I gotta get out of this place

Duncan & Robin

7h02 du matin. Les yeux rivés sur le plafond, je sommais mon horloge interne de m’expliquer pourquoi ô grand pourquoi elle s’obstinait à me réveiller tous les jours à cette heure précise, weekend inclus. Communément je ne m’en formalisais pas : me lever tôt me laissait l’opportunité de réaliser plus de choses pendant mes journées de repos - courir, me rendre à ma séance de kick-boxing, avancer sur mes projets créatifs, sortir avec des amis,... mais depuis ma fichue rechute, j’étais interdite « d’activité physique soutenue » (quoi que ça signifie) et je sentais la pression s’amonceler un peu plus chaque jour. Ma contrariété avait certainement eu raison de ma créativité car tout projet commencé finissait systématiquement à la poubelle, amplifiant ma frustration au passage. Quant aux amis… j’avais appelé Phoenix une bonne demi-douzaine de fois pour prendre de ses nouvelles au cours des deux derniers jours et lorsqu’il avait enfin décroché, c’était pour me demander, à peu de chose près, de le laisser respirer. J’étais contrariée, indéniablement, mais j’avais décidé de ne pas laisser mes émotions prendre le dessus, pour une fois, et de lui donner l’espace dont il avait besoin. Ce qui ne m’a pas empêché  de regarder mon téléphone dès mon réveil ce matin-là, à l’affût d’un quelque chose signe de vie. Mais pas de Phoenix en vue. Évidemment. J’ai repoussé ma couette un peu plus brutalement que nécessaire, j’ai pris une grande inspiration pour me donner courage, et je me suis levée.

Je ne supportais pas de rester sans rien faire. Les hôpitaux m’ont toujours terrifié et pourtant même devoir y retourner pour mes séances quotidiennes était plus agréable que cette torpeur. Au moins là-bas j’avais l’impression de me rendre utile, d’aider mon cœur à guérir. Je pense que mon cardiologue, Duncan Wilde, y était pour beaucoup, aussi. Je ressortais toujours apaisée et énergisée de nos échanges. Il était d'une patience et d’une gentillesse incomparable, proposant que nous nous voyions à l’extérieur pour m’éviter l’anxiété lié aux hôpitaux, prenant même sur son temps libre pour me rassurait, me changeait les idées, me faisait sourire,... depuis son arrêt maladie, je n'avais pas pu le voir, et ça me manquait beaucoup.

J’ai branché mon iPod sur ma chaine hifi puis je suis allé dans la salle de bain. J’avais prévu de prendre une douche fraiche en me musique pour me vivifier le corps et l’esprit… puis je me suis souvenu que ça aussi, c’était « fortement déconseillé ». J’ai laissé échapper un petit rire nerveux, puis j’ai laissé l’eau bouillante couler le long de mon corps. A défaut de me réveiller, je pouvais au moins essayer de me détendre. Je me suis tartiné le corps de ma gelée de douche à la fraise, ce qui eut le mérite de me donner le sourire l’espace d’un instant. Puis une petite moue boudeuse reprit le dessus.

Je ne supportais pas de me sentir aussi triste et négative. J'avais besoin d’extérioriser, de me dépenser. Je me suis enroulée dans une serviette et, croquant dans une pomme qui se trouvait sur mon bureau, je me suis approchée de la fenêtre. Il faisait un temps magnifique. Un temps parfait pour faire un footing, en fait. Au moment où cette pensée traversait mon esprit, les premières notes de la chanson « I’m Eighteen » d'Alice Cooper retentirent dans ma chambre. « I gotta get out of this place, I'll go runnin' in outer space, oh yeah ». C’était un signe ! N’est-ce pas ? Assurément un petit footing n'était pas considéré comme une « activité physique soutenue »... si? Je décidais que non. J’ai enfilé un pantalon de jogging, un débardeur, rassemblé mes cheveux en une queue de cheval ébouriffée, glissée mes écouteurs dans mes oreilles, et, encouragée par Alice Cooper, je suis partie en trottant joyeusement, direction le parc.

I gotta get out of this place

Duncan & Robin

Courir me faisait un bien fou. Je pouvais presque visualiser mon cerveau libérer plein de petites endorphines joviales qui diffusaient en moi une sensation d’exaltation des plus agréables. Alice Cooper avait laissé place à une playlist d’entrainement de Phoenix, composée principalement de rock et rap très rythmé. Je me sentais badass. Je courrais à présent depuis près de 40 minutes et je commençais à fatiguer légèrement mais, encouragée par les basses profondes de la musique, j’ai accélérée. Une fontaine se trouvait à une centaine de mètres devant moi au centre du parc. Je me suis lancé le pari de l’atteindre sans m’arrêter. Les paris, une habitude que j’avais gardée de mon enfance. J’étais cette gosse insupportable qui défiait tout le monde (moi la première) de faire tout et n’importe quoi. Mon goût de l’adrénaline doublée d’un besoin de tester les limites, j’imagine.

