C’était évident que j’allais inviter Isaac à m’accompagner ce soir. Prétextant l'excuse parfaite de son anniversaire qui avait eu lieu à quelques jours d’intervalle, il n'avait pas pu dire non à la paire de billets que j’avais brandis sous son nez, résultat de mon plus récent passage à l’hôpital. Justine et Daisy, toutes deux infirmières en pédiatrie et ayant côtoyé Noah pendant de longs mois l’an dernier, avaient pensé à bon de me filer les tickets, comme un clin d’oeil à mon fils, à son séjour dans la 214, à tous les moments qui avaient ponctué le pire. Le truc, c’était que ce musical auquel j’avais bien évidemment confirmé ma présence d’un sourire avait une signification toute particulière pour Isaac et moi ; à savoir que Noah nous avait baratiné avec les chansons les unes après les autres, chantées de tous les tons, et encore plus suppliées d’être mises à l’écran entre un examen et une prise de sang. The Wizard of Oz était devenu une drogue pour le bambin, et là, j’exagérais à peine. Il connaissait chaque personnage par le plus infime des détails, accordant des pages et des pages de ses cahiers à colorier à les dessiner sous tous leurs angles. Toto l’avait inspiré à user de son regard d’enfant battu pour supplier Edward de se prendre un canin pour qu’il puisse le câliner et l’entraîner avec lui dans toutes ses aventures. Au fil des mois, Noah avait même perfectionné son rire de wicked witch, attendant planqué sous les draps lorsque ses forces le lui permettaient, que je passe la porte de sa chambre pour me filer une frousse sans nom en rigolant, protégé par le tissu. L’infirmier avait eu lui aussi son lot de mentions du film à endurer, la comédie musicale qui était même par moment devenue un échappatoire, une excuse, une distraction lorsque les journées étaient plus difficiles, lorsque les cernes du petit blond étaient trop creuses, lorsqu’il se blottissait dans mes bras pour calmer les frissons de stress qui l'assaillaient un peu trop souvent à mon goût. Même durant son coma forcé, je n’avais pas manqué une seule journée à l’appel, le calendrier marqué de toutes ces fois où j’avais laissé le film jouer en boucle, en trame sonore, en fond nécessaire, presqu'ainsi capable d’oublier le bruit incessant des machines qui s’assuraient que mon fils respire toujours, qu’il vive toujours. Un long soupir plus tard et je secoue presque naturellement la tête pour chasser le film de pensée qui se joue, les quelques miettes d’ombre qui restent lorsque je pense à ces moments-là. « Hey you. » une minute à peine après être arrivée au théâtre, juste le temps de payer le taxi qui reprend déjà sa course, que je remarque le Jensen dans la foulée. « J’hésitais entre t’inviter à manger avant ou après, et finalement, j’me suis dit pourquoi pas pendant. » arrivée à sa hauteur, c’est un air malicieux qui orne mon visage lorsque j'entrouvre sous ses yeux mon sac, attirant son attention vers les quelques paquets de bonbons que j’y ai le plus savamment glissés, terreur des bacs à sable que je peux bien personnifier dans l’entrée un peu trop pompeuse de l’endroit. Je me permets même un sourire, rassurée qu’il soit là. Notre dernier entretien en personne remontait à une poignée de semaine, et même si quelques textos avaient été échangés depuis, j’espérais que la lourdeur des propos partagés n’entachent pas la soirée le moindrement du monde. C’était une suite logique, qu’on soit là. C’était un signe auquel la Ginny d’il y a six mois aurait bien voulu s’accrocher, c’était un moment qui marquait la fin à mon sens, qui soulignait avec couleurs le fait que mon fils s’en était sorti. Et que si lui pouvait le faire, tout le monde pouvait y arriver. « S’ils me prennent sur le fait, je dis que c’est toi qui m’a forcée. » anticipant que le côté un peu trop honnête d’Isaac vende la mèche au sujet de mes victuailles, c’est un doigt se voulant - presque - autoritaire que je lève à son intention, retenant un rire de trahir mes provisions en un coup d’oeil. Les salutations terminées, le pas s’emboîte tout naturellement vers le guichet où je tends les deux billets, à peine un pincement au coeur que Noah, le principal intéressé, ne soit pas des nôtres ce soir. Mais il avait mieux à faire le gamin, et c’était presque sans un pli qu’il avait décliné ma proposition de lui prendre une place supplémentaire, ou de le planquer en cachette sous ma veste. Dîner chez les Beauregard dans le collimateur, et pour la première fois - du moins, officiellement - il allait rencontrer Mathis, son cousin. M’éviter une soirée en tête à tête avec James me semblait idéal, de ce fait, tout s’était placé à merveille. Et pendant qu’on nous dirige vers les vestiaires, qu’on nous pointe à distance le bar où les paquets de chips et autres barres de chocolat hors de prix me confortent dans mon idée de nous nourrir en secret dans un coin sombre et reculé de la salle, j’en profite pour souligner ce que les tabloïds racontent sur la pièce depuis un bon moment déjà. « Apparemment, les critiques sont unanimes. » les mains dans les poches, l’épaule qui se hausse, je poursuis avec la voix qui se la joue faussement blasée. « Perso, je ne sais pas si je vais un jour entendre autre chose que la version que Noah a chantée pendant presque 6 mois à répétition, mais ça vaut la peine de tester. » et le coup d’oeil est complice, maintenant que j’entraîne Isaac dans mon sillage, explorant distraitement l’allée menant à la grande porte fermée, couverte de fioritures qui nous mènera un peu plus tard, lorsque l’heure sera arrivée à nos sièges. La dernière fois où j’étais venue ici remontait à il y a très longtemps, et limite, je pense même que je n’avais plus posé le pied dans ce théâtre de tout mon retour à Brisbane. Pensive, scrutant les tableaux qui tapissent le couloir, je finis par tourner la tête en direction d’Isy lorsque je réalise qu’il n’est plus à mes côtés, mais un peu plus loin derrière, en retrait. « Tu t'assures que je ne laisse pas de miettes de biscuits incriminantes dans mon sillage? »
Made by Neon Demon
Isaac Jensen
le coeur au bout des doigts
ÂGE : 34 ans (13.05.90) SURNOM : Isy STATUT : Penny est le soleil et l'amour de sa vie, l'évidence avec laquelle il écrit sa plus belle histoire et s'autorise à réaliser des rêves de bonheur (06.07.2021) MÉTIER : Infirmier au service des urgences, président de l'association Run for Judy, infirmier bénévole à la Croix Rouge et aux Flying Doctors, sapeur-pompier volontaire et surtout : papa comblé de Jude (13.09.2018), Maia (14.06.2022), Jack et Mila (01.08.2023) LOGEMENT : Penny et lui ont quitté Toowong en 2024 pour s'installer avec leurs enfants à Bayside et y créer leur cocon à l'image entière de leur amour POSTS : 28708 POINTS : 0
TW IN RP : dépression, anxiété, automutilation, idées suicidaires, tentative de suicide, mentions d'abandon d'enfant PETIT PLUS : Emménage à Brisbane en 2003 ∆ il exerce en qualité d'infirmier au st vincent's depuis 2006 puis est affecté aux urgences en 2013 ∆ une suite de blessures anéantit sa carrière de joueur de football australien en 2010 ∆ il attente à ses jours en mars 2018 et reprend le travail en septembre 2018 ∆ finaliste de ROA en 2020 ∆ il se soigne contre son anxio-dépression, après avoir longtemps refusé son diagnosticCODE COULEUR : Isy s'exprime en #9966ff ou slateblue RPs EN COURS :
Worlds change when eyes meet. Morphée avait finit par me happer, à la bifurcation des doutes et des chagrins. Ces derniers s'étaient vus réduits à l'errance entre mes draps malmenés par un sommeil agité et lorsque je me levais, la mélodie des oiseaux peinant à atteindre mes oreilles abasourdies des images ayant secoué ma nuit, je me retrouvais étreint par une émotion que je n'expérimentais que rarement : un mauvais pressentiment.
Je n'étais pas un homme qui croyait en l'invisible. J'avais besoin de gestes et de preuves, pour considérer un fait comme réel. J'avais beau avoir été élevé dans une famille très pieuse, il n'en demeurait pas moins que je ne partageais plus leurs croyances - bien que je me gardais d'articuler une telle affirmation à mes géniteurs, n'ayant nullement l'envie d'être récepteur de leurs courroux. Je ne concevais pas que notre destin soit gravé dans le marbre, catégoriquement imperturbable, et dans le même registre, j'avais du mal à saisir le principe de l'intuition. Néanmoins, bon gré mal gré, il m'était arrivé d'être épris de mauvais pressentiments, et traditionnellement, ce n'était jamais bon signe. J'en étais venu à abhorrer cette impression puisqu'elle en vient à se méfier de tout, elle conduit à s'inquiéter du malheur qui plane et menace, telle une épée de Damoclès pendue au-dessus de la tête du principal concerné.
Pourtant, la journée ne s'annonçait pas si laborieuse. Au contraire, j'avais reçu la veille une invitation de la part de Ginny pour l'accompagner à une représentation du Wizard of Oz. Même si d'emblée, derrière mon écran de téléphone, j'avais été réticent, je ne pouvais nier la partie de mon être qui agonisait à l'envie de revoir la McGrath. La relation que j'entretenais avec la jeune mère était à mes yeux haute-en-couleur. Je l'avais vue passer par une quantité infime de sentiments, majoritairement invoquée par l'état de santé de son fils. Durant ces interminables années éreintantes, l'impératif de veiller sur l'artiste s'était dressé en mon être. Si elle voulait être l'héroïne qui protégeait son fils des maux qu'elle pouvait éloigner, je voulais être celui qui m'assurait qu'elle prenait soin d'elle, qu'elle ne s'oubliait pas totalement dans cette lutte exténuante où il est si facile de fermer les yeux sur son propre bien-être pour les concentrer uniquement sur ceux d'une des personnes que l'on aime le plus au monde. J'avais été spectateur de bien de scènes et pourtant, jamais je ne m'étais autorisé à juger Ginny ou à me questionner sur son passé. En aucun cas les révélations qu'elle m'avait faites lors de notre précédente conversation en face à face auraient pu être anticipées par ma personne. Aujourd'hui, j'avais le sentiment que nous avions un peu échangé nos rôles. J'avais beau avoir fait la promesse à la McGrath de la solliciter si j'en ressentais le besoin, je n'avais jamais posé ce pas. Cependant, j'avais envie de la voir car lorsque j'avais posé mon regard sur sa silhouette assise dans le bus qui s'éloignait de ma personne, j'avais entrevu mon futur. L'espace d'un instant, mon passé s'était éteint, s'était tut, m'offrant un prompt coup d’œil à un avenir qui, oui, enfin, était défini possible. Ginny composait ma preuve visible nécessaire à ma croyance.
Mais le spectacle n'avait lieu qu'en soirée et j'avais toute une journée à affronter la précédant. J'avais ainsi inspiré profondément à plusieurs reprises, avant de me défaire de ma prison de draps. J'avais entrepris de mettre un terme à ma barbe croissante, m'efforçant de me concentrer sur mes gestes et repousser la horde de démons qui se présentaient déjà aux portes de mes préoccupations. J'étais fatigué que mon esprit divague sans cesse sur les mêmes sujets. Parfois sans la moindre sollicitation, ou seulement invoqué par un élément frisant le dérisoire, je me trouvais aspiré vers une réflexion douloureuse, où mon ancienne concubine régnait en maître. J'étais exténué d'être incapable de regarder quelque chose à la télévision, d'écouter la radio ou de lire un article sans que mes pensées ne se réorientent vers toute la vie que j'avais bâtie et qui aujourd'hui n'était que cendres. J'avais besoin que ça s'arrête, je nécessitais que ces troubles s'annihilent.
Dans la salle d'attente de mon psychiatre, je sentais une certaine appréhension pointer le bout de son nez. Sans m'en rendre compte, ma nervosité se rejetait sur les mouvements incessants d'une de mes jambes, ce qui finit par attirer la sympathie d'une autre patiente qui me proposa l'un des cookies qu'elle détenait dans son sac à main. Incrédule, j'avais pris la gourmandise entre mes doigts, cessant mon geste en m'excusant dans un grommellement. J'écoutais la femme d'une quarantaine d'années m'expliquer qu'elle était invitée à un anniversaire cet après-midi et qu'elle avait passé la soirée derrière les fourneaux à tester plusieurs recettes de gâteaux. Un sourire poli sur mes lèvres, je croquais dans le biscuit étonnement dur et surtout au goût infect. De toute évidence, la pâtissière improvisée avait confondu le sel et le sucre. Néanmoins, je me forçais à avaler la mixture odieuse, de peur de vexer la cuisinière, et alors que je débattais intérieurement sur comment lui annoncer son fiasco gastronomique, son nom résonnait dans la petite pièce et elle disparaissait avec son spécialiste. Quelques minutes plus tard, Isaac Jensen fut sommé.
Isaac est certes mon prénom de naissance, il ne m'est pas celui d'usage. Le surnom d'Isy vient de ma famille, presque naturellement, les Isaac ont tendance à voir leur prénom réduit ainsi. Mais en grandissant, je me suis mis à apprécier la proximité avec le mot Easy. De là est venu une quantité de jeu de mots mais surtout, j'ai fait de mon surnom mon étendard. Lorsque j'étais gamin et je faisais face à l'adversité, je me répétais Easy, Isy, jusqu'à ce que le courage me gagne et je m'élance. Lorsqu'adolescent je commençais à avoir des doutes sur mes décisions, le duo de mots sonnait le glas. Puis, j'avais toujours eu un tempérament calme et conciliant, qui s'accordait bien avec le terme également. En qualité d'infirmier, être soigné par un Isy who takes it easy avait ses bons points. Et franchement, utilisant constamment mon surnom, 95% de mon entourage ignore probablement que je m'appelle véritablement Isaac.
Isy n'avait pas lieu d'être avec mon psychiatre. Je savais pertinemment qu'avec lui, rien n'était facile. Rien ne passait crème. J'avais toutes les misères du monde à créer le moindre lien avec lui et même lorsque j'y mettais toute mon énergie, il semblait juste prodigieusement doué à me braquer. Je n'ai jamais été quelqu'un qui se confie, qui raconte ses histoires personnelles, qui ressassait le passé. J'étais celui qui avançait constamment, qui avait des projets et qui écoutait patiemment ses proches. Parler de moi ou de mes émotions a toujours composé l'un de mes plus grands défis, me paraissant comme une corvée, parfois nécessaire, mais systématiquement contraignante. J'ai longuement eu Noa comme confidente, encore aujourd'hui, elle jouit de ce rôle. Mais même si je lui accorde une confiance aveugle, je n'ai jamais été capable de lui communiquer la majorité des faits qui me heurtaient tant que je prévoyais l'irréparable depuis des semaines. Je n'ai jamais pu lui parler. Et si aujourd'hui, prise d'une folie sans nom, je voulais parler à mon psychiatre, il trouvait toujours le genre de pique qui me faisait sentir comme un raté et m'incitait à ravaler mes sentiments, à la recherche d'une quelconque fierté. C'était une relation toxique à laquelle j'étais contraint et qui, de plus en plus, m'étouffait. Lorsque j'entendais aujourd'hui le psychiatre établir un diagnostic avec lequel j'étais en complet désaccord, suivi de reproches et de menaces, je sentais une émotion s'apparentant à la ire s'installer en moi. Le genre de colère qui vous fait trembler. Sauf qu'au bout de quelques secondes, je me rendais bien compte que je n'étais pas furieux, et lorsque le spécialiste m'indiquait que manifestement, ces consultations ne fonctionnaient pas et que je n'avais apparemment pas dans l'optique d'aller mieux, je me surprenais à vociférer : « Mais c'est pas ça ! C'est pas ça ! » J'avais l'image d'un poisson hébété devant les yeux, que j'avais envie de taper tel un poissonnier contre un comptoir glacial. « C'est toujours vous ! Et c'est toujours de ma faute ! Mais c'est pas vrai ! » Et aux oreilles de mon interlocuteur, mes propos n'avaient aucun sens, alors qu'en réalité, ils composaient de réels cris poussés en exclusivité par mon cœur. Non, je n'étais pas d'accord avec tout ce qu'il disait, ni avec mes malheurs, ni avec mes démons, ni avec cette vie que je menais. Ce n'était pas ça, que je voulais. Je ne me complaisais absolument pas dans cette situation pour la simple et bonne raison que j'étais au bout du rouleau de ces circonstances. Chaque jour se dressait une nouvelle stratégie visant à ce que je rencontre le prochain soleil, mais la vérité, c'est que c'était difficile, c'était exténuant, c'était éreintant. Et lui, ce psychiatre, c'était toujours lui qui parlait, toujours lui qui agressait, toujours lui qui faisait mal, qui reprochait, alors qu'il était censé m'aider. Ce n'était pas en me poussant dans mes retranchements que j'allais aller mieux, ça, j'en étais persuadé. Sauf que mon état physique et mon état mental s'unissaient dangereusement. Mes tremblements devenaient de plus en plus prononcés et ma gorge se serrait sans retenue. Je réalisais avoir passé un point de non retour où je perdais totalement contrôle sur mon organisme et je n'avais plus qu'à subir. Dans un élan d’orgueil et d'énergie, je quittais le bureau et m'élançais vers la sortie de secours. Je connaissais cet hôpital par cœur, encore mieux que ce spécialiste que je semais en quelques mètres parcourus. A l'extérieur, sur l'escalier en grillage, ma respiration saccadée, sifflante, bruyante, n'aurait passé aucunement inaperçue si je tombais au moment d'une éventuelle pause cigarettes. Heureusement, ce n'était pas le cas et une bourrasque de vent vint m'étouffer ou m'aider, j'étais incapable de le déterminer. Je descendais précipitamment les marches, mes mouvements si brusques et désespérés que j'en imitais involontairement la gestuelle des oiseaux, n'ayant plus que l'idée de fuir, partir loin de toute cette anxiété, de cette angoisse ; avant que mes pieds ne perdent leur appui et que je dévale le reste des marches lamentablement. Mon dos heurta violemment le mur de briques de la bâtisse et je ne me risquais plus à bouger, capitulant à cette crise d'angoisse.
***
J'avais joué au jeu de l'interrupteur. Un mécanisme que je m'étais inventé lorsque j'étais adolescent et que des sentiments bien trop forts menaçaient de me terrasser. Je me décrivais un énorme interrupteur blanc cassé et me percevais l'éteindre dans un "crac" catégorique. Sous ce son, mes émotions se voyaient sous pause. A trente-deux ans, je m'imaginais de nouveau ce vieil interrupteur et repoussais toutes les sensations que je ne voulais gérer pour m'extirper de mon lit. Je me forçais jusque sous le jet d'eau fraîche de ma douche et attrapais en soupirant des vêtements. M'imaginais cette fois-ci des coups de pieds imaginaires, je sortais du numéro 17 de Toowong.
J'avais fait un effort de présentation avant de rejoindre Ginny. J'avais certes été élevé parmi des betteraves à foison, il n'en changeait pas que mes parents avaient toujours mis un point d'honneur à ce que leurs enfants soient extrêmement soignés et en particulier de fière allure lors d'événements spéciaux ; si bien que lorsque je me retrouvais dans des moments importants à l'improviste en étant habillé comme si j'allais faire du sport, je me sentais franchement mal à l'aise.
