“ i remember the last embrace, the shirt you wore, the feeling of loosing war. i remember hidden bruises, the rag and bones, the red wall maze, the snake charmer that would gaze at these lies
Le temps a passé, dix jours pour être exact. Ophelia vaquait à ses occupations habituelles, à la seule différence que cette fois, le nom d'Ezeckiel restait en permanence bloqué dans un coin de sa tête. Il était là, à Brisbane, avec leur fils. La liberté d'Ophelia touchait à sa fin, son passé l'avait rattrapée. Elle avait revu son mari, lui avait donné ses coordonnées. Elle aurait de ses nouvelles très bientôt, c'était certain.
Samedi matin. Assise sur une chaise de la cuisine, le menton entre les mains, la belle regarde fixement le portable posé devant elle. Il va lui écrire aujourd'hui, elle le sais, et bien sûr, ça ne manque pas. Le téléphone vibre. Elle le prend dans ses mains. A la seconde où elle voit le numéro non enregistré, elle sait que c'est lui. Ezeckiel lui propose de se voir, pour discuter. Elle n'en a pas envie, mais elle doit le faire, alors elle répond qu'elle est libre aujourd'hui, qu'ils peuvent se donner rendez-vous. Quelques secondes plus tard, un nouveau message, ils se verront chez lui.
La belle soupire, éteint son téléphone et file dans la salle de bain. Elle se prépare, s'habille, file dans la cuisine manger un morceau et se met en route en début d'après-midi. Un taxi la conduit à l'adresse indiquée, et elle se rend compte qu'ils vivent très proches l'un de l'autre. Coïncidence ou pas, allez savoir. Merci, bonne journée ! Arrivée, elle tend un billet au chauffeur et sort du taxi. En quelques foulées, elle se retrouve devant la porte d'entrée. Elle toque, et attends. Des bruits de pas se font entendre. Hey ! lance-t-elle, mal à l'aise, lorsqu'il ouvre la porte.
Dernière édition par Ophelia Blake le Jeu 22 Déc 2016 - 1:36, édité 1 fois
J’avais tourné et retourné la situation dans tous les sens. J’avais tenté de l’appeler ou de lui adresser un message dans les jours qui avaient suivi notre dispute, notre rencontre, en vain. Je n’avais pas eu la force et je n’avais pas réussi à aligner deux idées, deux solutions à la suite. Mais au bout de dix jours, je savais que je devais faire quelque chose. Après tout, la conversation avec Ophélia allait sceller mon destin également. J’allais savoir si j’allais rester à Brisbane, la voir ou si j’avais la possibilité de divorcer, reprendre un nouveau départ, seul avec mon fils. Dans mes pensées après avoir envoyé ce fameux texto un samedi matin, mes doigts tapotaient sur la petite table du salon jusqu’à ce que j’entende sonner. Je me dirigeais alors vers la porte et j’ouvrais, le sourire pincé. « Salut… entre, je t’en prie. » Je me décalais et la laissais passer et tout en refermant la porte, je reprenais la parole. « Caleb n’est pas là, au cas où tu te poserais la question. » Ce n’était pas méchant ou visé à la faire basculer alors qu’elle venait à peine d’entrer, c’était juste une façon maladroite pour moi de lui faire comprendre que nous n’étions que tous les deux, seuls. Je me dirigeais vers le petit salon, poussant d’un coup de pied un peu maladroit deux cartons qui traînaient encore. « Assieds-toi, je t’en prie. Tu veux boire quelque chose ? » C’était littéralement horrible, lui proposer quelque chose à boire par pure courtoisie alors qu’il y a des mois je la considérais encore comme ma femme. Les bras ballants, j’attendais une réponse avant de faire quoi que ce soit. Bordel, qu’est-ce que cette pièce était emplie de gène…
Ezeckiel est froid, distant, et même si elle comprend très bien pourquoi, Ophelia se sent tout de même légèrement blessée. Il y a un monde entre eux, ils sont à des années lumières l'un de l'autre et c'est étrange, tellement étrange, quand on pense qu'ils étaient si proches avant .. Salut… entre, je t’en prie. Il se décale et la laisse entrer. La belle regarde l'intérieur, à la recherche de son fils. Caleb n’est pas là, au cas où tu te poserais la question. Oh .. dit-elle simplement. Elle s'en doutait : Ezeckiel et elle se sont retrouvés pour parler d'eux et de leur avenir à tous les trois. La conversation risque d'être douloureuse et agitée, Caleb n'a pas besoin d'assister à ça. Son mari s'avance et elle le suit timidement, avant de savoir sur un fauteuil lorsqu'il l'y invite. Assieds-toi, je t’en prie. Tu veux boire quelque chose ? C'est .. tellement étrange. Cette courtoisie, cette course aux bonnes manières. Cet écart entre eux deux. L'espace de quelques secondes, il lui manque. Lui, la personne qu'il était et qu'elle connaissait par cœur. Leur ancienne proximité, la complicité d'avant leur fait cruellement défaut. Euh .. oui, je veux bien un thé, merci. Elle lui offre un sourire bref et regarde à nouveau le salon, pour se familiariser avec l'endroit où vit désormais son ancienne famille.
