur, mais elle m’empêche de me donner les moyens. » Au moins, elle exposait le problème sans risque de devoir parler des sujets qui fâchent et sans faire fi de ce qu’on lui disait. Elle fut prise de l’envie d’en savoir plus sur celle qui l’avait invité à manger. « Tu as eu le rôle comment ? Et vous allez tourner où ? » Oui, elle était curieuse, mais sa voix s’était renforcée et son visage illuminé lorsque la curiosité s’était emparée d’elle. « Enfin, si tu veux bien en parler ! » Elle ne voulait pas être intrusive et espérait que Cora avait comprit qu’elle ne serait du genre à tout exposer sur son mur ou à appeler un tabloïd pour tout raconter. A la sortie des cuisines, elle vit le serveur arriver avec leurs assiettes et elle dégagea un peu la table pour lui laisser la place. « Il arrive, ça a été rapide ! » Sûrement l’effet de la célébrité.
Elle comprend Elena, et en même temps, pas vraiment. Cela dit, ce n’est guère surprenant étant donné qu’elles restent des inconnues et que malgré tout l’intérêt que Cora peut porter à la jeune femme, ce rapport ne changera pas d’ici la fin de la journée. Ce n’est pas triste, c’est juste comme ça. Elle ne prétend pas pouvoir arriver à un miracle, mais déjà lui faire comprendre qu’il faut persévérer dans cette voie serait une victoire. Elena n’a que vingt-six ans, c’est bien trop jeune pour être aussi défaitiste, surtout alors qu’elle parait au moins cinq ans de moins. Elle peut avoir une carrière, il suffit de vouloir s’en donner les moyens et de se relever après les coups durs. « Deux, trois courts-métrages, quelques figurations, rien de transcendant quoi... » Euh. Cora reste interdite quelques minutes. Rien de transcendant ? C’est déjà pas mal de son avis à elle. Mais l’expérience et l’ambition sont différentes pour chacun. L’attitude de la jeune fille à son égard lui indique qu’elle ne devrait pas s’orienter à tenter de lui faire comprendre qu’elle a tort. De toute manière, il n’est jamais avisé de le faire avec un inconnu, surtout quand celui-ci n’a pas l’air de vouloir et pouvoir encaisser ce genre de propos. Si elle ne va pas plus loin sur ce sujet, elle ne peut néanmoins garder le silence lorsqu’Elena lui avoue ne pas avoir l’intention de revenir passer l’audition. Ce serait tellement une magistrale erreur aux yeux de Cora qu’elle se sent obligée de savoir pourquoi et de lui conseiller de revenir. Cela amène la blonde à parler un peu d’elle, de ses peurs que Cora comprend parfaitement. Cela l’amène à parler aussi de son histoire, ce qui pique à nouveau la curiosité de l’actrice. « Je faisais du patinage artistique en Italie. » Et bien, et dire qu’elle-même ne sait pas tenir sur la glace. Elle est admirative. « Vraiment ? Wow, c’est un sport vraiment beau. » dit-elle avant de se retenir de lui demander pourquoi elle a arrêté. Si ça l’a changé, c’est pour une bonne raison. Et Cora arrive à retenir sa curiosité. Et bon, le serveur qui vient à les interrompre aussi. Elle reprend la conversation sur les autres, l’audition, parce qu’elle tient à ce qu’Elena la fasse même si pour cela elle doit prendre un ton moralisateur. Elle ne peut pas s’en empêcher. En même temps, si elle n’explique pas à Elena qu’il faut savoir se blinder, elle doute que la jeune femme parvienne à s’en sortir. Le cinéma, c’est un monde hostile où tout l’monde veut la place de celui qui réussit, quitte à faire tomber des têtes. Elle-même, elle est passée par là, et maintenant elle doit jouer le jeu des médias. « C’est sûr que grâce aux réseaux sociaux, les gens jaloux et méchants sont bien contents. Mais la presse ne les a pas attendus pour détruire des vies... » En effet, mais en dessous des articles dans les magazines, on ne retrouve pas les commentaires méchants de totales inconnus. Et puis, il y’a toujours moyen d’empêcher un article d’apparaître. Mais vu le ton d’Elena, il y’a plus derrière. Cora ne sait pas quoi répondre sans chercher à en savoir plus. « J’ai peur de réussir et que tout s’écroule. » Au final, Elena est très contradictoire. Cora le comprend maintenant. « Je sais, c’est un risque à prendre et c’est irrationnel comme peur, mais elle m’empêche de me donner les moyens. » Elle ne sait pas quoi répondre à cela. Elle devrait alors se prêter à un nouveau discours moralisateurs, vu l’air ennuyé de la jeune femme. Elle ne sait pas si c’est une bonne idée, cela risquerait plus de la décider pour de bon à abandonner l’audition. « Tu décides ce qui est le mieux pour toi, fais ce que tu regretteras le moins. » dit-elle pour tout conseil et conclusion. Ce n’est sûrement pas en un repas que les choses changeront. « Tu as eu le rôle comment ? Et vous allez tourner où ? » demande Elena en changeant de sujet. « Enfin, si tu veux bien en parler ! » Oh, ça n’allait pas déranger Cora, surtout après avoir posé autant de question à la