Petit à petit, les affaires de Joanne prennent place dans la maison. Nous n'avons pas encore été confrontés à un gros problème de place, mais cela ne saurait tarder. En tout cas, la jeune femme semble toujours s'en sortir pour tout faire rentre dans l'espace qui est lui est imparti. Alors que j'étais au travail, à la radio, la belle avait apporté quelques cartons supplémentaires, puisque son propriétaire le lui a accordé. J'étais désolé de ne pas pouvoir l'aider. Nous avons échangé des sms quasiment toute la journée, autant pour qu'elle ait mon soutien que moi du sien. Passer son samedi au bureau n'a rien d'amusant -sauf quand Eggsy est dans le coin, à la limite. Pourtant, Joanne, vers le milieu de l'après-midi, m'a dit se rendre au musée. Peut-être pour s'occuper, pour passer voir des collègues, je n'en sais pas plus. A partir de là, plus rien. Je me suis rendu en régie, là où les téléphones portables sont interdits, pour observer les émissions défiler. Être ici ne me rend pas moins disponible pour les journalistes qui passent régulièrement me voir pour une raison ou une autre. Le régisseur finit toujours par pester, à cause de la porte qui s'ouvre et se ferme sans arrêt. Autant le mouvement autour de lui ne le déconcentre pas, mais la soudaine lumière qui éclaire cette pièce très sombre qu'est la régie à chaque fois qu'une personne entre ou sort est particulièrement désagréable. Je suis donc invité à sortir après quelques heures. Comme tous les jours en week-end où je dois être à la radio, je fuis mon bureau autant que possible. Je travaille de n'importe où. Que ce soit au milieu de l'open-space, sur la terrasse, dans la cafétéria. Je croise Roxy à plusieurs reprises, et me disant toujours que je devrais lui parler au sujet de mes jours de repos, mais la jeune femme ne semble pas particulièrement d'humeur à accorder la moindre faveur à qui que ce soit -et encore moins à mes beaux yeux. J'ai plutôt intérêt à trouver le moyen de savoir ce qu'elle a contre moi pour arrondir les angles et obtenir ce que je veux, mais ça ne sera pas pour aujourd'hui. Comme tous les jours, je passe la journée avec mon téléphone greffé à mon oreille. Des invités qui décommandent, d'autres qui les remplacent, une info qui n'est pas si bonne que ça, une autre qui mérite plus de temps d'antenne, un sujet qui foire, un son à improviser, un papier à réécrire, et toujours cette foutue connexion satellite pour la diffusion d'interviews par téléphone qui déconne une fois sur deux. Je ne déroge pas à mon habitude et retourne en régie assister à la dernière émission de mon équipe. Tout le monde est fatigué, mais la joie de terminer la journée rend l'ambiance beaucoup plus décontractée que le reste du temps. Tant pis pour les lapsus et les bégaiements, c'est samedi, les auditeurs sont indulgents. Après un rapide au revoir et quelques tapes dans le dos, les journalistes s'éparpillent ; la majorité restent préparer leur prochain sujet, d'autres retournent sur le terrain, le reste rentre chez soi. Néanmoins, quand je prends la voiture, ce n'est pas pour renter à la maison. Je passe le pont qui me sépare du musée, et me gare devant, espérant arriver encore à temps pour venir chercher Joanne -en lui faisant une surprise en passant. Dans le hall, je ne tarde pas à croiser la collègue de la jeune femme, que j'ai déjà aperçue par le passé -et dont Joanne parle tellement souvent que c'est un peu comme si je la connaissais bien mieux que ce que le temps passé ensemble ne permet. Comme qoi, je ne suis pas le seul bougre à travailler le week-end. Après tout, le musée est ouvert tous les jours. « Bonsoir Sophia, est-ce que Joanne est encore là ? » je demande en posant amicalement une main sur son épaule. Si on peut penser que je ne suis pas l'homme le plus expressif qui soit, en revanche, on ne peut pas m'enlever mon habitude d'être tactile avec à peu près tout le monde. « Oui, elle est quelque part dans le musée, je l'ai croisée à l'instant. » Tant mieux. Ne me voyant pas l'appeler pour lui demander dans quelle pièce elle se trouve -je tiens assez à ma surprise-, je vais devoir arpenter le musée moi-même. « D'accord, je n'ai plus qu'à essayer de la trouver. Oh, dis-moi, vous avez prévu quelque chose ce soir, entre collègues ? » La rouquine arque un sourcil, l'air surprise. Je ne pense pas avoir dit quoi que ce soit de mal pourtant, alors je fais mine de ne pas noter son expression. Finalement, elle m'adresse un petit sourire que je ne décrypte pas. « Non, pas que je sache. Pourquoi ? » Je lui souris à mon tour. Si je lui dis, je mets ma main à couper qu'un sms arrivera dans la seconde sur le téléphone de Joanne pour la prévenir. Alors je pose mon index sur ma bouce pour lui faire comprendre qu'elle doit tenir sa langue, et réponds comme si de rien n'était ; « Pour rien. Merci, rentres bien. » Je devine aux clés de voiture dans sa main que la demoiselle comptait partir quand je l'ai interpellée. Elle me remercie et reprends sa marche. A mon tour, je m'engage dans les couloirs du musée dans l'espoir de trouver Joanne avant qu'elle-même ne s'en aille. Le danger de ce risque de surprises, c'est de ne jamais se croiser au final. Néanmoins, j'ai de la chance ; il ne me faut pas plus de cinq minutes pour trouver la jeune femme dans l'exposition de photos actuellement en cours. Silencieux, je reste à quelques mètres d'elle lorsque je marque ma présence d'un simple « Hey... » Elle se retourne en sursautant. Un rire gêné m'échappe. « Désolé, je ne voulais pas te faire peur. »
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Même si la présence de Ben comblait un peu le vide dans la maison, Joanne se sentait seule. Elle avait de quoi faire, de quoi s'occuper autour d'elle. La jeune femme venait tout juste de finir de ranger le reste des vêtements qu'elle avait chez elle. Tout était rentré dans l'armoire que Jamie lui avait libéré. Le chien restait à ses côtés, tranquillement allongé. Lui aussi cherchait de la compagnie. Une fois qu'elle en avait terminé avec le rangement, la belle blonde s'occupa de lui. En fin de matinée, elle allait même le promener dans le parc dont Jamie lui avait parlé le jour de son arrivée ici. Ils avaient marché un demi-heure, trois quart d'heure peut-être. Joanne gardait en main son téléphone portable, Jamie et elle n'arrêtait pas de s'écrire. Elle était un peu étonnée qu'il prenne autant goût aux SMS. Elle se souvenait que lors de l'une de leurs premières rencontres, ce n'était pas le moyen de communication qu'il préférait le plus. Lorsqu'il n'était pas là pour lui alléger l'esprit, la seule chose qu'elle avait en tête était les menaces de Kelya, Kelya elle-même. Leur altercation l'avait pétrifiée. Joanne avait fait de son mieux pour ne rien laisser paraître, pour ne pas inquiéter qui que ce soit. Son seul objectif était de ne pas interpeller Jamie, elle ne voulait absolument pas l'emmener là-dedans. A force de le garder pour elle, la jeune femme avait l'impression que ça la rongeait de l'intérieur. Kelya avait déjà réussi à semer en elle un doute insoutenable. La psychologue était parvenue à jouer avec son esprit à un tel point qu'elle avait réussi à le briser. Comment tenir tête à une personnalité aussi forte ? Joanne s'était assise un moment sur un banc du parc à ressasser tout ça, encore une fois. Kelya disait qu'elle allait faire de sa vie un enfer. Le simple fait d'être venue dans son bureau pour lui balancer toutes ces monstruosités était suffisant. Elle avait tout fait pour la faire culpabiliser, à toucher des points extrêmement sensible. Repenser à tout cela fit border ses yeux de larmes. Après une grande expiration, Joanne décida de se remettre en route pour la maison, histoire de manger un bout. Pendant qu'elle se préparait un casse-croûte, la sonnerie de son téléphone retentit. C'était son supérieur qui lui demandait de passer au musée pour signer quelques papiers. C'était l'occasion de s'occuper l'esprit avec autre chose. Elle prévint Jamie par SMS, puis abandonna son téléphone dans son sac à main. Elle partait de la maison en fin d'après-midi.
