Wyatt aimait son travail, c’était un fait avéré depuis deux dizaines d’années que personne n’avait le droit de contester. Mais à côté de ça, il existait tout de même des moments où il donnerait beaucoup pour être ailleurs et ce soir en faisait partie. Il fallait dire qu’il n’avait pas commencé sa journée de la meilleure des manières. Bolt l’avait réveillé au milieu de la nuit par ses gémissements et à partir de là Wyatt n’avait pas amassé beaucoup d’heures de sommeil. Constatant que son chien n’allait pas mieux à son réveil, le producteur l’avait emmené chez le vétérinaire qui l’avait gardé toute la journée. Il avait eu des nouvelles en fin de journée lui annonçant que Bolt était définitivement tiré d’affaire mais que les vétérinaires préféraient le garder en observation toute la nuit, ce qui n’empêchait pas Wyatt d’avoir une once de stress à chaque fois qu’il y pensait.

En conséquence, il avait pris du retard sur son planning dès le début de la journée et il avait été d’une humeur exécrable à chaque instant. Certains vous diront que ça ne changeait pas énormément de l’ordinaire mais Wyatt lui il le sentait quand il n’arrivait pas à être calme. Ca le déconcentrait et il en perdait toute son efficacité. C’était sans doute la raison pour laquelle il était encore au bureau alors qu’il commençait à se faire tard. Le cadavre de la boîte de pâtes qu’il avait commandé chez l’italien était encore sur un coin de son bureau et il avait un verre de whisky à sa gauche. La nourriture et l’alcool l’avait en partie détendu et honnêtement quelque peu endormi.

Après un énième bâillement, Wyatt décida d’abandonner quelques instants. Il se leva de sa chaise et prit enfin le temps de jeter le bout de carton dans une poubelle avant de quitter la pièce. Le couloir dans lequel il se trouvait était relativement tranquille, ce qui était prévisible au vu du moment. Un jeudi soir vingt-et-une heure passées, il n’y avait pas de raison de trouver grande activité chez abc. Pour ce qui était de la télévision, le journal était passé, une émission préenregistrée était actuellement en train d’être diffusée et ils enchaineraient avec les news de la nuit. C’était appréciable d’être entouré de ce calme là et Wyatt se surpris à sourire quand il découvrit que la salle de repos était vide. Il n’y restait jamais longtemps, juste le temps nécessaire pour se faire un café. Ca ne l’avait jamais intéressé de rester discuter ici avec ses collèges et en dehors des machines à satisfaire son besoin de caféine, il ne trouvait pas de grand intérêt à la pièce. Il y avait pourtant vécu un échange plutôt intéressant avec un certain Terrence Sheppard il y a de cela quelques mois. Mais là n’était pas le sujet aujourd’hui.

Après avoir attrapé un café, Wyatt se dirigea vers les escaliers de secours du bâtiment et les gravit jusqu’à atteindre la porte permettant d’accéder au toit de l’immeuble. Ce n’était pas dans ses habitudes de s’y aventurer mais présentement il avait besoin d’air frais alors il ne réfléchit pas longtemps avant de pousser la porte.

Oui, Wyatt s’était attendu à se retrouver seul. Avait eu pour but de se retrouver seul. Et oui, il fut surpris quand il découvrit qu’une jeune femme avait eu la même idée que lui. Ne voyant pas l’intérêt de faire semblant de pas l’avoir vu dans un lieu aussi insolite, Wyatt s’approcha et ne tarda pas à froncer les sourcils quand il découvrit ce que la demoiselle avait dans la main. « Vous vous foutez de ma gueule ? » Way to introduce yourself, Wyatt. Magnifique. « Dites-moi que c’est pas ce que je crois. »

Un peu plus tôt, monter sur le toit avait ressemblé à une bonne idée car elle permettait à Wyatt d’être à la fois seul, au calme et avec de l’air frais pour lui raviver l’esprit. Se retrouver dans le froid avec une autre personne, ça n’avait littéralement aucun avantage. Ce n’était pas qu’il n’aimait pas les gens. On lui avait déjà fait la remarque mais il réfutait totalement. Il savait être agréable et profiter des gens. C’était deux choses différentes mais il les maitrisait, ensemble et séparément, quand il en avait envie.

