Elle court elle court la sylphide. Il peine à la rejoindre, à distancer l’impériosité candide de ses désirs. Sa bouche devient plus avide, plus intrépide aussi. Aloysius se concentre sur les vibrations de son corps, sur les parcelles de sa peau qui frémissent, lui répondent en une délicate symphonie des sens. Plus elle chancèle et plus son orgueil rugit à l’intérieur. Félin vorace il se repaît, perçoit dans chaque gémissement arraché à sa bouche un appel à continuer plus encore, sans faiblir/faillir. Le bout de ses doigts se plante dans la chair tendre de la rondeur de sa fesse, la prise se raffermit encore, sans doutes presque douloureuse. Pas autant que les supplices infligés par sa langue. Il module le rythme, a besoin au début de trouver sa propre mesure, de rassasier le désir qui le taraude lui-même. A sa demande, même si c’est lui qui l’a obligé à mettre des mots sur ses envies, il la goûte, encore et encore. Une saveur unique, propre à chaque femme. Toutes différentes, toutes pareilles aussi. Avec l’âge il a appris à connaître, étudier et expérimenter l’anatomie féminine. Assez pour en distinguer quelques rouages, pour savoir ce qu’elles sont susceptibles d’apprécier ou non. Avec Essence, tout est plus facile. Comme travailler sur une esquisse ou une toile presque vierge. Sans peine il a deviné le poids de son inexpérience. Il sait alors, sans avoir besoin qu’elle le dise, sans qu’il ait besoin de demander non plus, qu’elle ignore encore ce qu’elle aime, ou au contraire, ce qui la débecte. Jusqu’à présent il n’a pas l’impression d’ébouriffer sa sensibilité. Il se heurte à ses barrières, la pudeur par exemple, les achève une à une. Il peut enfreindre les règles de la bienséance sans honte puisqu’elle ignore, au fond, ce qu’elle attend de lui, et ce qu’il attend d’elle.
Un bruit de halètement retentit légèrement. C’est le pincement de sa bouche sur la chair sensible de son sexe, conjugué à l’eau qui ruissèle jusque dans les interstices de sa féminité. Alliage étrange, alliage singulier que celui de l’eau lustrale quasiment brûlante qui se conjugue aux fluides plus tièdes trahissant le plaisir qu’elle éprouve. Ses doigts ne tarissent pas d’éloge à l’étroitesse de son antre. Sans ménagement, alliant le geste manuel à l’intermède langoureux, il patiente, s’évertue. Jusqu’à la sentir se dilater complètement, être capable d’accueillir un autre doigt à l’intérieur. Du bout du majeur il titille avec insistance la surface rugueuse, pas plus large qu’un noyau de cerise, de son point le plus sensible. Il appuie, malmène, la voit plus incapable de contenir la fureur de son plaisir. Lui la retient, reçoit la fébrilité de son corps comme une victoire supplémentaire. Il esquisse presque un espiègle sourire lorsqu’elle lui intime de continuer, sentant en même temps ses ongles s’imprimer dans son cuir chevelu. Impatiente encore … Si impatiente. Insatiable jeunesse qui le fait tressaillir d’envie tant il aimerait retrouver cette énergie qu’il avait, autrefois, lui aussi. A défaut de la regretter il l’honore, poursuit dans un rythme plus frénétique, quitte à délaisser ses respirations au passage, quitte à s’essouffler à l’ouvrage. Il ne boude pas son plaisir, se gorge lui-même d’une envie de la prendre une fois de plus. Ou de la laisser impérieuse, pour voir de quel acabit elle est. Passive ou attentive, active ou intempestive, féline ou caressante. La curiosité qui l’anime est entière, mais magnanime. Il sait que malgré le désir brûlant qu’il éprouve, il n’aura plus la force physique de la porter à bout de bras comme tout à l’heure, de lui faire l’amour avec autant de vigueur. Les douleurs sont trop vives, ont étendu leur emprise. Il peut la subir mais peut plus difficilement s’imposer à elle avec puissance. L’adrénaline est un remède relativement illusoire et passager contre le mal qui le ronge. Et cette fois-ci, sans être vaincu, il se sait affaiblit. Pas assez pour le terrasser totalement, pour que son sexe ne réponde plus à aucun appel, assez en revanche pour qu’il ne puisse pas reprendre l’avantage et la guider avec autant de ferveur et d’impatience.
Dangereusement elle se rapproche du point de non-retour. Son cœur à lui palpite plus vite, suit le rythme frénétique de ses doigts et l’intensité langoureuse des baisers qu’il lui impose. Et puis enfin il peut cueillir le fruit de ses efforts, sent sous sa paume les spasmes qui la traversent toute entière. Il ralentit, la laisse savourer pendant que lui sent ses doigts s’humidifier plus encore. Sa bouche la délaisse pour venir se poser sur le bas de son ventre. Il dépose des baisers, ici et là, marque une mesure en decrescendo, jusqu’à s’interrompre tout à fait, jusqu’à demeurer immobile et lui accorder un temps de flottement. Le dos raide, il la libère enfin, a toujours la saveur de son intimité au creux de sa bouche. Il se redresse, de toute sa hauteur, parcourant son corps avec ses mains, remontant dans une caresse languide jusqu’à sa poitrine qu’il effleure au passage, avant de poser sa main derrière sa nuque. Là il attire son visage vers le sien, vient poser ses lèvres sur les siennes, lui réclame un baiser langoureux où il lui fait goûter la saveur adoucie de sa langue. Ses paupières balbutient un instant, il rouvre les yeux sur son image. Il ne dit rien, demeure mutique, la maintient contre lui, comme deux silhouettes suspendues au bout d’un fil invisible. Il veut lui laisser le choix de l’initiative dans l’espace intime qu’ils ont su créer. Quelle qu’elle soit, pudique ou aventureuse, il lui laisse cet interstice où se glisser, si derechef elle souhaite s’en emparer.
Ses doigts agiles, sa langue sauvage me rendaient fous. Mes jambes tremblaient, mon coeur palpitait dangereusement, ma respiration me faisait mal tant je ne savais plus comment suivre le rythme. Tête dans les nuages, mes yeux vacillaient et mon corps s'enflammait. Aloysius obéit à ma demande, pour une fois... Il m'avait demandé de dire ce que je voulais et je m'exécutais désormais sans rechigner. Le poing de sa main cognait contre mon vagin tandis qu'il insérait un doigt supplémentaire pour davantage me dilater et atteindre le point de non-retour. Mes gémissements ne se stoppaient pas, je n'avais jamais atteint cette zone, je ne savais même pas comment elle s'appelait. Le poing "G" ? Etait-ce cela ? Jambes toujours aussi tremblantes, j'allais tomber, je le sentais alors je m'agrippais comme une acharnée sur les épaules d'Aloysius tandis que des spasmes m'envahissaient et que je me voyais partir. Inconsciemment, mes jambes se serrèrent, tout s'arrêtait autour de moi. Dans ma tête, mon corps, mon esprit, mon coeur. Mes ongles s'enfonçaient dans la peau d'Aloysius et je manquais presque de tomber en avant mais je me retenais. Yeux fermés, je laissais cette chaude sensation se propager sur tous mon corps. Je me sentais humide mais si bien... Je n'entendais que les battements de mon coeur retentir, danser sur une musique folle qui me rendait toute autre.