Un taxi vint déposer Ginny devant le théâtre et je suivais du regard l'artiste s'approcher de ma personne, un sourire aux lèvres, un éclat espiègle dans les yeux. « Salut. » Elle me salua vivement avant de me présenter son méfait, qui fit insatiablement naître un sourire amusé sur mes lèvres. Et voilà qu'en deux secondes à peine, la McGrath était parvenue à éclairer ma journée, l'alléger, m'insuffler assez de bons sentiments pour me dérider. L'air que je respirais me parut progressivement moins dense et l'australienne, faussement autoritaire, me liait intelligemment à son faux pas. Elle savait pertinemment que j'étais bien trop honnête pour agir hors des clous, cette droiture par excellence ne constituant pas toujours un atout, par ailleurs. « Je vois que tu as pensé à tout, » commentais-je ainsi, agréablement surpris, alors que nous pénétrâmes le théâtre. Je suivais la jeune mère dans les allées du lieu où je mettais les pieds pour la première fois de mon existence et eus un bref rire face aux aveux de Ginny s'enquérant de l'éventualité de ne pas entendre cette version de la comédie musicale. « J'ai entendu la version de Noah avant même de visionner le film, je pense que j'aurais toujours ses interprétations en première source... » Et mes propos se perdent alors que mon interlocutrice continue sa route. Pour ma part, je reste planté à la même position, figé sans cérémonie sur place, sidéré par un simple regard. Je déglutis difficilement alors que mes yeux, avides, s'imprègnent totalement, sans gêne aucune, de la scène qui me meurtrit brutalement le cœur. Je n'avais jamais pu ne serait-ce envisager que mon ex fiancée se trouve à cette prestation, et encore moins avec le protagoniste qui avait affligé un énorme coup de crayon sur nos vies. Je les scrute, les dévisage, comme si je souhaitais les passer aux rayons X, comme si je voulais tirer des éléments d'eux, des informations, une convalescence, un remède. Mais plus je les vois, plus mon cœur se serre. Mes yeux se stoppent sur leurs doigts entrelacés et la voix de Ginny, salvatrice, m'extirpe de ce masochisme. « Hum... » Mon regard passe de ma compagnie à la surface devant moi, comme si un véritable mur invisible m'empêchait d'avancer, puis il s'aventure vers le couple fatidique, générateur de mon malaise. Je ferme les yeux, fronce les sourcils, et avance vers la McGrath, concentré sur sa silhouette, me refusant de regarder à nouveau dans la direction de mon ex fiancée. C'était malsain de se faire du mal en espérant que cela me prodiguerait du bien. « Désolé. » Je m'applique à cacher la déferlante assassine qui assène mon être sans merci, persuadé que si je me noie dans le regard de Ginny, la tempête pourra se calmer. Il me faut juste quelques secondes supplémentaires, une simple inspiration de bravoure, pour revenir au présent et non me perdre dans le passé, parmi ces moments fatidiques qui m'ont conduit, en mars dernier, à œuvrer vers la conclusion de mon histoire. Easy, Isy. Devant le regard interrogateur de la jeune femme, je me sens toutefois obligé de préciser : « C'est juste que j'ai eu un mauvais pressentiment ce matin et il vient de se concrétiser. » L'impression d'en dire à la fois trop et pas assez me saisit. Je redoute soudainement que mon interlocutrice prenne cette remarque personnellement et m'applique derechef à indiquer : « Mon ex fiancée est là mais... Ça ne nous concerne pas. » Parce que la dernière chose que je souhaite est que cette soirée que j'attendais tant soit brisée par Chloe. J'ai bien assez de morceaux à recoller, d'éclats à soigner, pour ajouter une rupture avec la McGrath à ce lot de désarrois. Je ne veux pas perdre Ginny, je prie le Ciel pour qu'elle ne me quitte pas. La jeune femme représente tant pour moi, elle constitue ma lumière, celle qui parvient à m'arracher des sourires tout en m'imposant de l'espoir et m'invitant hardiesse. « J'ai juste été surpris. Et en vérité, je ne veux pas que ça ait un impact sur notre découverte du Wizard of Oz non Noahlisée. Bien que je doute que ça surpasse sa version personnalisée. » Je tente un sourire, bien que mon cœur perpétue à marteler ma poitrine douloureusement et ma gorge demeure serrée. Je retiens mes yeux de ne pas subir encore plus ce spectacle, comme si j'avais besoin de voir Chloe heureuse pour une raison qui m'était obscure, comme si j'espérais que recevoir cette claque en pleine figure m'autoriserait à avancer, à tirer un trait décisif sur ces puissants chapitres. Il m'était clair que je ne désirais plus que Chloe fasse partie de mon présent, néanmoins, une partie de moi estimait que la voir dans son autre vie me conforterait à l'oublier. Or, ce n'était que fabulation d'espérer oublier complètement quelqu'un qu'on a chèrement aimé, autour de qui on a orchestré son existence et sur qui on a tissé ses rêves. Alors, je repense aux concerts improvisés de Noah, exemple en matière de repousser les difficultés en chanson. C'est pour cette raison qu'à mes yeux, aucune version du Wizard of Oz ne pourra surpasser celle de Noah : le garçonnet y inculquait une dimension bien trop prenante, une puissance subjuguante, un merveilleux inégalable dans son combat contre l'adversité.
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Dernière édition par Isaac Jensen le Ven 8 Sep - 13:49, édité 3 fois
Et c’est plus fort que moi, à la seconde où mon regard croise celui d’Isaac, à la minute où je le rejoins, le sourire aux lèvres qui s’accroche au sien, y'a ce flash qui passe devant mes yeux, y’a ce moment qui se rejoue sous mon nez, y’a ces mots que je m’entends dire, ces sensations que j’ai ressenties pas plus tard que la semaine précédente, quand j’ai mis le pied pour la dernière - on l’espère - fois chez le psy. J’avais toujours détesté la climatisation, celle qu'il blastait dans son bureau comme si la canicule était étouffante dehors malgré l'hiver. C’était l’une des seules choses que je n’aimais pas, ou du moins, à laquelle je n’accordais pas de chance pour le moins aucune, toujours frigorifiée de toute façon. Probablement l’une des raisons qui faisaient que l’Australie restait l’endroit où je me sentais le plus à la maison, bien que l'Angleterre soit de base majoritaire selon mes racines. Mais, il y avait également une part de frisson qui s’appropriait au regard que m'avait lancé le spécialiste, regard qui mine de rien avait su me faire douter pendant une fraction d’instant, suffisamment pour que je me replace sur mon siège, sous sa loupe, que je relève le menton, anticipe sa question, grince tout de même des dents à l’entendre. « Êtes-vous certaine? Êtes-vous prête? » comme si j’allais craquer d’une minute à l’autre. Comme si la béquille allait toujours être nécessaire, même presque 8 ans après la première pilule ingérée ; et pas la bonne, celle qui aurait pu m’être mortelle. Comme si jamais je ne pouvais penser être capable de vivre par moi-même, comme si j’étais vouée à nager à contre-courant, incapable de me sortir la tête de l’eau devant le regard entendu et convaincu de mes parents et leur “Nous te l’avons toujours dit, Virginia.” Ça suffit. « Nous pouvons toujours diminuer la dose, il suffira seulement de rapprocher les rendez-vous pour assurer un suivi et... » et malgré le froncement de sourcils, et malgré la mine assumée que je lui offre, il doute encore, il prend une pause, il respire lourdement, il manipule avec nervosité les feuilles qui s'éparpillent sur son bureau et qui décrivent tous les états, tous les aléas par lesquels j’ai pu passer, et qui ont été tous plus difficiles, mais nécessaires pour me rendre à aujourd’hui. À ce verdict que j’ai mariné depuis la sortie de Noah de l’hôpital. Depuis que la maison est enfin terminée et prête à nous laisser y créer notre cocon. Depuis que je dors mieux. Depuis que j’ai croisé Isaac, et que j’ai réalisé que ma suite, elle était tout de même encore un peu hypocrite, les cachets cachés au fond de mon sac qui attendaient, sans être touchés depuis plusieurs mois, de confirmer ce que la ride d’inquiétude sur le front du doc tentait de me dire, de me faire lire. « Oui. Je suis certaine. » et il avait jeté sa dernière prescription d’antidépresseurs à mon nom.
C’est la voix d’Isaac qui me sort de ma réflexion, c’est sa venue à mes côtés qui me propulse 7 jours en avant, et les panneaux illuminés tout autour de nous qui me confirment bien qu’on y est, qu’on peut lancer la phase deux de l’opération Ginny doit encore se prouver à tout le monde, et ce, sous les yeux de quelqu’un qui, précédemment, m’a fait part de toutes ses frousses, de tous ses démons, et à qui j’ai offert avec la plus grande honnêteté d’être là, si besoin, d’être là pour tout le pire à venir, le meilleur aussi, à travers. Un peu plus en confiance, un peu plus convaincue aussi que je peux aider maintenant que je ne me rattache plus à rien qui m’empêche de croire à tout mieux concernant ma petite personne. Et la suite se passe sans heurts, et l’entrée est toute légère maintenant que je le mets dans le secret, le froissement d'un sac de bonbons qui trahit notre méfait m'arrache un sursaut, un regard par-dessus l'épaule. Il rigole le brun, il s’étonne à peine du magot que j’exhibe fièrement, et mon sourire en coin confirme qu’en effet, j’ai mis le paquet pour que ce moment soit un peu plus facile, un peu plus simple dans un quotidien effréné et pas nécessairement pour les bonnes raisons. « C’est l’instinct maternel. Encore heureux qu’il ne soit plus aux couches-culottes, j’aurais très bien pu me tromper et en prendre un paquet à la place des chips. » un rire de plus et nous voilà en direction du guichet, puis de l’allée menant aux portes de la salle. Et je babille, et j’en oublie presque que j’ai un interlocuteur à un moment, le regard qui dérive entre les différentes toiles placardées au mur et la déformation professionnelle qui analyse tout. Des cadres aux coups de pinceau en passant par les titres, les ombrages. Ce n’était pas rare de me retrouver égarée au détour d’un couloir, tête dans les nuages. J'en suis toute étonnée lorsque je réalise moi-même ne plus avoir d’Isaac sur les talons. Avant qu’il soit trop tard et qu’on me perde de l’autre côté de la rue, dans le mauvais théâtre, à m’extasier devant une sculpture plus éloquente qu’une autre. « Ça va? Ou la culpabilité te ronge? » et je finis par faire les pas en sens inverse, revenir joyeusement près de lui, lever mon regard moqueur vers le sien, beaucoup plus voilé qu’il y a une poignée de minutes à peine. Un toussotement, un silence, il se cherche et je précise, sachant très bien qu’il ne s’agit que d’un prétexte, que quelque chose cloche. « … pour les bonbons. » puis, il déballe son plaidoyer. Et il a dans sa voix, malgré les quelques mots à peine qu’il articule, une tristesse que je n’ai pas vu depuis longtemps, devant laquelle je ne me sens pas du tout à l’aise, pas du tout à ma place, la connaissant que trop bien. L'ayant tellement craint du temps où j'ai remis les pieds ici dans l'appréhension d'y retrouver Ezra, trop tôt. Comme un mauvais témoin qui assiste à une scène par inadvertance, qui est arrivé par erreur sur le plateau où on acte quelque chose auquel j’ai tout sauf droit. Trop pudique, trop muette, et il a le temps de tenter de rattraper la chose, de faire même mouvement vers l’avant, fuite affirmée que je stoppe net sans vouloir en plus lui imposer le fardeau de devoir se justifier à mon égard, de se forcer à être ici quand clairement il étouffe. « On peut partir, tu… tu peux partir, si tu n’es pas à l’aise. Je... » et je me rétracte évidemment, parce que la dernière chose dont il a besoin, c’est de m’avoir sur ses talons, non? De devoir me gérer en plus du reste. « Tu veux prendre l’air? Y’a rien de mal à fuir avant que le méfait soit complété. » une pointe d’humour que j’ai apprise à maîtriser entre les différents bas qui ont ponctué ma vie depuis aussi longtemps que je me souvienne, processus de défense, barrière suffisante pour lui laisser une brèche, fine, de respirer. Mais voilà qu’il m’affirme le contraire, qu’il reparle de Noah, m’arrache un sourire, un rire jaune, mais un rire tout de même. Et la douceur dans ma voix, de rester à ses côtés coûte que coûte. « Il dirait que jamais ça ne la surpassera, parce qu’il imite les voix des personnages à la perfection. Même si on sait très bien tous les deux qu’il prend la même intonation pour tout le monde. » comme murmure amusé à son oreille.
De nouveau épaule contre épaule, notre duo trouve la direction de la longue file de spectateurs attendant l’heure indiquée sur les tickets pour pouvoir entrer, prendre place. L’attente ne sera pas si longue que ça puisque la grosse horloge d’époque au-dessus de nos têtes tinte déjà 5 minutes moins pile. Idéaliste peut-être, de croire que le moins de temps on passera ici, le mieux il se portera. Que le plus vite on sera à nos sièges, le plus vite il oubliera l’altercation précédente. Et probablement que si je n’avais pas dit tout haut ce que je pensais tout bas, et probablement que si cette phrase, la fameuse, n’avait pas franchit mes lèvres, il s’en serait porté mieux, plus vite. « C’est la première fois? Que tu la vois… depuis…? » ma curiosité me surprend moi-même alors que j’étouffe mes paroles dans un sursaut, secoue la tête, l’empêche de poursuivre. « Oublie, c’est pas mes affaires, je suis désolée. » oui, il avait été franc avec moi bien plus que quiconque, le jour où j’avais entendu décrit de sa bouche le geste fatal qu’il avait posé quelques mois plus tôt. Et oui, il en savait tout autant si ce n’est plus sur moi, entre toutes ces années passées, et mes récents aveux. Mais rien ne justifiait le fait que je mette autant le pied dans l’embrasure de ses secrets, que j’en ajoute une couche comme s’il voulait tout bonnement en parler ici, devant public. Pommettes rouges, mains moites, je toussote un brin, cherche ma place, joue du bout du pied, pour finir par revenir penaude porter mon attention sur lui comme s’il n’y avait personne d’autre autour. Ce qui est un peu le cas. « Isaac… Isy? » mes prunelles s’accrochent aux siennes, l’implorent de ne penser qu’à lui, et strictement à lui maintenant. « C'est normal, de te sentir comme ça. C'est horrible, c'est douloureux, c'est malsain, mais c'est normal. » devant son silence, j'insiste parce que nécessaire, j’ajoute en douceur, mes phrases qui s’envolent avec tout l’amour du monde, l’espoir aussi. « Y'a pas de meilleure façon de le gérer que d'être indulgent avec toi et d'accepter que ça fait mal. Que ça fait partie du processus. » un fin sourire se dessine sur mes lèvres, et un peu de soutien que je lui tends malgré mes impolitesses. Avant que nous ne soyons plus seuls du tout, avant qu’il n’y ait plus que nous deux contre le monde, avant que je vois dans l’angle le visage qui a provoqué tout ceci, qui l’a stoppé dans son mouvement. Elle, qui est dans la filée, seule, à trois têtes de nous dans l’attente, les yeux un peu trop vers nos silhouettes pour qu’elle ne nous ait pas vus. « Ne regarde pas, derrière nous. » et je l’avertis, le temps de faire volte-face en espérant qu’il fasse de même. Mes doigts qui se glissent entre les siens comme un support, comme une béquille, comme une plate tentative de ne pas le laisser tomber aussi difficile la suite sera.
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Dernière édition par Ginny McGrath le Ven 6 Juil - 3:05, édité 2 fois
Isaac Jensen
le coeur au bout des doigts
ÂGE : 34 ans (13.05.90) SURNOM : Isy STATUT : Penny est le soleil et l'amour de sa vie, l'évidence avec laquelle il écrit sa plus belle histoire et s'autorise à réaliser des rêves de bonheur (06.07.2021) MÉTIER : Infirmier au service des urgences, président de l'association Run for Judy, infirmier bénévole à la Croix Rouge et aux Flying Doctors, sapeur-pompier volontaire et surtout : papa comblé de Jude (13.09.2018), Maia (14.06.2022), Jack et Mila (01.08.2023) LOGEMENT : Penny et lui ont quitté Toowong en 2024 pour s'installer avec leurs enfants à Bayside et y créer leur cocon à l'image entière de leur amour POSTS : 28708 POINTS : 0
TW IN RP : dépression, anxiété, automutilation, idées suicidaires, tentative de suicide, mentions d'abandon d'enfant PETIT PLUS : Emménage à Brisbane en 2003 ∆ il exerce en qualité d'infirmier au st vincent's depuis 2006 puis est affecté aux urgences en 2013 ∆ une suite de blessures anéantit sa carrière de joueur de football australien en 2010 ∆ il attente à ses jours en mars 2018 et reprend le travail en septembre 2018 ∆ finaliste de ROA en 2020 ∆ il se soigne contre son anxio-dépression, après avoir longtemps refusé son diagnosticCODE COULEUR : Isy s'exprime en #9966ff ou slateblue RPs EN COURS :
Le couperet s'était savamment abattu, cette infernale épée de Damoclès, pressentie depuis des heures et cruellement inévitable, tranchant sur son passage la délicate fiole d'élixir de bonheur que me permettait d'augurer Ginny. Je percevais les timides bribes d'espérance, de courage, de triomphe, de joie se répandre dans une odieuse marre difforme, dénudée de toutes les couleurs qu'ajoutaient l'artiste à mon existence depuis notre dernière rencontre. Prisonnier de ce désarroi abrupte, mes pieds se plantaient sur le sol, mon corps se contractait instantanément, se figeait sans merci devant la monarchie absolue de l'amour de Chloe, qui m'affligeait d'un palpitant émietté. La voix de l'artiste vint me secourir et au bord de la noyade, je transperce son regard. J'y recherche avidement une lumière, une attache, un pilier, n'importe quel outil m'extirpant de ce mal-être qui m'accable dangereusement. Je me noue à la gaieté et au narquois qui pétillent dans le brun de ses yeux et la McGrath réduit la distance entre nous deux promptement. Tel un pont qui se construit, je produis également mes quelques pas et tandis que notre écart est centimétrique, je m'excuse. Débute alors une entreprise dangereuse, au cours de laquelle je me brûle le cœur, je me coupe les ailes, déjà entaillés par les méfaits de l'existence, les malaises de mes sentiments. J'informe mon interlocutrice de mon désarroi, tout en réfutant que celui-ci régisse notre sortie, ce moment que j'avais espéré, que j'avais attendu, si longuement, auquel j'y accordais tant d'importance que ce coup du sort faisait frémir mes doigts. Je hoche la tête en signe de dénégation lorsque, patiente, compréhensive, Ginny m'offre une porte de sortie, m'invite à prendre l'air si je le souhaite. Je plonge mes mains dans mes poches, abattu à l'idée que la soirée s'arrête ainsi car je n'ai su affronter ma réalité. Puis, soudain, dans une dernière tentative de reprendre pied, je me concentre sur Noah, certain que son modèle m'insufflera la force nécessaire à ne plus me heurter sur la présence de Chloe et tout ce qu'elle me représentait. Tel un enfant buté qui surestime ses capacités, j'affirme à nouveau mon vœu que cette invitation suive le cours normal de son programme. Je chasse non sans difficultés mes émotions, je tâtonne vers ce masque jovial que j'arbore pour leurrer mes amis mais que je n'oserai jamais porter en présence de Ginny. Je prends sur moi, quitte à hurler intérieurement à mes démons de se taire, quitte à beugler sur mon cœur de s'arrêter de battre, quitte à retenir ma respiration pour saisir cette impression de détenir tout contrôle sur mon organisme et jouir de l'aptitude de le calmer.
