Elle avait appris son retour depuis quelques semaines. A vrai dire, elle avait pris bien soin d’éviter tout contact par téléphone avec lui. Elle n’avait répondu à aucun appel, aucun message. Elle avait appris au détour d’une conversation qu’il était rentré et avait feint de ne pas s’en préoccuper. C’est douloureux quand elle repense à leur dernière conversation. Et chaque rappel ne fait que lui rappeler sa rancune et efface le manque qu’elle peut avoir de ne plus être en contact. De ne plus avoir quelqu’un pour être responsable d’elle. Il l’a déçu. Elle s’est sentie comme rien, comme si elle n’était pas assez proche de lui pour pouvoir l’aider à mieux vivre. Et surtout, il lui a fait le reproche le plus innommable. Celui qui la pousse à s’en tenir éloignée. Et pourtant, chaque vendredi soir depuis un mois, c'était toujours la même chose. Plutôt que d'aller faire la bringue. Aller en boite, au concert ou même se payer des stripteases dans des bars entre amis. Elle était là, à faire les quatre cent pas en bas de chez lui sans trop savoir ce qu’elle peut espérer d’une rencontre. Elle l’a évité après tout. Et qui sait, elle est bien capable de sauter dans le premier buisson si jamais celui-ci apparaissait juste pour pouvoir continuer à éviter la confrontation. Le rituel est toujours le même. Elle est là. Elle tourne. Elle fait demi-tour. Puis se décide à sonner. Et enfin, elle abandonne en espérant que la semaine suivante elle y parviendra. Il y’a de la peine à l’intérieur de Cora. De la colère et de la rancune aussi. Mais surtout de la peine d’être en froid avec la seule personne qui est comme de la famille, plus proche d’elle que son proche jumeau. Enzo, son véritable grand frère. Et ce soir ne déroge pas à la règle finalement. Elle s’approche mais ne sonne pas avant de tirer sa révérence. Peut-être que ça restera comme ça et qu’elle s’habituera. Elle tente de ne pas s’en rendre malade. Elle prend le chemin pour rentrer chez elle. C’est loin. Mais elle a besoin de marcher pour mieux réfléchir. C’est ce qu’elle fait toujours. Sauf que d’ordinaire, elle évite les heures tardives. Ce soir, elle ne fait pas attention. Qui sait l’heure qu’il est ? Elle marche en observant le sol, sans même penser à regarder devant elle quand quelqu’un attrape son bras. « On est seule mademoiselle ? Viens, je t’offre un verre. » Voilà qui lui apprendra tiens, à s’balader comme ça. « Non, je … » « Allez, viens j’te dis. On va boire et tu vas m’dire ce qui t’rend si triste. » « Non mais … Laissez moi ! » commence t-elle à crier. Elle a peur. Ce type. Il lui fait vraiment peur à la tirer vers lui. « Hey mais, toi, je t’ai déjà vu » Elle commence à s’débattre avec pour seule vision en tête, la une des journaux de demain : Un star se fait agressée en pleine rue.
Parfois je sentais comme une présence. Sûrement une simple ombre qui passe derrière ma fenêtre, ou une bourrasque de vent qui fait bouger un peu trop un arbre, je ne saurais dire. Mais je n’y prête pas plus attention d’habitude. Sauf ce jour-là. J’étais persuadé que c’était une silhouette. Et je me suis mis à psychoter. Certainement pour rien, mais dans mon métier on est jamais trop prudent. Après tout, j’ai fait arrêter bien trop de personnes pour laisser place à de l’incertitude et du manque de vigilance. Surtout que cette impression d’être espionner ne date pas d’hier. Alors forcément aujourd’hui, ou plutôt ce soir, je me suis décidé à aller voir. Et peut-être un peu trop tard, parce qu’il n’y avait personne. Evidemment. Je me suis trop posé de questions. La prochaine fois si ça arrive de nouveau, je ferais en sorte d’être plus réactif. Mais à peine voulais-je faire demi-tour que je vis deux silhouettes au loin s’agiter d’un peu trop. Je ne pouvais pas vraiment voir qui s’était, mais mon instinct de survie pour les autres prit directement le contrôle et je me suis rapproché à grand pas pour voir si rien de grave n’arrivait. Quand je me suis alors rendu compte que c’était Cora, la Cora que j’avais considéré comme ma troisième petite sœur que je n’avais revu depuis des mois à cause de mon exil et de son silence par la suite, je n’hésitais pas un seul instant à courir vers elle pour l’ôter des sales pattes qu’un type osait mettre sur elle. Je l’entendais crier et ça me mettait dans une rage folle, tellement que j’attrapais le type par une seule épaule, le faisant se dégager rapidement et peut-être un peu trop brutalement mais ça fonctionnait, et j’en profitais pour lui mettre une belle droite qui le fit s’écrouler royalement par terre. Je me tournais alors vers la rouquine, le regard paniqué en lui demandant Il t’a fait du mal ? Peu importe ce qu’on avait traversé par le passé, là tout de suite je ne pensais qu’à son bien être.