Je suis arrivée à la fontaine et j’ai posé mes mains sur mes genoux pour reprendre mon souffle. Ensuite, j’ai pris conscience de mon cœur qui battait la chamade dans ma poitrine et je me suis soudainement souvenu que je n’étais pas sensée forcer dessus. Je me suis pincé les lèvres.

- Gaffeuse, j’ai soupiré avec une petite grimace avant de me redresser pour prendre une gorgée d’eau.

Je me faisais la réflexion que tout ceci n’était sans doute pas d'une gravité colossale (puisque j'étais encore en vie), lorsque je senti une main se refermer sur mon épaule. J’ai sursauté et je me suis retournée, les yeux ronds comme ceux d'un lapin pris dans les fards d’un camion.

- Duncan ? La surprise fit place à l’euphorie et je senti un immense sourire me fendre le visage. Quelle surprise ! Je n’entendais même pas ma propre voix. J’ai retiré mes écouteurs et j’ai relevé les yeux vers mon cardiologue. C’est drôle, je pensais à toi ce matin, et te voilà !

J’ai laissé échapper un petit rire puis j’ai marqué une pause, me demandant si ma phrase était malencontreusement tendancieuse, comme je pouvais le faire quelquefois. Non, c’était correct. Je me suis passé une main sur le front en scrutant son visage du regard. Habituellement, j’étais assez douée pour décrypter les pensées et émotions des gens sur leur frimousse (enfin, c’est ce que j’aimais à penser en tout cas) mais pour une raison que je n’avais pas encore identifiée, je trouvais l’exercice plus difficile avec Duncan. Il avait l’air contrarié, mais je n’en étais pas certaine. Alors j’ai fait la seule chose à faire lorsqu’on a un doute sur l’état de quelqu’un: j'ai demandé.

- Comment vas-tu ? Ça va ?

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Duncan & Robin

Duncan m'a intimé que lui aussi avait pensé à moi et j'ai sentis un sourire me fendre le visage. Encore un coup des ondes cérébrales ! J'aurais aimé lui faire part de cette théorie pour connaitre son avis scientifique sur le sujet, mais il a enchainé en disait qu’il souffrait de ne plus pouvoir exercer et j’ai senti mon cœur se serrer. Je voulais lui dire que je compatissais. Je ne pouvais même pas imaginer mon état si un bras dans le plâtre m’empêchait de peindre ou sculpter. Je serais accablée, assurément. Mais je n’en ai pas eu pas l’occasion car il a enchainé une fois de plus. J’ai pincé les lèvres. Etait-ce du reproche que j’entendais dans sa voix ? J'ai compris alors qu’il s’inquiétait pour mon cœur et une vague de culpabilité s’est emparé de moi.

- Oh non non ! je trottais lentement jusque-là, me suis-je empressée de préciser devant sa moue dubitative. J’ai juste un peu accélérée en rentrant dans le parc, mais (j’ai placé ma main sur mon cœur. Il battait assez irrégulièrement et j’avais un gout de sang dans la bouche mais je ne ressentais aucune douleur vive, ce que j'ai pris pour un excellent signe) mais ça va, vraiment, ne t’en fais pas !

Joignant le geste à la parole j’ai pris sa main et je l’ai placé sur mon cœur à son tour, comme pour prouver ma bonne foi, scrutant son regard pour m’assurer que ma démonstration l’avait tranquillisé.

- Tu vois ?

J’ai libéré sa main. L’alarmer était bien la dernière chose que je souhaitais faire. Pourtant, je ne pouvais nier avoir été fortement émue par sa réaction. Les médecins étaient habituellement si froids, condescendants et méprisants. Pas étonnant que Duncan m’ait été recommandé comme l’un des meilleurs chirurgiens cardiologues de la région. Toujours incroyablement à l’écoute, doux, chaleureux... et un tel investissement pour ses patients ! Il faisait vraiment la différence. Son travail devait considérablement lui tenir à cœur, ce qui rendait certainement son arrêt maladie d’autant plus difficile. J’ai baissé les yeux vers son bras plâtré et mon cœur s'est serré.

- Ça ne doit pas être agréable... que s’est-il passé ? Si ce n’est pas trop personnel.

