C’était si dur, cette tentation mélangée à de l’extrême souffrance. Il fallait que je me décolle d’elle, que je reprenne mes esprits pour réfléchir ne serait-ce que trente secondes. Mais il était déjà trop tard, dès l’instant où j’avais succombé c’était comme si je m’étais laissé chuter dans des ténèbres bien trop sombres pour que je ne puisse m’en détacher seul. Son front contre le mien, sa respiration haletante. En quelques secondes, j’étais revenu dans le passé où tout n’était pas rose mais où la vie semblait mieux fonctionner que maintenant. Les yeux clos, je pouvais sentir ma raison et mon envie se battre comme deux preux chevaliers venus là uniquement pour s’affronter dans le sang jusqu’à ce que l’un trépasse. J’avalais ma salive alors que ses mains parcouraient mes cheveux. Ce n’était pas ça la solution, on devait se rencontrer pour discuter, trouver une solution, mettre les choses à plat, pas remettre le couvercle et tout faire voler comme un château de cartes. Pourtant, alors qu’elle posait son corps contre le mien et qu’elle dérobait mes lèvres, je savais que j’avais tout perdu, la raison notamment. Je me pressais à nouveau contre son corps puis je passais une main sur sa taille pour la serrer davantage. Son contact m’avait terriblement manqué, tellement que la passion envahissait soudainement mon corps. Je la voulais, je voulais que l’on ne forme plus qu’un comme lorsque nous étions heureux et sans soucis. J’attrapais alors ses bras et je les levais au-dessus de sa tête, venant la pousser contre la fenêtre qui était derrière elle. Mes lèvres passaient alors de sa bouche pulpeuse à son cou. Toujours plus passionné, bordel, j'étais faible.
Pour la premier fois depuis des mois, son cerveau s'arrête. Ses remords, ses questions, tout ça disparaît. Il n'y a plus que lui, plus qu'elle, et l'envie qu'elle a de se rapprocher de son mari. Elle l'embrasse, et c'est comme si leurs problèmes n'avaient jamais existé, comme s'ils revenaient au temps où tout était facile, simple, évident. Lorsqu'il passe sa main sur sa taille, Ophelia sent son cœur battre plus vite encore, et lorsqu'il la pousse contre la fenêtre et lève ses bras au-dessus de sa tête, elle finit par perdre tout contrôle. Les lèvres d'Ezeckiel passe de sa bouche à son cou, alors elle ferme les yeux. Son ventre se tort, le désir qu'elle a pour lui se fait plus pressant : elle a besoin d'être contre lui, de sentir sa peau, de retrouver leur intimité. Les conséquences qu'un tel acte pourrait engendrer avoir n'ont aucune importance et à vrai dire, elle n'y pense même pas. Elle est guidée parce ce dont elle a envie, et en cet instant ce qu'elle désire le plus, c'est lui. Ophelia tourne la tête et rouvre les yeux pour dévorer ceux d'Ezeckiel. J'ai envie de toi. dit-elle dans un souffle. Elle s'arrête un instant pour le regarder : Ezeckiel et son visage doux, ses traits fins, les tâches de rousseurs qui parsèment son nez qu'elle a toujours adorées. Il lui a manqué, au fond, elle le réalise à présent. Les lèvres d'Ophelia viennent à nouveau capturer celles de son mari. Elle l'embrasse avec plus d'envie tandis qu'une de ses jambes vient s'enrouler autour de celles d'Ezeckiel, relevant ainsi la robe mi-longue qu'elle porte.