Elle n’est pas ce que l’on peut appeler du genre à garder son sang-froid. Cora, c’est une princesse. Elle a été élevée sous les feux des projecteurs, loin de toute violence. Dans une cage dorée. Et si violence il y’avait, elle était mise en scène et interrompu par le mot « coupé » du réalisateur qui avait écrit la scène. Jamais, au grand jamais, elle ne s’était heurtée à quelqu’un qui pouvait lui en vouloir physiquement. Mais ce soir, avec ce type qui tient son bras et qui ne veut pas la laisser partir, cela change. Elle commence à hausser le ton, pensant sérieusement qu’elle peut se défendre seule mais rien n’y fait. Sa main se serre de plus en plus fort. « Vous m’faites mal ! Laissez-moi. » Il la tire vers elle. Elle a vraiment peur. Des nœuds dans son estomac. Elle ne pleure pas, mais si elle doit lui adresser la parole encore, elle risque d’éclater. Après tout, qui lui avait déjà voulu du mal ? Personne. Jamais comme ça. « Mais si, je t’ai vu. T’es une star c’est ça ? » Parce que ces types, ça leur arrive d'aller au cinéma au lieu du strip-tease ? C’est encore plus dur de lui répondre. De rétorquer et d'avoir l'air forte. Heureusement, elle n’aura pas le temps de le faire. Il va la lâcher. Très rapidement. Mais pour ça, il faudra que quelqu’un arrive pour venir à son secours. Elle n’a que le temps de senti la main qui la lâche et de voir le gars par terre. Son premier réflexe sera de porter ses mains à sa bouche. Elle ne pleure pas, mais presque. Elle a vraiment peur. Une peur qui s’estompe dès qu’elle aperçoit que c’est Enzo qui est venu à son secours. C’est un soulagement. Malgré les années, il semblerait que ce soit toujours sur lui qu’incombe la tâche de la protéger. « Il t’a fait du mal ? » Elle hoche la tête. « Non, non ça va. Il m’a juste fait peur je crois. » Elle observe l’homme au sol. Et il se serait passé quoi s’il y’avait pas eu Enzo ? Et puis, qu’elle idée aussi de venir traîner aussi tard ? Elle, la petite fille en cage dorée. Elle aurait du y penser plus tôt. « Oh mon dieu, j’ai eu vraiment peur » dit-elle en le réalisant soudainement. Quelle idiote. Elle déteste comment elle se sent. C'est la première fois qu'elle réalise combien elle peut être faible.