C’était si dur… J’avais envie de poser mes mains sur elle, de sentir son corps réchauffer le mien, de coller mon front au sien. Tout était si étrange, mon salon c’était soudainement transformé en palais des glaces et je ne savais plus vraiment où me mettre. Elle était là, devant moi, et pourtant j’avais l’impression de voir un fantôme que je ne pouvais toucher. J’avalais ma salive, enfouissais mes mains dans mes poches et j’attendais qu’elle daigne me répondre. « D’accord, je vais te préparer ça. Fait pas attention au bordel, je n’ai pas fini de tout déballer. » Et à vrai dire j’ignorais si ça en valait la peine. Je ne savais toujours pas si j’allais rester ou bien prendre la poudre d’escampette et retourner dans mon pays venteux. Je hochais la tête, le regard fuyant, puis je me dirigeais vers la cuisine afin de préparer le thé. J’ouvrais les placards et je sortais une boîte de thé, l’un de ses préférés, forcément, je n’avais pas perdu les bonnes habitudes et c’est tout ce qu’il me restait de toute manière. Je soufflais un moment alors que la bouilloire s’affolait toute seule. Après quelques instants, je revenais avec deux tasses. J’aurais personnellement préféré du whisky mais si elle me voyait avec un verre à cette heure-ci, elle se demanderait sûrement quel père je faisais. On retirait des gosses à des familles pour parfois moins que ça. « Tiens, voilà. » Je venais alors m’asseoir en face d’elle, me tenant droit comme un i puis je posais mon regard sur les tasses fumantes, il était temps d’entamer le sujet, mais par quoi commencer ? « Je suis désolé d’avoir pris autant de temps, j’étais occupé et je ne savais pas trop quoi… penser. »
Ezeckiel acquiesce, il lui dit de ne pas faire attention au désordre environnant. La belle regarde la pièce à nouveau, sourire aux lèvres. Ça va, c'est pas ce que j’appellerais être du bordel. lance-t-elle dans un rire. Il faut bien ça pour essayer de détendre l'atmosphère. Ça fait longtemps que vous avez emménagé ici ? Bon Dieu, elle a l'impression de parler de la pluie et du beau temps avec la voisine du coin, d'avoir ce genre de conversation vide et creuse qu'elle a toujours exécré. C'est trop étrange, presque contre-nature d'avoir ce genre de discussion avec lui, de sentir qu'ils sont presque devenus des inconnus l'un pour l'autre, après tout ce qu'ils ont vécu. Ezeckiel s'affaire en cuisine et revient quelques instants plus tard, déposant deux tasses sur la table basse qui les sépare à présent. Il a choisi son thé préféré, il s'en souvient. Merci. dit-elle doucement. Un silence de quelques secondes s'installe. Bref, mais assez long pour aggraver un peu plus le malaise présent depuis qu'elle est entrée dans la maison. Je suis désolé d’avoir pris autant de temps, j’étais occupé et je ne savais pas trop quoi… penser. Ses lèvres se contractent dans un léger rictus étrange. C'est pas grave. fait-elle doucement. Et maintenant, qu'est-ce que tu penses ? Avec précaution, Ophelia met les pieds dans le plat. Elle est comme ça, passer par mille détours ne l'intéresse pas, elle veut aller au but et mettre un terme à cette ambiance distante, lisse et superficielle qui s'est installée entre eux deux.