J’étais faible, redevenu cet homme insouciant qui était tombé amoureux de cette jolie blonde au premier regard. Quand j’y pense… Ce jour-là, je pensais que jamais une fille comme elle aurait pu s’intéresser à un homme comme moi. Et puis tout était allé très vite, j’étais fougueux, j’avais découvert une passion que je ne connaissais pas puis le château de cartes avait fini par s’écrouler en un rien de temps. Et me voilà, à l’heure actuelle, à dévorer son corps tout en me rendant compte que c’était mal. Le manque qu’elle m’avait procuré se faisait sentir à travers chacun de mes os, de mes nerfs, de mes muscles et même de mes pores. J’avais besoin d’avoir son corps contre le mien, j’avais besoin d’entendre son souffle, sa voix, de voir son regard se perdre dans une chaleur intense. « J'ai envie de toi. » Je frissonnais alors que mes yeux se posaient dans les siens. Mon corps me criait de la posséder au plus vite alors que mon esprit, qui se voulait un peu trop protecteur, ne cessait de tenter de vouloir me tirer à l’autre bout de la pièce afin de me botter le cul pour que je ne fasse pas une énorme connerie. Mais il était trop tard, j’étais déjà dedans. Sa cuisse contre la mienne, je me sentais obligé de passer l’une de mes mains sur sa peau douce et blanche. Je remontais alors délicatement sa robe au plus près de son atout féminin puis j’attrapais de mon autre main sa seconde cuisse afin de la soulever. Mes lèvres accrochées aux siennes, je la laissais s’enrouler autour de moi puis je commençais une marche incertaine vers un endroit qui scellait notre amour autrefois, la chambre conjugale qui n’en était plus vraiment une depuis le temps…
Sa main remonte le long de sa cuisse, doucement, avant qu'il n'agrippe ses fesses et ne la soulève complètement. Les jambes enroulées autour de la taille d'Ezeckiel, Ophelia l'embrasse, encore et encore .. Elle se laisse entraîner dans une chambre qui n'est pas la sienne, pour vivre avec son mari un moment qui n'est que trop familier. C'est étrange, ce mélange parfait entre le connu et le nouveau. Retrouver l'ancien, le réconfortant, le familier, mais dans un lieu inconnu et dans des circonstances si différentes. Cette différence est excitante, elle a le goût d'aventure, de renouveau, même si ce n'est qu'une illusion. Pendant le bref instant qui va suivre, Ophelia oubliera tout. Leurs conflits, les conséquences possibles, les sentiments qu'elle a pour Ezeckiel et qu'elle n'arrive pas à déchiffrer. Les à-côtés s’effacent au profit de l'instant présent. lls traversent un couloir et arrivent à une porte qu'elle pousse d'un coup de pied. La chambre d'Ezeckiel est grande, vide de décoration et remplie de cartons à peine défaits. La belle pose pied à terre, quitte les lèvres de son mari et, impatiente, déboutonne sa chemise avant de la jeter au sol. Elle défait la boucle de sa ceinture, enlève ses propres chaussures d'un geste et pousse Ezeckiel, qui s'assoit sur le lit. Relevant sa robe un peu plus haut, elle avance et vient à nouveau encercle sa taille de ses cuisses. Les mains autour du cou de son mari, elle l'embrasse encore, l'embrasse encore ..
C’est comme si tout s’était envolé, comme si ma haine avait été mise en suspens, comme si ma colère avait disparu au profit d’un amour incandescent, d’une flamme éternelle de désir. Sa peau m’avait tellement manqué, ses baisers doux et à la fois voraces. J’avais totalement été hypnotisé par ses yeux envoutants et ses lèvres pulpeuses à notre rencontre. Quelques années plus tard, cette excitation n’était plus, il n’y avait plus cette lueur que je pouvais voir aujourd’hui. Ça m’avait tellement manqué de ne plus voir ces étincelles au fond de son regard. Je la laissais alors faire, poussant la porte, m’enlevant un à un les boutons de ma chemise, débridant ma ceinture et je me laissais pousser contre le lit. Pendant une seconde, je repensais à notre fils, conçu dans un ébat semblable, aussi passionné. J’étais satisfait qu’il ne soit pas là au final. Pensée vite oubliée alors qu’elle se mettait à me chevaucher, posant ses lèvres sucrées sur les miennes. Mes mains passaient alors sur son corps et je décidais d’enlever délicatement sa robe, en faisant attention à ne pas la prendre dans ses longs cheveux fins. Je la jetais par terre et mes mains venaient alors se poser sur son corps, comme pour la détailler, comme pour ancrer un souvenir qui semblait effacé. « Tu es magnifique… » Dans un souffle je déposais un baiser sur sa nuque puis je me reculais et plongeais mon regard dans le sien. J’étais en plein rêve, du moins presque…
Sa peau sur la sienne, son regard plongé dans le sien. Il y a ses caresses, ses baisers, et ce désir, grandissant, qui embrase leur étreinte. Ophelia s'oublie, elle se perd dans ses gestes, dans cette intimité retrouvée et qui lui a tellement manqué, au fond. Si tout était resté comme ça, si elle avait encore senti cet amour exclusif, inconditionnel, cette passion, elle serait restée.