A peine eut-elle le temps de sortir de son bureau que Sophia vint vers elle, demandant ce qu'elle pouvait bien faire là un jour de congé. Oui, parce que le patron en avait profité pour demander de rester jusqu'à la fermeture, étant donné qu'il y avait beaucoup de visiteurs ce jour-là. Le signe que les vacances approchaient, avec la venue de toursites venant des quatre coins du globe. Joanne et son amie se dirigèrent vers son bureau, afin que la belle blonde puisse y déposer ses affaire. Après que Sophia ait fermé la porte du bureau, elle lui demanda enfin. "Qu'est-ce qu'il y a, Joanne ?" Joanne relevait la tête, d'un air perplexe et interrogation. "Pardon ?" La rouquine fit cette expression du visage qui disait : ne fais pas comme si tu ne voyais pas de quoi je parle. "T'es toute bizarre depuis quelques jours, presque triste. Et ne dis pas non, t'es pas comme d'habitude, ma belle." Joanne se détestait d'être aussi expressive alors qu'elle faisait de son mieux pour cacher ses émotions. Elle restait silencieuse, alors que sa collègue lui lançait un regard plus qu'inquiet. Le simple fait qu'elle ne dise rien prouvait qu'il y avait quelque chose qui n'allait pas. Sophia la connaissait depuis près de dix ans, après tout. "C'est Jamie ? La vie à deux ?" Bien sûr que non. Joanne lui sourit. "Non, ça n'a rien à voir avec ça. Tout se passe très bien avec lui." répondit-elle d'une voix douce. Elle n'avait aucune envie d'aborder le sujet, elle voyait déjà Sophia en parler immédiatement à Jamie pour l'avertir si elle le faisait. Cela ne ferait qu'aggraver et amplifier la situation, alors qu'il n'y avait pas lieu d'être. "Alors c'est quoi ?" Sophia cherchait souvent la petite bête, mais n'était certainement pas aussi insistante que Mia. Elle n'aimait pas pousser à bout son amie, ça ne ferait que l'attrister et la faire paniquer davantage. Joanne avait déjà la voix qui tremblait, les yeux humides. "Est-ce qu'on peut faire comme si tu ne m'avais rien demandé, comme si de rien n'était, s'il te plaît ?" Et ça, c'était le signe que ce qu'elle cachait était loin d'être anodin. Bien sûr que Sophia n'était pas rassurée. Mais elle avait bien compris que sa meilleure amie ne cherchait qu'à se changer les esprits. Elle l'enlaça chaleureusement. Sa petite Joanne. Elle se permit de lui sécher les quelques larmes qui s'étaient déversées sur ses joues, et lui sourit. Il était temps de se remettre au boulot. Sophia n'oubliait pas leur conversation et était curieuse de savoir ce qui se tramait derrière tout ça, mais les priorités restaient prioritaires. Et là, il s'agissait de faire oublier ses soucis. Les deux collègues finirent par se séparer, chacune ayant des impératifs différents. Le temps passait à une vitesse folle, et le musée se désemplissait petit à petit. Joanne s'était mise à discuter avec un archéologue indépendant qui était venu voir l'exposition temporaire, de photographies ayant pour thème la colonisation de leur pays. Sophia interrompit leur conversation pour dire au revoir à sa collègue. Son interlocuteur ne tarda pas à s'éclipser également, laissant la belle blonde seule dans la pièce en question. Elle restait face à l'une des photographies, sans vraiment la regarder. Ses bras s'étaient croisés, et elle se perdait une nouvelle fois dans ses pensées. Comme quoi la solitude n'était rien de bon pour elle. Peut-être que Kelya avait raison, peut-être qu'elle aurait du partir. Elle n'en savait rien. Elle ne savait plus rien. Une voix la fit sursauter, et la sauva de ses songes. Joanne se retourna automatiquement, faisant ainsi face à la plus agréable des surprises. Elle avait porté une de ses mains au niveau de son propre torse, au dessus de sa poitrine, pour exprimer sa surprise. Un sourire se dessina sur son visage. "Qu'est-ce que tu fais là ?" lui demanda-t-elle d'une voix douce, tout en s'approchant de lui. Joanne l'embrassa tendrement, en guise de salut. Elle aurait adoré l'enlacer, mais le fait de le faire sur son lieu de travail la dérangeait un peu. Mais ce n'était que dans ses bras qu'elle se sentait véritablement rassurée et apaisée. "Je croyais que tu finirais beaucoup plus tard." dit-elle, d'un sourire satisfait que ce n'était pas le cas. Elle n'allait pas s'en plaindre non plus, loin de là.
Il ne reste plus grand monde dans le musée, seuls quelques irréductibles attendant sûrement que le vigile les invite à partir à l'heure de la fermeture, comme nous avons pu l'être à Londres. Lorsque j'approche de Joanne, elle semble complètement absorbée par la photographie qu'elle fixe. Ou peut-être est-elle happée par ses pensées. Quoi qu'il en soit, elle ne m'a pas entendu arriver. Au moins, la surprise est complète. Je ne peux pas m'empêcher de sourire de satisfaction. J'attrape au vol le baiser qu'elle me donne et pose simplement une main sur sa hanche. Juste pour avoir un contact avec elle, comme si cela était absolument nécessaire. « Je suis venu voir la plus belle pièce du musée. » dis-je avec un sourire enjôleur, faisant exprès de jouer les beaux parleurs. N'empêche que cela n'est pas complètement faux. Joanne est la seule raison de ma venue ici. Elle me fait remarquer que je me suis extirpé assez tôt de mon travail. Il est vrai qu'il ne fait pas encore sombre dehors. Je ne reste jamais très tard à la station les jours de la fin de semaine, de toute manière. Sauf cas exceptionnel. Mais le fait est que je n'ai pas hésité à partir aussi vite que possible afin de rejoindre la jeune femme ici. « Je n'étais pas très inspiré pour rester tard à la radio aujourd'hui. » je réponds en haussant les épaules. Je n'avais pas été très inspiré pour travailler de toute la journée, en réalité. C'est une de ces journées où la morosité plane au dessus de moi sans aucune raison. Une journée sans, comme on dit, uniquement parce que le ciel en a décidé ainsi. J'ai parfois envie d'aller voir Kelya dans ces moments là, histoire de parler aussi librement que je le pouvais avant. Je sais que j'en ressortirais plus frais, parce qu'elle sait toujours quoi dire. Mais je résiste à cette idée. Je ne peux pas simplement frapper à la porte de son cabinet désormais, même quand j'en ai envie. Autant que possible, je garde mes distances. C'est loin d'être simple. Alors je me réfugie dans les bras de Joanne. Elle comprend facilement que ces coups de blues ne sont que de la fatigue. Il suffit que je lui raconte un peu ma journée, la laissant passer ses doigts dans mes cheveux, et que nous trouvions une activité pour m'occuper l'esprit pour aller mieux. Jusqu'à présent, la vie avec elle me semble facile. Nous profitons de chaque minute où nous nous voyons, chez nous. Le quotidien que nous avions chacun de notre côté avant étant assez similaire, nous avons rapidement été au diapason. La maison est calme, et, avec la présence de l'être aimé, plus harmonieuse. Elle semble moins grande, moins vide. Nous n'avons même pas essuyé de disputes notables pour le moment. Oh, ça viendra, à n'en pas douter. Plus tard. « Et puis, je me disais qu'on pourrait sortir ce soir. Aller dîner quelque part, se balader entre les animations de la semaine italienne, faute d'aller à Rome dans l'immédiat, ou même aller au théâtre si le coeur t'en dis. J'ai bien envie de m'aérer l'esprit en fait. » j'ajoute avec un sourire en coin, timide. En réalité, qu'importe l'activité, du moment qu'il n'est pas question de rentrer tout de suite à la maison. J'ai bien mes idées pour chaque option, car, comme à mon habitude, j'ai la planification facile. Mais l'important est de passer du temps avec Joanne, prendre un peu soin d'elle. Sinon, elle finira par préférer Ben à moi.
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Une des mains de Jamie vint se déposer sur la hanche de la jeune femme. Elle sourit, devint presque rieuse en l'entendant parler. Au même moment, le directeur du musée faisait traversa la pièce, comme toutes les autres du musée, comme à son habitude. Il esquissa un large sourire satisfait en voyant cette main sur cette hanche. Il devait certainement se dire que désormais, le donateur avait une raison supplémentaire d'être particulièrement généreux à la prochaine soirée de gala. La conservatrice le regardait d'un air désobligeant, alors que derrière ses lunettes, il prit un air faussement innocent. Joanne était persuadée que c'était son raisonnement. Elle le connaissait, à force. Son attention retourna rapidement sur son compagnie. Elle lui fit retirer la main posée sur sa hanche, et s'approcha de lui, faisant mine de vouloir l'embrasser, mais ce n'était qu'un trompe-l'oeil. Proche de son visage, la jeune femme lui rétorqua d'un air malicieux. "En tant que grand amateur d'art, vous devriez savoir que personne n'a le droit de toucher les pièces de musée, Mr. Keynes." Elle retrouvait sa place initiale. Il lui disait qu'il n'avait pas vraiment envie de rester davantage sur son lieu de travail. Les derniers soirs, il rentrait particulièrement tard. Joanne aussi, mais plus rarement, si c'était son tour ou non d'attendre l'arrivée des gardiens de nuit. C'était un rythme difficile mais qu'il semblait apprécier. Sauf ce jour-là, elle trouvait qu'il était épuisé. Leur vie à deux lui plaisait énormément. C'était réconfortant pour elle de savoir que quand elle rentrerait chez elle, il y avait quelqu'un pour l'accueillir. Jusqu'ici, Ben était le principal intéressé, certes. Mais de savoir que Jamie allait rentrer, qu'ils allaient dîner ensemble, puis se coucher et se loger dans ses bras, la rendait très heureuse. Ce n'était peut-être que des banalités, mais ça change du tout au tout lorsqu'on les vivait avec la personne que l'on aime. Ca n'avait pas de prix. Jamie avait le don de lui faire oublier tous ses tracas, même les plus insupportables. Elle gardait néanmoins en tête que Kelya était la cause du premier divorce de Jamie. Certes, il n'aimait pas son ex-femme, mais ça restait un fait très angoissant pour elle. Lui aussi voulait se changer les idées, en lui proposant de sortir, d'aller dîner quelque part et de se distraire ailleurs. Joanne était plus que ravie de cette idée. Elle se permit juste de corriger un détail concernant leur voyage en Italie, dont ils avaient déjà tant parler à titre de plaisanterie. "...et Florence." C'était certainement ridicule d'attacher autant d'importance à ce détail, mais elle était d'humeur à le chercher un petit peu. Joanne avait un large sourire sur ses lèvres, réfléchissant un peu aux suggestions qu'il venait de partager. "J'ignorais qu'il y avait une semaine italienne." Ce n'était pas parce qu'elle travaillait dans un lieu centré sur la culture qu'elle était forcément au courant de toutes les manifestations se déroulant à Brisbane. La ville était immense, il était impossible d'énumérer tout ce qu'il s'y passait. "Cette idée me plait beaucoup." Elle le regardait avec tendresse. "Et si déjà, on fait un semblant de voyage, autant aller manger italien. Il y a restaurant italien tout simplement génial dans le quartier à côté. J'y suis allée il y a deux ou trois mois avec mes collègues." Joanne appréciait ces soirées avec une partie du personnel du musée. Ils tentaient à chaque fois un nouveau restaurant, et les dîners étaient toujours mangés dans une humeur des plus conviviales. "Et je sais qu'ils ont une superbe cartes de plats végétariens." Un détail qu'elle tenait compte à chaque fois qu'ils sortaient. A domicile, c'était un peu plus facile. Joanne faisait sa part de protéines à côté, surprise que Jamie ne soit pas dérangée de la voir faire, même les odeurs ne l'importunaient pas. "Viens, il faut que je récupère mes affaires, elles sont dans mon bureau." Elle tourna ses talons et se dirigea vers l'endroit en question, croisant quelques uns de ses collègues qui étaient en train de quitter les lieux. Jamie eut tout juste le temps de fermer la porte du bureau que Joanne s'empara de ses lèvres pour l'embrasser longuement, encadrant son visage de ses mains. Une fois que leurs lèvres se quittèrent, elle avoua. "Je ne voulais pas leur donner cette satisfaction." Elle faisait référence à ses collègues. "Il m'auraient charriée pendant des semaines." Heureusement que Sophia était déjà partie parce qu'elle était certainement la pire. Puis Joanne avait peut-être un brin d'égoïsme pour garder cet type de moments rien que pour elle, rien que pour lui. Certainement beaucoup de pudeur, de gêne et de timidité aussi, mais elle ne voulais pas l'admettre. Joanne l'embrassa tendrement une nouvelle fois, avant de récupérer son gilet et son sac à main, prête à partir quand il le voulait.