Sa main s'évadait de mon entre jambe, ses lèvres remontaient vers mon ventre et j'avais du mal à refermer ma bouche. Elle restait entrouverte, sentant quelques gouttes d'eau s'y faire une place. L'orgasme passait petit à petit une fois qu'il avait inondé tous mon corps. Mes yeux se rouvraient doucement et je voyais Aloysius se redressait. Mes joues devaient être rougis, je me sentais fébrile, encore plus souillée que tout à l'heure mais j'aimais cette sensation. J'aimais savoir que mon corps pouvait attirer quelqu'un que ce soit Colin ou Aloysius. Cette sensation d'appartenir à quelqu'un, de ne pas avoir le choix, de devoir être guidée et apprendre encore et encore. Je déglutissais, mes bras tomber dans le vide, mon sexe était encore plus humide et il était encore moins "lavé" alors qu'il m'avait amené ici pour cela à la base, me forçant de fermer les cuisses lorsqu'il m'avait porté. Ses mains se baladaient sur mon corps et instinctivement mon regard se baissa pour voir quel chemin elles empruntaient. Il suivait les lignes de mon corps, mes hanches, mes côtes pour venir frôler mes seins durcis. Mes doigts vinrent sur mon visage pour me forcer à fermer ma bouche et à reprendre mes esprits et surtout me passer un peu d'eau dessus tant j'étais brûlante. Je remettais mes cheveux en arrière, ils étaient mi trempes, mi secs, mais qu'importe... Je n'eus même pas le temps de me poser mille et une questions dans ma tête, qu'Aloysius m'attira à lui et vint m'embrasser avec envie. Mes bras restèrent repliés contre ma poitrine et venaient caresser son torse meurtrit. Ses lèvres n'avaient plus le même goût, c'était différent.... Etait-ce donc le goût de ma propre substance ? C'était différent oui, très même mais ça ne me rebutait pas, au contraire. Je me sentais cagolée et bien. Une fois de plus, il aurait pu me laisser sous la douche et partir, mais il était encore là, à réclamer mes lèvres. Pourquoi? Je ne le comprenais pas mais là je n'étais plus en état... J'étais fatiguée, je n'avais pas dormi depuis plus de 24h, cette soirée avait trop été mouvementée... Le malaise de ma mère, ma rencontre avec Aloysius, le fait qu'il m'emmène de force dans ce taxi, que j'ai dû m'occuper de lui, le calmer pour ensuite qu'il me fasse l'amour quasiment tout le petit matin.
J'essayais de suivre le rythme de son baiser, mais je n'y arrivais plus. L'orgasme qu'il venait de me procurer avait été bien plus fort que le premier. J'embrassais à peine sa lèvre inférieure...
- Stop... S'il vous plaît, stop...
Susurrais-je contre ses lèvres. Ma tête se baissa et mes yeux étaient rivés vers le sol. Je voyais son sexe encore en érection et si délaissée mais je n'étais plus sûre de suivre le rythme... Pas encore. Et je ne me voyais pas me mettre à genou pour lui faire plaisir. Je ne savais pas comment pratiquer une fellation et j'avais bien trop peur de le blesser et/ou le dégoûter. Alors, timidement, je vins poser ma main gauche sur son sexe. Je touchais du bout de mes doigts le bout de son pénis avant de le caresser délicatement. Je voyais bien qu'il était fébrile, ses jambes n'étaient plus aussi raides que tout à l'heure et sa respiration était bien trop saccadée. Je collais mon front contre son torse, voulant juste être prêt de lui, le cagolant à ma façon. Mes lèvres tièdes vinrent se poser sur la cicatrice qui était la plus proche, ma main ne délaissait pas son sexe pour autant, j'étais plus dans la délicatesse que la réelle masturbation.
- Vous devez aller vous reposer...
Murmurais-je doucement. Ma tête remontait vers son cou et je venais déposer un doux baiser sur ses lèvres. J'étais aussi fatiguée, mais je ne savais pas où dormir. Les bus roulait déjà à cette heure-ci mais j'avais honte d'être désormais sein nu avec un shorty et mon manteau en guise de vêtement, pas en plein jour à la vue de tous. Je ne me voyais pas juste en voiture avec Aloysius, il était bien trop épuisé, il devait dormir. Je ne lui laisserais pas le choix.
- Allez dormir... Je prendrai le bus. Je vous ai empêché de récupérer... Pardon.
Je ne regrettais rien, j'avais aimé, mais là je le voyais si faible que je culpabilisais. Je lâchais alors son sexe, caressant son torse, me reculant d'un pas. Mes yeux ne savaient plus où se poser mais ils étaient comme en manque de son regard bleu glacial. Je le regardais alors, ses yeux étaient rougis, son visage plus marqué. J'avais encore plus envie de prendre soin de lui.
- Je suis désolée.
Voilà encore une excuse, clairement parler n'était pas mon fort. Il ne devait rien comprendre mais je ne comprenais rien aussi. J'avais aimé ce qu'il m'avait fait et au lieu de cela je lui disais "stop" en m'excusant.
- Oubliez ce que je viens de dire, je suis fatiguée, je dis n'importe quoi.
Je me mordais ma lèvre inférieure pour me forcer de me taire. J'avalais difficilement ma salive, recommençant à cacher ma poitrine de mes bras, tout en serrant fermement mes cuisses trempes. Je devais me laver, je trouvais cette sensation agréable mais pas hygiénique.
- Allez vous reposer.
Les rôles semblaient s'inverser, c'était moi qui lui disait quoi faire en pensant à sa santé, j'espérais juste qu'il s'exécute sans me moraliser... Même si je ne lui en voudrais pas qu'il me remette à ma place, j'avais l'habitude et ça serait donnant-donnant... Pourquoi alors, avais-je envie de m'endormir à ses côtés? Voulant être dans ses bras, au chaud, voulant sentir encore et encore ses baisers réconfortants sur ma peau... Oui, j'avais aimé ce qu'il m'avait fait, autant son côté dominant et sauvage, que son côté attendrissant qui voulait prendre soin de moi et m'aidait à m'assumer, posant des mots sur mes réelles envies.
L’insatiabilité de sa nature se réveille à l’orée de ses lèvres entre-ouvertes. Il y a son âme qui la veut encore, qui cherche à s’enivrer jusqu’à des extrêmes éminemment destructeurs. Aloysius veut arracher à sa silhouette de femme-enfant d’autres instants perdus, d’autres râles, d’autres abandons factices. Il la veut sans avoir la force de la soutenir, désespéré qui se retient sur le bord du précipice avec la conscience troublante qu’il ne pourra pas tenir longtemps. Drogué de la sensation de vide que cela lui procure, il ne sait pas si c’est elle qu’il désire, ou le mutisme de ses pensées lorsqu’il s’emploie à posséder quelqu’un d’autre. Dans les bras anonymes il oublie qui il est, ce qu’il doit, ce qu’il a fait, ce qui le martèle en permanence. Cet oubli-là est plus enivrant que toutes les drogues qu’il connaît et dont il a déjà tiraillé son corps. Son désir oscille avec la souffrance. Elle le voit peut-être, le devine. Les muscles arcboutés sur les os, le regard éteint, il est en proie aux mécanismes de la nature humaine. Homme comme un autre, son sexe réagit à ses caresses, n’épargne guère tous les autres membres qui lui crient de cesser. Quelque chose tambourine de nouveau dans son crâne. C’est son sang qui s’affole dans ses veines, pulse à un rythme frénétique. Qu’est-ce que tu fous, putain ? se répète-t-il quand sa bouche vient quérir la sienne, douce et impérieuse à la fois. Quand il va dans de tels extrêmes il se hait. Qu’est-ce qu’il cherche ? Vers quoi coure-t-il ? Dans l’amour aussi il cherche à atteindre ses limites, à avoir mal, quelque part, à sentir qu’il atteint le point de non-retour. Mais la voilà qui l’arrête, la vile tentatrice. Avec douceur, et parcimonie. Elle le torture aussi, lui demandant de cesser quand en même temps ses doigts continuent de lui infliger des caresses languides. Ses paupières se rouvrent sur son image, ses pupilles se dilatent dans des extrêmes inquiétants. Inconsciemment ses doigts viennent se lover sur la courbure de sa taille, ses longs doigts se déployant sur sa peau humide.
« Arrête alors … Sinon tu vas me rendre fou. » susurre-t-il sans expression particulière, référence à sa main toujours baladeuse.