« C’est vrai tu as a plus tendance à laisser trainer tes affaires que moi. » J’me contentais de hausser les épaules avec un léger sourire, il n’était peut-être pas très perceptible mais il était sincère. La voir sourire, la voir rire, ça m’avait tellement manqué que j’en avais le cœur serré. « On est arrivé il y a quelques semaines. » ça ne faisait pas longtemps à vrai dire mais j’avais du mal à prendre mes marques. Le pays était tellement différent de ce que j’avais pu connaître, ici il faisait plus chaud, plus moite et les gens avaient un drôle d’accent, à moins que ce ne soit le mien qui ait l’air de venir d’un autre monde… Je m’éclipsais le temps d’aller faire le thé puis je déposais tout afin de prendre ma place, comme si de rien n’était. J’aurais pu me poser près d’elle mais quelque part, garder une certaine distance permettait de me contrôler, de ne pas faire de connerie, même si en ce qui concernait Ophélia, tout ce que je faisais état apparemment une connerie… Un ange passait entre nous et je devais bien briser ce silence, avec autant de maladresse que je pouvais accumuler. Je me raclais la gorge alors qu’elle mettait les pieds dans le plat, elle avait raison, au bout d’un moment il fallait bien plonger. « Si tu ne veux plus de cette vie, je ne te forcerai pas. Mais il va falloir que tu décides. Soit on s’arrange pour que tu fasses partie de la vie de Caleb, soit tu me laisses partir pour refaire la mienne. Ceci engendre bien sûr le divorce et le fait que tu ne réapparaisses pas dans sa vie lorsque ça te chante. Tu dois prendre une décison Ophélia, et après on avisera. » J’étais peut-être cruel mais je pensais à mon fils avant tout.
C’est vrai tu as a plus tendance à laisser traîner tes affaires que moi. L'espace d'un dixième de seconde, leur conversation retrouve un semblant de normalité, une ébauche de la complicité qu'ils ont eu, avant tout ça. On est arrivé il y a quelques semaines. Elle acquiesce sagement. Comment est-ce que ça se passe pour vous deux, l'acclimatation, tout ça ? Ophelia veut savoir pourquoi il a décidé de s'installer ici, plutôt que de rester quelques jours, le temps de lui parler. Elle veut aussi comprendre comment il l'a retrouvée, mais préfère garder ces questions pour plus tard. L'heure n'est pas encore aux hostilités. A présent, Ezeckiel est en face d'elle. Ils sont assis en chiens de faïence, l'un devant l'autre, avec une table pour les séparer. On dirait une de ces scènes, dans les films américains, quand les deux personnages principaux divorcent et viennent se disputer la répartition des biens, le tout en se couvrant mutuellement de reproches plus acerbes les uns que les autres. Si tu ne veux plus de cette vie, je ne te forcerai pas. Mais il va falloir que tu décides. Soit on s’arrange pour que tu fasses partie de la vie de Caleb, soit tu me laisses partir pour refaire la mienne. Ceci engendre bien sûr le divorce et le fait que tu ne réapparaisses pas dans sa vie lorsque ça te chante. Tu dois prendre une décison Ophélia, et après on avisera. Le cœur d'Ophelia se serre, les paroles d'Ezeckiel lui font mal. Le fait est, qu'à son sens à elle, elle n'a pas pris de décision définitive et irrémédiable en partant, elle a juste mis la situation 'de côté', en pensant y revenir un jour. Elle aime avoir le choix, la possibilité de changer les choses si ça lui chante .. alors devoir prendre une décision maintenant, qui aura un goût irrémédiable et définitif, c'est extrêmement douloureux. Je vais être entièrement honnête avec toi Zeck .. Je peux pas prendre une décision maintenant et te jurer que je ne reviendrai jamais là-dessus, c'est impossible. Je ne peux pas choisir de partir sans dire que je ne reviendrais pas plus tard, et à l'inverse, si je dis vouloir rester dans la vie de Caleb, je ne peux pas te promettre que je ne fuirais pas à nouveau un jour. Quelle que soit la décision, elle ne sera pas définitive et immuable. Parce que les gens changent, que les situation changent, et qu'au final, la décision qu'elle pourrait prendre aujourd'hui aurait une durée de validité définie. Tout ce que je sais, c'est que je ne veux pas divorcer, que je ne veux pas m'installer et dépérir dans une vie morne et que je ne veux plus m'effacer au profit de qui que ce soit d'autre. Pour ce qui est de Caleb, c'est mon fils, je l'aime, je ne veux pas le faire souffrir .. Peut-être qu'on peut essayer d'y aller doucement ? Que je le revois, de temps en temps, ce serait un bon compromis, non ?