• • •
Lorsqu'elle se réveille, il fait encore jour. Le soleil descendant répand une lumière douce et chaude dans la chambre de deux amants. La main d'Ezeckiel est posé sur le bras d'Ophelia, il est face à elle. Pendant un bref instant, elle oublie ce qu'il vient de se passer. Elle se retrouve dans le passé, à cette époque où ils partageaient encore leur lit et où elle le regardait parfois dormir, lorsqu'elle s'éveillait avant lui. Un sourire se dessine sur les lèvres d'Ophelia, Ezeckiel n'a pas changé. Son visage est toujours aussi beau et serein, même si ses traits semblent légèrement tirés. Elle voudrait qu'il reste ainsi une heure encore, qu'elle profite encore un peu de ce sursit, parce qu'elle sait que tout changera quand il ouvrira les yeux. Elle sait que son regard sera différent, et qu'ils devront faire face aux conséquences.
Son étreinte, la mienne, nos corps ensemble, ne faisant qu’un, comme autrefois. Je me laissais guider par l’envie, par mes émotions, sans penser à demain, aux conséquences que tout ceci pourrait avoir. Mais qu’importe, elle voulait de la folie après tout non . Mais ce qui me faisait peur ce n’était pas ce qu’elle allait penser de tout ceci, non, ce qui me terrorisait, c’était ma façon de penser, de voir les choses, de les ressentir après cette relation. Pourtant, j’avais apprécié la chaleur de sa peau contre la mienne et j’aurais payé cher pour avoir ça pendant les longs mois où elle m’avait délaissé. Je m’étais assoupi, son crâne contre mon corps, ses mains sur mon poitrail, je m’étais laissé aller dans les bras de Morphée car pour une fois, j’étais bien. Pourtant je n’avais pas aussi bien dormi durant des lustres, c’était sans doute parce qu’elle ne partageait plus mon lit. Mais il était l’heure de me réveiller, l’heure d’affronter ce qui me terrorisait le plus depuis notre rupture. Je grognais alors quelque peu en me sortant complètement du sommeil et j’ouvrais sur elle, sur son doux visage de porcelaine, m’observant comme si elle me voyait pour la première fois. J’entrouvrais mes lèvres pour dire quelque chose, mais j’en étais incapable, je ne trouvais pas mes mots car à l’intérieur de moi, une tempête faisait rage. Alors je me contentais de passer ma main sur son visage afin d’en enlever une longue mèche blonde, la remettant délicatement derrière son oreille.