Obéissant, j'enlève ma main de la hanche de Joanne. N'étant pas attentif à notre environnement, je n'avais pas remarqué le passage du directeur du musée. On dit que l'amour rend aveugle, que voulez-vous. J'en viens à proposer quelques options de sortie à Joanne, citant la semaine italienne qui s'est installée à Brisbane depuis hier. La jeune femme me corrige quant à ce voyage que nous projetons déjà, n'oubliant pas de citer Florence. « Et Florence. » j'ajoute également en acquiescent d'un signe de tête, un sourire complice sur mes lèvres. La belle réfléchit un instant, et fait remarquer qu'elle n'est pas au courant des animations qui ont lieu actuellement. L'air un peu moqueur, je demande ; « C'est toi l'autochtone et c'est moi qui t'apprend ce qu'il se passe en ville ? » Après tout, Joanne est à Brisbane depuis bien plus longtemps que moi, elle devrait, en théorie, en connaître chaque recoin, et être à l'affût de ce qu'il s'y déroule. A moins que l'habitude de cette ville, la banalité d'y vivre chaque jour, appauvrisse peu à peu la curiosité. Le métier aide, c'est vrai. Entouré de journalistes, je sais tout ce qu'il se passe à Brisbane avant que les habitants eux-mêmes ne soient au courant. Un avantage qui excuse la jeune femme. Finalement, elle décide d'opter pour deux idées : profiter de la semaine italienne, et, puisque nous y étions, aller dîner italien. Elle mentionne un restaurant qu'elle a déjà pu tester avec ses collègues, n'oubliant pas de souligner qu'il y a un choix de plats végétariens pour moi. Je ne peux pas m'empêcher d'arborer un large sourire face à cette remarque attentionnée. C'est un amour. Sans hésiter une seule seconde, j'approuve son programme, ravi ; « Eh bien, je te fais confiance à ce sujet. » Sans un mot, je la suis dans les couloirs du musée jusqu'à son bureau. Nous croisons ses collègues en chemin, que nous saluons très rapidement. Ce n'est qu'une fois dans le bureau de Joanne que celle-ci s'autorise à se montrer plus affectueuse que ce n'était le cas jusqu'à présent. Surpris, j'attrape son baiser au vol et, sans beaucoup d'équilibre, me retrouve collé à la porte, la belle blonde dans mes bras. A ses mots, je fronce les sourcils, l'air offusqué. « Est-ce que je dois comprendre que tu as honte de moi ? » je demande pour rire. Ou pas. Je n'en sais rien. C'est le genre de question qui se pose forcément avec une arrière pensée sérieuse, même si on se l'avoue rarement. Je n vois pas pourquoi elle devrait se sentir gênée d'être vue avec moi, d'assumer une relation avec moi, mais cela pourrait être le cas. Je ne parviens pas à deviner la réponse à cela dans l'expression de son visage. Qu'importe, au fond, cela n'a pas tant d'importance que ça. Je ne peux pas la forcer à s'afficher pleinement avec moi auprès de ses collègues si ce n'est pas ce qu'elle souhaite, tant pis pour ma fierté. Rapidement, Joanne récupère ses affaires. Main sur la poignée, prêts à repartir, j'en profite pour quand même enfoncer le clou en plaisantant ; « Est-ce que je dois sortir en premier, aller à la voiture puis t'envoyer un sms pour te dire que tu peux me rejoindre ? Tu sais, histoire que personne ne puisse se douter de quoi que ce soit. Il ne faudrait pas que quelqu'un nous aperçoive sortant en même temps de ton bureau, tu vois. » Cette fois, mon sourire ne laisse pas d'ambiguité dans mes paroles. La seconde suivante, nous sortons du bureau, puis du bâtiment, et rejoignons ma voiture. A peine assis côté conducteur, je défaits la cravate qui étrangle mon cou depuis ce matin et la jette par dessus mon épaule, sur la banquette arrière. « Excuse-moi. Je porte une cravate tous les jours, mais je ne crois pas qu'il y ait quelque chose que je haïsse plus que ça. » dis-je en défaisant seulement le premier bouton de ma chemise. Quitte à être un peu moins classieux, je préfère être à l'aise. La cravate est trop synonyme de travail pour que je l'arbore toute la journée. Je serais incapable de me détendre avec cette entrave autour du cou. J'allume enfin le moteur et laisse Joanne me guider dans les rues de Brisbane jusqu'au restaurant dont elle m'avait parlé. Nous y arrivons assez rapidement, et trouvons une place pour nous garer à proximité. Il faut dire qu'il est encore tôt, les rues ne sont pas encore envahies par la foule sortant le samedi soir. Mais cela ne saurait tarder. Nous nous laissons installer à une table près d'une fenêtre. « Tu ne m'as pas dit ce que tu es allée faire au musée aujourd'hui, au fait. » je fais remarquer en m'asseyant, par simple curiosité. Je vois mal qui que ce soit retourner sur son lieu de travail pendant le week-end sans y être obligé. Elle doit connaître toutes les pièces exposées actuellement, je ne pense pas qu'elle s'y soit rendue pour jouer les touristes. Un serveur ne tarde pas à venir nous voir, nous tends deux cartes et dépose une carafe d'eau avant de demander ; « Vous prendrez un apéritif ? » Ne laissant pas le temps à Joanne ne pouvoir réfléchir à la moindre négation, je réplique ; « Bien sûr. C'est pour moi ce soir. Prends ce que tu veux.Virgin Mojito pour moi. » Toujours. Je reprends les bonnes habitudes, à savoir, pas d'alcool. « J'ai fait largement assez d'écarts comme ça dernièrement » dis-je avec un sourire à la belle. Le serveur prend note de nos demandes et s'en va. Le silence s'installe rapidement. Un temps pendant lequel j'hésite à parler, dire ce que j'aimerais dire et qui me tracasse parfois, revenant régulièrement dans mon esprit afin de ne pas me laisser de répits. Je mordille ma lève, comme à chaque fois que je suis nerveux. Finalement, je me penche sur la table, appuyé vers l'avant sur mes avants bras, le regard prenant celui de Joanne. « Excuse moi de commencer par un sujet désagréable, mais c'est nécessaire. Je voulais te dire que j'ai décidé que je ne consulterais pas Kelya, mon… mon ancienne psy, de Londres. Pour mes problèmes. Je trouverais quelqu'un d'autre. La voir serait uniquement… destructeur. Autant pour elle que pour moi. Et pour nous. Je ne peux décemment pas la voir, et je ne la verrais pas. » Une seconde, je me sens mieux d'avoir avoue cela. La suivante, beaucoup moins. Mais ça devait être dit. « Je tenais à ce que tu saches ça. » je murmure, fuyant finalement son regard pendant que je passe une main sur mon visage. Il est difficile pour moi de devoir tirer un trait sur le lien, fort, que j'ai toujours eu avec Kelya. Mais je ne pense pas avoir le choix.
