Je ne peux pas le croire, je marche d’un pas rapide sans trouver le moyen de me mettre ça dans la tête. Matteo est vivant. La nouvelle m’est tombée dessus comme ça, Kaecy et son teint pâle qui m’inquiétait. Je me repasse ces mots dans la tête toujours sans pouvoir y croire. C’est impossible, Matteo nous a quitté depuis longtemps maintenant et si ça n’a pas été simple de l’accepter je pensais que mon deuil était fait, du moins jusqu’à ce que Kaecy me lance la nouvelle de son ton encore choqué. Je ne peux pas dire que j’ai mieux réagi, ou que je n’ai pas pensé que tout ça était de la diffamation, d’ailleurs encore maintenant j’ai de la peine à y croire. C’est comme ça que je me suis retrouvé sur le chemin pour aller chez Heidi, comme ça que j’ai débouché devant sa porte sans trop réfléchir, sans penser non plus à mon comportement de ses dernières semaines. Tout ce qui pouvait entrer dans mon esprit c’était Matteo et son retour, cette nouvelle qui avait été annoncée de la bouche d’Heidi en premier lieu. J’avais besoin qu’elle le dise à moi aussi, besoin de comprendre, d’avoir des explications. De le voir aussi.
Je tambourine sur la porte une pointe de stresse se faisant ressentir dans mes mouvements alors que déjà j’entreprends des vas et viens devant la porte. La patience n’a jamais été mon fort je dois bien l’avouer. Et je recommence à taper, un peu plus vite, un peu plus fort cette fois. « Heidi ! Heidi dis moi que t’es là ! » Vu de dehors je dois passer pour une sorte de fou qui vient la harceler, et c’est peut-être un peu ce que je suis. « Ouvre, il faut absolument que je te parle. » Je ne suis même pas sûr qu’elle soit chez elle. Et pour être honnête je lui ai à peine laissé le temps de venir ouvrir la porte avant d’appeler son nom et ce n’est que quand la porte s’ouvre sur elle, et que je vois son regard que ça me saute au visage.
Qu’est ce que je fais là ?
Entre Heidi et moi les choses sont un peu houleuses. Elles l’étaient déjà depuis son retour mais lorsque nous avons couché ensemble ça a rendu tout ça un peu plus complexe encore. Et si la première fois était clairement un moment d’égarement qui m’a fait un bien fou mais était supposé rester un événement isolé… La deuxième fois a prouvé que ça n’était pas aussi simple - bien au contraire. Sans doute parce que j’ai toujours su au fond de moi qu’Heidi ne pourrait jamais être une fille comme une autre - une de celle avec qui on couche pour ensuite ne plus s’en préoccuper. Puis J’ai revu Kyrah et tout a commencé à se mélanger dans ma tête… Tellement que dans son regard je comprends bien vite que je suis devenu pour elle exactement ce que je redoutais d’être un jour. Un connard. Du moins c’est ce que son regard me laisse penser. « Hem… Salut… » Je perds d’un coup mes moyens. Je suis venu ici pour avoir une réponse à une question bien précise et plutôt que de la poser, je regarde la jeune femme, n’osant pas supporter son regard trop longtemps. Je finis pourtant par me rependre, gonflant légèrement le torse pour me redonner de l’assurance et plonger mon regard dans le sien. « Est ce que c’est vrai ? Ce que Kaecy m’a dit ? Est ce que tu as… Tu as vu Matteo ? » C’est sans doute indélicat de ma part de me pointer là alors que je ne lui parle pas depuis plusieurs semaines pour lui demander des nouvelles de son frère mais j’ai de la peine à faire les bons choix en ce moment. Mon cœur bat à une vitesse folle dans ma poitrine alors que j’attends sa réponse. Je ne peux pas y croire et pourtant si j’ai bien une certitude c’est qu’Heidi ne jouerait jamais avec nos sentiments de cette façon.. Pourquoi aurait-elle menti à Kaecy ? Est-ce qu’elle l’a rêvé ? Est-ce qu’elle devient folle ?
J’étais prêt à tourner la page mais c’est la page qui ne veut pas se tourner. △
Matteo était vivant. Ca pour le coup, c’était un rebondissement inattendu. C’était même un scénario digne des plus grands films hollywoodiens : le soldat qui défendait son pays et se retrouvait amnésique et blessé sans moyen d’être identifié, qui revenait après plusieurs années de disparition dans sa ville pour retrouver sa vie. Je peinais à croire que ce scénario-là faisait réellement partie de ma vie. J’avais mis tellement de temps à me faire à l’idée que Matteo n’était plus parmi nous, que plus jamais je ne croiserais son regard, que son rire ne résonnerait plus jamais jusqu’à mes oreilles et que sa présence ne serait plus jamais à mes côtés pour me rassurer. Pourtant, c’était bel et bien mon frère, en chair et en os, qui s’était pointé maladroitement devant la porte de mon appartement. C’était lui, vivant et en pleine santé qui avait sonné chez moi en plein milieu de l’après-midi. Et aujourd’hui, je peinais par moment à savoir si tout ceci n’était pas qu’un tour de mon esprit et que je devais encore régulièrement me pincer pour m’assurer que je ne rêvas pas, certains souvenirs ne trompaient pas. Matteo était venu toquer chez moi et après une crise de larmes et d’hystérie de ma part, je l’avais laissé me raconter son histoire, ce qu’il s’était passé là-bas et les complications qu’il avait rencontré. Après nous avions tous les deux foncé en direction de la maison familiale pour annoncer la bonne nouvelle à ma mère. Elle s’était effondrée, sur le choc émotionnel, nous faisant une belle frayeur avec Matteo et nous avions passé la soirée tous les trois à parler de tout et de rien jusqu’au bout de la nuit, à profiter du temps supplémentaire qu’il nous était offert de passer ensemble. Au petit matin, Matteo avait décidé de rejoindre Cléo, après avoir appris dans la matinée de la veille qu’il était père d’une petite fille, il était décidé à prendre ses responsabilités. J’étais restée quelques instants supplémentaires avec ma mère pour évoquer le fait que Matteo ignorait encore tout de la relation que Soren et Cléo avaient tissés pendant son absence. Puis finalement, j’avais choisi de rentrer chez moi. Sur le chemin j’avais appelé Kaecy pour lui annoncer la bonne nouvelle, nouvelle qui n’avait pas tardé à faire le tour de la ville. Elle n’en avait d’abord pas cru ses yeux mais avait rapidement compris que je n’étais pas du genre à plaisanter à ce sujet.
En cette fin de matinée, j’étais plongée dans mon projet d’ouvrir ma propre maison de couture. La nouvelle du retour de Matteo avait boosté ma motivation et ma créativité et je me sentais l’âme à abattre un travail titanesque aujourd’hui. J’étais dans la chambre d’ami, qui me servait également de bureau et d’atelier lorsque je désirais travailler à l’appartement, buvant tasses de café sur tasses de café pour pallier au manque de sommeil. J’étais dans une espèce de pyjama, constitué d’un short de sport que j’enfilais lorsque je voulais être à l’aise et d’un t-shirt à Matteo à l’effigie des Ramones que j’avais retrouvé dans la maison familiale à mon retour à Brisbane et que je mettais dès que je traînais chez moi. J’étais en train de terminer les finitions d’une robe de cocktail lorsque j’entendais tambouriner violemment contre la porte de mon appartement. Lago, mon chien, se précipitait aussitôt vers la porte pour aboyer. Je décidais de terminer de placer les épingles sur la tenue que les tambourinements reprenaient de plus belle et que Lago se mettait à aboyer de nouveau. « Bon sang ! » dis-je, relevant le regard de mon travail, me plantant alors le bout de l’épingle dans le doigt. « Aïe » gémissais-je alors, portant aussitôt mon index à ma bouche pour ne pas tâcher de sang le tissus. « Heidi ! Heidi dis moi que t’es là ! » s’exclamait alors la voix d’Elio à travers la porte pendant que je m’approchais de la porte. Reconnaissant la voix du jeune homme, je me stoppais à mi-chemin, regardant la porte sans avoir réellement envie de l’ouvrir. « Ouvre, il faut absolument que je te parle. » disait-il, me poussant alors à lever les yeux au ciel comme jamais. Bien entendu, il fallait qu’Elio se réveille maintenant, après plusieurs jours de silence radio. Sans grande envie de lui répondre mais persuadée qu’il ne me ficherait pas la paix avant de m’avoir parlé, je décidais d’ouvrir la porte. « File, Lago » dis-je alors à mon chien. J’ouvrais la porte uniquement de façon à ce que ma tête apparaisse dans l’entrebâillement et je regardais Elio, sans rien dire. J’essayais de garder un visage le plus neutre possible face à lui.
« Hem… Salut… » disait-il. Envolé le type en furie qui frappait sur ma porte à en réveiller tout le voisinage. « Bonjour. Que puis-je faire pour vous ? » lui demandais-je en arquant légèrement un sourcil, sans afficher la moindre émotion sur mon visage. J’étais décidé à faire comme si je ne connaissais pas Elio puisque c’était ce qu’il s’évertuait à faire depuis plusieurs jours. Nous avions couché ensemble, une première fois et suite à ça nous nous étions revus et les choses avaient une fois de plus dérapées. Nous avions passé du bon temps, ça avait été deux moments agréables que je n’aurais pas échangé pour rien au monde, mais pourtant Elio s’évertuait à m’éviter depuis. Pourtant, je ne lui demandais rien, je n’attendais rien de sa part, du moins rien sentimentalement parlant, je savais parfaitement dissocier attirance et élans amoureux et je n’étais de toute façon par prête à envisager une quelconque relation avec qui que ce soit. J’attendais en revanche d’Elio qu’il me considère comme l’amie que j’étais, qu’il prenne de mes nouvelles et ne m’évite pas comme la peste. Pourtant c’était exactement ce qu’il faisait avec moi, comme si je n’étais rien de plus qu’une de ces filles qu’on rencontre lors d’une soirée un peu trop arrosée et qu’on évite ensuite le reste de sa vie. Finalement, Elio retrouvait l’usage de la parole et demandait brusquement : « Est ce que c’est vrai ? Ce que Kaecy m’a dit ? Est ce que tu as… Tu as vu Matteo ? » J’aurai ri si je n’étais pas aussi énervée contre lui. La tentation de lui claquer la porte au nez sans lui répondre était grande, mais je savais que Matteo comptait beaucoup pour lui. « C’est gentil de votre part de vous inquiéter de mon frère. En effet, il est de retour et est en pleine forme. Je lui dirais que vous êtes passé et lui demanderai de prendre contact avec vous » répondis-je avec autant de détachement que j’en étais capable. Et sur ce, je lui claquais la porte au nez, retournant à mes occupations, tout en sachant, au fond de moi, qu’Elio n’en resterait pas là.
J’avais le mauvais rôle. Et bien conscience que je me l’étais octroyé moi même. Mes sentiments envers Heidi étaient encore complexes. Mélange de rancœur et de souvenirs délicieux. J’aurais voulu continuer de prétendre que le fait d’avoir couché avec elle ne changeait rien pour moi – rien à mon ressenti à son égard. Mais il était évident que cette deuxième fois entre nous avait signé bien plus qu’une erreur de parcours. Et je ne pouvais décemment pas prétendre que ce moment avec elle ne m’avait pas bousculé dans mes sentiments. Pour autant j’étais focalisé sur une seule chose à ce moment précis. Matteo, et son retour parmi les vivants. Combien de fois avions nous espérer une issue comme celle-ci ? Pendant de longs mois sans doute sans vraiment oser y croire. Puis nos espoirs avaient cessé d’exister et aujourd’hui il était là… Du moins c’est ce qu’on me disait mais je ne pouvais décemment pas le croire. « Bonjour. Que puis-je faire pour vous ? » Son ton casse mon excitation d’un coup. Je la regarde sans trop comprendre. Secouant un peu la tête en me disant que c’est moi qui deviens fou. Bien que le regard qu’elle jette sur moi est plutôt équivoque. Je continue. Je tente le tout pour le tout – cette question qui me brules les lèvres et me rend presque fébrile. « C’est gentil de votre part de vous inquiéter de mon frère. En effet, il est de retour et est en pleine forme. Je lui dirais que vous êtes passé et lui demanderai de prendre contact avec vous » Cette fois j’ouvre grand les yeux pour montrer mon étonnement. « Est-ce qu’il y a un pro.. » Pas le temps de finir ma phrase qu’elle me claque la porte au nez. Ma phrase reste en suspend. Comme tout mon corps en fait alors que je tente d’analyser ce qui vient de se passer. A quel moment les rôles se sont-ils échangés entre nous ? Aux dernières nouvelles c’était encore moi qui lui en voulait et elle qui tentait de se racheter… Il est évident que maintenant la dynamique est un peu différente et je ne suis pas vraiment sur d’avoir envie de prendre ce rôle. Je reste d’ailleurs silencieux un moment. Et je finis pourtant par retaper quelques coups à la porte. Pas un mot ne sort de ma bouche. J’espère que mes coups suffiront mais personne ne vient. Je recommence à nouveau sentant bien que je commence à perdre patience. La troisième fois je recommence en criant son prénom. « HEIDI ouvre cette porte ! » Mon ton autoritaire n’est sans doute pas la meilleure des idées mais je n’ai jamais été très bon pour gérer ce genre de situation alors elle fera avec. « Je peux au moins avoir une putain d’explication ? » Je pense que je la connais déjà son explication et qu’elle ne va pas me plaindre mais au final je ne lui dois rien – il me semblait qu’on était d’accord sur ce principe. Celui que ça n’était pas supposé changer nos relations. De toute évidence pourtant ça les changes. Et pour moi aussi puisque je me retrouve à forcer une conversations entre nous deux alors que c’est moi qui l’ai rejetée pendant des moins.
