« Vous nous faites enfin l'honneur de votre présence, Monsieur Keynes. » Je ne relève pas et entre dans le petit bureau, déjà lassé. Je prends place dans l'une des deux chaises face au fauteuil du médecin et croise les bras comme un enfant boudeur. Je n'ai pas envie d'être là. Il le sait déjà, je le montre parfaitement, mais je préfère que cela soit clair. « Vous ne m'avez pas vraiment laissé le choix. » En laissant un message sur la boîte vocale de Joanne histoire de bien l'inquiéter et la faire paniquer. Brillant. Pourtant, il connaît bien sa propre patiente, non ? Il sait sa fragilité. Lui dire que je ne me suis pas présenté à nos rendez-vous depuis des semaines ne pouvait que l'inquiéter. Et, forcément, me traîner ici. « Vous n'avez répondu à aucun de mes appels depuis trois semaines. » Je hausse les épaules. « Et ? » Il soupire. Sûrement prend-t-il conscience qu'il perd déjà son temps. « Et je suis là pour vous aider. » Un sourire narquois se dispose au coin de mes lèvres. Il m'énerve. Winters m'a toujours énervé. C'est sûrement sa voix. Je n'ai rien à lui reprocher, il a toujours parfaitement fait son travail et Joanne a toute confiance en lui. Mais pour nous, le courant ne passe que dans un sens. « Vous m'avez aidé, je vous en remercie. » « Vous avez une drôle de manière de remercier. » « Je vous achèterai un ballon de la boutique du hall si vous insistez. » je réponds en roulant les yeux au ciel. Je suis de mauvaise foi, je sais bien que ce n'est pas une manière de parler à une personne qui a toujours été si serviable et à l'écoute. « Je suis là au final, alors qu'est-ce que vous vouliez ? » Il redresse ses lunettes sur son nez, dégaine son stylo à bille, ouvre mon dossier trop épais à mon goût et commence à me regarder par dessus ses carreaux. « Faire le point. Vous avez arrêté la médication je suppose, en plus de boycotter vos entretiens. » J'acquiesce d'un signe de tête. Bravo, Sherlock. « Depuis combien de temps ? » Plus réticent à répondre cette fois, je prends quelques secondes pour réfléchir et peser le pour et le contre entre mentir et dire la vérité. Mais je crois que les deux options n'arrangeront pas mon cas, alors autant être honnête. « Trois semaines pour les cachets. Un mois pour la psy. » Et je me débrouille bien sans tout ça. Du moins, je le pense. Je me maîtrise du mieux que je peux. Jusqu'à présent, je ne vois que des bénéfices à cette décision : mon esprit me semble plus vif et clair, je me sens moins bridé, j'arrive de nouveau à peindre, je fais l'amour à ma fiancée en semaine, et tout ce qui doit être canalisé l'est dans la piscine. Je retrouve une vie que je reconnais. Je me retrouve. « Je vous l'ai déjà dit, la période est trop délicate pour arrêter. Vous venez d'être père, votre travail est toujours aussi intense et vous allez vous marier. » Je l'interrompt avant qu'il n'argumente avec plus de science dont je n'ai que faire ; « C'est pour ça que j'arrête. Je ne veux pas que ma femme se retrouve face à quelqu'un qu'elle ne reconnaît pas après la nuit de noces si j'arrête le traitement juste après le mariage. » Il me faut -et nous faut- plus de marge de manœuvre, plus de temps d'adaptation. Pour le moment, je n'ai rien dit à Joanne de tout ça, mais je pense qu'elle me connaît assez bien pour se douter de quelque chose. « Miss Prescott sait très bien qui vous êtes et à quoi s'attendre. Je ne pense pas qu'elle veuille réitérer l'expérience. » Pourquoi faut-il qu'il ne cesse jamais de tourner autour de cet incident ? Cela remonte à quasiment un an. Je serre les dents. Maintenant je sais pourquoi il m'énerve. Parce qu'en sa présence j'ai l'impression que je serai toujours le type qui a levé la main sur Joanne, un danger potentiel. Je ne sais pas si ce jugement est vraiment dans son regard ou si je suis paranoïaque. « Je préfère la laisser en décider. » Car si ma fiancée me demande de reprendre le traitement, je le ferai. A contrecoeur, mais je le ferai pour elle, si elle estime que c'est ce qu'il y a de mieux pour elle, pour moi, et pour notre fils. Winters perd son temps et il le sait. Le rendez-vous ne dure que quelques minutes supplémentaires pendant lesquelles il note les changements que j'ai perçu depuis ce dernier mois, bons et mauvais. Puis il me laisse partir sans plus de piques acerbes. Je sors du cabinet contrarié. Il n'a pas confiance en moi. Pourtant, je dois me donner cette chance, je dois essayer. Au moins essayer. Je retrouve Joanne dans la salle d'attente, le cosy de Daniel posé sur la chaise à côté d'elle. Je le récupère, le tout étant assez lourd, et indique l'ascenseur d'un signe de tête. « Allons-y. »
I believe in the lost possibilities you can see. And I believe that the darkness reminds us where light can be. I know that your heart is still beating, beating darling. I believe that you fell so you can land next to me. ‘Cause I have been where you are before. And I have felt the pain of losing who you are. And I have died so many times, but I am still alive
La panique avait pris de court Joanne lorsqu'elle avait entendu la voix de son médecin disant qu'il s'inquiétait pour Jamie, précisant que cela faisait des semaines qu'il ne s'était pas présenté aux rendez-vous, ni à ses consultations avec la psychologue. Jamie n'en avait absolument pas parlé à sa belle, il lui avait juste précisé qu'il comptait arrêter les traitements au moment de leur mariage. Elle avait remarqué qu'il avait retrouvé une part de son énergie qu'il avait perdu en commençant sa médication, notamment lorsqu'il s'agit d'accomplir son devoir conjugal, en reprenant un rythme et une fréquence qui lui correspondait plus. En premier lieu, Joanne avait pensé qu'il avait pris en compte ses remarques et son sentimetn d'être mise à l'écart afin de se rattraper et de répondre à ses attentes. Mais elle ne se serait pas doutée qu'il en était venu à arrêter de prendre ses traitements. Il avait également repris une activité sportive. Après avoir écouté sa messagerie vocale, beaucoup de choses prenaient un sens et s'expliquaient. Elle avait fini par lui demander de tout de même allé voir le Dr. Winters, et Jamie accepta à contre-coeur. Parce que c'était Joanne. Au fond, il était incapable de lui refuser quoi que ce soit. Cependant, le professionnel de santé avait demandé à la jeune femme de ne pas venir avec eux durant la consultation. Peut-être cherchait-on à la protéger de quelque chose, mais on la mettait souvent bien à l'écart pour ce problème là. Sauf en cas majeur, comme ici. On lui demandait de l'aide afin qu'il accepte de traîner les pieds jusqu'à l'hôpital, mais ça n'allait pas plus. Joanne attendait alors dans la salle d'attente, avec Daniel. Le cosy posé sur une chaise, elle pouvait ainsi veiller sur lui et jouer un peu avec ses jouets, qu'il commençait à beaucoup mordiller. Il riait d'un rien, et s'enthousiasmait pour peu de choses, c'était un véritable bonheur de le voir ainsi s'épanouir. Et elle trouvait qu'il grandissait si vite. En lui caressant la joue avec son index, le bébé finit par s'endormir paisiblement. Toutes les personnes qui passaient par là étaient attendriesen le voyant si tranquille. Malheureusement pour eux, ils n'avaient pas l'occasion de voir sa magnifique paire d'yeux. Joanne ne savait pas vraiment si elle devait en vouloir à Jamie ou non, de ne pas lui en avoir parlé. D'une part, il cherchait peut-être simplement à ne pas la faire paniquer en l'informant de ses décisions. Elle était assez partagée, pour le coup. Le consultation fut particulièrement courte et Jamie sortit rapidement, pressé de quitter cet endroit. Il n'était pas étonnant de le voir ainsi contrarié. Il prit le cosy de Daniel, et l'invita à prendre l'ascenseur pour partir. Il était déjà prêt à appuyer sur le bouton pour s'en aller. Joanne croisa brièvement le regard du Dr. Winters, qui semblait désolé. Pourquoi ? Elle ne le savait pas vraiment. Elle mit son sac à main sur l'épaule et rejoignit son fiancé dans l'ascenseur. Le silence y était particulièrement pesant. "Je ne t'en veux pas, de ne pas m'en avoir parlé." finit-elle par dire doucement. Elle savait très bien qu'il y avait beaucoup de choses qu'il ne lui divulgait pas, elle en avait eu la preuve avec cette histoire avec Hannah. Une de plus, une de moins, la différence ne se faisait plus vraiment. Et Joanne avait toujours en tête qu'elle devait encore se taire sur beaucoup de points. "Mais j'avais remarqué que tu était un petit peu plus...toi." avoua-t-elle avec un haussement d'épaules. "Tu es moins fatigué." C'était ce qui résumait ce tout. Il avait toujours une certaine réserve d'énergie en rentrant du travail alors qu'il rentrait totalement épuisé quelques semaines plus tôt. "Ca fait longtemps que tu as arrêté de prendre tes médicaments ?" lui demanda-t-elle tout de même, alors que l'ascenseur arrivait au rez-de-chaussée de l'hôpital. Sa question était sans jugement, vraiment. Elle cherchait juste à le comprendre, chose qui était encore assez compliqué dans leur couple.