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Duncan & Robin

J’ai senti mon visage se décomposer au fur et à mesure que Duncan me racontait son accident. Je ne pouvais qu’imaginer la détresse physique et émotionnelle dans laquelle il s’était trouvé. Un tel accident aurait traumatisé n’importe qui, et en tant que chirurgien passionné par son métier, il avait sans doute été pétrifié à l’idée de perdre l’usage de son bras. Il plaisanta sur la nourriture de l’hôpital, ce qui eut le mérite de briser la tension et je me suis senti rire à l’exactitude de ses propos.

- Ah, ne m’en parle pas ! j’ai répondu sur le ton de la plaisanterie, d’abord on subit tout un tas de tests pour nous épuiser puis bam ! bouffe dégueulasse histoire de nous achever !

J’ai secoué la tête avec le nez froncé. Étant végétarienne, mes séjours en hôpitaux regorgeaient toujours de négociations acharnées avec le corps médical sur ladite nourriture… le tout pour bien souvent me retrouver avec une compote de pomme-poire bourrée d’OGM et trois pauvres haricots verts atrophiés en guise de repas.

J’ai reporté mon attention sur Duncan, de son sourire authentique à ses prunelles tourmentées. Je voulais lui changer les idées, lui remonter le moral. J’ai regardé rapidement autour de moi et mes yeux se sont arrêtés sur un marchand de crêpes quelques mètres plus loin. Un large sourire a étiré mes lèvres.

- Je n’ai pas encore pris mon petit déjeuner, tu as faim ? une crêpe, ça te dit ? c’est moi qui offre.

Sans vraiment attendre la réponse, je suis parti en trottinant vers le marchand et j’ai commandé deux crêpes à la confiture de framboise. Il me semblait avoir entendu Duncan dire qu’il aimait les framboises, un jour. J’ignorais d’où me venait cette information ou même si elle était exacte mais j’ai décidé de suivre mon intuition. J’ai remercié le marchand qui me tendait les crêpes et je me suis tourné vers mon chirurgien pour en faire de même.

- Bon appétit !

Je voulais rester légère et positive mais mon regard fit une fois de plus l’aller-retour entre son visage et son bras dans le plâtre et j’ai senti ma gorge se nouer en pensant à ce qui aurait pu se passer. Ces derniers temps, la vie semblait s’être lancé le pari de rappeler à tout le monde à quel point nous ne maitrisons rien, à quel point il est facile de nous éliminer. Les accidents arrivent si vite. Et je ne supporterai pas qu’un drame supplémentaire affecte une personne à qui je tiens. J’ai scruté le regard de Duncan et les mots sont sortis tout seul de ma bouche :

- Je suis vraiment, vraiment contente que tu sois sain et sauf.

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Duncan & Robin

J’ai regardé Duncan déguster sa crêpe et j’ai senti un sourire étirer mes lèvres. Je n’avais jamais vraiment pris les statuts sociaux au sérieux, qu’il s’agisse de mes professeurs, supérieurs hiérarchiques, collègues, marchands ou médecins, pour moi, nous étions tous des créatures égales, capables de développer des amitiés en toute liberté, sans tabou ou interdit. Si on apprécie quelqu’un, pourquoi se mettre des barrières pour quelque chose qui n’est même pas réel ? Cela me semblait étrange. Si j’apprécie quelqu’un, je l’apprécie, le reste n’a aucune importance à mes yeux. Et j’appréciais énormément Duncan.  Dès nos premiers échanges, j’avais senti la bonté et la générosité qu’il dégageait.  Et je savais que je n’avais fait gratter la surface de sa merveilleuse personnalité, ce qui me donnait envie d’en découvrir d’avantage sur lui. Je sentais, cependant, que quelque chose le retenait. Probablement ces fichus statuts. J’étais ravie qu’il de le voir s’ouvrir peu à peu et me laisser percevoir un autre aspect de lui.

Quand il a parlé du Mali, notant qu’il  y avait vécu plusieurs péripéties, j’ai senti mes yeux s’écarquiller. Je savais qu’il s’y était rendu pour la simple raison que j’attendais son retour (avec une impatiente non dissimulée) pour avoir son avis sur mon cœur cabossé, mais nous n’en avions jamais vraiment parlé avant. J’ai réalisé que je ne connaissais rien de lui (hormis qu’il aimait les framboises) et j’ai décidé d’y remédier.

- Ça te manque ? Le Mali, je veux dire. Pas de risquer ta vie… hum.