Toujours personne.
Je continue à taper sur la porte. Pendant de longues minutes. « Je partirais pas ! » C’est un peu puéril. Et je ne suis même pas vraiment sûr de savoir ce qu’elle pourrait me dire mais j’ai la certitude que si Matteo est vraiment de retour nous avons meilleur temps de prendre un moment pour en parler. Ou c’est lui qui va finir par en partir avec cette histoire. Puis j’ai besoin de plus… Plus d’informations à son sujet que ce qu’elle vient de me balancer avant de me fermer la porte au né. Matteo est mon ami depuis toujours et sa mort m’a bouleversé aussi elle le sait bien – alors si elle m’en veut c’est une chose mais pour aujourd’hui elle peut bien mettre ça de côté. J’ai vraiment besoin d’en savoir plus. « Je vais continuer à taper sur cette porte jusqu’à ce que tu répondes ! Ou que la police vienne me chercher parce que tes voisins les auront appelés. » Ou elle. Mais franchement si je pouvais éviter ça… Ca m’irait aussi. J’ai déjà fait un petite tour en cellule de détention très peu pour moi merci.
J’étais prêt à tourner la page mais c’est la page qui ne veut pas se tourner. △
Au cours de ces semaines sans avoir de nouvelles de la part d’Elio, j’avais essayé de laisser tomber, de tirer définitivement une croix sur notre amitié. Peut-être qu’après tout, nous n’étions pas destinés à rester amis, peut-être que c’était écrit quelque part que tout ceci devait prendre fin maintenant, peut-être que ces deux moments d’égarements n’étaient qu’une façon de clôturer tant d’années d’amitié et de séduction avec brio. J’avais réellement essayé de ne pas penser à lui, je ne lui avais pas envoyé le moindre sms après qu’il n’ait pas répondu aux précédents. Lorsque je voyais Kaecy, je ne lui parlais pas de mes histoires avec Elio et ne lui demandait ni son avis sur la situation, ni des nouvelles du concerné. Pourtant malgré tous mes efforts pour tirer une croix sur lui, je restais terriblement en colère contre lui. Si bien que je lui claquais la porte au nez après avoir simplement confirmé qu’en effet, Matteo était bien de retour. « Est-ce qu’il y a un pro.. » avait-il commencé alors que la porte d’entrée se refermait sur son nez. Sans plus tarder, bien qu’énervée et éprouvant de flagrantes difficultés à me concentrer, je décidais de retourner bosser en espérant au fond de moi qu’il disparaîtrait. Est-ce qu’il y avait un problème ? Bien sûr qu’il y avait un problème ! Décidemment, vieillir ne lui rendait pas service à celui-là. Je voulais bien croire que nos façons de voir les choses puissent être relativement différentes, qu’en prime de ça, il fallait admettre que je n’étais pas forcément la fille la plus facile à suivre. Néanmoins, il me semblait évident qu’il y avait un problème et en l’occurrence, le problème c’était lui et son comportement puéril et absurde. J’étais suffisamment adulte aujourd’hui pour faire la part des choses entre le sexe et les sentiments et ce n’était pas parce que j’avais couché avec lui que j’espérais tout à coup que quelque chose se passe entre nous. En revanche, j’estimais que j’avais le droit à un minimum de reconnaissance et d’attention. Après tout, ce n’était pas comme si nous étions de parfaits inconnus l’un pour l’autre, bien au contraire et je trouvais très limite sa façon de me rayer de la carte et de faire comme si je n’existais après avoir pris du bon temps avec moi, par deux fois qui plus est. Je n’attendais pas de lui une demande en mariage, ni même une quelconque déclaration d’amour, je savais au fond que nous n’étions pas fait pour être ensemble, encore plus depuis qu’il m’avait parlé de cette fille avec qui il avait eu un enfant mort-né. J’attendais en revanche de lui qu’il ne me fuit pas comme la peste et qu’il ne fasse pas comme s’il ne me connaissait pas. J’étais donc particulièrement remontée contre lui et très peu décidée à lui accorder cette conversation qu’il réclamait sans la mériter.
Evidemment, Elio insistait, comme j’aurai pu le parier. Il tapait à la porte et je faisais comme si je n’avais rien entendu. Je continuais de faire ces retouches qui étaient extrêmement importantes pour l’avancée dans mon boulot. J’essayais de me concentrer suffisamment pour oublier Elio, mais ses coups répétés contre ma porte m’empêchaient de travailler comme il le fallait. Plusieurs fois, je me plantais l’aiguille dans le doigt, manquais un point, emmêlait le fil, bref un vrai travail bâclé comme je détestais. « HEIDI ouvre cette porte ! » s’exclamait-il. Je levais les yeux au ciel, en soupirant. S’il croyait que j’allais rappliquer uniquement parce qu’il m’en donnait l’ordre comme je n’étais qu’une enfant, il se fourrait le doigt dans l’œil jusqu’au coude. Peut-être que cette stratégie marchait sur ses neveux, mais il ne me la ferait pas à moi. « Je peux au moins avoir une putain d’explication ? » De nouveau, je levais les yeux au ciel, désabusée. Et moi alors ? Une explication, je n’en méritais pas ? Plus Elio s’excitait sur la porte de mon appartement, plus j’avais envie de l’étrangler. Evidemment, physiquement, je ne faisais pas le poids. « Je partirais pas ! » continuait-il en continuant de s’acharner sur la porte. Je me demandais même si celle-ci n’allait pas finir par céder sous le poids de ses coups. Je lui souhaitais cependant mentalement une bonne nuit sur le paillasson, parce que je n’étais pas prête de lui ouvrir. J’abandonnais cependant l’idée de travailler tant qu’il serait là, parce que ses caprices m’empêchaient de me concentrer et me faisaient de plus en plus bouillonner intérieurement. Je m’installais alors sur le canapé, allumant la télé dans l’espoir de couvrir ses bruits.
Mais en vain, et Elio ne tardait pas à recommencer son boucan. C’est alors que la tentation d’appeler Ezra à la rescousse traversait mon esprit, j’étais presque sûre qu’il était chez lui à l’heure qu’il était et qu’il pouvait même entendre les beuglements d’Elio depuis la cage d’escaliers. Pour sûr, connaissant suffisamment Ezra, il ne tarderait pas à monter de son propre chef pour s’assurer que je n’avais pas besoin de son aide et je n’avais pas envie d’assister à une bagarre entre les deux. « Je vais continuer à taper sur cette porte jusqu’à ce que tu répondes ! Ou que la police vienne me chercher parce que tes voisins les auront appelés. » s’exclamait-il, perdant de plus en plus patience. Heureusement pour lui, il avait usé toute la patience dont je disposais pour aujourd’hui et je ne venais lui ouvrir la porte. « On se connait du coup maintenant ? Non parce que je suis perdue. » lui dis-je alors d’un ton on ne pouvait plus glacial. « Rentre. » lui ordonnais-je aussitôt, sur le même ton qu’il employait avec moi quelques instants plus tôt, à deux doigts de céder à la tentation de lui en coller une pour qu’il se calme. Elio rentrait dans mon appartement, et je refermais la porte derrière lui. Les bras croisés, je me tournais vers lui, le visage de marbre, visiblement très peu ouverte à la discussion. « En tous les cas, je suis ravie de constater que tu te souviens de mon prénom » lui lançais-je, pas ravie du tout. « Qu’est-ce que tu veux savoir ? » lui demandais-je alors à propos de Matteo, mon regard noir vissé sur le sien. « Oui il est vivant et de retour à Brisbane » confirmais-je aussitôt. « Je l’ai vu hier. Tu devrais aller le voir, je pense qu’il serait content. » ajoutais-je même si ça m’écorchait un peu de devoir le reconnaître.
Je suis loin de faiblir, ni ma voix ni mes gestes ne laissent présager un essoufflement proche et elle semble l’avoir compris. Du moins je peux imaginer que c’est la raison qui l’a pousse à ouvrir la porte – certes un peu sèchement mais, ouvrir quand même. « On se connait du coup maintenant ? Non parce que je suis perdue. » « Ouais super… Parce que t’es pas la seule ! » Si on doit se livrer ce genre de combat au moins que les bases soient posées correctement. De toute évidence elle m’en veut de mon silence et si je peux en parti le comprendre sa réaction me semble excessive. Elle comme moi nous savons que ces moments d’égarement ne devaient rien changer. Je ne pensais pas qu’elle me tiendrait rigueur de mon silence. Puis elle n’avait pas tenté vainement de me joindre pendant des jours. J’avais repoussé un de ses appelles rien de plus. « Rentre. » Son ton ne laisse pas la place à la moindre hésitation et je lui obéis en passant le cadran de la porte pour me retrouvez chez elle. Une fois à l’intérieur j’en viens presque à regretter mon choix. Je sais bien qu’il nous faut parler et pas uniquement de Matt mais je ne suis pas sûr d’avoir les mots. Je n’avais pas prévu ma visite ici et il ne fait nul doute que je n’aurais pas atterri chez Heidi si la grande nouvelle n’était pas venue bousculer ma vie. « Merci… » Je tente de lui répondre dans un léger soupire alors que je me retourne pour la regarder. Elle pose toujours ce même regard noir sur moi et je ne sais pas comment y répondre. « En tous les cas, je suis ravie de constater que tu te souviens de mon prénom » Baissant les yeux un peu honteux je ne sais que lui répondre. Je voudrais pouvoir lui expliquer mais les raisons de mon silence sont floues pour moi aussi. La raison pour laquelle j’accorde autant d’importance à ce moment passé avec elle m’inquiète. J’ai d’ailleurs préféré le repousser dans un coin de mon esprit. « Heidi… » Je ne sais pas quoi lui dire. Et de toute façon elle a déjà repris la conversation pour me faire bien comprendre que c’est elle qui mène le jeu. Je le laisse faire avec la vague impression que j’ai trop à perdre dans cette histoire. « Qu’est-ce que tu veux savoir ? » Je sens bien que sa colère ne faiblit pas. Mais j’ai trop besoin de réponse pour me laisse déstabiliser par ça. « Tout… » Je ne sais même pas par où commencer tout ça me semble tellement improbable. « Oui il est vivant et de retour à Brisbane. Je l’ai vu hier. Tu devrais aller le voir, je pense qu’il serait content. » J’ai de la peine à croire qu’elle me lance cette info sur un ton aussi morne. Certes elle m’en veut mais on parle quand même d’un truc de fou. « On dirait que ça te fait rien de le dire… » En fait plus que de me décevoir ça commence à m’énerver. Elle ne veut pas faire semblant je le comprends mais une telle nouvelle devrait briser au moins pour un instant ce genre de barrière et sa colère vient casser ma propre euphorie. Je la déteste pour ça. « Dérides toi merde… Okay je t’ai pas appelé et quoi ? Ton frère est en vie ! IL EST EN VIE ! Tu te rends pas compte ou bien ? Ca mérite au moins un putain de sourire ! Tu peux pas être aussi insensible. » Surtout pas après tout ce que la mort de Matteo a représenté pour nous. Je n’ai pas envie qu’elle donne à cette histoire plus d’intérêt qu’elle ne devrait. Et au fond je sais qu’une partie d’elle doit être au moins aussi confuse que moi. J’ai besoin de voir cette partie là – de la partager avec elle. Mais pour ça je crois qu’il va falloir que l’on casse le mur entre nous. Et je pense que je viens de le faire et que je risque de me prendre quelques briques à la figure à cause de ça. Mais peu importe… Il y a un temps pour faire de la merde et un temps pour assumer. Je pense que ce deuxième temps est arrivé pour moi.
J’étais prêt à tourner la page mais c’est la page qui ne veut pas se tourner. △
Peut-être étions nous destinés à nous prendre la tête avec Elio. Peut-être au final qu’au fond nous cherchions un peu inconsciemment cette confrontation. C’était du moins l’idée qui me traversait l’esprit lorsque je finissais par céder à la pression et ouvrait finalement la porte de mon appartement à Elio. Je lui avouais alors que j’étais perdue quant à notre relation et il répliquait aussitôt que : « Ouais super… Parce que t’es pas la seule ! » Son énervement, ne faisait que faire écho au mien, me poussant un peu plus dans mes retranchements et me poussant à lui mener la vie dure pendant quelques instants encore. Je lui demandais, que dis-je, ordonnais, de rentrer dans mon appartement avant de fermer un peu sèchement la porte derrière lui. « Merci… » disait-il, mais ses petits efforts pour tenter de paraître poli à mon égard ne me faisaient aucun effet. Je continuais de l’observer, les bras croisés, le visage fermé et mon regard noir vissé sur lui. Je ne perdais pas de temps avant de lui envoyer une pique, sur le fait qu’il m’évitait depuis que nous avions couché ensemble. Visiblement j’avais fait mouche puisqu’il se retrouvait incapable de me fournir une quelconque explication ni même de s’excuser pour son comportement plus que limite. « Heidi… » commençait-il mollement avant de s’interrompre. Visiblement, il n’avait pas réellement prévu de tomber face à un mur tel que moi à l’heure actuelle et il n’avait donc pas le moindre argumentaire à me présenter. Sans ciller et sans bouger d’un poil, je continuais de le fixer d’un œil torve avant de reprendre la parole dans le but d’expédier cette conversation. En temps normal, j’aurai sûrement essayé de faire des efforts pour tenter d’améliorer ma relation avec Elio, mais aujourd’hui, je n’en avais pas la force. Parfois, il me semblait que tout ceci était tout bonnement voué à l’échec. Elio était aussi têtu qu’une mule et s’il refusait de me pardonner mes erreurs après autant de temps et d’efforts de ma part, je n’y pouvais plus grand-chose. Je voulais bien crier au monde entier ma culpabilité, si lui ne faisait aucun effort pour venir vers moi, je commençais à me lasser de lui courir après. J’avais cru qu’à défaut de changer quoi que ce soit entre nous, ces deux rapprochements physiques auraient au moins eu le bénéfice de permettre une certaine discussion entre nous deux, mais c’était peine perdue. Aussitôt après avoir couché avec moi pour la deuxième fois, Elio avait disparu de la circulation. Je n’étais pas sa petite-amie, et par conséquent, je n’attendais rien de bien spécial venant de lui. J’avais seulement été blessée de constater que malgré ce rapprochement manifeste, Elio continuait de me fuir comme la peste et de faire comme si je n’existais pas. Après tout ne disait-on pas qu’il fallait craindre la colère d’une femme bafouée. Ce n’était peut-être pas très juste, mais je n’avais jamais prétendu l’être.