blonde. « Et bien. » dit-elle en réfléchissant. « Patrick, le producteur m’a contacté. Enfin, mon agent plutôt et il y’avait un trou dans mon emploi du temps, le scénario me plaisait. J’ai fait des bouts d’essai et il m’a gardé. » explique t-elle, un peu honteuse d’avoir à avouer qu’elle n’a pas eu à passer par la case audition comme beaucoup. Enfin, y’a eu des auditions, mais le choix était déjà pris. « La majeure partie du film sera tourné ici à Brisbane en studio, on aura une semaine à Sydney et une autre dans le désert, mais je n’en sais pas plus en encore. Il manque les autorisations parce que ce serait dans un coin protégé. » explique t-elle avant de s’interrompre. « Je suppose que vous n’avez pas eu le scénario entier ? » Rhétorique. Si elle l’avait eu, la jeune femme aurait été sûre d’avoir le rôle. « Faut pas que je t’en dise trop alors sur l’histoire. J’ai signé une clause de confidentialité, mais ce que je peux te dire c’est qu’il y’aura pas mal de scène en plein air, ce qui est plutôt cool. » Le serveur arrive avec leur commande et les yeux de Cora s’ouvre en grand. « Il arrive, ça a été rapide ! » « Oui, heureusement. Il va falloir qu’on soit de retour rapidement. » ajoute t-elle avant de se rendre compte qu’elle n’aurait peut-être pas du inclure Elena dans ses prédictions, bien qu’elle espère vivement qu’elle la suivra.
Depuis près de dix ans, Elena ne voyait pas la lumière, prétendait ne pas la voir du moins et semblait souhaiter l’éviter à tout prix, comme si cette dernière pouvait la blesser. On ne se relève pas facilement de blessures comme les siennes et elle avait beau essayer, elle avait du mal à accepter les mains tendues. Comment être sûre que cette même main ne la pousserait pas en arrière aussitôt après ? Cora semblait un peu perturbée par son défaitisme conséquent, mais Elena s’en fichait un peu. Elle avait passé l’âge où l’on cherche absolument à aller dans le sens des autres. « Oui, c’est difficile aussi. Je me suis blessée au dos. Maintenant je donne des cours aux enfants. » Ce n’était pas tout à fait un mensonge, juste une omission. Après tout, aujourd’hui elle n’aurait pas pu reprendre une carrière professionnelle, lorsqu’elle avait tenté des figures la dernière fois, elle avait fini à l’hôpital sous anti-douleurs. Et cela évitait à l’actrice de se poser des questions sur le pourquoi du comment. Même si au fond, rien ne l’empêchait d’aller chercher plus loin sur internet et de tomber sur l’un des articles qui avait fait éclater la vérité. Heureusement, sa tentative de suicide était passé légèrement à la trappe, cela restait assez secret. Si Cora semblait prête à lui changer les idées et à essayer de la motiver, elle n’avait pas non plus l’air d’avoir envie de se battre trop longtemps. Qu’Elena soit là où pas pour passer l’audition ne changerait rien à sa vie, Elena comprenait tout à fait qu’elle ne veuille pas se prendre la tête. Elle tourna le regard vers l’extérieur comme pour y trouver une réponse. Regretterait-elle de ne pas y être retourné ? Très certainement, d’autant qu’elle se sentait plutôt bien en la présence de Cora et qu’ainsi elle avait sûrement plus de chance d’y arriver. Et le fait d’avoir l’estomac plein l’aiderait à ne pas s’effondrer en plein milieu. Mettant de côté ses doutes un instant, elle préféra s’intéresser à la rousse et à ce qu’elle pouvait faire dans le milieu du cinéma. Ses yeux s’agrandirent sous l’excitation et l’admiration. Qu’est-ce que ça paraissait chouette d’en être à ce niveau là, à ne plus avoir à marchander pour être prise, mais à accepter ou pas les rôles. Un petit ah admiratif lui échappa. « Ralala j’aimerai tellement en être là. Bravo pour le rôle du coup ! » Elle ne voulait pas lui faire croire qu’elle la prenait pour une parvenue ou quoi que ce soit, elle était consciente du travail que ça demandait pour réussir à être connue. Elle devait avouer qu’entendre ainsi parler du film reboostait son envie de passer l’audition et d’être prise. Elle s’imaginait déjà donner la réplique à d’autres acteurs dans un studio ou sous le soleil australien. Elle entama sa salade qui était très appétissante et finissant sa bouchée, elle bu un peu d’eau pour se rincer la bouche. « Tu me donnes envie tu sais ? Je sais pas si tu fais exprès ou pas, mais ça marche ! » Elle prit le temps de reprendre une fourchette avant de continuer sous un faux ton accusateur. « Tu as gagné ! Je vais venir passer l’audition. » La boule de stress qui l’avait quittée au moment de s’installer à table venait de reprendre sa place dans son estomac. Elle dût poser ses couverts pour souffler un coup. « Désolée, le fait de l’avoir dit, pfiou le stress qui revient ! » Un petit rire lui échappa face au ridicule de la situation et elle recommença à manger. Du coup, elle allait devoir faire assez vite si elle voulait y aller.