Sans un regard en arrière, je prends la direction de l'ascenseur et appuie sur le bouton d'appel. Le regard bas, à la fois honteux et contrarié, j'entre dans l'appareil en silence et lui demande de descendre jusqu'au rez-de-chaussée. Daniel dort paisiblement au fond du cosy, il ne doit pas sentir la tension dans l'air et encore moins l'agacement de son papa. Je n'ose rien dire. Je m'attends à les reproches et des blâmes de la part de ma fiancée qui doit actuellement chercher la manière la plus douce de me dire que je ne suis qu'un égoïste et une montagne de déception -le genre de discours auquel je suis habitué depuis toujours. Au lieu de ça, Joanne m'assure qu'elle ne m'en veut pas. J'espère qu'elle ne dit pas cela pour me faire plaisir. Mais je pense que, la connaissant, si elle ne le pensait pas, elle se serait contenté de se murer dans le silence jusqu'à ce que nous rentions chez nous, gardant toutes ses remarques pour elle. Alors qu'à cet instant, elle m'avoue avoir vu des changements, que je suis un peu plus moi-même. Être une apathique boule de nerfs, le feu en moi complètement figé, m'épuisait. Depuis un moment, je maintiens la stabilité seul du mieux que je peux, et sans aide artificielle. « Trois semaines. » je réponds tout bas. Je pourrais même lui donner l'heure, la minute et la seconde exacte à laquelle j'ai décidé, un soir, sur un coup de tête, que j'en avais assez et que je n'allais plus toucher à ce flacon de cachets. Ce n'est qu'après coup que j'ai réfléchi à ce que je faisais, et cela m'apparaissait comme la meilleure décision à prendre. « Et je ne vois plus la psy depuis un bout de temps. » Ce, en revanche, c'est surtout parce que je n'avais plus envie de perdre mon temps avec ça, qu'elle souhaitait m'intégrer à des thérapies de groupe, et c'était hors de question. Je ne rejoindrai pas les instables anonymes. Mal à l'aise, attendant la jugement de Joanne, je traverse le hall de l'hôpital sans plus rien dire, puis le parking pour trouver l'Audi de la jeune femme avec laquelle nous sommes venus ici. Elle est plus discrète pour ce genre de sorties que l'Aston d'un blanc éclatant. Après avoir ceinturé Daniel, toujours imperturbable, je me redresse et n'entre pas immédiatement dans la voiture. Je préfère d'abord crever d'abcès pour éviter que l'air soit irrespirable dans l’habitacle pendant le chemin. « J'allais te le dire. » je lui assure. J'avais tout un plan pour que la situation soit quasiment stabilisée pour notre mariage, et cela aurait pu marcher si Winters n'avait pas autant insisté. « Je voulais t'en parler un peu plus tard, après avoir vu comment je m'en sors pendant un ou deux mois sans le traitement. Si tout continuait de bien se passer, je te l'aurais dit et tu aurais pu constater que je peux gérer sans la médication. » Elle aurait pu se vexer de ne pas avoir été mise au courant, mais j'espérais qu'elle aurait été fière de moi, et je l'aurai été aussi de lui prouver, me prouver, prouver à tout le monde que, même si cela demande des efforts, je peux vivre comme n'importe qui et non pas traîné en laisse par des médicaments. Ca, c'était le scénario parfait. « Et si je n'y arrivais pas, j'aurais simplement repris les cachets sans que tu ne te doutes de rien.J'aurais arrêté les frais et continué de sagement écouter Winters parce qu'il aurait eu raison. » Cela m'aurait sûrement mis un sacré coup dans le moral, mais s'il fallait se résigner, constater que je ne pouvais pas y arriver seul, alors je l'aurais fait pour épargner un vrai fiasco à ma famille. En bref, tout me semblait parfaitement calculé pour bien se passer sans que Joanne ne s'inquiète de quoi que ce soit. Mon regard se pose enfin sur elle, même si j'ai peur que tous mes efforts soient ruinés par une expression de déception sur son visage juste parce qu'elle aurait voulu être mise au courant dès le début. Ce serait bien son genre, après tout, de ne retenir que cet aspect là de l'histoire plutôt que sur ces semaines pendant lesquelles j'ai réussi à maintenir l'illusion, prouvant ainsi que je peux tenir sans ces cachets qui me cassent depuis des mois. La jeune femme l'a dit elle-même ; sans eux, je suis un peu plus moi. « Je ne voulais pas t'affoler ou que tu penses devoir avoir peur de moi à nouveau. » j'ajoute, toujours craintif de deviner ses pensées dans ses iris bleus. D'y voir autre chose que les encouragements, la fierté et le soutien que je recherche.
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Jamie n'était pas particulièrement d'être contraint de tout avouer à sa fiancée. Et pourtant, ce n'était pas le genre de détails que l'on est sensé garder pour soi éternellement. Il ne prenait plus ses comprimés depuis des semaines, dieu sait à quand remontait son dernier entretien avec sa psychologue. La jeune femme se passa de commentaires, elle n'aurait pas su quoi dire, de toute façon. Le couple finit par sortir de l'ascenseur et de marcher le long du hall d'entrée de l'hôpital avant de rejoindre la voiture de Joanne. Le père de famille installa leur fils dans la voiture, et finit par réengager la conversation, lui assurant qu'il comptait finir par lui en parler, quelle que soit l'issue de cette période expérimentale sans médication. Encore une fois, la jeune femme était partagée, ne sachant comment trop réagir. Voilà plusieurs semaines qu'ils essayaient à nouveau de s'ouvrir plus l'un à l'autre, comme ils avaient convenu lorsqu'ils étaient au gala à l'aquarium, mais il y avait des barrières qui se dressaient encore et toujours. Entre ça, l'histoire avec Hannah, encore et encore des histoires que Jamie ne voulait pas lui raconter parce qu'il voulait le garder pour lui, ou parce qu'il ne voyait pas l'utilité de le partager. Dans son discours, il n'était pas facile de comprendre qu'il cherchait à la rendre fière, qu'elle admire sa capacité à gérer cette éternelle colère qui le remuait constamment. C'était tout ce qu'il cherchait à faire, et se sentait prêt à se résilier si les choses venaient à tourner au vinaigre. Elle ne savait pas trop quoi répondre à cela, encore une fois, et Joanne préféra rester silencieuse un petit moment. Le regard bas, la première chose qui lui vint à l'esprit était le fait qu'il n'ait pas pris en compte ce manque de communication qu'il pouvait y avoir entre eux. Cela partait d'une bonne intention, mais cela creusait tout de même le fossé déjà existant entre eux. "Je pensais que l'on devait plus s'ouvrir l'un à l'autre." dit-elle tout bas, bien pensive. Histoire de surmonter les épreuves ensemble, et celle-ci était particulièrement importante pour tout le monde. C'était comme si Jamie tenait tout de même à créer son propre cocon, qu'il se protégeait même de Joanne, ce qui ne faisait que la sentir à l'écart de sa vie. Joanne tenta alors de voir le verre à moitié plein. "Mais je suppose que c'est plutôt de bonne augure, que tu aies su surmonter ces premières semaines tout seul." Et ce n'était pas anodin. L'on disait souvent que la période la plus dure était les jours qui suivaient l'arrêt d'une médication de ce type. Joanne avait noté un changement, mais rien qui allait vers son penchant particulièrement agressif. Peut-être qu'il disait vrai en précisant qu'il cherchait à ne pas l'inquiéter ou lui donner une raison d'avoir peur de lui. Ce regard terrifié était certainement la dernière chose qu'il voudrait bien voir chez elle. "Ce n'est pas ça, ce qui m'affole ou me fait peur, Jamie. Ce n'est pas toi." dit-elle calmement, mais d'un ton assuré, en relevant enfin ses prunelles pour le regarder. Il n'y verrait pas de déception. "Ce qui me fait peur, c'est que tu prennes des décisions à la volée. Je sais combien tu hais ces comprimés, tu ne le dis peut-être pas à haute voix, mais j'entends à quel point tu les maudis. J'aurais eu peur que tu aies pris cette décision sans y avoir véritablement réfléchi, ce qui n'est vraisemblablement pas le cas ici. Ce qui me fait le plus peur, c'est que je ne peux rien faire pour toi, que je n'ai pas pu t'aider et ce ne sera certainement jamais le cas, parce que d'une façon ou d'une autre, je fais partie de ces personnes, qui, malgré toi, attise cette colère en toi. Il suffit d'une prise de tête, d'un différent, d'une dispute pour que tu te mettes à bouillir de l'intérieur." Alors que ce qu'elle voulait, c'était d'être celle qui l'apaisait, qui savait comment s'y prendre pour que la lave cesse de monter. C'était un objectif qu'elle s'était fixée et elle savait qu'elle n'allait jamais vraiment l'atteindre. "Je sais que tu as agi en connaissance de cause, et tu sais très bien que je te soutiendrait toujours dans tes décisions et que je croirai toujours en tes rêves." Elle le lui disait fréquemment, et cette fois-ci n'allait pas être différente des autres fois. "Je sais qu'en décidant de ne pas m'en parler, tu voulais avant tout me protéger de moi-même, mais ça reste un horrible sentiment d'être ainsi mise à l'écart dans son propre couple." C'en était même blessant, à un certain point. Joanne s'approcha de lui et déposa sa main sur sa joue. "C'est nous ou rien, tu te souviens ?" lui dit-elle tout bas avec un sourire tendre. "Si tu savais à quel point je préfère le Jamie de ces dernières semaines." ajouta-t-elle au bord de ses lèvres avant d'y déposer un doux baiser.