Il n’est plus dans l’espièglerie. La fatigue l’accable, la douleur le nargue. Elle a raison, il le sait. Il pourrait la prendre encore, satisfaire le désir dont il est gorgé presque malgré lui, mais il a conscience de ce que cela lui demanderait. A elle. A lui. Quelque chose dans son attitude se modèle alors. Il se détache de l’image qu’ils ont incarné, se claquemure à nouveau dans son mutisme habituel. Comme une bulle de savon dans laquelle on plante une aiguille, la tendresse s’étiole, redevient distance. Les illusions disparaissent. Il n’éprouve pas l’envie de redevenir désagréable à son encontre, mais il peine à faire preuve de la même prévenance. Silencieux, la maintenant contre lui quelques minutes, il jauge le vide qui les entoure, renoue avec la sensation qu’il n’est à sa place nulle part, qu’il ne devrait pas être là, qu’il n’aurait surement pas dû se comporter ainsi. Quand elle relève la tête pour l’embrasser, il se fait moins passionné, plus mécanique. Ses lèvres s’entre-ouvrent à peine. La voilà qui s’excuse, encore. Bienveillance inutile. Que croit-elle ? Qu’il n’est qu’un animal ? Jamais il n’a poussé le vice en poussant dans ses retranchements une femme qui est au bout de ce qu’elle peut offrir. Il sait dealer avec sa propre frustration pour qu’elle ne devienne pas débordante. Et puis là, de toute façon, il est beaucoup trop éreinté pour lui en tenir rigueur. Ne sois pas ridicule a-t-il envie de lui répondre. Mais aucun son ne vient franchir la barrière de ses lèvres. Il la laisse se heurter à son absence de réponse, se recule à la place d’un pas, puis deux. Las, il s’empare de son gel douche, vient frotter son corps bleui par endroits. L’eau vient laver toutes les traces de leurs ébats passés. Ne reste plus rien, à part les réminiscences des sensations bientôt oubliées.
« Tiens, lave-toi si tu veux. Après viens dormir un peu, je te ramènerais chez toi dans quelques heures. »
Quand il sera en meilleur état pour conduire par exemple. La tonalité de son timbre est injonctive. Il ne lui laisse pas tellement le choix au fond. Il n’a même pas relevé son intention d’aller s’engouffrer dans un bus blindé dans une tenue pareille. Cela étant dit, et une fois totalement rincé, il sort de la douche, s’emploie à s’essuyer fébrilement avec une serviette sèche. Il en sort une pour Essence, la dispose en évidence sur le rebord du lavabo. Nu comme un ver, il fait une étape par ce qui lui sert d’armoire, en sort un tee-shirt pour elle, histoire de remplacer son débardeur molesté plus tôt, et le laisse au bout du lit. Ensuite il rejoint son matelas de fortune, s’allonge sur un côté, sur le dos, le drap remonté jusqu’à ses hanches. Un frisson le traverse de part en part. Sa respiration siffle un peu. Il essaie d’isoler dans sa tête les zones où il n’a pas mal. La sensation diffuse du désir satisfait l’aide à se calmer un peu, et avant même qu’elle l’ait rejoint, il se sent déjà partir. Quand elle arrive, peut-être même qu’il dort déjà. Ou alors non, il est dans un entre-deux, car il l’entend, quelque part, à ses côtés. Assez pour que dans un réflex mécanique, alors qu’il la pense à côté de lui, il murmure quelque chose. « Tu prends la pilule n’est-ce pas ? » l’interroge-t-il, rouvrant ses paupières d’une lourdeur affligeante. Sa conscience lui revient et avec elle, le côté pratique. Il ne s’est pas protégé … A flirté avec l’inconvenance. Il se souvient soudainement de son innocence presque naïve … Il n’est pas certain, tout d’un coup, d’avoir assuré ses arrières.
Je ne savais pas pourquoi je le touchais… J’en avais eu envie comme pour lui faire du bien, comme lui m’en avais fait. C’était devenu presque instinctif mais ça avait un côté malsain. Je lui disais d’arrêter de m’embrasser car je ne suivais plus le rythme et moi je le touchais… J’étais débile, illogique et surtout puérile. Pourquoi alors ses mots me firent sourire ? J’allais le rendre fou ? Je lui faisais autant d’effet ou alors était-ce les cachets qui le rendaient aussi instables ? Jamais je n’aurais pensé vivre cela avec lui, pas avec autant d’intensité. Ce n’était pas de l’amour non, mais j’en avais eu besoin et j’avais l’impression qu’il en avait eu besoin aussi. Comme si chacun d’entre nous avait eu cette irrésistible envie de se défouler, d’évacuer quelque chose et que cette nuit avait servi à cela. Moi ça avait été ma haine contre ma mère, cette colère en moi que je n’arrivais pas à laisser échapper, comme si à travers Aloysius j’avais pu dégager tout cela de mon corps, de mon âme même. Je lui en étais reconnaissante au fond, j’en avais envie depuis bien longtemps… Je ne faisais pas ces rêves érotiques pour rien, depuis le début, depuis que j’avais croisé son regard j’avais eu ce fantasme à son égard, l’autorité qu’il incarnait, ce côté brisé et caché qui m’intriguait au plus haut point. Pourtant Aloysius était tout mon opposé, nous n’avons rien en commun à part vivre sur la même planète sans doute…. Pourquoi alors me reconnaissais-je en lui ? Car il semblait peut-être aussi perdu que moi.
M’étant désormais reculée, je revenais me cacher ne sachant plus où me mettre. Il devait dormir, il était fragile, il tenait à peine debout même si son sexe semblait en réclamer mais je ne me voyais pas tenir la cadence… Je voulais dormir et surtout me préparer à revenir à l’hôpital chercher ma mère et finir de compléter les papiers que j’avais à peine complété vu qu’Aloysius était venu m’interrompre. Je pensais déjà à trop de chose. Il était silencieux, se contentant de se reculer à son tour pour prendre son gel douche, il commença à se nettoyer, se mettant ensuite sous le jet d’eau. Je ne savais pas où me mettre, je le regardais, là, dans un coin de cette grande douche. Je n’osais pas me laver devant lui, c’était peut-être trop intime pour moi, surtout là où je devais passer l’eau tant mon entre-jambe brûlait et était rempli de ma substance tiède qui glissait sur ma peau rougie. Je me contentais juste, tout en douceur et timidement, de prendre un peu d’eau pour asperger mon corps ici et là, ne regardant pas Aloysius jusqu’à qu’il reprenne la parole. Il m’incita de me laver et de venir dormir. Dormir où ? Dans son lit ? Avec lui ? Je me doutais qu’il allait m’obliger de rester, ça m’aurait étonné qu’il me laisse partir ainsi, mais je pensais qu’il allait me dire de prendre le canapé ou que lui allait le prendre. Je n’avais pas dormi avec quelqu’un depuis un moment. Je ne dis rien, disant juste un « oui » d’un signe de tête furtif, le regardant quitter la douche.
A peine était-il parti que je me mettais sous le pommeau de douche et je laissais l’eau si tiède et si agréable couler le long de mon corps. J’augmentais un peu sa température et je fermais les yeux. Mes cheveux étaient entièrement trempes, mon corps se réchauffait, je me sentais si bien là, que j’aurais presque pu m’endormir dans cette position. Après quelques minutes de « blanc », je regardais autour de moi, voyant la douche bien embuée mais je passais outre. Je pris le gel douche d’Aloysius, ce n’était clairement pas pour une femme mais il n’y avait que cela… Je commençais à me laver, frottant bien par endroit jusqu’à passer sur mon entre-jambe. Je fis comme un geste de « rejet » quand je sentis ma cyprine sur mes doigts. Je ne me touchais jamais, Aloysius connaissait mieux mon sexe que moi… Alors oui, doucement je commençais à me laver… Sentant mes lèvres du bas meurtris, je me touchais pour me connaître et me comprendre. Quand mon majeur passa sur mon clitoris je serrais les dents le sentant encore trop sensible et torturé par la langue d’Aloysius. C’était si étrange comme sensation mais si… Agréable. Mais je trouvais cela trop bizarre de me « toucher », là toute seule. Je retirais vite ma main, prenant le pommeau de douche en main et je passais l’eau innocemment sur mon sexe sauf qu’un petit gémissement sortit de mes lèvres. La puissance de l’eau avait stimulé mon clitoris sans que je ne m’y attende puis je laissais l’eau caresser mon vagin, c’était si agréable et si doux… Mes yeux se fermèrent quelques secondes, puis quelques minutes… Je devais arrêter. Si je revenais dans une heure il allait croire que j’avais fugué. Je reposais le pomeau de douche en me sentant désormais propre mais je culpabilisais. Je me sentais si sale… Si… Je ne sais pas. Pas parce qu’Aloysius m’avait fait l’amour mais parce que je ne m’étais jamais touchée et avoir fait cela en solitaire même si je n’avais pas eu d’orgasme, je culpabilisais. Comme si on m’observait et qu’on se moquait de mot par ma non expérience.