Je lui demandais alors ce qu’il voulait savoir et il me répondait aussitôt : « Tout… » répondait-il. Je lui racontais alors brièvement ce qu’il lui était arrivé, avec un ton morne qui ne me ressemblait pas. D’ailleurs, la réaction d’Elio ne se faisait pas tarder à ce sujet. « On dirait que ça te fait rien de le dire… » disait-il. Je me renfrognais un peu plus, croisant les bras un peu plus fort sur ma poitrine. « Comment tu peux dire ça ? » lui demandais-je alors, les sourcils froncés. Et sans que je m’y attende, voilà que je me faisais engueuler par Elio comme une gamine de deux ans. « Dérides toi merde… Okay je t’ai pas appelé et quoi ? Ton frère est en vie ! IL EST EN VIE ! Tu te rends pas compte ou bien ? Ca mérite au moins un putain de sourire ! Tu peux pas être aussi insensible. » Je me mordais alors la lèvre inférieure, pour réprimer un sourire qui essayait de passer sur mes lèvres et me ferait perdre toute crédibilité. J’étais tellement en colère contre Elio, encore plus après le cinéma qu’il venait de me faire sur le palier de mon appartement, que je ne voulais pas être aimable avec lui. C’était un peu bête à dire mais je ne voulais pas perdre la face face à lui et céder une fois de plus alors que lui campait sur ses positions comme d’habitude. « Tu avais dit que ça ne changerait rien, mais tu as menti » lui dis-je alors en faisant un peu la moue, ne pouvant pas passer à côté de ce qu’il venait de dire. Ce n’était pas parce qu’il ne m’avait pas appelé que je lui en voulais. Je lui en voulais de m’éviter, de fuir toute confrontation avec moi avant aujourd’hui. « Bien sûr que le retour de Matteo mérite un sourire, mais toi tu ne le mérites pas. » Malgré tous mes efforts, je peinais néanmoins à me retenir de sourire. Le retour de Matteo était un tel soulagement pour moi que j’avais tout à coup l’impression de revivre. C’était comme si je venais de retrouver une partie de moi que j’avais égaré depuis trop longtemps. « J’ai encore du mal à me faire à cette idée. J’ai l’impression qu’il va disparaître dès que je vais le quitter des yeux » Des larmes venaient perler aux coins de mes yeux. Ce n’était pas des larmes de tristesse mais de joie, couplées avec un trop plein d’émotions dont je ne savais que faire, j’avais toujours eu beaucoup de mal avec ce que je ressentais. Et sans réfléchir plus que ça, je venais me blottir contre Elio. J’avais beau lui en vouloir sa présence était rassurante, elle me confortait dans l’idée que tout ceci n’était pas un rêve mais bel et bien la réalité. « J’ai l’impression de devenir folle avec toute cette histoire. » Je savais bien que je n'étais pas facile à suivre, que je passais d’une émotion à l’autre en un quart de seconde, mais j’avais des circonstances atténuantes. « J’ai bien failli faire une attaque. C’était… Surréaliste » avouais-je, la tête posée contre le torse d’Elio. J’avais tout pour être heureuse mais j’étais un peu perdue actuellement. J’avais passé deux ans de ma vie à tenter de vivre avec la mort de Matteo, j’avais presque enfin réussi à accepter que je ne le reverrais plus, j’avais enfin repris ma vie en main, qu’il s’avérait être de retour. Une fois de plus, ma vie m’échappait et je n’avais pas envie de répéter les erreurs du passé.
J’imagine que le ton est mal choisi, le moment aussi. Que je devrais être la personne la mieux placée pour comprendre sa réaction et ne pas lui en vouloir. Mais son grain de voix sans émotion me glace le sang. Je ne la reconnais pas et c’est sans doute ce qui est le plus douloureux. « Comment tu peux dire ça ? » Je ne baisse pas le regard, continuant d’affirmer ma position. Je lui demande un sourire au moins ça pour me montrer un semblant d’émotion qui ne ressemble pas à de la colère. Et je vois bien qu’Heidi en retient un momentanément avant de me répondre. « Tu avais dit que ça ne changerait rien, mais tu as menti » C’est donc bien là que se trouve le problème. C’est mon tour cette fois d’avoir trahi sa confiance en lui faisant une promesse que je n’aurais jamais pu tenir – je le savais d’ailleurs déjà à l’époque où je l’ai faite et ça serait mentir de dire le contraire. « Je suis désolé Heidi c’était idiot… De prétendre que ça ne changerait rien… » Je peux au moins m’excuser pour ça, si le reste n’est pas encore possible. Evidement que notre relation en a été changée, je ne suis juste pas encore capable de comprendre à quel point. Parce qu’Heidi ne pourra jamais être comme les autres filles – celles qui n’ont pas d’importance et que l’on oublie après une bonne nuit. Elle m’a donné deux moments d’extases et de réel partage que je ne suis pas prêt d’oublie et avec lesquels il m’est dur de traiter dans la situation actuelle. « Bien sûr que le retour de Matteo mérite un sourire, mais toi tu ne le mérites pas. » Haussant légèrement les épaule je me rapproche un peu d’Heidi sentant que cette fois je peux le faire sans risque de m’en prendre une. « T’en meurs d’envie alors si tu oubliais ta colère juste pour un instant ? » Nous aurons tout le temps de nous crêper le chignon plus tard. Là je viens d’apprendre une nouvelle qui chamboule ma vie – la sienne aussi. Une nouvelle qui aurait pu changer notre passé si elle avait été annoncée bien avant. Et je crois qu’elle a autant besoin que moi de vivre ses émotions réellement et d’oublier pour un instant cette rancœur que nous semblons adorer nous porter depuis quelques mois. « J’ai encore du mal à me faire à cette idée. J’ai l’impression qu’il va disparaître dès que je vais le quitter des yeux » Je sens l’envie profonde de le voir maintenant. De pouvoir m’assurer qu’il est vivant comme si c’était encore impossible d’y croire pour moi. Je pourrais demander son adresse et partir maintenant en courant mais j’ai l’intuition que ce qui se joue maintenant entre Heidi et moi a autant d’importance que ce retour. « Comment… Comment c’est possible qu’il soit là ? » Ca me semble tellement improbable, digne d’une telenovela, pas de notre vie. J’hésite même à me pincer pour être sur de ne pas être entrain de rêver. Le léger sourire d’Heidi me réconforte maintenant bien que les larmes qui perlent au coin de ses yeux viennent me toucher plus profondément encore... Ca me semble tellement logique – tellement elle de réagir comme ça, et je la retrouve un peu à cet instant. « Hey… » Je ma rapproche encore un peu. Je n’ai pas de mots que ma présence à lui offrir et quand elle vient se blottir dans mes bras je m’étonne d’abord avant de la serrer contre moi. Déposant un baiser sur ses cheveux. « Ca va aller maintenant… » On sait tous les deux à quel point la disparition de Matteo a changé nos vies, nos relation. Je sais aussi qu’Heidi n’a jamais su s’en remettre et je peux à peine imaginer le bouillon d’émotion qui fait rage en elle. C’est une bonne nouvelle et en même temps cela réveille un sentiment d’injustice profond en moi. Pourquoi à nous, pourquoi toutes ces années dans l’ignorance à nous laisser nous détruire ? C’est cruel… Et ça semble si futile aujourd’hui. « J’ai l’impression de devenir folle avec toute cette histoire. » Et elle n’est clairement pas la seule. « J’ai bien failli faire une attaque. C’était… Surréaliste » Je rigole un peu, ma main allant caresser sa nuque pour tenter de la calmer un peu. Ce contact avec elle me fait du bien – l’espace d’un instant il n’est plus vraiment question de nous. De ses tensions – de ses querelles. Juste deux personnes qui vivent une situation improbable et qui se comprennent. « Comment tu l’as su ? Quand est ce que… ? » J’ai tellement de question sans savoir celles qui pressent le plus, puis d’un coup ça me semble logique… « Comment tu te sens toi ? » C’est un peu paradoxal comme question puisqu’elle vient de me faire une petite crise de larmes mais les circonstances s’y prêtent et je ne crois pas qu’il y ait de mode d’emploi expliquant comment réagir quand votre frère revient d’entre les morts. Je me sépare légèrement d’elle pour l’observer, posant ma main sur sa joue pour essuyer ses larmes avec tendresse. C’est con de s’en rendre compte maintenant mais, elle m’a manqué…
J’étais prêt à tourner la page mais c’est la page qui ne veut pas se tourner. △
Elio me reprochait mon ton morne et blasé, comme si le retour de Matteo n’était pas la meilleure nouvelle du monde. Bien entendu que c’était une nouvelle qui m’avait mis du baume au cœur et qui faisait qu’aujourd’hui, je me sentais prête à conquérir le monde. Mais mes problèmes relationnels avec Elio venaient tout gâcher, je n’avais pas envie de lui accorder tout de suite un sourire, une conversation amicale. Je voulais qu’il comprenne qu’il m’avait blessé en un sens et que malgré tous mes efforts pour essayer de m’en ficher son comportement puéril et incompréhensible avait un impact fort sur moi. « Je suis désolé Heidi c’était idiot… De prétendre que ça ne changerait rien… » disait-il. C’était maigre en soi comme excuses mais moi, ça me suffisait amplement. Pour la première fois, Elio reconnaissait ses torts. Je n’étais enfin plus la méchante dans cette histoire, nous étions juste deux idiots. Et cela suffisait déjà à me dérider un peu. Progressivement, mon énervement retombait un peu comme un soufflé, ce qu’Elio devait bien sentir puisqu’il ajoutait alors : « T’en meurs d’envie alors si tu oubliais ta colère juste pour un instant ? » Je levais les yeux au ciel, alors qu’un sourire amusé étirait mes lèvres. Et voilà, Elio Harrington avait gagné une fois de plus, il avait réussi à m’amadouer et je m’ouvrais davantage à la conversation, laissant tomber mon air désabusé. « Tu ne t’en tireras pas si facilement Harrington, je te préviens » lui lançais-je alors, avec une petite moue alors que mon regard le taquinait. C’était là une façon pour moi de lui dire que si j’acceptais de mettre mes différents de côté avec lui le temps d’une journée exceptionnellement parce que Matteo était de retour et que j’estimais qu’il avait le droit de savoir ce qu’il était arrivé à son meilleur ami. Mais c’était également une façon de lui faire comprendre que nous n’en avions pas fini, qu’il faudrait que tôt ou tard on ait une conversation nous concernant parce que je ne comptais pas jouer au chat et à la souris avec lui pendant cent sept ans. « Comment… Comment c’est possible qu’il soit là ? » me demandait-il. Je haussais les épaules, incapable de réellement lui donner une réponse puisque cette question restait sans réponse de mon côté. « Je n’en ai pas la moindre idée. J’ai du mal à comprendre comment il a pu réchapper d’une explosion de ce genre. Je savais qu’il avait la tête dure, mais à ce point… » dis-je en me pinçant un peu les lèvres. « Il aurait été retrouvé par des habitants du coin, transféré dans un hôpital civil. Apparemment, il n’avait plus rien sur lui qui permettait de l’identifier et il était dans le coma. » Je sentais les larmes qui perlaient aux coins de mes yeux sous le poids de l’émotion, du soulagement de savoir que ce cauchemar avait enfin trouvé une fin heureuse. Mes larmes semblaient attendrir aussitôt Elio, lui prouver que je n’étais pas ce cœur de pierre pour lequel j’avais essayé de me faire passer précédemment. « Hey… » Il s’approchait de moi encore et aussitôt je venais trouver refuge au creux de ses bras. La force de son étreinte et la chaleur de son corps me réconfortaient aussitôt. Je souriais un peu en le sentant déposer un baiser sur mes cheveux. « Ca va aller maintenant… » J’hochais doucement la tête, persuadée que les ennuis n’étaient pas terminés, pire, qu’ils ne faisaient que commencer, mais tant que Matteo était vivant le reste n’avait que peu d’importance. « A son réveil du coma, il n’avait plus aucun souvenir. Incapable de savoir qui il était, d’où il venait. Puis peu à peu des brides de souvenirs lui sont revenus, jusqu’à ce qu’il se souvienne enfin de la majorité des choses » Je restais prête à parier que la mémoire de mon frère continuait parfois à lui faire défaut, je remarquais qu’il peinait parfois à se souvenir de certains prénoms, de certains souvenirs. Et si c’était quelque peu frustrant, c’était toujours mieux que de le penser mort. Je finissais par avouer à Elio que j’avais l’impression de devenir folle avec cette histoire. C’était tellement improbable, un scénario digne d’un grand film hollywoodien, pourtant c’était ma vie, la nôtre. Les caresses d’Elio sur ma nuque m’apaisaient, malgré tous mes efforts pour lui en vouloir, je ne pouvais nier que sa présence avait un effet salvateur sur ma personne. D’un simple contact physique il savait me calmer, m’apaiser. J’aurai pu rester dans ses bras toute la journée sans m’en plaindre. « Comment tu l’as su ? Quand est ce que… ? » reprenait Elio, impatient et avide de réponses. Je me reconnaissais dans cette façon de faire, quand j’avais revu Matteo. « Hier du coup, j’ai voulu aller au cimetière pour déposer quelques fleurs sur sa tombe et celle de mon père. Tu sais, ça faisait bientôt deux ans qu’il avait disparu. J’ai croisé Soren sur le chemin du coup il est venu avec moi. Il était en train de me raconter justement que Matteo était de retour, qu’il était venu trouver Cléo. Et c’est là qu’on l’a trouvé tous les deux devant sa propre tombe. Je crois que j’ai failli tourner de l’œil en le voyant. » avouais-je alors. Du début à la fin cette histoire était improbable. Et si un jour quelqu’un m’avait dit que j’allais vivre de telles choses, je crois que je lui aurais ri au nez en lui disant d’arrêter de regarder la télé. « Comment tu te sens toi ? » demandait finalement Elio, visiblement inquiet de mon état. « Bien. C’est inespéré. J’ai prié des jours et des nuits entières pour que Matteo ne soit pas vraiment mort. Mais je crois que je suis un peu perdue. Je commençais à avoir accepté l’idée de l’avoir perdu. Ca fait juste beaucoup à encaisser. » Elio essuyait les quelques larmes qui avaient roulées sur mes joues et je lui souriais. Ca devait être une drôle de vision, me voir pleurer et sourire en même temps mais c’était totalement représentatif de mon état d’esprit actuel. Je finissais par me diriger vers la cuisine pour mettre de l’eau à chauffer « Ca te dit un thé ou un café ? » lui demandais-je alors. Pour une fois qu’Elio et moi discutions je voulais en profiter au maximum. Je préparais deux tasses pendant que l’eau chauffait. « En fait, je suis encore inquiète pour Matt. Sa mémoire n’est pas parfaite, il y a certaines choses qui lui échappent encore parfois. Rien de dramatique mais tout de même. Et puis… Il y a Soren et Cléo » ajoutais-je en regardant Elio gravement par-dessus le comptoir qui séparait la cuisine du salon. Je n’avais jamais abordé ce sujet avec Elio, n’en ayant pas eu l’occasion. Je désapprouvais totalement la relation Soren et Cléo si bien que depuis mon retour mes échanges avec eux étaient compliqués et tendus. Je leur en voulais de trahir le souvenir de Matteo et maintenant que Matteo était de retour, je leur en voulais d’être responsables de sa véritable peine. « D’ailleurs, j’y pense ! Tu savais toi que Cléo avait accouché d’une fille ? Celle de Matteo ? » C’était un élément dont je n’avais eu connaissance que très récemment, ce qui compliquait encore plus les choses avec Cléo et Soren puisque je tenais à faire partie de la vie de ma nièce mais que je n’arrivais pas à pardonner à Cléo et Soren leur relation. J’étais réellement curieuse de savoir ce qu’Elio pensait de toute cette histoire. Je voulais qu’il soit là pour Matteo, qu’il lui apporte son soutien vu que Matteo ne pourrait plus compter sur Soren.