Ce genre de peur, de stress, il m’arrive assez rarement. Du moins aussi amplifié. J’avais senti mon cœur s’accélérer à une vitesse folle, tellement que je me sentais capable de casser tous les murs alentour. Mais non, je ne faisais que faire tomber à la renverse le pauvre type qui voulait faire du mal à mon ancienne cliente devenue amie et devenue amie éloignée. Peu m’importait le statut de notre relation, elle est tout aussi importante pour moi, elle l’a toujours été et le sera certainement toujours. D’où mon coup de poing bien placé et bien fatal pour ce type qui tenait à peine sur ses jambes. Je m’en fichais bien d’éventuels représailles, je ne risque rien vu mon métier et surtout vu la situation dans laquelle j’ai dû abuser de la violence. En attendant, j’étais bien soulagé quand elle me dit qu’il ne l’avait seulement fait peur. C’est déjà bien trop, mais il avait de la chance tout de même. Je le fixais alors qu’il respirait à peine. Je me fichais bien qu’il douille de la sorte, je ne l’ai pas assez frappé fort pour qu’il ne se relève jamais. Faut pas déconner non plus. Et puis ça ne doit pas être son premier coup de poing en pleine face tout de même. Peut-être que si après tout. J’entendis alors Cora s’exclamer comme quoi elle avait vraiment eu peur, et un nouveau pincement au cœur se fit ressentir. Mais surtout de l’inquiétude. Tu ne devrais pas traîner aussi tard le soir toute seule. Lui disais-je plus par conseil que par réprimande, même si cette dernière était un peu présente. Mais c’est que je redoutais l’hypothèse que je n’aurais pas été là. Et si elle s’était faite kidnapper, et si elle s’était faite violée ? Je ne crois pas que je m’en serais remis. Purement égoïste oui. Mais vu l’état de notre relation, je préférais rester distant à ce point-là. Après tout c’est elle qui n’est jamais revenue vers moi, c’est elle qui n’a jamais répondu à mes appels. Et elle sait très bien que je ne suis pas du genre harceleur, et même si ça me fait toujours de la peine ce n’est pas moi qui vais insister que retrouver notre complicité d’antan.
Quelques secondes de silence pour l’aider à reprendre ses esprits. Elle n’arrive pas à défaire son regard du type par terre. Enzo a l’air de l’avoir sacrément bien assommé et il ne s’en remet pas. C’est tout ce qu’on gagne à menacer quelqu’un. Dans sa tête, elle se fait tous les films possibles sur ce qui aurait pu arriver s’il n’avait pas été là. Ça ne l’aide pas vraiment à se calmer. Plus de peur que de mal, c’est certain. Mais la prise de conscience de combien elle peut avoir l’air sans défense face au monde est le plus difficile. C’est sûrement ça qui fait le plus mal, l’impuissance et de savoir que l’on n’est pas capable de se protéger seule. En lui répétant qu’elle a eu peur, elle n’arrive pas à croire ce qui vient de se produire. Elle digère, à son rythme. Heureusement, Enzo est vite arrivé. « Tu ne devrais pas traîner aussi tard le soir toute seule. » Elle lève les yeux vers lui. Est-ce que c’est vraiment le moment de la sermonner ? Elle pourrait lui rétorquer qu’il n’a qu’à pas vivre là où il y’a des criminels et pourtant elle ne le fait pas. Elle n’apprécie pas vraiment le conseil. Et ça se voit sur elle. Elle est là parce qu’elle voulait faire le premier pas, elle est à prendre avec des pincettes. Encore maintenant avec ce qu’il vient d’arriver. Déjà qu’il lui a fallu prendre pas mal sur elle pour arriver jusque-là. « Je venais te voir. » Elle lui répond sèchement. « Je n’arrive pas à rentrer tôt en ce moment. » D’où l’heure tardive à laquelle elle se promène. Elle ne pensait pas qu’Enzo serait couché à cette heure, et visiblement elle avait raison. Elle ne sait pas vraiment si sa réponse la justifie vraiment, ou même s’il en a quelque chose à faire vu leur dernière conversation. Elle est juste sur les nerfs. Elle ne veut pas en parler de toute façon, du moins pas tant que l’autre sera là à gesticuler par terre. Elle porte à nouveau le regard sur lui, si ça ne serait pas inutile, elle re-frapperait dedans. Elle le déteste pour la faire se sentir aussi inférieure. Finalement, elle reprend la parole. « Je crois que je devrais passer un autre jour. Je peux pas rester alors qu’il est là. » dit-elle en pointant du doigts le type en question. C’est aussi, et selon toute vraisemblance, qu’elle n’était effectivement pas prête à se confronter à son meilleur ami.