- Stop Essence, stop…
J’étais fatiguée, j’avais dit « stop » à Aloysius, ce n’était pas pour recommencer toute seule. Je déglutissais, stoppant l’eau, je sortais la tête de la douche et je vis qu’il avait mit une serviette blanche pour moi. Je l’attrapais, venant me sécher rapidement mes cheveux même si un séchoir aurait été plus adéquat… Puis j’enroulais mon corps fébrile de cette dernière. Je sortais tant bien que mal, essayant de ne pas beaucoup goutter et je finis par inspirer et expirer bien longuement. Il fallait que je revienne dans sa chambre, toutes mes affaires étaient là-bas. Je sortis de la salle de bain et six mètres plus loin j’étais de nouveau là où tout avait commencé. La première chose que je vis était Aloysius, allongé dans son lit, enfin… Sur son matelas. Il avait les yeux fermés. Uniquement son torse était apparent et ses cheveux étaient désormais quasiment secs, j’étais restée si longtemps sous la douche ? Je vis ensuite un t-shirt blanc au bord du lit. Ce n’était pas le mien pour sûr, je n’en avais pas, c’était donc à lui… Mais pourquoi l’avait-il posé ici ? Parce qu’il avait déchiré mon débardeur ? Je ne savais pas… Alors je me dirigeais vers là où était mon shorty, pile au pied de la console de bois, là où il me l’avait enlevé. J’essayais de rester le plus discrète possible, gardant ma serviette sur moi et je l’enfilais rapidement tout en me cachant. Je savais qu’il m’avait déjà vu nu, mais voilà… C’était instinctif… Je n’étais pas à l’aise avec mon corps même s’il avait essayé de me faire comprendre qu’il fallait que j’arrête de me cacher. Puis à peine le shorty enfilé, je sursautais de peur tandis que sa voix avait raisonné.
Ses yeux étaient difficilement ouverts et mon cœur s’emballa à sa question… Non je ne prenais pas la pilule, non… Mais allait-il m’en vouloir ? J’avais peur. Après tout je l’avais embrassé et je l’avais laissé faire sans lui signifier ce détail… Important. Mais je n’avais pas prévu de coucher avec lui, je n’avais fait l’amour qu’une fois avant cette nuit. Alors, avec l’estomac serré, je m’asseyais au bout du lit, à côté de là où il avait posé son tshirt. Sans rien dire, je laissais la serviette glisser sur ma poitrine jusqu’à qu’elle finisse sur mes hanches pour ensuite enfiler son haut. Je ne savais pas comment lui dire mais le silence qui s’était installé devait déjà répondre à ma place. Je me relevais pour poser ma serviette trempe sur une chaise, histoire qu’elle sèche et je revins sur le lit, n’osant pas passer sous les draps de peur qu’il hurle ou m’ordonne de partir par ma négligence.
- Je… Je m’en occuperai. Ne vous inquiétez pas.
Ca répondait à moitié à sa question sans doute mais assez pour qu’il comprenne que la réponse correcte était « non ».
- J’irais à la pharmacie prendre la pilule du lendemain. Il y en a une à trois rues de chez moi. Pourquoi vous ne dormez pas encore ?
Je changeais de sujet, j’en avais conscience mais je paniquais et je me sentais soudainement mal. J’avais été conscience de cela tout le long mais je devais sérieusement penser à prendre la pilule si j’avais des rapports sexuels plus réguliers… Je revoyais déjà Colin bientôt, il m’avait fait comprendre avoir envie de coucher avec moi de nouveau et je ne pouvais pas flirter avec le danger ainsi jusqu’à ma mort. Je préférais alors rester de dos à Aloysius, mes jambes étaient encore au sol, n’osant pas les mettre sur le matelas et encore moins sous les draps puis je revis ce chat. Là. Il était devant la porte de la chambre et contournait le matelas pour aller du côté d’Aloysius. Je ne disais rien, lui suivant du regard, il allait s’allonger sur mon manteau qui était au sol.
- Votre chat est mignon.
Et encore un changement de sujet… Je n’étais pas du tout à mon aise et mon estomac me serrait horriblement que j’en avais presque envie de vomir tant l’idée d’être enceinte me faisait mal au cœur jusqu’aux tripes.
La réalité se morcèle. Douce illusion à laquelle il se plaît d’avoir succombé lorsque la culpabilité ne l’accable pas. Vide de toute énergie, de toute substance, il sait que pendant quelques heures il va pouvoir dormir d’un sommeil à peu près réparateur sans se réveiller en sursaut. Le sexe, surtout lorsqu’il est intense, a cet effet là sur lui. Il le nargue, l’accapare, s’empare de ses forces pour le laisser amorphe. L’opium lui fait le même effet lorsqu’il s’enivre de bouffées salvatrices. Il adore ces instants-là. Mieux, il les chérit, sait qu’il en a besoin pour perdurer. Ce serait si facile de se heurter au problème pour le confronter. Non, lui, il préfère le fuir encore et encore. S’enliser dans ses propres travers jusqu’à y demeurer coincé jusqu’au cou. Allongé sur son lit, mutique, il rêve d’une clope coincée entre ses lèvres. La cigarette après l’amour, c’est la meilleure. Elle est presque aussi bonne que celle qu’on s’octroie avec le café du matin. Mais il n’a même pas la force de se lever, de tendre un bras pour récupérer son paquet à moitié vide/à moitié plein abandonné sur le dessus d’un meuble de fortune. A la place ses paupières s’affaissent déjà. Il lutte à peine, s’éloigne de toute notion du temps possible, si bien qu’il ne remarque même pas le moment où elle s’attarde dans sa salle de bain. Lorsqu’elle revient il oscille entre conscience et sommeil, a un sursaut de prévenance qui est davantage pour lui-même que pour elle. Non pas que l’idée de se retrouver avec un braillard le débecte, mais ce n’est pas tout à fait l’intention qu’il a eu en la plaquant contre cette console. Baiser, juste baiser, ça ne doit pas aboutir à de telles responsabilités. Il n’est pas prêt pour ça, elle non plus. Et comme il n’a confiance en personne à part lui-même, il prévoit déjà de l’emmener lui-même dans la pharmacie qu’elle évoque. Voire de vérifier qu’elle mettra bien la petite pilule magique dans son joli gosier. Même pour ça il est prêt à contribuer, à mettre la main à la pâte si nécessaire. Il sait se montrer un peu responsable quand il est motivé.
« Je t’y déposerai en te ramenant chez toi. C’est sur la route. marmonne-t-il, les paupières à moitié closes, une main à plat sur son front. Il a un peu chaud, essaie de dealer avec son sang qui cogne contre ses tempes. La douleur du coup reçu sur son crâne se réveille lentement à mesure qu’il s’enlise dans les bras voluptueux de Morphée. Il a beau avoir la tête dure, il a quand même reçu une sacrée raclée, même si l’autre n’a pas été épargné. C’est pas l’mien … grogne-t-il, déjà presque endormi, en entendant la remarque d’Essence sur le matou baroudeur. Un chat de gouttière, un peu vulgaire, un peu gueule de travers. Il a élu domicile chez lui un jour, il ne sait plus trop quand. Mais il le soupçonne, gras comme il est, d’aller manger à tous les râteliers du quartier. C’est là qu’il crèche cependant. Plusieurs fois il a essayé de le chasser, de le mettre dehors. Chaque fois il est revenu sur son balcon, à s’égosiller de miaulements hauts et forts. Alors il s’en est accommodé, de ce chat. « Le chat », c’est comme ça qu’il l’a appelé d’ailleurs. Parfois il trouve qu’il lui ressemble, avec son oreille atrophiée et sa tête balafrée par les bagarres de rues. C’est peut-être pour ça qu’il le tolère, au fond. Il sent le matou furtif glisser sous sa main qui retombe dans le vide, à côté du matelas. Aloysius ne réagit pas, le laisse faire. Il se concentre juste une dernière fois pour rouvrir ses paupières. Dors un peu, Essence. » lâche-t-il enfin, phrase injonctive encore. Ses babillements lui donnent le tournis, et il n’est pas trop en état d’entretenir une conversation digne d’un thé entre copines, à l’heure actuelle.