Ginny rebondit sur mon évocation à son fils, se prêtant peut-être au jeu, empruntant le même courant que je poursuis dans ma quête de rivage. Nous continuions d'avancer, reprîmes place dans la file d'attente et alors que les hommes et femmes anonymes nous entourant m'offre l'espérance de disparaître aux yeux de mon ex fiancée, la voix de mon interlocutrice parvint à mes oreilles : « C’est la première fois? Que tu la vois… depuis…? » Je croise son regard, me rendant compte que j'étais si concentré sur la séquestration de mes démons que j'en demeurais silencieux, tétanisé à l'idée de faiblir en ce lieu. « Oublie, c’est pas mes affaires, je suis désolée. » La culpabilité me rongeait. Pourquoi lorsqu'on espérait tant un moment, le destin semblait nous envoyer ses pires éléments en réserve pour le saccager ? L'océan tumultueux de sentiments que je retenais failliblement gravit rapidement en mon être, se stoppant au milieu de ma gorge, y formant une boule indigeste, me sectionnant la voix, me poignardant les tripes. Je me pinçais les lèvres et tandis que je m'apprêtais à reprendre la parole, l'australienne reprenait : « C'est normal, de te sentir comme ça. C'est horrible, c'est douloureux, c'est malsain, mais c'est normal. » J'en peux plus, m'entendais-je prononcer inlassablement, les échos retentissant savamment contre ma boîte crânienne. J'en peux plus, j'en peux plus.« Y'a pas de meilleure façon de le gérer que d'être indulgent avec toi et d'accepter que ça fait mal. Que ça fait partie du processus. » Sauf que je ne peux pas t'embarquer dans ma douleur, t'infliger la vision de ma chute. Et j'ai le sentiment de dramatiser, à tant vouloir mentir. Je stocke les phrases de Ginny dans une partie de ma mémoire, incapable de les entendre raisonnablement. Les secondes agonisent et la foule se rapproche. Je perçois mon phare en pleine tempête s'agiter à mes côtés et m'alarmer du danger imminent. « Ne regarde pas, derrière nous. » Sa main vint se loger contre la mienne et enfin, mon cœur s'assoupit. Enfin, mes poumons s'emplissent véritablement d'air. Ses doigts se glissent entre les miens et je me concentre sur cette sensation déliant petit à petit les néfastes lianes m'étouffant, m'angoissant. La fraîcheur de sa peau contrecarre le brûlant de mes veines bouillant de rage d'oublier, d'ire de mon incapacité à tirer un trait sur mes malheurs, sur mes pensées, sur ma façon d'être. Si je n'ose pas bouger mes doigts les premières secondes, je finis par les reposer délicatement, presque imperceptiblement, contre les siens, concluant ainsi l'étreinte, créant ce petit espace de pouvoir sur lequel repose désormais toute ma contenance, toute mon attention. La file avance et au bout d'une dizaine de minutes, nous nous installâmes sur les sièges réservés sur les billets de Ginny. Dans cette salle, où les silhouettes passent et repassent, je parviens à me délier physiquement de Chloe, le fantôme de la main de la McGrath reposant toujours contre ma paume, telle une veilleuse repoussant mes cauchemars.
Une fois qu'un groupe se soit installé devant nous, je donnais enfin suite à l'interrogation de mon interlocutrice : « Elle est passée une semaine après que je sois sorti de l'hôpital, pour me rappeler que je n'allais pas bien, » Je n'avais su répliquer à Ginny sur l'instant mais m'étais promis d'être sincère avec elle, même si cela signifiait discuter d'une des principales sources de mes souffrances. Mon ton était étonnement neutre, comme si je jugeais cela parfaitement ordinaire qu'une personne vienne appuyer les dégâts qu'elle eût commis. « Je suis désolé, j'aurais aimé mieux gérer. » Mon regard la fuit, se plante sur un détail insignifiant du fauteuil rouge devant moi. « Merci d'être restée avec moi. D'être là, » articulais-je avec toute la reconnaissance et la franchise que mon corps peut ressentir, tout en priant intérieurement que Ginny ne s'en désole pas. Je noue mes doigts, incapable de les conserver immobiles en situation de nervosité, et invoquant principalement le même réconfort que celui que la McGrath m'avait procuré des minutes plus tôt. Je me récite ses propos déclarant que ce n'est pas anormal d'avoir réagit comme je l'ai fait, posant un mot sur les sentiments qui m'avaient solidement étreint puis suffoqué. Je me répétais son conseil d'indulgence, d'acceptation, qui me terrifiait alors qu'elle le liait au processus de guérison. Je n'avais pas envie d'aller mal, ce soir. Je n'avais pas envie d'avoir peur. Non, je voulais retrouver la Ginny joyeuse qui se réjouissait d'avoir l'équivalent d'une bonbonnière dans son sac et réparer mes torts de l'avoir possiblement faite fuir. « A ton avis, quelle est la probabilité que ton repas fortement glycémique soit entièrement terminé avant que tu rentres chez toi ? » Je m'assurais que personne ne nous entende et précisais à voix basse : « Tu penses être capable de manger toute l'industrie que tu dissimules dans ton sac ? » Je me redressais, un sourire narquois étirant mes lippes. « Dans tous les cas, je reconnais que c'était malin de ta part d'emmener un infirmier dans ton ambition sucrée. Les ravages d'un tel agissement pourraient être impressionnants. » Je lui offrais un sourire amusé et en un clin d’œil, j'avais le sentiment de me retrouver dans la chambre d'hôpital de Noah, quand j'étais capable de raconter n'importe quelle plaisanterie réfléchie à Ginny, armé de l'unique but de lui remonter le moral, si jamais le café chaud que je lui tendais n'était pas suffisant.
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Dernière édition par Isaac Jensen le Mer 13 Juin - 1:25, édité 1 fois
Je déteste ce voile qui passe sur son regard. Je déteste sa tête qui tombe, qui s’aligne à ses pieds, qui rebondit au fil des pas qu’il esquisse comme si tout allait convenablement, à mes côtés. Son silence qui n’a rien de salvateur, et ses justifications qui ne font que me briser le coeur, me serrer le ventre, me demander là où j’ai pu croire que ce soir était une bonne idée, que ce n’était pas trop fort, pas trop vite pour lui. N’avait-il pas clairement exprimé son intention d’y aller doucement? Ne l’avais-je pas encouragé à prendre son temps, à se donner de la latitude, à ne rien presser pour la simple et unique raison que le processus était tellement plus important que le résultat dans l’histoire? Et elle est forte, la vague de remord qui remonte, qui me brûle la gorge, qui lui propose une stratégie de fuite, n’importe quoi pour lui pointer la sortie la plus directe, le passage à vide qui l’éloignera de ses démons, et de celle qui l’y avait guidé à pieds joints, tellement naïve. Pourtant, il reste. Il reste et il change le sujet, et il va bien en surface, Isaac, il tolère du mieux qu’il peut, il se remonte les manches, redresse ses épaules. Son courage me rappelle le mien, humblement et à peine à sa hauteur, mais du moins, j’y vois des ressemblances, j’y vois cette volonté de ne rien laisser contrecarrer le plan initial, de ne pas avouer une seule fissure sur le bouclier étanche qu’on avait érigé devant nous - et derrière, surtout. Un simple coup d’oeil distrait par-dessus mon épaule résulte en une douce ironie, et si on me reprochait plus souvent qu’autrement de ne rien remarquer autour de moi, elle doit bien rire, la tête au-dessus de nous, la personne à charge, le destin ou appelez-le comme vous le voulez, d’avoir vissé mon regard directement vers elle, de l’avoir entraîné de justesse sur son visage doux, ses prunelles brillantes, ses cheveux en cascade, sa peau de porcelaine. Et je retiens une brusquerie, je m’adapte comme je peux, l’instinct qui prend le relai et qui n’a qu’une seule intention maintenant, qu’un seul objectif : qu’Isaac s’en sorte indemne au mieux. D’un naturel surprenant, c’est le contact de sa paume contre la mienne que je réalise bien après avoir fait le geste qui, anodin pour plusieurs, était étrangement intime pour moi, risqué. Ma main dans la sienne, ou l’inverse. Pourtant s’il y avait bien quelqu’un avec qui j’avais développé l’aise dans le chaos, s’il y avait bien quelqu'un qui avait vu toutes les émotions du monde et pire encore se dessiner sur mes traits, s’il y avait bien quelqu’un à qui j’avais envie de promettre une belle suite, un soutien constant, une épaule sur qui s’appuyer, c’était lui. Et je resserre l’étreinte sans l'oppresser, et je tiens bon tant qu’il a besoin, et j’y ajoute même un regard en coin, bref petit aller retour qui le détaille, m’assurer qu’il respire un peu mieux, et que le pire est bel et bien loin de nous.
Je ne ressens pas le besoin de commenter, lorsqu’Isaac parle de son dernier échange avec elle. Je n’en ai pas le droit, d’abord, et loin de moi l’idée de porter le moindre jugement sur une situation qui ne me regarde pas. Je serai là, s’il a besoin de parler. J’écouterai au mieux, je m’assurerai qu’il se sente confortable, qu’il ait tout à disposition pour se vider le coeur et la tête, mais je n’oserais ajouter quoi que ce soit censé teinter son raisonnement du mien. Pourtant, c’est lorsqu’il s’excuse que je ne peux m’empêcher d’intervenir. Arquant la nuque à son intention, c’est sans hardiesse aucune que je tente de planter une graine dans son esprit, de lui faire comprendre que des désolations du genre n’ont pas lieu d’être. « T’as géré comme tu as pu. Y’a personne qui peut juger ça, ni y voir une bonne ou une mauvaise façon de faire. » il n’y avait jamais de réponse véridique ou erronée lorsqu’il s’agissait de sentiments et à son égard, j’y tenais. Seule restait la décision qu’il s’autoriserait à prendre, ou le raisonnement qu’il suivrait, selon ce qui lui semblait le plus viable. Le reste n’avait pas besoin d’être noté, encore moins par l’avis de qui que ce soit - s’il y avait bien quelque chose que ma propre expérience m’avait appris, c’était cela. Et si je pouvais lui partager le même enseignement sans qu’il l'apprenne à la dure comme moi, ce serait déjà une bien grande victoire. « Je ne me suis pas barrée en courant, ça te donne déjà un très bon indicateur de comment tu t’en es sorti. » comme catalyseur comique toutefois, et surtout pour accompagner l’air joueur qu’Isaac commence doucement à arborer maintenant que ses épaules semblent un peu plus légères. J’essaie de calmer le jeu, j’essaie de dédramatiser, j’essaie d’être utile le temps que ça passe. Son merci qui réchauffe, parce qu’en un sens, c’était l’évidence. « C’est tout naturel. » que je n’ai pas bougé d’un centimètre, que malgré mes réticences et ce malaise constant de ne jamais être à ma place vraiment, jamais l’idée de le laisser seul ici ou n'importe où n’ait pu me traverser l’esprit. « Et puis, j’ai pas envie d’être ailleurs. » Isaac avait été assez courageux pour rester, je serais assez solide pour lui servir de pilier le temps qu’il faudra. Un coup d’oeil à ses doigts nerveux me signale tout de même que ce n’est pas tout à fait ça ; mais je l’ai bien compris, mon rôle. Et d’un battement de paupières, et d’un geste pour me replacer sur mon siège après avoir docilement mis sur mes genoux le fameux sac contenant mon graal, je retourne au programme principal sans la moindre intention d’insister. Le voilà qui à nouveau s’intéresse à mon butin et si l’aparté vécu un peu plus tôt dans le hall laisse tout de même un fantôme voler au-dessus de nos têtes, j’en fais fi le sourire aux lèvres. « Si je dis 100%, tu me juges, ou tu paniques? Un peu des deux? » et devant la curiosité renouvelée du brun envers mon plan de match impliquant un peu trop de sucre à son sens - et au mien - j’évalue la situation comme dangereuse sachant qu’une fois le premier sachet ouvert, ce sera une véritable mission impossible de m’arracher son contenu des doigts. « Parce que sinon, je suis prête à partager simplement pour t’éviter la culpabilité éternelle de m’avoir pavé le chemin vers un diabète certain. » et elle chante ma voix, maintenant que je lui offre un compromis en feignant d’en être blasée, alors qu’on sait tous les deux que ça ne serait qu’à mon avantage si je n’étais pas laissée seule dans l’affaire. Quand Isaac renchérit en parlant de son corps de métier qui est une valeur sûre en temps de crise, j’hoche de la tête de la positive avec entrain, déjà prête à dévoiler les secrets derrière un plan machiavélique qu’il me prête sans le moindre doute. « Busted ; mais quand on a des contacts, autant s’en servir. » j’hausse de l’épaule avant de commettre l'irréparable - ce qui se résume à laisser aller une fausse toux pathétique censée cacher le bruit du plastique que je déchire savamment. Le résultat est douteux, mais personne ne semble s’en déranger, ce qui est tout de même un petit triomphe pour mon clan. « Alors, je peux laisser aller ceux-là. Et ceux-ci. Hum… les verts, je suis pas certaine de si tu les mérites… » à la manière de Noah lorsque lui-même fait le tri, je m’affaire à calmer ses mains agitées en agrippant la première du bord, la tournant paume vers le ciel pour y disposer avec précision bonbon par bonbon. Le moment est doux, le moment est enfantin, le moment est drôle, et c’est tout ce dont on a besoin. Dans un ultime effort de détendre l’atmosphère et de lui prouver que tout ceci n’est qu’un caillou sur le chemin, et que demain, après-demain, la semaine suivante et le mois d’après tout n’ira que mieux, j’ajoute, après avoir plongé mon regard dans le sien. « Surtout, tu n'abuses pas de la mine de chien battu pour avoir une plus grande ration de sucre. J’te vois venir, Jensen! » de ça, il comprendra qu'il n’a pas besoin de ravaler avec moi, qu’on a passé ce stade-là entre les divers diagnostics pessimistes de Noah. S’il y avait des moments charnières qui lui démontreraient qu’entre nous, le filtre et le masque n’étaient pas nécessaires, c’était ceux-là. Combien de fois m’avait-il ramassée à la petite cuillère alors qu’on m’annonçait la suite peu encourageante pour mon fils? Combien de mes larmes avait-il vues, et tout ce que je ne supportais plus de retenir à l'intérieur, qui était sorti en torrent dans l'espoir d'aller un peu mieux? Et parce que j’ai le coeur léger, et parce que ce soir, tout le reste n’a pas d'importance, je complète d’un éclat, rire communicatif. Éclat qui flotte, qui danse, qui monte aux oreilles d’une silhouette se postant à notre hauteur la seconde suivante. « Isaac?! » éclat qui se casse à elle, et elle qui se casse à nous. Silence, arrêt sur image, et ils sont bien obsolètes, les bonbons que je prends tout de même la peine de ranger dans mon sac, comme une gamine prise sur le fait.
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Isaac Jensen
le coeur au bout des doigts
ÂGE : 34 ans (13.05.90) SURNOM : Isy STATUT : Penny est le soleil et l'amour de sa vie, l'évidence avec laquelle il écrit sa plus belle histoire et s'autorise à réaliser des rêves de bonheur (06.07.2021) MÉTIER : Infirmier au service des urgences, président de l'association Run for Judy, infirmier bénévole à la Croix Rouge et aux Flying Doctors, sapeur-pompier volontaire et surtout : papa comblé de Jude (13.09.2018), Maia (14.06.2022), Jack et Mila (01.08.2023) LOGEMENT : Penny et lui ont quitté Toowong en 2024 pour s'installer avec leurs enfants à Bayside et y créer leur cocon à l'image entière de leur amour POSTS : 28708 POINTS : 0
TW IN RP : dépression, anxiété, automutilation, idées suicidaires, tentative de suicide, mentions d'abandon d'enfant PETIT PLUS : Emménage à Brisbane en 2003 ∆ il exerce en qualité d'infirmier au st vincent's depuis 2006 puis est affecté aux urgences en 2013 ∆ une suite de blessures anéantit sa carrière de joueur de football australien en 2010 ∆ il attente à ses jours en mars 2018 et reprend le travail en septembre 2018 ∆ finaliste de ROA en 2020 ∆ il se soigne contre son anxio-dépression, après avoir longtemps refusé son diagnosticCODE COULEUR : Isy s'exprime en #9966ff ou slateblue RPs EN COURS :
J'avais accueilli le siège écarlate de la salle de théâtre tel un naufragé rejoignant finalement la terre. Bien que méconnue et menaçante d'imprévus, mon corps, endolori d'être constamment secoué des cauchemars issus de ma réalité imposée, se décontractait progressivement, craintivement, lové d'une part du confort industrialisé du fauteuil, d'autre part de la présence réconfortante de Ginny. Le tambour de mon cœur s'alarmait au creux de mes tympans, mon sang semblant parcourir mes veines de manière anarchique. Je retenais un frisson, repoussais témérairement l'image de la femme que j'avais tant aimée pour chérir le fantôme de celle qui m'accompagnait aujourd'hui au creux de ma main. Mes doigts semblaient teints de poussières de bravoure inspirant le souffle même de la vie, dénigrant le machinal de l'existence, et nerveusement, je les répandais entre mes pores, priais leur multiplication sur ces deux autoroutes principales menant au cœur et au cerveau, éventuelles militantes aspirant ma béatitude.
Je reprends pied, sur cet oasis inespéré. Je tourne le dos aux impétueuses tempêtes qui régissent trop souvent mon cœur, j'emplis mes poumons de cet air dense, je scrute l'obscur avenir duquel j'espère tant. Je m'érige des scénarii si sereins qu'une partie de mon être me juge ridicule, pourtant, je m'y accroche, me laissant bien le droit d'être risible, abandonnant toute soumission au mépris réservé aux rêveurs et aux optimistes. Prudemment, je sélectionne les termes qui errent entre nos deux corps malmenés par le sentimentalisme de l'humanité. Je paie mes amendes, réponds à son interrogation, excuse ma réaction, la remercie de son inestimable présence. L'espace d'un instant, je m'interroge sur l'éventualité que Ginny reconnaisse à quel point je valorisais tout son être, tout le temps qu'elle m'accordait. Je me demandais si elle réalisait l'impact entier, puissant, ravageur, qu'elle appliquait sur mon être. J'espérais qu'elle lise au fond de mes yeux à quel point ses allers et venus dans ce nouveau chapitre de ma vie m'engorgeait d'encre autorisant la rédaction de ses pages. Les paroles qu'elle m'adressent se gravent sur les parois de mon crâne, y devenant des mottos. Je console mes états d'âme en furie d'être autorisé à réagir comme je le peux, du mieux que je peux et que personne n'est en droit de commenter mes répliques circonstancielles. Je me redresse lorsque son absence de fuite signifie en quelque sorte, ma réussite ; puis une bourrasque d'oxygène m'élève lorsqu'elle m'affirme ne pas souhaiter être ailleurs.
Enfin je souffle, j'avance. Je m'approprie ce lieu mystérieux, une pointe d'impatience et d'excitation me rendant aventurier. Je chatouille l'Isy narquois qui orne les situations de comique, qui allège les atmosphères trop lourdes, qui démolit le ridicule par sa sympathie. Je le secoue presque, moquant la cargaison de mon interlocutrice contrebandière, narguant les conséquences d'une consommation en sucre si importante, soupçonnant l'utilité de ma profession dans ce dessein invoquant l'hyperglycémie. L'artiste enchérit, se destinant à pouvoir se nourrir de sucreries toute la soirée, consentant à me laisser l'accompagner dans ce dessein singulier. En comédienne exagérée, elle tousse afin de dissimuler le bruit du paquet qui s'ouvre vers l'explosion de nos papilles gustatives. La chaleur de ses doigts embrase les points d'impact sur ma main qu'elle saisit et retourne pour y déposer pieusement une sélection de bonbons avec humour. Je souris lorsqu'elle s'avoue incertaine que je mérite les verts, sourire qui s'élargit alors qu'elle m'ôte la stratégie de la mine du chien battu pour obtenir plus de sucre. « Mais si tu m'en fais devenir dépendant ? » interrogeais-je, espiègle, faussement provocateur. Et si je devenais dépendant de toi, craignais-je l'espace d'un voile sur mon regard. Et si Ginny disparaissait de ma vie et qu'encore une fois, je perdais mes armes, incapable aujourd'hui d'en détenir qui me sont propres ? Et si la jeune mère me quittait, reprenant avec elle cette vielleuse lumineuse repoussant mes monstres, cet épouvantail défigurant mes rapaces de mauvaises augures, cette lanterne d'espérance m'orientant vers une vie où le bonheur se crée au fond de mon cœur et non en voyant celui des autres s'éclore ? Son rire éclate en morceaux toutes ces terreurs du conditionnel, dans un spectacle si inattendu et léger que je me permets d'en rire aussi, le temps d'expirer cet air dans mes poumons qui se stoppent au son d'une voix si connue.