Il est là ce sourire, celui que j’aime tant et qui me fait retrouver la Heidi de mon enfance. « Tu ne t’en tireras pas si facilement Harrington, je te préviens » Je n’en doute pas une seconde mais si je peux grappiller quelques minutes pour juste me sentir heureux ça me va. Les choses semblent retrouver un brin de sens dans ma vie et j’ai envie et besoin de pouvoir partager ça avec elle. Peut-être que c’est le signe que ma rancœur s’apaise ou juste le retour de Matteo qui me donne envie de rattraper le passer – ces moments à se détester bêtement. Si Heidi est capable de mettre sa colère de côté alors je dois être capable de le faire aussi – de m’apaiser. Au moins le temps de comprendre la situation qui me semble tellement saugrenue. « Je n’en ai pas la moindre idée. J’ai du mal à comprendre comment il a pu réchapper d’une explosion de ce genre. Je savais qu’il avait la tête dure, mais à ce point… » Un léger sourire se fige sur mes lèvres faisant écho à la mimique d’Heidi. « Il aurait été retrouvé par des habitants du coin, transféré dans un hôpital civil. Apparemment, il n’avait plus rien sur lui qui permettait de l’identifier et il était dans le coma. » « Mon dieu… » Je ne peux même pas imaginer ce qu’à du être la vie de Matteo depuis que cette bombe a explosé. Je n’ose pas non plus imaginer à quoi il ressemble aujourd’hui. Est-ce que cette explosion a laissé des traces sur lui ? Est ce que je vais le reconnaître. Je ne pose pas de suite la question sentant bien que l’émotion d’Heidi prend le dessus, je la serre contre moi d’une manière protectrice. Comme on le fait avec un sœur, une amie… Une personne qu’on aime et à qui on tient. Parce que malgré tout le mal qu’on s’inflige une partie de moi ne stoppera jamais d’aimer Heidi. « A son réveil du coma, il n’avait plus aucun souvenir. Incapable de savoir qui il était, d’où il venait. Puis peu à peu des brides de souvenirs lui sont revenus, jusqu’à ce qu’il se souvienne enfin de la majorité des choses » Je reste silencieux un moment choqué par la nouvelle. J’ai toujours autant de mal à y croire et les informations se frayent un chemin difficilement jusqu’à mon cerveau. « Est ce que tu sais si… Il se souvient de… Moi ? » C’est purement égoïste je le sais bien mais l’idée que Matteo ait pu m’oublier me serre le cœur. Retrouver mon ami sans ses souvenirs et après ce qu’il a vécu, je doute de le reconnaître. Notre amitié et basée sur ces années de connaissance, nous qui sommes si différents. Qu’est ce qui se passe quand on perd tous ses souvenirs, ceux qui constituent les briques d’un mur d’amitié ?
J’ai tant de questions, tant besoin de réponse mais pas envie de la brusquer. Ce contact entre nous est simple est doux, il calme une certaine angoisse qui monte doucement en moi alors que je serre le corps d’Heidi contre le mien, m’enivrant de son odeur qui me ramène inexorablement à ces moments de tendresse échangés. Elle m’explique sa rencontre avec Matteo et je l’écoute en imaginant la scène. «. Je crois que j’ai failli tourner de l’œil en le voyant. » Moi même j’ai cru m’évanouir en apprenant la nouvelle, et cette sensation me parcourt encore alors que j’imagine que d’ici quelques minutes – quelques heure je pourrais le voir en vrai à nouveau – cet ami que j’ai cru mort pendant de nombreuses années. C’est alors pour elle que je m’inquiète, je sais tout ce que la mort de Matteo a signifié pour elle. A quel point se drame a bousculé sa vie et si je peux imaginer sa joie, j’ose penser à cette sensation étrange qui doit s’être installée en elle. Aujourd’hui je ne la blâmerais pas pour ses erreurs… « Bien. C’est inespéré. J’ai prié des jours et des nuits entières pour que Matteo ne soit pas vraiment mort. Mais je crois que je suis un peu perdue. Je commençais à avoir accepté l’idée de l’avoir perdu. Ca fait juste beaucoup à encaisser. » Je hoche la tête en essuyant ses larmes avec un sourire. Il me semble percevoir un brin d’inquiétude dans son regard sans savoir d’où il vient. Puis elle m’échappe pour se diriger vers la cuisine et je reste un instant les bras ballants. « Ca te dit un thé ou un café ? » « Un thé ça sera parfait, je crois que si je bois de la caféine vu mon état d’excitation je vais imploser. » Je rigole un peu mais je suis plutôt proche de la réalité, mes mains tremblent, mon corps semble vouloir bouger dans tous les sens et ça me demande un sacré effort pour me canaliser.
« En fait, je suis encore inquiète pour Matt. Sa mémoire n’est pas parfaite, il y a certaines choses qui lui échappent encore parfois. Rien de dramatique mais tout de même. Et puis… Il y a Soren et Cléo » Je comprends d’un coup ce regard qu’elle me lançait quelques secondes auparavant… « Putain oui…. » Les mots sortent tout seul alors que ma mâchoire perd un peu d’altitude à cette pensée. « Il est au courant ? » [/color] Je ne sais pas ce que j’espère comme réponse, de toute façon Matteo va bien devoir l’apprendre et la nouvelle risque d’être dur à digérer. « D’ailleurs, j’y pense ! Tu savais toi que Cléo avait accouché d’une fille ? Celle de Matteo ? » « Oui je le savais… » Je m’étonne d’ailleurs que jamais le sujet ne soit venu entre nous – mais j’imagine qu’entre deux reproches, parler de l’ancienne petite amie de Matteo n’avait jamais eu sa place. « J’étais là quand elle était enceinte, et les premiers mois… Puis après Soren a commencé à prendre beaucoup de place et j’ai… Très honnêtement j’ai trouvé ça un peu malsain comme si il voulait prendre la place de Matt. On c’est un peu pris la tête à ce sujet et… On en est plus ou moins resté là lui et moi. » Je ne me sens pas très à l’aise de parler de ça avec Heidi car je sais qu’elle a toujours bien apprécié Soren. Alors qu’entre lui et moi les choses ont toujours été un peu complexe. Bien que je pense pouvoir dire que nous étions amis à un époque. « Après la mort de Leah je me suis un peu effacé, avec les jumeaux et… Enfin la vie. Mais je vois encore de temps en temps la petite et Cleo. Ta nièce est adorable d’ailleurs. » Elle lui ressemble un peu d’ailleurs. Le même petit air malicieux. Celui des Hellington.
J’étais prêt à tourner la page mais c’est la page qui ne veut pas se tourner. △
C’était frustrant. Elio était face à moi et je ne parvenais pas à tenir plus de dix minutes en lui faisant clairement la tête. Il parvenait sans grande difficulté à me tirer un sourire, amusé, que je peinais à contenir histoire de garder un semblant de crédibilité. Je n’arrivais pas à lui en vouloir pour des raisons parfaitement simples et compréhensibles au fond : voilà plusieurs mois que je bataillais pour qu’Elio daigne enfin me pardonner et me laisser essayer de sauver notre amitié, il aurait été contradictoire de ma part de ne pas saisir l’occasion. Et puis en ce moment même, j’avais besoin de lui, de le retrouver et de savoir qu’il était là, coûte que coûte et malgré toutes les épreuves par lesquelles nous étions passés pendant ces deux dernières années. Sa présence avait quelque chose de rassurant, Elio m’apaisait et me permettait de prendre du recul vis-à-vis de toute cette situation. Je commençais alors à raconter à Elio ce que j’avais compris, ce que je savais à propos des aventures de Matteo en Irak. Je lui racontais l’explosion, comment il avait été retrouvé inconscient, comment il avait fini par sortir du coma mais sans le moindre souvenir. « Mon dieu… » soufflait alors Eloi, sous le choc de la nouvelle. Je lui lançais un petit regard qui laissait clairement comprendre que je comprenais sa réaction et que moi aussi, j’avais du mal à y croire. C’était le genre de choses qui n’étaient censé n’arriver que dans les films, mais pas dans la vraie vie, et pourtant… Clairement, Elio et moi étions sur la même longueur d’onde : comment Matteo avait-il pu traverser cette épreuve, seul à l’autre bout du monde sans avoir la moindre idée de qui il était ? Et l’étreinte d’Elio me rassurait alors que je sentais l’émotion prendre peu à peu le dessus. Je trouvais alors la force de lui raconter la suite, comment Matteo avait fini par retrouver peu à peu la mémoire, petit bout par petit bout. Et Elio ne disait plus un mot et je me taisais un instant pour lui laisser le temps d’enregistrer ce que je venais de lui raconter, parce que c’était sacrément difficile à assimiler comme information. « Est ce que tu sais si… Il se souvient de… Moi ? » me demandait Elio et je devinais sans peine l’angoisse à peine dissimulée derrière cette phrase. Je comprenais parfaitement sa réaction, qui était peut-être égoïste mais qui était avant tout humaine. Comment aurais-je réagi moi, si Kaecy avait perdu la mémoire et qu’elle ne se souvenait plus de moi ? Certainement mal. Surtout que la relation d’amitié qui liait Matteo et Elio était à la base de tout. C’était parce qu’ils étaient amis que j’avais rencontré le jeune homme et sa meilleure amie qui était rapidement devenue la mienne. Nous étions une bande, prêts à faire les 400 coups tant qu’on les faisait ensemble. Si Matteo oubliait ces moments privilégiés, c’était toute une partie de notre histoire qui s’évaporait. « Je pense oui. » commençais-je prudemment. Je n’avais pas encore suffisamment côtoyé Matteo depuis son retour pour juger de l’étendue des dégâts que cela avait eu sur sa mémoire. « Quand je l’ai vu on a beaucoup parlé, je parlais de vous, toi et Kaecy. De ce qu’il était arrivé à Leah et comment vous vous étiez retrouvé avec ses enfants à charge. Il avait parfois un peu de mal à percuter sur les prénoms, mais globalement, il avait l’air de se souvenir de vous » ajoutais-je pour tenter de rassurer Elio sans non plus trop en dire de peur de faire de faux espoirs à Elio. « Après, je pense qu’il vaut mieux que tu juges par toi-même, je le soupçonne de minimiser les choses pour ne pas m’inquiéter plus que ça. » dis-je avec une moue un peu contrariée. Là-dessus, Matteo ne changerait jamais, j’en étais certaine.