Comme prévu, la première chose que retient Joanne de mes explications, c’est le fait que je ne lui en ai pas parlé. Je retiens un soupir, les dents serrées, et baisse encore une fois le regard comme un enfant puni. Je crois qu’elle ne comprend pas ce besoin de faire quelque chose seul et d’y arriver sans aide, d’être fier de soi. Ni ma volonté qu’elle soit fière de moi. Même si elle estime que le succès de ces premières semaines sans médicaments est encourageant, ce ne sont pas vraiment les mots que j’attendais. « J’espère que ça l’est. » dis-je tout bas en haussant les épaules. J’espère que cela veut dire que je peux réussir à vivre sans tout ce traitement qui me donne l’impression de devenir plus dingue avec que sans. La frustration me donnait envie d’exploser, et tout m’en empêchait. Au final mon corps ne faisait que contenir et étouffer des explosions quitte à ce que la pression devienne trop forte. Je me garde bien de lui dire que la décision était complètement irréfléchie dans un premier temps. Après tout, elle est bien mûrie désormais. J’avais tout prévu. Commencer seul, puis montrer à Joanne que j’y suis arrivé afin qu’elle soit confiante lorsque je lui demanderai de l’aide pour la suite. Parce que je sais qu’elle me soutiendra, qu’elle ne demande qu’à m’aider. Je devais simplement faire les premiers pas seul, pour moi. « Je voulais juste… » prouver quelque chose, la protéger, oui, mais aussi qu’elle soit fière. Des motivations de gosse. « … rien, laisse tomber, c’est ridicule. En tout cas, je ne cherchais pas à te mettre à l’écart. » La jeune femme fait le tour de la voiture pour me rejoindre, se poste devant moi, douce, comme d’habitude, et frôle mon visage avec sa main. Je trouve son regard et espère y trouver un semblant de compréhension, sans grande conviction. « Et je fais ça pour nous. » je murmure au bord de ses lèvres, une main sur la sienne. Joanne m’assure préférer le fiancé avec lequel elle vit depuis quelques semaines, depuis que je ne touche plus aux médicaments. Au moins, elle a remarqué que je me sens mieux. Je me prends de plein fouet le retour de cette ambivalence qui menace de me faire tomber d’un côté ou de l’autre au moindre coup de vent, mais je la canalise par tous les moyens possibles, et pour le moment, cela fonctionne. « Vraiment ? » je demande quand même par automatisme. Je ne veux pas qu’elle dise cela parce qu’elle sait à quel point les cachets m’insupportaient et qu’elle ne veut pas m’obliger à les reprendre. « Tu sais que si tu me le demandes, je reviendrais en arrière tout de suite. Je reprendrai les cachets, j’irai à toutes les ridicules thérapies de groupe qu’on veut m’imposer, si un jour tu penses que c’est ce qu’il y a de mieux. » Je ferai n’importe quoi pour elle, pour notre famille, elle n’a qu’à claquer des doigts, elle sait que je ne peux rien lui refuser. Elle n’en use jamais, mais le lui rappeler ne peut pas faire de mal. « Je sais que tu penses ne pas pouvoir m’aider, mais c’est tout le contraire. » A partir de là, je m’attends surtout à ce qu’elle ne comprenne rien de ma démarche, comme toujours. Mais ce n’est pas grave, tout ce que j’attends d’elle, c’est qu’elle tienne parole ; qu’elle soit là pour me soutenir, puisque c’est tout ce qu’elle souhaite depuis le début. « J’ai préféré ne pas attendre le mariage pour arrêter le traitement, afin qu’on puisse trouver les moyens pour que ça continue de fonctionner entre nous sans ça. Trouver des clés tous les deux. » Je ne sais pas lesquelles, mais nous aurons des mois pour faire des essais. Découvrir ce qui m’énerve et me calme, comment éviter les crises, minimiser les ascenseurs émotionnels qui peuvent me traverser en deux secondes de temps. Il a forcément des codes qui fonctionnent. « Et comme ça, le jour J, peut-être que nous aurons trouvé une stabilité. » Qu’il s’agisse de vivre avec ou sans médication. Au moins, nous saurons à quoi nous en tenir, nous n’aurons pas ce genre d’��preuve à surmonter à peine mariés.
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Winters se mêle des secrets gardés dans le couple était quelque chose qui déplaisait fortement à Jamie. Sa fiancée ne put s'empêcher de faire une remarque sur le fait qu'il ne lui ai rien dit pendant tout ce temps. Et ça aussi, elle voyait bien que c'était quelque chose qui l'agaçait aussi. Le bel homme avorta alors une phrase qu'il comptait dire, ce qui intrigua la jeune femme. Elle fronça légèrement les sourcils. "Tu voulais juste quoi ?" dit-elle afin de réamorcer ce qu'il comptait. Elle tenait à savoir ce qu'il attendait d'elle. Jamie certifia que ce n'était pas son intention première de la mettre à l'écart de quoi que ce soit. C'était arrivé ainsi, et il le faisait pour eux. Elle s'était approchée de lui, avec un geste tendre et amoureux. Jamie posa immédiatement sa main sur la sienne. "Vraiment, oui." lui répondit-elle avec un léger sourire. "Déjà, j'ai plus l'occasion de profiter de mon fiancé en semaine, je trouve que le travail ne t'exténue plus autant qu'avant. Tu sembles beaucoup plus enthousiaste et enjoué, même pour les plus simples banalités qui font notre bonheur quotidien." Elle caressait doucement la peau de sa joue avec son pouce pendant qu'elle parlait. "Si tu savais à quel point c'est plaisant de veiller un peu plus tard avec toi le soir." Même si ce n'était que pour discuter tout en sirotant un thé ou pour regarder une quelconque série télévisée ou films à la télévision. Leur vie de couple avait eu alors un regain notable, qui allait certainement encore continuer à s'améliorer. "Et tu as plus d'énergie pour Daniel, aussi. Il peut enfin voir son père, tel qu'il est vraiment, sans qu'il y ait traitement pour le ralentir dans son élan. Et je trouve que ça se ressent aussi chez lui, je pense que tu as en même temps réussi à lui transmettre ta vivacité. " dit-elle avec un sourire. Elle était étonnée de l'impact que cela avait sur leur fils. Il n'en était que plus heureux, c'était sûr. Et Jamie ne s'épuisait pas en un rien de temps lorsqu'il jouait avec lui en le portant à bout de bras. Jamie lui précisa qu'elle aura éternellement le dernier mot de toute manière sur son devenir. Avoir autant de pouvoir entre ses mains était quelque chose qui ne la rassurait pas vraiment. "Tout ce que je te demande, c'est que tu sois bien dans ta peau. Je ne peux pas mesurer l'importance de cette pression constante qui sommeille en toi. C'est toi que le vit, et le ressent chaque jour. Si tu penses qu'arrêter les traitements est une solution qui te corresponde plus à toi, alors je suivrai cette voie avec toi. C'est aussi simple que ça." Elle l'embrassa tendrement sur la bouche. "Tu sais très bien quel rôle j'aimerais tenir dans cette histoire." lui dit-elle tout bas. Même si c'était irréalisable. Qu'importe. "Et tu sais que depuis qu'on se connaît, tout ce que je demande, c'est que tu sois toi. Pas le fantôme de quelqu'un d'autre, ni le pantin de molécules chimiques, même si ça a été prescrit pour ton bien. Pour nous, pour Daniel. Savoir que tu prenais ces cachets me rassurait, au début. Avec les mois qui passaient, je réalisais à quel point l'énergie constante qui émanait de mon fiancé me manquait. Bourré d'optimisme et d'envie d'aller encore et toujours plus loin." Certains soirs, ils ne se parlaient même pas, tellement il était épuisé. "C'est une immense étape, que tu as franchi là. Peut-être que c'était sur un coup de tête, je n'en sais rien. Mais le résultat qui s'affiche devant moi est plus que probant. Tu as su te contrôler pendant tout ce temps, tout en le gardant secret. Rien que ça, ça devait être une pression énorme, tu devais te douter de ma réaction si je l'apprenais sur le tas." Et c'était un peu le cas, on lui avait coupé l'herbe sous les pieds. "Je suis fière de toi, Jamie." Elle ne disait pas que sa méthode était la plus convaincante, mais elle se disait qu'il voulait certainement se prouver beaucoup de choses à lui-même avant de se démontrer davantage. "Je t'aime, Jamie Keynes. Je t'aime tel que tu es." lui souffla-t-elle avant de l'embrasser. Ses deux mains encadrèrent plus tard son visage pour prolonger le baiser, qu'importe les quelques regards qui pouvaient se poser brièvement sur eux.