« Isaac?! » Je la reconnaîtrais dans toute l'humanité. Comme je suis capable de définir cet être sous toutes ces coutures. Chloe est gravée dans ma vie, dans mes sens, dans mon cœur. Un large graffiti qui enroule mon palpitant et se serre présentement si fort que mes sourcils s'abaissent dans un mouvement imperceptible. En un son, toute émotion disparaît, balayée catégoriquement. L'impassibilité règne sur mon visage, mon âme quitte mon regard. Au fond de mon être, l'implosion est totale et si brutale qu'elle me pétrifie. Le naufragé dévisage, impuissant, la vague qui déclare l'annihilation de toute son oasis. La faute de la fatalité.
***
17 février 2018. J'ai mémorisé chaque mot inscrit sur le document, j'ai retenu chaque erreur de conjugaison, les détails relevant d'une mise en page hasardeuse. Je sais exactement où se situent les traces d'une épluchure de carotte et je suis persuadé que jamais cette image ne quitterait mon esprit. Intérieurement, profondément, je sais pertinemment que cette feuille me hanterait. A moins que ma tendance vers le négatif de ces dernières semaines me joue des tours. A moins que je vois le mal là où il y en a aucun. A moins que je ne crée que fabulations détestables.
La porte de la maison, ma maison, s'ouvre et j'inspire profondément. J'hésite le temps d'un millième de seconde à plier une énième fois la fatidique page pour la dissimuler dans la poche de ma chemise. Cependant, la seule partie de mon corps se mouvant s'avère être ma poitrine, qui se soulève de manière plus en plus rapprochée. Je serre les dents, ma mâchoire se crispe et les doigts de Chloe viennent se poser sur mon épaule aussi dure que la roche tant les muscles sont contractés. Elle s'installe sur le siège, me fait face. Je compte jusqu'à trois pour me forcer à agir, comme l'on motive un enfant à sauter d'un plongeoir.
Je coupe les paroles attendrissantes qui ne font que heurter mes sentiments. Je souffre devant son ton délicat que j'ai toujours cru amoureux. Ses sourcils qui se froncent, dans une expression inquiète, altruiste. Comment se fait-il que Chloe est si semblable à la femme que j'ai aimée durant tant d'années, alors que depuis des semaines, elle ne m'aime plus ? Pourquoi réagit-elle toujours de manière si similaire ? Pourquoi dispose-t-elle toujours de ces leviers sur mon être ? M'a-t-elle ne serait-ce qu'un jour aimé en retour ? « Est-ce que c'est à toi ? » Je baisse les yeux vers la feuille, m'y attarde quelques instants et recueillant toute mes forces, dans un élan masochisme, je la fixe. En cet instant, je désire lire chaque émotion traversant son être. Je veux retenir chaque centimètre carré de son corps qui saisit cette nouvelle, qui reconnaît que malgré ses efforts, j'ai découvert cette réalité. Si j'ai créé la vie, je lui dois de scruter sa fin. Ses lèvres tombent, se tordent dans un rictus abominable. Ses yeux brillants passent de la fiche à l'émeraude de mes iris. Mon cœur s'arrête, mes lèvres se pincent ; elle acquiesce. Je déglutis difficilement, mes doigts se posent sur la feuille, espérant presque la faire disparaître ainsi que tout ce qu'elle invoque. Mes pupilles, elles, ne la quittent pas. Je ne cille pas. Je la dévisage, de marbre, un faux espoir s'instaurant malicieusement au fond de mon être qu'elle contrecarre avant même qu'il ne me berce : « Il était de toi. »
La puissance de ces termes me brisent tant qu'elle m'abasourdit. Avant ce jour, jamais n'avais-je soupçonné les mots d'un pouvoir si destructeur. Avant ce jour, jamais n'avais-je soupçonné l'Homme d'être si imprévisible, changeant, sans cœur ni foi. « Pourquoi ? » articulais-je vainement, ma voix se cassant sur les syllabes. « Pourquoi t'as fait ça ? » Ne vaut-on plus rien pour toi ? Nos rêves sont-ils si dérisoires à tes yeux ? Ma personne est-elle si minable que tu ne m'accordes même pas le droit de savoir ? Qu'est-ce que ma vie, Chloe ? Qu'est-ce que tu m'as fait faire ? Qu'est-ce que tu m'as fait croire ? Elle s'explique, à la mélodie de son besoin de nouveau départ qui ne doit être entaché d'aucune trace de son passé. Ce désir que je prends comme un vœu de m'excommunier de son avenir. Cette divergence soudaine me divise, me brise, me tue. Une boule se crée dans ma gorge et la rage palpite dans mon être. Mes doigts se referment sur le document, le froisse, l'écrabouille, l'enferme dans le creux de ma main, sous l'impact des ongles qui pénètrent ma chair. Mais mon avenir, c'est toi. « Isaac... » Et ce n'est plus question de me briser le cœur, non. C'est un morceau de mon âme qu'on m'arrache. « C'est bien la première fois que tu m'appelles comme ça. » Pendant de nombreux mois, elle ignorait même qu'il s'agissait de mon véritable prénom. « Va-t'en. »
***
« Isaac?! » Le passé se ricoche au présent, les halos de chagrins se mêlent savamment. L'injustice qui m'avait jadis étreint face au fait qu'elle ne m'ait jamais informé de la présence de ce possible et si désiré enfant enlace celle qu'elle s'acharne à briser ce moment présent que j'attends depuis si longtemps. Ces instants précieux sur lesquels je bâtis mon futur, bon gré mal gré, à cause d'elle. A cause de moi, de ma folie de l'avoir tant aimée, de mon indécence de lui avoir voué toute mon existence. Mes oreilles sifflent sous l'emprise de l'instinct, anticipant le choc imminent. Je perçois les banalités d'usage de Chloe, ses remarques comme quoi ça lui plaît de me croiser à l'extérieur, ses commentaires sur mon apparence physique. J'entends, mais n'écoute rien, mon regard posé sur une autre entité qui tape nerveusement du pied quelques mètres plus loin. W.
Je ne ressens plus la douleur physique. Au fil de ma profession, puis au cours de mon expérience personnelle, j'ai appris que lorsqu'un individu va extrêmement mal psychologiquement, la maltraitance physique qu'il s'impose devient indolore. Il ne la ressent plus, son mental l'absorbant intégralement, son psychique se plaignant bien trop fort pour que le physique puisse s'alerter de quelconque mal.
Peux-t-on saturer psychologiquement aussi ? Peut-on atteindre un point de non retour, un stade où l'on ne ressent plus rien physiquement et psychologiquement ?
Je ne suis plus. J'ignore souverainement si mon corps et mon esprit réagissent au choc de percevoir Chloe accompagnée de son amant ou s'ils ont juste capitulé. S'ils ont simplement jeté les armes, abandonnant le navire sans scrupule. Je ne bouge pas du moindre millimètre et je n'entends plus rien. Les spots clignotent, prévenant les spectateurs que la pièce débutera sous peu, faisant réagir mes pupilles, seules preuves d'appartenance à cette situation.
Je suis submergé, étouffé, noyé. Je suis incapable de déterminer qui m'entoure. Si Chloe ou Ginny se trouve à me côtés. Mon esprit s'est tut, propulsé dans une chambre noire imperméable à tout ce qui compose ma propre personne, des sentiments aux ambitions, des émotions aux définitions, des aspirations aux désarrois ; puisque s'il se risque à en sortir, le château de cartes que je me construis en guise de vie ne deviendra qu'irrécupérables décombres.
La minute d’après, c’est déjà oublié. La facilité avec laquelle j’aligne la conversation vers des banalités, vers ce sachet de friandises si insignifiant duquel je fais tout un historique m’épate presque. Ce n’était pas moi, une poignée de semaines plus tôt seulement, qui allait chercher son réconfort? Qui profitait du silence de la chambre de Noah pour lui confier d’un regard tout mon trouble, toute ma peine? N’était-ce pas sur son épaule solide que je m’appuyais, quand tout semblait trop tanguer autour de moi pour que je puisse garder le focus, regard sur l’horizon, plutôt que sur la houle qui n’en pouvait plus de se casser à mes pieds? L'espoir qu’il avait gardé envers et contre tout, qu'il avait personnifié, alors que je n’arrivais à rien faire d’autre qu’à mettre toutes mes forces à ne pas flancher. Et maintenant, c’était mon tour, c’était ses mimiques que je mimais, ses intentions que je laissais couler de mes lèvres à ses oreilles, ses réflexions qui avaient adouci mon quotidien et que je tentais vaillamment de répéter dans sa direction. Jamais retour d'ascenseur ne m’avait paru plus logique, plus nécessaire que ce qui se déroulait sous nos yeux, naturellement, sans effort. Je suis tout à fait capable de jouer sur la distraction, je suis la plus à même de comprendre l’effet salvateur qu’ils peuvent avoir, cette blague ajoutée à la va vite, ce rire communicatif qui soulage bien plus que des joues crispées, des nerfs en compote. Je suis là, je bouge pas, je ne veux pas être ailleurs, ma place est à tes côtés. Un regard envoyé de biais, quelques bonbons déposés au creux de sa main avec une patience de moine et un calcul faussement scientifique. Mes mots sont tout bas, mes éclats sont tout haut et à travers, il y a nous contre le reste du monde, les non-dits qu’on balaie du revers des pensées sans l'unique intention de prolonger le malaise vécu plus tôt, de nous asséner le coeur à nouveau. « J’aurai qu’à faire comme avec Noah, et te rationner. » à qui je mens, vraiment? Isaac plus que quiconque sait pertinemment que mon gamin n’avait qu’à battre suffisamment des cils pour que je cède à ses demandes, et que j’étais la première à faire entrer la moindre dose de sucre dans son sang sans suivre les indications que l'infirmier m’avait lui-même inscrites sur papier. L’autorité était une notion mystérieuse pour moi, et j’entrevoyais déjà avec appréhension l’adolescence de mon fils lorsqu’il aurait suffisamment de pièces de puzzle mises ensemble pour comprendre que je serais le genre de mère à flancher sans cérémonie. Au moins, à m’entendre, j’ai un semblant de structure, ce qui suffit pour le déni du moment, pour laisser l’impression que je gère, impression qui nous fera rire devant le fait accompli. « De toute façon ta portion sera toujours plus petite que la mienne. » ah mais ça, c’est plus plausible. Ma gourmandise que je ne cache plus, surtout sachant qu'elle est intimement liée au fait que le stress ambiant a levé le pied me concernant, et il n’est pas question que je concède du terrain sur l'entièreté de ma ration contre la sienne. Il se contentera de ce que je donne et au moins, Isaac le prend en riant. Le détail minime qui me réchauffe le coeur, et j’accroche mes prunelles aux siennes de voir son profil un peu plus détendu, de l’entendre souffler. Il ne va pas mieux, mais il va bien. C’est suffisant pour que je baisse ma garde, pour que je me laisse attendrir par son hilarité, pour que je n’ai plus du tout envie de faire autre chose que de lui laisser le champ libre. Défendant maintenant son mérite en pensée avant que j’engloutisse les verts, ceux que je garde pour la fin, ceux qui ont toujours été mes préférés, et que je suis prête à peut-être penser lui sacrifier en guise de traitement de faveur.
« Isaac?! »
La voix qui résonne sur mes tympans, la panique dans mes yeux, l'incompréhension dans les siens. Les quelques bribes de mal-être que j’avais réussi à chasser depuis qu’il avait mis le pied au théâtre me font l’effet de s’envoler, d’aller voguer loin, inatteignables, le temps d’une respiration arrêtée, d’une inspiration bafouée. Isaac n’est plus, à la seconde où elle lui parle, où elle le regarde. Et je ne lève même pas la tête dans sa direction, et je n’ai même pas la force de détourner mon regard du Jensen. L’impolitesse qu’on pourrait facilement me reprocher, l’ignorance ambiante que je livre sans mauvaise intention, mais. Ce n’est pas à elle que j’ai promis d’être là, ce n’est pas à elle que j’ai offert ma main et tout ce qui vient avec, ce n’est pas pour elle que je m’inquiète, ce n’est pas sa vue à elle qui me brise le coeur. Isaac qui affiche un air impassible, le même que j’ai arboré si longtemps, plus aucune vie qu’on puisse dénoter dans ses expressions, expressions absentes de toute façon. Elle voit, elle renchérit, elle tente avec douceur et innocence, elle n’a rien de mauvais en soi, elle fait au mieux. Mais c’est déjà trop tard, et j’ignore si elle a conscience, je ne peux concevoir qu’elle fait exprès, qu’elle reste pour autre chose que pour s’assurer à son tour qu’il est en forme, qu’il sort la tête de l’eau, qu’il est muet pour une raison, qu’il est attentif par la bande. Interdite, j’assiste au sombre spectacle les doigts qui se triturent les uns les autres, les souvenirs qui remontent, ma mémoire qui avait emmagasiné pour mieux oublier à la perfection l'altercation, les mots qu’Ezra et moi s’étions partagés à notre tour, lorsqu’on s’était croisés à Brisbane pour la première fois depuis, il y a trois ans. Une peine qui n’a rien à envier à personne. Rien de tout ceci qui offre potentiel de survie, néanmoins sa douleur ressemble trop à la mienne, s’apparente trop à l’enfer que j’ai vécu pour je reste silencieuse, pour que je laisse passer, pour que je retente la solution de la facilité, et la blague qui me reste en travers de la gorge. Je n’ai plus envie de rire, je n’ai plus envie de lui changer les idées, je n’ai plus envie de poser un pansement, d’endormir la blessure bêtement, de faire comme si de rien n’était, de ne pas accorder d'importance. « Viens. » on annonce que la représentation commencera dans quelques minutes quand à nouveau, ma main enserre la sienne, mon regard qui le supplie de me suivre. Il se laisse faire, la silhouette de celle devant laquelle il a tout perdu bien loin dans la salle. Et d’un pas rapide, beaucoup plus calculé que l’habituel trop tête en l’air pour être sécuritaire, je fais le chemin inverse, je m’assure qu’il est toujours là, qu’il suit, que ses doigts ne m’ont pas lâchée, qu’il ne s’effrite pas entre ses souvenirs et elle, et tout ce qui peut le cisailler en deux, en mille dans l’instant. Le couloir longeant les grandes portes nous appartient ou presque, complètement vide lorsqu’on finit par quitter les allées et s’isoler hors de toute zone ennemie. Ce n’est que sa respiration qui me confirme qu’il est toujours là. Autrement, rien dans sa posture, dans son être entier ne suggère qu’il est alerte, qu’il reçoit quelques stimuli, en renvoie. Plus de son, plus d’image, plus rien, et faire volte-face, prendre le temps qu’il faut pour détailler son visage, ses traits, l’absence de, suffit à ce que je sente une vague de panique monter en moi. Je sais ce qui pourrait résulter d’une telle rencontre, je sais à quel point j’étais détruite après avoir réemprunté le chemin d’Ezra, je sais tout ça, je le conçois trop durement pour ne pas insister, au moins un peu, juste assez. « Faut apprendre à marcher avant de courir, bonhomme. » la voix attendrissante, maternelle, les gestes doux, je finis par me rapprocher, chercher ses iris voilés, tenter d’y attacher les miens même si d’emblée le tout semble peine perdue. Calme, trop calme. Ma main quitte la sienne pour remonter doucement à sa joue, tenter de relever son menton pour finir par sceller le tout d’un coup d’oeil insistant, nécessaire. J’ai besoin qu’il parle, j’ai besoin qu’il réapparaisse, j’ai besoin qu’il souffle, qu’il ne s’enferme pas dans son horreur tout seul. Qu’il me fasse une place pour que je puisse aider, pour que je puisse faire quoi que ce soit qui le sortira de là. Je ne peux pas tout combattre sans lui, je ne peux vraisemblablement pas concevoir chasser ses démons s’il ne me laisse pas entrer. « Reviens avec moi, reviens s’il-te-plaît. » du bout de l’index, je sens sa mâchoire contractée, je sens son visage fermé, je sens toute la douleur du monde dans ses traits.
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Mâchoire contractée, visage fermé, toute la douleur du monde dans mes traits. « Virginia. » il fait mal, ce souvenir-là. Il fait mal et il est gravé au couteau, gravé au fer, gravé à même mon petit coeur qui manque un battement et un autre, qui tente de survivre, qui n’en mène plus très large. « Les valises sont faites, on quitte à la première heure demain. » je ne me rappelle plus si j’étais installée sur mon lit, sur le canapé, au sol, dans le jardin. Je ne me rappelle plus si je l’avais regardée, maman, lorsqu’elle avait voulu mon approbation, ma confirmation. Si j’avais été plus forte que ça, si j’avais tenu tête. Mon monde qui s’écroule et la fermeture qui est évidente, automatique. Plus rien à faire, plus rien à vouloir, et toutes mes aspirations à jeter à la poubelle. Il y a le bruit des pas dans la maison, des appels que papa avait multipliés pour finaliser les derniers détails avant le déménagement impromptu. Il y avait les cris de Jill qui s’opposait comme elle s’oppose à tout, qui refusait autant pour elle que pour moi, qui n’en avait que faire des règles familiales, qui prévoyait déjà notre fuite. Il y avait Matt qui restait dans l’angle, l’attention toute vrillée sur moi, détournant la tête dès l’instant où je levais la mienne dans sa direction. Il y avait tout un monde qui venait de se casser, toute une vie qui venait d’éclater en mille morceaux alors qu’ironiquement, j’en portais une nouvelle, en moi. Une erreur, qu’ils avaient insisté. Une erreur qu’ils allaient régler, à laquelle ils allaient donner un foyer, un toit, un avenir. Loin d’ici, le plus loin possible, à tout décider pour moi, pour nous, sans même prendre la peine de me demander mon avis. À quoi bon, de toute façon? Plus aucune raison de me battre, d’insister, le père ayant refusé ses responsabilités, et la place que je nous avais imaginée, la petite famille que j’aurais voulu créer, qui se retrouverait expatriée dans une vulgaire, une ridicule, une pathétique dizaine d’heures. « Tu as entendu? » bien sûr, que j’avais entendu. Bien sûr que je ne manquais aucune bribe, aucun indice, aucun détail. Que tout s’enregistrait, que rien n’était laissé au hasard, que la douleur n’en était que plus grandissante, que je n’avais jamais senti mes sens être aussi décuplés, aussi sollicités, aussi démolis. Et pourtant, je restais immobile, silencieuse, vide. « C’est terminé. » aucune bouée, personne, juste moi, et lui. Et je n’aurais souhaité ça à personne d’autre.
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Un soubresaut, un geste infime, une toute petite réaction, rien de grandiose mais déjà, je sais qu’Isaac revient doucement à lui, qu’il capte l’environnement qui a changé, qu’il entend peut-être ma voix, brouillée. Coton dans lequel il semble s’enfouir, son univers à part dans lequel je tente vainement et toujours de me gratter une place, un tout petit espace, rien du tout, juste assez pour faire entrer un peu de lumière, un peu d’espoir aussi. « C’est pas une fuite, c’est une pause, c’est un entre-deux. Le temps que tu reprennes des forces. » pour le guider à revenir, pour l’aiguiller un peu mieux. J’ai l’impression d’entendre ce que j’aurais voulu qu’on me dise, j’ai l’impression d’être spectatrice de ce qui a fait si mal jadis, ce que j’aurais voulu annihiler, détruire, faire disparaître, nier, autant pour moi que maintenant pour lui. Et rien ne presse, et rien n’est immuable, et rien ni personne n’a le droit de le brusquer maintenant, de le secouer. Si on passe à notre hauteur pour nous avertir que le premier acte est commencé, j’ignore royalement et volontairement l’interaction, pas le moins du monde intéressée à bouger d’ici, et à faire bouger le brun dans l’ensemble. Il n’a rien à faire dans le monde normal pour l’instant, il n’en a pas besoin, il a tout à gagner à prendre la latitude nécessaire, à s’écouter, à m’écouter, s'il le veut seulement. « Le temps qu'il faudra. » et j'insiste, oh que j’insiste, le coeur toujours autant serré, la proximité que je dénote à peine tant que je peux garder un oeil sur lui, décoder ses réactions, son éveil lent et pénible, mais son éveil tout de même. « Noah ne nous aurait jamais pardonné de l’avoir vue sans lui, même s’il fait son fier. On reviendra. » et je jure que je l’ai vu, dans la plus brève des secondes, un minuscule, un microscopique sourire, esquisse de signal d’alerte évité, et ma respiration qui se calme maintenant que je sais que doucement, il est de retour.
