C’était étrange. J’avais eu comme un mauvais pressentiment. Mais j’ai besoin de voir d’autres hommes. Je ne peux pas sortir qu’avec Gabriel, il me reste assez dans la tête pour qu’en plus il soit le seul dans ma vie. Non, ce serait trop terrible. Alors forcément je m’étais déniché ce rendez-vous, avec ce type que je n’avais même pas encore vu en vrai. Oui les sites de rencontres ce n’est pas fiable, mais au moins j’ai au moins un rencard par semaine. C’est déjà ça, et ça me permet de me sortir de ma routine. Même si la plupart du temps je tombe sur des réels cas sociaux. C’est donc un peu la tête ailleurs que je m’étais simplement préparée, une robe noire et droite, des escarpins un peu trop confortables et les cheveux lâchés avec un doux maquillage. Non, rien de bien aguichant, je ne sais vraiment pas ce qu’il m’arrive. Je me suis donc promis dans la voiture en direction du restaurant que je ferais un bien meilleur effort pour m’habiller. Je reste évidemment toujours aussi parfaite, il n’y a pas de problème, mais j’ai l’impression d’être un sac à patate tout à coup. Je me gare assez facilement et me rend compte alors que la lumière dans le restaurant est éteinte. C’est pas vrai, manquez plus que ça. Qu’est-ce que je pouvais bien faire ? Je n’avais même pas récupéré le numéro de ce pauvre type pour lui demander des comptes. Je me suis quand même dit qu’il aurait pu m’attendre ailleurs. Je me suis alors mise à faire le tour, sans trouver une seule personne qui attende. Quand je suis revenu au point de départ, j’ai alors vu un homme de dos, devant l’entrée. Je n’ai pas cherché de midi à quatorze heures et j’ai foncé vers lui, sans même prendre le temps de vérifier si c’était bien lui. J’étais bien trop remontée pour garder ma colère et mon agacement C’est franchement culotté de m’inviter à ce restaurant le jour de sa fermeture ! Oui j’étais conne aussi de ne pas y avoir pensé. Bon d’accord, je ne viens jamais ici, il est bien trop « fréquenté » et miteux pour moi, mais j’avais encore fait une exception tellement je suis désespérée en ce moment.
Il ne s'en était pas aperçu tout de suite. Il était rentré tard du restaurant la veille, ayant fait la fermeture avec Elie, et s'était dépêché de rentrer puisque malgré la retraitée adorable qui lui faisait office de voisine et qui s'assurait de toujours être à portée de main pour Moïra les soirs où Tommy travaillait, il n'aimait pas l'idée de sa fille seule dans l'appartement. Il s'était endormi presque tout de suite pour une fois, mais avait été réveillé par Moïra lui faisant remarquer que s'il ne l'emmenait pas à l'école elle allait être en retard, et il avait à peine eu le temps de sauter dans un jean propre et de tenter - sans grand succès - de discipliner ses cheveux avant de conduire sa petite jusqu'à l'école. Et c'est donc seulement là, sur le chemin du retour, qu'il s'était rendu compte qu'il n'avait pas son téléphone portable. D'ordinaire il n'était pas vraiment esclave de ces petites choses, mais depuis qu'il était de retour à Brisbane il avait la hantise de l'oubli ou de la batterie faible : et s'il se passait quelque chose à l'école et qu'on tentait de le joindre ? Et si son agent de probation essayait de l'appeler ? Même sa mère, qui avait pourtant survécu sans lui parler pendant une décennie serait maintenant bien capable de déclencher une alerte enlèvement s'il ne répondait pas au téléphone, en femme mesurée qu'elle était (non).
De retour chez lui pourtant il n'était pas parvenu à mettre la main sur son téléphone et s'obligeant donc à se concentrer un peu pour se rappeler de la dernière fois qu'il se souvenait l'avoir eu entre les mains, il avait réalisé que l'objet était tout simplement resté au restaurant, branché à la prise derrière le bar. Il s'était pourtant laissé tomber sur son canapé en soupirant, la perspective de refaire le trajet entre Redcliffe et Fortitude Valley ne l'enchantant pas des masses, et le temps de trouver la motivation nécessaire à se lever, ranger un peu l'appartement, faire la vaisselle, prendre une douche ... Il était presque midi, et l'inquiétude de louper un appel important lui était revenue. « Promis juré, le jour où je retrouve un vrai boulot j'achète une bagnole. » Assis sur le bord de la fenêtre le chat - affectueusement surnommé Le Chat - faisait sa toilette et lui avait adressé un regard à peine concerné. Mais il est vrai que trimbaler Moïra dans les transports jusqu'à Pine Rivers pour rendre visite au reste des Warren n'était pas idéal, tout comme perdre une grosse demi-heure pour aller bosser. Comme aujourd'hui, arrivé devant la porte close du restaurant en bénissant le fait de faire la fermeture régulièrement et d'avoir un double des clefs. « C’est franchement culotté de m’inviter à ce restaurant le jour de sa fermeture ! » Semblant sortir de nul part la voix furibonde s'adressait de toute évidence à lui, et pris au dépourvu à peine un quart de seconde Tommy avait laissé un sourire gentiment narquois se dessiner sur son visage tandis qu'il se retournait « Ohoh, quelqu'un a misé sur le mauvais ... rencard. » Il avait reconnu la blonde avant même d'avoir terminé sa phrase, et affichait désormais un air aussi surpris qu'amusé. Se payant même le luxe d'inspecter la tenue de la jeune femme des pieds à la tête il avait fait remarquer sur le même ton « Et il n'a probablement pas conscience de ce qu'il rate. Premier rendez-vous ? » Ça y ressemblait bien en tout cas. Retirant la clef de la serrure il l'avait rangée dans sa poche, et terminé d'un ton faussement réprobateur « Ne me brise pas le cœur en me disant que tu ne me reconnais pas. » Quoi qu'il s'en remettrait, ne nous méprenons pas, mais pas sans une petite pointe de déception.