J’ai finis ma phrase en marmonnant, réalisant le manque de tact de mes propres paroles. J’ai baissé les yeux vers ma crêpe et j'en ai pris une bouchée. Comme quoi, ne pas réfléchir avant de parler présentait certains inconvénients…

- Combien de temps y es-tu resté ? j’ai enchainé, ne me laissant pas abattre par un premier essai foireux et relevant les yeux vers lui avec enthousiasme et soif de connaissance. Qu’est ce qui t’avait poussé à y aller en premier lieu ? Tu voudrais y retourner ?

J’ai réalisé que j’aurai probablement du doser mes questions afin de ne pas le submerger et j’ai décidé d’arrêter là pour le moment. Pour lui laisser le temps de répondre. Avant de me lancer à nouveau. J’avais une nouvelle mission : « à la découverte de Duncan ! »

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Duncan & Robin

Les yeux arrondis par la surprise, l’intérêt et la curiosité, j’écoutais attentivement Duncan me conter son aventure au Mali tout en grignotant avidement ma crêpe. J’ai réalisé que je ressemblais probablement à une drôle de créature et j’ai essayé de ralentir un peu le rythme, ne pouvant néanmoins pas détacher mon regard de mon cardiologue. Il semblait si passionné, si investi ! J’ai senti mon cœur se gonfler. J’allais rétorquer en le bombardant des questions qui me brûlaient les lèvres mais il ne m’en laissa pas l’occasion, commentant… la qualité des crêpes. J’étais surprise de ce soudain changement de sujet et je n’ai pu réprimer un rire amusé.

- Oui, j’ai acquiescé, mon sourire me fendant toujours le visage. En fait je ne vis pas très loin. J’ai ma maison juste au-dessus des bois. ai-je précisé en pointant dans la bonne direction.

Duncan avait l’air si réservé, si mystérieux, parler de lui n’était probablement pas une tâche aisée. J’ai pensé qu’il avait sans doute besoin de temps pour récupérer entre chaque interrogatoire, aussi, j’ai décidé de lui laisser un petit instant de répit.

- J’aime beaucoup venir ici pour me changer les idées, me vider la tête… ai-je repris, plus calme cette fois, en regardant la flore paisible et apaisante qui s’étendait autour de nous, pour les crêpes par contre je dois t’avouer que c’est la première fois que je les essaie, alors c’est une chance qu’elles soient bonnes ! je m’en serai voulu de t’empoisonner.

Je lui ai donné un petit coup de coude en rigolant avant de réaliser qu’il s’agissait du côté où son bras était dans le plâtre et mes yeux se sont écarquillés :

- Oh ! Je suis désolée ! Ça va ? Je t’ai fait mal ? Ça va ? ai-je demandé, confuse et alarmée, scrutant son visage du regard pour m’assurer qu’il allait bien tout en agitant légèrement et inutilement mes mains autour de son bras sans oser le toucher de peur d'aggraver les choses.

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Duncan & Robin

Paniquée, mes yeux scrutaient la moindre réaction de Duncan. Je m’attendais presque à le voir se jeter par terre en hurlant. Fort heureusement, il n’en fut rien, et il relava sa charmante frimousse vers moi pour me sourire et me rassurer. J’ai laissé échapper un  énorme soupir de soulagement puis un rire aussi nerveux qu’amusé quand mon cerveau assimila enfin sa blague sur nos crêpes. Je me suis essuyé le coin de l’œil avec le revers de mon indexe quand il larme d’euphorie y perla. Ma capacité à pleurer quand je riais avait tendance à surprendre mes interlocuteurs, mais Duncan n'a pas sembler s'en formalisé et a enchainé en me disant qu’il avait déjà vécu bien pire, que son histoire faisait peur. J’ai aussitôt repris mon sérieux, me sentant très concernée. J’ai fait quelques mouvements de fesses sur le banc pour me rapprocher de lui en l’observant attentivement pour l’encourager à me raconter son histoire malgré ses doutes. Il m’a demandé de n’en parlé à personne et j’ai vigoureusement secoué la tête pour l’en assurer. J’ai bu ses paroles tandis qu’il m’expliquait l’attaque de son village, mes yeux s’écarquillant un peu plus à chaque détail. Quand il m’intima avoir été touché par une balle j’ai senti mon cœur faire un bon dans ma poitrine. J’ai instinctivement baissé les yeux vers son abdomen, comme si j'aurai pu y voir une quelconque séquelle de ce vestige. Ce qui ne fut pas le cas, évidemment. J’ai relevé les yeux vers lui, attendant la suite avec impatience. Mais au lieu de continuer, il posa sa main sur la mienne. Je me faisais la réflexion que ce contact était plutôt très agréable quand finalement il la plaça sur son plâtre. Ce qui était beaucoup moins agréable, pour le coup. J’ai souris dans un souffle et j’ai hoché la tête pour lui signifier que j’étais en effet rassurée.