« Ce serait te mentir de dire que c’est facile. » Un nouveau hochement d’épaules de ma part. Le climat était différent, les gens aussi et j’avais du mal à trouver ma place. En même temps, est-ce que l’on pouvait m’en vouloir ? J’avais tout lâché en une fraction de seconde pour venir ici, j’avais brisé ma vie pour venir ici. Il était temps que j’expose le problème, que je brise ce silence incessant qui s’était installé entre nous. Elle devait affronter le problème et décider de ce qu’elle avait envie de faire. Elle ne pouvait pas juste mettre de côté sa vie parce qu’elle avait de respirer et revenir ensuite, ce n’est pas comme ça que ça marche la vie… Je fermais un instant les yeux, mais bordel qu’est-ce qu’elle avait dans la tête ? Elle pensait qu’elle pourrait à nouveau fuir, disparaitre et faire souffrir son monde. Elle ressemblait à une gamine pourrie gâtée et indigne de ce que la vie lui offrait. Je préférais me taire pour l’instant alors je me contentais de l’écouter, le visage fermé. J’attrapais ma tasse et y glissais un sucre avant de me concentrer sur les tourbillons que j’étais en train de faire à l’aide de ma cuillère. « Tu vas devoir choisir Ophélia. Et crois-moi, je ne le fais pas de bon cœur. Caleb se sent déjà abandonné, je ne veux pas qu'il revive ça parce que tu joues les girouettes. Je me sens abandonné et pourtant d’un autre côté, je me sens enchaîné, tu comprends ? Je ne peux pas vivre plus longtemps de la sorte. Nous ne sommes pas des jouets, tu ne peux pas tout contrôler et faire à ta guise. » Mes paroles sont peut-être crues, un peu trop osées mais dites sur un ton aussi apaisé et limpide, peut-être qu’elle comprendrait… Je ne voulais pas m’énerver, ni la blesser, j’avais juste besoin d’exposer la vérité. « Que l’on divorce est une chose, qu’il n’y ait plus rien entre toi et moi, je peux l’accepter. Mais s’il te plaît, ne le fais pas souffrir. Il t’aime trop pour te voir venir et disparaitre comme ça te chante, il ne comprendrait pas... »
Ce serait te mentir de dire que c’est facile. Elle baisse la tête et ne répond rien. Bien sûr que c'est loin d'être facile : Ezeckiel est fait pour l'Irlande, et Caleb est trop jeune pour traverser la moitié du globe et s'installer dans un pays si différent. Tout cela doit être difficile pour eux, surtout vue les raisons qui les ont poussées à venir ici. La conversation sérieuse débute : Ophelia joue directement la carte de l'honnêteté, et Ezeckiel lui lance un ultimatum. Tu vas devoir choisir Ophélia. Et crois-moi, je ne le fais pas de bon cœur. Caleb se sent déjà abandonné, je ne veux pas qu'il revive ça parce que tu joues les girouettes. Je me sens abandonné et pourtant d’un autre côté, je me sens enchaîné, tu comprends ? Je ne peux pas vivre plus longtemps de la sorte. Nous ne sommes pas des jouets, tu ne peux pas tout contrôler et faire à ta guise. Elle le sait bien qu'elle va devoir faire un choix, c'est bien ça qui l'ennuie le plus. Quant au reste de ses paroles, elles l'énerve au plus haut point, car bien sûr, tout ce qu'elle entend, ce sont les reproches de son mari qui l'accuse de vouloir tout contrôler. Ophelia est individualiste et ne pense qu'à elle, certes, mais Ezeckiel lui donne l'impression de croire que tout cela est un jeu et qu'elle s'en fiche. Ce n'est pas vrai. Si tu t'attends à ce que je rentre, qu'on revive tous ensemble et qu'on reprenne notre petite vie de famille parfaite, je préfère te dire que ça n'arrivera jamais Ezeckiel. Rien que d'y penser, elle sent une bouffée d'angoisse la