En soit il aurait pu faire demi-tour une fois qu’il avait réalisé que ses plans de solitude étaient ruinés. Mais non, Wyatt avait préféré s’approcher de la personne assise non loin de la porte, sa curiosité sans doute trop forte pour qu’il fasse demi-tour. « Wow wow… Calmos. » A ces quelques mots, Wyatt se contente d’hausser un sourcil, presque interrogateur.  Dans le fond il est conscient que son approche n’était pas le plus diplomatique qui soit mais pour lui c’était en accord avec la situation. « Et si ça l’était? » Une grande inspiration. Une grande expiration. La question dont il connaisse tous les deux la réponse ne mérite pas de réponse. Les derniers mots de Wyatt avaient plus été prononcés pour préciser la chose que par réel questionnement. Même si il commençait à ne plus se faire tout jeune, l’anglais avait été étudiant et autant vous dire qu’à l’époque sa curiosité était presque plus grande qu’aujourd’hui.

La jeune femme se releva et Wyatt prit un moment pour la détailler. La lumière environnante n’était pas fantastique mais il pouvait tout de même distinguer les traits de son visage et autant vous dire qu’ils n’étaient pas familiers. Le producteur était à peu près sûr de ne jamais avoir eu l’occasion de travailler avec la blonde. S’il n’avait pas forcément la mémoire des prénoms, il avait tout de même tendance à enregistrer un visage et celui-ci ne lui disait rien. Les possibilités étaient alors infinies. La personne en face d’elle pouvait aussi bien être une femme de ménage qu’une personne travaillant sur l’émission de nuit d’abc radio. « Allez-y, mettez-moi les menottes. » Wyatt la dévisagea de nouveau, ses yeux voyageant des bras qu’elle venait de lui tendre jusque sa tête. « Pardon ? » Le pire était sans doute le fait que quand la demoiselle avait placé ses bras devant lui, Wyatt avait d’abord cru qu’elle voulait qu’il les inspecte pour vérifier qu’il n’y avait pas de marques de piqures. « Même pas peur. » Cette fois-ci c’était au tour de notre producteur de rouler des yeux. Il croisa ses bras sur sa poitrine, son verre de café toujours en main mais plutôt délaissé pour l’instant. « Parce que vous trouvez ça drôle ? » Wyatt lâcha l’inconnue des yeux le temps de boire quelques gorgées de son café qui le gênait plus qu’autre chose dans la présente situation. « Vous travaillez à ABC News, mademoiselle. Pas dans la rue ou je ne sais où. Nous exigeons un contenu de qualité sur nos antennes et nous ne pouvais pas nous permettre d’avoir des employés passant à côté des règles pour leur propre plaisir. »  Même si la jeune femme ne travaillait pas pour lui, elle impactait tout de même sur un aspect d’ABC news et c’était suffisant pour que Wyatt ait besoin qu’elle respecte les règles et agisse en toute sobriété. « Vous travaillez bien ici, rassurez-moi ?» L’inverse serait plutôt terrifiant pour la sécurité de la chaine et de ses employés alors il avait le droit de poser la question. Et accessoirement ça lui permettrait peut-être d’en apprendre un peu plus sur la blonde.  