Je ne pouvais rien faire ou dire d’autre. Je ne pouvais que lui dire de faire plus attention, de ne pas traîner seule le soir, je ne vais pas jouer encore mon garde du corps super sympa et protecteur alors que je ne le suis plus du tout, je ne suis même plus son ami. Mais voilà que ça la dérangeait, normal et en même temps, que pouvais-je lui dire d’autre. Rien de mieux. Mais voilà qu’elle me disait sèchement après son regard assassin qu’elle était venue me voir. J’eus peur qu’elle en conclut que c’était donc de ma faute, mais je le ressentais un peu. Peut-être inutilement, donc je n’en tenais pas rigueur et je l’écoutais rajouter qu’elle n’arrivait pas à rentrer tôt en ce moment. Mais ce n’est pas ce qui me restait en mémoire. Elle était venue me voir. Mais comment ça se fait que je ne le sache pas ? C’était donc elle cette présence que j’avais senti tout à l’heure. Et les autres fois ? Je ne pourrais pas m’avancer. Pourquoi tu n’as pas sonné ? Lui demandais-je tout bêtement alors que le type qui l’avait agressé crier presque à l’agonie à côté de nous, mais je m’en fichais bien royalement. Mais Cora n’arrivait pas à lâcher son regard de son agresseur, avec cette peur et … je me trompe certainement mais je voyais une certaine agressivité également. Je ne la pensais pas capable de cela, mais cela paraît plausible après tout. Elle me fit alors savoir qu’elle repasserait, qu’elle ne pouvait pas rester en sa présence. Rien de plus compréhensible. Mon attention se reporta alors sur lui et répondais à Cora Tiens prend mes clés et va m’attendre chez moi. Je te raccompagne dès que je l’aurais emmené au poste. Je lui tendais les clés de chez moi, sans lui laisser vraiment le choix. J’aurais pu direct la ramener chez elle mais l’autre pervers aurait pu s’enfuir et il en était hors de question.
Elle ne sait pas trop où elle en est. Le silence règne et le temps qu’elle processe ce qu’il vient de se produire. Et puis, Enzo est là. Bien qu’il l’ait sauvé d’une possible agression, sa présence la perturbe. Visiblement, elle n’était pas prête à le voir. Elle n’arrive pas à décocher un mot. En temps normal, ce qui vient de se passer lui aurait donné envie de courir se loger dans ses bras pour se sentir à nouveau en sécurité. Mais voilà, il a fallu qu’il parte et qu’il la laisse sans nouvelle pendant des mois. Cora est tellement bornée et rancunière, c’est difficile pour elle de passer ça. Et pourtant, elle essaie. Enfin, elle essaie d’essayer parce que jusqu’à là, elle ne l’a pas approché. Peut-être aussi parce qu’elle s’attendait à ce que lui vienne. Mais non. Désormais, on sait lequel a le plus besoin de l’autre dans son quotidien, et l’incident qui vient de se produire n’est qu’un rappel. Un rappel qui met facilement Cora sur les nerfs et la blesse dans sa fierté. « Pourquoi tu n’as pas sonné ? » Comme si c’était évident ? Parce qu’elle est blessée, encore. Et que c’est pas évident de passer outre, surtout avec un tel caractère. Mais, toute sa colère, elle s’envole dès qu’Enzo pose la question. C’est comme s’il s’en voulait. « Je ne suis pas prête. » qu’elle lâche tout doucement, la voix un peu brisée. Non, même après des mois. Elle se sent con de l’avouer sur le moment, mais il n’y pas d’autres mensonges à raconter pour sauver sa fierté. Et puis de toute façon, c’est pas à un mètre de son agresseur qu’elle va faire la fière. Non, elle ne pense qu’à se sauver. Oublier sa soirée. « Tiens prend mes clés et va m’attendre chez moi. Je te raccompagne dès que je l’aurais emmené au poste. » Elle observe le porte clé, sans trop se décider si elle le prend ou pas. Ça va être dur, de parler avec Enzo. Mais, elle voit là un geste, vers elle. Elle ne peut pas ne pas suivre. Alors elle s’empare du trousseau en le remerciant à voix basse avant de marcher vers son appartement la tête baissée. Elle observe tous les cinq mètres Enzo et le type, jusqu’à ce que ceux-ci disparaissent. On dirait qu’Enzo a quitté son appartement dans la précipitation, ce qu’elle observe dès qu’elle entre. Elle n’ose pas trop pénétrer, ne se sentant plus vraiment la bienvenue. Elle se sent juste pas à sa place, et sale par-dessus tout, depuis que l’autre à porté la main sur elle. Elle file donc à la salle de bain, passe de l’eau sur son visage tout en sanglotant calmement pour ne pas laisser de trace.