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On ne peut pas dire que Joanne avait honte de se montrer avec Jamie, loin de là. Sinon elle n'aurait jamais accepté de sortir avec lui comme ils allaient le faire. C'était une sorte de timidité peut-être, il y avait beaucoup la crainte du jugement aussi. Enfin, tout le musée savait que Joanne le fréquentait. Sophia était tellement enthousiaste à cette idée qu'elle avait du mal à garder l'information pour elle seule. Jamie se mit à la taquiner à ce sujet avant qu'ils ne quittent finalement les lieux ensemble. A peine installé dans la voiture, il ôta la cravate serrée autour de son cou, puis déboutonna un peu sa chemise. Il avouait ne pas aimer du tout cet accessoire. "Si ça peut te rassurer, tu es tout aussi beau sans qu'avec." lui dit-elle d'un sourire malicieux, en caressant brièvement ses cheveux. La voiture les mena jusqu'au restaurant italien dont Joanne avait parlé. Il était tôt, et il y avait encore peu de voitures garées à proximité. Ils eurent même le luxe de choisir leur table. Quand elle y était allée avec ses collègues, la salle entière était bondée et ne désemplissait pas, c'était hallucinant. Le restaurant avait gagné en réputation depuis le changement du cuisinier, il y a environ quatre ans de cela. Assis en tête à tête, la curiosité de Jamie montra le bout de son nez en se demandant ce que Joanne avait bien pu faire au musée durant un jour de congés. Elle dit simplement. "Le directeur voulait que je passe signer quelques papiers urgents, pour le transfert de pièces qui vont aller sur Sydney. J'ai croisé Sophia, et je suis restée un peu pour donner un coup de main. Il y avait foule aujourd'hui." Ses épaules se haussèrent. "Même si Ben est de très bonne compagnie, j'ai fini par me sentir un peu seule." Joanne adorait vivre dans cette maison. Même si Jamie faisait tout en sorte pour qu'elle s'y sente à l'aise, elle avait du mal à s'approprier les lieux, à considérer que c'était aussi son lieu de vie. Elle n'osait pas toucher à certains objets, à en déplacer d'autres, de peur de perturber Jamie de n'importe quelle manière. Elle ne s'autorisait pas à aller se baigner dans la piscine, ou à reprendre un bain. Dans sa tête, cette maison restait encore celle de Jamie, et non la leur. Cela ne faisait pas si longtemps que ça qu'ils vivaient ensemble, il fallait simplement lui laisser encore un peu de temps, et lui rappeler que cette immense maison était aussi la sienne. Sa démesure n'aidait pas vraiment, d'ailleurs. "Mais j'ai réussi à bien m'occuper. Tu demanderas à ton chien, mais je suis assez sûre qu'il ait apprécié la longue promenade que nous avons fait ce matin." finit par ajouter, toute souriante. Elle ne voulait pas qu'il se mette à culpabiliser de son absence ou quoi que ce soit. Elle s'était doutée que ça allait être ainsi et n'avait aucun mal pour l'accepter. Il lui manquait, tout simplement. Après quoi un serveur vint suggérer à ses clients de prendre un apéritif. Avant même qu'elle puisse dire quelque chose, Jamie précisa qu'il paierait l'addition pour le coup là. Il était toujours le plus rapide, à croire qu'il anticipait parce qu'il se doutait qu'elle aussi aurait voulu faire chauffer sa carte bleue. "Un verre de lambrusco, s'il vous plaît." Le serveur acquiesça d'un signe de tête avant de partir chercher ce qu'ils venaient de prendre. Les quelques premières minutes étaient silencieuses, jusqu'à ce que Jamie se mordille la lèvre inférieure. Il était nerveux, mais pourquoi ? Il chercha à capter ses yeux bleus avant d'aborder un sujet de conversation des plus fâcheux. Le simple fait de prononcer le prénom de son ancienne psychologue heurtait le coeur de la jeune femme. Il était coincé dans un étau qui se serrait encore et encore depuis qu'elle était venue à son bureau, lui avouer qu'elle ne lâcherait en rien l'affaire. Elle était paniquée, et cela devait certainement se voir. Joanne restait plongée dans cette peur et cette angoisse un bon moment avant d'assimiler tout ce que Jamie venait de lui dire. Les mots rentraient à nouveau dans le bon ordre, ses phrases avaient un sens. Il reconnaissait que la fréquenter d'un point de vue professionnel -que Kelya prendrait forcément personnellement-, n'était en rien bénéfique pour lui, pour elle, et pour Joanne. C'était important pour lui de partager cela, elle le voyait bien. Mais c'était dur pour elle dans la mesure où il venait juste de mentionner le nom de Kelya, et qu'il veuille pas la détruire en reprenant ses consultations avec elle. Il se faisait beaucoup de soucis pour elle, elle avait fait partie de sa sphère intime pendant plus de dix ans après tout. Et elle devait savoir beaucoup plus de choses sur lui que Joanne. "D'accord." dit-elle d'une voix douce, un sourire un peu triste aux lèvres. Joanne ne savait pas si elle devait s'en réjouir ou s'en inquiétait. Dans les deux cas, elle réagirait, c'était certain. Elle ne savait pas quoi dire d'autre. "Tant que tu trouves une personne avec qui tu te sentiras à l'aiser d'en parler et d'y remédier, je serai contente pour toi." Puisque Joanne ne semblait pas être la personne qui pouvait l'aider là-dedans. Elle se sentit un inutile, pendant un bref instant. La belle blonde faisait de son mieux pour cacher tous ses sentiments négatifs depuis son altercation avec Kelya, mais chaque jour, la tâche était de plus en plus difficile. Que Jamie parler d'elle était loin d'arranger les choses, bien au contraire. Les yeux baissés, ses mains étaient sur la table, ses doigts jouant très nerveusement entre eux. Souvent, elle se trahissait. Notamment lorsqu'elle levait les yeux, suppliant Jamie qu'il ne se pose pas de questions sur quoi que ce soit. Le sujet Kelya était déjà difficilement abordable puisqu'elle était la cause d'une de leurs plus violentes disputes. La rencontre entre les deux femmes ne fit qu'empirer le mal-être chez celle qui était la plus fragile et la moins forte dans cette histoire. "Je suis contente que tu arrives à avancer là-dessus, de par toi-même." Les efforts étaient là. Joanne espérait qu'elle ne dise pas de phrases qui pourraient faire questionner Jamie. Elle était dans un tel état qu'elle pourrait facilement se laisser avoir. Le serveur revint quelques minutes plus tard avec les apéritifs en question, et un bol d'olives. Manque de pot, Joanne n'aimait pas trop les olives. La belle blonde aurait adoré trouver un autre sujet de conversation, afin de passer au plus vite celui que venait d'aborder Jamie. Comme ça plus d'angoisse, plus de détresse, plus de désespoir.
Il n'y a que trois ou quatre autres personnes dans le restaurant en dehors de nous. Ce qui n'est pas plus mal. J'ai un goût prononcé pour le calme. Mais le monde ne devrait pas tarder à remplir la salle, le bruit à monter et l'agitation à s'emparer de l'atmosphère progressivement. Deux couples sont déjà arrivés depuis que nous nous sommes installés. D'une oreille attentive, j'écoute Joanne m'expliquer la raison de son déplacement au musée cet après-midi. Je suppose qu'elle n'a pas refusé de donner un coup de main à ses collègues parce qu'elle n'avait pas beaucoup mieux à faire, seule avec Ben à la maison. Forcément, je ne peux pas m'empêcher de me sentir coupable. Je n'avais jamais réalisé la réelle et palpable importance de mon travail dans ma vie. Je me demandais souvent pourquoi les journalistes restent célibataires si longtemps, pourquoi, plus ils montent en grade, plus ils sont seuls ou divorcés. Ce genre de travail ne laisse pas une seule minute de libre. Tant que le monde tourne, il y a de l'information à relayer. C'est ainsi. Joanne avait conscience de cela en s'installant chez moi. Après tout, mon travail était bien la principale cause de nos rares rendez-vous. Emménager ensemble doit y remédier, et c'est le cas. Mais les week-ends de vingt-quatre heures restent un problème. Je me vois mal espérer une relation digne de ce nom avec la jeune femme si je ne peux profiter vraiment pleinement de sa présence que quelques heures par semaine. L'air désolé, je lui explique ; « J'ai essayé de coincer la directrice de la radio pour négocier mes week-ends aujourd'hui, mais pas moyen. Je retenterais lundi. » Elle ajoute qu'elle est quand même parvenue à s'occuper. Elle a certainement emmené Ben sur l'esplanade, c'est une belle balade à faire. « Je n'en doute pas. Ce garçon est terriblement avide d'attention. » dis-je avec un sourire. Depuis que Joanne est à la maison, il est d'autant plus affectueux. Monsieur devait être fatigué de la vie entre hommes, il lui manquait une présence féminine. Et la jeune femme n'est pas avare en matière de caresses. Le tour de chauffe de conversation passé, je réunis assez de courage pour confier à la belle cette décision que j'ai prise de ne pas consulter Kelya. Sujet délicat s'il en est. Je sens bien que Joanne n'est pas ravie d'entendre ce nom sortir de ma bouche, et pour cause, il rappelle immédiatement la dispute qui aurait pu nous coûter notre couple. N'importe qui penserait qu'aborder une thème pareil à ce moment précis est terriblement mal joué et pourrait uniquement complètement refroidir l'ambiance pour le reste de la soirée -chose pour laquelle je suis particulièrement doué, cela n'a rien d'étonnant. Mais je ne compte pas laisser cela arriver. Si je lui parle de cela à cet instant, c'est pour qu'il soit vite oublié. Aussi désagréable cela soit-il, autant pour elle que pour moi, je dois arracher ce pansement d'un coup sec. Elle ne répond pas grand-chose, mais c'est toujours mieux que les silences auxquels j'ai pu avoir droit de sa part. Je lui souris doucement, rassurant, ne voulant pas laisser ce sujet retirer cette esquisse de mon visage. Consulter Kelya serait la chose la plus égoïste et irresponsable que je puisse faire. Peut-être pourrait-elle m'aider, mais nous voir dans des conditions si semblables à celles de Londres ne peut être que perturbant et malsain. Cela ne l'aiderait pas à aller mieux, et ne ferait que m'enfoncer dans ma culpabilité. Sans oublier Joanne, dont la confiance en moi serait mise à rude épreuve. Ce n'est pas le genre de choses que je souhaite imposer à mon couple en ce moment. Nous avons une vie ensemble à débuter sur de bonnes bases. Dans les paroles de la jeune femme, je devine une pointe de tristesse. Son regard se baisse sur ses doigts qui jouent entre eux, comme elle a l'habitude de le faire lorsqu'elle se sent mal à l'aise. Je l'observe quelques secondes sans rien dire, puis détache ses mains l'une de l'autre pour en serrer une entre mes doigts, en caressant doucement le dos. Pensant deviner ce qui la travaille, je cherche le contact de ses yeux bleus pour lui dire ; « Je ne veux pas que tu penses que tu n'est d'aucune aide. Tu fais infiniment plus que ce que tu veux voir. Crois-moi. » Je ne saurais pas lui expliquer tout ce qu'elle fait pour moi sans même avoir à bouger le petit doigt. Sa présence suffit. L'avoir près de moi, et la volonté de l'y garder, sont suffisantes pour alimenter ma volonté de travailler sur le plus grand de mes défauts. Je ne veux plus avoir à me dire que ma propre compagne a peur de moi, ou peur pour moi. Doucement, je dépose un baiser sur ses phalanges. Ne souhaitant pas plus m'attarder sur ce sujet pour ce soir, j'adresse un sourire à la belle et passe à autre chose. Mon regard se pose sur mon exemplaire du menu, cherchant le sigle végétarien devant le nom des plats que je peux donc manger. Et en effet, ils sont nombreux. « Tu as pu retourner à ton appartement, voir si la situation est arrangée là-bas ? » je demande en me choisissant un plat. Petit appétit ce soir, et folle envie de dessert, j'abandonne l'idée d'une entrée rapidement. C'est après avoir posé cette question que je réalise que l'art du changement de sujet, de faire comme si de rien n'était, m'avait été transmis avec brio par l'environnement qui m'a vu grandir.