Pas le temps de le dire que déjà il dort. Il roule sur le côté, repose sur le flanc droit. La position rend sa respiration plus sifflante. Sa peau blanche se recouvre de légers frissons : dans l’obscurité de son sommeil sans rêve il se refroidit, vient quérir inconsciemment la chaleur qui rode à ses côtés. Son corps se love, son bras s’accapare. Sans s’en rendre compte il renoue avec des mécanismes bien connus autrefois, mais dont il ne gratifie que rarement ses conquêtes de passage dans la mesure où il dort rarement avec elles. Un bras calé autour de sa taille, il se rapproche, la nudité de son corps fatigué et meurtris contrastant avec le sien, recouvert du vêtement qu’il lui a prêté. Farquharson ignore combien de temps il demeure ainsi. Deux heures, peut-être trois. Mais il finit par être éveillé par un bruit de klaxons au dehors. Ses yeux se rouvrent brusquement, se heurtent à la vision d’une Essence endormie. Tout à coup il réalise, sent un malaise l’étreindre. Les choses reprennent leur cours dans sa tête, l’illusion se meurt. Il n’aurait pas dû. Il le sait à présent. Alors il redevient l’être froid et acariâtre qu’elle connaît, quoiqu’au tempérament adoucit par la fatigue qui le tiraille toujours. Il la libère de son joug intempestif, se recule, s’assied avec lenteur sur le rebord du lit, masse ses tempes douloureuses.
« Fhalbh … murmure-t-il pour lui-même, éprouvant la même sensation qu’une gueule de bois abominable. De celles qui peuvent détrôner ses lendemains de cuites. Nu comme un ver, il se lève, étire sa nuque, va passer quelques vêtements en silence avant de revenir vers la jeune femme. Il s’assied sur le bord du lit, l’observe un instant, belle endormie. Ses doigts viennent effleurer son visage, se reculent. Non, il n’aurait pas dû. Essence … Réveillez-vous, je vais vous ramener. » La distance est revenue, semblable. Les illusions s’étiolent, perdues. Il n’est plus capable d’être celui qu’il a été le temps d’un soupire. Il n’est plus capable de rien, à part d’entreprendre ses mécanismes habituels. Ceux qu’elle débecte, ceux qui le font s’aigrir.
J’était à moitié dans les vapes ça se sentait et s’entendait surtout à sa façon de parler. J’arrivais à peine à le comprendre, à dissocier chacun de ses mots. Il voulait m’y déposer, à sa place j’aurais fait pareil. Il voulait sûrement être rassuré que je prenne cette pilule sans prendre le risque de se retrouver papa, surtout avec moi. Je ne voulais pas devenir maman, pas maintenant, pas comme ça, ma vie serait gâchée. Je n’étais même pas encore revenue à l’hôpital, je n’avais pas fini mon internat, je vivais encore avec ma mère, je n’avais aucun revenu fixe, non, non, non… Puis surtout le point principal, j’étais célibataire, personne ne m’aimait. Du moins… Personne n’était amoureux de moi. Colin ? Non, il voulait juste coucher avec moi et je voulais cela aussi. Je l’admirais, j’avais fantasmé sur lui bien longtemps.. Mais ce n’était pas de l’amour… Aloysius ? Encore une autre forme de fantasme incarnant une autorité qui m’exaspérait et m’intriguait à la fois. AU fond, je ne connaissais ni l’un, ni l’autre et eux me voyaient comme Essence la fille meurtrie par une père tortionnaire. Qu’avaient-ils trouvé d’excitant en moi ? Là, de suite, j’étais perdue, sur ce matelas trop près du sol…
- D’accord… Merci.
Répondis-je à ses mots concernant la pharmacie. Je ne savais même pas avec quoi payer cette pilule, j’espérais avoir assez avec le peu de monnaie que j’avais sur moi, je ne voyais pas Aloysius me payer « ça », pas encore, il avait déjà payé pour nous deux le taxi et il allait encore dépenser de l’argent indirectement en me ramenant chez moi avec sa voiture.
Un silence s’installa, j’entendais juste les pas du chat, non loin de là et la respiration saccadée d’Aloysius. Ses côtes devaient lui faire mal et la douleur devait être plus omniprésente désormais puis il brisa ce silence me certifiant que ce chat n’était pas le sien et qu’il fallait que je dorme, encore un ordre. Dis gentiment, mais à croire qu’il avait pris cette habitude avec moi et je n’avais jamais cherché à le défier. Oui je pouvais crier, dire « non » mais à la fin de chez fin je succombais car ça m’arrangeait peut-être au fond ou que ça avait un côté rassurant. Je ne savais pas trop… Ma mère me donnait pourtant plusieurs ordres m’interdisait tant de trucs et ça me brisait mais là… C’était différent avec Aloysius, je ne savais même pas comment décrire « ça ». Il m’avait dit tenir à ma « vie » voulant me protéger de ce Diablox9 mais au fond il ne faisait pas ça pour moi mais pour lui… J’étais perdue. Je ne savais plus penser correctement. Pas maintenant où tout se mélangeait dans ma tête.
Sans dire un mot, je passais mes jambes nues sous les draps, je m’allongeais sur le flanc droit, ma tête vers l’armoire, dos à Aloysius. J’avais ramené la couverture jusqu’à ma poitrine, je sentais encore mes tétons pointés sous le tshirt qu’Aloysius m’avait prêté, j’en avais honte. A croire que juste sa présence faisait réagir mon corps sans rien que je demande. J’éteignis la lumière du bout de mes doigts en tendant un peu le bras, uniquement le soleil à travers les volets illuminait la pièce. Mes paupières se fermèrent toutes seules, au début je me reposais, fermant les yeux, j’avais encore toute ma tête ou presque, vacillant entre rêve et réalité jusqu’à que je sente le bras d’Aloysius venir se poser sur ma hanche. Je rouvrais mes yeux sur le coup, ça devait faire trente minutes qu’on avait décidé de dormir mais j’étais tenace. Peut-être car j’étais inondée de questions dans ma tête et que mon corps tremblait encore de passion. Je me mordis ma lèvre inférieure, me forçant à ne pas tenir compte de ce geste, à sa respiration ça s’entendait qu’il dormait, il avait déjà dû oublier qu’il n’était plus seul ce soir, alors je le laissais et ça avait un côté réconfortant. Petit à petit j’entendais le marchand de sable arrivait, ma main droite vint se blottir sur le bras chaud d’Aloysius en guise de « doudou », comme si son bras était une de mes peluches qui m’aidaient à ne pas me sentir seule dans mon pays des merveilles. Mes doigts venaient même à caresser son bras, là, tout doucement et juste à l’aide de ces petites caresses, je finissais enfin par m’envoler, une bonne heure après « notre heure de sommeil prononcée. »
Je dormais pleinement, j’étais bien, reposée, ailleurs. Je ne savais pas de quoi je rêvais je me sentais juste apaisée, relaxée. La fatigue m’avait achevé et le marchand de sable m’avait emporté dans son sahara enchanté. J’étais à des années lumières de la réalité, le sommeil profond m’avait eu jusqu’à que je sente une aura particulière m’envahir, embuer mon sommeil si précieux. J’entendais une voix, si lointaine mais si proche à la fois. Une voix grave qui ne m’était pas si inconnue et là des doigts sur ma peau me firent entrouvrir les yeux. Ma vision était floue, ce contact fut bref, je ne reconnaissais rien autour de moi. Mes yeux ne savaient pas s’ils devaient rester ouverts ou se refermer. Je marmonnais, je fronçais les sourcils, je cachais mon visage de quelques mèches de cheveux qui tombèrent toutes seules mais quelque chose m’empêchait de plier mes jambes à ma guise.
- Je suis fatiguée…
Je ne savais pas à qui je parlais, ou ne savais plus devrais-je plutôt dire mais je me forçais à rouvrir mes yeux et la silhouette floute d’Aloysius m’apparût et tout me revint en deux secondes.
- Il est quelle heure ?
Demandais-je tant bien que mal. Je n’avais clairement pas assez dormi, j’étais encore plus fatiguée vu qu’il avait interrompu mon cycle de sommeil. Une main maladroite sortit des draps et se posa sur le bord de ses doigts. Il avait la main à plat sur le matelas et mes doigts étaient venues la chercher sans savoir qu’elle se trouvait à cet endroit précis.