Elle n’était pas prête. Et pourtant elle était venue devant ma porte. Elle avait au moins essayé, et c’était déjà un pas. J’avais essayé d’en faire, mais seulement par téléphone. Je ne pouvais donc pas lui en vouloir, ou lui dire que c’était des foutaises de venir et de pas sonner. Non je veux bien la croire. Elle n’était pas prête sûrement pour des tonnes de raison, et elle n’était toujours pas prête, et je n’allais pas l’y forcer. Je la forçais juste à prendre mes clés, à aller se mettre à l’abri chez moi, le temps que j’aille déposer son agresseur chez les flics. J’eus peur le temps d’un instant qu’elle refuse, mais c’est seulement pour mieux la raccompagner. Elle les a finalement pris, et je me suis senti bien plus soulagé tout à coup. Je la regardais prendre la route pas très longue jusqu’à chez moi et finalement j’attrapais le type par le col et l’embarquer avec moi jusqu’à ma voiture pour l’emmener au poste. Il ne me fallut pas plus de cinq minutes à l’aller et peut-être dix minutes le temps qu’on le prenne en charge et qu’on me laisse partir pour bien notifier que je repasserais avec la victime pour faire la déposition. Heureusement que je suis un agent également sinon, pas sûr qu’ils m’auraient laissé partir si rapidement. Cinq minutes maxi aussi pour rentrer, espérant que Cora aille un peu mieux et sente un peu à l’abri. Cela ne devait pas être évident pour elle, surtout que ça faisait des mois qu’elle ne voulait plus me parler. Et je me sentais stresser tout à coup. Alors que j’étais venu à sa rescousse la peur au ventre, voilà que je mettais à stresser alors que je sonnais pour qu’elle puisse m’ouvrir. Une fois arrivé à l’intérieur je prenais une légère bouffée d’air pour aller la rejoindre et l’appelais Cora ? Tu vas bien ? Elle devait sûrement être à la salle de bain, c’est pas vraiment très grand chez moi. A moins qu’elle ne soit allée sur mon lit pour se reposer un peu. Mais vu notre présente relation, je ne pense pas qu’elle se le soit permise.
Elle relâche la pression. Elle est au calme, enfin. Seuls des bruits mineurs parviennent à ses oreilles, comme les gouttes qui s’échappent du lavabo de la salle de bain d’Enzo ou bien les bruits de la rue. Mais tout autour d’elle est suffisamment silencieux pour qu’elle digère ce qu’il vient de se produire. Elle a été tiré tellement loin de sa zone de confort, par le type louche, par Enzo aussi, même si c’est malgré lui. Cora, elle n’aime pas être bousculée ou mise mal à l’aise. Bon, qui aimerait ? Mais, elle réagit plutôt mal. Elle prend peur facilement et se braque. Elle profite des quelques minutes qu’elle a pour elle dans la salle de bain pour verser des larmes qui ne demandent qu’à sortir depuis tout à l’heure. Elle le fait doucement, pour que ça ne se voit pas. Soudainement, elle se retrouve projetée quinze ans en arrière, quand elle appliquait cette technique pour que maman ou les gens sur le plateau ne voient pas qu’elle avait pleuré. Puis elle passe son visage sous l’eau pour se rafraichir, effacer des traces. C’est à ce moment-là qu’Enzo revient et sonne, elle s’entraine à avoir l’air normal sur tout le chemin qui la sépare de la porte d’entrée pour aller lui ouvrir. Après tout, ce n’est pas si dur. C’est son métier. Elle retourne juste à la salle de bain, le temps de s’arranger pour ne pas avoir l’air trop dépressive. « Cora ? Tu vas bien ? » Elle l’entend qui rentre. Elle prend une grande inspiration avant de sortir de la pièce. « Oui, ça va. » répond t-elle, sans vouloir s’étendre, ou alors parce qu’elle ne sait plus trop comment lui parler. « Et toi ? » Ce n’est pas vraiment la même question qu’ils se posent. C’est sa façon à elle de se renseigner sur sa vie en ce moment, depuis qu’il est revenu. « Je pense que je devrais rentrer. Je crains plus rien si tu l’as emmené. » annonce t-elle. La situation, et le silence entre eux surtout, lui pèse.