Je sens bien qu’Elio fourmille de questions, c’est tellement logique et prévisible. Moi-même j’ai encore des milliards de questions, des questions qui ne trouveront pour la plupart jamais la moindre réponse. Pourquoi le sort s’acharnait-il sur nous ? Comment Matteo allait-il s’en sortir ? Comment se faisait-il que Matteo ait pu rester seul pendant si longtemps ? L’armée avait-elle réellement fait tout ce qu’elle pouvait pour essayer de retrouver les soldats et leurs éventuelles dépouilles ? Mais je savais que ces réponses ne me rendraient jamais les années que nous avions perdu, que personne n’y pouvait plus rien et qu’il était désormais temps d’aller de l’avant. Je racontais à Elio la réaction que j’avais eu en voyant Matteo dans le cimetière avec Soren. J’évoquais pour la toute première fois le choc que cela avait engendré chez moi, à quel point cela pouvait me bouleverser autant que cela me réjouissait. Et pour compléter mes paroles totalement paradoxales, je sentais des larmes qui roulaient un peu sur mes joues et qu’Elio venait s’empresser de sécher. Finalement, je m’arrachais au contact rassurant d’Elio, parce que je sentais bien que j’allais totalement craquer si je restais comme ça dans ses bras. Je décidais d’aller faire du thé et demandait à Elio ce qu’il voulait. « Un thé ça sera parfait, je crois que si je bois de la caféine vu mon état d’excitation je vais imploser. » répondait-il et je souriais un peu. « Tu m’étonnes ». Occupée à faire le thé, je cessais de pleurer, me ressaisissais progressivement et mes pensées reprenaient leur cours. C’est alors que j’évoquais la véritable raison de mon inquiétude au sujet de Matteo en dehors de ses petits troubles de la mémoire : le couple Soren/Cléo. Et Elio semblait tout à coup percuter le véritable problème que cela posait : « Putain oui…. » Déjà qu’il était passé par des épreuves que la majorité d’entre nous ne supporteraient pas, qu’il avait appris par-dessus tout qu’il était papa d’une petite fille, il allait falloir qu’un jour Matteo se rende compte que son ex-fiancée avait trouvé refuge dans les bras de celui qu’il considérait comme son meilleur ami. Même le plus gentil des hommes aurait du mal à avaler la pilule, pour sûr. « Il est au courant ? » me demandait-il aussitôt et je secouais négativement la tête. « Pas que je sache. Il me semble que Cléo n’a pas trouvé le courage de le lui annoncer quand il est passé la voir et Soren n’en a pas parlé quand on l’a croisé. De toute façon, ce n’était pas le moment, je pense que Soren n’avait pas envie de gâcher nos retrouvailles. » dis-je dans une petite moue désolée et contrariée. « En tous les cas, s’il est au courant il s’est bien caché de m’en parler pour le moment. J’ai peur de sa réaction. » Je regardais Elio en grimaçant. Pour sûr, Soren méritait amplement une petite droite dans la mâchoire pour lui remettre les idées en place. Mais j’avais peur que tout ceci aille plus loin, j’avais surtout peur de sa réaction vis-à-vis de Cléo. Et si cette bombe faisait imploser notre bande ? Je n’avais clairement pas envie de me retrouver à devoir choisir entre mes amis et mon frère, bien que mon choix se porterait toujours pour Matteo coûte que coûte. Et puis, Cami subirait forcément les conséquences de toute cette histoire. Aussitôt, je demandais à Elio s’il avait connaissance de l’existence de ma nièce. C’était bien la première fois que nous avions l’occasion de parler d’autre chose que de nous et cela faisait beaucoup de bien. « Oui je le savais… » disait-il. Je servais l’eau bouillante dans deux tasses que je posais sur un petit plateau que je venais déposer sur la table basse du salon, faisant signe à Elio de me suivre. Je m’installais sur mon canapé, à ses côtés, tandis qu’il poursuivait. « J’étais là quand elle était enceinte, et les premiers mois… Puis après Soren a commencé à prendre beaucoup de place et j’ai… Très honnêtement j’ai trouvé ça un peu malsain comme si il voulait prendre la place de Matt. On c’est un peu pris la tête à ce sujet et… On en est plus ou moins resté là lui et moi. » racontait-il alors que je l’écoutais attentivement. Pour une fois que nous étions totalement sur la même longueur d’onde, cela me faisait un peu sourire alors qu’il n’y avait rien de drôle dans cette conversation. Il fallait que nos amis se déchirent pour que l’on tombe d’accord lui et moi. « Ca a toujours été un peu tendu Soren et toi de toute façon » dis-je dans un demi sourire. « J’en ai mis pas mal dans la tronche de Soren, la première fois que je l’ai croisé après mon retour » avouais-je dans un sourire coupable. C’était d’ailleurs assez peu dire, je l’avais littéralement incendié et descendu dans un couloir de l’université au milieu des étudiants et des professeurs qui devaient se poser des questions à notre sujet. « Depuis c’est un peu tendu et c’est… compliqué. Comme toujours » soupirais-je. Je gardais pour moi le fait que j’étais totalement perdue vis-à-vis de Soren, partagée entre l’envie de l’étrangler chaque fois que je l’imaginais avec Cléo et le fait terrible que sa compagnie me manquait cruellement. « Je n’ai pas été tendre avec Cléo non plus » avouais-je dans une moue coupable, enfin d’enfouir mon visage contre le torse d’Elio, un peu honteuse. « Après la mort de Leah je me suis un peu effacé, avec les jumeaux et… Enfin la vie. Mais je vois encore de temps en temps la petite et Cleo. Ta nièce est adorable d’ailleurs. » déclarait Elio. « Tu veux rire, elle est PAR-FAI-TE. C’est pas une Hellington pour rien » plaisantais-je alors au sujet de Cami. J’étais littéralement tombée sous son charme et il allait falloir qu’elle se prépare à avoir une tante complètement dingue d’elle. « Au fait, comment ça se passe avec les jumeaux toi ? » lui demandais-je, profitant de notre première vraie conversation pour aborder tous les sujets que nous aurions dû aborder bien plus tôt.
J’attends les mots comme une sentence, parce que je sais qu’ils vont avoir une importance, que si Matteo à tout oublié de moi alors il va rester quelque chose de briser. Durant un instant mon cerveau déconnecte il se met à rêver,, à imaginer que Leah est peut-être en vie elle aussi, que tout est possible au final. Si Matteo a pu survivre à une explosion alors pourquoi pas Leah à son accident, puis ça me revient. La douloureuse vérité, le corps de ma sœur sans vie qu’il a fallu aller identifier. Il n’y a pas de doute possible et c’est la voix d’Heidi qui fini de me tirer de mes rêveries. « Je pense oui. » Mon cœur s’accélère un instant sous le coup de l’émotion. Du soulagement qu’elle doit lire dans mon regard alors qu’elle enchaine. « Quand je l’ai vu on a beaucoup parlé, je parlais de vous, toi et Kaecy. De ce qu’il était arrivé à Leah et comment vous vous étiez retrouvé avec ses enfants à charge. Il avait parfois un peu de mal à percuter sur les prénoms, mais globalement, il avait l’air de se souvenir de vous » J’ai tellement de peine à imaginer cette conversation. Comme celles qui vont suivre, moi qui ait pensé que plus aucun d’entre nous n’adresserait jamais la parole à Matteo. Depuis son décès présumé d’ailleurs, quelque chose me trottait dans la tête… Quels avaient été mes derniers mots pour Matteo ? J’avais beau le retourner dans tous les sens impossible de me souvenir. Je n’ai jamais aimé les adieux, je ne l’ai pas accompagné à l’aéroport et pleuré à la porte d’embarquement. On a fait une soirée, en sachant tous les deux que ça serait la dernière avant un nouveau départ, je n’ai même pas réfléchi plus loin, imaginé que ça pourrait être la dernière fois que je le voyais. « Après, je pense qu’il vaut mieux que tu juges par toi-même, je le soupçonne de minimiser les choses pour ne pas m’inquiéter plus que ça. » « Ca ne m’étonnerait pas de lui. » Je fais une légère moue rieuse en regardant Heidi. Ce n’est pas pour rien si je ne l’ai jamais touchée pendant toutes ces années ou nous flirtions ensemble dans le dos de Matteo, parce que je sais l’importance que sa sœur a à ses yeux, et je me connais assez pour savoir que je ne suis pas un mec pour elle. « C’est son côté grand frère. » Je baisse un peu les yeux. Parce que maintenant qu’il est en vie je n’ai aucune idée de comment assumer ce que j’ai fait avec Heidi. Que ce retour à la vie me met face à mes propres comportements aussi puériles soient-ils. Puis une partie de moi pense encore à Leah… Au grand frère que moi je ne serais plus. A la manière dont j’aurais sans doute pu faire plus pour Heidi à la mort de Matteo.
Heidi quitte mon contact et je n’insiste pas sentant bien qu’elle a besoin de prendre un peu de recule. J’accepte un thé qu’elle m’offre bien qu’une part de moi meurt d’envie de courir retrouver Matteo plutôt que de m’asseoir. Et progressivement la conversation se concentre sur la relation entre Soren et Cleo. « Pas que je sache. Il me semble que Cléo n’a pas trouvé le courage de le lui annoncer quand il est passé la voir et Soren n’en a pas parlé quand on l’a croisé. De toute façon, ce n’était pas le moment, je pense que Soren n’avait pas envie de gâcher nos retrouvailles. » « Il aurait peut-être du y réfléchir avant… » Le ton de ma voix laisse bien entrevoir une certaine rancœur bien que je la sache injustifié. J’ai moi même fauté avec Heidi, je n’ai pas réfléchi à cette possibilité, jamais. Matteo dans nos esprits avait disparu à jamais. « En tous les cas, s’il est au courant il s’est bien caché de m’en parler pour le moment. J’ai peur de sa réaction. » Je me mords un peu nerveusement l’intérieur de la joue. « Il mérite pas qu’on lui rajoute ça à son retour… » J’ose à peine imaginer ce qu’il a vécu. « Est ce que tu sais si il a souffert là bas ? Je veux dire quand tu l’as vu est ce qu’il t’a semblé… Différent ? » C’est probablement idiot comme question. Il est évident qu’après tant de temps et d’épreuves il doit être différent. Mais j’ai comme le besoin de me préparer au pire, et même à un changement physique percutant. Je n’ai pas envie de me laisse surprendre. Je crois que j’ai eu ma dose de surprise.
Cette fois Heidi me parle de sa nièce et un sourire se loge instantanément sur mon visage en pensant à la petite. Bien qu’il soit rapidement effacé quand le sujet revient une nouvelle fois sur Soren qui c’est en quelque sorte octroyé la place de Matteo dans la vie de Cleo et de sa fille. « Ca a toujours été un peu tendu Soren et toi de toute façon » Je hausse légèrement les épaules. « Pas toujours… » Du moins pas totalement, pas avant qu’il ne me donne l’impression de vouloir prendre ma place, l’amitié de Matteo, l’intérêt d’Heidi, je crois qu’il a toujours suscité une certaine jalousie en moi bien que n’ai jamais voulu concrètement l’avouer… « Pas comme toi avec lui… » Je ne peux m’empêcher de lâcher cette dernière pique non sans garder les yeux rivés à mon thé. C ‘est idiot de ma part et sans doute déplacé, pour une fois que nous avons une conversation calme et sereine. Et comme pour me contredire elle enchaine. « J’en ai mis pas mal dans la tronche de Soren, la première fois que je l’ai croisé après mon retour » Je sourie un peu, évitant de lui dire à quel point c’est déplacé de la part d’une personne qui a fuit la ville sans se retourner. C’est bien facile de se pointer des mois après pour venir faire la morale aux autres. « Depuis c’est un peu tendu et c’est… compliqué. Comme toujours » Je hoche à nouveau la tête. J’ai de la peine à me souvenir la dernière fois où les choses ont été simples… Peut-être jamais au fond mais ça semblait bien moins me peser avant. « Honnêtement je suis mal pour lui… Même si c’est compliqué entre nous. Je n’aimerai pas être à sa place… Et devoir expliquer la situation à Matteo maintenant… » Bien qu’au fond de moi j’ai l’impression que ce n’est qu’un juste retour des choses. Ce qui m’inquiète le plus étant la réaction de Matteo. « Je n’ai pas été tendre avec Cléo non plus » Ca ne m’étonne pas d’elle. Pour ma part je me suis fait plus compréhensif avec elle. Sans doute parce que j’ai rejeté volontairement toute la responsabilité sur Soren, avec l’impression malsaine qu’il n’attendait que ça pour sauter sur Cléo.