Made by Neon Demon
Isaac Jensen
le coeur au bout des doigts
ÂGE : 34 ans (13.05.90) SURNOM : Isy STATUT : Penny est le soleil et l'amour de sa vie, l'évidence avec laquelle il écrit sa plus belle histoire et s'autorise à réaliser des rêves de bonheur (06.07.2021) MÉTIER : Infirmier au service des urgences, président de l'association Run for Judy, infirmier bénévole à la Croix Rouge et aux Flying Doctors, sapeur-pompier volontaire et surtout : papa comblé de Jude (13.09.2018), Maia (14.06.2022), Jack et Mila (01.08.2023) LOGEMENT : Penny et lui ont quitté Toowong en 2024 pour s'installer avec leurs enfants à Bayside et y créer leur cocon à l'image entière de leur amour POSTS : 28708 POINTS : 0
TW IN RP : dépression, anxiété, automutilation, idées suicidaires, tentative de suicide, mentions d'abandon d'enfant PETIT PLUS : Emménage à Brisbane en 2003 ∆ il exerce en qualité d'infirmier au st vincent's depuis 2006 puis est affecté aux urgences en 2013 ∆ une suite de blessures anéantit sa carrière de joueur de football australien en 2010 ∆ il attente à ses jours en mars 2018 et reprend le travail en septembre 2018 ∆ finaliste de ROA en 2020 ∆ il se soigne contre son anxio-dépression, après avoir longtemps refusé son diagnosticCODE COULEUR : Isy s'exprime en #9966ff ou slateblue RPs EN COURS :
Je m'accroche aux sucreries qu'elle dispose tendrement au creux de ma main, leur prodiguant à chacune le blason de mes timides armées s'érigeant contre mes démons. Le bleu sera le calme, essentiel à repousser l'angoisse et l'anxiété qui tétanisent les troupes, le jaune représentera l'espoir, mascotte des combattants qui leur murmure constamment que leur but est atteignable, le rouge signifie le courage, indispensable moteur sur la route. Elle les sélectionne pieusement dans son sachet dissimulé au fond de son sac à main et intérieurement, tel un enfant, je leur dessine ces pouvoirs, ces émotions que je nécessite et qu'elle me fait goûter chaque minute de sa présence à mes côtés. « Mais si tu m'en fais devenir dépendant ? » je formule sur ce ton espiègle, faussement provocateur, qui étouffe en silence mes craintes et appréhensions.
Et je quitte mon île, chassé de mon oasis. Des déferlantes la ravagent sans merci. Une pluie torrentielle s'abat sur toute cette paix, tout ce futur que m'éclaire Ginny et menace de les annihiler. L'obscurité règne et je suffoque en cette mer hauturière. Désorienté, mon esprit échoue à s'appuyer à la réalité, s'abriter sous le soleil de l'avenir ; il glisse vers la pénombre, il s'y enfonce, s'y recroqueville, niant la vérité, mais assumant le fait d'être inapte à l'affronter. Comme un pendule, je retiens le pied de l'homme qui me remplace tapotant nerveusement le sol. Ma mémoire auditive se grave du ton épanoui, joyeux, faisant vibrer la voix de Chloe. Je constate sans difficulté que le bonheur de me rencontrer dans un lieu public à vocation de distraction et en bonne compagnie, dénote l'apaisement de sa culpabilité. Mais je ne sais me réjouir pour la femme que j'ai si longuement et si longtemps aimé à tort. Je suis incapable de réagir, transi par la fatalité, meurtri par cette soirée aussi désirée que malmenée. Je refuse catégoriquement de lever les yeux, de reprendre possession en ce monde, quand je m'estime incapable d'y réchapper sans lourdes conséquences.
« Viens. » Les bonbons ont disparu, la luminosité tend dangereusement vers l'obscurité. La terreur, fourberie, s'immisce dans mon être, des centaines d'aiguilles perforant mon cœur. Ma gorge se noue, mon estomac sombre, ma mâchoire se crispe. Sa main saisit mes bras et me hisse de ce trou noir, m'invite à la suivre, à quitter cette salle, à fuir la situation. Seuls quelques éléments m'informent de notre avancée, un tableau, une double-porte, un visage interrogateur. Abasourdi, à demi-conscient, je m'arrête lorsqu'elle se stoppe. « Faut apprendre à marcher avant de courir, bonhomme. » Le contact de sa peau contre la mienne s'évapore et soudain, l'oxygène se veut dense, irrespirable. Ses doigts frôlent ma joue, me sommant à ce monde que je réfute, que je rejette. « Reviens avec moi, reviens s’il-te-plaît. » Je déglutis avec difficulté. J'ai envie de lui prier de m'abandonner, bien qu'elle soit l'unique entité de ma vie qui me fait avancer sans ressentir un devoir, une culpabilité, une redevance. Laisse-moi aller, Ginny. Je ne peux pas, je ne peux plus, je sature, c'est fini. Si je reprends pied, ici, maintenant, je vais craquer. Je suis rendu au bout de mes forces et me demander de revenir, c'est m'inviter à me détruire devant toi. Laisse-moi au moins ne pas te faire ça. Nos regards se croisent enfin.
« C’est pas une fuite, c’est une pause, c’est un entre-deux. Le temps que tu reprennes des forces. » Et comment peut-elle y croire, comment peut-elle encore me bercer de cet espoir ? Je l'avale, je l'inspire, je fais battre mon cœur au tambour du sien. Mon âme égarée se raccroche au fond de ses pupilles, seul roc de cet enfer. « Le temps qu'il faudra. » Cette boule au fond de ma gorge qui grogne tel un monstre affamé, ce cœur qui martèle ma poitrine tant qu'il menace de s'en dérober. Les souvenirs se pourchassent, les volontés se chevauchent, les ambitions se pleurent. Les émotions, assassines, se réveillent, ambitionnent de nouveau le règne sur les décombres de ma personne. « Noah ne nous aurait jamais pardonné de l’avoir vue sans lui, même s’il fait son fier. On reviendra. » Le risible mikado tremble puis s'affaisse alors qu'habilement, Ginny en tire un bâton. Le bâtonnet aux couleurs de la culpabilité, mais bien moins lourd que ses acolytes. Le même bâtonnet teinté de honte, lorsque Noah, du haut de ses quelques années de vie, s'est montré bien plus vigoureux que l'homme de plus de trente ans que je suis. Et quand je pense au garçonnet, je m'imagine violemment ma propre paternité dérobée, j'envie l'artiste d'avoir pu enfanter cet être que je l'imagine avoir désiré au même titre que moi. Le rouage reprend, le corps redémarre, la vie qui déraille s'embraye sur son chemin dans un pénible soubresaut. Un soulagement m'étreint, suivi d'une ire envers ma personne, multipliée par un profond chagrin. Fébrile, mes doigts pressent le mur, mon corps suit l'appel de la gravité et je m’assois, dos contre ce premier. Je sens les pupilles de la britannique guettant mes gestes, couvant ma chute. Je croise valeureusement son regard et alors que j'essaie d'articuler des termes, au travers de ma tête si pleine qu'elle m'en paraît déserte, je me rends compte que j'en suis incapable. Ma respiration est retenue si haute, mes muscles sont si crispés, qu'il faut que j'expire pour parler, pour continuer. Et ce geste pourtant naturel m'effraie, me pétrifie. Je reste coincé dans cette angoisse, je m'accroche à ce souffle comme s'il constituait la dernière corde retenant ma démolition dans ce couloir artistique. Je maintiens son regard, je le fixe, le scrute, m'oublie, expire.
Le contact visuel se rompt, mes lèvres se tordent pour se pincer. Mes dents s'enfoncent dans ma chaire et mes mains viennent se poser pudiquement contre ce spectacle. Le visage qui s'incline, les genoux qui viennent soutenir mes avants-bras épuisés. Le jeu des mots a des airs d'impossible, j'ai l'impression que toute l'énergie dont jouit mon corps s'est emmagasinée dans mon cerveau qui menace d'imploser. « Je suis désolé, Ginny. » Les syllabes et les consonnes s'allient maladroitement, faiblement, si bien que je ne suis pas certain que mon interlocutrice ait entendu mon plaidoyer. Je fais face à des centaines de portes que je me dois d'ouvrir, des malles de tourments toxiques emprisonnés à libérer. Les alternatives vers ce dessein relèvent d'un nombre faramineux, le choix s'avérant ardu dans son piètre embarras. Comment en suis-je arrivé là ? « Je voulais tellement passer une bonne soirée avec toi. » J'appuie mes doigts contre mon front, cette tête si lourde, si étourdie, qui espère qu'elle ne s'offusquera pas de mes propos. « Une soirée normale. » A-t-on au moins eu, une fois dans nos échanges, une telle chose ? Le temps que l'on a passé ensemble, à l'hôpital, s'est toujours déroulé sous un nuage. Nous n'avions jamais pu poser nos regards simultanément sur le même firmament dégagé. Et mes paumes glissent vers mes paupières qui s'affaissent enfin sur mes yeux brouillés. « Il y a tellement de choses. C'est pas qu'elle. Il y a juste tellement de choses que - » Mes cordes vocales qui dérapent, mon orgueil qui les bouscule dans un élan si injustifié que c'en est purement ridicule. « Je suis à bout. » Je laisse planer les secondes, apparence immobile dans cette rupture interne. « Il y a jamais de répit, » livrais-je au compte-goutte. Mes journées et mes nuits sont concentrées intégralement sur ma lutte contre ce mal-être. Je pense constamment à tous ces démons qui me tiraillent, que je n'ai jamais pu excommunier, les anciens comme les récents. J'ai beau œuvrer pour m'aérer l'esprit, j'en suis incapable. Des actions telles que lire une ligne d'un journal, regarder une émission télévisée, conduire ma voiture, s'avèrent de véritables fléaux car mon esprit vogue irrésistiblement vers son enfer, électrocuté par des mauvais souvenirs, des scènes ignobles. Je ne peux jamais souffler, ces chocs émotionnels omniprésents. J'ai beau hurler intérieurement pour les faire taire, persister à continuer l'action que je souhaite accomplir, je perds pied sans arrêt. Par ailleurs, croiser l'objet d'une partie de mes souffrances dans ma nouvelle réalité, si épanoui et heureux, assumant totalement que sa félicité ne se trouvait pas auprès de moi, que j'avais fauté sur toute une existence, est encore bien pire que lutter silencieusement contre moi-même.
Et je l’ai perdu. Lui qui tanguait entre l’ici et l’avant, entre tout son passé, tout ce qu’elle signifie, signifiait, tout ce qu’il y voyait, ce que je concevais difficilement mais avais vécu tout autant, à ma propre peine. Entre la salle et le couloir, entre elle et moi, entre nous et le reste du monde, il y a cette cassure qui pèse, il y a ses épaules qui s’affaissent, son regard qui s’assombrit, sa respiration qui stagne. Et je l’ai perdu, je le sens à la seconde où il titube, où un voile passe devant ses prunelles, s’y arrête, l’y noie. Malgré son contact sous mes mains, il n’y a rien d’Isaac qui n’est pas amorphe, et tout me donne l’impression d’être figé dans le temps, d’être ailleurs, d’être fuyant. Je tente à quelques reprises, de lui parler. La voix douce, les gestes qui s’y additionnent, comme si cela changerait quoi que ce soit, comme si ma voix, mon intrusion, mes insistances pouvaient amoindrir sa peine. Et la culpabilité qui remonte, et les regrets de l’avoir amené ici, d’avoir insisté, d’être si naïve, si demandante. Je lui avais imposé mon épaule comme si c’était l’évidence, je m’étais présentée à lui comme celle qui pouvait faire quelque chose, qui pouvait lui venir en aide, qui avait ce pouvoir, si dérisoire soit-elle. Celle qui encore la semaine précédente traînait cette petite bouteille orange, ces cachets si bruyants, tambourinant mon mal au fond de mon sac alors que je m’étais toujours fait violence pour ne pas m’y accrocher. L’avoir comme béquille intouchée m’était suffisant ; et trop candidement, j’avais cru que ma simple présence offrirait ce même genre de support au Jensen. Stupide Ginny, insensible, et égoïste, et imbue d’elle de croire qu’elle apporterait autre chose qu’une pression supplémentaire - et une paire d’yeux additionnelle pour observer ses faits et gestes, assister à sa débandade, l’empirer fort probablement. Et pourtant, je ne bougeais pas d’un centimètre. Et pourtant, malgré le mal-être et la faute que je me dédiais si facilement, c’était pour moi impossible de me détacher, de faire un pas en arrière, de retenir mes mots qui prient, qui persévèrent, le temps qu’il revienne. Mais je l’ai perdu. Et même s’il remonte à la surface, et même s’il prend à nouveau une inspiration, et même si ses prunelles font écho aux miennes, la fraction de minute supplémentaire où il a glissé, où il s’est caché, blotti, je n’ai servi à rien, si ce n’est à pire.
« T’as pas besoin d’être désolé. » l’entendre me serre le ventre, le voir me brise le coeur. C’est lui qui rompt ce que je tentais de maintenir, lui qui s'éloigne, qui prend appui sur le mur derrière, qui se laisse glisser, corps ankylosé et pâle silhouette l’instant d’après, le sol pour seul tuteur. Et j’avance à pas calculés, à tâtons. Toute la logique en moi me crie de le laisser libre, de ne plus pousser, d’arrêter de m’obstiner à vouloir changer un détail, même infime. Ce ne sont pas tes affaires Ginny, tu l’as déjà dit et encore. Mais c’est l’instinct qui parle, c’est ce besoin, plus viscéral que tout le reste, c’est la nature qui fait son travail, c’est cette chaleur qui gonfle mes réactions, adoucit mes paroles. Je ne peux pas le laisser comme ça, je ne peux pas me fier à mes troubles, à mes craintes, mes doutes et le laisser braver les siens sans alliée. « À s'enfermer là-dedans, y’a rien de bon qui peut en retourner. T’as pas besoin d’être quoi que ce soit d’autre qu’être ici. » t’as pas besoin d’être quoi que ce soit d’autre qu’être avec moi. Mon ton est assez ferme pour me surprendre, mais tout sauf empli de morale, encore moins accusateur. Un appel à l’aide, une sortie de secours, ma crainte de le perdre à nouveau qui transparaît sur mes lèvres, qu’il n’entendra probablement même pas, même plus. C’est au-delà ce mal-être qui me ronge et que je nie, un nouveau pas dans la direction d’Isaac. C’est au-delà ce malaise que j’oublie maintenant, j’esquisse un sourire en coin, je tente de le rassurer, et je finis par le rejoindre par terre, laissant tout de même une distance chaste entre nous deux, rien ni personne n’ayant droit d’entrer dans sa bulle s’il ne l’a pas autorisé. « Elle n’est pas terminée, la soirée. » j’hausse l’épaule, laisse ma tête lentement se tourner dans sa direction, espérant qu’il s’accroche à mon regard, ou du moins, qu’il essaie. « Et la normalité, c’est relatif de toute façon. » faible tentative, microscopique effort de lui montrer que de tout ce qui lui arrivait, de tout ce qu’il le bombardait, s'inquiéter de ma perception de la soirée me semblait bien superficiel, bien obsolète. Mon avis ne compte pas, mon jugement encore moins, et rien de ce que je pourrai dire ou vouloir n’a pas à peser dans sa réflexion, jamais. C’est lui la priorité. Du moins, il est la mienne.
Sa voix lui manque, son corps en tremble. Je réprime l’envie d’à nouveau unir nos paumes le temps qu’il faudra, l’ayant probablement brusqué un peu plus tôt, alors qu’il était si douloureusement revenu à lui-même dans la foulée. À la place, c’est mon attention entière dédiée qui le couve, le cherche, luttant sur l’insistance, sur ce qui le troublerait plus que de raison, qui aggraverait l’air bien malgré moi. Ses mains me font barrage. « Une chose à la fois. Un élément à la fois. » je ne lui demanderai pas de m’énoncer tout ce qui ne va pas, je n’insisterai pas pour qu’il me décrive en long et large toutes les sphères de sa vie qui ont éclaté sous son courroux, et qui l’ont poussé là où je n’ose même pas l’imaginer. J’attends. J’attends qu’il atterrisse, qu’il ne m’inspire plus le mauvais présage d’être à des kilomètres du théâtre, toujours à lutter seul contre le monde entier, sans aide de quiconque, sans moi. « Qu’est-ce que tu ressens, là? Comment est-ce que tu décrirais les sensations? » et ça me cisaille, de briser le silence. Mais ce serait bien mal me connaître de croire que je ne me fais pas violence à entendre ma voix troubler le calme mutin du couloir complètement vide, désert ponctué de nos murmures. « Je… y’avait cet exercice qu’on me faisait faire. » Isaac est toujours à cacher sa vue, à empêcher l'entrée, d’y cerner son enfer. Ma persévérance m’impressionne autant qu’elle me répugne. Qui oserait autant, et si fort? Qui prétendrait alors que ses preuves restaient encore tellement à faire? « Mettre des mots sur le mal, décrire ce qu’on entend, ce qu’on voit, ce qui gronde à l’intérieur. » mon regard dérive vers mes doigts qui jouent nerveusement les uns avec les autres, et tout sauf vers ces souvenirs qui remontent, vers ces innombrables heures passées à tirer le portrait de mon triste sort, à décrire ma douleur, à lui donner un visage, un parfum, une texture. À insister sur le problème comme une évidence. « Ça m’arrive encore de… parfois. Ça m’arrive encore de le faire, parfois. » je me reprends, avant d’assumer ma phrase, avant de dire à voix haute ce que j’ai passé tellement de temps à craindre entendre. Même après huit ans. Même après toutes mes promesses faites à demi-mots à Noah. Même après sa maladie qui n’est plus. Mes faiblesses font naître un frisson dans ma nuque, comme une épine plantée à même ma colonne vertébrale. « C’est bien loin de l'acception tacite qu'on nous enseigne habituellement en thérapie, mais... » parler m’occupe, parler avait toujours été mon moyen de défense pour cacher tout ce que je voulais derrière un masque opaque, faux, douloureux. Quand Noah n’allait plus, c’était ce bouclier qui avait gardé Ezra et Edward de tomber si souvent. Et pourtant, à chaque mot articulé, je le sens de plus en plus disparaître. Comme si je n’avais pas besoin de le porter avec lui, comme si plus je le retirais, mieux on se porterait tous les deux. Mes égratignures, mes angoisses, ma panique, et seul ce concret que je peux lui servir, que je peux lui promettre. « ... mais à force, ça décrit le démon qu’on doit abattre. Ça donne des qualificatifs précis, ça aide à se faire des gabarits, à avoir des limites, à savoir ce qu'on doit travailler, et... » je m’emporte, ne sentant toujours pas ses iris vers moi, craignant le pire. Que je le perde à nouveau. Qu’il y retourne. Qu’il abandonne. « …et t’es pas obligé de le faire, t'es pas obligé de répondre, mais je, juste… ne repars pas là-bas tout seul. S’il-te-plaît. »
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Isaac Jensen
le coeur au bout des doigts
ÂGE : 34 ans (13.05.90) SURNOM : Isy STATUT : Penny est le soleil et l'amour de sa vie, l'évidence avec laquelle il écrit sa plus belle histoire et s'autorise à réaliser des rêves de bonheur (06.07.2021) MÉTIER : Infirmier au service des urgences, président de l'association Run for Judy, infirmier bénévole à la Croix Rouge et aux Flying Doctors, sapeur-pompier volontaire et surtout : papa comblé de Jude (13.09.2018), Maia (14.06.2022), Jack et Mila (01.08.2023) LOGEMENT : Penny et lui ont quitté Toowong en 2024 pour s'installer avec leurs enfants à Bayside et y créer leur cocon à l'image entière de leur amour POSTS : 28708 POINTS : 0
TW IN RP : dépression, anxiété, automutilation, idées suicidaires, tentative de suicide, mentions d'abandon d'enfant PETIT PLUS : Emménage à Brisbane en 2003 ∆ il exerce en qualité d'infirmier au st vincent's depuis 2006 puis est affecté aux urgences en 2013 ∆ une suite de blessures anéantit sa carrière de joueur de football australien en 2010 ∆ il attente à ses jours en mars 2018 et reprend le travail en septembre 2018 ∆ finaliste de ROA en 2020 ∆ il se soigne contre son anxio-dépression, après avoir longtemps refusé son diagnosticCODE COULEUR : Isy s'exprime en #9966ff ou slateblue RPs EN COURS :
Mon souffle glisse entre mes lippes et je me laisse happer par la réalité de cette existence. Mes sourcils se froncent, témoins de l'incompréhension de mon être qui se livre à un tel masochisme, exhibant juvénilement cette audace vaine, cette témérité candide. Je perds prodigieusement foi en ma personne, ne perçois aucune once de promesse sereine. Mon dos épouse la tapisserie du mur et je me soumets à la gravité, m'y love autant que m'y résigne, l'épuisement générant tantôt désarroi, tantôt panique.