J’étais vraiment hors de moi. Je déteste plus que tout au monde que les personnes avec qui j’ai rendez-vous sont en retard. Alors quand en plus il y a un problème de coordination ou de communication, je ne supporte encore moins. Seulement ma colère s’affaissa d’un coup pour laisser place à de la gêne quand je remarquais que l’homme que je venais d’agresser était loin d’être celui que j’avais attendu. La colère restait encore au fond, vu que l’autre idiot m’avait tout de même posé un lapin. J’y penserais un peu plus tard, j’allais devoir d’abord me dépatouiller avec ce type, type que je connaissais. En ce moment dis donc, c’est que j’en revoyais des personnes du lycée. Mais ce gamin je m’en rappelais parfaitement bien. Il a été important dans l’une de mes revanches. C’est le frère de Marius et surtout de ma chère bonne vieille ennemie. En attendant, il me complimentait d’une charmante façon qui me fit bien sourire Et dernier surtout. Lui répondais-je simplement. Parce que non je n’allais donner une seconde chance à ce pauvre con avec qui j’aurais bien évidemment du refuser. Ce n’est pas mon genre de faire connaissance, encore moins pendant un rencard au restaurant, je me ramolli vraiment là, va falloir que j’arrange ça fissa. Mais prise de cour, la remarque de ce frère Warren me fit rire. Au moins il m’évite de péter un câble toute seule, j’aurais certainement eu l’air d’une furie s’il n’y avait eu personne ou si je ne l’avais pas connu C’est tentant de te le briser mais je te reconnais petit Warren. Seulement tu m’excuseras de ma mémoire merdique des prénoms … Lui répondais-je en gardant mon plus beau sourire. Je l’avais bien apprécié étant jeune malgré le fait qu’il m’avait servi plus qu’autre chose. Aujourd’hui je passerais au-delà de sa condition. Oui il travaille ici, c’est évident, mais je peux bien faire une exception, je n’arrête pas en ce moment, j’en suis pas à une près. Tu travailles ici alors je suppose ?! Lui demandais-je, non pas sans arrière-pensées.
Inutile de dire qu'il y avait fort peu de chance que l'on voit Tommy débarquer sur son lieu de travail pendant un jour de repos pour un motif autre que purement personnel. Ce n'était pas comme si son boulot actuel le passionnait, il s'en contentait parce qu'on ne crachait pas sur un salaire, et il était reconnaissant envers l'ancienne gérante du Burrow d'avoir accepté de l'engager en dépit de la tâche "prison" qui gâchait un CV dont il ne trouvait déjà pas de quoi se vanter ... Mais ce n'était rien de plus qu'un job alimentaire, il aspirait à mieux qu'à nettoyer des assiettes, sur le long terme. Mais il avait besoin de son téléphone, et sentait déjà la crainte latente d'avoir loupé un appel important lui serrer l'estomac tandis qu'il cherchait après les clefs du restaurant dans la poche de son blouson. Il serait déjà rentré, probablement proche de récupérer son bien et de déguerpir en vitesse, si une voix féminine ne l'avait pas alpagué et dévié de ses intentions premières. Le visage était familier, et la situation un brin cocasse, au demeurant. « Et dernier surtout. » lui avait-elle asséné sans plus de cérémonie, laissant Tommy assez indifférent quant au destin avorté de ce rencard qui n'avait pas eu le temps d'en être un. Faisant cliqueter la serrure il avait retiré la clef et l'avait rangée dans la poche de son blouson à nouveau, reportant son attention sur la blonde qui se tenait à sa droite et adoptant l'air du type nonchalant, malgré tout curieux de savoir s'il avait meilleure mémoire qu'elle. « C’est tentant de te le briser mais je te reconnais petit Warren. Seulement tu m’excuseras de ma mémoire merdique des prénoms … » Il avait été tenté l'espace d'une demi-seconde de jouer au type un peu vexé, mais conscient de ses piètres talents de comédien, et surtout peu disposé à se tailler une réputation erronée de drama-queen, il s'était contenté de répondre « Je t'excuse, ça m'évite d'avoir des scrupules au fait d'avoir oublié le tien. » Les crêpages de chignon auxquels sa sœur et elle s'étaient adonnées lui revenaient en mémoire beaucoup plus facilement que le reste, aidé sans doute par le fait que toute cette période allant de la fin du lycée jusqu'à son départ pour le Canada était à ses yeux plus ou moins oubliable. « Tommy. » s'était-il malgré tout permis de préciser, parce qu'il s'était cette dernière décennie suffisamment distancié des autres Warren pour préférer être désigner autrement que par le patronyme qui le reliait aux membres de sa famille. « Tu travailles ici alors je suppose ?! » Comme pour répondre à sa question il avait appuyé sur la poignée de la porte et poussé le battant pour qu'elle soit grande ouverte. « Il semblerait, oui. » Un je ne sais quoi l'avait malgré tout retenu de préciser qu'il n'était que plongeur, peut-être l'envie latente de ne pas passer pour un looser de compétition auprès de chaque vieille connaissance qui croisait sa route. Ce n'était pas comme si elle avait un quelconque moyen de le deviner, si ? « Mais au risque de remuer le couteau dans la plaie, ton rencard a effectivement choisi le mauvais jour pour t'inviter ici. » Autrement dit il n'était pas là pour ouvrir boutique, si tenté que ce soit ce qu'elle espérait. Il n'était même pas certain que débarquer ainsi sans prévenir personne, même pour récupérer un objet personnel, soit entièrement autorisé. Mais ça c'était le boss qui n'avait aucun moyen de le deviner, à priori.