Soudain, ses contrats et la planification de sa nouvelle émission lui donnait beaucoup plus envie que prendre un bol d’air. Pour le coup, il s’était clairement réveillé. Par contre pour ce qui était de retrouver de quoi se concentrer sur ses dossiers, on n’y était pas encore. Il aurait facilement pu faire demi-tour, prétendre qu’il n’avait rien vu et laisser l’inconnue à ses activités à peine illégales. Mais il était incapable de bouger, ses deux pieds ayant pris la décision pour lui de ne pas quitter l’endroit immédiatement. « Euh, vous êtes qui? Le patron? » A ces questions, Wyatt ne savait pas exactement si il avait envie de rire ou d’écarquiller les yeux. Oui il était conscient que nombre d’employés du monde entier n’avait aucune idée de la tête qu’avait leur boss (lui-même n’avait rencontré le sien qu’à un seule reprise) et il n’était pas surpris que la demoiselle en face de lui ne le reconnaisse pas mais sa réaction restait amusante et surprenante. « Juste un producteur de la chaine de télévision, ça suffira. »  Pour aujourd’hui et pour toujours, certes il était ambitieux mais il tenait tout de même à avoir une vie. « Oui, je suis assistante. Et je ne vois pas en quoi j’ai fait quelque chose de mal, et en quoi fumer un joint impacterait sur la qualité de mon travail. »  La réponse de Wyatt ne fut pas immédiate –pour ne pas dire inexistante-, en grande partie parce qu’il n’avait rien d’irréfutable à proposer. Sa première réaction avait été basée sur sa propre expérience, existante mais plutôt limitée. Le cannabis lui avait toujours plus donné envie de dormir qu’autre chose  et il n’avait jamais compris comment on pouvait mieux travailler sur quelque chose après en avoir consommé. «D’ailleurs je pense même que ça aurait des vertus apaisantes, vous devriez essayer. »  Cette fois-ci, Wyatt se permit de rire de l’indécence de la proposition et il garda ses yeux sur l’assistante qui le regardait de haut malgré les quelques centimètres qu’il avait sur elle. Cette presque insolence aurait pu –du- irrité le producteur anglais mais il se contenta de fixer la blonde jusqu’à ce qu’elle prononce ses prochains mots. « Ça vous décoincerait un peu… »  Au vu ton sur lequel ils avaient été prononcés, Wyatt n’était pas certain que ces propos étaient destinés à être entendues mais il ne les rata pas. Mieux, ils le confortèrent dans la décision qui avait doucement commencé à se mettre en place dans sa tête. « On va voir ça. » Après avoir fait un pas en avant, il attrapa le joint que l’assistante avait conservé entre deux doigts de sa main après que Wyatt soit arrivé.   « Un feu ? »  La blonde sembla quelque peu surprise mais elle finit par sortir un briquet de son sac et le lui tendit. Wyatt décida alors de s’asseoir avant de porter la chose qu’il avait condamné un peu plus tôt à ses lèvres. Il était incapable de vous nommer la dernière cigarette qu’il avait touché alors c’est sans surprise qu’il se retrouva à toussoter en expirant sa première bouffée. Il passa du mieux qu’il le pu au-dessus du ridicule qu’il ressentit et releva la tête pour tendra sa main droite à l’assistante. « Wyatt Spears, heureux de faire votre connaissance. Vous me réveillerez si jamais je m’endors ? »  La question était sortie toute seule et Wyatt aurait sans doute dû avoir honte mais plutôt que de s’attarder sur la chose il préféra tirer de nouveau sur le joint qu’il avait en main, cette fois-ci avec plus de facilité. L’action ne lui ressemblait pas exactement mais la journée qu’il avait passé se prêtait à l’occasion.

Wyatt eu le plaisir de découvrir de la surprise sur le visage de la jeune femme quand il lui prit son joint des mains et il ne put s’empêcher de sourire. A l’entente des quelques balbutiements qu’elle essaya de prononcer, il avait même réussi à lui clouer le bec, quelque chose qu’il allait considérer comme impressionnant au vu de ce que la blonde lui avait montré jusque-là. Pendant un court instant, le producteur avait eu peur qu’elle refuse de lui prêter son briquet –ce qui l’aurait fait sentir bien plus ridicule qu’après avoir toussé en prenant sa première taffe– mais l’inconnue qui n’en était plus tellement une avait fini par céder en lui tendant l’objet désiré. Enfin, il avait pu s’asseoir et utiliser les deux objets qu’il avait collectés.