D'incalculables maux se bousculent dans mon esprit, entraînant mon cœur dans une sordide valse étourdissante. Dans cette foule noire, je reconnais chacun d'entre eux, tout en étant incapable de les séparer, de les isoler. Issu de ce spectacle grotesque s'extirpe ce mutisme assassin et anxiogène. Quelques mots écorchés parviennent à traverser la barrière de mes lèvres, formulant une excuse à Ginny, déplorant ce désir, ce besoin si intense de ma part que cette soirée soit réussie. Je nécessitais ces heures bénies avec la jeune femme, celle qui parvient à taire, à la fois douce et autoritaire, les démons d'un regard. Celle qui, tel un fanal, éclaire mon avenir d'un fin sourire, éparpillant généreusement des soldats de l'espérance dans ma quête d'épanouissement. Elle constitue mon modèle de contentement, ma preuve bienveillante que le chemin vers le bien-être est sinueux mais franchissable. Je regrette douloureusement ce turbulent événement, ce terrible coup du sort, cette fatalité massacrante, avec une acerbité telle que mon regard se brouille contre mes paumes protégeant ma risible fierté malmenée. Je relâche les termes que ma mâchoire fébrile articule, épurant cette fine couche prônant sur le monument de mes désespérances. Porté par cette obscurité que je m'impose et sa présence que je ressens, je lui esquisse la masse de ces démons contre laquelle je me bats quotidiennement, régulièrement. Cette horde qui me traque, me terrasse, m’exténue. Aujourd'hui, je rends les armes, j'affirme d'une voix brisée que mon entité l'est tout autant. J'ose appeler, pour la toute première fois, à l'aide.
La McGrath dispose méticuleusement ses paroles, tels des soins prodigués sur mes plaies pudiquement découvertes. Chacun de ses propos est enregistré, répété, orchestré, susurré. « T’as pas besoin d’être désolé. » Sa voix se métamorphose en écho, hymne proclamant la fin du calvaire, inspirant la suite des combats. Une bataille est révolue, mais la guerre demeure en cours. Et pourtant, je suis tant désolé. Je me sens si ridicule de m'attacher tant, je m'effraie et regrette de dissiper mon fardeau si allègrement à ses pieds, priant qu'elle sache transformer en tenace force ce poids m'entraînant irrésistiblement dans la pénombre étouffante de mes émotions toxiques. « À s'enfermer là-dedans, y’a rien de bon qui peut en retourner. T’as pas besoin d’être quoi que ce soit d’autre qu’être ici. » Je milite contre les saccades de mon souffle, les soubresauts de mon âme peinée. Je m'efforce d'initier les conseils de la jeune mère, néanmoins, la peur me transit. M'enfermer avec mes tourments me permets de les retenir le temps que je tienne debout. M'autoriser à m'en libérer signifie inexorablement autoriser une porte entrouverte sur leur propre fuite. Les conséquences que cette dernière menace m'épouvantent à un point que je préfère dépérir en les retenant.
Comme devinant que la déception la plus récente est la plus facile à aborder, Ginny reprend, promettant une continuité à cette soirée, réfutant son caractère final d'échec que je lui approprie, démuni, dépité. Sa voix s'est rapprochée, le parfum de sa présence vint enlacer, apaiser, mon corps éreinté, ma tête beaucoup trop lourde de ces harassements incessants. « Une chose à la fois. Un élément à la fois. » Un maigre sourire en coin étire mes lèvres, si pâle, si timide. N'était-ce pas la même conduite que je lui suggérais, lorsque j'étais encore apte à prendre soin des gens m'entourant ? Lorsque le malheur nous afflige en bloc imposant et difforme, la meilleure réaction est de le décomposer, le décrire, le diminuer, petit à petit. « Qu’est-ce que tu ressens, là? Comment est-ce que tu décrirais les sensations? » Mon palpitant manque un battement, mes doigts se mêlent lentement à mes cheveux. Cet exercice, aussi crucial soit-il, m'est insurmontable. Comment pouvais-je me permettre de faire face à mes assaillants lorsque je ne sais plus tenir debout ? Je sais pertinemment que Ginny a raison, j'ai pleinement conscience qu'il me faille l'écouter, l'accompagner dans ce trajet qu'elle se propose même de parcourir à nouveau avec moi, tendant sa précieuse main enlacée des dorures ébènes de son passé. « Je… y’avait cet exercice qu’on me faisait faire. Mettre des mots sur le mal, décrire ce qu’on entend, ce qu’on voit, ce qui gronde à l’intérieur. » Mon cœur bat désormais si fort que mes tympans en souffrent. Mon sang me semble parcourir si promptement les veines que j'en deviens fébrile. « Ça m’arrive encore de… parfois. Ça m’arrive encore de le faire, parfois. C’est bien loin de l'acception tacite qu'on nous enseigne habituellement en thérapie, mais... à force, ça décrit le démon qu’on doit abattre. Ça donne des qualificatifs précis, ça aide à se faire des gabarits, à avoir des limites, à savoir ce qu'on doit travailler, et... t’es pas obligé de le faire, t'es pas obligé de répondre, mais je, juste… » Je retiens de nouveau ma respiration, laissant ce souffle perdurer en moi, se périmer, s'alourdir, brûler mon instinct de survie, l'affoler sans scrupule. Je retiens cet air puisque ce monticule de prestance que je me suis bâti suite à ma tentative de suicide, devant Arthur, Loan et Noa, ne vaut rien. Il a toujours été provisoire, j'en ai toujours été conscient. Je l'ai érigé, propulsé par cette culpabilité poignante qui me tiraillait les entrailles sans merci, pour faire bonne figure, pour adoucir le choc de mes proches que je m'étais évertué à ne jamais blesser, pour en réalité les accabler de la plus cruelle manière possible. J'avais recollé les morceaux piètrement, à la va-vite, espérant qu'ils tiennent le temps que je rentre chez moi et puisse me détruire à nouveau en silence, en privé. Sauf qu'Arthur était resté à mon domicile, alarmé et méfiant, mes amis m'avaient contacté, ils avaient instauré ce lien vital duquel j'étais éternellement reconnaissant. Toutefois, avait aussi été poussée dans ses retranchements cette mascarade que j'arborais, jour après jour, heure après heure, devant eux, au nom de notre amitié. Aujourd'hui, je ne peux plus la supporter, elle dégringole, elle sombre, elle s'éparpille dans toutes les parts de mes souvenirs assassins, des ces morceaux brisés d'amour, de ces rêves piétinés, de ces ambitions annihilées, de ces combats vaincus. L'édifice éphémère est en ruines, je ne suis plus que brut. « Ne repars pas là-bas tout seul. S’il-te-plaît. » Alors, en désespoir de cause, les termes impuissants, inexistants dans mon vocabulaire, je me redresse et me mouve vers elle. Le cerveau se tait, les réflexions sont nulles, seuls l'instinct et le cœur parlent. Mon front s'appuyant sur son épaule, toute mon âme désormais nue suppliant la sienne de l'aider à calmer ses états, l'implorant de solidifier un lien. Puisqu'en ce moment précis où le corps ne tient plus et les apparences sont détruites, c'est de la source même du soutien que j'ai besoin, d'un contact instinctif et naturel, quémandé par le plus profond de mon être.
Les maux se cristallisent, assiégés de puissantes émotions souvent contradictoires qui s'harmonisent pourtant pour s'accrocher à mes cils dans un effort sommé vain lorsqu'ils se résignent à fonder des sillons sur mes joues. « Je suis désolé, » répétais-je dans un hoquet nerveux. J'efface les traces déclarant mon accablement existentiel essentiel, conscient toutefois que je ne pourrais pas l'étouffer, ne disposant plus des outils de pacotille que je m'étais créés à ces fins des mois plus tôt. Le seul acte, maladroit, tremblotant, dont je jouis est celui d'étaler les larmes sur mes joues qui maintenant coulent sans pouvoir être retenues, aussi indispensables que féroces tant elles avaient été retenues. Je serais même incapable d'expliciter ce critique chagrin à mon interlocutrice victime de ma disgrâce, tant il relève du même registre que mon déchirant et strident besoin de me rapprocher d'elle. L'instinct pallie ce que le conditionnement de l'âme subit.
« Une chose à la fois. Un élément à la fois. » même si je reconnais mon intonation qui monte doucement à mes oreilles, j’entends la voix d’Isaac qui résonne dans ma tête, j’entends toutes ces fois où il disait la même, où il voyait d’un regard que je n’allais pas, que rien n’allait plus. C’est la seule chose à laquelle je m’accroche, la seule chose qui compte. Un souvenir de lui où il n’est pas en ruines, un souvenir de l’infirmier qui va bien, ou du moins, ce qu’il laissait transparaître. Volontairement, je ne m’enlise pas dans les réalisations, dans l’anticipation que durant tous ces mois où il m’avait offert son épaule et son écoute, il en aurait eu tout autant besoin que moi, si ce n’est plus. Je ne laisse aucune place aux questionnements qui remontent depuis la dernière fois où je l’ai croisé, depuis même les altercations où on m’avait appris son état au détour d’un couloir d’hôpital. Si sa silhouette recroquevillée suffit à faire monter en moi flot de culpabilité et autres remords alignés à mes plans bien naïfs pour la soirée, jamais je n’oserais perdre pied dans une avalanche de doutes, et imaginer à quel point il supportait sa peine et son mal en solo depuis longtemps, trop. Ses épaules affaissées, son regard perdu derrière des paumes que je ne m’autorise plus, il n’y a qu’un maigre son ambiant, sa respiration stable si ce n’est faible, difficile. Et je parle, et je tente, et j’ose, plus que de raison, plus qu’il ne le faut. Parce que je veux le rapatrier ici, avec moi. Parce que l’imaginer maintenant seul alors que l'unique chose qui compte à mes yeux est qu’il ne le soit plus jamais me serre le coeur, précipite mes mots, accélère mes intentions. La thérapie et les exercices et les faits et les dossiers que je vois défiler sous mes yeux au fil de mes phrases, les notes, horribles notes prises à mon insu que j’avais finies par voir si tard dans le processus, des années après qu’on ait insisté pour que ma dépression soit enfouie, oubliée, niée par la majorité. Je m’entends baratiner et insister et encore, je m’entends et je m'énerve, je m’imagine et me refuse. J’espère aussi, surtout. J’espère qu’il entende. J’espère qu’il revienne. J’espère qu’il trouve en lui, en moi, en nous, la force de se battre, ou du moins de tenter, si ce n’est qu’un maigre, un minime pas dans la bonne direction. Et il réagit. Mollement, sans conviction aucune, mais il bouge, se redresse, attire dans son mouvement dissipé mon regard comme un aimant. Il n’a qu’à demander, il n’a qu’à dire, il n’a qu’à suggérer et l’instant d'après je ferai tout en mon pouvoir pour qu’il trouve en moi cette alliée dont j’aurais si égoïstement eu besoin jadis. J’écoute, interdite, je ne presse pas, même si mon intérieur brûle de savoir. Si je pouvais porter son fardeau, si je pouvais enrayer ses démons, si je pouvais faire quoi que ce soit, et s’il avait assez confiance en ma personne pour me le demander surtout. La seconde d’après, c’est le poids inattendu de tout son corps qui se love contre le mien, qui y recherche la moindre bribe, la moindre esquisse de réconfort dans un soubresaut que je ne reconnais que trop. Si mon souffle se coupe à l’instant où Isaac se blottit au creux de mon épaule, j’inspire doucement à l’instant où mon bras passe tout naturellement autour de lui, resserrant l’étreinte, sentant la moiteur de ses larmes traverser ma peau comme des dizaines de lames transperçant mon coeur. « Laisse aller, lâche prise. Tu es en sécurité. » ses excuses ne servent à rien, qu’il soit désolé m’est obsolète, ridicule, tout sauf nécessaire. Je n’en tiens même plus compte, ses larmes qui reprennent comme des torrents, ma paume qui épouse son bras relâché, mes lèvres qui trouvent la naissance de son crâne une minute plus tard, y déposant un baiser à consonance si protectrice que je n’y accorde pas la moindre intention déplacée. Elle est égoïste, Ginny, alors que dans chaque sanglot, chaque soupir, chaque plainte, elle retrouve sa propre peine, ses nuits entières à étouffer sa honte et ses pleurs dans son oreiller, à espérer lâchement que quiconque, Matt, Jill, ses parents, Ezra même, stupidement, entre à la volée, chasse tout du revers. Elle est faible, Ginny, maintenant qu’elle perd ses doigts dans les mèches savamment placées d’Isaac, qu’elle y joue nerveusement pour s’empêcher de faire autre chose, de penser à autre chose, de réaliser cette larme, toute seule, unique, pesante, lourde de sens et de sombre, qui coule le long de sa joue glacée.
J’ignore combien de temps je reste ainsi, et lui tout autant. J’ignore sans même prêter la moindre attention au monde extérieur, sans sentir le besoin de le faire non plus. Si le sentir entre mes bras, qui se décompose, qui s’y abandonne, qui s’y retrouve, me suffit, c’est évidemment un soulagement de voir qu’il se risque enfin à suivre mon maigre conseil, à écouter mes simples paroles, à vider la pression de tout ce qui menace d’encore exploser, tout ce qui se cache derrière cet horrible masque dont il a été obligé de s’affubler depuis qu’on l’a catalogué ainsi. Je les connais, les regards dont on nous couve par la suite, je les ai enregistrées par coeur, ces phrases, ces intonations, ces demandes à mi-chemin entre l’intrusion, et le jugement facile. Et lorsqu’on ne nous demande pas comment nous allons, après, on nous l’impose. Le sentiment qu’on devrait ressentir, les limites qu’on devrait se poser, les façons de le faire, la vie qu’on devra vivre a posteriori, stigmates d’un état d’âme, d’un cri de détresse que personne d’autre que nous n’a tragiquement entendu. Et je reste stoïque, et je supporte tout ce qu’il y a à supporter, patiente, présente, le temps dont il aura besoin, et plus encore s’il le faut. Dans le silence mutin du couloir, dans l’acouphène des quelques instruments et chansons provenant de la pièce d’à-côté, dans les murmures et les échos de tourment d’Isaac qui trouvent place en mon sein, il est évident que je sursaute lorsqu’on entend l’annonceur railler dans les colonnes de son, grincer de sa voix robotisée, rappeler l’entracte qui débutera dans une angoissante poignée de secondes. Je n’ai pas envie de tester le destin, je crains déjà l’horrible dicton qui jure que deux ne vient jamais sans trois, qu’un instant de plus ici agite à nouveau l’épée de Damocles au-dessus de nos têtes, la menace qu’elle représente. Hors de moi l’envie de le presser, jamais je ne me le pardonnerai. Mais dans un souffle à son oreille, j’aspire à le rassurer, à le protéger surtout. « Fais-moi confiance. » d’abord, presque autoritaire, si ce n’est qu’absolument nécessaire. Je lui laisse à peine le temps de répondre, l’imaginant sous le choc de tant de larmes à cuver pour avoir la simple force d’entendre, déjà, de réaliser, ensuite. J’ose à nouveau, l'instinct qui suffit à justifier le reste, et mes doigts qui reprennent leur place entre les siens, l'intiment à se lever, à me suivre dans la marée de dos et de têtes et d’yeux que j’évite comme la peste, à travers laquelle je sprint sans perdre la moindre seconde, comme si notre survie en dépendait ; ce qui est malheureusement le cas.
Puis, l’air de l’extérieur vient se casser contre mon visage. La brise fraîche d’une nuit d’hiver qui suffit à réveiller mes sens, à projeter une dose supplémentaire d’adrénaline, m’assurer qu’Isaac est toujours derrière, qu’il n’a pas lâché ma main, qu’il sait qu’à partir de maintenant, il n’affrontera plus la suite seul, plus jamais. Dans l’absence de marge de manoeuvre et de réflexion, dans le tic tac oppressant de ma montre qui dicte l’urgence de quitter ces lieux pour lui offrir un peu de répit, pour lui offrir un nid, un cocon, n’importe quoi, ma paume libre se lève, suppliant d'attraper l’intérêt d’un des taxis attroupés à la sortie du théâtre. Bien sûr, l’absence de clients pour cause de spectateurs attroupés entre le hall et la salle prêts à entamer la deuxième partie de la pièce suffit à ce que la première voiture jaune du lot fasse son sillage vers nous avec envie. Et elle pense vite, Ginny, elle reconnaît ses comportements de la dernière chance, ses impulsions de mère brusquée mise au pied du mur en toute constance du temps où Noah luttait entre la vie et la mort. Mon adresse que je nomme à la va vite, beaucoup plus occupée à espérer un miracle, à implorer un voyage qui se fait sans heurts, à commencer par le regard d’Isaac que je cherche, que je quémande durant tout le trajet. Lui à qui je n’ai rien demandé, lui à qui j’impose tout, en espérant qu’il sache que ceci, je le fais strictement pour en avoir manqué. Je l’offre pour l’avoir tant voulu, désiré à un point même maladif. Qu’on m’autorise du temps. Qu’on me permette d’être dans un endroit neutre, qu’on me donne la latitude de sortir tout chagrin de mon système, que je lâche prise, que je laisse aller. Chaque kilomètre parcouru m’en fait l’effet d'en cumuler une centaine dans l’attente, dans l’anticipation, dans l’angoisse qu’il l’ait vue à la sortie, sur le parking, sur le trottoir, peu importe. Qu’elle ait laissé une dernière marque au fer rouge sur son coeur, avant qu’il ait réussi de survivre à quoi que ce soit de plus. Les clés que je trouve étonnamment du premier coup dans mon sac, qui s’enfoncent dans la serrure du 11 Logan city avec empressement. Ce n’est qu’une fois à l’intérieur de la maison plongée dans la pénombre que je respire enfin, souffle un peu. Le calme d’un couloir à l'autre bout de la ville troqué pour celui d’une demeure entière, Noah chez son oncle, et Isaac qui se laisse guider sans que je ne lui en donne le choix. Déposant le trousseau sur la table basse, je mets un bon moment à chercher mes mots, à me retrouver devant le fait accompli que j’ai assumé peut-être trop vite, peut-être pas assez, mais qui est né d’une pulsion instinctive qui jurait que maintenant, ça irait bien, qu’il le fallait absolument de toute façon. La voix molle, les sourcils froncés sous l’effet de la surprise que je me suis moi-même affligée, je fais volte-face vers l’infirmier, lève un doigt dans sa direction, incertaine et assurée à la fois. « Je reviens. » et tu penses qu'il va attendre dans l’entrée, vraiment, Ginny? Qu'il va y guérir, peut-être? Que le changement de localisation vaut la peine, qu'il est justifié? Retrouvant un semblant de chaleur, je l’invite d'un coup d'oeil au salon, replaçant au passage coussins et couvertures pour y ajouter une touche de confort, puis file me planquer dans la cuisine. Le bruit des tiroirs et des placards ouverts et fermés à la volée cache ma respiration un brin haletante, et la recherche de sachets de thé - qui je pourrais le jurer se trouvaient dans le placard du fond, mais sérieux, où est-ce que j’ai pu les mettre depuis la dernière fois? - couvre mes pensées qui flottent, qui rattrapent finalement mes gestes.