Le petit Warren semblait également avoir une mauvaise mémoire, c’est tant mieux pour moi, je me sens moins seule enfin. Même si au final, ceux qui se souviennent de mon prénom sont ceux qui m’ont détesté ou pas apprécié. Etrange tout de même. Mais faut dire qu’avec le petit Warren, on n’est pas vraiment resté en contact et c’était pas vraiment une amitié, seulement un accord si on veut. On est vite passé à autre chose après le lycée, et ça remonte déjà à pas mal de temps. Il m’annonça alors son prénom. Tommy. Oui, je m’en rappelais, ou du moins ça me disait bien quelque chose. Enfin, peu importe. Il semblerait surtout qu’il travaillait ici et qu’il fraudait pour y venir pendant la fermeture du restaurant. Rebecca. Lui répondais-je simplement à mon tour. Il remua alors bien comme il le fallait le couteau dans la plaie me confirmant que le restaurant était bel et bien fermé. Voilà sûrement pourquoi il n’a pas pris la peine de me prévenir. Disais-je complètement désespéré par ce genre de comportement et de pauvre type. Mais ça me soulageait au fond. Sûrement parce que je n’en voulais pas tant que ça de ce rencard. Mais tu vois, outre le fait de s’être fait poser un lapin, je le prends plutôt bien. Oui parce que ce n’est pas censé être la réaction que je devrais avoir, moi, peste un jour, princesse l’autre jour. Bon, je ne me qualifie pas comme ça, mais j’assume que les gens puissent penser cela, tant qu’on me respecte et qu’on me fout la paix. Toujours est-il que je m’étais habillée exprès pour sortir manger, pour passer une soirée non en solitaire, alors oui, c’est ça qui m’agace le plus. Seulement j’ai une sacrée faim de loup. Tu ne voudrais pas m’inviter dans ton resto toi par hasard ? Lui demandais-je de but en blanc, comme si c’était une demande des plus anodines, autant l’invitation que la fraude. Après tout, peut-être qu’il se rappelle de comment j’étais au lycée, peut-être que ça le surprendra que je sois aussi direct. Peu importait, à présent il ne restait plus qu’à avoir son avis sur le chose. A savoir s’il se dévouait, ou si je devais me trouver un plan bis. Parce que oui, en temps général je n’aurais même pas posé la question, je lui aurais imposé de m’inviter. Je me ramollis oui, ou alors simplement pour le souvenir du bon vieux temps.
S'il en avait envie Tommy n'avait en réalité pas une trop mauvaise mémoire des prénoms, mais comme pour se donner bonne conscience et laisser tout cela définitivement derrière lui il avait occulté une grande partie de ce qu'avait été sa vie avant son départ pour le Canada avec Alice. Après tout il s'était persuadé sans trop de mal qu'il ne reviendrait jamais à Brisbane, à part éventuellement pour le mariage de ses sœurs ... Et voilà qu'il était là à nouveau. Contraint et forcé, tout comme il était forcé de faire travailler sa mémoire pour tenter de se rappeler le prénom de celle qu'il avait face à lui ... Mais elle ne se souvenait pas du sien, alors haussant les épaules il avait décidé qu'il ne risquait rien à les mettre à égalité. « Rebecca. » Il avait secoué vaguement la tête. Reste que le problème lui ne changeait pas, un avait posé un lapin à la jeune femme, et un jour de fermeture qui plus est. « Voilà sûrement pourquoi il n’a pas pris la peine de me prévenir. Mais tu vois, outre le fait de s’être fait poser un lapin, je le prends plutôt bien. » Il s'était retenu de faire remarquer que pour le prendre avec autant de philosophie elle ne devait pas être si attachée que cela au gugus qui lui avait donné rendez-vous. Mais en même temps s'il s'agissait d'un premier rendez-vous, on ne savait jamais trop à qui on avait affaire ... Tommy aurait du mal à le savoir, il n'avait jamais accepté de rendez-vous avec une inconnue. Ce n'était pas vraiment sa manière de fonctionner, et en même temps le cas de figure ne s'était pas présenté depuis tellement longtemps ... Il s'y était fait, à sa vie d'homme marié. Il ne l'aurait échangée contre rien au monde.
Machinalement il avait rangé les clefs du Burrow dans sa poche, pas le moins du monde conscient de laisser ainsi le loup rentrer dans la bergerie - façon de parler - puisque semblant avoir une idée bien précise derrière la tête la blonde avait proposé l'air de rien « Seulement j’ai une sacrée faim de loup. Tu ne voudrais pas m’inviter dans ton resto toi par hasard ? » Il avait compris qu'elle se méprenait sans doute un peu dès l'instant où elle avait parlé de son resto, quand en réalité le simple fait de s'y être rendu un jour de fermeture pourrait probablement lui valoir des ennuis. Il n'avait pas confiance en le type qui avait remplacé celle qui l'avait embauché il y a quelques mois, il le soupçonnait d'attendre la moindre incartade de ses employés pour les mettre à la porte et les remplacer par des personnes qu'il aurait choisi lui-même. Inutile de préciser qu'il n'était absolument pas au courant des antécédents carcéraux de Tommy. « Je ne sais pas, je ... » Il ne devrait même pas hésiter en réalité, la réponse était non, c'était aussi simple que ça, il était là pour récupérer son téléphone et rien de plus, il n'y avait pas à tergiverser ... Et pourtant il était là, à hésiter. « J'suis pas très bon cuisinier, parce que tu vois j'm'occupe plutôt de ... la comptabilité. » La comptabilité, sérieusement ? Il n'avait jamais rien compris aux chiffres. « Je venais juste récupérer un truc, alors je ne sais pas si ... » Sincèrement comment arrivait-elle à faire ça ? A vous fixer de façon si perçante qu'on se sentait dans l'incapacité de lui dire non ? C'était redoutable. « Mais je suppose qu'on devrait bien trouver de quoi se faire un casse-dalle. » Mauvaise idée, très mauvaise idée même. Et pourtant le voilà qui ouvrait la porte pour la laisser passer devant lui, observant malgré tout à la ronde comme s'il craignait que le boss ne sorte de nul part comme on sortirait un lapin d'un chapeau. « Et toi ? Qu'est-ce que tu fais dans la vie ? » Il l'imaginait bien dans un poste à responsabilités, où elle pourrait exercer à loisir son regard qui empêche de dire non. Mais après tout elle se faisait des idées à propos de son métier à lui, alors peut-être s'en faisait-il à propos du sien également.
Traversant la pièce en concluant qu'elle suivrait, il était passé derrière le comptoir et avait récupéré son téléphone et son chargeur, grimaçant légèrement en remarquant qu'il avait loupé un appel de Meg. Pas qu'il n'ait spécialement envie de parler à sa soeur, mais comme elle non plus elle avait forcément du appeler pour une bonne raison ... Bref, il verrait plus tard. Repassant de l'autre côté du comptoir il avait fait signe à la jeune femme de le suivre et avait rejoint les cuisines, où là seulement il avait daigné allumer les lumières, puisqu'on ne pouvait plus les voir depuis l'extérieur. « Alors, qu'est-ce qui ferait plaisir à mademoiselle ? » Oh ça ne lui coûtait rien de rêver et d'avoir des rêves de grandeur, mais peut-être valait-il mieux pour elle qu'elle garde à l'esprit les capacités limités dont Tommy avait fait état en terme de cuisine, à moins qu'elle n'ait l'intention de mettre la main à la pâte également.