Je finis par expliquer un peu la situation dans laquelle je suis par rapport à ce couple, déviant un peu la conversation qui s’engage sur les jumeaux. Sans imaginer qu’elle va saisir la perche. « Au fait, comment ça se passe avec les jumeaux toi ? » Je relève les yeux, un peu étonné par la question. Me rendant compte que nous sommes réellement entrain d’avoir une conversation. « Ca va ! » Je me braque un peu, presque par réflexe ne la regardant plus alors que le silence s’installe entre nous. Ma réponse a été un peu sèche et je m’en rends bien compte. Et le silence qui s’en suit en est la preuve. Je finis d’ailleurs par le couper en enchainant. « En vrai c’est pas à moi qu’il faut poser cette question, je fais un peu n’importe quoi avec eux… C’est Kaecy qui a tout le mérite elle a été super… Tellement que je pourrais jamais assez la remercier. Je serai arrivé à rien sans elle, j’étais… Pas prêt. » Comment j’aurais pu l’être. Du jour au lendemain me retrouver avec deux gamins de 4ans à charge. « Mais ces dernières semaines ils ont été plus calme. Je crois que depuis… enfin tu sais depuis… » Je me passe la main dans la nuque nerveusement parce que parler de ça me semble toujours aussi difficile. « Depuis la perte du bébé… On dirait qu’ils ont compris que c’était pas une très bonne période et que… Ca les a calmé. » Je rive à nouveau mon regard vers la tasse. « Mais je m’inquiète pas pour eux, ils vont vite recommencer leurs bêtises, ils sont nés pour ça ! » Déjà quand ils étaient gosses et avec ma sœur c’était de vraies crapules. Les années n’ont rien arrangé. « Ils m’ont dit qu’ils t’avaient vu quelques fois avec Kaecy… Je crois qu’ils sentent que tu a été quelqu’un d’important pour leur mère. » Je doute qu’ils s’en souviennent ils étaient si petit quand elle est partie. « Tu sais Leah pensait à toi pour être la marraine de Dani avant… Enfin elle pensait à toi. » Au final les jumeaux n’avaient jamais été baptisés. Sans doute quelque chose dont je devrais me charger. « T’aurais pas hérité du pire… » Je rigole un peu, entre Scott est Dani autant tomber sur lui, il est plus câlin et bien moins tête brûlé.
J’étais prêt à tourner la page mais c’est la page qui ne veut pas se tourner. △
Je voyais bien l’espoir mêlé à la crainte dans le regard d’Elio. Je comprenais parfaitement ce qu’il ressentait, les questions qui devaient tourner en boucle dans son cerveau. J’étais passée par les mêmes émotions, les mêmes questions, je continuais de me poser certaines d’entre-elles. Les problèmes de mémoire de Matteo, qui avaient déjà causés tant de mal indirectement, pouvaient remettre en question tellement de choses qui me semblaient tout à coup primordiales. L’amitié qui unissait Elio et Matteo était tellement évidente pour moi que c’était comme si c’était gravé dans le marbre, il ne pouvait pas en être autrement. Sans Matteo, Elio ne serait probablement jamais rentré dans ma vie, certainement pas de cette façon en tous les cas, et bien que présentement j’avais souvent envie de lui arracher la tête, je savais que je n’étais pas capable de me passer de lui, que je n’étais pas prête à tirer un trait sur tous ces souvenirs et ces moments qui nous unissaient tous autant que nous étions. Nous étions une bande inséparable, ou presque, et je refusais qu’un stupide accident qui avait déjà causé tant de mal, prenne encore plus d’importance dans nos existences. J’essayais alors tant bien que mal de rassurer Elio sans non plus trop de mouiller puisque je ne parvenais pas encore à déterminer l’étendue des dégâts sur la mémoire et le comportement de mon frère. Je ne voulais pas non plus faire de faux espoirs à Elio, car je restais persuadée que Matteo faisait tout pour minimiser les problèmes qu’il pouvait rencontrer lorsqu’il était face à moi. « Ca ne m’étonnerait pas de lui. C’est son côté grand frère. » confirmait Elio dans une moue rieuse et bien que le sujet était assez dramatique, je ne pouvais réprimer un petit sourire amusé. Il suffisait d’un regard pour qu’Elio et moi comprenions instantanément où il voulait en venir en disant une telle phrase : c’était uniquement la présence de Matteo et sa volonté de me préserver de tout ce qui pourrait me faire du mal qui avait empêché Elio de céder à la tentation de m’embrasser lorsque nous étions plus jeunes. Si je ne risquais pas grand-chose, si ce n’était un savon de la part de Matteo, ce n’était évidemment pas la même pour Elio qui aurait mis son amitié avec mon frère en jeu, uniquement pour un flirt. Un petit silence s’établissait entre nous, alors que nous étions tous les deux plongés dans nos pensées respectives. Et évidemment, à l’instar d’Elio, je me demandais comment les choses allaient évoluer entre lui et moi, surtout depuis que nous savions tous les deux que Matt était de retour parmi les vivants et que sa réaction conditionnerait beaucoup les choses et leur évolution possible.
Toujours dans le silence je quittais l’étreinte qu’Elio m’offrait jusqu’ici, histoire de clarifier un peu mes idées et d’éviter les émotions de prendre trop le dessus sur mon humeur actuelle. J’avais besoin d’occuper mon cerveau, de faire quelque chose d’autre que de penser sans cesse aux problèmes qu’allait rencontrer Matteo suite à son accident. Evidemment, cependant, je pensais aussitôt à la relation de Soren et Cléo qui aurait tôt fait de lui briser le cœur. Déjà que cette relation avait tendance à déclencher de vives réactions de la part des proches du couple, qu’allait-il en être de Matteo lorsqu’il découvrirait que son meilleur ami avait pris sa place aux côtés de son ex future femme ? « Il aurait peut-être dû y réfléchir avant… » déclarait assez froidement Elio à propos de Soren et du fait que ce dernier n’avait pas eu le courage de lui parler de Cléo et de lui. J’haussais les épaules, en soupirant un peu, tout à fait d’accord avec Elio sur ce point et ce n’était pas faute d’avoir prévenu Soren à ce propos. Si une part de loyauté me poussait à m’inquiéter un peu de ce que deviendrait Soren, je ne parvenais pas à avoir véritablement pitié de lui. « Il mérite pas qu’on lui rajoute ça à son retour… » soupirait-il. Je relevais alors lentement les yeux vers ceux d’Elio. « C’est certain. On pourrait croire que disparaître pendant près de deux ans sans avoir le moindre souvenir de qui on est, suffirait » dis-je dans une petite moue désolée. « Est ce que tu sais si il a souffert là bas ? Je veux dire quand tu l’as vu est ce qu’il t’a semblé… Différent ? » me demandait aussitôt Elio. Prenant un temps de réflexion avant de lui répondre, je mordillais ma lèvre inférieure. « Pas différent non. Après, je ne l’ai pas vu assez longtemps pour pouvoir juger de tout, mais en ce qui me concerne, il ressemble beaucoup au Matteo d’il y a trois ans. Je suppose que si des séquelles devaient apparaître nous nous en rendrons compte au fur et à mesure. » J’haussais les épaules, alors qu’une boule se formait dans ma gorge. Et si il n’était plus le même ? Et si je ne reconnaissais plus mon frère suite à cet accident ? Je serais entre mes doigts la tasse de thé que je venais de me faire, comme pour me rassurer.
Après un bref passage à propos de Cami, voilà que la conversation revenait sur Soren. « Pas toujours… » répondait Elio lorsque je lui disais que sa relation avait toujours été un peu tendue avec ce dernier. « Pas comme toi avec lui… » lâchait-il un peu durement. Je le regardais un instant sans comprendre, un peu surprise qu’Elio évoque ma relation avec Soren. Pendant un bref moment, je me demandais même s’il savait que j’avais couché avec Soren, il y avait quelques années de cela. Rapidement, cependant, je me rendais compte que ce n’était pas possible qu’il soit au courant et je me demandais soudainement ce qu’il voulait dire par là. Après tout, ma relation avec Soren était basée sur une véritable amitié et nous n’avions jamais vraiment joué un quelconque jeu de séduction contrairement à ce qu’il s’était passé avec Elio. Pour cause, Soren était amoureux de Cléo depuis le tout début et je le savais pertinemment. Quant à moi, j’étais beaucoup trop jeune par rapport à lui pour laisser paraitre l’attirance qu’il avait fait naître chez moi. Je n’avais pas une seule fois envisagé qu’un jour nous puissions passer à l’acte tous les deux. Soren représentait avant tout un fantasme et une sorte d’idéal masculin plutôt que le réel objet de mon désir et de mes sentiments. Et c’était encore plus compliqué depuis qu’il était avec Cléo. Je ne comprenais donc pas réellement où Elio voulait en venir. « C’est compliqué et tu le sais » lui glissais-je alors pour tout réponse, sans savoir quoi dire d’autre. Elio continuait de me perturber un peu par ses réactions bipolaires, il m’évitait comme la peste pendant plusieurs jours pour finir par manifester une certaine jalousie envers quelqu’un avec qui je n’avais pas le moindre rapprochement manifeste. Et pour lui prouver que ce n’était pas aussi simple qu’il le croyait, comme pour lui montrer que je ne disais pas amen à tout ce que Soren faisait contrairement à une époque, je lui racontais ma première entrevue avec ce dernier. « Honnêtement je suis mal pour lui… Même si c’est compliqué entre nous. Je n’aimerai pas être à sa place… Et devoir expliquer la situation à Matteo maintenant… » avouait finalement Elio et je souriais un peu en coin. « Moi aussi. En toute honnêteté, si j’espère du fond du cœur pour Matteo, Cléo et Cami qu’ils formeront de nouveau la famille qu’ils auraient dû former depuis le début, j’ai toujours de la peine pour Soren. Il a tout à perdre dans cette histoire. Matteo, il nous a nous. Si Cléo quitte Soren, il aura perdu celle qu’il aime, celle qu’il a élevé comme sa fille et son meilleur ami. » dis-je alors tout doucement. Au fond, qui resterait pour Soren ? Je peinais à imaginer qu’Elio puisse lui apporter tout son soutien, vu leur entente actuelle. Kaecy n’avait jamais été très proche de Soren. Quant à moi… Une fois de plus c’était compliqué. J’étais tiraillée entre Matteo, Soren et Elio.
Finalement, désireuse de changer un peu de ce sujet épineux, je saisissais la perche qu’Elio me tendait pour me renseigner un peu sur sa vie avec les jumeaux. Si j’avais le point de vue de Kaecy sur la chose, je n’avais jamais eu l’occasion d’en parler à Elio et je voulais vraiment connaitre la réponse. Mais visiblement, Elio semblait surpris par ma question. « Ca va ! » se contentait-il de répondre, en fuyant mon regard. J’arquais un sourcil, un instant, un peu surprise par sa réponse, enfin par son absence de développement surtout. Je me retrouvais du coup un peu con, à le regarder alors qu’il s’évertuait à fuir mon regard. « En vrai c’est pas à moi qu’il faut poser cette question, je fais un peu n’importe quoi avec eux… C’est Kaecy qui a tout le mérite elle a été super… Tellement que je pourrais jamais assez la remercier. Je serai arrivé à rien sans elle, j’étais… Pas prêt. » finissait-il par enchainer alors que le silence entre nous devenait presque pesant. « On n’est jamais prêts pour ce genre de choses » confirmais-je. Je ne pouvais m’empêcher de songer à Chase, qui avait reçu la visite surprise d’une de ses ex conquêtes qui lui avait annoncé qu’il était le père d’un petit garçon âgé de 6 ans et qui le lui avait laissé du jour au lendemain, prétextant qu’elle n’en voulait plus la garde. Ca avait été un tel choc pour lui… Mais Elio n’était pas aussi immature et irresponsable que Chase. « Mais ces dernières semaines ils ont été plus calme. Je crois que depuis… enfin tu sais depuis… Depuis la perte du bébé… On dirait qu’ils ont compris que c’était pas une très bonne période et que… Ca les a calmé. » Je faisais une petite moue désolée sans croiser une seule fois le regard d’Elio. « Mais je m’inquiète pas pour eux, ils vont vite recommencer leurs bêtises, ils sont nés pour ça ! » ajoutait-il. « On se demande de qui ils tiennent ça » plaisantais-je alors dans un petit sourire. « Ils m’ont dit qu’ils t’avaient vu quelques fois avec Kaecy… Je crois qu’ils sentent que tu as été quelqu’un d’important pour leur mère. » J’hochais doucement la tête pour toute réponse alors qu’il enchaînait. « Tu sais Leah pensait à toi pour être la marraine de Dani avant… Enfin elle pensait à toi. » Je sentais alors mon cœur qui se serrait dans ma poitrine. J’avais loupé tellement de choses en quittant Brisbane et une fois de plus, Elio se chargeait de me le rappeler. « T’aurais pas hérité du pire… » disait-il en riant un peu et un pseudo sourire un peu triste s’affichait sur mon visage.