Maintenant que Joanne sait pour mon saut dans le vide, j’ai besoin qu’elle me réceptionne ou me tende un parachute, quelque chose qui m’aide à tenir bon. Je sais que je peux compter sur elle pour ça, qu’elle ne me laissera pas tomber. Elle n’a jamais été vraiment pour la médication, ne faisant que se résigner, comme moi, à suivre aveuglément les consignes données par le médecin. Cela semblait être une bonne chose au début. Mais je m’éteignais petit à petit. Tout perdait lentement de ses couleurs et de ses saveurs. Les émotions sont devenues fades, retenues par toute cette chimie. Arrêter n’est pas quelque chose de simple. On s’accoutume à ce genre de traitement, et revenir en arrière est assez violent. Je trouve ces sentiments qui viennent non plus par vagues, mais par tsunamis qui s’enchaînent les uns après les autres. Tous les tourbillons, les cataclysmes, et parfois ces envies de détruire n’importe quelle chose passant sous mes doigts juste pour libérer un peu de pression. Au lieu de ça, je renoue avec des activités qui m’épanouissent et dont je commençais même à perdre le goût ; nager, peindre, faire l’amour à ma fiancée. Oui, je retrouve mon enthousiasme, mes passions, toute ma palette d’émotions démesurées que je contiens sans aide. Mais au moins, désormais, j’adapte le filtre à mes envies et mes besoins, je ne suis plus l’otage des cachets. Je me retrouve, et pour le moment, c'est une sensation des plus agréables. Pour Joanne aussi, qui semble ravie de revoir le Jamie qui avait été mis au placard pendant des mois. Avec les bons, les mauvais côtés seront forcément de retour. Le tableau ne peut pas être parfait. Mais j’ai bon espoir qu’ils ne prennent pas le dessus sur le reste. Mon regard planté dans celui de Joanne, j’écoute ses paroles réconfortantes, rassurantes. Je souris en coin parfois, plutôt satisfait de ce que j’entends, de savoir qu’elle apprécie les quelques changements qui se sont opérés ces dernières semaines, et sa capacité à m’accepter comme je suis. « J’avais vraiment peur que tu sois déçue que je laisse tomber le traitement si tôt… » La jeune femme aurait pu se ranger du côté du docteur et me réprimander sévèrement. Après tout, c’est lui le spécialiste, est-ce qu’il ne sait pas ce qui est le mieux pour moi ? Est-ce que je ne devrais pas faire preuve de plus de respect et d’humilité face à lui, ses années de connaissances et d’expérience ? Il ne me restait que quelques mois à tenir après tout, j’aurais pu le faire. Mais je craignais trop d’imposer cela à Joanne après notre mariage. Toutes ses paroles me touchent. Plus que tout, celles que j’attends depuis le début, ces quelques mots qui font briller mes yeux et réchauffent mon cœur. « Merci. » je murmure en tournant le visage pour déposer un baiser au creux de sa paume. Elle n’imagine pas tout ce que cela représente pour moi, qu’elle puisse être fière. Moi qui n’ai toujours été qu’une montagne de déception pour mon entourage. Joanne approche son visage pour sceller nos lèvres, et je réponds à son baiser avec tendresse et gratitude. Je n’aurais jamais pensé que quelqu’un puisse m’aimer pour qui je suis. Quand votre propre mère en est incapable, alors qu’elle femme le pourrait ? Je pensais qu’elle pourrait préférer l’homme sans vagues avec qui elle a vécu pendant des mois. Je me rends compte que j’avais peut-être tort. « Je t’aime. » je réponds tout bas avant de la serrer dans mes bras de toutes mes forces –ou les siennes qu’elle me transmet. Maintenant, je ne dois pas la décevoir. « Rentrons, d’accord ? » Nous sommes un couple bien trop souvent dans les couloirs de cet hôpital dont tous les souvenirs mélangés en font à la fois un lieu de joies et de peines. Mais il reste un peu sinistre à mes yeux. Je préfère retrouver la chaleur de mon foyer. Joanne retourne côté conducteur après un dernier baiser volé, et je m’installe de mon côté. Un coup d’œil sur la banquette arrière me fait voir Daniel qui est toujours plongé dans sa sieste « Pour la vivacité, on repassera. » Je caresse furtivement sa joue rebondie avant de me tourner et attacher ma ceinture. Nous quittons le parking. La route jusqu’à chez nous risque d’être un peu allongée par les bouchons qui se sont accumulés à cette heure de pointe du samedi après-midi. Fin du shopping, tout le monde rentre à la maison. « Je crois que Winters est persuadé que je pourrais m’en prendre à toi à nouveau. » dis-je, pensif, lorsque nous sommes arrêtés à un feu rouge. Rien qu’y penser me contrarie. « On ne l’invitera pas au mariage, hein ? » Même s’il a toujours été bon avec nous et qu’il mériterait son carton comme beaucoup d’autres, je n’ai pas envie de passer ce jour sous le regard d’un homme qui est persuadé que Joanne appellera le numéro d’urgence des femmes battues sous une quinzaine après notre union. Je ne veux pas me sentir comme un monstre potentiel.
I believe in the lost possibilities you can see. And I believe that the darkness reminds us where light can be. I know that your heart is still beating, beating darling. I believe that you fell so you can land next to me. ‘Cause I have been where you are before. And I have felt the pain of losing who you are. And I have died so many times, but I am still alive
C'était une de ces fois où Joanne réalisait, par les paroles de son fiancé, à quel point il se centrait uniquement sur elle. Tout ce qu'il faisait, c'était pour elle, autant en ayant pris la médication qu'en l'arrêtant. Une nouvelle forme de la dévotion qu'il avait pour elle, moins brute que durant leurs ébats sexuels. "Non, je ne suis absolument pas déçue." lui dit-elle avec un regard tendre, en continuant de lui caressant le visage. "Tu viens de le dire, tu as pensé à nous, pour ça. Tu préférais qu'il y ait de mauvaises surprises dans les semaines qui viennent plutôt que durant la période après notre mariage. Tu as choisi la meilleure option pour nous épargner de premières horribles disputes en tant que mari et femme." Elle l'embrassa tendrement sur le coin de sa bouche. "Et je te remercie, pour ça, d'avoir songer à ce gros détail." Joanne était reconnaissante, qu'il ait ainsi pensé à leur mariage. Ils avaient ainsi largement le temps de retomber sur leurs pattes si les choses venaient à mal tourner. S'aimer aussi intensément lui manquait, parfois. Les disputes qui allaient avec aussi, l'abcès était beaucoup plus vite crevé comparé aux nombreuses tensions de ces derniers mois. Ca traînait en longueur, on gardait des choses pour soi. La seule fois où ça avait véritablement explosé était lorsque Joanne avait entendu Jamie et Hannah déclarer leurs sentiments à l'autre. Et encore, cela aurait encore pu être bien pire. Jamie l'enlaça tout contre lui, avant de suggérer de rentrer. Ce n'était pas fréquent que ce soit elle qui soit au volant, mais Jamie tenait à ce qu'elle conduise son propre bolide. Daniel dormait à point fermé, comme son père lorsqu'il était assoupi, à n'en pas douter. Joanne démarra la voiture et sortit du parking de l'hôpital. Les rues étaient bondées, c'était infernal. Mais cela leur laissait largement le temps de discuter un peu. "Si je lui dis que je ne te vois pas comme tel, il mettra en avant ma naïveté et ma fragilité." dit-elle d'un ton peu agacé. "Je suppose que mon état de santé l'a incité à vouloir me protéger. Il a été témoin de la période la plus compliqué de notre relation, j'ai l'impression qu'il majore les mauvais côtés, et qu'il ne prend pas en compte Daniel, ni le fait que j'arrive à plus ou moins sentir venir une crise." Elle haussa les épaules, la voiture était à l'arrêt. "Je ne sais pas s'il arrive à voir à quel point je suis heureuse avec toi. Que c'est avec toi que j'ai pu avoir bien plus que ce que j'aurais osé rêvé." Jamie tenait tout de même à s'assurer qu'elle n'avait pas en tête de l'inviter. "Ca ne m'a même pas traversé l'esprit." le rassura-t-elle. "Il ne fait pas partie de mon entourage proche." Même si elle avait un profond respect pour lui. En y pensant, Joanne se dit qu'à leur mariage, il y aura beaucoup plus de membres de la famille que la sienne. Elle était bien plus grande, et l'entourage amical de Joanne s'était amenuisait avec les mois. Elle avait encore des contacts avec ses anciens collègues, mais ils n'étaient pas pour autant des amis extrêmement proches. Elle massa pendant quelques secondes la nuque de Jamie avant de remettre sa main sur le volant. Le temps pour rentrer à la maison était triplé avec les bouchons incessants. Ce n'était qu'en arrivant dans leur quartier que la circulation s'était décondensée. Quand la voiture s'arrêta, Daniel se réveilla, avec un grand bâillement. Joanne se chargea de récupérer le cosy pendant que Jamie ouvrait la porte d'entrée. Elle le déposa sur la table de la salle à manger pour pouvoir lui enlever le harnais et le prendre dans ses bras. Elle s'approcha ensuite de Jamie et l'embrassa dans le cou. "J'adorerai manger un de tes bons petits plats ce soir." lui dit-elle avec des yeux pétillants. Elle avait de toute façon prévu son coup en remplissant le frigo d'une infinité d'aliments afin qu'il ait tout ce dont il peut avoir besoin. "On pourrait se faire un long apéritif avec des petits toasts, donner le biberon à Daniel et qu'il reste avec nous jusqu'à ce qu'il s'endorme." Il ne veillait jamais et finissait toujours par céder. De ce côté là, Daniel ne posait aucun soucis, il finissait toujours par arrêter de lutter et de se laisser bercer par la chaleur de l'un de ses parents. "Et je sais qu'on trouvera des moyens pour quand ça n'ira, quand tu n'arriveras plus à te contrôler. Je le sais."