Ce rendez-vous, j’étais bien heureuse qu’il se soit annulé finalement, même si c’est évident que si je rencontre en vrai ce pauvre type, il risque bien de souffrir et de passer le pire quart d’heure de sa vie. Mais peu importe, je n’avais pas envie de gâcher mon repas pour cette tronche de cake. Au moins j’apprécie davantage la présence de mon ancien camarade de classe qui était l’un des rares que j’arrivais à supporter plus de trente secondes dans mon entourage, même si au final, nous n’étions pas non plus très proche très longtemps. Il me servait bien oui à l’époque, surtout pour rendre jalouse sa sœur que je prenais un réel malin plaisir à emmerder. Tout cela remonte si facilement en mémoire, et je ne pouvais m’empêcher d’en sourire. Et j’avais faim. Et maintenant que j’étais dehors et en compagnie parfaite pour manger dans ce même restaurant où j’aurais du avoir mon rendez-vous, je comptais bien en profiter. C’était évident pour moi qu’il gérait l’endroit, ce n’est pas à la portée de tout le monde non plus, mais ça le représente bien. Seulement je déchantais bien vite en découvrant qu’il n’était qu’un simple comptable. Oh … Je tirais une petite grimace qui finalement voulait quand même manger à l’intérieur. Je le fixais du regard, espérant quand même qu’il cède, après tout, j’ai juste envie de frauder, de manger un peu, même si ce n’était pas de la haute gastronomie, tant pis. Et il dut bien le comprendre parce que finalement il me proposait de trouver un petit casse-croute. J’étirais alors un large sourire, toute satisfaite. Parfait. Je n’ai pas très faim de toute façon. Il rouvrait la porte et je ne tardais pas à rentrer. Je voyais bien qu’il n’était pas à l’aise, mais en même temps, ce n’est pas son restaurant, je peux comprendre qu’il ait peur des retombées. Mais je n’allais pas rebroussée chemin, non, je rentrais bien rapidement à l’intérieur au lieu de ça. Je suis responsable d’équipe, chef de projet dans la conception de jeux vidéo. Lui répondais-je toujours avec cette fierté quand j’annonce mon travail. Certes, mon but est de devenir PDG de la boîte, celle-là ou une autre bien sûr, peu importe, tant que je deviens la grande cheftaine et que je remplace quelqu’un de bien moins compétant. Je me dirigeais alors machinalement vers la première table de deux, comme si de rien n’était, comme si tout était normal, j’attendais de me faire servir. Heureusement, il ne tarda pas à me demander ce que je voulais. Je n'ai pas réfléchi bien longtemps et lui demandais Du saumon fumée si tu as, avec pain et fromage s'il te plaît. Je ne lui demandais pas de faire la cuisine, j'ai pitié de sa comptabilité.
Cela avait toujours été le souci avec Tommy, il était tellement complexé par ce qu'il croyait être sa propre stupidité qu'il n'assumait jamais rien, particulièrement pas son parcours scolaire et professionnel. A Kenora il avait réussi à relativiser un peu, probablement à force de côtoyer des personnes qui lui ressemblaient et malgré le fait que gagner moins qu'Alice ait toujours été une sorte de complexe, mais depuis qu'il était de retour à Brisbane la tendance s'était inversée, et même aggravée. Au mieux Tommy tentait de la mettre en veilleuse, en majorité il se contentait d'enjoliver légèrement et de passer sous silence la case prison qui faisait toujours tâche sur un parcours personnel, mais dans certains cas - comme aujourd'hui - il se sentait obligé de s'enfoncer dans le mensonge pur et simple. C'était plus fort que lui, et souvent les mensonges sortaient avant qu'il n'ait pu songer à s'en empêcher. Il était même parvenu à se persuader que c'était la meilleure chose à faire en voyant l'air momentanément déçu de la blonde ; Si elle savait. Mais puisqu'il n'était définitivement plus à une connerie près c'était lui qui avait cédé finalement, un peu aidé par le regard perçant qu'elle avait posé sur lui avant que n'y succède un air satisfait « Parfait. Je n’ai pas très faim de toute façon. » Tommy n'était définitivement qu'un crétin, un crétin qui manquait autant de jugeote que de volonté.
Laissant la jeune femme passer devant lui il avait rapidement récupéré son téléphone derrière le comptoir, remettant à plus tard - bien plus tard - le moment où il devrait rappeler sa sœur, en se disant même que si vraiment elle avait quelque chose d'urgent à lui dire elle rappellerait, voilà tout. Reportant son attention sur Rebecca il avait fait preuve de curiosité envers ce qu'elle faisait, elle, dans la vie, et son « Je suis responsable d’équipe, chef de projet dans la conception de jeux vidéo. » avait terminé de le persuader qu'il avait bien fait de mentir. Outre un brin d'admiration il y avait aussi un peu de surprise dans son regard tandis qu'il commentait « La conception de jeux vidéos ? T'es bien la preuve que l'habit ne fait pas le moine. » Parce qu'à la voir comme ça, avec son air sérieux et sa robe probablement hors de prix, Tommy l'aurait plutôt imaginée dans le droit, le marketing, la finance ou autre type de métier un peu guindé. Au lieu de cela il l'imaginait maintenant passant ses nerfs sur du zombie, et cela lui avait arraché un léger sourire, amusé. Passant une main sur sa nuque il l'avait regardée faire comme chez elle et s'installer, ne pouvant s'empêcher de se demander dans quelle galère il s'était encore mis, mais continuant malgré tout de jouer le jeu il lui avait demandé ce qu'elle voulait manger. En priant certes un peu pour qu'elle ne fasse pas la fine bouche. « Du saumon fumé si tu as, avec pain et fromage s'il te plaît. » Oh ça, il devait bien avoir. Et il remerciait presque il ne savait quelle force supérieure pour le fait qu'elle n'ait rien demandé qui nécessite d'être cuisiné.