Non, Wyatt ne passa pas à côté du rire de la jeune femme quand il tira sur le joint mais étant donné qu’il était honnêtement légitime, il ne lui en voulu pas. « Janis Cavendish, mais appelez-moi Jane. » Leur poignée de main ne fut pas exactement légère mais pour le coup, Wyatt ne fut pas surpris, ça correspondait à l’image qu’il était en train de se faire de la personne qu’il avait à ses côtés. «Et aucun risque que vous vous endormissiez si je suis dans les parages. » Wyatt sourit et il répondit tandis que Janis le rejoignait parterre. « C’est bon à savoir. » Non pas que la chose l’inquiétait réellement. Il savait très bien que si jamais il se sentait fermer les yeux un peu trop longuement, il se lèverait et retrouverait le chemin de son bureau. Peut-être en prenant un peu plus de temps que d’ordinaire, mais il y arriverait.

En voyant l’assistante s’asseoir à ses côtés, Wyatt reconsidéra un instant l’endroit où ils étaient installés. Ils n’étaient pas exactement à même le sol mais c’était pratiquement tout comme. Son pantalon de costume ne devait pas spécialement apprécier ses choix de vie actuellement mais peu importe, il savait faire fonctionner une machine à laver, merci bien. Janis récupéra le joint de ses mains pour le porter à sa bouche et Wyatt ne put s’empêcher de poser son regard sur le visage de la jeune femme, incapable de le quitter avant que celle-ci ne reprenne la parole. L’instant n’avait probablement pas duré plus d’une trentaine de secondes  mais il se surprit à avoir besoin de se reconcentrer à l’entente de la voix de Janis. « C’est courant pour un producteur de faire des heures supp’? Moi qui pensais que vous n’en touchiez pas une… » Pour la première fois depuis qu’il avait débarqué sur le toit des locaux d’abc, un rire honnête se libéra de la gorge du producteur. Il jeta un coup d’œil à sa montre qui lui indiqua que la demie était passée et qu’ils se rapprochaient de plus en plus des vingt-deux heures.   « Pour être honnête, je suis généralement chez moi à cette heure-ci. Sauf dans de rares cas comme aujourd’hui quand ma journée ne commence absolument pas comme elle aurait dû et que j’accumule du retard au fil des heures et que je peux pas me permettre de le laisser trainer jusqu’à demain. » Sa voix s’était faite plus dure, contrastant avec la légèreté qu’elle avait commencé à prendre au cours des dernières minutes. Même si il n’avait pas exactement fait attention, il savait que Janis ne méritait pas sa frustration alors il essaya de la mettre du côté du mieux qu’il le pu. Tirer une nouvelle taffe sur l’objet qu’elle venait de lui repasser ressemblait à une bonne solution. Cette fois-ci, il prit un peu plus son temps, fermant inconsciemment les yeux alors qu’il se laissait expirer longuement. Il reposa ensuite son poignet gauche sur son genou, la dose de cannabis qu'il partageait à présent à portée de main de Janis et enfin, ses yeux étaient de retour sur la jeune femme, un demi-sourire au coin des lèvres. « Enfin, je devrais pas me plaindre, c’est mon boulot et je l’aime. La plupart du temps tout du moins. Et vous, qu’est-ce-que vous faites encore ici ? Je sais que les grands hommes ne seraient rien sans leur assistante mais elles méritent quand même de se reposer de temps en temps. » Oui, Wyatt pensait ce qu’il avait dit (en grande partie parce qu’il avait souvent eu la chance d’avoir des assistantes faisant très bien leur boulot). Non, il ne l’aurait sans doute pas avoué dans une situation plus conventionnelle. L’avait-il fait pour essayer de montrer à Janis qu’il n’était pas que un connard ? Possiblement.