saisir et l'étouffer. Je veux bien faire des efforts et trouver une solution, mais y va falloir que tu en fasses aussi et que tu acceptes de regarder en dehors des limites de la parfaite petite famille traditionnelle. Chacun doit poser ses termes et conditions, et on trouvera quoi faire en fonction de ça. On peut y aller doucement, faire en sorte que je revois Caleb sans pour autant vivre avec lui. Trouver un équilibre entre vie de famille et liberté de chacun, je ne vois pas en quoi ce serait impossible. De toute façon, elle ne peux pas faire autrement. Ça la tuerait de ne plus voir son fils, mais ce serait encore plus dur de mourir d'ennuie en jouant les femmes au foyer. Que l’on divorce est une chose, qu’il n’y ait plus rien entre toi et moi, je peux l’accepter. Mais s’il te plaît, ne le fais pas souffrir. Il t’aime trop pour te voir venir et disparaître comme ça te chante, il ne comprendrait pas... A nouveau, comme lors de la discussion au parc, le sujet dérive sur leur relation à eux. Et comme avant, Ophelia se radoucit et se renfrogne un peu. Je ne sais pas s'il n'y a vraiment plus rien entre toi et moi. Je .. je ne sais pas ce que je ressens. Parfois, Ophelia a le don d'être brutalement honnête, pile dans les moments où elle ne devrait pas l'être. Dire à son mari qu'elle pourrait l'aimer encore ne simplifie pas les choses. Pour Caleb, on trouvera une solution. Il est jeune, il s’accommodera à la décision qu'on prendra, ensemble.
« Je n’ai pas dit ça, au contraire. » Je baissais les yeux, presque honteux de ce que je venais de dire. Je n’avais pas le choix, j’étais totalement dépité et tué à petit feu par cette affaire. Je soufflais longuement tout en regardant par la fenêtre un enfant qui passait avec son vélo. Ma gorge était serrée et je ne savais plus quoi dire d’autre. Je ne voulais pas de notre ancienne vie, mais est-ce que j’avais assez de force pour en démarrer une nouvelle, avec elle… ? Je me levais d’un bond, elle parlait d’efforts, mais quels efforts ? Une main tremblante venait passer sur ma bouche sèche, j’avais envie d’être ailleurs, clairement. « Ce que tu ne comprends pas Ophélia c’est qu’il n’y a plus de famille et qu’il n’y en aura probablement plus jamais. » Je m’enfonçais encore un peu plus vers les ténèbres, à quoi bon vouloir une famille traditionnelle et parfaite ? J’étais vieux jeux, je pouvais lui autoriser, toute ma vie j’avais voulu fonder une famille heureuse, le stéréotype de la famille parfaite ayant un grand potentiel, dans laquelle les gens auraient presque toujours le sourire, mais ce n’étaient que des rêves… Bien sûr, le mariage signifiait quelque chose pour moi, une union que je ne voudrais jamais défaire, mais avec Ophélia, toujours tout était partie de travers, je n’avais jamais rien fait comme je le souhaitais. Je m’approchais alors de la fenêtre et je m’accoudais au mur, enfouissant mes mains dans mes poches, posant mes yeux sur le jardin qui s’offrait à moi. Je ne préférais pas répondre, qu’est-ce que je pouvais dire de toute manière ? Mes sentiments étaient tellement confus que j’ignorais si je l’aimais encore ou non. Je voulais juste… me sentir libre, être libéré. Ophélia avait eu le droit à sa fuite et moi j’avais dû la subir, aujourd’hui je voulais juste inverser les rôles et me sentir libre. « Il n’aura pas le choix. » C’était radical, une fois de plus, mais elle me connaissait pour ne pas faire dans la dentelle, c’était simplement ma façon de lui faire comprendre que j’étais d’accord avec ce qu’elle venait de dire.
