Il posait le pied à terre, à Brisbane à nouveau. Deux mois plus tard. Il s'était passé tellement d'événements durant ce simple laps de temps, qui paraissait si court en apparence. Des tas de gens n'ont rien à raconter en l'espace de plus de huit semaines, Tim, lui, revenait de l'enfer. Il s'était battu contre la boue, l'orage, les cordes, les fils électriques et les cibles en tous genre. En résultait qu'il ne sentait plus vraiment ses muscles pendant la moitié du séjour mais c'était passé, même cette douleur là avait fini par lui passer, oui. Il revenait plus vaillant, les muscles plus marqués encore que lorsqu'il était au cimetière, même si lui ne s'en rendait pas compte. Il n'avait pas spécialement eu le temps de regarder son corps ou son visage dans le miroir pendant sa formation intensive. Il n'avait eu le temps de rien, à part écrire quelques lettres à Heïana pour prendre des nouvelles de la maison. En dehors de cela, il avait tout fait pour ne pas avoir à penser et c'était clairement mieux ainsi. Il revenait mais toujours avec ce vide au fond du coeur, mais il avait un uniforme désormais, dans sa valise. D'ailleurs, Tim n'avait même pas le coeur de repasser par son appartement pour marquer son grand retour dans le fief de son enfance. A la place, il fonça au pub du coin, envoyant un message à sa remplaçante du cimetière, lui demandant si elle était disponible pour la fameuse soirée qu'elle lui avait promis quelques mois auparavant. Tant de choses avaient changé depuis lors mais Timothy avait conservé son vif intérêt pour la vie du cimetière alors, il n'avait pu que demander à Freya ce qu'il en était. Puis, il débarqua au comptoir, dans l'attente de voir arriver le joli sourire de sa camarade de récurage d'antan. Il espérait qu'elle n'avait pas changé parce que lui, en tout cas, n'était plus le même homme.

Si Freya a changé ? Aucune chance. Ou alors toujours en pire. Jamais en mieux. Ce n’est pas vraiment le genre de la famille d'aller en progressant, c’est bien connu. Mais étrangement, elle se sent plus calme que d'habitude, presque apaisée. Après un hiver sur les chapeaux de roue, on pouvait sentir le printemps qui commence timidement à pointer le bout de ses bourgeons. Sûrement que le cimetière sera plus joli que ces deux derniers mois. Même si les températures clémentes ont tout de même apporté leurs jolis lots de couleurs sur les tombes.

Freya s'est retrouvée à dessiner tout ce qu'elle avait trouvé beau. Et finalement, dans un cimetière, tout l'est. Que ce soit les tombes (propres et nettoyées) d'un gris ou d'un blanc éclatant, ou bien les plantes et autres bouquets déposé par les proches (elle ignorait que c'était possible de dépenser autant pour des morts). Mais ce qu'elle a le mieux savouré, c'est ce qu'elle avait fait part à Tim : le silence, la tranquillité, être à part de la société.

Comme promis, on n’est pas venu la déranger.
A part une ou deux petites vieilles qui avaient besoin d’aide.

Mais franchement, Doherty pense s’être plutôt bien débrouillée. Evidemment, on lui a posé des questions sur Tim, où est-ce qu’il était, si rien de grave ne lui est arrivé. Freya a bien voulu les envoyer paitre deux fois plutôt qu’une mais face aux sourcils froncés et l’air véritablement inquiet, elle n’en a pas eu la force.
Elle a un cœur, quand même, bordel.

Elle a passé deux mois à dire que Tim prenait du temps pour lui. Elle est restée vague parce qu’à la place du jeune homme, elle n’aimerait pas qu’on raconte sa vie à tout le monde. Alors ses réponses étaient évasives, toujours floues et finissaient souvent dans l’eau quand on insistait. Sa patience a des limites, après tout.