Joanne semble assez d'accord lorsque je dis penser que Winters a tendance à me résumer au soir où il y a eu ce fameux incident à l'hôpital. Ce moment a choqué tout le monde. Je ne me souviens toujours pas de comment la jeune femme est arrivée au sol, je sais uniquement que cela est de ma faute. En revanche, je peux toujours voir, au ralenti, les expressions sur les visages de toutes les personnes présentes, et me souvenir de toute la haine que j'ai ressenti vis-à-vis de moi-même en constatant que j'avais été capable de lever la main sur celle que j'aime. C'est un moment que je n'oublierai jamais, que personne n'oubliera un jour. C'est ce moment précis qui m'a poussé à accepter de l'aide pour ma condition. Aujourd'hui, malgré le traitement, les progrès et toute ma bonne volonté, c'est encore ce moment que je devine dans les prunelles de Winters lorsque nous nous voyons. « Tous les médecins pensent tout mieux savoir que leurs patients. » je fulmine tout bas avec un soupir. Il doit sûrement penser que je ne suis pas quelqu'un de bien pour Joanne. Mais je suis celui qu'elle aime, et il n'a pas son mot à dire là-dessus, alors il me surveille du mieux qu'il peut, pour le bien de sa patiente qui n'est pas capable de se protéger elle-même, ni de voir avec qui elle souhaite faire sa vie. Oui, ce n'est pas faute d'avoir vu Daniel dans ses premiers instants, ni tout l'amour que nous avons les uns pour les autres. Tout revient à cet instant. « C'est déprimant. Ca n'était qu'une fois... » Il doit faire partie de ceux qui pensent que les gens ne changent pas, et que sans ma muselière, je retournerai à cet état naturellement violent qui est le mien. Il ne sait pas à quel point ce soir-là m'a marqué au fer rouge. Je ne pense pas être un jour capable de recommencer. A moins que l'élan de colère soit des plus dévastateurs, suite à ça, il me semble impossible de refaire du mal à Joanne. Elle le sait sûrement. Winters, lui, ne se laisse pas convaincre. Au moins, je suis assuré qu'il ne sera pas à notre mariage. Tant mieux. Le supporter à petites doses passe encore, mais pas pendant un moment aussi important. Je ne veux pas la moindre ombre au tableau, la moindre tâche sur notre bonheur. J'espère vraiment que d'ici là, nous aurons trouvé des clés pour vivre plus ou moins stablement. Je ne me voile pas la face, je sais que sans médicaments, je ne serais jamais plus aussi calme que je l'étais ces derniers mois. Je redeviendrai le petit garçon turbulent. Joanne s'engage dans une vie loin d'être simple avec moi, en acceptant de ne pas choisir la facilité du traitement pour respecter mon choix. Peut-être qu'elle n'en a pas totalement conscience. C'est pour cela que ces quelques mois peuvent être une bonne chose avant le mariage. Elle pourra se demander si c'est vraiment ainsi qu'elle souhaite vivre tous les jours de sa vie pour le reste de ses jours. Nous arrivons chez nous, làoù les chiens nous font la fête et réclament des caresses à foison. Joanne suggère que je m'occupe du dîner cette fois-ci. « C'est si gentiment demandé, je ne peux pas refuser. » Je sais déjà exactement quoi faire après vérification dans le réfrigérateur que tous les ingrédients nécessaires sont présents. J'en profite pour sortir une bouteille de vin blanc qui me fait bien envie. J'adresse un sourire complice à la jeune femme qui m'assure que nous trouverons les moyens de contrôler mes crises. « J'en suis certain. » je réponds, confiant, avant de lui voler un baiser. J'embrasse aussi Daniel sur le front. Il grandit à toute vitesse. Puis je me tourne vers les différents placards pour en sortir le nécessaire afin de préparer ces toasts que ma fiancée suggérait. J'ai toujours différentes tapenades de légumes pour ce genre de choses qui sont terriblement goûteuses. « Tu me le diras Joanne, hm ? Quand je vais trop loin, si je t'effraie, si je fais quelque chose qui peut nuire à Daniel sans m'en rendre compte. Je compte sur toi pour me le dire. » dis-je en remplissant deux verres à pied. Elle n'ose jamais rien me dire, elle garde tout pour elle. Mais pour que tout ceci fonctionne, elle n'aura pas d'autre choix que de se dresser parfois contre mes humeurs pour m'aider à me recadrer. Comme lors de l'enlèvement de Daniel, il faudra qu'elle me pousse à me ressaisir. « Ou m’assommer avec une poêle si nécessaire. » j'ajoute pour ne pas être trop dramatique. J'apporte le tout sur un plateau dans notre petit coin salon. « Je ne sais pas du tout comment ça va se passer, le temps de stabiliser tout ça. Si tout sera assez facile, comme ce mois-ci, où si nous allons revenir aux moments plus… ''intenses'' de notre relation. » Les disputes fréquentes notamment, quand hausser le ton et se battre était le seul moyen de se comprendre et de dire à l'autre à quel point on l'aime. Rien de très sain quand on y pense, et après des mois de calme, avec tout ce recul, j'ai du mal à croire que notre couple ait survécu à ses prémices. « Mais je ne veux pas que Daniel pâtisse de tout ça. » C'est le plus important. Un bébé a besoin de stabilité, en ce sens mon envie de stopper le traitement n'est pas la meilleure idée qui soit. Alors je dois faire mon possible pour que cette décision ne l'affecte pas. « Et je suis désolé d'avance pour mes futures crises de colère, de paranoïa, de panique, de déprime... » Celles-là sont les plus difficiles à contenir. « Ca ne sera plus aussi facile. » Ca ne l'a jamais été, en soi.