- Laissez-moi dormir encore un peu s’il vous plaît…
Je n’avais pas la force de le combattre, d’aller à la pharmacie ou de revenir à l’hôpital, mon cerveau et mon corps réclamer encore une ou deux bonnes heures de sommeil au minimum. Je me mis sur le dos, laissant ma poitrine apparaître sous le t-shirt d’Aloysius, je sentais encore mes tétons frotter ce tissu mais là j’étais bien trop fatiguée pour chercher à tendre les draps jusqu’à mon menton pour couvrir ce semblant de pointage.
Loin de la réalité il navigue, marin solitaire sur les eaux lustrales d’un onirisme sans rêves. Lorsqu’il s’éveille, pendant un temps trop long, plus rien n’a de sens. Il peine à rassembler les idées qui l’assaillent, à dealer avec les images qui s’impriment devant ses rétines dilatées par la pénombre. Un rayon de lumière passe sur ses traits blafards. Son arcade sourcilière le tiraille un peu. Avec ses doigts il suit les contours anguleux de son visage, trouve ses joues bien creuses. Il a une faim de loup, mais en même temps des aigreurs rendent brûlant son estomac vide depuis des heures. Des souvenirs imprécis de la nuit passée défilent dans sa tête. Il était au bar, ça oui, il s’en souvient. Il avait soif. Mais après ? Que s’est-il passé ensuite ? Il a oublié, ne se rappelle que de l’odeur de bière et de tabac mêlés. De la puissance des coups qu’il a reçu avec passivité aussi, avec cette envie puissante de rire lorsqu’il aurait dû se désoler. Et puis la rage, prédominant dans son ventre. Le besoin de se défouler, l’instinct qui pousse à détruire, encore et encore et encore jusqu’à faire disparaître. Un soupire sous-tendu le traverse de part en part, soulève sa cage thoracique douloureuse. Une présence à ses côtés le chatouille, un parfum dont il met un temps trop long à se rappeler les effluves le nargue. Des cheveux bruns ondulent sur l’oreiller à ses côtés. Essence, putain. Il a failli oublier.
Aloysius se lève, s’agrippe à ce qui lui reste d’énergie pour se motiver. Qu’est-ce qu’il a fait, bordel ? Baiser une gamine. Se dire que ça sera sans conséquences. Que la grande fille qu’elle est oubliera bien vite comment monsieur l’inspecteur, en charge normalement de veiller à sa sécurité, a su s’approprier tel un vulgaire diablotin les parties les plus secrètes de son intimité. Pendant quelques minutes il l’observe en train de dormir, lui trouve une innocence qui contraste largement avec l’image qui lui revient d’elle, dans un flash, lorsqu’il la prenait sans ménagement sur la console en bois de son entrée. L’écossais déglutit, sent sa gorge sèche, pâteuse, presque âpre. Il ne peut pas nier qu’il a apprécié, qu’il pourrait songer à récidiver. Mais cette idée-là s’installe dans sa tête comme un fantasme, pas comme une réalité qu’il a envie d’embrasser de nouveau. A l’heure actuelle, sa conscience des choses le fait sursauter. Jamais il ne va si loin d’habitude lorsqu’il enfreint les règles qu’il s’impose. Ramasser les pots cassés, limiter les dégâts, c’est tout ce qui lui reste à présent.
« Non. Lève-toi, j’dois passer au bureau. répond-il, voix sèche, voix irritante. Sans égards pour la belle au bois dormant qui a élu domicile dans son lit, entre vouvoiement et tutoiement il oscille, ne sachant comment la considérer. Il voit ses doigts fureter sur le matelas, s’appesantir sur les siens. La tendresse dont il a su faire preuve se morcèle, disparaît derrière l’habit d’homme acariâtre qu’il a revêtu en s’apercevant qu’elle en avait déjà trop vu. Avec lenteur il retire sa main, se hisse sur ses jambes. En biais il se fait observateur, caresse avec inexpressivité sa silhouette lascive du regard. Putain. Son regard s’attarde sur sa nuque, sur la lisière de ses seins qu’il devine sous le tee-shirt qu’il lui a prêté. La vision d’Aphrodite le laisse incertain quelques secondes mutiques. Et puis il se reprend, s’inflige une gifle mentale qui se matérialise en vrai par un geste sec : il attrape un pan de la couverture qui la recouvre jusqu’à la taille, tire. Dépêche-toi, j’ai pas de temps à perdre. » ajoute-t-il, vindicatif. Et puis il disparaît de la chambre, sans autre forme de procès.
J’étais fatiguée, je voulais au moins dormir une heure ou deux heures de plus. Ma tête chavirait, mon âme flottait dans les airs sans savoir où se poser, mon corps se réchauffait sous ces draps et cette couette malgré le matelas qui n’était pas à la hauteur du mien. Yeux de nouveau fermés, je restais immobile, écoutant à peine la voix d’Aloysius comme s’il était déjà un lointain souvenir alors qu’il était tout près.
Dans mon monde j’étais, dans ma sphère unique, yeux clos, apaisée, soulagée, décontractée. Je sentais ma poitrine encore durcir se soulever doucement sous ma respiration plus que calme et délicate mais Aloysius me frit froncer les sourcils. Je sentis qu’il s’était levé brutalement et sans même que je n’eus le temps de dire quoique ce soit, il enleva les draps pour les mettre au pied du lit. Je laissais mes jambes nues à sa portée mais j’entendis des bras quitter la pièce. Je me retournais, je me mettais en boule sur moi-même, me mettant de dos à la porte d’entrée de la chambre. J’avais froid soudainement mais bien trop fatiguée pour me redresser et remettre les draps sur moi donc cette solution me semblait appropriée à la situation.
En boule, mes cheveux recouvraient mon visage que j’agrippais doucement de mes doigts fins, je sentais la chaleur de mon corps m’aidait à me réchauffer mais rien ne valait des draps et une bonne vieille couverture. J’entendais du « brouhaha » autour de moi mais Morphée n’était jamais trop loin. De nouveau je me perdais entre réalité et fiction, venant jusqu’à sentir une présence poilue à mes pieds que je faisais fuir aussitôt. Ca devait être ce chat qui rodait sans avoir élu domicile ici si j’avais bien compris. Je me mettais alors sur le dos, enfouillant ma tête dans cet oreiller qui réconfortait et berçait ma tête depuis ce début de matinée agitée. Le tshirt d’Aloysius m’allait grand et m’allait jusqu’en dessous des fesses même si mon shorty devait ressortir mais là je me contre fichais de la tenue que j’avais, la fatigue m’était primordiale alors je me disais « cinq petites minutes… » mais dès que j’osais piquer du nez je perdais toute notion de temporalité.
Je « grognais » si je puis dire, faisant mine de dire « oui oui j’arrive » mais vu la position abordée je semblais plus prête à redormir encore une nuit entière que de me lever, aller à la pharmacie puis à ma maison, me changer et revenir à l’hôpital compléter les papiers de ma mère pour la faire revenir à la maison. Le taxi allait me coûter un bras, encore… L’aller c’était en bus mais le retour… Jamais ma mère ne voudra prendre le bus dans son état.
Mes sourcils se fronçaient encore, à croire que c’était fait machinalement désormais. Je n’étais pas chez moi, j’étais chez Aloysius et je me permettais de « dormir » et de prendre la place entière de son matelas comme s’il s’agissait de mon lit. J’étais ridicule mais tellement épuisée que le corps l’emportait sur la raison.
J’empoignais le coussin du bout de mes doigts, une jambe resta tendue et l’autre se plia sur le côté. Le matelas était mien, je revoyais le Sahara non loin de là où le marchand de sable était encore prêt à me cueillir dans ses bras. L’odeur d’Aloysius enivrait mes narines et mon âme et je sentais mes seins réagir à cette odeur, à ces souvenirs pas si éloignés que cela. Ses lèvres sur ma peau, son sexe puissant en moi, ses mains s’appropriant mon corps.. Non, je ne devais guère penser ainsi et pourtant, même dans mon subconscient, j’y pensais encore, comme si ça m’aidait à m’endormir pour rester auprès de Morphée, ne voulant pas revenir à la réalité. Ma mère, un Aloysius froid et bipolaire sur les bords, l’histoire de la pilule vu notre rapport non protégé, non… Je voulais dormir, alors oui, je me perdais sur ce matelas, avec ce simple oreiller blottit contre ma joue rosée.