Ses yeux s'ouvrent enfin, il la regarde sans rien dire. Sa main glisse sur le visage d'Ophelia et remet une de ses mèches de cheveux derrière son oreille. Le silence perdure, personne n'ose rien dire. Il y a entre eux cette connaissance implicite et silencieuse, le fait de savoir que le premier qui parlera sera celui qui brisera leur bulle. Elle lui sourit, doucement. Ce sera elle. Hey .. dit-elle dans un souffle. Le jour décline, Ezeckiel doit sûrement aller retrouver Caleb, reprendre le cours de sa nouvelle vie précaire. Et elle, eh bien, elle doit probablement retrouver la sienne et surtout, mettre un peu d'ordre dans sa tête. Ophelia ne veut pas que ses pensées et ses regrets reviennent, elle n'a pas envie d'être nouveau tiraillée entre tous ses sentiments contraires. Elle est bien mieux ici près de lui, dans le calme de leur cocon et dans ses bras .. J'ai pas envie de partir. Elle ne sait pas quoi dire, alors elle opte pour la vérité, même si elle peut le blesser. Parce qu'au fond, à quoi bon lui dire qu'elle veut rester avec lui ? A quoi bon remuer le couteau dans la plaie alors que tout est déjà si compliqué ? Alors qu'elle marche sur des œufs avec Ezeckiel et qu'elle ferait mieux de peser ses paroles et d'être au clair dans sa tête avant de dire des choses pareilles ? Tout était si simple avant. Avant l'ennui, avant Caleb, quand il n'y avait qu'eux, leur amour et leurs rêves.
J’me mettais à sourire alors qu’elle se mettait à me parler. Cette douce voix enrouée me faisait littéralement fondre. J’sentais mon cœur se rompre alors qu’elle me disait qu’elle ne voulait pas partir. Ce qui était horrible dans tout ça, c’est que moi non plus j’avais pas envie qu’elle parte, bien au contraire. Malgré toute la tristesse et la haine que j’avais pu éprouver à son égard, j’avais quand même envie qu’elle reste dans mes bras, qu’elle se love sur mon corps pendant des heures, que cette journée consacrée à nous deux ne se termine jamais. « Alors reste. » J’me contentais d’hausser les épaules tout en caressant à nouveau sa joue, tout en passant mes doigts dans ses cheveux fins. J’pouvais pas m’empêcher de regarder son visage si parfait, ses yeux si attirants et cette bouche… Qu’est-ce que j’pouvais dire, j’étais toujours fou amoureux de cette femme. J’avais comme envie de repartir à zéro, d’me créer une nouvelle vie en sa compagnie, de vivre cet amour incandescent que j’avais avec elle au tout début de notre relation.
Elle est bien là, allongée en face de lui, le visage à quelques centimètres du sien. Ophelia se laisse guider par le moment qui passe, par la douceur de l'instant, par les bruits extérieurs distants qui lui rappellent à quel point elle est protégée là, dans la bulle qu'elle partage avec son mari, loin de tout le reste. Elle est apaisée, sereine, complète. Alors reste. La blonde lui sourit doucement. Si seulement c'était aussi simple .. Elle relève la main, caresse doucement la joue d'Ezeckiel, s'avance et pose les lèvres sur les siennes un bref instant. Elle veut rester, mais à quoi bon ? Maintenant qu'ils sont tous les deux éveillés, qu'ils retrouvent pleinement conscience après s'être oublié un instant, il lui semblerait étrange et hypocrite de rester. Ce serait agir comme si tout allait bien, comme s'il n'y avait pas de problème entre eux, et même si elle meurt d'envie de rester, elle ne le peut tout simplement pas. Ça la tue, mais elle sait que ça ne peut pas être aussi simple et qu'ils ont un bon chemin à parcourir avant d'en arriver là. Je suis heureuse d'être là, avec toi. Et je sais que je ne devrais peut-être pas le dire, mais tu m'as manqué. Vraiment. Son sourire s'efface un peu, ça fait longtemps qu'elle n'a pas été aussi directe et vraie. L'instant d'après elle bascule de l'autre côté du lit et se redresse. Elle saisit sa robe, en boule sur le sol et l'enfile lentement. Ça te dit un thé ? Ou un café, je peux le préparer si tu veux ? Ce n'est qu'après avoir posé la question qu'elle se rend compte de l'étrangeté de la situation : lui proposer à lui, dans sa propre maison, de prendre ses affaires pour lui faire un thé. Comme s'il était un invité, ou comme si elle était une étrangère impolie dans la maison d'un inconnu. Après tout, c'est ce qu'ils sont presque devenus l'un pour l'autre.