I believe in the lost possibilities you can see. And I believe that the darkness reminds us where light can be. I know that your heart is still beating, beating darling. I believe that you fell so you can land next to me. ‘Cause I have been where you are before. And I have felt the pain of losing who you are. And I have died so many times, but I am still alive
Joanne acquiesça d'un signe de tête à sa remarque. Il avait raison, certains médecins pensent avoir la science infuse. Ils peuvent prolonger des vies, voulant se rapprocher toujours et encore plus de l'immortalité, au point où certains patients les considèrent presque comme des divinités. Et à force de tels traitement de faveur, ils pensaient tout savoir du monde et de ses patients, alors qu'ils ne prenaient pas en compte bon nombre d'aspect. C'était le revers de la médaille, le jugement devenant alors trop hâtif, à croire que l'on peut prédire le devenir d'une personne. Joanne pensait que son médecin avait tort concernant Jamie. Ce dernier avait surtout besoin d'être aimé à ses yeux et de savoir qu'il y aura toujours quelqu'un pour soulager ses peines. Il en avait encore tellement en lui, cumulées au fil des années depuis les premiers mois de sa vie. "C'est comme pour tout. On a plus tendance à retenir les points négatifs que les positifs, aussi nombreux puissent-ils être." L'être humain était conçu de cette façon, on n'y pouvait pas grand chose. Arrivés à la maison, le dîner complet se dessinait au fur et à mesure des secondes qui passait. Pour une fois, Joanne exigeait de son fiancé qu'il se mette aux fourneaux. Elle continuait de faire tous les repas en semaine, mais Jamie se plaisait bien à prendre le relais quelques fois. Il était bien plus cordon bleu qu'elle , ses plats étaient toujours incroyablement délicieux. Il s’attela avec grand plaisir, elle voyait bien qu'il avait même déjà une petite idée derrière la tête. Daniel somnolait encore un peu et se blottit volontiers contre sa mère. Pendant ce temps, le couple discutait des temps qui allaient venir. Ils savaient tous les deux que cela n'allait pas être simple. Il semblait confiant pour trouver des solutions qui permettraient de l'apaiser, Joanne lui rendit le même sourire. En revanche, il lui demandait de lui faire remarquer à chaque fois qu'il dépassait les limites, que le Jamie qui se montrerait devant elle serait trop effrayant. "Ca te rendra triste." précisa-t-elle tout de même. Il avait horreur de ses regards terrifiés, de son corps tremblant lorsqu'il haussait un petit peu la voix, il savait qu'il avait beaucoup trop d'impact sur elle lorsqu'il s'énervait. Ca la prenait aux tripes. Elle acquiesça tout de même d'un signe de tête, silencieuse, à sa demande. Il tentait de dédramatiser un petit peu leur conversation, mais ça ne marchait pas trop. "Je pense que nous arriverons à le préserver de ce qu'il peut arriver entre nous. Nous l'aimons bien trop pour cela, et que même si nous serons en plein désaccord, ce sera un point où nous serons toujours en parfaite harmonie." Joanne était assez confiante là-dessus. Il aimait tellement Daniel, il était tellement précieux à leurs yeux, c'était leur petit miracle, après tout. "Je pense qu'il y aura des disputes." dit-elle les yeux baissés. Il fallait se rendre à l'évidence. "Après tout ce qui a pu se passer, il y a beaucoup de choses que nous avons contourné ou nous faisions semblant que le problème n'existait pas." Et liste était incroyablement longue. "Ca remontera un jour ou l'autre, ça ne pourra pas rester endormi comme ça." Pas maintenant qu'il n'y avait plus de médicaments pour emprisonner quoi que ce soit. Et ils savaient tous les deux qu'ils allaient en avoir besoin, de mettre toutes ces histoires à plat, dire les mots ravalés une multitude de fois. Tous les deux s'étaient tus depuis bien longtemps, histoire de ne pas ruiner leurs récentes fiançailles. "Je sais ce que c'est, quand ce n'est pas facile." Elle était là avant qu'il ne prenne ses traitements, elle savait pertinemment à quoi s'attendre. Quoiqu'il avait peut-être encore plus de choses enfouies en lui, inhibées par ses comprimés. Joanne n'en savait trop rien, elle ne savait absolument pas où il en était, il ne lui en parlait pas trop. "Etranger de t'entendre déjà demander pardon, alors que tu es quelqu'un qui a horreur des excuses." dit-elle avec un sourire légèrement amusé. Il fallait tout de même préciser que Joanne avait quand même une petite boule dans l'estomac. C'était une grosse nouvelle, lourde de conséquences, qu'elle devait encaisser alors qu'on lui avait coupé l'herbe sous les pieds. Elle détestait tant leurs disputes. Mais elle reconnaissait qu'il fallait que ça éclate parce que ce n'était que pendant ces moments-là que Jamie parvenait à verbaliser le fond de ses pensées. "Notre vie conjugale va aussi être sacrément bousculée." dit-elle plus bas, en regardant le vin dans son verre. L'envie de Jamie se manifestait déjà un peu plus régulièrement, mais il allait certainement retrouver son rythme d'antan, peut-être aussi avec la même intensité. Elle se dit alors qu'il y aura certainement des soirées où Daniel devra être loin de cette maison, chez ses grand-parents ou chez son parrain - elle n'était pas encore tout à fait prête à accepter que Madison le garde seule. Une simple discussion pouvait voler en éclat. "Il faudra que tu me parles aussi." finit-elle par dire, en haussant les épaules. "Ca ne peut pas aller que dans un sens." Elle savait que c'était une épreuve pour lui, mais c'était pour leur bien. "Sinon je ne pourrai jamais te comprendre." Elle pensait que c'était le cas, mais elle savait qu'elle avait faux sur toute la ligne, qu'elle se faisait beaucoup d'illusions. Sur certains points, Jamie restait un inconnu, il avait aussi beaucoup changé, depuis leur séparation. "Il faudrait qu'on s'accorde un temps pour parler, pour être juste tous les deux, quoi qu'on fasse. Et que Daniel ne soit pas là cette nuit là, pour ne pas perturber son sommeil de quelque manière que ce soit." Il fallait définir les dates, lorsque le besoin se ferait ressentir. Cela signifiait aussi se canaliser au maximum durant les temps où Daniel sera là. Mais il fallait le préserver par tous les moyens possibles.
« C'est normal. Mais mieux vaut que je sache plutôt que de laisser couler. » Cela ne m'aidera pas que Joanne se contente de prendre sur elle. Certes, dans les petites crises du quotidien, il n'est pas nécessaire de faire une leçon du moindre débordement. Mais pour les crises plus importantes, pour ces colères ou ces peines qui me submergent trop et menacent de complètement me noyer, il faudra qu'elle me sorte de l'eau. Peut-être que je serai encore plus triste, encore plus énervé, surtout contre moi-même, face à ses remarques. Ce sera un passage obligé. Ma fragile petite fiancée aura sûrement bien du mal à encaisser, mais en sachant qu'elle le fait pour moi, pour notre famille et notre couple, peut-être trouvera-t-elle un peu plus de force. Je ne doute pas qu'elle voudra toujours protéger Daniel, et que je ne supporterai pas l'idée d'être un danger pour lui. Même dans les pires moments, peut-être qu'il sera mon point d'ancrage dans la réalité. Même quand mon monde est plongé dans le noir, je ne peux pas oublier ma chair et mon sang. Néanmoins, Daniel ne devra pas être entre nous deux, utilisé comme médiateur malgré lui. Nous ferons tout pour le préserver des crises à venir. Depuis que Joanne a rompu nos premières fiançailles, le dialogue entre nous a aussi été coupé. Nous avons bien des choses à nous dire, mais ces secrets et ces non-dits sont pour moi comme les caillots qui bouchent le flux de colère. Lorsqu'ils seront retirés, le courant se déversera avec puissance jusqu'à être désengorgé de tout surplus. Il y aura des explosions, si Joanne et moi mettons tout à plat. Elle sait ce que c'est. Elle n'a pas oublié les premiers mois de notre relation. Elle n'a pas oublié les hématomes, les blessures, les appels de la police, de l'hôpital, les douches brûlantes. Comment oublier toute cette folie ? Je ne comprends toujours pas pourquoi elle n'a pas fui. J'ai peur de jouer quitte ou double. En cessant le traitement avant que nous soyons mariés, avant que sa conception du mariage ne l'enchaîne à moi, je prends le risque qu'elle se détourne finalement de moi, et que cette union ne soit plus d'actualité lorsqu'elle comprendra la vie qui l'attend. Je me montre confiant, mais, oui, je suis mort de peur. Je souris même quand Joanne s'amuse de m'entendre m'excuser, moi qui donne si peu de crédit à ce genre de paroles. Demander pardon ne sert à rien si les actes ne suivent pas. Or elle sait que je vais tout faire pour limiter les dégâts, mais ainsi elle saura aussi que je regretterai les moments où je n'y arriverai pas. Tout va être bousculé. Tout sera plus compliqué. Notre couple ressemblera à tout ce que je voulais lui épargner. Mais à la réflexion, est-ce que nous n'étions pas mieux avant ? Les amants infernaux. Nous avons Daniel maintenant, nous ne pourrons plus nous permettre certaines choses. Pour limiter les crises et les comprendre, Joanne ne manque pas de me dire qu'il faudra que je lui parle. J'y serai bien obligé. « Tu seras triste aussi. » dis-je tout bas. Quand elle ne comprendra pas, ou même quand elle comprendra, quand je serai blessant, ou résigné, quand elle n'arrivera pas à m'aider, et parfois même, à cause du simple fait d'avoir une crise à gérer. Mon regard se pose sur Daniel, calé contre sa mère. Il se tient de mieux en mieux assis. Sa dent a bien poussé. Il semble qu'une autre, à côté, commence à blanchir sa gencive. Les nuits sans sommeil sont à prévoir. J'écoute toujours Joanne pendant que je caresse tendrement la joue de mon fils, acquiesçant à ses dires d'un signe de tête. En résumé, nous allons nous-même faire nos propres thérapies de couple. Prendre rendez-vous, confier Daniel à quelqu'un, et parler. Et, selon le schéma logique habituel, se disputer et faire l'amour. Après avoir demandé la permission du regard, je retire le petit des jambes de sa mère et le dépose sur les miennes. Mais maintenant qu'il a compris comment ça marche, il n'hésite plus à tendre les bras pour réclamer un câlin. Alors je le porte et le serre tout contre moi, déposant un baiser sur sa petite tête calée sur mon épaule. « Je sais que c'est effrayant. » dis-je à Joanne. « J'ai peur aussi. » Qu'elle ne pense pas que je suis sûr de moi. Je suis déterminé, j'ai une volonté de fer qu'elle connaît bien. Néanmoins, face à ce problème, nous sommes sur un pied d'égalité. « Mais tout ira bien, si nous sommes tous les trois. » J'aimerais faire promettre à Joanne qu'elle restera quoi qu'il arrive. Qu'elle me fera reprendre mon traitement plutôt que de partir et m'abandonner. J'ai trop besoin d'elle pour risquer de la perdre à cause de ça. Mais une promesse ça se brise. Et je ne peux pas la menotter à mon poignet pour la faire rester pour toujours. Peut-être que je fais ce qu'il faut pour que tout le monde soit plus heureux, même si le chemin sera étriqué. Peut-être que je condamne cette famille en lui imposant cette folie. Je fais légèrement tinter nos verres, trinquant intérieurement à cette partie de poker, et prend une gorgée de vin -puis un de ces petits toasts, parce que l'angoisse ouvre l'appétit. Milo, attiré par la nourriture sur la petite table, se met sur ses pattes arrières avec la ferme intention de subtiliser un ou deux bouts de pain lui aussi. Mais il manque surtout de faire tomber le plateau avec tout ce qui se trouve dessus.