Je venais alors chercher des yeux le regard d’Elio après avoir posé ma tasse de thé sur la table basse du salon. « Je suis désolée » glissais-je du bout des lèvres avec gravité. Je ne m’étais jamais excusée auprès de lui pour avoir fui Brisbane. Je n’en avais jamais vraiment eu l’occasion parce que nous étions trop occupés à nous crier l’un sur l’autre et à rejeter la faute sur l’autre. Mais je voulais vraiment qu’il sache à quel point je regrettais aujourd’hui de ne pas avoir été à ses côtés pour toutes ses épreuves. J’aurai pu faire un grand discours, dire exactement ce pourquoi j’étais désolée mais je savais que ça ne servirait à rien. Mes excuses ne changeraient rien au mal qui avait été fait et je savais également qu’il savait au fond de lui ce que je regrettais amèrement. Je venais alors déposer sur sa joue, à la commissure de ses lèvres, un baiser. C’était tout ce que j’étais capable de faire et de dire pour lui exprimer tous mes regrets, parce que je sentais déjà l’émotion qui pointait le bout de son nez et que je n’avais pas envie de donner dans le dramatique, pas cette fois que nous parvenions enfin à avoir une discussion censée, la première depuis presque un an. Et pour détendre un peu l'atmosphère, parce que je redoutais un peu qu'Elio se mette en colère une fois de plus contre moi, je décidais de poser une question, sur un ton amusé. « D'ailleurs, il va falloir qu'on parle de ce qu'on va lui dire. » Elio me regardait d'un air d'incompréhension, ne voyant pas où je voulais en venir. « A Matteo. A propos de toi et moi. Il n'est pas dupe tu sais. » ajoutais-je dans une sourire en coin alors que je le regardais avec un petit air de défi, comme si je le mettais au défi d'oser proposer qu'on fasse comme si de rien n'était.
Il y a cette inquiétude toujours présente, elle plane au dessus de moi. Celle que ce retour ne soit rien de plus qu’une nouvelle désillusion. Que Matteo et moi n’ayons plus rien à partager, qu’il ne se souvienne pas de moi et ne veuille plus rien partager de nouveau. C’est sans doute idiot mais ça continue de me coller à la peau alors que je parle à Heidi, essayant d’en apprendre un peu plus sur l’état de son frère. « Pas différent non. Après, je ne l’ai pas vu assez longtemps pour pouvoir juger de tout, mais en ce qui me concerne, il ressemble beaucoup au Matteo d’il y a trois ans. Je suppose que si des séquelles devaient apparaître nous nous en rendrons compte au fur et à mesure. » « J’imagine… On ne sort pas indemne de ce genre d’histoire… » Nous en étions la preuve. Nous avions tous été touchés et changés par la mort de Matteo les épreuves de la vie et encore plus aujourd’hui par son retour, il semblait évident que le premier concerné vivait des choses toutes aussi compliquées.
Rapidement le sujet Soren avait été mis sur la table et il était brûlant, encore plus pour moi tandis que j’avais de la peine à mettre certaines rancœurs de côté. Si Soren n’avait clairement jamais rien fait de mal, il avait à mon sens détruit ce que nous avions mis longtemps à construire, une amitié qui m’avait semblé devenir moindre quand Soren avait fait son apparition. Il avait pris tellement de place que j’en avais presque oublié où était la mienne. Et si je ne l’avais jamais avoué à haute voix j’avais toujours eu l’impression qu’il m’avait pris ma place dans la vie de Matteo et Heidi. Evidement, je n’avais pas clairement été exclu, restaient encore les souvenirs de notre enfance mais ils semblaient faire pâles figure face au minois du jolie brun. Et si pendant longtemps j’avais tenté de cacher une certaine animosité, de créer un lien avec lui, notre amitié avait toujours été en dents de scies. Si bien qu’à la disparition de Matteo plutôt que de nous serrer les coudes nous nous étions définitivement éloignés. « C’est compliqué et tu le sais » Baissant la tête j’avais posé mon regard sur ma tasse de thé sans rien ajouter. « Il semblerait que ça soit un mot définissant bien ta vie en ce moment… » Je pouvais sans doute parler, je n’avais pas rendu son retour plus facile bien au contraire – et j’en étais conscient. Cependant une partie de moi aurait souhaité pouvoir tracer ce mot – revenir des années en arrière quand le plus compliqué dans notre vie était de ne pas céder à la tentation de l’embrasser – même quand elle était forte – même quand elle en jouait un peu. Et au fond de moi je ressentais une certaine pitié quand je pensais à la situation de Soren aujourd’hui – même si à mon sens il l’avait pleinement mérité – si personne ne l’avait jamais blâmer de prendre ma place maintenant qu’il s’était octroyé celle de Matteo, les choses allaient être moins sympas pour lui. « Moi aussi. En toute honnêteté, si j’espère du fond du cœur pour Matteo, Cléo et Cami qu’ils formeront de nouveau la famille qu’ils auraient dû former depuis le début, j’ai toujours de la peine pour Soren. Il a tout à perdre dans cette histoire. Matteo, il nous a nous. Si Cléo quitte Soren, il aura perdu celle qu’il aime, celle qu’il a élevé comme sa fille et son meilleur ami. » « J’imagine qu’il ne peut blâmer que lui… Mais les prochaines semaines risque d’être dures pour lui. » Et si je ne peux pas clairement ressentir de la compassion pour lui ou le demander clairement à Heidi, j’espère qu’il ne sera pas seul dans cette épreuve car il risque de tomber de bien haut.
Assis dans ce canapé avec Heidi j’en oubliais presque nos mésententes, ces semaines que nous avons passées à souffler le chaud et le froid pour finir par avoir une conversation plus ou moins sereine. Pourtant à sa question j’avais commencé à me refermer sur moi même, je n’étais pas sûr d’avoir envie de ça. De commencer à emprunter le chemin du pardon que je m’étais refusé à prendre depuis qu’elle était revenue. Pourtant j’avais fini par laisser tomber le premier mur – d’autres suivaient derrière mais c’était sans doute déjà une victoire. Parler des jumeaux avec elle était étrange. Je réalisais aussi qu’au fil des mois j’avais commencé à réellement les considérer comme ma famille. Que j’avais petit à petit su effacer l’oncle foireux pour devenir une vraie figure. J’étais encore loin d’égaler Kaecy mais j’avais cessé de les nourrir aux bonbons ce qui en soit était déjà une victoire. « On n’est jamais prêts pour ce genre de choses » Resserrant un peu mes mains autour de ma tasse j’avais fini par remonter mon regard vers elle. « J’aimais bien ma place d’oncle rigolo, je passais chez Leah, je leurs faisais faire pleins de bêtises et je repartais pour vivre ma vie… M’occuper vraiment d’eux… Leur montrer le bon exemple c’est… C’est autre chose. Ca nécessite des changements… » Des changements que je peinais à effectuer. J’avais mis toutes les chances de mon côté pour ne jamais avoir à devenir un adulte responsable et Scott et Dani avait fait voler tous mes beaux plans en éclat. D’ailleurs, je n’étais pas sans penser que c’était un peu ma faute si Scott et Dani étaient des vraies crapules aujourd’hui. « On se demande de qui ils tiennent ça » Je n’étais de toute évidence pas le seule. « Je vois pas du tout de qui tu veux parler. » Je rigolais un peu avec la sensation étrange que la situation était réellement entrain de s’améliorer entre Heidi et moi. Et une partie de moi en avait envie même si tout le reste de mon corps continuait de me hurler de courir loin d’ici et de ne surtout plus la laisser rentrer dans ma vie.
La conversation avait dérivé dangereusement vers un sujet bien moins joyeux. Me rappelant à nouveau son départ précipité de nos vies et la façon dont nous avions du faire sans elle. Elle avait loupé tant de choses et crée tant de ressentiments en moi. Un silence c’était installé entre nous. Je n’avais pas envie de la blâmer aujourd’hui – repenser à son départ faisait surtout renaitre une certaine tristesse. Un manque et cette impression à nouveau qu’elle avait détruit quelque chose qui ne pourrait plus jamais exister même si nous tentions un peu maladroitement de recoller les morceaux. « Je suis désolée » Mon regard était venu croiser le sien dans le silence de la pièce. Il n’y avait pas besoin de plus de mots. Ces trois là résumaient bien des choses dont elle et moi connaissions l’existence. « Je le sais… » J’aurais aimé que ça soit assez mais nous savions tous les deux que ça n’était pas le cas. Pour autant ça faisait du bien de l’entendre vraiment et sincèrement. Je reçois le baiser d’Heidi comme un caresse fermant les yeux pour en profiter alors que déjà il s’en va. Ouvrant les yeux je plonge mon regard dans le sien ne sachant trop ce que cet instant signifie, cette brèche dans notre histoire. « D'ailleurs, il va falloir qu'on parle de ce qu'on va lui dire. » Je plisse légèrement les yeux me demandant ce qu’elle veut dire, j’ai même peur de comprendre. « A Matteo. A propos de toi et moi. Il n'est pas dupe tu sais. » Je détourne le regard cette fois me raclant un peu la gorge avant de prendre la tasse de thé pour en boire un gorgée espérant stupidement que ce petit intermède me permette de changer subtilement de sujet. C’était sans compter sur Heidi et ce regard de défi qu’elle me jette. « On a qu’à lui dire que c’est compliqué. » Mon tour de la défier du regard, lui renvoyant ses propres mots avec une certaine révolte dans la voix. Je finis pourtant par baisser le regard ne sachant trop ce qu’il faut répondre à cette question en réalité. « J’imagine que ça serait mieux qu’on passe ça sous silence… Il n’a pas besoin de le savoir pour le moment. » Et même jamais. Si je veux avoir une chance de renouer les liens avec Matteo. « De toute façon… Ca n’arrivera plus n’est ce pas ? » Je ne sais pas pourquoi je lui pose la question. C’était ce que je m’étais dit la première fois. Que c’était une erreur ou un moyen de boucler cette histoire… et pourtant… Nous avions cédé une seconde fois, laissant parler nos envies respectives en oubliant le reste. Stupidement… Aujourd’hui Matteo était de retour et si il venait à connaître mon attitude face à sa sœur j’allais avoir de la peine à me justifier.
J’étais prêt à tourner la page mais c’est la page qui ne veut pas se tourner. △
Le fait qu’Elio et moi soyons capables d’avoir une conversation un tant soit peu civilisée était déjà un véritable exploit en soit. Nous, enfin, j’avais coupé tout contact avec lui pendant approximativement un an et depuis mon retour, il y avait environ un an, nous n’avions pas eu une seule conversation sensée en dehors de celle-ci. Nos échanges passés s’était souvent résumés à des crises de larmes de ma part et des propos durs et blessants de la part d’Elio. Parfois, il s’était tout simplement abstenu de me répondre, décidé à faire comme si je n’existais pas. Par deux fois cependant, la froideur et l’amertume qui rythmaient nos échanges avaient laissé place à un désir brûlant et inassouvi pendant des années. Si ces moments intimes passés en sa compagnie m’avaient plu et qu’ils m’avaient permis en un sens de me rapprocher de lui, ils ne valaient rien sans cette conversation que nous étions en train d’avoir. Pour rien au monde je n’aurai échangé ce moment et j’avais un peu peur parfois qu’Elio se souvienne brusquement qu’il ne voulait plus de moi dans ma vie. Bien entendu, j’étais consciente que cette accalmie n’était que passagère et j’étais prête à parier que tôt ou tard Elio me ferait une petite piqûre de rappel, mais pour le moment je m’en fichais. J’avais retrouvé mon ami, notre lien avait retrouvé son authenticité et ça, ça n’avait pas de prix. Evidemment, parfois la conversation passait à deux doigts d’une nouvelle dispute, je sentais Elio qui hésitait quant au comportement à adopter en ma présence, perturbé lui aussi par nos changements brusques de comportements l’un envers l’autre.
J’avais surtout senti la tension monter entre nous lorsqu’il avait évoqué ma relation avec Soren. Il aurait fallu être aveugle et sourde pour ne pas comprendre la pointe de jalousie qui se faisait sentir dans sa façon de parler de ma relation avec Soren. Bien que je la devinais, en revanche je ne me l’expliquais pas. De mon point de vue, Elio n’avait rien à envier à la relation que je partageais avec Soren. C’était pour moi deux relations qui n’avaient que peu de choses en commun et rien à envier à l’autre. Je connaissais Elio depuis toujours, il avait été mon premier ami, puis mon premier béguin. Il avait été le premier avec lequel j’avais joué un jeu de séduction, c’était le garçon qui m’avait fait me sentir belle et désirée pour la première fois. Ca avait été le premier garçon dont j’aurai pu tomber amoureuse. Aujourd’hui encore, malgré tout le mal que nous nous étions fait l’un à l’autre, je sentais encore des picotements dans mon ventre quand il me regardait, lorsqu’il me touchait et encore plus lorsqu’il m’embrassait. A contrario, Soren avait avant tout revêtu l’image d’un autre grand frère, d’un grand frère pour lequel j’avais toujours éprouvé une sorte de fascination et d’attirance inexplicable, mais jamais au grand jamais, je n’aurais cru qu’un jour nous aurions franchi le pas et couché ensemble. D’ailleurs, à ce jour, c’était la seule fois où ma relation avec Soren avait été ambigüe. Même depuis nos échanges étaient parfaitement platoniques. « Il semblerait que ça soit un mot définissant bien ta vie en ce moment… » répondait-il lorsque je lui répondais que c’était compliqué, n’ayant pas envie de me lancer dans des explications compliquées et compromettantes pour ma personne. « Et la tienne si je peux me permettre » ajoutais-je avec un petit sourire en coin, dans une tentative de détendre un peu l’atmosphère. « J’imagine qu’il ne peut blâmer que lui… Mais les prochaines semaines risquent d’être dures pour lui. » ajoutait-il finalement. J’haussais alors vaguement les épaules : était-il seulement coupable d’avoir toujours aimé Cléo ? C’était la question à un million de dollars.