« Et elle a commencé comment cette foutue journée? »  Ils avaient donc définitivement passé le cap des hostilités et semblaient maintenant tous les deux prêts à passer à l’étape où ils s’intéressaient un minimum, c’était bon à savoir. « Disons que la nuit a été tellement courte et saccadée que c’est compliqué de savoir quand la journée a réellement commencé. Mon chien a été malade toute la nuit, j’ai dû l’emmener chez le vétérinaire dès que j’ai pu dans la matinée. J’ai tendance à avoir des journées remplies mais quand je commence avec du retard, quelques heures de sommeil dans la tête et un esprit à autre chose, c’est pas évident d’être productif. Du coup je me retrouve encore ici à cette heure-ci à essayer de terminer des choses plutôt urgentes pour demain alors que ma capacité à rester concentré m’a quitté il y a bien longtemps. » On pouvait sans doute voir dans ses propos un besoin de se justifier si on le voulait, c’était peut-être pas tout à fait faux. Wyatt n’était pas du genre à s’auto-flageller et à en avoir quelque chose à faire de ce que les autres pouvaient penser de son travail mais il restait soucieux de ses actions. Et bavard, ce soir. Les substances pouvant altérer l’activité de son cerveau avaient toujours eu tendance à délier sa langue. Janis elle semblait bien plus tranquille et avare de mots, ça contrebalançait un peu l’échange. « Je rends un service à mon patron… Il ne m’arrive pas souvent de faire des heures supp’, vous inquiétez pas pour moi je suis bien traitée. » Wyatt hocha de la tête. Ca ne changeait pas exactement sa vie que la jeune femme ait un bon patron –qu’il connaissait peut-être d’ailleurs– mais étrangement, sur le coup, ça faisait plaisir à entendre. « Finissez-le, vous en avez bien besoin. »  Wyatt sourit en acceptant la fin du joint sur lequel il tira une nouvelle fois. « Je vois absolument pas de quoi vous voulez parler. »  Comment ça le producteur aimait bien avoir le dernier mot tout le temps ? Jamais. Au fond, sa remarque n’était qu’une preuve de plus qu’il à présent bien plus détendu que quand il avait débarqué sur le toit des locaux d’abc, merci Janis. «Arf, qu’est-ce que j’ai soif maintenant… »  Vous connaissiez ce truc où vous n’aviez pas faim mais quand quelqu’un se mettait à vous parler de son besoin de manger, votre ventre se mettait à faire des siennes ? Ouais, et bien ce fantastique phénomène venait de faire une victime en la personne de Wyatt. Le producteur  tira alors la dernière taffe du joint qu’il avait encore dans les mains et plaça le mégot dans le gobelet en plastique dont il avait disposé plus tôt à côté de lui. Les deux allaient finir dans la poubelle de son bureau rapidement. « Y a des inconvénients à tout, paraît. » Le regard blasé de l’assistante fit rire l’anglais qui n’arrivait apparemment plus à décoller un sourire de son visage. Il prit un instant pour réfléchir. « Se poser devant un match de hockey c’est pas mal. Je vous accorde que ça peut être un peu frustrant et stressant mais sinon c’est beaucoup d’amour et de plaisir. » Comment Wyatt en était arrivé à cet exemple-là, bon courage pour le comprendre. Ce n’était pas qu’il avait perdu un filtre ou deux au cours des dernières minutes mais presque. Il se releva un peu trop vite pour son sens de l’équilibre qui lui rappela bien vite qu’il n’était plus tout à fait à 100% de ses capacités. Un court instant, le regard de Wyatt se posa sur la ville alors qu’un léger coup de vent venait balayer le toit des locaux d’abc. Les lumières de Brisbane étaient des témoins de son animation et le temps était agréable, invitant à passer un instant à l’extérieur. C’est sans doute ce qu’ils seraient resté faire si la soif ne les avait pas tous les deux dérangé. Ses yeux de retour sur Janis, Wyatt reprit la parole. « J’ai ce qu’il nous faut dans mon bureau, si ça vous intéresse. » Comprendre, si ça vous dérange pas de rester à mes côtés encore quelques instants. Et il tendit sa main libre vers la blonde afin d’aider cette dernière à se relever.