Elle ne tarda pas à sortir de la salle de bain, comme je le pensais. Et elle avait vraiment une sale mine. Elle n’allait pas bien, c’est évident, et même après toutes ces années je m’en rendais compte. Mais elle me disait que ça allait. Je ne vais pas non plus aller à l’encontre de ses dires, même si je me doute bien qu’elle ne va pas bien. Je n’ai jamais voulu être intrusif, la pousser à dire ce qu’elle ne veut pas dire, j’ai toujours été là pour elle, un point c’est tout. Même aujourd’hui alors qu’on ne se parle plus. Je fais ce que je peux pour elle. Je ne veux pas la braquer non plus, alors je lui ai seulement proposé de la raccompagner alors que j’aurais préféré qu’on passe un moment tous les deux. Elle m’avait aussi retourné la question. Un peu étrange, je sentais quelque chose de différent, mais je n’aurais pas su quoi dire alors je disais plutôt Oui faudra juste qu’on retourne au poste pour faire la déposition. Quand tu pourras. Lui disais-je pour ne pas trop la paniquer à l’idée de revivre ce moment désagréable. Je la regardais, un peu perdu, ne sachant pas trop comment agir, jusqu’à ce qu’elle me dise vouloir rentrer. Rien de plus normal. Oui allons-y. Je ne lui demandais pas si elle était d’accord, il est hors de question que je la laisse repartir seule, même si je lui appelle un taxi. Surtout qu’elle ne m’enverrait pas de BA à son arrivée vu qu’elle ne me répond plus à mes appels depuis des mois, c’est qu’elle ne doit plus avoir mon numéro à force. Et puis peut-être qu’ainsi j’arriverais à lui dire à quel point elle me manque et que je veux vraiment me faire pardonner pour mon agissement idiot.
«Oui faudra juste qu’on retourne au poste pour faire la déposition. Quand tu pourras. » Il n’a pas l’air d’avoir compris sa question. Ça la déçoit, mais elle comprend. Après des mois de silence, est ce qu’il s’attend vraiment à ce qu’elle s’intéresse à son état d’esprit du moment ? Pas vraiment. Pourtant, est ce que ce serait aussi surprenant que Cora veuille savoir comment il va ? Non plus. Après tout, si elle est venue là, à cette heure, c’est bien pour le savoir. C’est juste malheureux que ça se passe comme ça. Dans le calme avec tout un tas de non-dit, mais comment est-elle censée faire le premier pas alors qu’il lui a dit la chose la plus terrible ? « Je n’ai pas envie d’aller au poste. Je m’en fiche de ce type. » lâche t-elle tout d’un coup. Elle ne sait pas à quoi ça servirait de déposer plainte. Après tout, elle était saine et sauve. Secouée, certes, mais il arrive bien pire à bien des filles dans d’autres quartiers. Et puis, elle ne veut pas s’embarrasser de tout ça, ni même y penser. Là, elle n’est pas franchement d’humeur. Elle veut juste rentrer, s’enrouler dans une couverture et pleurer jusqu’à l’épuisement. Elle propose alors de rentrer. Enzo ne veut rien dire. Elle n’en a pas l’envie. Pourquoi persister à entretenir le malaise ? C’est pas ce soir que ça se décantera. Si ça se décante un jour. « Oui allons-y. » Elle lâche un timide sourire. Elle se dit quelque part, ils sont bien toujours amis. Enzo pourrait la mettre dans le premier taxi, hors il tient à ce que ce soit lui qui la ramène, et elle aussi. Peut-être que sur la route, elle arrivera à lui parler. A lui dire ce qu’elle pense, ce qui la bloque. Enzo, c’est sa famille. Ça ne peut pas continuer comme ça. Elle le suit, en dehors de chez lui, dans sa voiture. De toute façon, elle ne vit pas très loin. Le silence se poursuit, elle se décide à la briser. Mais comment ? « Merci hein. » dit-elle, en se donnant une image un peu détachée. « D’être intervenu. » mentionne t-elle, toujours aussi gênée.