I believe in the lost possibilities you can see. And I believe that the darkness reminds us where light can be. I know that your heart is still beating, beating darling. I believe that you fell so you can land next to me. ‘Cause I have been where you are before. And I have felt the pain of losing who you are. And I have died so many times, but I am still alive
Ce n'était pas l'intention de Joanne de faire culpabiliser son compagnon par rapport à cette journée passée seule. Elle savait très bien quel était son rythme de vie, il lui fallait juste un peu de temps pour s'approprier cette nouvelle vie et de trouver des activités qui lui permettraient d'embellir les jours où elle serait seule. Jamie aimait beaucoup son boulot, elle ne voulait pas l'empêcher de devoir se restreindre ainsi. "Si vraiment ce n'est pas possible deux jours de suite, demande à voir pour un autre jour de la semaine." dit-elle avec un sourire léger. "Je m'arrangerai avec Sophia et mes collègues pour me libérer à ce moment là. Ca fait des mois qu'ils me disent sans arrêt que si j'ai besoin d'un jour en particulier, je ne devais pas hésiter à leur en parler." Après son divorce, elle restait un maximum de temps au travail. Ca ne la gênait pas de faire des heures supplémentaires et de dépanner ses collègues. C'était pour cela qu'ils étaient devenus insistants à ce sujet. Ils se sentaient redevables pour toutes les fois où sa présence a pu éviter la casse. Son sourire s'élargit un peu. "J'abuserai un peu de leur flexibilité si ça peut nous arranger nous." La jeune femme trouvait que c'était un bon compromis. "Mais est-ce que l'autre garçon de la maison en est tout autant avide ?" demanda-t-elle, l'air malicieux. Elle voulait juste le taquiner un peu, espérant qu'il ne soit pas jaloux que son propre chien passe plus de temps avec sa compagne que lui. En vint rapidement le sujet de conversation qui fâchait un peu. Ou plutôt qui rendait Joanne plus que mal à l'aise. Jamie trouvait néanmoins nécessaire qu'il lui en parle, et elle appréciait sa franchise. Au moins, c'était dit. La belle blonde restait concentré sur ses doigts qui ne laissaient aucun répit à ceux de son autre main. Plongée dans des pensées morose, Jamie l'en extirpa juste en prenant l'une de ses mains dans la sienne, en lui caressant doucement le dos. Il y avait un léger effet de surprise, et ses yeux retrouvèrent aussi tôt le regard tendre de son compagnon. Joanne n'était pas sûre de comprendre tout ce qu'il disait étant donné qu'elle ne voyait ce qu'elle faisait exactement pour l'aider. C'était elle qui déclenchait ses colères, pas Kelya. Mais il semblait sûr de lui en disant ces paroles. Toujours gênée et mal à l'aise, on arrivait tout de même à deviner un léger sourire rassuré se dessiner sur son visage. "Je te crois." Le fait qu'il ait pu décrypter une partie de ses pensées, aussi infime soit-elle, la perturbait beaucoup. Depuis que la psychologue amoureuse était venue à sa rencontre, Joanne se comparait constamment à elle. Et dans absolument toutes les catégories, elle avait l'impression que sa prétendue rivale la dépassait en tout point. Ne rien dire de tout ça à Jamie était une torture. Il était le premier concerné, mais Joanne savait que si elle lui en parlait, il allait se mettre en colère et finirait par être confronter à un choix difficile. La belle blonde était persuadée qu'elle en ressortirait perdante, elle y était un peu habituée, après tout. Elle savait garder des secrets, là n'était pas le problème. Jamie embrassa tendrement ses doigts. Elle se mit à serrer un peu plus fort la sienne, toujours plus fébrile. Son regard était toujours aussi triste, tourmenté. Malgré elle, une petite larme fit son apparition au bord de l'un de ses yeux. Avant même qu'elle ait pu atteindre sa joue, elle l'essuya rapidement, espérant que Jamie ne l'ait pas remarqué. Son propre corps la trahissait. Même si sa main tenait toujours fermement celle de Jamie, celle-ci se mit à trembler. Quand elle s'en rendait compte, elle lâcha doucement la main, lui esquissant un sourire qui se voulait rassurant-à avoir si c'était vraiment le cas. "Ca va." dit-elle à voix basse. Menteuse. Il faudrait qu'elle arrête de faire ces tentatives, c'était inutile et rendait encore plus interrogatif son interlocuteur, que ce soit son compagnon ou n'importe qui d'autre.Jamie changea d'ailleurs très rapidement de sujet comme il avait l'habitude de faire lorsqu'un sujet de conversation ne le mettait pas à l'aise, alors que le serveur arrivait pour servir les boissons commandées. Joanne suivait simplement le mouvement, en espérant qu'il ne revienne pas sur ce qu'il s'était passé plus tôt. "Oui, j'ai vidé mes armoires de vêtements et ramené tout ce que j'ai en accessoires." Et pourtant, tout rentrait dans l'armoire. Elle avait tout fait en sorte que tout rentre pile poil dans l'espace que Jamie lui avait libéré. Pour elle, ça concrétisait déjà beaucoup de choses. Elle souriait. "J'ai appelé le propriétaire en fin de matinée. L'immeuble est du coup en travaux, il m'a dit que normalement, il devrait de nouveau être disponible d'ici une à deux semaines. C'est le constructeur de l'immeuble d'à côté qui paie tous les frais, et la co-propriété lui met un peu la pression pour que le problème soit réglé au plus vite." Cela faisait penser à Joanne qu'elle avait oublié de recontacter son assurance, qui lui avait parlé d'une indemnité suite aux dommages et à son délogement forcé. Elle n'y comprenait pas grand chose et devait prendre un rendez-vous avec son assureur afin d'y voir plus clair. Les joies de l'administratif.
La belle blonde est fébrile. Je sens sa main serrer fermement la mienne, légèrement tremblante, et, vaguement, je devine son autre main se portant à son visage. Je garde le nez rivé sur le menu, l'air de ne rien remarquer. Même lorsque Joanne lâche ma main et murmure qu'elle va bien, ma réaction se résume à un sourire se voulant naïf. Si elle le dit, c'est qu'elle va bien. Bien sûr qu'il est aisé de lire en elle, que je n'ai pas même besoin de la regarder pour savoir que quelque chose la perturbe. Mais je fais mine de ne pas le voir, parfait petit aveugle pensant que tout va bien dans le meilleur des mondes. Je préfère la laisser penser qu'elle est parfaitement capable de me mentir. D'abord, je ne souhaite pas mettre mal à l'aise la jeune femme en montrant que sa nervosité est absolument évidente. Elle s'en doute assez, elle n'a pas besoin qu'on lui démontre encore et encore qu'elle est un livre ouvert. Ce n'est pas ainsi qu'elle pourra se prouver qu'elle est parfaitement capable de surmonter les émotions qui s'emparent d'elle et la désarment à chaque fois. Je sais que cette facette d'elle-même la frustre au plus haut point par moments. Je ne veux pas poser de questions et prends sur moi ma curiosité maladive. Si elle a quelque chose à dire, elle le partagera d'elle-même. Je ne cherche pas non plus à deviner ce qu'il se passe sous sa tête blonde, ce qui pourrait m'occuper toute la soirée et me faire complètement passer à côté de ce moment à cause de la montagne de soucis qui se créera en moi au fil des heures. J'ai aussi des motivations complètement égoïstes là-dedans. Je préfère ignorer la fébrilité de Joanne et ne rien demander afin de ne pas gâcher la soirée. J'ai beaucoup trop besoin d'un moment normal, parfaitement banal, pour m'aérer l'esprit, oublier les quelques tracas qui m'accaparent le reste du temps. J'ai besoin, je dirais presque que cela m'est vital, de simplement profiter d'une soirée avec elle, et qu'elle ne soit perturbée par aucun parasite. D'où le radical changement de sujet. La jeune femme m'explique qu'elle a terminé de transférer ses affaires de son appartement à chez nous. J'ouvre des yeux ronds ; « Et tout rentre dans une seule armoire ? » Je ris doucement. Je ne me verrais pas survivre avec aussi peu d'affaires. Et puis, qui dit peu d'habits, dit multiplication des allers et retours au pressing pour être sûr de toujours avoir quelque chose à se mettre sur le dos. Mon côté petit bourgeois fainéant préfère largement aller acheter un nouveau costume que de laver ceux qui sont usés. Bien sûr, c'est exagéré. « J'ai presque honte de devoir garder les trois autres à moi seul. » j'ajoute en posant mon visage dans la paume de ma main, le coude sur la table, me cachant légèrement derrière mes doigts. Joanne comprendra assez vite ce que je veux dire quand j'affirme qu'elle a affaire à une diva à ce sujet. Elle m'explique ensuite que son ancien immeuble est en travaux pour les semaines à venir. Ayant une certaine idée des injustices qu'il peut exister dans le domaine du droit et de la responsabilité en matière d'immobilier -pour ne pas dire dans tous les domaines-, je suis assez rassuré que ce soit le constructeur en faute qui doive payer les dégâts. On ne sait jamais ce qui aurait pu tomber sur les locataires comme Joanne dans le cas où son propriétaire aurait dû avancer les frais. « Tant mieux, c'est une bonne chose. » dis-je avec un léger sourire. « On a jamais vraiment parlé de ce que tu veux faire de cet appartement. Tu sais que je peux t'aider à le financer si tu veux le garder, ce n'est pas un problème. » Bien sûr qu'elle refusera, et que j'insisterai. Nous ne sommes plus dans les années cinquante où les petites femmes démunies ne dépendaient que des hommes, à leur grand dam. Elles doivent prouver leur indépendance à toutes occasions, même dans les détails, même dans des situations qui les desservent, parce que la moindre faiblesse au mauvais moment fait reculer leur image de trois pas. Après la réponse de Joanne, je sens mon téléphone vibrer dans ma poche. Je le sors et vois le nom de Roxy. Visiblement agacé, je soupire, mais me lève quand même pour aller répondre. « Pardon, juste une minute. » dis-je à la jeune femme en déposant très rapidement un baiser sur son front avant de sortir du restaurant. Il commençait déjà à y avoir du bruit à l'intérieur. Comme souvent, la directrice de la radio me demande s'il est possible pour moi de travailler demain. Ma mâchoire se serre afin de m'empêcher de répondre trop vite, et ma main libre passe dans mes cheveux comme pour m'aider à réfléchir. Je ne dis jamais non lorsqu'elle m'appelle. Pas parce que je ne veux pas que sa dent contre moi s'allonge, mais parce que je n'avais jamais mieux à faire que de travailler. Maintenant que Joanne est là, je me vois mal rentrer à l'intérieur et lui annoncer qu'elle sera à nouveau seule demain. Et puis, je n'en ai aucune envie. Il me semble que pour la première fois en trois ans, je dois laisser Roxy seule avec les problèmes de la radio. Elle trouvera un moyen de me le faire payer. Elle enverra son frère repeindre mon bureau en jaune poussin, ou je ne sais quelle autre blague bien à lui dont j'ai l'habitude. Je reviens rapidement à table, ne m'étant absenté que une ou deux minutes maximum. A mon arrivée, le serveur est déjà là pour prendre notre commande. Je prends très simplement un plat de linguine au pesto et manchego, puisque s'il y a un incontournable dans un restaurant italien, ce sont bien les pâtes. Le garçon reparti, j'adresse un sourire gêné à Joanne. « J'avais oublié de le couper. On aura jamais une soirée tranquille si je n'éteins pas ce truc. »