Janis lui raconta à son tour les raisons de sa présence sur les toits des locaux d’abc à cette heure-là et ses propos le firent réfléchir un instant. Jamie et son fils. Jamie et sa femme. Jamie et sa famille. Jamie qui avait quelques bonnes années de moins que lui. A côté de ça nous avions Wyatt, 40 ans, possédant un chien, seul et pas spécialement à la recherche de quelqu’un. Si ça continuait ainsi il allait devenir l’équivalent masculin de la vieille femme vivant avec quinze chats chez elle. Mais maintenant n’était sans doute pas le moment pour avoir une crise existentielle. Quand il vit l’assistante de Jamie pouffer de rire face à une de ses réponses, Wyatt ne put s’empêcher de rire à son tour. La réaction de la blonde n’était pas ce que l’on qualifierait comme un rire communicatif mais il faisait du bien et c’était un peu compliqué à expliquer. Malgré les apparences et ce qu’il pouvait laisser penser, le producteur savait apprécier la présence d’autres personnes. Les gens avaient juste tendance à l’exaspérer bien trop facilement et faire semblant, c’était fatiguant. Heureusement pour lui le monde était aussi fait de ces personnes intéressantes avec lesquelles passer du temps était une partie de plaisir, il fallait juste les trouver. Wyatt ne se souvenait pas de la dernière fois qu’il s’était senti aussi bien avec quelqu’un qu’il avait rencontré moins d’une heure auparavant mais damn, ça faisait plaisir. Accessoirement, le gros tiers de joint qu’il venait de fumer aidait sans doute un peu mais à l’heure actuelle c’était un tout petit détail dans sa tête.

Après un petit instant où elle avait eu l’air un peu perdue –mais le producteur était probablement mal placée pour faire une remarque–, Janis avait attrapé sa main et il l’avait aidé à se relever. « J’ai aussi de l’eau dans mon bureau vous savez. Mais si c’est une invitation à vous tenir compagnie, et bien…j’accepte. » Le froncement de sourcils fit son retour à la fin de la première phrase de Janis. Parce que dans l’esprit pas tout à fait net de Wyatt ça ressemblait à une réponse négative à sa proposition et puis… De l’eau ? Ce n’était pas exactement ce qu’il avait eu en tête quand il avait proposé son bureau à l’assistante. Puis la suite était arrivée et il avait retrouvé le sourire, lâchant un « Parfait. »  avant d’entrainer Janis en dehors du toit et dans les escaliers qui les menèrent à l’étage qu’il avait quitté un peu plus tôt. Par chance, ils ne croisèrent personne –personne que Wyatt ne remarqua en tout cas– et le trajet jusqu’à son bureau se déroula sans encombre. Une fois arrivée dans la pièce, le producteur jeta enfin son verre en plastique à la poubelle, détournant rapidement le regard des papiers qui l’attendait sur son bureau en décidant qu’après tout, ils pouvaient tout aussi bien être remplis tôt demain matin.

Parce qu’il s’appelait Wyatt, le producteur avait fait installer un canapé et une table dans son bureau (oui, à la Harvey Specter en un peu moins extravagant) et il vint déposer une bouteille d’eau, une bouteille de whisky et deux verres sur la table après avoir invité Janis à s’installer. Après s’être servi en whisky, Wyatt plaça la bouteille en suspens au-dessus du deuxième verre et leva la tête en direction de Janis. Une fois la réponse à sa question silencieuse obtenue, l’anglais agit en conséquence et finit par tendre son verre à l’assistante. Enfin, il trempa ses lèvres dans l’alcool et sa gorge l’en remercia immédiatement. « Alors Jane, apparemment tu sais rendre service à ton boss quand il te le demande gentiment et tu sais aussi rembarrer les vieux messieurs aigris quand ils se montrent désagréables avec toi. Et t’as un certain humour appréciable, je dois dire. »  Adopter le tutoiement avait semblé comme la chose à faire, il était venu plutôt naturellement. « Il y a d’autres talents que tu souhaites partager ? »  Assis juste à côté d’elle, Wyatt se tourna vers la jeune femme, posant son bras sur le dossier du sofa sans porter attention au fait qu’il se situait à présent à peine à quelques centimètres des épaules de Janis.