Disparaissant un instant à la cuisine, il était resté dubitatif quelques instants face au vide de la pièce, plus préoccupé par le fait qu'il n'avait jamais prêté une quelconque attention à la manière dont étaient rangées les denrées que par le fait qu'il ne devrait en théorie même pas être en train de se poser la question. Fouillant dans ce qui était déjà entamé il avait néanmoins trouvé de quoi satisfaire les exigences de la jeune femme, et les siennes par la même occasion puisque tout au fait de récupérer son téléphone il en avait sauté la case repas lui aussi. Disposant son butin dans deux assiettes parmi celles qu'il avait mises à sécher la veille il avait fait retour dans l'autre pièce en minaudant sans grand sérieux « Avec les compliments de la maison. » comme s'il était allé pêcher ce pauvre saumon lui-même. Pour ce qui était de boire en revanche la jeune femme devrait se contenter de la carafe d'eau que Tommy avait ramené « J'ai pas la clef pour accéder à l'alcool. Et puis l'eau c'est bon pour la peau. » Il avait asséné cela comme une vérité alors qu'en réalité il n'en savait rien, mais il lui semblait avoir déjà entendu Alice lui dire un truc de ce genre-là. « Ça va, je marque des points ou bien tu regrettes encore monsieur lapin ? » La formulation l'amusait, en réalité Monsieur Lapin c'était aussi le nom du doudou de sa fille, bien qu'il soit évident qu'il faisait ici référence au type qui avait - mal - rencardé la jeune femme. Il y avait intérêt à ce qu'il marque des points en tout cas, il venait de lui offrir de quoi manger et c'était déjà bien plus que ce que l'autre zigoto avait fait. « T'as pourtant toujours pas l'air d'être le genre à qui on pose des lapins. » La remarque était dite sur le ton de la conversation, comme ça. Il croyait se souvenir que déjà lorsqu'ils étaient plus jeunes elle n'était pas du genre à se laisser marcher sur les pieds, encore moins par un représentant de la gente masculine.
Avant même de venir m’installer à une table de ce restaurant, pas très chic mais passable, Tommy en vint à me demander ce que je faisais à mon tour comme métier. Et comme toujours, j’étais terriblement fière de dire comment je gagnais parfaitement bien ma vie. Et comme d’habitude, il semblait surpris, comme la plupart des personnes qui apprennent mon métier. C’est évident qu’avec mon apparence, on ne le devinerait pas le moins du monde. Je lui souriais, amusée par ses propos et lui répondais Tout à fait, et j’apprécie ça. Oui, je le cherche, évident. J’aime surprendre le petit peuple, tout comme le grand à vrai dire. Chose que je ne pourrais jamais avouer, c’est comme je suis habillée lorsque je joue à mes jeux vidéo et surtout combien d’heures je peux y passer par moment sans voir le temps défiler. Je n’ai que très peu de dvds, seulement des jeux, de toutes consoles (ou presque) qui tapissent presque tous les murs de mon habitation. Cependant, je ne connaissais pas du tout le métier de la comptabilité, mais ce que j’en déduisais, c’est que cela n’avait vraiment rien à voir avec la gastronomie. Je n’allais donc pas lui demander de me préparer son plus délicieux plat, je n’en serais que pénalisée. Du simple saumon avec du formage me suffirait amplement donc. En espérant tout de même que leur saumon soit frais et sain. Mais je ne préférais pas non plus trop exagérer, vu que nous sommes tout de même ici un peu en effraction. J’appréciais en attendant son accueil et ça semblait appétissant malgré le manque de vin blanc. Je m’en contenterais donc. Lui répondais-je de façon totalement neutre. Bien sûr j’aurais pu insister, mais seulement s’il y avait eu de réels responsables, que le restaurant eut été réellement ouvert. Là, il a relativement de la chance. Voilà qu’il me demandait alors s’il gagnait des points. Enfin, si je ne regrettais pas d’avoir suivi monsieur Lapin. Je souriais en coin, amusé par ses propos, même si l’idiot du village qui m’avait posé ce lapin ne me faisait par rire Tu es d’une bien meilleure compagnie que le lapin, pour sûr, du moins pour l’instant. Lui répondais-je alors, pour ne pas qu’il se sente non plus trop en confiance. Je commençais alors doucement à manger ce que Tommy avait réussi à faire à la place du lapin, et je le regardais un peu intrigué face à sa remarque. Etait-ce désobligeant ? Cela ne semblait pas, mais je trouvais ça un peu déplacé de sa part. Peu importe. Je lui répondais d’un air sec Non en effet. On n’ose pas m’en poser. Du moins, pas quand on me connait. Et bientôt, il va s’en rendre compte. Evidemment que je n’aurais pas du accepter ce rencard débile, c’est comme ça que je me fais avoir et je le sais très bien, ça ne risque pas de se reproduire en tout cas.
Elle avait un répondant qu'on ne pouvait pas lui nier, chose qui cela dit n'étonnait pas spécialement Tommy puisque c'était déjà ainsi qu'il se souvenait de la jeune femme, son caractère l'ayant de toute évidence plus marqué que son prénom. C'était probablement ce qui en faisait l'une des rares connaissances de sa soeur Beth à laquelle Tommy trouvait à l'époque un minimum d'intérêt, le côté mère-la-morale et affreusement ennuyeux que son aînée partageait avec la plupart de ses autres connaissances en faisaient aux yeux du brun des quantités plus ou moins négligeables. Rebecca avait ce côté un peu sulfureux et imprévisible qui en faisaient l'exception, et là où son métier aurait probablement laissé Tommy de marbre tant les jeux vidéos ne faisaient pas partie de ses centres d'intérêt, le décalage entre Rebecca et cette occupation avait titillé sa curiosité. « Tout à fait, et j’apprécie ça. » Il avait esquissé un sourire qui en disait bien plus long que le silence qui l'avait accompagné, et disparu en cuisines pour leur trouver de quoi manger sans faire de commentaire supplémentaire à ce sujet.