Qu'il la contredise la rassure : le fait qu'il puisse la forcer à rentrer en Irlande et à reprendre sa vie là où elle l'a laissé est une de ses plus grandes peurs. Au final, même si les négociations s'annoncent difficiles, Ophelia se dit qu'elle a de la chance qu'Ezeckiel ne soit pas un enfoiré de première : il aurait pu utiliser leur enfant comme moyen de pression, ou lui faire du chantage pour la forcer à faire ce qu'elle ne voulait pas. Ce que tu ne comprends pas Ophélia c’est qu’il n’y a plus de famille et qu’il n’y en aura probablement plus jamais. Elle hausse les épaules. Je ne suis pas d'accord avec toi. Je te propose une solution pour que notre famille trouve un nouvel équilibre. Si tu n'en veux pas, et si on n'est 'plus une famille' comme tu dis, ce sera ton choix. Elle, elle n'a pas tourné le dos et renié sa famille pour toujours, du moins, c'est comme ça qu'elle le voit. Elle a juste pris une pause, et aujourd'hui elle est prête à faire un pas en avant, à abandonner quelque peu sa liberté retrouvée. Ezeckiel se lève et se plante devant l'une des fenêtres, le regard perdu dans le vide. Il n’aura pas le choix. Sa voix est si sombre, si résignée .. Instinctivement, Ophelia se lève et traverse la pièce pour le rejoindre. Elle se met à côté de lui, pose la main sur son épaule, doucement. On dirait une mère qui essaye de réconforter son enfant, c'est fou de voir comme les rôles se sont inversés. Pourquoi je te sens aussi pessimiste et défaitiste Ezeckiel ? Je sais que j'ai merdé, et je suis désolée que vous ayez dû souffrir par ma faute .. Mais on trouvera une solution, d'accord ? Sa main glisse sur sa joue, sans qu'elle y réfléchisse réellement. Les réflexes reviennent. Les sourcils froncés, le regard doux, elle veut que ses yeux croisent les siens, qu'il voit son optimisme, qu'il croit, comme elle, qu'une issue est possible. Qu'est-ce que tu veux, au fond de toi ?
J’me sentais faible, désabusé et totalement soumis à cette situation. Il y a quelques semaines j’étais encore vaillant, le baume au cœur à rechercher mon épouse mais le fait de l’avoir devant moi avait tout fait voler en éclats, comme si quelqu’un avait soufflé sur mon vulgaire château de cartes. Alors j’me contentais de divaguer, de laisser mes pensées m’embrouiller encore une fois alors que mon regard se perdait sur une ville que je ne connaissais pas encore. Je ne préférais pas répondre, est-ce que l’on était réellement une famille ? Bien sûr qu’on le serait toujours, en quelque sorte puisque nous avions Caleb en commun mais… quelque part, chacun allait fonder sa famille de son propre côté et passer à autre chose si le divorce venait à se prononcer. Jamais Caleb ne pourrait avoir un père et une mère s’aimant à la folie, du moins c’est ce que la situation annonçait. J’étais tellement paumé, j’étais un gosse dans une cage au milieu d’une foule, j’étouffais. Les mots me manquaient et j’étais quasiment paralysé par tout ce qui se déroulait devant moi. J’étais un acteur sans jeu qui observait cette scène, tout simplement. Je la sentais alors venir s’installer près de moi, poser doucement sa main sur mon épaule. Elle avait merdé… Rien que ces simples mots me réchauffaient le cœur et permettaient que mon regard se décolle de la vue pour se poser sur elle. Elle était si belle, son visage de porcelaine était toujours aussi agréable à regarder. Je fermais un instant les yeux, baissant légèrement la tête alors qu’elle posait sa main sur ma joue froide. Je rouvrais ensuite les yeux sur ses lèvres. Qu’est-ce que j’aurais aimé l’embrasser, tout