I believe in the lost possibilities you can see. And I believe that the darkness reminds us where light can be. I know that your heart is still beating, beating darling. I believe that you fell so you can land next to me. ‘Cause I have been where you are before. And I have felt the pain of losing who you are. And I have died so many times, but I am still alive
Joanne avait la fâcheuse tendance à se taire, et ne rien dire. C'est une méthode qu'elle avait su parfaitement perfectionner après qu'ils se soient à nouveau fiancés, respectant une place qu'elle s'était créée elle-même. Et là, Jamie lui demandait clairement de faire tout le contraire. C'était indispensable à ses yeux, qu'elle lui rappelle les limites, cela l'aiderait peut-être à se recentrer sur lui et reprendre ses moyens. Cette nouvelle étape prenait peu à peu une tournure particulièrement effrayante pour Joanne. Peut-être qu'elle n'était pas tout à fait prête à se trouver à nouveau dans une relation si intense, autant avec les bons et les mauvais côtés. Quelque part, elle espérait que ce ne soit pas aussi extrême qu'avant. Qu'il n'y aura pas de caution à payer au poste de police ou qu'elle ne le retrouverait pas à l'hôpital. Cela plaçait son coeur dans un étau, et le compressait déjà tout doucement. Elle ne remettait pas en cause sa décision, mais sa crainte des conséquences devint soudainement hors norme. D'autre part, Joanne demandait également à son fiancé d'être plus communicatif. La parole devait à nouveau être présente dans leur couple, ou ils n'allaient jamais s'en sortir. Il dit qu'elle serait triste aussi, tout bas. Elle le regardait d'un air désolé, sachant qu'elle ne pouvait pas le contredire parce que c'était totalement vrai. Elle allait triste pour beaucoup de raisons, et ça allait briser le coeur du jeune homme. Celui-ci portait une partie de son attention sur Daniel, qui se laissait volontiers caresser la joue. Installés dans leur petit salon, il finit par prendre le petit dans ses bras, réclamant un câlin à son paternel. Joanne restait silencieuse, et son fiancé lit dans ses pensées, se rendant bien compte combien tout ceci pouvait tout de même l'apeurer. Son regard était loin d'être rassuré, elle lui sourit un peu tristement. "Il fallait bien que nous passions par là un jour ou l'autre." Il aurait fini par abandonner ses traitements, tôt ou tard, Joanne le savait très bien. Ils finirent par trinquer afin de pouvoir boire une gorgée de vin. Elle ne se servit pas en toast pour le moment, les yeux rivés sur le verre qu'elle tenait en main. Milo fit son apparition, manquant de faire une catastrophe. "Milo, ça suffit." dit-elle de sa voix douce, mais d'un ton particulièrement ferme. "Il y en a assez, de tes bêtises." Elle l'éloigna délicatement de la table basse, mais il y retourna sans hésiter. Joanne haussa un peu le ton. "Ca suffit, j'ai dit." Il se mit en position assise, les oreilles en arrière, avec un regarde de merlan frit qui n'atteignit pas la jeune femme. Il se calma quelques minutes puis fit une nouvelle tentative. "Milo, j'ai dit ça suffit. Tu sors maintenant." dit-elle, en pointant l'extérieur. Il lança un regard à Jamie, espérant qu'il prenne son parti. "N'essaie même pas. Tu sors." La queue entre les pattes, il finit par sortir du petit coin salon pour aller à l'extérieur, lança un dernier regard derrière comme s'il s'agissait d'un chien abandonné. N'importe quoi. "Il est infernal, en ce moment." commenta-t-elle. C'était elle qui ramassait et nettoyait ses bêtises à longeur de journée, elle savait de quoi elle parlait. Jamie n'appréciait certainement pas ce recadrage pourtant nécessaire. Ben, qui était déjà allongé sur le tapis, se faisait encore plus petit et fit en sorte de ne pas se faire remarquer. Et ce n'était pas toujours facile de gérer un bébé, un travail, et un chien qui n'en faisait qu'à sa tête. "C'est dur de savoir que... ça va être dur." Que les simples malaises allaient exploser. Ils devaient tous les deux se douter que les prochaines disputes allaient être particulièrement intenses, avec tous les sentiments et pensées refoulés depuis des mois entiers. Elle regarda d'un air attendri son fils qui était ravi de se blottir contre son père. "Je t'aime, Jamie. Et je t'aimerai toujours. Ca, et Daniel, ce sont les deux seules choses que tu ne dois jamais oublier, pas même durant tes crises."
La jeune femme en avait conscience ; me choisir, c’est me prendre tout entier, et en effet, nous aurions été obligés de passer par là un jour car je ne suis pas de ceux qui supportent d’être l’otage d’un traitement jusqu’à la fin de leur vie. « J’aurais quand même préférer t’épargner ce genre de choses. » Personne n’est parfait, me direz-vous. On accepte tous les tares de l’être aimé en contrepartie du reste, si cela nous rend heureux. Mais peu de gens ont un bagage tel que le mien à se traîner et à imposer à son entourage. Il suffit d’une recherche sur internet pour comprendre le calvaire que cela est pour tous ceux qui vivent avec. Les dégâts sur les couples et les enfants si les crises sont mal gérées. Personne n’est parfait, mais j’aurais aimé être constitué autrement pour pouvoir être la personne qui mérite Joanne et que nous soyons heureux tous les deux sans pour autant qu’elle ait à subir ça. Ce genre d’épreuve est une notion encore très abstraite avant le moment où l’on y est confronté. On se l’imagine, on scénarise nos réactions en pensant à tous les cas de figure et à la marche à suivre. Mais sur le tas, ce n’est plus pareil. Il y a une part de peur et d’angoisse qui biaise le jugement et modifie tout ce que l’on pensait être certain de faire. Qui sait à quoi ressembleront les prochains jours, les semaines, les mois ? Nous avons déjà vécu ces situations, nous savons ce que c’est, et d’un autre côté, les choses sont différentes. Il y a Daniel, il a l’accumulation des non-dits, et le mariage qui approche. Autant de nouveaux facteurs à prendre en compte et qui, finalement, nous replongent dans l’inconnu. Mais je le répète pour me rassurer ; si ce n’était pas maintenant, c’aurait été plus tard, mais ce serait arrivé quand même. L’alcool ne noie pas les craintes. Cette boule au ventre sera là encore quelques temps. Le temps de se résigner face à la situation et de simplement faire avec au jour le jour. Le temps que ces enjeux fassent partie intégrante de notre quotidien. L’intervention de Milo me tire d’un coup sec de mes pensées. Intrigué par le bruit et sa maman qui hausse le ton, Daniel se redresse et tourne la tête pour regarder la scène, la bouche en rond d’étonnement. C’est que maman ne doit pas souvent parler de cette manière, et je parie qu’il n’a pas très envie que cela commence un jour. « T’as vu ce que ça donne quand on est pas sage ? » je lui dis tout bas avec un petit sourire amusé. Milo est envoyé dehors, tête et oreilles baissées, la queue entre les pattes, déçu de ne pas participer à l’apéritif. Infernal… C’est un des adjectifs de la longue liste qui m’était attribuée par mes parents pour me qualifier quand j’étais petit. C’est idiot, mais du coup, j’ai de la compassion pour le teckel, si jeune, qui ne demande qu’à jouer. « Il est plein d’énergie, voilà tout. » dis-je avec un léger sourire. Cela n’empêche pas un petit recadrement de temps en temps bien sûr. Alors que je reprends une fine gorgée de vin, Joanne reprend où notre conversation a été interrompue. Nous appréhendons beaucoup tous les deux. « Ca sera dur au début, je pense, et avec le temps… » Passage éclair d’une pensée libidineuse après ce début de phrase. Je me mets à pouffer, oubliant une seconde tout le sérieux de la situation. « Je parle bien des crises, hein. » je précise, ce qui explique relativement subtilement ce qui m’est passé par la tête à une Joanne qui doit se demander ce qu’il me prend. « Enfin, tu vois ce que je veux dire. Ca ira mieux avec le temps. » je reprends, plus sérieux. Daniel, depuis qu’il poursuit ses expérimentations en matière de langage, s’est trouvé une passion pour le babillage et les petits sons inintelligibles qu’il fait du bout des lèvres. Il lui arrive, en pleine conversation, d’attirer l’attention pour prendre la parole sous forme de quelques syllabes sans le moindre sens, juste pour le plaisir de participer et faire comme ses parents. Ses petits bruits sont vite devenus un bruit de fond, mais lorsqu’on les remarque, cela fait toujours naître un sourire attendri. « Mais moi aussi je t’aime, bonhomme. » lui dis-je comme si j’avais compris son bafouillage. Puis je me penche vers Joanne pour déposer un baiser sur ses lèvres. « J’espère que vous ne l’oublierez pas non plus. » Après tout, ils vont avoir besoin d’une bonne dose d’amour –et de patience- pour me supporter. Déjà lassé de son câlin, Daniel pousse un peu sur ses jambes pour faire comprendre qu’il a besoin d’espace. Je l’assois alors à côté de moi, contre le dossier du canapé, et lui confie un jouet qui traînait là qu’il n’hésite pas à porter à sa bouche. « Est-ce que tu veux déjà donner la date du début des hostilités ? » Une première soirée pour parler et pendant laquelle notre fils ne sera pas là. Un crash test en somme.