Comme un con il reste statique, à la regarder. Putain, elle est sérieuse, à ne pas se lever ? Un soupire le traverse de part en part, le même que celui qui étreint les parents désœuvrés face à leur adolescent en pleine crise, qui s’octroie des nuits jusqu’à des heures indues de l’après-midi. Farquharson analyse la situation d’un regard fatigué. Une part de lui rêve de se rallonger. Qu’elle soit là ou non, peu importe. Dormir un peu, récupérer cette énergie qui lui manque terriblement. Et puis d’autre part il y a sa conscience qui se réveille : il doit passer au bureau, récupérer quelques dossiers. Il ne peut s’octroyer le luxe de déserter quand ça lui chante, même si l’idée est souvent plus que caressante. La mauvaise humeur le gagne avec lenteur mais efficacité. Dans quel pétrin s’est-il encore fourré ? Ses canines infligent une morsure à l’intérieur de sa bouche. Il mordille la chair tendre sous ses lèvres, serre jusqu’à sentir la douleur l’effleurer. Durant une seconde mutique il l’observe, l’endormie. Ses yeux remontent le long de ses chevilles, caressent l’intérieur des cuisses jusqu’à la lisière de son shorty. Sa salive devient âpre dans sa bouche. Comme suspendu au bout d’un fil, il poursuit son ascension, se confondant dans un voyeurisme dérangeant. Ses prunelles suivent le galbe de ses fesses, remontent le long de son échine. Bordel. Depuis quand il n’a pas eu le droit à un tel spectacle à son réveil ? L’inconscience alanguie du sexe faible, c’est ce qu’il y a de plus beau à contempler selon lui. Et il la regarde, encore, et encore, jusqu’à s’apercevoir que les pensées qui le taraudent encore à son sujet sont tous sauf religieuses. S’il revenait se lover derrière elle, le galbe ferme de ses fesses oppressé par son bassin insatiable, qu’en dirait sa culpabilité ? Qu’en dirait sa conscience aussi ?
Aloysius déglutit enfin, submergé par une vague de rage tournée vers sa propre faiblesse. Il a toujours été facile à convaincre. Etant jeune, il ne boudait pas son plaisir lorsqu’il s’abandonnait entre des cuisses anonymes. Jamais il n’avait été infidèle pourtant. Avec Aghna, l’envie ne s’était jamais présentée tant il ne s’imaginait plus faire l’amour avec une autre femme qu’elle. Tout était différent à présent. D’ailleurs, faisait-il l’amour à ses conquêtes ? Est-ce qu’il avait fait l’amour avec Essence ? Non. Il l’avait baisée. Avec une brutalité presque dévorante. Il avait voulu la voir trembler, la voir vibrer entre ses bras. Un besoin impérial, malsain, orgueilleux. Il s’était soucié de son plaisir, c’est vrai, mais pas dans le but de lui offrir quelque chose, non. Dans le but de se repaître du sentiment gonflant que cela avait fait naître en lui, redorant son orgueil au passage, le submergeant d’illusions qui ne dureraient que le temps qu’il trouve une autre fille pour s’oublier. Un râle d’insatisfaction de la voir se rendormir le traversa, il balaya toutes les idées qui le taraudaient pour s’avancer, empoigner le drap, tirer d’un coup sec.
« Ecoute-moi bien, j’ai pas de temps à perdre. T’as deux minutes pour sortir de ce plumard, t’habiller et me rejoindre au rez-de-chaussée dans la voiture. » Il balance sur le côté le drap, se complaît dans une tonalité abrupte. Quelques secondes plus tard on entend des froissements de tissus, des clefs qui s’entrechoquent : il vient de passer une veste, ses chaussures. Il est déjà en train de sortir de l’appartement, dévalant les escaliers. Sur le trottoir, son premier réflex est de sortir une clope du paquet écrasé dans sa chope, et d’en coincer une au bord de ses lèvres. Il n’a aucune idée de l’heure qu’il est. Il s’en fout un peu, à vrai dire, alors qu’il se dirige vers sa voiture garée en créneau le long du trottoir.
Je me perdais, j’étais perdue, à mi-chemin entre le rêve et la réalité mais sa voix refit surface et me fit sortir de cet espace-temps si agréable. J’ouvrais de force les yeux, j’écoutais à peine ses mots me concentrant davantage sur le ton employé, il était énervé et pressé, revoilà le Aloysius d’avant et une part de moi avait mal au ventre. Oui je savais que cette nuit ne voulait rien dire mais j’avais cru voir une facette d’Aloysius qui m’avait plût. Un Aloysius attentif, à l’écoute, qui veut faire plaisir à autrui mais encore une fois ce n’était qu’une illusion. Je me relevais tant bien que mal, me mettant sur le côté pour finir par m’asseoir sur ce matelas… J’avais mal au cœur désormais. Je regardais mon état physique et j’avais honte d’un coup. Je continuais de dévisager le paysage, je voyais mon manteau au sol, mon débardeur déchiré, ce fameux meuble où on avait… Non. C’était fini, une bêtise, voilà. Il avait eu besoin de se défouler et j’avais été là… Je finissais par me mettre debout, mes jambes étaient tremblantes. Je ramassais mes affaires ne sachant pas quoi faire concernant son haut, je devais le garder ou voulait-il que je lui rende de suite ? Je soufflais et décidais de le garder, je remis mon manteau sur les épaules, mes baskets aux pieds. Je ne voulais pas m’attarder sur les lieux. J’allai à la salle de bain pour voir l’état désastreux de mon visage et ce n’était pas beau à voir. J’étais cernée, cheveux en bataille, yeux légèrement rougis à cause du manque de sommeil.
- Qu’est-ce que j’ai fait ?...
Je ne savais pas si je devais pleurer ou non. Non, non, je ne regrettais pas… Aloysius avait su… Me faire plaisir, c’était très bien mais en quinze jours j’avais fait l’amour avec deux hommes, sans protection et sans avoir de relation sérieuse au final. Je revoyais Colin dans quelques jours et je n’avais jamais imaginé les choses… Ainsi. J’étais consentante, je voulais apprendre et rattraper mon retard, je voulais faire sortir ma mère de ses gongs mais là un élan de culpabilité m’envahissait… Si Aloysius avait été plus tendre au réveil peut-être que je ne me poserai pas autant de questions. Je soufflais et me mis de l’eau tiède sur le visage. Mes yeux dérivés sur le côté et je vis le dentifrice d’Aloysius, sans hésitation je le pris et m’en versa sur le doigt pour venir frotter tant bien que mal mes dents. C’était bête, je le savais bien mais si je devais parler à une pharmacienne… Puis même c’était psychologique. Je me rinçais la douche, finissant par m’essuyer à une serviette non loin. Je pris mon sac où se logeait mon vieux 3310 depuis hier soir et j’avais plusieurs appels manqués. Je fronçais les sourcils et je vis que c’était l’hôpital. J’écoutais les messages vocaux et il s’agissait de l’infirmière qui était à charge de ma mère. On avait dû l’opérer cette nuit suite à des complications et que l’opération s’était bien déroulée. Elle devait juste récupérer et donc son séjour à l’hôpital était rallongé de quelques jours. J’en avais les larmes aux yeux. Toute la nuit j’avais pensé à provoquer ma mère, laissant Aloysius me prendre comme il voulait alors qu’elle était au plus mal sur un lit d’hôpital. Je retenais mes larmes, je devais rejoindre Aloysius et il devait se contre ficher de ma santé désormais qu’il était redevenu… Normal.
Je quittais son appartement, claquant la porte derrière moi. Je n’avais pas les clés pour fermer mais ce n’était pas mon problème. Je descendais lentement, tête baissée. Je croisais quelques voisins qui me dévisageaient lourdement, me zieutant de bas en haut puis de haut en bas. Cheveux en bataille, yeux rougis de fatigue, manteau peu avantageux qui me couvrait à peine, laissant plus mes jambes nues apparentes qu’autre chose… J’accélérais le pas, atterrissant vite au rez-de-chaussée. Je voyais Aloysius fumait à l’extérieur, faire les cent pas, impatient qu’il est. Il allait encore me sermonner sur mon regard, m’ordonner de monter dans sa voiture et me taire. Ses excuses ? Trop mal à la tête, fatigué, qu’il n’avait pas que ça à faire, déjà trop de temps perdu… Je voyais déjà ces jolis mots atterrir sur mon visage. J’ouvris la porte sans dire un mot, je regardais Aloysius qui était dos à moi, ma gorge était nouée.