Aidé il est vrai par le fait qu'elle ne s'était pas montrée particulièrement exigeante, il avait été capable de leur préparer deux assiettes en étant à peu près certain que personne ne remarquerait qu'il avait pioché dans les réserves ... et quand bien même cela arrivait, qui le soupçonnerait lui, le laveur de vaisselle officiel, dont on n'attendait probablement pas qu'il sache préparer ne serait-ce qu'un œuf dur ? Personne. A défaut du vin - certaines bouteilles étaient un peu coûteuses et seul le chef de salle possédait les clefs de la cave - la blonde mangerait donc au moins ce qu'elle avait "commandé", et visiblement pas d'humeur à faire la difficile elle avait assuré « Je m’en contenterais donc. » et il s'en était contenté. Alors qu'il s'apprêtait à prendre place face à elle, une idée lui était venue au dernier moment, et avant toute autre chose il avait rebroussé chemin jusqu'à la porte d'entrée pour y mettre la clef dans la serrure ; Si quelqu'un tentait d'entrer il ne pourrait pas tourner sa propre clef, et ce serait probablement à cela que tiendrait l'emploi de Tommy. A cela et aux rideaux fermés.
Ayant - enfin - la possibilité de s'installer à son tour, il leur avait servi un verre d'eau à chacun en espérant, sans grand sérieux il est vrai, faire meilleure impression que le le bonhomme qui avait été trop étourdi en lui donnant rendez-vous. A moins qu'il n'ait donné un rendez-vous erroné de manière volontaire, mais enfin ce serait encore pire et Tommy ne se risquerait pas à évoquer cette possibilité à voix haute, n'y voyant pas d'autre potentiel que celui d'être vexant. « Tu es d’une bien meilleure compagnie que le lapin, pour sûr, du moins pour l’instant. » Avalant une gorgée ou deux de son verre d'eau sans se presser, moins sur ses gardes qui ne l'était lorsqu'ils étaient entrés dans le restaurant, il avait fait mine de se questionner « Pour l'instant ? Est-ce que ça signifie que je suis toujours à l'essai ? » mais accompagné sa question d'un sourire amusé. Mais quelque part elle ne semblait pas du genre à se faire poser des lapins souvent, d'ailleurs elle n'avait rien de la femme désespérée comme cela aurait pu être le cas dans une telle situation ... Meg par exemple, une ds autres soeurs de Tommy, aurait probablement été du genre à chouiner qu'elle était encore tombée sur un abruti. Faut dire qu'elle semblait les attirer comme le miel attirait les abeilles, Tommy ne comprenait pas qu'elle soit si aveugle aux intentions parfois flagrantes de certains hommes. « Non en effet. On n’ose pas m’en poser. Du moins, pas quand on me connait. Et bientôt, il va s’en rendre compte. » Quand on la connaissait ? Soit, il voulait bien le croire. Reposant son verre il avait joué un instant avec sa fourchette tout en témoignant de l'intérêt pour ce que venait d'assurer la blonde « Des plans de vengeance, ça me plait. Et comment est-ce que tu comptes maltraiter ce pauvre bougre ? » Tommy n'avait aucun scrupule, qu'on se le dise, il était bien capable de proposer d'aider la jeune femme pour le simple fait de se divertir un peu. Pas qu'il ait un mauvais fond, mais il était d'avis que lorsque l'on tendait le bâton c'était presque supplier de se faire battre.
Est-ce que Tommy était toujours à l’essai ? Bien sûr, comme tout homme à vrai dire. Dès que je commence à leur apporter ne serait-ce que l’intérêt de faire attention à eux, ils sont sur la sélect’. Je ne fais aucunement confiance aux hommes et c’est comme ça que je ne suis jamais déçu. Comme avec l’autre idiot qui m’avait posé un lapin. Je n’aspirais pour cet individu que du dégoût et un désir de vengeance pour mon propre égo. Sachez qu’avec moi, on est toujours à l’essai très cher ami. Lui répondais-je en manquant un peu de sérieux. Oui je me décontractais étrangement avec lui. Et je ne saurais dire pourquoi encore exactement. Si ce n’est que j’avais une relation plutôt convenable avec lui au lycée. Assez proche si on veut également, vu qu’on avait feint plutôt bien être ensemble. Toujours est-il que niveau lapin, aucun homme n’avait vraiment osé m’en faire, ou alors ils s’en mordaient les doigts, juste après. Et je ne manquais pas de le faire comprendre à mon hôte du soir. Je pensais qu’il allait faire comme ma sœur bizarrement, me dissuader, me dire de passer à autre chose, que la vengeance est un plat qui se mange froid, et bla bla bla. Tout ce que je déteste. Contre toute attente, Tommy sembla plutôt plaisant à l’idée de vengeance. J’arquais un sourcil, sourire en coin agréablement surprise et me mis à réfléchir à une idée de vengeance. Seulement il m’avait bien pris au dépourvu. Faut dire que je ne pensais pas en parler un jour avec quelqu’un. J’aurais certainement pris un bain pour m’inspirer la vengeance parfaite. Lui répondais-je avec un petit rire sadique, bien heureuse de songer à l’idée de faire payer cet affrontement qu’avait commis cet homme négligent. Je mangeais alors un peu de mon saumon, buvait un peu d’eau avant de reprendre sur une éventuelle idée Je pourrais éventuellement le rendre fou avec un petit lap dance, mais ce serait trop lui donner alors qu’il ne le mérite pas. Ou alors une blague assez crade qui pourrait bien l’humilier devant des centaines de personnes. Oui, ça me paraît bien plus intéressant. Concluais-je alors avec un sourire tout à fait satisfait. Maintenant, il ne me restait plus qu’à savoir quoi exactement.
Tommy était le genre qui cherchait toujours un peu la petite bête, qui retenait ce qu'il avait envie de retenir du discours des gens qui lui faisaient face. Bien souvent il ne faisait par cela sérieusement, c'était toujours dans l'unique but de titiller gentiment ses interlocuteurs et jamais par méchanceté, mais pourtant il parvenait toujours à en trouver que cela irritait. Son frère aîné par exemple s'en était toujours agacé profondément, bien que Tommy soit tenté de vous dire que Marius était tout simplement dépourvu du moindre humour, ceci expliquant cela. Rebecca, elle, ne semblait ni dépourvue d'humour ni dans l'incapacité de saisir une perche lorsqu'elle lui était tendue, aussi à son « Sachez qu’avec moi, on est toujours à l’essai très cher ami. » il avait répondu par un léger rire amusé, piquant un morceau de saumon avec sa fourchette tout en s'appuyant un peu mieux contre le dossier de sa chaise. Il prenait beaucoup trop ses aises comptes tenu de la situation, il pourrait être foutu à la porte pour ce qu'il était en train de faire et bizarrement il commençait à l'occulter un peu. Et dieu sait pourtant qu'il avait besoin de ce boulot, à la fois pour élever sa fille et pour empêcher le reste de sa famille de se donner une nouvelle excuse pour le considérer comme un irrécupérable.