Quand il avait accepté de, ou plutôt demander à pour être exact, tirer sur le joint de Janis, Wyatt ne s’était pas exactement attendu à ce qu’il ait cet effet là sur lui. Il n’en avait pas fumé beaucoup dans sa vie et le dernier remontait à il y a bien longtemps alors il avait un peu prévu des conséquences plus fortes ou remarquables chez lui que chez Janis. Il était loin d’être défoncé mais il n’était plus tout à fait sobre. Il pouvait encore réfléchir plutôt correctement mais il y avait certaines choses qui lui échappaient. Il tenait encore debout mais sa tête n’était pas exactement dans son état normal. En toute honnêteté, le tout était plutôt agréable. Il entendit Janis lâcher un « Waouh, ça en jette ici! » d’étonnement –et sans doute d’appréciation au vu du ton utilisé–  quand ils entrèrent dans son bureau et un sourire se plaça au coin des lèvres de Wyatt alors qu’il disposait du gobelet en plastique qu’il avait dans sa main. Ouais, son bureau en jetait, un peu. Certains devaient penser que c’était juste pour frimer, pour montrer qu’il avait de l’argent, un peu de pouvoir. C’était en vérité loin d’être le cas. Le producteur ne commenta pas et préféra s’occuper de leur boisson. Janis décida de le gratifier d’un « Avec plaisir. » pour lui signifier qu’elle acceptait le whisky qu’il lui proposait et c’est avec plaisir qu’il le lui servit. Après s’être confortablement installé, il avait repris la parole, cette fois-ci en posant à haute voix une question à l’assistante. « C’est mon jardin secret ça. » La réponse de Janis ne l’avait pas tellement surpris, c’était surtout sa réaction après coup qui avait étonné Wyatt, comme si la jeune femme fuyait son regard. De ce qu’il avait pu découvrir d’elle pour l’instant –et elle continuait de le surprendre seconde après seconde alors en vérité, le producteur ne devrait pas être aussi étonné– Janis semblait être quelqu’un de plutôt sûre d’elle, capable de tenir le regard de toute personne, peu importe la situation dans laquelle ils se situaient. Sa petite réflexion avait laissé le temps à l’assistante de continuer. « Mais dans l’ensemble je suis assez bonne pour faire chier les gens. » Ah, c’était dans le personnage par contre. Wyatt rit alors avec elle. « Mais c’est pas une vrai révélation ça. Enfin, je dis ça dans le sens où ça me surprends pas. » Après tout, il avait eu droit à un échantillon de démonstration avant qu’il ne décide de faire changer de direction à leur échange. Le producteur prit ensuite une nouvelle gorgée de whisky et put remarquer que Janis avait plutôt l’air d’apprécier le contenu de son verre. « C’est bon ce truc! Ça t’arrive souvent de boire pendant tes heures de travail? » Cette fois-ci, Wyatt n’attendit pas trois heures avant d’ouvrir la bouche mais Janis eut encore une fois le temps de reprendre la parole avant qu’il n’ait le temps de répondre. A croire que ça en devenait une habitude. La tendance de temps parole qui s’était presque établie sur le toit des locaux d’abc était presque en train de s’inverser. « Tu peux me dire que ça t’aide à supporter les cons qui t'entourent! » L’assistante de Jamie était venue chuchoter ses mots au creux de son oreille et pour le coup, Wyatt était conscient de leur proximité. Conscient du visage de Janis à quelques centimètres du sien, conscient du clin d’œil qu’elle venait de lui envoyer auquel il répondit par un sourire. Conscient qu’il était censé réagir ? Non, ça c’était moins sûr. Et puisque son ami sa boisson favorite ne pouvait que l’aider dans une situation comme celle-ci, il porta de nouveau son verre à ses lèvres. « Merde. Moi qui ne voulais pas t’avouer que j’en avais besoin avant un rendez-vous avec Jamie. Tu pourras garder le secret ? » Secret qui n’était évidemment pas vrai. Le rédacteur en chef et le producteur n’avaient pas souvent besoin de se voir dans un cadre professionnel mais ils s’entendaient trop bien pour que Wyatt ait besoin de quoi que ce soit pour le supporter. Il était même heureux quand il devait travailler avec Jamie et il aurait aimé qu’ils aient l’occasion de le faire plus souvent. Mais ça c’était une histoire pour un autre jour. « Sinon, en vérité, c’est plutôt rare. Enfin ça n’arrive qu’en fin de journée quand j’ai plus de rendez-vous ou en début de soirée quand je dois rester bosser comme ce soir. » L’alcool en journée, ce n’était pas exactement son truc. « Pour ce qui est de maintenant, j’aurais même tendance à dire que ma journée de travail est terminée. Ce serait quand même moche de contrarier ces personnes qui pensent que les producteurs n’en touche pas une. » Et à présent, c’était à son tour de faire un clin d’œil à Janis.