- Je suis là.
Petite voix, voix du matin ou du midi devrais-je plutôt dire. Mes yeux devaient être encore plus rougis, j’avais envie de pleurer par rapport à ma mère et à ma soudaine culpabilité de cette nuit bien trop agitée mais forte agréable… Trop agréable. J’avais aimé cette violence, cette spontanéité, ces positions, tout… Je m’en voulais. Est-ce que j’avais un problème, était-ce normal ? Je croisais mes bras sur ma poitrine, honteuse, sentant encore mes tétons me chatouiller.
- Vous pouvez me laisser chez moi, j’irais à la pharmacie toute seule… Je n’ai pas besoin de vous pour… Ca.
On avait repris nos rôles initiaux, les dés étaient lancés.
Sur le trottoir, Farquharson s’impatiente. Tous les bruits de la rue l’assourdissent. Il ferme les yeux, se concentre sur le craquement de la molette du briquet qu’il vient d’allumer, et porte à présent au bout de la cigarette qu’il a coincé entre ses lèvres. Quelle heure est-il ? Il n’en a pas la moindre idée. Midi, peut-être même davantage. Trop de temps perdu une fois de plus. De temps précieux, de temps qu’il a tendance à gaspiller plus que de raison depuis quelques temps. Ses poumons se gonflent de l’air toxique chargé de nicotine. Un brin vacillant, pendant quelques instants il contemple les aspérités du bitume, se souvient de la morsure de ce dernier lorsque son crâne martelait le sol. Les secondes mutiques où il ne dit rien et observe sont sans doutes trop longues, car il en oublie même de tirer une latte sur sa clope qui se consume toute seule dans le vide. Il faut que la voix d’Essence bruisse de nouveau à son oreille pour qu’il s’éveille. Dans une posture de léger repli jusqu’alors, Farquharson se redresse comme il peut. Il aurait dû négocier un stock d’antidouleurs en quittant l’hôpital, mais sur le coup, il n’y a pas pensé. Il ne sait même pas où il a fourré l’ordonnance que l’infirmière lui a filé. D’instinct il a le réflexe de tâter la poche intérieure de sa veste. Portefeuille. Clefs. Pliée, il sent sous ses doigts une feuille, la tire. Rien à voir avec ce qu’il recherche. Merde. Peu importe.
« Je dois y passer aussi. Autant tout faire en même temps. » réplique-t-il sur un ton sec, sans ménagement. Son mégot faire une envolée sur le trottoir, rejoint le caniveau. Par réflex, il regarde autour de lui, comme si quelqu’un était susceptible de l’observer en permanence, puis il ouvre sa voiture garée le long du trottoir. « Monte. » lâche-t-il encore sur un ton impératif, claquant la portière derrière lui après s’être installé sur le siège conducteur. Il n’attend pas qu’elle ait mis sa ceinture, fait vrombir le moteur. Dans sa bagnole, un girofar de flic amovible trône sur le tableau de bord. Avec des papiers de clope à rouler, un peu de tabac. Il sait qu’il a une arme dans le vide-poche, au cas où. Mais Essence n’ira pas fouiner par-là, en théorie. Sur la route il s’engage, enrage contre deux ou trois autres bagnoles dont les conductrices ont du mal à maintenir le pied sur l’accélérateur. Il n’est pas misogyne d’habitude, pas trop du moins, mais il trouve quand même que le permis de conduire devrait être interdit à une partie de la gent féminine. Quant à sa conduite à lui, elle est un peu nerveuse, presque sanguine, réflexe d’un homme qui aime la vitesse et qui s’adonne aux courses automobiles de temps à autre. Dix minutes plus tard, il est déjà entrain de faire une manœuvre pour se garer à proximité de la pharmacie. « Reste là, j’y vais. » lui intime-t-il, pas le moins décontenancé du monde. Si seulement c’était la première fois qu’il s’adonnait à ce genre de pratique. Il devrait presque en avoir honte, mais n’en a pas la force. A la place il sort de la voiture, disparaît derrière la porte de la pharmacie pour ne ressortir qu’une quinzaine de minutes plus tard avec son poids en antidouleurs, et la pilule miracle. « Tiens. » dit-il en lui donnant la boîte qui lui est destinée. « Ça te dérange pas si je fume dans la bagnole ? » ajoute-t-il, mais avant même d’avoir obtenu une réponse, il entrouvre la fenêtre, et s’en coince une autre entre les lèvres. « Si t’as envie d’avoir des relations épisodiques avec des mecs différents, tu devrais songer à une contraception plus efficace que ça. Ça bousille ton corps, ces merdes. » dit-il, songeant bien sûr à cette pilule du lendemain dont certaines gamines abusent jusqu’à se retrouver presque stériles arrivées à l’âge adulte. « Bien sûr ça protège pas du reste, mais je t’apprends rien. » ajoute-t-il. Quart heure pédagogie sexuelle. De quoi la mettre dans un confort absolu.
Encore des ordres, encore et toujours mais j’étais fatiguée. Je ne me voyais pas me rebeller, le contredire, là je voulais dormir, m’enfermer chez moi… Ma mère était à l’hôpital, elle allait mal, très mal et moi je m’étais laissée baiser toute la nuit par pur plaisir sadique. Je ne disais pas un mot, je le regardais jeter sa cigarette avant de se diriger vers la voiture. Je montais sur le siège passager et le silence s’installa. J’entendais juste le bruit de la circulation, le moteur de la voiture d’Aloysius qui vibrait sous ses pieds. Il était nerveux au volant et je n’étais pas à l’aise avec sa conduite, mais là, je préférais baisser les yeux, je tenais juste aux creux de mes mains mon vieux nokia 3310, en attendant que l’hopital rappelle. Je m’attendais à tout désormais. Ca servait à rien de se confier à Aloysius, il s’en fichait, il était énervé.
On arriva devant la pharmacie, je défaisais ma ceinture mais il m’ordonna de rester ici, qu’il s’en chargeait. Il avait peur que je ne la prenne pas, c’était cela ? Je le regardais de mes yeux bleus rougis, avec l’envie de pleurer, puis je rabaissais la tête, le laissant sortir de la voiture sans dire un mot. A peine partit, des larmes coulèrent, là, doucement. Je serrais fermement mon téléphone dans mes mains et je parlais à voix basse.
- Pardonne-moi maman…
C’était ridicule, puérile, mais je culpabilisais.. Culpabilisais car j’avais aimé et que je serais prête à recommencer. Je n’avais personne à écrire, appeler, May travaillait et je ne voulais pas la déranger là-bas, je savais que c’était déjà tendu entre elle et son patron. Je déglutissais et en un rien de temps, Aloysius était de nouveau à côté de moi. Je ne prenais même pas la peine de le regarder, je réceptionnais à peine la boîte qu’il m’avait lancé sur mes cuisses. Même pas un « merci ». Je me contentais de la prendre dans mes mains pour revenir regarder le paysage. Je trouvais juste bizarre qu’il ne démarrait pas encore, au lieu de cela il me demandait si ça me dérangeait s’il fumait. Je relevais mes yeux, il avait déjà entrouvert la vitre, sa cigarette callée entre ses lèvres.
- Non.
Fis-je doucement avant de détourner le regard une nouvelle fois puis la conversation prit une toute autre tournure. Pourquoi s’intéressait-il à ma vie sexuelle ? Avait-il peur d’attraper quelque chose ? Je soufflais en remettant une mèche derrière mon oreille.
- Je n’ai couché qu’une seule fois avant vous… Vous êtes ma seconde… Expérience.
Peut-être cela le rassurait-il, je n’en savais rien, j’étais si fatiguée.
- Je suis interne à l’hôpital, vous n’êtes pas mon père, pas besoin de me faire la morale sur comment se protéger… Pensez à avoir des préservatifs chez vous à l’avenir si vous renouvelez l’expérience régulièrement, toutes les femmes ne sont pas sûres.
Moi aussi je voulais le « piquer ». Mais là, de suite, je voulais juste rentrer chez moi, oublier cette nuit, m’enfermer dans ma chambre, prendre une de mes peluches et espérer me réveiller demain en me disant que tout cela n’était qu’un horrible rêve… D’abord Colin, une seule fois… Puis là Aloysius. Etais-je ce qu’on appelle « une pute » désormais ?