Et en parlant d'irrécupérable, il y en avait un qui à priori l'était devenu aux yeux de la blonde, mais au fond quand on posait un lapin à quelqu'un de manière générale, c'était un risque qu'il fallait assumer. Tommy lui était bien trop curieux quant à la vengeance dont Rebecca disait vouloir faire preuve pour songer à compatir avec le pauvre bougre. D'ailleurs il avait déjà suffisamment subi les affres de la gente féminine à l'époque où il était encore un célibataire papillonneur, pour ne pas avoir à compatir à celles des autres. « Faut dire que je ne pensais pas en parler un jour avec quelqu’un. J’aurais certainement pris un bain pour m’inspirer la vengeance parfaite. » Il avait laissé échapper un rire lui aussi, Rebecca avait ce côté un peu théâtral qui l'amusait. Bien qu'il ait un peu de mal à déterminer où se situait la réalité et où commençait l'extrapolation dans ses paroles. « Je pourrais éventuellement le rendre fou avec un petit lap dance, mais ce serait trop lui donner alors qu’il ne le mérite pas. Ou alors une blague assez crade qui pourrait bien l’humilier devant des centaines de personnes. Oui, ça me paraît bien plus intéressant. » L'esprit naturellement revanchard de Tommy trouvait les deux solutions alléchantes, dans la mesure où il ne connaissait pas le bougre qui en serait la victime, mais grimaçant légèrement tout en buvant une gorgée d'eau il avant fait remarquer d'un air amusé « Rappelle-moi de ne jamais me mettre dans tes mauvaises grâces. » Bien qu'en réalité il n'ait pas grand chose à perdre, pas plus qu'il n'aurait probablement l'occasion de se mettre la jeune femme à dos. Qui sait s'il la reverrait, après ce midi.
Son téléphone portable avait vibré sur la table, et le nom de Beth s'affichant sur l'écran du téléphone il avait levé légèrement les yeux au ciel et lâché un soupir, avant de glisser le portable dans la poche de son jean pour ne plus avoir à s'en préoccuper. « J'aurais peut-être du répondre ... Tu penses que si j'lui avais dit que j'étais avec toi elle m'aurait demandé de tes nouvelles ? » avait-il questionné d'un ton légèrement railleur. Ce n'était pas l'amour fou entre Rebecca et Beth, à l'époque où Tommy avait laissé les choses. Bien qu'en réalité il ne sache pas trop si les choses avaient évolué depuis, et ne s'en intéressait pas spécialement ... Connaissant Beth elle avait de toute façon du être bien trop occupée à disputer à Marius la place d'enfant préféré et de professionnellement supérieur auprès de leurs parents pour se soucier de quoi que ce soit d'autre. « Mais pour en revenir à ton lapin, pas que tes idées ne soient pas bonnes, mais si je peux me permettre de parler d'expérience ... Si tu veux vraiment qu'il s'étouffe dans sa frustration, y'a rien de mieux que d'offrir à un de ses potes ce que lui aurait pu avoir s'il avait été sage. » Il n'avait probablement pas besoin de lui faire un dessin, elle voyait sans doute où il voulait en venir. La solidarité masculine avait ses limites, et il n'y avait pas pire atteinte à l'égo du mal alpha que de se faire voler une conquête potentiel par son pote. Ou par son frère, et là-dessus Tommy savait de quoi il parlait.
Evidemment que personne ne devait me mettre dans une colère noire, la personne en paiera forcément le prix, tout comme ce lâche qui avait osé me poser un lapin. Au moins je prévenais indirectement Tommy qu’il n’avait pas intérêt à me titiller, sinon ça risquait de mal se passer pour lui. Mais quelque chose me dit qu’il a été bien plus intelligent pour ne pas le faire, et ce, depuis le lycée déjà. Je n’avais donc même pas le besoin de l’avertir. Même s’il me fit sourire en disant qu’il ne voulait pas être dans mes mauvaises grâces. C’était tant mieux, je pouvais lui donner un peu de ma confiance comme cela. Mais je fronçais bien rapidement les sourcils à la vue du prénom qui s’affichait sur son téléphone portable. Mon ennemie jurée. Qu’est-ce qu’elle voulait encore ? Bon, c’est son frère après tout, mais ils n’ont jamais vraiment réussi à s’entendre. Je sentais alors dans sa question qu’il me cherchait un peu. J’haussais les sourcils, tout en riant de façon relativement sadique et narquoise Je pense qu’elle t’aurait raccroché au nez oui, c’est moi qui aurait du répondre, ça aurait été bien plus drôle. Lui répondais-je en lui lançant un clin d’œil avant de me mettre à le regretter. Mais c’était plus fort que moi, j’ai besoin d’un complice faut croire et je me retrouvais en quelque sorte, de nouveau au lycée en sa présence, à comploter contre sa sœur et quelques autres personnes. Dont mon poseur de lapin. D’ailleurs il me proposa une alternative, une autre idée de vengeance, qui me semblait assez alléchante, je ne pouvais pas le nier Mais c’est que ce n’est pas une mauvaise idée ça dis donc. Je devrais vraiment t’engager pour comploter avec moi. Lui disais-je, prête bien sûr à le faire si j’en avais besoin, si mes neurones lâchaient alors que j’en avais absolument besoin. Je finissais alors de manger le restant de mon assiette, bien repue, et bien satisfaite de ce repas, aussi léger soit-il.