I believe in the lost possibilities you can see. And I believe that the darkness reminds us where light can be. I know that your heart is still beating, beating darling. I believe that you fell so you can land next to me. ‘Cause I have been where you are before. And I have felt the pain of losing who you are. And I have died so many times, but I am still alive
"Il faut se dire que le jeu en vaut la chandelle." lui dit-elle avec un sourire. Joanne n'était pas des plus optimistes, mais elle savait que c'était un mal pour un bien, et que ça valait le coup, qu'il y avait une finalité qui serait quasi parfaite pour leur famille. "Il suffit de se rappeler comment se terminaient nos disputes à ce moment là." dit-elle avec un sourire nerveux. "Je pense que l'on parviendra à transférer l'intensité de note relation au sein même de notre famille." ajouta-t-elle en lui caressant tendrement la joue avec sa main. Ca n'allait pas être facile, et Joanne n'avait franchement pas hâte de leur première dispute, mais c'était essentiel. Milo voulait piquer quelques toasts dans l'assiette et Joanne l'avait rapidement remis à sa place. La voix de Joanne était plus ferme que d'habitude, mais rien de semblable à quand elle s'énerve. Cependant, elle l'utilise si rarement que même Daniel était surpris d'entendre sa mère parler ainsi. Jamie glissa une petite remarque qui fit rire la jeune femme. Et sans grande surprise, son fiancé prit un peu la défense du petit chien. "Ce n'est pas parce qu'il est plein d'énergie qu'il a le droit de piquer des toasts amoureusement préparés. Il a ses croquettes, il a ses friandises, il a le droit à quelques restes de viande de temps en temps à midi." Joanne avait grandi avec des chiens et des chats. Elle n'était pas non plus trop ferme avec eux, mais suffisamment pour que les chiens ne se croient pas maîtres de la maison. Jamie fut soudainement pris d'un léger rire en prononçant sa phrase. Joanne arqua un sourcil puis comprit tout de suite le subterfuge. "Oui, des crises, bien sûr." répondit-elle en riant. "Pour ce qui n'est pas des crises. Ca non, ce ne sera pas le plus dur, je pense." dit-elle au bord de ses lèvres avant de lui voler un baiser. "D'ailleurs, on devrait appliquer cette partie là de nos disputes ce soir." ajouta-t-elle, le regard envieux. Bien sûr, ça n'allait pas être pareil qu'après une querelle. Les messages n'étaient pas les mêmes, la manière de les transmettre non plus. Daniel voulut se manifester et faire part de la discussion en gazouillant quelques syllabes. Il en faisait du plus en plus d'ailleurs, les sons qui sortaient de sa bouche commençaient à être différent. Elle regarda son fils d'un air attendri, se rendant compte à quel point il grandissait vite. "On ne l'oubliera pas." lui répondit-elle tendrement, avec un sourire. "Je sais déjà que ça vaut le coup. Et je suis sûre que Daniel aussi." renchérit-elle. Le bel homme finit par poser Daniel entre eux, qui tenait assis tout seul, en se tenant avec ses mains. "Tu fais comme les grands maintenant mon trésor, mmh ?" lui dit-elle en souriant et en lui caressant ses cheveux fins. Elle était si fière de lui aussi. Le bébé croisa le regard de sa mère et pouvait certainement ressentir le sentiment qui la parcourait parce qu'il esquissa un large sourire de satisfaction. "Le plus tôt serait le mieux." lui répondit-elle en haussant les épaules. "Ca éviterait que ça explose sans qu'on ne le sente venir, et quand Daniel sera dans le coin." Sa sécurité passait prioritairement, il ne devait ni voir, ni vivre ces moments-là, il devait être épargné. Joanne prit enfin un toast qu'elle mangea avec un délice. Elle pouvait appeler ses parents n'importe quand, même en dernière minute, ils lâchaient tout lorsqu'il s'agissait de Daniel, il n'y avait pas d'inquiétude à avoir de ce côté là. "La première dispute sera certainement la plus dure." dit-elle avec un sourire un peu triste. Après tout dépendait aussi du sujet abordé. Elle n'avait pas franchement hâte de se sentir à nouveau au bord du gouffre, à se demander si leur couple allait encore tenir longtemps ou non. Le soulagement n'arrivait qu'au début de leurs ébats systématiques. "Oh Daniel, tu sais ce qu'on n'a pas montré à Papa ?" dit-elle soudainement. Le petit la regarda d'un air interrogateur. Joanne le prit sous ses bras et le souleva légèrement immédiatement, il s'appuya sur ses petits pieds, et tenait, tout de même avec l'aide de sa mère. Et à chaque fois, il faisait son fier, et riait joyeusement. Elle le rapprocha ensuit d'elle pour pouvoir l'embrasser sur la joue et le féliciter joyeusement. De sa main libre, elle finit son verre de vin. "Tu veux bien me reservir un verre s'il te plaît ?" lui demanda-t-elle.
Joanne joue parfaitement son rôle de chef de la maison. Après tout, elle y passe ses journées, cet endroit est devenu comme son royaume. Elle mène très bien toute la petite troupe, Daniel, les chiens, et même moi, sans trop avoir besoin d'hausser le ton. Elle a toujours été faite pour ça, pour faire partie d'une famille et en être un piler central. Elle assume bien plus de choses tout en même temps qu'on ne voudrait le croire, et elle ne manque pas d'énergie pour tout gérer aussi bien. Je veux bien croire qu'elle n'a pas pour vocation d'être femme au foyer toute sa vie, mais une chose est sûre, c'est qu'elle le fait très bien. Depuis que je ne prends plus mes médicaments, on peut dire qu'elle a gagné une forme de récompense un peu plus fréquemment qu'avant, et retrouvant un rythme qui nous est plus familier. Qui sait s'il augmentera encore, mais cette fois, sous la forme de réconciliations sur l'oreiller. Un stratagème que nous maîtrisions parfaitement il y a quasiment un an de cela. Joanne glisse des avances dans la conversation, et j'arque une sourcil avec un sourire en coin. « Sans la partie dispute ? Ca serait de la triche, tu ne crois pas ? » Mais qu'elle se rassure, cela peut facilement s'inclure dans le programme de la soirée, entre le dîner et le coucher, une fois que Daniel dormira à poings fermés. Mais pour le moment, le petit se montre très communicatif et fier de montrer tous ses progrès, souriant avec son unique dent. Comme quoi, il ne comprend vraiment rien à ce qu'il se passe autour de lui. Tout ce qui l'importe, c'est que ses parents soient là, avec lui, qu'ils s'aiment et qu'ils l'aiment -et qu'il soit toujours aussi facile d'attirer leur attention. Il faut dire qu'il est adorable, ainsi assit comme un grand. « Je te laisse décider. » je réponds à Joanne au sujet du fameux premier soir où nous parlerons en tête-à-tête pour mettre certains sujets bien à plat. « Quelque chose me dit que tu as plus à déballer que moi. » D'ailleurs, sur le moment, je ne pense pas avoir quoi que ce soit à lui reprocher, des choses en face desquels la mettre. Je m'attends donc à devoir encaisser pas mal de sujet durant les prochaines semaines et tâcher de ne pas trop exploser face à la liste qui s'allongera un peu plus à chaque fois. « C'est bizarre, parler de disputes me rendrait presque nostalgique. » dis-je avec un petit rire. De la première fois au commissariat, celle concernant Kelya, le soir où Joanne était partie se balader en pleine nuit, ou encore lorsque nous étions séparés. Ce ne sont pas les plus beaux souvenirs, mais ils font partie de notre histoire, ils nous ont conduits ici. Ils ont aussi leur importance. Et ils seront des plus utiles pour les temps à venir. La jeune mère se souvient soudain qu'il est une chose qu'elle doit me montrer en rapport avec Daniel ; maintenu à la verticale, le petit est capable de faire poser ses pieds sur une surface et s'y appuyer un peu, battant un peu des jambes, ses bras cherchant l'équilibre. « T'y est presque mon grand ! » lui dis-je avec un large sourire. Oui, il peut être fier. « Mince, c'est vraiment que ça grandit vite. » je murmure en remplissant le verre de Joanne -je termine rapidement le mien pour me resservir par la même occasion. C'est court, cinq mois. Et pourtant, Daniel est passé du nouveau né aux petits poings serrés à ce petit bonhomme qui s'amuse à prendre des objets pour les mordiller. Il est plus grand, plus lourd, il a plus d'énergie, il ne cesser d'essayer de parler. Il a tellement soif de découvertes et envie de faire partie de ce monde. « Je me dis que c'est mieux que nous en passions par là tant qu'il est petit, qu'il ne comprend pas tout et ne se souviendra de rien. Mieux vaut maintenant plutôt que quand il aura plus conscience des choses. » Un bébé sent les choses, mais ce n'est pas pareil. Je caresse sa petite tête et tapote le bout de son adorable nez. « Ton papa est un peu marteau. » je murmure comme si c'était un secret juste entre nous. Je sais que Joanne n'aimerait pas que je me qualifie de la sorte.