C’était pas facile, vraiment pas facile. Je ne savais décidément pas si elle avait envie de parler ou non, si elle allait bien ou non, toutes ses paroles étaient sèches et froides et je dois bien avouer que ça me faisait assez mal. Mais je ne pourrais jamais lui en vouloir, elle compte bien trop à mes yeux. Mais elle m’en veut toujours, je le sens bien. Et elle ne veut pas s’attarder, ça je comprends bien mieux. Même si j’aurais bien voulu parler un peu avec elle, fallait croire que ce n’était pas le bon moment. Le moment était de la raccompagner chez elle, et je ne voulais en aucun cas l’embêter davantage, j’avais déjà assez joué au con avec elle. On se dirigeait alors en silence vers ma voiture. Pas besoin de s’indiquer grand-chose, elle connaît la couleur de ma bagnole et je sais parfaitement où elle habite. Mais voilà que contre toute attente elle me remercia. Non pas le fait qu’elle me remerciait mais qu’elle me parlait. Parce que je lui avais sauvé la mise. Elle avait risqué gros ce soir, et j’étais tombé au bon moment, pas de quoi réellement me remercier, mais j’appréciais le geste. Et moi je suis désolé. Lui répondais-je, parce que j’avais enfin l’occasion de le faire, elle me donnait enfin l’opportunité de lui parler et si j’y arrivais encore un peu sans que ça parte en une autre engueulade, il se pourrait que je fasse un petit détour rien que pour pouvoir parler un peu plus longtemps avec elle. Je suis désolé d’avoir été si con. Con de ne pas t’avoir écouté. Je n’étais juste plus amoureux de Maxyn et j’ai pas su gérer la situation. Lui expliquais-je même si il y a de fortes chances pour qu’elle s’en fiche, mais au moins, c’était dit.
C’est dur de s’exprimer. Cora, elle n’a jamais été le genre à mettre des mots sur ses pensées où émotions négatives. Elle enferme les choses et laisse le temps faire son œuvre. C’était comme ça que maman l’avait élevé, à ne rien dire. Et aujourd’hui, elle était bien emmerdée, parce que y’a ce blocage qui se fait quand elle a un truc sur le cœur et ça ne sort pas facilement. Ils sont pas des communicant dans la famille Et Enzo, et bien, il est pareil. Et puis, il est parti en connaissance de cause alors pourquoi il s’embarrasserait ? C’est elle qui est venue avec le besoin de lui parler et de voir si les choses pouvaient revenir comme avant. Même si, ça semble bien difficile car elle se remet sans arrêt son reproche en mémoire. Le silence dure et devient pensant. Et Cora dans sa tête, elle monte son courage pour dire un mot. Juste un. Parce qu’elle veut pas qu’il pense qu’elle s’en fout d’être là ou quoi que ce soit. C’est juste que, c’est dur. Et puis, elle est tellement habituée à ce qu’il comprenne tout. Elle n’a jamais eu à dire quoi que ce soit pour expliquer comment elle se sent, que ce soit pour le bébé, ou pour Priam. Jamais. Et les mots sortent. Elle se donne l’air détachée, un peu naturelle. Comme s’ils avaient une discussion d’autrefois. Là, maintenant, c’est tout ce qu’elle sait faire. Elle peut pas lui dire qu’elle lui en veut, ou lui faire des reproches. Il pourrait partir, comme l’autre fois, en la laissant derrière. « Et moi je suis désolé. » Elle tourne la tête, surprise. « Je suis désolé d’avoir été si con. Con de ne pas t’avoir écouté. Je n’étais juste plus amoureux de Maxyn et j’ai pas su gérer la situation. » C’est timide, mais elle sourit. C’est con aussi, mais c’est de s’entendre dire qu’elle avait raison. Après, elle n’aurait pas souhaité qu’ils en soient à ce genre d’extrêmité pour se dire tout ça. Et quelque part d’autre, elle est désolée pour lui. « Mais tu ne vas plus repartir ? » Parce que, ce serait terrible encore. Elle s’installe au fond de son siège pour observer le dehors, elle a du mal à lui faire face. « C’est moi qui suis désolée. J’ai pas cherché à comprendre qu’on est pas pareil et qu’on ne gère pas les choses de la même façon. J’aurais préféré avoir tort. »