oublier et repartir comme si rien ne s’était passé. « C’est juste que je ne sais plus Ophélia. Te rechercher, savoir où tu es, ce que tu fais, c’était ça mon but, ce qui me faisait avancer chaque jour. Et aujourd’hui, maintenant que tu es là, devant moi, je suis effrayé. Rends-toi compte, je me suis entraîné pendant des jours à propos de ce que je dirais en te voyant et tout s’est envolé à l’instant où j’ai posé les yeux sur toi, comme toujours. J’aimerais que l’on recommence, j’aimerais qu’on soit à nouveau ensemble car je n’ai jamais cessé de t’aimer, mais maintenant, je ne sais pas si j’en suis capable, en te voyant si libre, si heureuse… J’me suis tout simplement dit que je ne pouvais pas t’empêcher de faire ta vie et de moi faire la mienne, au fond c’est peut-être le destin qui en a décidé ainsi, rien de plus. J’crois tout simplement que je suis résigné, du moins c’est ce que mon subconscient tente de me faire ressentir. »
Il ferme les yeux, et les rouvre pour observer le visage de sa femme. Cette fois, son regard a changé : il est vulnérable, triste. Ophelia y lit une douceur et un amour qui était leur quotidien, avant, mais qu'elle n'a plus vu depuis des mois. Il parle de nouveau, avec une sincérité déconcertante. C'est quelque chose qu'elle a toujours admiré chez lui, une de ces plus belles forces : sa faculté à savoir dire les choses, de façon si pure et si juste, de savoir se mettre à nue. Sa vérité la frappe en plein cœur : elle est bien plus importante et douloureuse qu'aucun mensonge. Des larmes se forment dans les yeux de la blonde, elle se sent nue elle aussi, les paroles de son mari l'apaisent. Elle est dans un autre état : un état de vulnérabilité qu'elle déteste habituellement, mais qui semble naturel aujourd'hui. Les deux anciens amants sont dans leur bulle. .. mais maintenant, je ne sais pas si j’en suis capable, en te voyant si libre, si heureuse… J’me suis tout simplement dit que je ne pouvais pas t’empêcher de faire ta vie et de moi faire la mienne, au fond c’est peut-être le destin qui en a décidé ainsi, rien de plus. J’crois tout simplement que je suis résigné, du moins c’est ce que mon subconscient tente de me faire ressentir. La fin de sa réflexion lui brise le cœur pour de bon, elle pleure. De tous les hommes qu'elle aurait pu aimer et épouser, il fallait qu'elle se soit uni au meilleur d'entre eux. Ezeckiel a des allures de saint, lui qui est capable de se retirer pour la laisser être heureuse et lui rendre sa liberté. Il la comprend, enfin. C'est tout ce qu'elle a jamais voulu. La main d'Ophelia s'attarde sur la joue de son mari. Elle le regarde d'un air étrange, avec une infinie douceur, comme si elle le voyait vraiment pour la première fois. Instinctivement, par une impulsion qu'elle n'essaye pas de contrôler, la belle se rapproche encore et pose son front contre celui d'Ezeckiel. Tu comprends, enfin. dit-elle dans un murmure. Elle ne veut pas être prise pour acquise, ni sentir qu'elle doit faire les choses par contrainte. C'est juste ça, et elle sent qu'à présent Ezeckiel en a conscience. Qu'il accepte de la laisser partir pour qu'elle puisse être en accord avec elle-même, c'est le sacrifice ultime qu'elle attends. La preuve qu'il la comprend et qu'il est prêt à l'avoir dans sa vie, telle qu'elle est. C'est la preuve qu'ils sont prêt à avancer, aussi paradoxal que ça puisse être. On va y arriver, je sais qu'on va y arriver. Elle ferme les yeux à son tour et s'approche un peu plus. Lentement, instinctivement, ses lèvres viennent se poser sur celles de son mari.