« Oui, c’est difficile aussi. Je me suis blessée au dos. Maintenant je donne des cours aux enfants. » Elle imagine bien. C’est un sport dont les prouesses demandent un véritable travail et engagement. Elle se sent désolée pour Elena qui n’a certainement pas pu aller au bout. Elle entrevoit mieux la jeune femme, cependant, elle se garde de lui poser plus de questions. De toute manière, elle ne voit pas quoi ajouter de plus. Elle pourrait lui poser des questions sur ses cours, enchérir sur sa réponse. Mais, ce serait un peu remuer le couteau dans la plaie non ? Alors elle se garde. Et puis, y’a son assiette de frites qui vient tout juste d’apparaître devant elle et il ne faut jamais plus d’une assiette pleine de graisse pour détourner Cora de ses pensées. Du moins celle-ci, car elle a toujours à cœur d’amener Elena à cette audition. Elle veut qu’elle fasse ses preuves, qu’elle ait une chance. De toute façon, même si la jeune femme n’est pas prise. Cora se met en tête de l’aider dans sa quête du rôle. C’est ce qu’elle conclut dans sa tête tandis que la blonde se met à lui poser des questions sur le film à venir. Cora essaie de répondre tant bien que mal, elle n’est pas habilité à raconter le film, surtout alors que celui-ci est encore au stade de pré-production. Mais elle en parle, et en le faisant, elle observe l’intérêt grandissant d’Elena pour ce qu’elle raconter. C’est bien vil de sa part de profiter de l’intérêt de la jeune femme pour l’amener à revenir. Mais, ce n’est pas pour une mauvaise cause. Si ? « Ralala j’aimerai tellement en être là. Bravo pour le rôle du coup ! » Elle répond d’un sourire, un peu gêné parce qu’il faut dire, le recrutement ne s’est pas fait de façon égalitaire avec tous les autres. Mais qu’y peut-elle ? Elle en ferait sûrement de même si elle avait un film à charge. Cora se remet donc à engloutir son assiette de frite, en espérant que son appétit ne choque pas trop. « Tu me donnes envie tu sais ? Je sais pas si tu fais exprès ou pas, mais ça marche ! » Haha. Elle s’applaudit mentalement. « Tu as gagné ! Je vais venir passer l’audition. » double applaudissement. « Aah ! en voilà une idée qu’elle est bonne. » dit-elle en se réjouissant. Elle essaie de ne pas trop en rajouter, de peur qu’Elena se brusque. Désolée, le fait de l’avoir dit, pfiou le stress qui revient ! » Le regard de Cora change. Elle s’inquiète. « Hey » dit-elle pour attirer son regard. « Tu dois te détendre. Si tu accélères comme ça tu vas faire grimper le stress et ça va t’amener tout droit au surmenage. » Tout d’un coup, elle se remet en tête les paroles qu’Eireen avait prononcé qu’elle-même, elle se calme. C’est dur en observant Cora avec les yeux d’Elena d’imaginer qu’elle pouvait stresse pour tout et rien. « L’audition se fait avec moi. Fais abstraction du reste. » dit-elle. Bien évidemment, c’est plus facile à dire qu’à faire. Seulement, y’a jamais de solution miracle dans ces situations là.
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