Beth n'était assurément pas celle de ses sœurs avec laquelle Tommy s'entendait le plus mal, cette place de choix étant réservée à Meg, mais pour autant l'entente entre eux était toute relative. Beth était l'équivalent masculin de Marius, elle faisait la fierté de leurs parents et portait sa réussite professionnelle telle un étendard que Tommy, lui, prenait comme un affront et une provocation personnelle. Elle n'était d'ailleurs jamais la dernière pour rappeler à Tommy et Scarlett à quel point il était dommage – croyait-elle – qu'ils n'aient pas voulu faire d'études et se retrouvent aujourd'hui à vivre de boulots qu'elle qualifiait d'ingrats sans songer à mal … Beth ne songeait jamais à mal, et au fond sa déception était probablement sincère, mais du point de vue de Tommy elle était surtout horripilante et dégradante. Deux adjectifs que Tommy imaginait fort bien Rebecca attribuer à sa sœur aînée, à la manière dont elle avait répondu « Je pense qu'elle t'aurait raccroché au nez oui, c'est moi qui aurait du répondre, ça aurait été bien plus drôle. » après qu'il ait sciemment rejeté son appel. « J'en conclus que vos rapports ne se sont pas arrangés depuis mon exil ? » Exil entièrement choisi, certes, mais toujours est-il qu'il s'était absenté une décennie entière et qu'entre les deux femmes rien ne semblait avoir changé. La férocité féminine laissait Tommy un brin songeur.
Des griefs et de la férocité à revendre la blonde en avait semble-t-il une bonne dose, à en juger par sa volonté de donner une leçon à celui qui avait décidé ce midi-là de lui poser un lapin. Et Tommy, jamais le dernier lorsqu'il s'agissait de faire preuve d'un peu d'acidité, de lui donner du grain à moudre en lui proposant une solution déjà testée et approuvée par nul autre que lui-même. Pas sans y perdre quelques plumes, certes, mais le jeu en avait vraiment valu la chandelle puisque de là avaient découlé son mariage et l'existence de sa fille. « Mais c'est que ce n'est pas une mauvaise idée ça dis donc. Je devrais t'engager pour comploter avec moi. » Laissant échapper un léger rire, Tommy avait continué de jouer avec le contenu de son assiette sans véritablement y toucher. Il n'avait pas faim. « Tu m'engagerais sans CV ni informations, t'as le goût du danger, toi. » n'avait-il alors pas pu s'empêcher de faire remarquer avec un brin d'amusement. D'autant plus que lui savait comme son CV avait tendance à le desservir. « Mais ça serait bien moins rasoir que la … comptabilité. C'est certain. » Il n'avait même pas besoin de broder pour savoir que la comptabilité devait être chiante comme la pluie. Mais bien mieux payée que son véritable job, faut-il le préciser.
Si la jeune femme avait finalement terminé son assiette, Tommy lui n'avait plus grande intention de toucher à la sienne. Et il n'en aurait de toute manière pas vraiment eu le loisir puisque bientôt le bruit de la poignée de la porte l'avait ramené à la réalité. Intimant le silence à Rebecca d'un signe de la main, il avait attrapé leurs assiettes et leurs verres avec la dextérité de l'ex-serveur qui sommeillait encore en lui « On sort par derrière, amène-toi ! » Abandonnant la vaisselle dans un placard des cuisines en se promettant de revenir nettoyer les traces de son méfait plus tard, il avait attrapé la main de la blonde et s'était engouffré par la porte de service pour rejoindre l'arrière-cour. L'ennui c'est que pour en sortir il leur faudrait repasser par la devanture, alors pour l'heure Tommy s'était contenté de les mener se cacher dans un angle mort, dissimulé par une pile de cageots en bois. « Avoue que tout ça est beaucoup plus divertissant pour toi que le midi que tu t'attendais à passer en te levant ce matin. » avait-il raillé à voix basse, non sans continuer de prier pourtant pour que celui où celle qui venait de débarquer au restaurant n'insisterait pas et repartirait sans remarquer leur présence. Comptable ou serveur cela ne changeait rien au fait qu'il n'avait pas le droit d'être là.
Avec Beth, ça n’a jamais été l’amour fou. Au début, j’ai bien cru qu’on pourrait être amie, une fille intéressante, mais qui s’est vite avéré bien trop avenante avec beaucoup de personnes qui n’en valaient pas le coup. Aujourd’hui, je ne sais même pas si elle est encore amie avec Gabriel. Peu importe. Je n’avais jamais pu m’entendre avec elle, et ça ne changera pas de sitôt. Ça ne s’est jamais arrangé non. Et c’est pour le mieux. Lui répondais-je toute fière, sourire aux lèvres, bien satisfaite de cette relation. Tu es parti combien de temps ? Oui j’avais cru comprendre face à ses dires qu’il était parti loin d’ici pendant un bon moment. On ne se retrouvait que maintenant, et justement avec Beth, nous n’avons jamais parlé famille. Bien que je me sois toujours bien plus intéressée à son frangin, bien plus sadique, bien plus intéressant à exploiter. Aujourd’hui encore, vu qu’il me proposait certaines idées de vengeance tout à fait alléchantes. Je t’ai connu au lycée, tout ce dont j’ai besoin de savoir c’est le niveau de sadisme. Lui répondais-je d’un ton bien joueur et machiavélique en même temps tout en lui envoyant un clin d’œil, ne pouvant toujours pas m’empêcher de jouer de mes charmes. Pour lui aussi ça serait bien plus intéressant que je l’engage apparemment, même si tout ça n’était que pour parler. Je me suis mise à sursauter d’un coup, entendant un bruit de poignet, et l’adrénaline monta d’un coup, surtout celle de Tommy qui se mit à débarrasser aussi vite que l’éclair. Il m’attrapa la main pour m’entraîner par la sortie de derrière. Je me retenais de rire et ne pouvais tout de même me retenir de pouffer. Sauf que mon euphorie s’arrêta bien vite quand je vis qu’il n’y avait aucune sortie. Je fronçais les sourcils, pas très contente, me retournant vers mon hôte en fraude. Mais il me fit sourire avant même que je ne puisse me plaindre Je ne peux pas dire le contraire. Mais le sérieux et l’inquiétude reprit le dessus tout en continuant de chuchoter Tu m’expliques où est ta sortie de derrière ? Lui demandais-je posant mes poings sur mes hanches, sentant que je m’étais fait avoir. Enfin, c’est tout de même mieux ça que de me retrouver derrière des barreaux.