Elle se dit que Caleb adorerait l'endroit où elle vit. La lumière qui inonde la maison, les toiles de Robin et ses objets insolites, l'aura artistique qui règne. Ophelia s'imagine un instant tout ce qu'elle pourrait y faire avec son fils : l'initier à la peinture maintenant qu'il est plus grand, l'emmener jouer dans le jardin, lui parler de tout et de rien autour qu'un goûter rien que pour eux. Il adorerait, elle le sait .. Ou le savait ? Près d'un an qu'elle ne l'a pas vu, et Dieu sait à quel point les enfants changent vite à cet âge-là. Peut-être n'est-il plus le même, peut-être lui en veut-il de l'avoir abandonné. Après tout, ça fait des mois qu'elle n'a pas vraiment passé de temps avec lui .. Oh… oui j’me souviens d’elle. Caleb apprécierait sûrement oui. Ophelia sent qu'il veut bien faire, qu'il se contient sur bon nombre de sujets .. Mais qu'il ne peut s'empêcher d'être distant, ailleurs. Oui, bien sûr, si tu veux. Elle comprends à ce moment-là que sa question le trouble, qu'il ne comprends pas entièrement sa démarche. Elle rougit. Je veux dire .. Je ne veux pas brusquer les choses et aller trop vite .. pour vous et .. pour moi aussi. Enfin .. Je ne peux pas retourner à notre vie en Irlande, il faut que je sois honnête là dessus Ezeckiel. Je ne peux pas oublier mes rêves et ne vivre qu'à travers vous, m'effacer .. Je dois rester libre dans une certaine mesure, comme je veux que tu le sois. Je veux vraiment que ça marche pour nous, vraiment, et c'est pour ça que je préfère te le dire. Je suis prête à faire des efforts, mais il y a des concessions que je ne peux pas faire, et ma liberté en fait partie. Je ne peux pas être enfermée dans mon rôle d'épouse et de mère comme en Irlande .. Elle veut le réconforter, au début, mais les mots s'enchaînent sans qu'elle ne les contrôle vraiment. Alors .. alors je pense qu'y aller tout doucement est la meilleure solution qui soit pour le moment. Petit à petit on retrouvera nos marques, on trouvera comment composer ensemble pour que chacun trouve sa place. On trouvera une solution, qu'est-ce que tu en penses ?
J’savais pas quoi répondre, pour être honnête, tout se bousculait dans ma tête et à part regarder mon café noir en train de se refroidir dans ma tasse, j’étais pas capable de grand-chose. J’aurais du la haïr, demander le divorce, après tout, j’avais déjà fait tous les papiers nécessaires, ils étaient dans ma table de chevet, ils étaient là, soigneusement empilés et pourtant, j’arrivais pas à sortir ce dossier et à le tendre à Ophélia, pas après ce qu’il vient de se passer. J’relevais le regard vers elle, elle semblait comprendre ma détresse vis-à-vis de cette situation. Je n’étais malheureusement la personne en cause dans ces tourments, il y avait Caleb, j’devais devenir égoïste pour lui et non le contraire, j’devais pas faire attention à mes souhaits, à mon bonheur. Je sentais qu’elle voulait m’expliquer et pourtant… plus elle déballait ses mots, plus j’étais dans l’incompréhension. Sa liberté ? Ne pas s’enfermer dans son rôle d’épouse et de mère ? Voilà que la haine reprenait le dessus, voilà que j’avais envie de m’énerver contre elle. Elle était mère et elle devait assumer. En face de moi je n’avais à nouveau plus Ophélia la douce aimante que j’aimais de tout mon cœur mais la gamine égoïste qui avait besoin de filer entre mes doigts. « Allons-y doucement, oui. » C’était les lèvres un peu pincées, les mots amers que j’lui répondais. J’avais besoin de digérer tout ça. Comment j’avais pu être aussi con, penser qu’elle changerait. J’en avais marre de me faire avoir, de changer pour elle alors qu’elle n’était pas prête à faire les efforts attendus. « Je vais devoir aller chercher Caleb, on pourrait en reparler plus tard ? » C’était un peu une technique de fuite mais là, j’avais besoin de respirer, clairement.