Alors reste… C’est tout ce que j’avais pu dire, j’avais été emporté par l’instant, par l’euphorie de me réveiller en compagnie de la femme que j’aimais et pourtant… Je savais que tout n’était pas si simple, que cette phrase n’était pas au goût du jour, n’était pas adaptée à la situation. Nous savions tous les deux qu’elle n’allait pas rester, qu’après avoir franchi la porte de cette maison, la porte de ma bulle de bonheur, tout allait devenir à nouveau triste et sombre, que tout n’allait être que violence et acharnement pour enfin trouver une solution à notre problème qui ne sera jamais réellement résolu. « Toi aussi. » J’avais l’impression de m’enfoncer encore plus, de creuser un peu plus ma tombe dès que j’ouvrais les lèvres pour me confier. J’étais en train de me liquéfier, de perdre tous mes moyens face à elle alors que bordel, je devrais juste la détester, la foutre dehors après lui avoir demandé de signer les papiers du divorce. Mais j’étais trop faible, trop épris de cette sirène, j’étais clairement foutu. Je passais mes doigts dans ses cheveux tout en admirant, pensif, son doux visage de femme parfaite. Je l’observais alors se dégager de ma faible étreinte, s’habiller et me proposer un café. Je ne pouvais pas m’empêcher de la garder dans mon champ de vision. J’esquissais un petit sourire et j’acquiesçais. « Un café, merci. » Je la laissais car je ne pouvais pas la retenir et à peine avait-elle disparu de la pièce que je restais quelques longues secondes allongé à fixer le plafond, à me morfondre sur mon sol. Qu’est-ce que je venais de faire… dans quelle merde m’était-je encore foutu ? Je passais par un sacré défilé d’émotions mais par-dessus ça j’étais nostalgique. Je me levais alors et je regardais par la fenêtre en me rhabillant rapidement, pour voir si sa silhouette ne passait pas dans la rue à cause d’une nouvelle fuite discrète. J’enfilais ma chemise pour terminer et j’ouvrais la porte de ma chambre qui me séparait du salon, d’elle.
Un café, merci. Elle lui sourit doucement et passe la porte qui la mène au salon. La pièce est grande, lumineuse et jonchée de cartons qui n'ont pas encore été défait. Elle a l'impression de s'être introduit dans la maison d'un inconnu, d'un inconnu qui possède des reliques de son passé à elle : sur certaines étagères elle retrouve des livres qu'elle a achetés pour elle et qu'elle a lu il y a des années. Sur le sofa, elle retrouve un plaid qu'ils ont ramené ensemble d'un voyage, lorsque Caleb n'était pas encore né. Dans la cuisine, il y a encore quelques pièces d'un service offert pour leur mariage. Partout où se jette son regard, il y a une trace de son passé, de leur passé. Ophelia se sent mal, oppressée et nostalgique : tous ces souvenirs lui rappellent une vie simple qui lui manque, mais aussi une période de sa vie qui avait finit par l'engloutir vivante. Elle se dirige vers la cuisine, trouve deux tasses après avoir ouvert plusieurs tiroirs. Elle prend la cafetière, les sert tous les deux et ajoute du sucre ou du lait, selon leurs goûts à eux qu'elle connait par coeur. Le côté machinal du geste la fait sourire. Lorsqu'elle se retourne, Ezeckiel est là, dans l'embrasure de la porte. Sa chemise et froissée, ses cheveux ébouriffés. Il a l'air ailleurs. Et voilà, comme tu l'aimes. dit-elle en lui tendant une des deux tasses fumantes. Elle regarde autour d'elle. Tu as choisi une belle maison Ezeckiel, et puis c'est un bon quartier ici. Vous vous plaisez ici, tous les deux ? Elle prend une gorgée, attend quelques secondes avant de poursuivre d'un ton plus grave. Je .. Pourquoi avez-vous déménagé ici, ensemble ? Je veux dire, si tu voulais me retrouver tu aurais pu venir seul, ou alors ça aurait pu être un voyage court, juste Caleb et toi. Pourquoi avoir tout quitté en Irlande pour venir ici ? Elle n'a pas envie de lancer les hostilités, pas après le moment qu'ils viennent de vivre ensemble. Pourtant, il faut qu'elle sache, qu'elle comprenne ses motivations. Qu'elle l'entende, si jamais tout n'est pas perdu pour eux.