I believe in the lost possibilities you can see. And I believe that the darkness reminds us where light can be. I know that your heart is still beating, beating darling. I believe that you fell so you can land next to me. ‘Cause I have been where you are before. And I have felt the pain of losing who you are. And I have died so many times, but I am still alive
Jamie ignorait le comportement de Joanne, et se contentait de ne rien dire, à se cacher derrière son menu. Il ne voulait pas se plonger pleinement dans le sujet, et c'était compréhensible. Ils n'allaient pas démarrer leur soirée tranquille par une énième prise de tête. Joanne pensait que c'était pour cela qu'il n'insistait, ce qui était un véritable soulagement pour elle. C'est pourquoi tout déviait rapidement pour venir à parler vêtements. C'était curieux que dans le couple, ce soit l'homme qui disposent de beaucoup plus d'habits que la femme. "Et tout rentre dans une armoire." dit-elle en reprenant mot par mot ce qu'il venait de dire, mais sous forme d'affirmation cette fois. Il s'en voulait un peu d'avoir trois armoires à lui tout seul. Joanne afficha un large sourire en le voyant ainsi. "Je t'avais dit que je n'avais pas grand chose." lui rappela-t-elle gentiment. "Et je peux être assez difficile parfois, je trouve qu'il y a beaucoup de choses qui ne me vont pas. J'ai trop le sens du détail aussi, parfois." Un pli, un bouton mal placé, un froufrou en trop, il ne suffisait de pas grand chose pour que ça ne plaise pas à Joanne. Mais pour la majorité des vêtements, elle ne se voyait pas être dedans, que ça ne lui allait pas. Dès qu'il y avait quelque chose qui sortait un peu de l'ordinaire, elle n'osait pas le porter. Ses robes restaient pour la majeure partie très simple, mais élégante. Après, elle mettait un bon budget dans ses vêtements, attachant une grande importance à la qualité du vêtement. "Garde tes trois armoires" dit-elle en riant. "Ne t'en fais pas pour ça." Il avait déjà fait l'effort de libérer de la place, elle ne se voyait pas lui en demander d'en avoir davantage. Joanne s'attendait bien évidemment à ce que Jamie lui parle du financement de son appartement. Il ne l'avait jamais clairement dit, mais il n'en pensait pas moins. Elle lui sourit, gêné. "Je pensais encore le garder quelques temps. Comme tu l'as dit, il se peut qu'un jour ou l'autre, on ait besoin de... prendre un peu de recul sur tout ça. Je le garde, juste au cas où." Tout s'était fait tellement vite, elle comprendrait que Jamie ait besoin de quelques jours seul, et elle savait qu'il en pensait de même pour Joanne. Leur décision et emménagement précipité allait certainement montrer un jour ou l'autre son revers, autant avoir un point de chute si la situation nécessitait d'être apaisée par un isolement temporaire. Il y avait beaucoup de nouveautés pour eux deux sur une très courte fourchette de temps. "Non, ne t'embête pas avec ça, mon coeur." Elle l'imaginait parfaitement faire une offre à son propriétaire qu'il ne pouvait certainement pas refuser. Connaissant Jamie, au lieu de se casser la tête à payer le loyer chaque mois, autant l'acheter. Elle savait bien qu'il ne manquait pas d'argent et que la somme qu'elle avait déjà versé pour le loyer ne semblait rien à côté de ce qu'il avait dépensé pour sa maison. "Qu'est-ce que je ferai de mon salaire, sinon ?" ajouta-t-elle en riant nerveusement, cherchant à plaisanter. Déjà qu'il ne voulait pas qu'elle place un centime dans les frais de la maison, il allait finir par la faire culpabiliser de ne rien payer nulle part. Pendant qu'elle regardait son menu-même si son choix était déjà tout fait-, Jamie s'excusa, son téléphone vibrant dans sa main. Juste avant de sortir du restaurant, il l'embrassa sur le front. Elle savait déjà qui l'appelait et pourquoi. Une sorte de sixième sens. Pendant ce temps, Joanne sirotait son verre de vin italien tout en regardant les nombreuses suggestions de la carte. Il revenait une à deux minutes plus tard. Le serveur vint passer sa commande et Joanne opta pour la plus classique des assiettes italiennes : des spaghettis bolognaires. Elle lui échangea son sourire. "A croire que l'ABC n'aime pas nous savoir au restaurant." Entre leur première soirée ensemble et celle-ci, on ne le laissait pas tranquille. "Tu dois travailler demain, c'est ça ?" demanda-t-elle d'une mine un peu déçue. La dernière fois qu'il n'avait pas décroché son téléphone, il s'était fait remonté les bretelles par sa supérieure. Refuser de venir pour dépanner donnait certainement la même chose. "Je ne voudrais pas que tu te fasses reprendre comme la dernière fois." Elle aurait bien dit à cause de moi, mais Jamie aurait certainement mal réagi à ce petit bout de phrase, elle décida donc de le garder pour elle. Ca ne fait qu'une chose en plus à ravaler. Un peu plus, un peu moins, elle n'était pas à ça près.
De retour dans le restaurant, Joanne fait remarquer que ce n'est pas la première fois que mon travail choisit bien son moment pour faire interruption. De manière générale, je devrais vivre avec une oreille en permanence et ressembler à tous ces commerciaux ou ces traders qui passent leur temps à parler dans le vide comme de parfaits psychopathes. Je sais que mon nom est déjà sur la liste d'attente auprès de tous ceux qui, comme moi, devront se faire greffer un téléphone dans le cerveau dès que cette technologie sera disponible. Mais non, très peu pour moi. Avec un sourire, j'acquiesce à ses paroles en ajoutant ; « ABC n'aime pas que j'ai une vie. Je devrais planter une tente dans mon bureau pour que tout le monde soit satisfait. » Mais je n'aurais jamais la place pour trois armoires de vêtements dans mon bureau. Je sais que la tâche est difficile, mais j'aimerais réussir à être de ceux qui arrivent autant que possible à concilier un travail aussi prenant avec une vie personnelle épanouie. Ce n'est pas gagné, je dois compter sur la patience de Joanne pour cela. Au fond, il est surtout question de trouver la bonne personne pour partager ce genre de vie. Quelqu'un qui comprenne. La jeune femme devine facilement qu'il m'a été demandé de travailler demain. « Le grand manitou me l'a demandé, oui. Mais j'ai refusé. » dis-je en haussant les épaules. Bien sûr que Roxy aura sa vengeance, elle ne manque jamais une occasion pour cela. Mais en réalité, elle ne peut pas me reprocher quoi que ce soit. La belle s'inquiète pour moi, mais c'est parfaitement inutile. Je lui souris pour la rassurer et tente une approche afin de récupérer la main qu'elle avait ôté de mon emprise un peu plus tôt. Mes doigts s'approchent des siens et restent là, à les frôler, à quelques millimètres de distance, lui laissant le choix de les prendre ou non. « Ne t'en fais pas, je ne vais pas me faire virer pour si peu. Ca fait trois ans que je vis boulot, que je respire boulot. C'est à peine si la directrice dira quoi que ce soit. J'ai envie de passer du temps avec toi. » Je ne lui ai pas proposé d'emménager chez moi si c'est pour qu'elle soit seule tout le week-end. Autant qu'elle reste dans son appartement. Non, j'ai mérité le peu de repos que je demande, à coups de soirées entières passées à la radio, de remplacements fréquents, d'années sans vacances. Je défie qui que ce soit de me donner tort à ce sujet. « Parfois, je me verrais bien tout arrêter et juste passer mon temps à peindre. » dis-je plus bas, l'air songeur. J'ai assez d'argent pour me permettre de ne pas travailler pendant quelques temps, même si cela ne pourrait pas durer plus de quelques années. Mais ce n'est qu'un désir lointain. Intouchable. Je prends mon verre et prends une gorgée de ma boisson avant d'ajouter ; « Et à partir de maintenant, la seule expression qui sera accepté sur ton joli visage est un beau sourire. » Sa mine déçue ou soucieuse n'ont pas lieu d'être. Je lui adresse un clin d'oeil, prends une nouvelle gorgée du cocktail sans alcool, et reprends avec un sourire ; « J'aimerais bien que tu me montres plus d'endroits dans ce genre. Ce n'est pas le type de restaurant dans lequel je serais entré d'habitude, ce n'est pas vraiment dans mes standards. Mais toi et tes collègues avez l'air d'avoir bon goût. » Je n'ai pas cette habitude qu'elle a de sortir régulièrement avec des collègues. D'une, je suis considéré comme le patron, le père de la fratrie que compose l'équipe ; la personne dont tout le monde est proche, mais qui reste légèrement au dessus, à l'extérieur du groupe. C'est naturel, je ne me plains pas de cette position. Et puis, je les vois tous tellement souvent que je préfère me consacrer à mes amis en dehors du travail lorsque j'ai un peu de temps libre pour sortir.