Arrêter de réfléchir et se laisser aller dans le moment présent n’était pas exactement une activité qui faisait partie du quotidien de Wyatt. Depuis qu’il avait quitté l’Angleterre, il avait toujours essayé de faire en sorte de contrôler un maximum d’aspects de sa vie, prévoyant les choses dès qu’il était possible de le faire. Ça avait été jusqu’à lui coûter des relations mais ça faisait partie de sa nature, bien plus que chanceuse allait être la personne qui réussirait à le changer. Mais ce soir-là, aux côtés de Janis, c’était simple de faire abstraction de tout. C’était probablement dangereux aussi, mais à ce moment précis, c’était le cadet de ses soucis. Se concentrer sur le sourire que la jolie blonde venait de lui lancer, ça ça semblait être une bonne idée. « Je suis contrariée en permanence, tu sais… » Wyatt répondit avec un « Ah ouais ? » plus joueur que moqueur. Janis s’était encore un peu plus avancée, la distance entre eux suivant une courbe de décroissance assez exponentielle depuis qu’ils s’étaient installés dans le bureau du producteur. « Ça te dérange si… » Distance qui allait finir par se transformer en concept inconnu si la jeune femme se rapprochait d’encore quelques petits centimètres. « … je me ressers un verre? » Sans attendre de réaction de sa part, l’assistante de Jamie avait reculé d’un coup, terminant assise à ses pieds. Distrait par le soudain changement de location de Janis, Wyatt en oublia légèrement de lui répondre. Il se rattrapa avec un « Fais-toi plaisir, c’est là pour ça. » alors que la jeune femme avait déjà attrapé la bouteille et commencé à se servir. Il en profita pour terminer son verre pendant ce temps-là et récupéra le précieux liquide une fois son contenant reposé sur la table basse, se resservant à son tour. « C’est que j’ai pas souvent l’opportunité de boire quelque chose d’aussi bon, tu sais. Je ne suis qu’une pauvre assistante. » Il ne servait même plus à rien de préciser que Wyatt était en train de sourire tellement l’expression avait du mal à décoller de son visage depuis quelques minutes. Sans dire un mot, il quitta à son tour le canapé pour rejoindre Janis parterre en s’adossant contre le sofa. Il dû utiliser toute la concentration dont il pouvait faire preuve pour s’installer avec ses jambes allongées devant lui, croisées aux chevilles, sans renverser quoi que ce soit. Ça n’avait pas que des avantages tous les jours de mesurer un mètre quatre-vingt-quatorze.  On allait finir par pouvoir dire que Wyatt était devenu tactile mais inévitablement, son bras revint se positionner derrière les épaules de l’assistante, sa main serrant un bref instant son avant-bras dans un geste qui se voulait d’ordinaire encourageant ou rassurant, sans doute. Pas évident qu’il ait le même effet ce soir. « Oh, pauvre princesse. Une vrai Cendrillon des temps modernes. » Il jeta un rapide coup d’œil à sa montre. « Minuit approche, j’espère que tu profites bien de ta soirée. » Wyatt vint ensuite trinquer son verre contre celui de Janis, la regardant dans les yeux avant de porter l’alcool à ses lèvres.