- Je te l’accorde, tu sais dédramatiser les situations.  

Une fois de plus j’ai laissé échapper un petit rire semi nerveux semi amusé. Savoir dédramatiser. Une qualité qui me manquait cruellement. J’avais plutôt tendance à faire l’inverse, en fait. C’est sans doute pour cette raison que Duncan savait autant me calmer. Quand je partais dans tous les sens, il savait me rassurer de par sa présence réfléchie, stable, rationnelle et paisible à la fois. Je me suis mordillée la lèvre inférieure en le regardant avec insistance, désireuse d'en savoir davantage sur son expérience au Mali. Mais comme il ne semblait pas comprendre mon langage corporel (des gros yeux fixes), j’ai décidé d’être un peu plus explicite :

- Et… que s’est-il passé, ensuite ?

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Duncan & Robin

Livide et stupéfaite, j’observais Duncan me raconter avec une nonchalance déconcertante sa mésaventure digne d’un film d’action. Effectivement, son histoire était terriblement flippante ! Je n’en croyais pas les oreilles. Mon regard ne cessait de faire l’aller-retour entre son front, ses yeux et ses lèvres, comme pour m’assurer qu’il était réellement sain et sauf. Dès notre première rencontre, j’avais ressenti son altruisme et son sang-froid, mais je n’avais pas réalisé l’étendue de ces qualités. Quel héroïsme ! J’ai eu envie de le serrer dans mes bras pour le féliciter de sa bravoure et de sa bonté d’âme. Mais je me suis raisonné : je risquais de lui faire mal au bras. (L’idée que ce contact sorti de nulle part puisse le mettre mal à l’aise ne m’efflorait que vaguement l’esprit). Quand il m’a intimé avoir gardé le gilet pare-balle en souvenir j’ai senti un sourire attendri étirer mes lèvres. Mon cerveau prenait toutes les notes qu’il pouvait. Je n’avais jamais vu Duncan s’ouvrir ainsi. Il était habituellement si réservé et professionnel. Et j’étais absolument ravie de le découvrir sous ce nouveau jour. Je voulais en profiter au maximum. Soudain il a proposé de marcher et j’ai papilloté, comme une enfant qu’on tire d’un songe trop brusquement. Je serais sans doute resté à l’écouter (et à l’observer curieusement) jusqu’au couché du soleil. Et plus encore.

- Marcher ! Oui, je peux faire ça !

J’ai laissé échapper un rire amusé et j’ai bondi sur mes pieds. Chasser le naturel et il revient au galop. Vraisemblablement Duncan ne pouvait pas encore retirer entièrement sa casquette de médecin, et je ne pouvais pas l’en blâmer : avec mon complexe de Robin Des Bois (ou sauveur, mais je préfère Robin Des Bois), j’avais tendance à vouloir protéger mes proches coute que coute et vaille que vaille… et ce même lorsque mon aide n’était pas sollicitée. Je me faisais la réflexion que, en fait, Duncan était la première et unique personne sur qui je pouvais me reposer quand soudain un doute affreux me saisie aux tripes. Avait-il lui aussi une personne comme ça, lui aussi ? Ou était-il seul à devoir porter le poids du monde sur ses épaules ? Attristée par cette pensée, j’ai jeté un coup d’œil dans sa direction. Il avait toujours l’air si fort et solide, mais assurément il devait avoir ses propres problèmes, ses propres vulnérabilités, peut-être même ses propres démons. Et j’espérais de tout cœur qu’il n’était pas seul à devoir les affronter...

Me sortant de ma triste réflexion, Duncan m’a demandé de lui raconter à mon tour une de mes aventures, et mes yeux se sont arrondis.

- Oh, mes aventures vont te paraitre très fades et ennuyeuses à côté des tiennes. Surtout si je te parle de la palette de médecins pompeux et passablement douteux que j’ai dû endurer avant de te rencontrer ! J’ai rigolé en remettant une mèche de cheveux derrière mon oreille. J’ai hésité un instant puis j’ai relevé les yeux vers lui. T’avais pas menti, ça… ça fait peur, ton histoire ! C’est très impressionnant, aussi. Je me suis mordillée la lèvre inférieure puis j’ai secoué la tête avec un sourire. Non c’est trop tard maintenant, tu as commencé à parler, je veux juste en savoir plus ! Par exemple… comment fais-tu pour supporter la monotonie de Brisbane après avoir vécu des choses aussi extraordinaires ? Tu dois drôlement t’ennuyer…