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Isaac Jensen
le coeur au bout des doigts
ÂGE : 34 ans (13.05.90) SURNOM : Isy STATUT : Penny est le soleil et l'amour de sa vie, l'évidence avec laquelle il écrit sa plus belle histoire et s'autorise à réaliser des rêves de bonheur (06.07.2021) MÉTIER : Infirmier au service des urgences, président de l'association Run for Judy, infirmier bénévole à la Croix Rouge et aux Flying Doctors, sapeur-pompier volontaire et surtout : papa comblé de Jude (13.09.2018), Maia (14.06.2022), Jack et Mila (01.08.2023) LOGEMENT : Penny et lui ont quitté Toowong en 2024 pour s'installer avec leurs enfants à Bayside et y créer leur cocon à l'image entière de leur amour POSTS : 28708 POINTS : 0
TW IN RP : dépression, anxiété, automutilation, idées suicidaires, tentative de suicide, mentions d'abandon d'enfant PETIT PLUS : Emménage à Brisbane en 2003 ∆ il exerce en qualité d'infirmier au st vincent's depuis 2006 puis est affecté aux urgences en 2013 ∆ une suite de blessures anéantit sa carrière de joueur de football australien en 2010 ∆ il attente à ses jours en mars 2018 et reprend le travail en septembre 2018 ∆ finaliste de ROA en 2020 ∆ il se soigne contre son anxio-dépression, après avoir longtemps refusé son diagnosticCODE COULEUR : Isy s'exprime en #9966ff ou slateblue RPs EN COURS :
La tour de ma prestance s'effondre impétueusement, les briques chatouillant le ciel noir de mes tourments se brisant à la volée contre cette catégorique réalité. Le domaine érigé depuis des années, imposé depuis des décennies, consolidé sans cesse de cet adhésif qui étouffe les sentiments, de ces foulards qui étranglent les constats traumatisants, de cette infâme colle qui somme que rien ne bouge, jamais, pour rencontrer ces mœurs, cette attitude d'homme imperturbable, impénétrable. Aucune larme ne sait s'évader de cet étanche donjon, aucun vocifération, aucune plainte. Elles s'accumulaient néanmoins, résistantes de cette guerre partiale ; et aujourd'hui sonne leur délivrance.
Les perles lourdes de sémantiques diverses inondent mes joues sans cérémonie, sans retenue. Je suis incapable de les retenir, toute la volonté et la honte du monde ne seraient pas suffisantes à ce que je cesse ce sanglot étreint d'inconsolable. Alors, vidé mentalement comme physiquement, retrouvant cette oasis déserte, j'abandonne mon cœur à souffrir tous ces coups qu'il a reçu et n'a jamais eu droit de subir. L'ignoble masse de peines, de colère, d'angoisse, induites en âpres calvaires s'extériorise, décisive. Ginny, havre libérateur, me semble les recueillir, les accepter, les bercer, les panser, lorsque je suis encore inapte à le faire, excédé de les perdre à jamais.
Son bras vint refermer cette étreinte, matérialisant cette bulle de chaleur, de sécurité, qu'elle me dessine de ses paroles. « Laisse aller, lâche prise. Tu es en sécurité. » En sécurité, les deux termes si simples dans leur banalité qui me prodiguent pourtant cette émancipation inespérée, qui appuient et autorisent ma rupture que je ne peux cesser en son cours. Le torrent est trop intense, il filerait entre ces doigts glaciaux essayant de le retenir, de le condenser derrière un nouveau barrage. Ces mêmes doigts sont aujourd'hui brisés, fatigués, recroquevillés sur des paumes écorchées d'avoir trop tombé sans jamais avoir pu guérir. Ses doigts dans mes cheveux me raccrochent à la réalité, son baiser sur ma chaire soulignent mon appartenance.
Le temps se dérobe, les secondes et les minutes s'étreignent. Je perds la notion du temps mais sursaute lorsqu'une voix métallique prévient l'arrivée des dizaines de spectateurs réjouis par l'art dont je prive mon alliée. Je me redresse, les sillons humides défigurant mes traits. « Fais-moi confiance. » Ses doigts s'entremêlent aux miens et promptement, elle m'invite à fuir la scène. Je passe une manche sur mon visage, y effaçant les débris de mes malheurs en vain. Les silhouettes trépassent et la brise fraîche gèle mes joues marbrées. Je tourne le dos à mon passé, rejetant le moindre regard vers le théâtre et bien vite, un taxi se positionne devant mes pieds. Ginny ouvre la portière et s'y engouffre, m'invitant à faire de même. Docile, égaré, je m'y plie, sous le regard effaré d'un conducteur s'imaginant une scène désastreuse.
Les quartiers se faufilent sous ma vue brouillée. Mes doigts contre mes lèvres pâles, je persiste à regrouper l'énergie qu'il me reste, résigné à ce que nulle consolation puisse tarir ces larmes qui se doivent de sombrer devant témoin. Le véhicule se gare finalement devant Logan City et la jeune mère déverrouille la porte vers son quotidien, son refuge, sa zone de confort signée de son âme. « Je reviens. » Décontenancé, je balaie du hall d'entrée la maisonnée du regard et laisse Ginny s'évertuer à arrimer des coussins. Je suis ses gestes, sa silhouette du regard, élucidant à mesure de mes observations qu'un pas s'est possiblement vu franchi brutalement. Elle m'invite d'un coup d’œil à pénétrer son salon et je m'exécute, incertain, alors qu'elle s'évade vers sa cuisine. Ma vie demeure en suspens entre les coussins et la table basse et je perçois une salle de bain entrouverte à une poignée de mètres. Silencieux, je m'y oriente et referme la porte derrière moi, dans l'objectif de déblayer ne serait-ce que les fondations de ce squelette tantôt d'apparence, tantôt de vérité, qui me permet de compléter cette existence. Je glisse mes mains sous un filet d'eau froide et purge mon visage de ma salvatrice déchéance. J'inspire profondément le parfum de la petite pièce, l'houleux émoi agonisant, périssant. Je risque un coup d’œil au miroir, observant que mise à part la pâleur du teint jurant avec la rougeur des yeux, le tourment s'est évaporé.
Je sors discrètement de la salle de bain sous l'écho des portes et tiroirs grinçant sous leurs gonds. Les explications germent dans mon esprit et je rejoins la McGrath dans sa cuisine, mes yeux vagabondant d'un élément à un autre. « Ginny, » appelais-je doucement, soucieux de la faire sursauter, respectant une distance entre nous. Alors qu'elle se fige, reconnais ma présence, j'assure étrangement : « Ça va aller. » Puisque même si j'ignore prodigieusement où j'en suis, que mon être a brisé toutes ses anciennes règles, un mystère en moi me susurre que ça ira, maintenant. Le terrain est vaste, mais les probabilités nombreuses. La clarté est présente et je me sens délivré de certains boulets qui m'entraînaient insatiablement vers une noyade. Les émotions sont à vif, les sentiments et les malheurs voguent mais au moins, ils ne sont plus compressés. Ils ne m'étouffent plus autant, dans cette liberté nouvellement acquise d'être. Et en cette minute précise, le miroir me paraît se retourner, la jeune mère rencontrant d'éventuelles complications. Je m'imagine que m'inviter au cœur de son cocon relève de son pur altruisme mais peut être réfuté par ce bien-être qui naît dans la stabilité, le calme du privé. Inviter quelqu'un dans son intimité pour lui et non pour soi dispose de goûts de double tranchant. « Je peux partir, » lui suggérais-je ainsi, voulant ôter l'intrus que je pouvais constituer dans cette scène établie avec soin. Ses mains tremblent sur des couverts et je corrige, conciliant, l'intrus que je me dessine ayant des traits nocifs : « Je vais peut-être partir. » L'espace de quelques secondes, mon regard fuit le sien, coule sur sa silhouette, des éléments aléatoires composant son inestimable être à ma nouvelle vie. Je grimace, épuisé mais aussi honteux, navré. « Je suis désolé de t'affliger tout ça mais... Merci. » Mes yeux brillants se plongent enfin dans les siens, alors que je précise, maladroit des mots, sincère des maux : « Tu me sauves. » Bien que ce ne soit pas son rôle, ni sa mission. Je reconnais qu'elle offre beaucoup - trop ? - de sa personne pour celle que je constitue, à ses importants risques et conséquents périls. Aujourd'hui même, j'ai le sentiment de l'avoir fait basculer, happé par ces méandres colporteuses de désarrois. Je la mets en danger en m'appuyant tant sur elle dans l'antre périlleuse de mes luttes tempétueuses. Néanmoins, elle me sauve. Au passé par les actions orchestrées ces dernières heures, ces derniers jours, ces dernières semaines ; sa promesse, ses conseils, sa main tendue, ses paroles, configurent ma convalescence. Au présent, régnant sur ce royaume de tolérance et d'acceptation des faiblesses et difficultés de l'Homme. Au futur, je l'espérais ardemment, désespérément, figé dans sa cuisine, malgré mes paroles évoquant mon départ, mon cœur balançant. Une émotion limpide, un désir force de son naturel puisé de chaque palpitation de mon existence, prime et glisse entre mes lippes : « Je ne veux pas te faire du mal. »
De chaque côté du véhicule, ce sont des dizaines de buildings de toutes les formes, toutes les lumières qui se dessinent, tellement vite qu’on les remarque à peine, qu'ils en deviennent presque familiers tant ils se ressemblent. Souvent, je comptais les fenêtres encore illuminées à cette heure, celles qui laissent deviner un employé dédié à son travail, sa vie privée mise en berne le temps de quelques dossiers, quelques appels. Par habitude, j’adorais imaginer le quotidien de purs inconnus, laissant mon regard se perdre sur les voitures, les piétons, les maisons voisines ; tout est ignoré, maintenant que je ressens chaque mouvement, chaque souffle d’Isaac, une denrée rare, importante, à garder à l’oeil, à analyser au mieux. Il a sombré déjà tant de fois depuis le début de la soirée, il s’est effrité à un rythme si rapide que je ne me donne plus le droit à l’erreur, que j’accorde tout ce qu’il me reste de forces en sa direction, regard coulé sur lui qui insiste malgré son ignorance. Latent, il ne dit mot, il consent, et je ne pourrais pas dire si je suis rassurée qu’il se plie au trajet dans un silence de coton, ou si j’appréhende avec la pire crainte possible qu’il tourne le dos, claque un départ du revers de son déni une fois le moteur éteint, la course payée. Mais j’attends, patiente, parce que je n’ai que cela, du temps à lui offrir. Je n’ai que des mots pour lui, que de belles promesses, que des coups d’oeil bienveillants, des mains avides de chaleur. Je ne sers à rien d’autre qu’à ramener son focus dans la bonne direction, si cela m’est humblement possible - et encore tremblante, je me fais pitié, de l’inviter à l’intérieur de ma maison comme si c’était l’évidence, comme si le dépaysement le plus total lui ferait ne serait-ce qu’une bribe de bien. Dans le mutisme de l’endroit, je m'égare entre les coussins, les couvertures, les esquives de paroles, la fuite à la cuisine, les soupirs que je lâche à travers. J’en oublie même d’allumer une lampe quelconque, d’éclairer son chemin, maintenant que je l’entends toute ouïe se réfugier à la salle de bain. Paumes appuyées sur le plan de travail, tête baissée, c’est un doute, un immense doute qui remonte en moi, venin d’incertitude, qui s’assure de remettre en question le plus futile geste posé depuis mon arrivée au théâtre et même avant, discours affirmé à un Isaac en peine, en mal, qui ne demande qu’à aller mieux. À trop insister, à trop coller, à trop vouloir, et je tente de faire la paix avec mes propres problèmes en expiant les siens. La blague qui reste en travers de ma gorge, provoque une quinte de toux de stress, se cachant merveilleusement bien avec un tiroir au hasard que j’ouvre, un placard que je referme. Quand il reviendra, je lui dirai qu’il peut partir, je lui éviterai mon emprise effrontée, je le dédouanerai de mon insistance. L’instinct qui a le dos large, qui peut bien en faire des choses, en dire des mots, mais qui au final n’a été qu’une suite de signaux d’arrêts, de drapeaux rouges, d’alarmes que j’ai ignorées en croyant à mieux. Une seconde et j’inspire, une minute et j’expire. Quand il reviendra, il sera libre, et je garderai le reste pour moi.
« Ginny, » et même si sa voix est douce, et même si je sais qu’il a encore en souvenir tous ces moments où j’étais tellement concentrée sur la silhouette trop immobile de Noah pour que même le plus calme des tons ne me fasse pas sursauter, mon corps a un soubresaut, mes épaules se relèvent. Faisant volte-face, je remercie le comptoir qui épouse ma silhouette épuisée, qui s’épuise elle-même. Qu’il me rassure, qu’il prenne la peine de me dire que tout ira bien me semble tellement ridicule, tellement pathétique, tellement douloureux et gage de mon incompétence que j'accuse tout ce qu’il me reste de courage avant de lever les yeux dans sa direction, de tenter encore une fois d’être plus stoïque que j’en suis capable. « Je sais. » il le dit pour lui, pour moi, et j’en fais tout autant. Ma décision est prise, mon choix est clair, d’assister à son déclin me confirme ce que je sais déjà depuis bien longtemps : je suis nocive, et mes bonnes intentions de pacotille n’ont servi à rien. Lorsque l’infirmier propose lui-même dans son malaise ce que je mijote douloureusement, c’est mon hochement de tête silencieux, conciliant, qui lui répond, d’abord. Il sait qu’il doit partir, j’en suis consciente moi aussi. S’il ne part pas, ce sera plus difficile que tout le reste, ce sera un miroir qu’on se renverra chacun, ce seront les démons de l’un qui flirteront avec ceux de l’autre. Tout ceci est beaucoup trop malsain, mes doigts qui jouent nerveusement avec l’anse d’une tasse prise par inadvertance quelques minutes plus tôt, ce à quoi je me raccroche là où je peux, plus ballante que je ne me l’avouerai jamais. « Je sais. » et je me fais petite, comme une gamine que l’on gronde, comme une réalisation que rien n’est sûr, tout est déséquilibré, difficile. Un maigre sourire déçu couronne mon visage, et lorsque nos iris se croisent, s’attachent, j’espère qu’il verra dans la noirceur à quel point j’aurais voulu être celle qui le sauverait, pour vrai. J’aurais voulu que cette impression d’avoir été le déclencheur du pire, même s'il ne nie innocemment, ne naisse pas à l’intérieur de mon ventre, boule de chaleur et d’amertume qui monte le long de ma trachée, se casse à mes lippes. « Je ne veux pas te faire du mal. » qu'il insiste. Si tu savais comme je ne veux pas te faire du mal, moi non plus.
C’est le bruit aigu de la céramique qui éclate au sol qui me ramène au présent, à lui, à ici. La tasse en otage, que j’ai complètement oubliée, qui gît maintenant à mes pieds comme un énième rappel des éclats que j’ai provoqués, de ce que j’ai laissé dans mon sillage. Lentement, à tâtons dans la pénombre, je sens mon corps qui se recroqueville au sol, piètre acteur se mettant au travail devant un Isaac dont j’ignore tout de la suite, tout du résultat, de l’aspiration. Mon souffle est étrangement calme quand, de longues secondes plus tard, j’entends ma voix tinter jusqu’à mes oreilles. « Ce qui me fait du mal, c’est de t’imaginer aussi isolé que j’ai pu l’être. » les doigts qui s’affairent à amasser morceau par morceau les pièces sur le carrelage, tentant au mieux de ne pas me couper, de ne pas prouver à Hassan à quel point il avait raison lorsqu’il affirmait que me laisser seule sans adulte à portée plus d’une heure relevait d’un risque passible de grands dangers. « Malgré tous ceux qui ont été physiquement là, malgré le fait qu’il y avait toujours quelqu’un pour être avec moi pendant des semaines... » et je sens le flot de paroles qui déferle, je sens les justifications qui embrument ma tête, la poussée nécessaire pour me rappeler qu’aussi douloureux est le processus, il est encore pire s’il est fait seul, s’il est sans allié, s’il nous laisse chacun sur le bas-côté, à des kilomètres l’un de l’autre. « … je n’ai jamais été aussi seule de toute ma vie, après. » dédicace autant à mon histoire, à la sienne, et peut-être à tous ceux qui ont cru que ce serait facile, que ce serait simple de balayer de bons conseils, d’exercices cognitifs, de médicaments endormant les maux mon mal-être de l’époque, et sa mélancolie d’aujourd’hui. Les restes au creux de ma main, je finis par adresser mon regard vers le brun qui, étonnement, n’est pas encore parti devant ma tirade, n’a pas encore fait le geste qui aurait facilement pu nous sauver, nous épargner le temps qu’il faut. « Je te l’ai déjà dit, je me sens égoïste Isaac. En t’aidant, je veux m’aider aussi. » la confidence fait du mal, autant d’être répétée que d’être affirmée, annoncée avec toutes mes tripes. Si je tiens autant à ce qu’il reste, si je m'étonne à chaque nouveau geste, si je me relève péniblement, garde mes prunelles vissées aux siennes, si je l’implore en silence, c’est qu’il est aussi salvateur à ce que je survive que ce que j’ai pu croire lui servir, pu espérer lui donner. « J’ai pas tenu le pari, j’ai pas tout mangé. » et je brise le silence qui s'est installé, et je brise ce qui reste en jetant les débris dans la poubelle, en détournant la tête vers mon sac qui gît sur la chaise, là, dans l’angle, d’où les bonbons si naïfs dépassent, me narguent. L’instant d’après, je reviens sur mes pas, allume machinalement la bouilloire, joue du bout des doigts avec les sachets à infuser qui trônent sur le comptoir, ne me risque pas encore à sortir deux tasses plutôt qu’une. « Un thé. Un thé, et après tu fais ce que tu veux, tu peux partir, tu peux rester, tu peux… je m’interposerai pas. Je forcerai pas, je forcerai plus. » et je négocie, oubliant si c’est parce que j’en ai vraiment besoin pour moi, ou si c’est simplement parce que je ne m’autorise pas à le renvoyer d’ici, à l’arracher à ma vue si vite avant même d’avoir pris le temps de souffler, d’avoir pris le temps d’espérer un peu. « Mais je serai toujours là si tu veux qu'on se sauve, ensemble. » la promesse qui revient, à nos risques et à nos périls, que je n’ai jamais autant crue, à laquelle je n’ai jamais autant tenue que maintenant.