De toutes les réactions possibles, Cora me surprend encore toujours. Et pourtant on se connaît presque sur le bout des doigts. Mais ce genre d’événements nous a dépassés et on a plus su gérer la situation en fonction de l’autre. Il était donc grand temps de passer aux excuses. Et elle aurait pu en profiter pour me dire que c’était bien fait pour moi, que j’avais qu’à l’écouter, mais non, elle semblait juste appréhender le fait que je reparte. Je fronçais les sourcils mais heureux qu’elle pose cette question au fond, et lui répondais Bien sûr que non ! Comme je te l’avais dit, c’était pas pour y vivre de façon permanente, j’avais juste besoin de souffler, de me retrouver. Et finalement oui, ça m’avait aidé. Je sais que j’avais bien fait de faire ça, mais j’aurais pu être bien plus réglo, autant envers Maxyn qu’envers Cora. J’avais agi comme un lâche et je sais que ça me poursuivra encore longtemps. Mais ce qui m’importait le plus, c’est de pouvoir me réconcilier avec Cora. Ou du moins essayer. Parce que je n’étais pas non plus sûr qu’elle veuille bien me pardonner et qu’on oublie ce mauvais épisode de notre vie. C’est bien rare quand j’ai réellement envie d’oublier une querelle, mais Cora est tellement importante pour moi et je l’ai un peu cherché cette dispute, donc voilà pourquoi. C’est alors qu’elle me répondait qu’elle était désolée elle aussi parce qu’elle n’avait pas voulu me comprendre. J’avais essayé pour ma part, et je comprenais oui sa façon de penser, pourquoi elle m’avait dit tout ça, c’est moi qui avait réagi de façon inattendue, étrange et pas très réglo, alors que je l’avais toujours été Je n’aurais pas du réagir de façon si violente, si radicale, mais finalement ça m’a vraiment fait du bien. Je regrette surtout de t’avoir blessé. Oui, celle qui m’avait le plus manqué avec ma sœur bien évidemment.
« Bien sûr que non ! » La réponse un peu vive la fait sourire. Elle se souvient qu’il avait dit qu’il reviendrait, mais parfois, c’est ce qu’on dit et qu’on ne fait jamais. A ce moment là, c’est sûrement ce qui avait fait le plus peur à Cora, qu’il soit trop bien seul, sans responsabilité et qu’il ne revienne pas. Après tout, qui reviendrait vers ce qui fait fuir ? Pas elle. Elle ne peut s’empêcher d’en vouloir encore terriblement à Maxyn pour être la cause de tout ça, parce que pour Cora, c’est bien pas de la faute d’Enzo. C’est sûrement pourquoi elle est là ce soir, elle ne le blâme pas complètement. Elle devrait, mais c’est dur de voir la vérité en face, surtout au sujet d’une personne qu’on a tendance à idéaliser. « Je n’aurais pas du réagir de façon si violente, si radicale, mais finalement ça m’a vraiment fait du bien. Je regrette surtout de t’avoir blessé. » Ouais, au moins ça l’a libéré. Elle n’ose pas lui demander comment il s’sent. Si c’est comme elle, quand elle a laissé le bébé. Est-ce qu’il peut regarder Zoey en face ? Est-ce que si lui peut, elle pourra un jour ? Les pensées se bousculent dans sa tête. Elle aussi regrette. Au final, si ça n’avait été que le départ, elle n’aurait pas eu mal comme ça. Le geste n’aurait pas autant blessé que les paroles, à ce propos elle répond. « Moi aussi. Je sais pas si j’oublierais un jour. » C’est dur. Mais, ça avait été blessant pour elle. Que Finn lui fasse ce genre de reproche, elle s’habitue, elle ne dit rien, elle lui pardonne. Mais Enzo, c’est cent fois pire. « Tu le pensais ? » demande t-elle. « Ou tu voulais juste me faire mal pour que je me taise ? »