J’avais rien, quand j’ai connu Ophélia, j’étais presque un clodo lorsqu’elle avait posé ses yeux sur moi. J’avais pas quarante tenues, moi qui tentait pourtant d’être classe, d’avoir l’allure d’un gentleman, et j’avais concrètement pas de bien, du tout. Alors à chaque fois qu’on partait en voyage, qu’on prenait du temps pour nous, j’pensais ramener quelque chose, un bien quelconque, j’étais devenu un peu matérialiste, pour nous, parce que j’pensais que ça allait nous aider à concrétiser, à faire notre nid douillet. Alors forcément, lorsqu’elle était partie, elle avait rien emporté tout ça, elle avait juste pris quelques affaires et moi j’avais tout gardé, toutes ces objets et ses souvenirs qui étaient pour l’instant en carton dans mon salon. J’me levais puis j’enfilais mon pantalon et ma chemise que j’tentais d’fermer alors que j’sortais de la chambre. J’restais pieds nus, ça faisait longtemps que je n’avais pas fait attention à ces détails, marcher pieds nus, se foutre de tout. J’relevais la tête alors qu’elle était en train de préparer le café et j’avais cette bonne impression que rien n’avait changé. Ça me mettait du baume au cœur de me croire il y a quelques années en arrière, de me revoir, juste elle et moi, heureux. « Caleb aime le quartier, j’ai rencontré quelques voisins qui ont l’air sympa alors pour l’instant ça roule. » ça roule… c’était pas vraiment mon vocabulaire, bordel qu’est-ce qu’il était en train de se passer ? J’attrapais la tasse de café et j’la portais à mes lèvres, il était corsé, comme j’l’appréciais. J’croisais alors les bras tout en regardant le liquide ambré dans ma tasse. « J’en sais rien. J’pouvais pas partir sans Caleb, j’imagine que c’était tout ou rien. J’dois t’avouer que j’ai même pas réfléchis à cette solution… »
Ses mains entourent la tasse de café chaude. Caleb aime le quartier, j’ai rencontré quelques voisins qui ont l’air sympa alors pour l’instant ça roule. Peut-être que les choses auraient été différentes s'ils avaient tout quitté ensemble. S'ils avaient refait leur vie ailleurs, tous les trois, au lieu de la voir partir elle, seule. Elle avait eu besoin d'un changement radical à l'époque, proportionnel à l'ennui et au sentiment s'enfermement qu'elle ressentait là-bas, en Irlande. La seule issue qu'elle avait su trouver c'était son départ à l'autre bout du monde, et pas une seule seconde elle n'avait pensé qu'ils auraient pu venir avec elle. Là était toute l'étendue de son individualisme : non seulement elle n'avait pas considéré leurs sentiments et les conséquences de son départ, mais elle n'avait pas non plus pensé à les intégrer à son projet de départ, ou à ne serait-ce que leur en parler. Il aura fallu presque un an et la venue d'Ezeckiel ici pour que ça lui traverse l'esprit, et le pire, le pire c'était que tout recommencer ailleurs ensemble aurait pu marcher. Son mari venait de lui prouver qu'il pouvait tout plaquer lui aussi, pour elle, et Caleb semblait s'adapter à son nouvel environnement. Ça ne m'étonne pas. Je ne sais pas si tu le sais, mais j'habite à quelques rues d'ici. Je partage une maison avec une amie, Robin, peut-être que tu te souviens d'elle ? On l'a rencontrée aux Etats-Unis, tu sais, pendant un de nos voyages. Vous devriez