De nouveau la conversation se tendait un peu entre nous lorsqu’il évoquait sa vie avec les jumeaux et le fait qu’il avait été propulsé du jour au lendemain à la place de chef de famille. « J’aimais bien ma place d’oncle rigolo, je passais chez Leah, je leurs faisais faire pleins de bêtises et je repartais pour vivre ma vie… M’occuper vraiment d’eux… Leur montrer le bon exemple c’est… C’est autre chose. Ca nécessite des changements… » finissait-il néanmoins par me confier. Bien entendu, tout ça je le savais, je le connaissais suffisamment pour savoir que les responsabilités et Elio, ça faisait deux. Non pas qu’il n’était pas capable d’être adulte, simplement parce qu’il n’avait jamais vraiment essayé avant ça. C’était le trait principal de son caractère, ce qui avait rendu si compliqué notre rapprochement. Si Matteo n’avait pas tant connu Elio comme un jeune homme irresponsable avec ses conquêtes féminines, peut-être n’aurions-nous pas eu à cacher notre attirance pour éviter la crise de nerfs à Matt. Je venais alors poser ma main sur le bras d’Elio, doucement. « Tu en es parfaitement capable, tu sais » l’encourageais-je, totalement honnête. J’ajoutais finalement que les jumeaux tenaient leur côté diabolique de leur oncle et Elio feignait de ne pas comprendre l’allusion : « Je vois pas du tout de qui tu veux parler. » Il se mettait à rire et je riais un peu avec lui « A d’autres ! » C’était à cet instant même, à rire comme de vieux amis, en parlant de Dani et Scott, que la réalité me rattrapa brusquement et que je décidais de m’excuser pour de bon face à Elio. Je ne m’attendais pas à ce que mes excuses changent les choses radicalement dans le sens positif. Mais je voulais au moins qu’il les entende, qu’elles soient gravées dans sa mémoire et qu’on puisse tous les deux essayer de s’y raccrocher pour avancer et bâtir une nouvelle relation. « Je le sais… » disait-il simplement, et je n’avais pas attendu autre chose de sa part. Je lui souriais alors un peu faiblement avant de chercher à détourner la conversation de cette pente savonneuse sur laquelle je venais de nous lancer.
Et sans trop savoir ce qu’il me passait par la tête à ce moment-là, je venais demander à Elio ce que nous allions dire à Matteo à notre propos. Peut-être celui-ci avait-il quelques soucis de mémoire, en revanche, Elio ayant toujours fait partie de notre vie, je restais persuadée qu’il descellerait aussitôt le changement d’attitude que nous avions l’un envers l’autre. Dans nos échanges, dans chacun de nos regards il était assez facile de comprendre non seulement que nous n’étions pas spécialement en bon termes, mais également qu’il y avait une sorte de tension qui n’avait rien à avoir avec des reproches, qui compliquait le tout. Je n’avais pas la moindre envie de me retrouver comme une idiote à ne pas savoir quoi répondre le jour où mon frère nous poserait la question. Aussitôt, je sentais le malaise qui émanait d’Elio. Il se raclât la gorge bruyamment avant de détourner son regard de ma personne une fois de plus. « On a qu’à lui dire que c’est compliqué. » ajoutait-il finalement, ayant compris que je ne me contenterais pas de le regarder se défiler. Je fronçais alors un peu les sourcils, alors qu’il se contentait de me renvoyer mes propres paroles à la figure. Clairement, ce n’était pas ça que j’attendais de sa part. « J’imagine que ça serait mieux qu’on passe ça sous silence… Il n’a pas besoin de le savoir pour le moment. » Je levais les yeux au ciel. « Bien sûr ! Mais est-ce que quelque chose s’est déjà passé comme on l’espérait ? » lui demandais-je alors en croisant les bras sur ma poitrine. Pour le coup, j’en avais un peu assez de subir ma vie et je voulais un peu prendre les devants pour une fois. Et attendre que Matteo découvre le pot aux roses par lui-même, ce n’était pas dans cette logique. « Tu sais qu’il va nous tuer, je veux dire, nous tuer encore plus, s’il découvre ça sans qu’on lui en ait parlé avant tous les deux. » Pour le coup, personnellement je bénéficiais d’un avantage non négligeable : j’étais la petite sœur de Matteo. C’était un lien à vie et peu importe les bêtises que je pouvais faire, j’étais certaine que rien ne serait plus fort que ça. Alors si au début Matteo m’en voudrait sûrement un peu d’avoir couché avec un de ses potes, il finirait par passer outre. En revanche, pour Elio…
« De toute façon… Ca n’arrivera plus n’est ce pas ? » ajoutait-il en brisant le silence qui s’était installé entre nous. Je le regardais alors, sans trop réagir un peu perturbée par sa réponse. Au fond, je ne savais pas trop ce que j’avais espéré qu’il réponde, mais certainement pas ça. Sans savoir pourquoi, je sentais qu’il venait de réussir à toucher un point sensible et qu’il venait de me vexer. Pourtant cette réaction de ma part n’avait rien de logique, après tout nous étions amis avant tout, et nos rapports étaient bien trop compliqués en ce moment pour qu’on continue de rajouter des parties de jambes en l’air (très perturbantes émotionnellement parlant) sur l’ensemble. Mais à l’instant où Elio avait émis l’idée qu’on ne puisse jamais recommencer, des images mentales de ces moments me revenaient en tête. Sa peau brûlante contre la mienne, son étreinte rassurante, son parfum enivrant, son souffle chaud contre ma peau. Et alors qu’un frisson montait le long de mon échine et qu’un picotement venait se loger dans mon ventre, je me braquais encore plus contre Elio. C’était à cause de lui tout ça, c’était lui qui rendait tout compliqué et qui ne semblait même pas ciller à l’idée que tout ceci puisse trouver une fin. « Je ne vois pas pourquoi » dis-je alors, toujours les bras croisés sur ma poitrine, le ton un peu trop sec pour être totalement crédible. « C’était une erreur. » dis-je alors catégorique. Sous les yeux d’Elio je venais de me refermer comme une huitre, rendant impossible toute conversation sensée. Elio venait de me blesser dans mon ego et de mettre le bordel une fois de plus dans mon cerveau. A cet instant précis, j’avais envie de mettre Elio à la porte pour ne plus ressentir de flot d’émotions aussi perturbantes qu’incompatibles. Pourtant, je restais là, figée.
Quelque part en moi je savais que j’avais souhaité ce moment – ces retrouvailles que j’avais prétendu ne jamais vouloir elles m’obsédaient depuis des longs mois. Comme si j’avais eu conscience qu’il faudrait bien baisser les armes un jour. Que malgré tout ce que je pouvais dire je ne pourrais pas éternellement haire Heidi. Et pourtant c’est bien que j’avais ressenti à son égard pendant de long mois, une haine qui avait manqué de me consumer et qui n’avait pu être apaisée que par le désir ardent que j’avais eu pour elle et auquel j’avais succombé à deux reprises. Aujourd’hui il n’était plus question ni du désir de la haine mais cet entre deux ne trouvait pas encore de nom dans mon esprit. « Et la tienne si je peux me permettre » Elle m’avait renvoyé avec agilité la balle et je ne pouvais pas réellement la contredire. Depuis le décès de ma sœur la vie avait commencé à être bien plus compliquée et ma rencontre avec Kyrah n’avait rien arrangé. Aujourd’hui j’avais l’espoir un peu naïf que les choses allaient se calmer. C’était sans compter sur ma rencontre avec Kael et la révélation qu’il avait faite lors de cette soirée de bienfaisance. Quelque part sur cette terre se trouvait une autre famille qui n’avait elle aussi rien su de la double vie de mon père pendant des années. Maintenant que le secret avait explosé je ne pouvais cesser de penser à eux, à cette famille qui était la mienne et dont je ne savais rien. A cette révélation était venue s’ajouter le retour de Matteo, ce qui avait fini de me provoquer que la douceur des jours simples était encore loin de moi. « Et encore… Compliqué est un faible mot. » Est-ce que c’était ça être adulte ? Jongler avec un amas de problèmes qui ne vous laisse jamais en paix ? C’était peut-être le cas mais de toute façon je n’avais pas vraiment eu le choix. Si il ne tenait qu’à moi de choisir, ma vie passée me convenait, pas de responsabilité, personne qui ne m’attend à la maison. J’avais aimé et abusé de cette vie de solitaire, peut-être un peu trop, voyageant un peu partout, m’amusant avec quantité de femmes sans jamais me questionner sur les conséquences de mes actes. Ces filles que je n’avais jamais rappelée, ces gens que je n’avais jamais remboursés, cet héritage conséquent que j’avais dilapidé en quelques années sans jamais compter. Aujourd’hui je m’en mordais le doigts, conscient que j’aurais pu faire bien plus de cet argent que de le dépenser en futilité. J’aurais pu faire plus pour les jumeaux, pour Kaecy qui avait mis sa vie de côté pour venir élever les deux têtes rousses avec moi. « Tu en es parfaitement capable, tu sais » J’aurais aimé en être aussi sûr qu’elle. J’avais plus d’une fois mis la vie des jumeaux en danger depuis que je m’occupais d’eux. Dani avait même fini à l’hôpital et j’avais parfois l’impression de tout faire à l’envers même quand je tentais de faire au mieux. Faire passer le bien-être de deux petits êtres avant le mien était un concept que je devais encore apprivoiser. Celui d’être un une figure paternelle aussi.
Le moment d’émotion crée par les excuses d’Heidi avait bien vite tourné sur un autre sujet de conversation. Bien plus dangereux et je l’avais rapidement senti alors que les premiers mots sortaient de ma bouche. Heidi semblait avoir une idée en tête et attendre de moi que j’abonde dans son sens. Le problème étant que concernant notre relation mon cerveau était au point mort et la capacité de réfléchir impossible à enclencher. « Bien sûr ! Mais est-ce que quelque chose s’est déjà passé comme on l’espérait ? » Baissant la tête comme un enfant qu’on engueule j’avais bien conscience que cacher la vérité n’était pas la meilleure des solutions mais je ne savais plus comment me défaire de ce pétrin. « Tu sais qu’il va nous tuer, je veux dire, nous tuer encore plus, s’il découvre ça sans qu’on lui en ait parlé avant tous les deux. » J’en avais bien conscience mais une partie de moi espérait qu’il ne l’apprenne jamais. « Qu’est ce que tu proposes Heidi ? Que je lui balance à la figure que comme il était mort et que bon il était plus là pour m’en empêcher j’ai couché avec sa sœur. Sa sœur que j’ai fait pleurer plus d’une fois avant ça parce que ça me faisait du bien qu’elle se sente mal ! Ah oui et que après avoir couché avec elle je lui ai plus donné de nouvelles parce que je suis un gros con de flippé mais que bon maintenant qu’il est là, de retour parmi les vivants… On a qu’à oublier ça ! » Mon ton est un peu plus agressif cette fois. Parce que je me rends bien compte que j’ai merdé et que je ne sais pas comment rattraper les choses. « Si comme tu le dis Matteo n’a pas changé… Il me le pardonnera jamais. » Ca me semblait tellement évident et tellement douloureux en même temps. Imaginer que Matteo soit de retour parmi nous mais qu’il ne veuille plus avoir à faire à moi, qu’il en vienne à me détester et que je sois le seul à pouvoir blâmer dans cette histoire. « C’est bien simple pour toi, t’es sa sœur ! Forcement tu es la pauvre victime et moi je suis le grand méchant… On pourra le tourner comme on le veut c’est tout ce qu’il verra. » Et peut-être qu’il n’aura pas tout tord. Matteo me connaît bien – il sait comment je fonctionne avec le femme et c’est parce qu’il me connaît si bien que convoiter sa sœur m’était absolument impossible. Sans jamais qu’il ne le formule à haute voix l’interdiction était dans la logique des choses.
J’avais finalement osé entamer un sujet encore plus délicat en émettant l’hypothèse que cela n’arriverait plus. Je cherchais une sorte d’aval de sa part, tout en sachant bien que ma façon d’aborder le sujet n’était une fois de plus pas des plus délicates. « Je ne vois pas pourquoi » Son ton sec m’indiqua rapidement que j’avais mis les pieds au mauvais endroit – une pointe de colère pouvait s’y lire même si je n’étais pas sûr de comprendre pourquoi. « C’était une erreur. » C’était comme une grande baffe. Non pas que je n’avais jamais imaginé ce moment comme telle mais l’entendre le dire à voix haute était plus perturbant que prévu. Je restais un instant pantois, le silence recouvrant même mes pensés alors que je regardais Heidi. Il n’y avait rien à dire… Pas à ce moment là. Elle venait d’énoncer une vérité que probablement ni elle ni moi ne voulions entendre mais que nous savions proche de la vérité. « Je n’ai pas dit ça… » Moi non mais elle oui et ces mots faisaient écho en moi. « Mais tu as sans doute raison… On aurait jamais du le faire… Je n’aurais pas du… Et si tout ça s’arrête ici alors je ne vois pas l’intérêt d’en parler à ton frère. Il a sans doute déjà beaucoup de choses à gérer sans venir s’occuper d’événement qui appartiennent au passé. » Je n’étais pas sur que c’était ce que je voulais mais au vu de sa réaction et de la mienne c’était sans doute le mieux. « On n’a qu’à… faire en sorte de ne pas le voir en même temps. Du moins pendant un moment. Le temps que les choses se tassent. » C’était la seule solution envisageable pour moi ça et le fait de ne plus se voir nous deux sans doute. Il nous suffisait de revenir à notre configuration de base depuis qu’elle était revenue. Pas de contact, pas d’intérêt l’un pour l’autre. Rien de plus simple non ?