J’étais un comportementaliste de renommée bordel, je savais détecter lorsque quelqu’un mentait, lorsqu’un terroriste cachait un secret, s’apprêtait à faire un acte atroce, lorsqu’un tueur en série se faisait par un saint. Je pouvais, en quelque sorte, prédire l’avenir ou du moins savoir qu’il allait se passer quelque chose. J’avais le contrôle sur moi-même, sur mes sentiments, sur ma façon de me comporter, du moins c’est ce que je pensais. Toujours très propre sur moi, en quelque sorte, je ne laissais jamais rien paraître et pourtant Ophélia était la femme qui me faisait perdre le contrôle, qui avait le don de me perdre alors que parfois, j’pourrais croire que j’ai la science infuse. Elle est la flamme qui berce mon regard, le vent qui se faufile entre mes doigts, je ne peux pas la retenir, je n’ai jamais pu arriver à faire une chose pareille et pourtant bordel, le cosmos sait à quel point j’ai pu courir après elle. Mais elle était indomptable, comme moi, du moins c’est ce que j’aimais croire car en face d’elle, malgré toute cette haine certaine envers elle que j’avais accumulé ces derniers mois, je tombais une nouvelle fois à nu, totalement impuissant. J’la laissais parler et je la regardais avec un regard d’enfant perdu, d’un orphelin qui ignorait s’il pouvait faire confiance à quelqu’un ou pas. Je fermais les yeux alors qu’elle collait son front au mien et j’me laissais bercer par les cris des enfants qui jouaient à l’extérieur. Je ne m’attendais pas à ce qu’elle vienne se rapprocher encore plus de moi pour poser ses lèvres contre les miennes. Cette sensation… son corps près du mien, cette harmonie qu’elle me procurait. Aujourd’hui j’ignorais comment décrire comment je ressentais les choses. J’appréciais ses lèvres sur les miennes, elles faisaient naître en moi un sentiment de grandeur, j’avais presque envie de m’envoler et pourtant… au fond de mon ventre se nicher une douleur intense comme un poignard que l’on m’enfonçait afin de faire sortir mes entrailles. Ma main venait pourtant se nicher dans ses longs cheveux blonds et alors que je décollais mes lèvres des siennes, je recollais une nouvelle fois mon front contre le sien, gardant les yeux fermés. Ma respiration était devenue soudainement irrégulière et mon cœur avait des ratés. Il ne fallait pas… Je n’en avais pas la force, non je n’arrivais pas à l’arrêter, parce que j’étais faible, amoureux…
C'est comme si leur deux êtres vivaient sur des fréquences différentes, mais qu'ils entraient en symbiose à l'instant même où leurs lèvres se touchaient. La pression retombe d'un coup, tout se vide : le monde autour d'eux, les questions qu'elle se pose, les sentiments contraires qu'elle éprouve pour lui. Il n'y a plus rien, rien de plus qu'eux. Ophelia se sent bien, comme si elle était enfin rentrée chez elle. Ezeckiel fait glisser ses doigts dans les longs cheveux blonds de sa femme. Il répond à son baiser, mais se détache d'elle, légèrement. Leurs fronts l'un contre l'autre, il hésite et elle, elle entend la bataille qui fait rage à l'intérieur de lui. L'amour, la haine, l'envie et la raison. La respiration d'Ophelia s’accélère. Elle sent ses entrailles se tordent et l'envie la prendre aux tripes. Son bras s'enroule autour des épaules d'Ezeckiel, alors que sa main agrippe doucement sa tignasse rousse. Elle soupire. Si elle avait été capable de réfléchir, elle aurait sûrement pris ses distances, parce qu'embrasser son mari est certainement la dernière chose à faire. Pourtant, elle ne se retient pas, elle n'en a pas envie. Retrouver Ezeckiel est comme réentendre une chanson du passé, connue depuis l'enfance : oubliée pendant des années, on se demande en la retrouvant comme on a pu vivre sans elle. C'est un refrain familier, doux, rassurant, qui vous transporte ailleurs. Un rythme qui vous revient instinctivement. Elle ne veut pas que cette musique-là s'arrête, alors elle rompt la distance et l'embrasse de nouveau. Ses lèvres frôlent d'abord les siennes, hésitantes, puis ses baisers se font plus doux et francs. Leurs corps s'approchent, elle se colle à lui, le serre fort. Elle veut qu'ils ne fassent plus qu'un. Bon Dieu, ce qu'il lui a manqué.