Au final, elle a tout dit. Tout ce qui lui restait sur le cœur depuis des mois, et tout ce qu'elle avait toujours eu peur de lui avouer. Elle voit dans le regard d'Ezeckiel qu'il est perplexe, qu'il a du mal à comprendre, qu'il est déçu. Elle baisse les yeux. Aucun mot n'est prononcé, et pourtant Ophelia comprend tout : ce n'est pas ce qu'il voulait entendre, pire encore, ses paroles ont entaché le moment qu'ils viennent de partager ensemble. Pourtant, il fallait qu'elle le lui dise, qu'il sache qu'elle était prête à faire des efforts, et qu'elle les ferait d'ailleurs volontiers, s'il acceptait de renoncer à son idée de famille traditionnelle. Ils ne vivraient jamais ensemble sous le même toit, à partir chacun tôt le matin pour un job de bureau et à revenir le soir pour passer chercher le petit à l'école, à passer leur week-end ensemble devant la télé ou à accompagner Caleb aux match de foot. Ça, c'était la mort à petit feu pour Ophelia, elle voulait autre chose. Après quelques minutes de silence, Ezeckiel reprend la parole. Je vais devoir aller chercher Caleb, on pourrait en reparler plus tard ? La belle sursaute. Ah oui, oui. Je peux venir avec toi ? dit-elle, instinctivement. Elle relève la tête vers son mari et ajoute, après avoir vu l'air blessé qui trône sur son visage : Oh et puis .. Non, non non, va-y, c'est mieux, on y va doucement oui. On reparlera de tout ça, dis-moi quand je pourrais le voir. Quand je pourrais vous voir tous les deux. Elle veut voir son fils, mais elle sent que mon mari préfère être seul, alors elle avance vers le plan de travail de la cuisine, y pose sa tasse de café et va chercher le reste de ses affaires. Elle enfile sa veste et se retourne vers Ezeckiel. Je suis contente de t'avoir vu. Elle lui sourit, doucement, et se dirige vers la porte. On se revoit bientôt, d'accord ? Passe une bonne journée !
Dans mon crâne, c’était le brouillard. Ophelia venait de m’annoncer qu’elle voulait à nouveau faire part de notre vie, de moi et de Caleb, sans pour autant perdre sa liberté, sans donc pour autant assumer son rôle d’épouse de mère. J’avais l’impression d’avoir une sirène volage devant moi, elle était là, à me susurrer de douces paroles pour mieux m’entraîner vers le fond. J’ignorais ce qu’elle voulait au fond mais une chose était sûre, j’avais le droit à ma vie, j’avais le droit d’avoir mes propres choix. Caleb était mon fils, j’ai été là pour lui durant ces mois et elle non. J’avais donc l’avantage, quelque part. Si moi je rêvais d’une vie avec une femme que j’aime, vivant sous le même toit et partageant mes instants avec elle, j’en avais le droit et j’allais certainement choisir ce choix. Ophelia avait été égoïste depuis le début, peut être que maintenant, c’était à mon tour de l’être, pour mon bien et celui de Caleb, pour qu’il ait une situation stable. Mes lèvres s’entrouvraient et mon cœur se mettait à battre, en vérité je n’allais pas chercher le petit avant deux bonnes heures mais j’avais besoin de réfléchir. Heureusement, la belle changea d’avis. « D’accord, je te recontacterai. » J’étais distant, en même temps elle ne pouvait pas m’en vouloir. Je la regardais poser sa tasse et remettre son manteau et alors qu’elle attrapait la poignée de la porte, je lui répondais. « Moi aussi. » C’était un peu un mensonge car cette situation n’avait en rien arrangé mes pensées. Je me pinçais les lèvres et la saluais. C’était la première fois que je la virais délicatement de la maison et quelque chose me dit que ce n’était pas la dernière. « Merci toi aussi. » Et voilà que la porte claquait, la laissant s’évanouir une nouvelle fois dans la nature.
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