I believe in the lost possibilities you can see. And I believe that the darkness reminds us where light can be. I know that your heart is still beating, beating darling. I believe that you fell so you can land next to me. ‘Cause I have been where you are before. And I have felt the pain of losing who you are. And I have died so many times, but I am still alive
Jamie avait un métier très intéressant, extrêmement chronophage. Elle l'avait remarqué depuis le début. C'était parfois un peu difficile, mais elle n'avait aucun soucis pour accepter cette contrainte. Pour elle, ça en valait largement la peine. Ce n'était pas comme si elle était aussi habituée à vivre seule. Joanne rit discrètement. "Je ne pense que je serai satisfaite que tu viennes planter ta tente dans ton bureau." Donc tout le monde ne serait pas satisfait de cette option. Il dit ensuite qu'elle avait bien vu, et qu'on lui avait effectivement demandé de venir le lendemain pour dépanner. Joanne ne parvint pas à cacher sa joie lorsqu'il lui ajouta qu'il avait refusé de venir en aide à la radio. Un large sourire s'esquissa sur son visage, totalement ravie. Elle craignait néanmoins qu'il s'en prenne plein la figure. Mais ces deux premières semaines passées ensemble traduisaient parfaitement l'importance de chaque moment passé ensemble. Et l'avoir une journée entière rien que pour lui était le plus beau des cadeaux. Son compagnon avait approché timidement sa main de celle de Joanne, posée sur la table. Cette scène lui rappelait leur premier rencard-si on pouvait appeler ça un rencard. De beaux souvenirs, et toujours les mêmes sensations. Ses yeux restés rivés là pendant qu'il lui disait de ne pas s'inquiéter pour lui. Elle lui sourit une première fois, et acquiesça d'un signe de tête. Enfin, ses doigts se mettaient à frôler délicatement le dos de la main de Jamie. Son autre main retenait quant à elle la tête de Joanne, le coude posé sur la table. Joanne était heureuse d'entendre qu'il voulait passer du temps avec elle. Ca pourrait paraître bête et évident, mais le fait qu'il lui rappelle l'affection qu'il a pour elle par ses phrases la rassurait. "Tu te souviens de notre premier restaurant ensemble ?" demanda-t-elle en regardant leurs mains. Difficile de l'oublier, après tout. "C'est toujours les mêmes sensations. Et pourtant ça fait quoi, quatre mois qu'on se connait ? Deux semaines que nous vivons ensemble. Mais il y a des choses qui n'ont pas changées, si ce n'est l'amour que j'ai pour toi." Elle l'imaginait déjà tout rouge. Les compliments et les aveux ne le mettaient jamais à l'aise, mais il lui semblait important de lui en faire. Sa voix était devenue beaucoup plus basse. "Je ne pensais pas qu'il était possible de t'aimer encore un peu plus chaque jour." dit-elle en le regardant tendrement. Elle aussi rougissait un peu, mais elle voulait qu'il se sente aimé comme il méritait de l'être. Il avait été seul bien trop longtemps. Jamie lui confia que parfois, il aimerait tout arrêter et se consacrer à la peinture. Cela lui fit penser au portrait qu'il avait dessiné d'elle et qu'elle n'avait toujours pas vu. Elle ne voulait toujours pas le voir d'ailleurs. Joanne voyait bien que ce souhait était complètement utopique à ses yeux. "Fais le comme tu le sens." Ses épaules se haussèrent. "Tu peux tenter d'avoir quelques mois de congés sabbatiques. Si l'envie te dit." Sa main prit doucement celle de Jamie. "Quoi que tu choisisses, je te soutiendrais." Elle laissa un rire s'échapper, puis le taquina. "Et les rôles s'inverseront, ce sera toi qui m'attendra à la maison." Il pouvait se le permettre, et elle pensait que ça ne pouvait que lui faire du bien, de se détacher de son travail pendant quelques mois. Son compagnon lui dit ensuite qu'il ne tolérerait d'elle qu'un sourire. Cela faisait déjà quelques minutes que Joanne ne pouvait s'en empêcher. Et qu'il arrête avec ses clins d'oeil, ça la rendait dingue. Elle fondait sur place, avec ce petit air malicieux. La jeune femme l'aurait bien embrassé, mais c'était peu conventionnel. "Mr. Keynes veut s'essayer à la restauration des petites gens ?" dit-elle, d'un ton plaisantin. Ses yeux pétillaient. Elle ne songeait plus à ses tracas, et si cela pouvait durer le rester de la soirée, ce serait fantastique. "On s'est toujours plus à en essayer beaucoup. Certains étaient horribles. Mais il y en a tellement en ville que ça nous laisse des tas d'opportunités pour se retrouver et profiter du bon temps." Elle rit. "Forcément, au bout de quelques années, on connait déjà quelques bonnes adresses en ville. Donc tout autant de restaurants que je dois te montrer." Et la liste faisait déjà une certaine longueur. Joanne gardait les cartes de visite des restaurants qui lui avaient plus. Sa main jouait délicatement avec la sienne, l'autre servait à boire quelques gorgées de son apéritif jusqu'à ce que le serveur apporte le plat principal.
L'air songeuse, Joanne me demande si je me rappelle la première fois que nous avons dîné ensemble. Ce que je considère comme notre premier vrai rendez-vous, en y repensant. Impossible de l'oublier pour cette raison. « Bien sûr que je m'en souviens. » dis-je avec un léger sourire nostalgique. Ca ne remonte pas à si longtemps que ça, et pourtant, nous avons fait un bon bout de chemin depuis ce soir-là. Absolument tout à changé. Durant cette soirée, nous étions deux inconnus qui apprenaient à se connaître, s'amusant à parler de toutes les choses les plus banales qui soient. Désormais, nous sommes un couple vivant à deux sous le même toit. Joanne, avec ses grands yeux tendres, n'hésite pas à souligner l'amour qu'elle me porte. Je baisse la tête une seconde, le regard fuyant, particulièrement gêné. Je ne sais pas comment elle fait pour être capable d'articuler ce genre de phrases si naturellement, spontanément. J'en suis incapable. Cela m'arrive, mais le plus souvent il me faut des jours, des semaines avant de réussir à offrir la moitié de ce genre de phrases. Et encore, je ne sais toujours pas comment répondre à ce type de déclarations. Je reste muet, la remerciant du regard, lui souriant, visiblement flatté et heureux. « Je n'ai pas de fleurs cette fois, il y a déjà du relâchement. » dis-je pour plaisanter. Si au bout de quatre mois je commence déjà à la négliger, elle devrait se faire du souci. Mais la dernière fois, la chose était planifiée, calculée. Ce soir, je laisse le vent me porter avec Joanne, plus spontané, et c'est peut-être une bonne chose. J'ai aussi changé depuis cette soirée-là. Je confie à la jeune femme cette espèce de rêve dans lequel je pourrais entièrement me consacrer aux toiles et aux pinceaux. Ce mirage idiot qui me frôle l'esprit et joue avec moi les soirs où je suis le plus fatigué. Tout larguer, vivre d'amour, d'eau fraîche, et de peinture. La belle pense que je peux me le permettre, prendre quelques mois pour moi. Je secoue négativement la tête, remettant difficilement les pieds sur terre, comme à chaque fois. « Non, ça ne marche pas aussi facilement. Si je m'en vais, je dis adieu à ce poste définitivement, et il y a des chances pour que je reprenne en bas de l'échelle quand je voudrai retrouver du travail. J'ai des amies qui me poussent régulièrement pour que j'expose quelque part. Mais c'est parfaitement ridicule, je ne peux pas faire ça. » dis-je en haussant les épaules, fermement résigné. Le genre de mentalité négative qui me vient de toutes les phrases subtilement rabaissantes de mes parents, comme Joanne a pu les entendre. Difficile de se croire bon dans quoi que ce soit à cause d'eux. Mais je suis bon, excellent dans mon travail, et pour cela, je ne pourrais pas le quitter. « C'est une sorte d'aller simple, et je ne pense pas que ça en vaille la peine. » j'ajoute avec un sourire triste. Au fond, c'est le genre de carrière que j'ai toujours souhaité. Je n'ai jamais été intéressé par les études, les cours. Oliver m'avait appris à dessiner, et c'était devenu une évidence pour moi. Mais on ne fait pas toujours ce qu'on veut. On fait ce qu'il faut. Avant de m'enfoncer dans des pensées à propos de mon frère, je reporte mon attention sur Joanne qui se moque gentiment de moi. Toujours adepte de l'auto-dérision, je suis sa plaisanterie ; « Exactement. C'est la crise, je viens d'être amputé de trente mille dollars de dommages et intérêts, alors je dois faire attention aux dépenses et rabaisser mes exigences en matière de restaurant. » Oh, attendez. Je n'ai pas souvenir d'avoir déjà parlé de l'affaire avec Camael à Joanne. Flûte. Je ne sais plus. Je fais comme si de rien n'était, et on verra bien. « Et puis, le Ritz, c'est surfait. » j'ajoute en haussant les épaules. Visiblement, la jeune femme a une liste longue comme le bras de restaurants à me faire découvrir. Gourmand comme je suis, je ne peux être que ravi. « Eh bien j'ai hâte de découvrir tout ça. » Je trépigne déjà sur ma chaise comme un enfant à qui on a promis des bonbons. Le serveur nous interrompt pour déposer nos plats devant nous. Cela semble simple, mais bon -ce qui est le fort de la cuisine italienne à vrai dire. J'attrape mes couverts et adresse un « Bon appétit. » à Joanne avant d'attaquer mon assiette. En effet, c'est loin d'être mauvais. « Au fait, pourquoi est-ce que tu tiens tant que ça à aller à Florence ? » je demande par simple curiosité. C'est une destination qui semble tenir à coeur à la belle, et je ne cesse de me demander pourquoi.