venir, Caleb et toi, je suis sûre que l'endroit vous plairait. La maison était grande, lumineuse, décorée par les nombreuses toiles que Robin peignait. Ophelia adorait l'atmosphère de cette maison, la sérénité qui y régnait, sa tranquillité naturelle. Ezeckiel et Caleb l'aimeraient aussi, c'était certain. La blonde porte la tasse à ses lèvres, boit une gorgée fumante. J’en sais rien. J’pouvais pas partir sans Caleb, j’imagine que c’était tout ou rien. J’dois t’avouer que j’ai même pas réfléchis à cette solution… Ce côté "tout ou rien", impulsif chez lui, Ophelia avait presque oublié qu'il existait. Elle acquiesce. Je suis contente que vous soyez là. Elle prend une autre gorgée et ajoute. Ezeckiel .. J'ai réfléchis, et je veux arranger les choses. Est-ce que .. tu crois que je pourrais revoir Caleb, régulièrement ? Et que je pourrais venir vous voir tous les deux ? Rattraper le temps perdu avec son fils, seul, mais aussi avec son mari, avec leur famille.
J’avais du mal à comprendre la façon de penser de Ophélia. Moi j’étais très droit, très fidèle, je n’hésitais pas à m’enfermer dans une vie qui ne me plaisait pas forcément mais par sacrifice. Elle, c’était un électron libre, elle avait besoin de se sentir libérée, elle avait besoin de savoir qu’elle pouvait tout plaquer pour partir à l’autre bout du monde dès qu’elle le pouvait. Moi j’avais juste subi ses choix et j’lui en voulais pour ça, surtout à cause de Caleb qui avait perdu son principal repère. Comment expliquer à un gosse en bas âge que sa mère avait décidé de partir, de l’abandonner, juste parce qu’elle manquait d’air respirable ? Le pire, c’est que si elle m’avait demandé de divorcer, d’être un couple libre, de déménager à l’autre bout du monde, j’aurais tout accepter, même ce qui ne me faisait pas plaisir, juste parce que je l’aimais et parce que j’voulais qu’elle soit heureuse. J’relevais la tête vers elle alors qu’on entamait une conversation que de vieux amis qui ne s’étaient pas vus depuis longtemps auraient pu avoir. « Oh… oui j’me souviens d’elle. Caleb apprécierait sûrement oui. » Je n’étais pas sur de moi et j’arrivais pas à le cacher, pourtant c’était comme ça, j’pouvais être sûr de rien en même temps. Dire que tout ce temps Ophelia était dans une maison du quartier… A y repenser, elle devait sûrement connaître Duncan qui était mon voisin le plus proche. J’sortais de mes pensées, si j’continuais à réfléchir, mon esprit allait de nouveau se tourmenter. J’apportais ma tasse à mes lèvres pour boire un peu de café en espérant que ça me réveille. J’regardais l’heure aussi, pour le retour de mon fils, notre fils… J’relevais la tête. Elle voulait revoir Caleb et même moi, apparemment. J’savais pas si elle m’avait inclus dans le pack uniquement parce qu’elle savait que j’allais avoir du mal de la laisser seule avec Caleb ou non. Ce qu’il venait de se passer… C’était incompréhensible, ça montrait que j’me perdais dans cette histoire et pourtant j’avais à nouveau peur qu’elle s’enfuie. « Oui, bien sûr, si tu veux. » J’étais sûr la réserve, forcément car j’ignorais sur quel pied danser pour être honnête. Dans son hypothèse, elle n’incluait pas de divorce, pas le fait de vivre sous le même toit non plus, d’où ma confusion.