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Isaac Jensen
le coeur au bout des doigts
ÂGE : 34 ans (13.05.90) SURNOM : Isy STATUT : Penny est le soleil et l'amour de sa vie, l'évidence avec laquelle il écrit sa plus belle histoire et s'autorise à réaliser des rêves de bonheur (06.07.2021) MÉTIER : Infirmier au service des urgences, président de l'association Run for Judy, infirmier bénévole à la Croix Rouge et aux Flying Doctors, sapeur-pompier volontaire et surtout : papa comblé de Jude (13.09.2018), Maia (14.06.2022), Jack et Mila (01.08.2023) LOGEMENT : Penny et lui ont quitté Toowong en 2024 pour s'installer avec leurs enfants à Bayside et y créer leur cocon à l'image entière de leur amour POSTS : 28708 POINTS : 0
TW IN RP : dépression, anxiété, automutilation, idées suicidaires, tentative de suicide, mentions d'abandon d'enfant PETIT PLUS : Emménage à Brisbane en 2003 ∆ il exerce en qualité d'infirmier au st vincent's depuis 2006 puis est affecté aux urgences en 2013 ∆ une suite de blessures anéantit sa carrière de joueur de football australien en 2010 ∆ il attente à ses jours en mars 2018 et reprend le travail en septembre 2018 ∆ finaliste de ROA en 2020 ∆ il se soigne contre son anxio-dépression, après avoir longtemps refusé son diagnosticCODE COULEUR : Isy s'exprime en #9966ff ou slateblue RPs EN COURS :
La fatigue possède mon être dans une innommable mystification. Bien que les incalculables émotions, sentiments et sensations qui tiraillaient perpétuellement mon âme y règnent toujours magistralement, cette horde nocive me semble désormais légère dans sa libération, frisant une séparation avec ma fatalité. Tel un cerf-volant dont on lâche enfin la ligne, bon gré mal gré, et que l'on observe avec appréhension s'éloigner de nous, redoutant toutes les conséquences que cette perte de contrôle invoque, craignant le futur de notre affection à défaut de pouvoir y apporter quelconque altération, si ce n'est celle de récupérer les morceaux une fois les maux imposés. Mes chagrins dansent, mes peurs valsent, mes colères flirtent avec mes hontes. Je suis terrifié vis-à-vis de l'encre que ces personnages intenses apposeront aux lignes de mon histoire, néanmoins, maintenant que j'ai enfin cédé toute prise sur cet irrépressible spirale infernale, j'inspire et vois clairement. Je contemple le chaos où militent rêves et espérances sur un cimetière de projets déchus, d'amour trahis et de sacrifices rendus futiles ; et mon regard sautent, nouvellement, vers l'horizon.
Je brise délicatement le silence de la cuisine faiblement éclairée, interrompt la jeune mère dans ses mouvements. Elle appuie cette nouvelle orientation salvatrice de deux mots savamment répétés. « Je sais. » Et derechef, je ressens son malaise et y applique soigneusement des conjectures. Je me dessine intrus en plus d'avide de toute la lumière qu'elle sait apporter sur ce sinueux chemin menant à l'épanouissement. Une sensation d'égoïsme me transperce le cœur, mouve mes lippes vers l'invitation à ce que je quitte son quotidien, sa zone de confort, son cocon abritant des souvenirs aussi colorés que les frasques de nos vies rabibochées. Lorsqu'elle hoche la tête, approuvant une nouvelle fois mes aveux sans nul doute avec raison, le monstre égocentrique se nourrit. Mon souffle se coupe et vivement, secrètement, mon cœur se serre brutalement. Je baisse les yeux tandis que j'amortis le choc, la vérité toute logique que la McGrath est mieux sans moi, et sa tasse se brise.
Elle se penche pour récupérer pieusement les morceaux et l'imite, referme mes doigts sur la céramique éparpillée à mes pieds. Pendant l'ouvrage, j'articule des paroles au goût d'adieu, m'excusant, remerciant, priant. La faiblesse des termes m'irrite, notre langue jouissant de tant de mots tristement si faillibles pour décrire ces émotions singulières, uniques, que l'on apprivoise qu'en compagnie d'une personne spéciale.
« Ce qui me fait du mal, c’est de t’imaginer aussi isolé que j’ai pu l’être. » Je me fige, pose mes pupilles sur cette silhouette recroquevillée sur tant de forces et de faiblesses. Chacun de ses mots s'ancrent en moi, tels des vaisseaux porteurs de bonnes paroles, de savoirs cruciaux à ma survie ; elle me paraît nouer davantage nos êtres. Je m'approprie son histoire, je lui dérobe le canevas qu'elle dépose devant moi pour y gicler le sang de mes démons, les validant enfin. Puisque moi aussi, je me sens accablement seul, souverainement déconnecté de tous ceux m'entourant sans relâche, armés d'une amitié et d'une affection merveilleuses. Je ne sais plus créer du lien, j'ignore comment les appréhender, plongé dans un monde parallèle dont l'issue me semble inexistante. Une vitre translucide s'impose constamment, taisant le vital pour ne filtrer que le superficiel.
« Je te l’ai déjà dit, je me sens égoïste Isaac. En t’aidant, je veux m’aider aussi. »« Je veux t'aider ! » crie le naturel, dépendant d'Autrui pour justifier sa continuité. Ses mouvements ravisent ma prise de parole, je ne la quitte plus du regard, de misérables palpitations, nées de détermination et d'angoisse, soulevant ma poitrine. « Un thé. Un thé, et après tu fais ce que tu veux, tu peux partir, tu peux rester, tu peux… je m’interposerai pas. Je forcerai pas, je forcerai plus. Mais je serai toujours là si tu veux qu'on se sauve, ensemble. » Je me tapis dans l'inaudible, l'impassible. Figé, mes iris sont immobiles et mes paupières ne cillent que lorsque l'artiste me confronte de l'éclat de ses perles noisettes. Je hoche la tête à l'affirmative, lui indiquant que j'acceptais son invitation à prendre un thé.
Je laisse filer les secondes, les minutes peut-être même. Égaré, je l'aide à disposer les deux tasses et leur couvert. L'eau bout vers le sifflotement de son contenant et une fois ce dernier hors de la source de chaleur, je déclare enfin : « Tous mes amis s'entendent à dire que j'suis quelqu'un qui a beaucoup de cœur, qui se casse parfois même trop la tête pour les autres et son propre bien. J'ai jamais su être d'accord avec eux. » Je saisis une cuillère, occupant mes doigts nerveux. « Pour moi, avoir du cœur c'est être capable de rassurer les gens, leur dire ce dont ils ont besoin d'entendre. J'ai jamais su vraiment faire ça. Avec les patients à l'hôpital, pour l'annonce des mauvaises nouvelles, je mesurais précautionneusement les informations que je donnais et souvent, je les mettais sur la piste pour qu'ils devinent ce que je devais leur annoncer d'eux-mêmes plutôt que de le faire directement. » Un sourire nostalgique étire brièvement mes lèvres, si prompt qu'il a des allures de mirage. « Les médecins disent rarement à une famille « Votre proche est mort ». T'imagines ? Ils vont dire « Je suis désolé. On a fait tout ce qui était en notre pouvoir. » » Je marque une pause, songeur. « Et puis, j'ai jamais voulu créer de liens avec les patients hors contexte hospitalier. Je trouvais ça malsain, mélanger le professionnel et le personnel comme ça. »
Mon regard cherche patiemment celui de Ginny, s'y accroche dès qu'il le capte. « Mais avec toi, ça a toujours été différent. J'ai jamais cessé d'admirer ton courage et ta force, même quand on me mettait en garde de tes faiblesses. J'ai toujours uniquement vu à quel point t'étais brave et que tu combattais contre la vie et ce qu'elle te balançait comme horreurs, même quand t'étais au plus bas. » Une rencontre unique, que j'avais estimée conclue maintenant que Noah avait acquis la santé qu'il méritait. « T'es pas égoïste, Ginny. T'es juste une femme impressionnante. T'exhibes le tabou comme s'il allait te définir comme quelqu'un de mauvais, alors qu'en vérité, à mon sens, ça montre juste que tu le maîtrises parce que tu sais de quoi il est fait et t'as pas peur de le regarder en pleine face. T'as pas peur de dire les choses et de voir la vérité, même si ça fait mal. Même si ça te fait mal. » Je peignais peut-être un portrait erroné de mon interlocutrice, mais à défaut d'être exact, il rejetait l'image que je me faisais d'elle. « Tu n'es pas égoïste. Tu ne forces rien. Tu n'imposes rien. Je te veux dans ma vie, si tu veux de moi. » Les termes étaient crus, directs, francs. « J'aimerais qu'on se sauve, ensemble. » Je baisse les yeux sur la table, glisse mes doigts sur les marques du bois, faufile ma main jusqu'à la poche de mon pantalon d'où j'extirpe un bonbon rescapé des tourments antérieurs. « Quitte à être complice de ton hyperglycémie. » Je dépose la sucrerie entre nous deux, tel un gage de révolution. « On n'a pas à être seuls. »
Les éclats de tasse au creux de mes mains comme autant de paroles dites, comme bon nombre de mots soufflés depuis le début de la soirée, de pensées retenues aussi. Un à un, ils grincent sous mes doigts méticuleux, jusqu’à ce que je réalise qu’Isaac s’est lui aussi baissé à ma hauteur, s’affaire à m’aider dans mon labeur. Mon étourderie qui nous laisse le temps de colmater les fuites, d’échanger un regard discret, un soupir confus. La soirée qui me donne l’impression d’être passée en coup de vent, et même, chaque instant reste gravé comme tant de petites étoiles, fines cicatrices, immense firmament qui rappelle très certainement mon passé, grille le sien. Puis, dans la pénombre, dans ces confidences qui frôlent mes lèvres, qui percent son silence, je lui confie ce qui à mes yeux serait pire encore que tout le reste. Je ne me laissais pas le choix, de survivre. Je n'offrais plus d'importance à personne osant pouvoir m'empêcher de m'en sortir. J’avais réussi à combattre tellement de démons, à garder mes épaules de s’affaisser tant de fois déjà. Je redresserais la tête, j’inspirerais profondément, j’irais de l’avant peu importe, coûte que coûte. Je me le devais, je me l’avais promis, la décision ne me revenait même plus tant je ne me l’autorisais pas. Mais pour Isaac, j’étais prête à me triturer la tête et le coeur de longues heures durant, simplement pour m’assurer qu’il aille bien. J’aurais tout donné pour gratter ne serait-ce qu’une infime place dans sa tête, dans son coeur, tout petit espace où j’aurais pu me poser, et rester, ambiante, à surveiller, à insuffler un peu de calme, un peu de douceur dans ce monde de brutes qui le tenaillait depuis trop longtemps. Tant d’espoirs dans mes maigres mots, tant d'étincelles dans mes iris alors que j’ose finalement, que j'insiste sûrement trop et trop fort, mais que je le garde de partir, le prie, le supplie. Quand j’accroche mes prunelles aux siennes, c’est là où l’attente est la plus difficile, la plus dure, insupportable. Pourtant, à aucun moment je ne brise sa réflexion, ne presse son silence. Qu’il prenne tout le temps du monde maintenant, qu’il n’agisse plus sous le coup de la surprise ou de la douleur. Réactivité d'un fantôme du passé qui avait surgi trop de fois sur son présent, et qui avait suffit à le déstabiliser à un point tel que de simplement y penser me glaçait le sang à nouveau. Et un hochement de tête, un oui muet, il cède et je souffle, il reste et je sourie, chaste, docile. Quelques manoeuvres plus tard et la bouilloire fait son travail, les sachets de thé sont infusés, nos silhouettes se nichent au coin d’un comptoir dans l’angle.
Il n’aurait pas eu besoin de parler. Je n’avais pas à entendre de suite, à ce qu’il se justifie de quoi que ce soit. J’aurais pu rester ainsi, les doigts enserrant la tasse gardant mon infusion, brûlante sous mes paumes. J’aurais pu continuer d’observer à quel point le faisceau de lune à travers les carreaux se cassait sur sa mâchoire, résonnait jusqu’à sa nuque, sa clavicule dégagée. La nuit pour alliée, et sa prudence de dévoiler d’autres secrets et de se dévoiler lui-même à travers n’étaient pas obligatoires, ni même nécessités. Enfin, il entame son plaidoyer et aborde ses amis, son entourage. Attentive, je me prends d'imaginer à quoi ressemble son quotidien hors de mes repères, quels gens l’entourent, leurs encouragements, leur amour, le support qu’eux-mêmes lui promettent. À la mention de son travail pourtant, je retiens une gorgée dans l’élan, arque la nuque, saisis la perche avec un demi-sourire, juste assez discrète pour ne pas être déplacée. « Alors c’est ça le truc? Leur souffler la réponse? Intéressant. » j’ai compris son discours, j’ai compris le sens qu’il donne à son rôle à l’hôpital, la pression qu’il devait soutenir à bout de bras pour nous tous. « Et puis, j'ai jamais voulu créer de liens avec les patients hors contexte hospitalier. Je trouvais ça malsain, mélanger le professionnel et le personnel comme ça. » interdite, je tousse dans ma tentative d'humour précédente, me fais violence pour ne pas trembler, ne pas reprendre de mauvais plis. Terrifiée qu'encore une fois qu’il n’en tient qu’à un fil avant qu’Isaac réalise la supercherie ; et qu’il prenne ses distances de moi non sans comprendre que je n'apporterai rien d’autre qu’être nocive. Pour lui, comme pour tout le monde. Son mutisme me pousse à poser ma tasse, avancer d’un pas, maigre petit pas, dans sa direction. « T’as tort. » mon menton se soulève, mon regard aussi. Et je lui fais face, et je le défie presque. Il attendra avidement que je poursuive, ce qui ne traîne pas du tout. « Et ils ont raison. T’as un coeur, un immense, je l'ai vu tellement de fois. Un coeur pur, et beau, et grand, et qui rayonne par tous les pores de ta peau. Je peux facilement attester que tu sais rassurer comme personne. Même sans dire ce que les gens ont besoin d’entendre. Surtout, en fait. » ma propre expérience comme référence, et les deux années complètes passées à se côtoyer, à apprendre à le connaître, à voir tous ces plis, même les plus infimes, même de biais, sans qu’il ne réalise. Sans que je ne le vois moi-même. jusqu'à aujourd'hui, devrais-je dire, interdite. Isaac était un cas à part, quelqu’un d’incroyable de part son calme, de part sa force tranquille, son courage stoïque. Et aucun geste fatal aurait-il pu commettre pourrait changer ne serait-ce qu’une parcelle de ce que je pensais de lui, comment je l'estimais vraiment.
Ses mots résonnent comme si je les avais attendus toute ma vie, moi, l'entière série de déceptions aux yeux des autres. Et il énumère, et il concède, et il dresse ce portrait d’une femme à laquelle je ne pourrais même pas aspirer en rêve tellement elle me semble immuable, invincible. Assistant à son bombardement de chaleur, déversement d’intentions envers ma personne foudroyée, j’en viens à céder mollement à mon immobilité, l’index jouant avec la corde se rattachant à mon thé comme seule tutrice du monde extérieur. « J’avais pas le choix. Pour lui, il le fallait. » Noah au centre de tout, Noah qui avait motivé chaque nuit blanche d'inquiétude cachée à son chevet, chaque expression de glace devant les diagnostics sombres de médecin, chaque hochement de tête fatidique à l’écoute de mauvaises nouvelles par dizaine. Mais lorsqu’il se tait, je suis à bout de souffle de tant vouloir me justifier en pensée, de voir la ligne d’arrivée qu’il me pointe le coeur léger, l’espoir évident. « On dit pas ces choses-là. On me dit pas ces choses-là. C'est difficile semblerait-il, de voir au-delà de la maman brisée, ou de la fillette qu’on a besoin de protéger. » mon discours avait pu être acide, visé, amer, oui, il aurait facilement pu l’être. Néanmoins, j’ai fait la paix avec le comportement de mes parents, l’étouffement de mon frère. Une vie entière à n’être qu'une petite poupée de porcelaine à se débattre à contre-courant, et enfin, je peux affirmer que j’ai sorti la tête de l’eau, que quelqu’un me donne plus que d’être autre chose qu’une cause perdue. « Ça laisse des stigmates. Vouloir en finir, c’est se tatouer sur le front qu’on a lâché prise, qu’on a faibli, qu’on a failli à la tâche. C’est pour ça qu’on s’épuise à tenter de prouver après qu’on peut s’en remettre vite, que ce n’est rien, qu’on sera pas aussi désespérés que les autres avant nous. On se dépêche et on brûle des étapes à travers. » et c’est pourquoi je ne veux pas le lâcher des yeux, c’est pourquoi je refuse qu’il parte, qu’il retourne à sa vie, qu’il laisse ce cocon loin, qu’il s’oublie sous prétexte qu’il ne veut blesser personne. L’ironie est douce, et un brin douloureuse, de voir que la personne avec laquelle j’ai toujours été plus à fleur de peau que devant qui que ce soit d’autre, que celui qui m’a vu m’écrouler un nombre incalculable de fois, que le seul qui puisse témoigner de mes faiblesses encore aujourd'hui, soit aussi l’unique personne croyant en une quelconque force, un courage enfoui à l’intérieur de moi, qui se meurt de sortir. « Je me suis prise à leur propre jeu. J’ai tellement voulu leur montrer toute ma vie que j’étais plus forte que ce qu’ils pensaient que j’ai fini par le devenir. » un sourire, fin, prend place sur mon visage à entendre la conclusion, la finalité.
Et j’inspire, et je n’en peux plus de sentir ce fil de possible, si minime, si tendu, si risqué, ce fil qui pourrait facilement craquer sous la pression qu’il n’a aligné tout ceci que pour en faire ses adieux officiels. Pourtant, la seconde suivante, Isaac résonne à ma demande, accepte mon aide, me donne la sienne. Un soupir plus tard, un léger éclat de rire nerveux qui suit, et je passe ma main libre dans ces mèches qui restent en travers de mon visage d’avoir penché le front de peur d’en faire trop. « Le suspens pas nécessaire du tout que t’as forcé, là. Me fais plus jamais ça. » et si je tente d’avoir le moindrement l’air autoritaire, mon expression s’attendrit, l’air s’allège autour de nous. Bien sûr que je veux de lui. Bien sûr que c’est l’évidence, que tout ce qui se dresse devant nous n’est viable que s’il est à mes côtés, et égoïstement, je me vois aux siens. Tout en moi respire enfin, mes muscles se relâchent, ma mâchoire se détend. La montagne russe d’émotions avec laquelle ont flirté les dernières heures se lit un peu moins facilement sur les traits de mon visage. « C'est pas le meilleur moment pour te dire que finalement j’ai changé d’avis, hen? » et voilà qu’elle s’amuse un peu Ginny, juste un peu. Rien de mauvais, rien de mal, une pique soufflée entre un sourire mutin, une main rassurante qui trouve les doigts qu’il a posé sur le comptoir, qui les caresse d’un geste rapide mais nécessaire, bienveillant. Lorsqu’Isaac dégage de sa poche le bonbon qui m’apparaît véritable drapeau blanc d’office, c’est un éclat de rire plus naturel de ma part qui scinde la cuisine, auquel j'associe même une larme, fine, inavouable, au coin de mon oeil. Les nerfs qui cèdent dirons-nous, et ma tête qui dodeline d’innocence maintenant que j'essuie ma paupière du revers. J’en profite pour à mon tour apporter à sa vue mes victuailles restantes, et les divers paquets éparpillés sur le comptoir autour de moi, maintenant que je m’y love, que je m’y assoie, jambes ballantes et coeur un peu moins catapulté. « Je sais que c'est probablement utopique de penser que maintenant, on ne se sentira plus jamais seuls. » le bruissement du plastique contre mes doigts, un voile qui passe sur mon visage, que je chasse en initiant la dégustation de sucre sous son regard avenant, lui tendant même l'emballage une fois servie. « Alors laisse-moi y croire juste ce soir. Demain, la vie reprendra son cours, et on tentera de faire au mieux comme des grands. » ce qui m’apparaît être un déni dans les règles de l’art, faussement en mesure d’assumer plus que tout ce qui a été dit, pensé, espéré, mais assurée que pour le moment notre lot de sensations fortes pouvait bien être accoudé d’un peu de simplicité, notre conscience dégagée de toutes responsabilités. « Mais ce soir, c’est que toi et moi contre le monde. » la dramatique de ma phrase m’arrache un rire en parallèle avec l'air de gamine aux lèvres sucrées que je renvoie pourtant. Un bonbon gobé plus tard, je diminue les probabilités non sans garder une bribe d’amusement dans ma voix. « Ok, toi et moi contre le diabète. » la précision est douce, drôle, stupide, mais salvatrice.