I believe in the lost possibilities you can see. And I believe that the darkness reminds us where light can be. I know that your heart is still beating, beating darling. I believe that you fell so you can land next to me. ‘Cause I have been where you are before. And I have felt the pain of losing who you are. And I have died so many times, but I am still alive
Elle se doutait que Jamie allait restait silencieux face à ses mots. Le pauvre se cachait comme il le pouvait, mais semblait heureux d'avoir entendu ses mots. Elle continuait de le regarder tendrement, souriante. Il se reprochait de ne pas avoir des fleurs. Mais la spontanéité qui a engendrée cette fois valait bien plus. Joanne apporta la main qu'elle tenait à sa joue. "Tant que je t'ai toi." Comme toute femme, la belle blonde aimait beaucoup avoir des cadeaux. A chaque fois, c'était une surprise, et selon l'objet, elle y associait très vite une valeur sentimentale. Le bracelet que lui avait offert Jamie avait certes sa valeur grâce à sa marque, mais elle y tenait énormément. Parce que ça venait de Jamie, tout simplement. Elle s'y était déjà beaucoup attachée et en prenait énormément soin. Après, elle n'est pas du genre à mendier ou à faire du chantage pour qu'on lui offre des bijoux ou de la maroquinerie, loin de là. Elle acceptait ce qu'on lui offrait et ne cherchait jamais à ce qu'on lui offre quoi que ce soit. Jamie avait une sorte de rêve, qui lui était impossible de réaliser, parce que sinon, il perdrait le poste qu'il avait à ce moment là. Il continuait d'espérer mais se résilier très vite. Joanne trouvait tout ceci un peu triste. "Tu ne devrais pas t'empêcher de rêver, mon amour." lui dit-elle d'une voix douce. Elle embrassa sa main. Vivre dans un cadre comme celui dans lequel Jamie avait grandi l'avait beaucoup lésé à ce niveau. Il suffisait de voir ses parents, et leur manque certain d'amour qu'ils avaient pu porter à leur fils. Finalement, il n'était pas si confiance que ça, en parlant de certains domaines. "Tu en as tous les droits. C'est ton monde chimérique à toi. Ne laisse pas la réalité tout piétiner même s'il est évident que certains de tes rêves ne sont pas réalisables. Ce n'est pas ça le plus important." Joanne savait l'amour qu'il avait pour la peinture. Savoir s'exprimer à travers un crayon ou un pinceau était quelque chose d'incroyable pour elle, qu'il ne fallait pas négliger à cause pressions environnementales. "Si tu veux aller exposer quelque part, alors fais-le. J'ai des contacts de galeries d'art fiables, si tu veux." Elle ne voulait pour lui que le meilleur et qu'il s'épanouisse comme il le voudrait. "Qui ne tente rien n'a rien. Si tu n'avais pas tenté de me sauver ce soir-là au bar, on ne se serait jamais connus.." Et s'ils n'avaient pas tenté de se revoir, ils ne seraient certainement pas tous les deux dans ce restaurant italien. "Et si tu ne peux pas prendre un congé sabbatique, prends toi deux semaines dès que tu le peux. Et fais ce dont tu as envie durant cette période, peindre toute la journée si le coeur t'en dit." Elle lui cherchait autant de solutions qu'elle le pouvait pour atteindre ne serait-ce que du bout du doigt son rêve. "Si tu préfère rester seul, je travaillerai et sinon, je m'arrangerai avec mes collègues pour avoir un maximum de temps libre durant cette période." Joanne tenait désormais la main de Jamie avec les siennes, les deux. "Dis-moi juste ce que je dois faire." Il avait du se priver de tellement de choses tout le temps qu'il avait vécu à Londres. Joanne adorerait le voir s'épanouir pleinement à travers ses passions. Elle le regarda avec des yeux ronds lorsqu'il mentionnait une somme d'argent faramineuse. "Quoi ? Trente mille dollars ?" La jeune femme n'assimilait pas du tout le fait que c'était la somme qu'il avait du verser son agresseur. Elle restait incrédule pendant un moment. Jamie se montrait ensuite enthousiaste à l'idée de découvrir les restaurants que Joanne avait déjà testé. Ca en faisait, des soirées de prévu. Elle était heureuse de le voir aussi enthousiaste à cette idée. Les plats étaient déjà bien entamés lorsque Jamie se demandait pourquoi elle aimait tant Florence. "C'est le berceau de la Renaissance italienne, qui fait partie de mes périodes historiques que je préfère. Léonard de Vinci y a passé une grande partie de sa jeunesse. Elle regorge d'oeuvres et de monuments. Et quand tu vois leur magnifique cathédrale, entièrement faite de marbre de différentes couleurs. La beauté de la ville, aussi." Ses yeux pétillaient rien qu'à repenser à la multitude de photos qu'elle avait déjà consulté. "Et les paysages de la Toscane me font rêver, j'avoue." Joanne était presque arrivée à bout de son assiette. "Chacun a sa destination de rêve. Beaucoup ne prient que par New York par exemple. Moi, c'est Florence. J'avoue que la Nouvelle-Zélande m'attire beaucoup aussi.". Elle finit également son verre de lambrusco. "Je pense être une personne qui aime voyager , mais je n'ai jamais eu l'esprit suffisamment aventureux pour oser faire le premier pas et se lancer là-dedans." Ce qui était très regrettable pour elle. Avoir un peu plus d'audace ne lui ferait pas de mal.
Légèrement bouche-bée, j'écoute avec la plus grand attention le long discours que me tiens Joanne. Je laisse sa voix douce immiscer dans ma tête la possibilité d'un jour réaliser toutes ces bêtises auxquelles je me suis toujours interdit de rêver. Je n'ai jamais eu la place pour mes propres rêves, mes propres aspirations, et encore moins quelqu'un pour m'encourager à les cultiver, les nourrir. Comme elle le dit, j'ai toujours laissé la réalité, mon monde, mes parents, mes obligations, la vie de manière générale, piétiner les aspirations que j'avais. Mon coeur bat de plus en plus vite alors que je reste complètement noyé dans le regard bleu de Joanne. Cela fait partie de ces moments où je l'aime infiniment, voire un peu plus que l'instant précédent, où je repense à ce que j'ai dit à ma mère avant de quitter Londres avec la jeune femme. Dans ces moments, ils n'y a rien de plus évident que ma vie auprès d'elle. Tout ce que je veux construire et découvrir avec elle. Uniquement elle. Avec elle, pour elle. Lorsqu'elle me demande de dire ce qu'elle doit faire, je reste silencieux quelques secondes. Je suis attentif à mon coeur qui bat la chamade, et j'observe la belle, détaillant son super visage. Quand je reviens à moi, avec un léger sourire pour m'excuser de cette courte absence, j'articule tout bas ; « Ne changes jamais. Reste aussi parfaite. » Je serre fortement sa main dans la mienne. « J'ai pas mal de rêves te concernant. J'espère qu'ils seront plus réalisables que les autres. » j'ajoute d'une voix douce.
A force de touches d'humour, je reviens dans le monde des vivants. Et puis, je fais la bêtise de mentionner ces trente mille dollars que je viens de verser à Camael. J'avais complètement oublié d'en parler à Joanne. Certainement parce que je ne voulais pas avoir affaire au moindre regard désapprobateur, déçu, angoissé à cause de cette histoire. Je ne pense pas qu'elle garde un excellent souvenir de ce soir-là, même s'il marque notre rencontre improbable et le début de notre histoire. Je sais que je me souviendrais toujours de la manière dont elle me regardait dans l'infirmerie du poste de police, et je ne voulais pas être replongé dans ce moment là en la tenant au courant des déboires juridiques que cet incident ont causé. Au final, je n'en avais jamais glissé un seul mot. Elle va sûrement m'en vouloir pour cela. « Ce n'est rien d'important. Juste la somme que je dois au type qui t'ennuyait au bar. A cause du… du coup sur la tête. » Vite, je me cache derrière mon verre en buvant quelques gorgées. Ca peut sembler être une grosse somme, mais vu l'affaire, je m'en suis terriblement bien sorti. Certes, je suis officiellement un criminel, un délinquant, mais je n'ai pas vu l'intérieur d'une prison ni la couleur d'une combinaison de travaux d'intérêt général, alors je ne me plains pas. Ce n'est qu'un chèque, rien de grave. L'argent va et vient, et je n'en manque pas.
Espérant qu'elle oublie bien vite ce sujet, je lui demande la raison de cette passion qu'elle a pour Florence, et cette insistance qu'elle a à l'idée de visiter cette ville. La regardant en parler, pouvant presque voir des étoiles dans ses yeux, il ne m'en faut pas plus pour comprendre que j'ai plutôt intérêt à l'emmener là-bas un jour. Je souris, légèrement amusé par son expression d'enfant au pied du sapin, attendant ses cadeaux après en avoir découpé les photos dans les magazines de jouets. « Eh bien tu peux compter sur moi pour te pousser un peu et t'embarquer où tu voudras. » dis-je en faisant non seulement référence à l'Italie, mais aussi à la Nouvelle-Zélande si elle le souhaite, et toute autre destination qui puisse lui passer par la tête. Avec une condition ; « Et je te kidnapperai en Argentine. » Je souris largement, ravi par tous ces plans que nous faisons. Portant sa main à mes lèvres, je dépose un baiser sur ses phalanges, et souffle comme pour que nous soyons les seuls à l'entendre ; « Je t'aime. » Le serveur apparaît à côté de moi, me faisant sursauter. Il demande si nous avons terminé nos assiettes, afin de les récupérer et nous amener la carte des desserts. Je secoue un peu la tête, réunissant mes esprits. Parfois, il est difficile de faire avec le monde qui nous entoure. C'est idiot. « Pardon ? Oh, oui, bien sûr. Faites. » Un rire nerveux m'échappe. Je me sens terriblement niais -et suis assez content que personne que je connaisse ne se trouve dans le restaurant pour me voir ainsi- mais j'aime tellement cette bulle que nous avons, en tête-à-tête.