Alors quand elle reçoit un message de Tim sur son téléphone, Freya eut un mouvement de surprise. Ils ont le droit aux cellulaires dans les camps d’entrainement ? Mais non, il est apparemment de retour en ville et il n’a pas oublié ce qu’ils s’étaient promis. Sourire amusé, la jeune femme a donc attrapé son vélo qui avait subi une opération de rafistolage de dernière minute.

Arrivée au MacTavish, chemin qu’elle connaîtrait les yeux fermés, Doherty balaie la salle du regard qui finit par se poser au niveau du comptoir. « Alors l’oiseau est rentré au bercail ? Pour de bon ou juste de passage vers de plus grands horizons ?, demande-t-elle tout en s’asseyant à ses côtés. » Elle interpelle le barman en demandant silencieusement deux pintes. Après tout, c’est la spécialité de l’établissement, ça serait bête de s’en priver. « T'as pris du muscle ou j'rêve? »

Tout s'était accéléré lors des derniers jours d'entraînement et Timothy n'avait même pas eu le temps de penser à son retour chez lui. Il aurait certainement dû ainsi, il aurait peut être légèrement moins paniqué en voyant le panneau Brisbane devant ses yeux après des heures de train. Il ressentait l'angoisse le bercer à nouveau mais il faisait tout ce qui était en son pouvoir pour la chasser. Tim n'était plus ce garçon qui souffrait de tout, il ne pouvait pas l'être après tout ce qu'il avait traversé: des heures de course intense dans la boue arme à la main, ne pas dormir pendant plusieurs jours, les épreuves de force, les heures de théorie... Son cerveau était rempli d'informations en tous genres qui n'avaient plus rien à voir du tout avec le travail d'un gardien de cimetière. Il avait d'ailleurs été tenté de faire un tour par son ancien lieu de paix mais vu l'heure, Tim s'était ravisé. Non, s'il voulait des nouvelles de ce front là, il n'avait qu'à contacter Freya et si elle était disponible, elle viendrait bien vite le rejoindre à ce comptoir. Decastel ne fut pas déçu, effectivement, puisque quelques minutes après son message, la jolie suédoise se retrouvait à sa droite. Deux mois, cela faisait deux longs mois mais tout avait changé durant ce laps de temps, surtout lui. "Pas tout à fait pour de bon. J'ai un deuxième camp d'entraînement d'ici quelques semaines pour ma spécialité et après, je serai au bercail pour de bon." Il avait déjà envie de repartir pour être honnête, Brisbane l'étouffait, les souvenirs surtout et il ne savait pas comment les gérer. Il n'avait jamais su, Tim. Il attrapa sa pinte en rougissant lorsque Freya lui annonça de but en blanc que sa musculature avait évolué. "Je suppose que oui, c'est les petits plus que peuvent apporter les camps militaires." Il trinqua avec elle, lui qui ne buvait jamais avant Kapooka. Maintenant, il n'était plus étranger à la sensation, c'était déjà cela. "Comment va mon cimetière, alors? Et ma remplaçante, comment va t-elle?" Oui, il était curieux mais c'était quelque chose d'important pour lui malgré tout. Timothy avait beau ne plus être le gardien de ce temple précieux, celui-ci resterait toujours cher à son coeur et Freya qui avait pris sa suite ne pouvait qu'être d'autant plus précieuse, en conséquence.

Freya n’est jamais la dernière pour refuser un coup à boire. Au grand dam de certains de ses proches qui voient là une profonde addiction dont elle ne peut se séparer. Faux. Elle pourrait arrêter de boire si elle le voulait demain. Mais c’est bien là le truc ; elle n’a pas envie. Pire encore, sa main a eu le temps de retrouver le chemin de petites pilules, et pas que celles de son traitement. Elle qui avait réussi à arrêter ces conneries de drogue, qui se bat quotidiennement avec son jumeau sur le sujet, la voilà qui s’y était remis. Mais ce n’est qu’en cas exceptionnel. Elle n’est pas non plus addict. Avec Alex, elles savent se maîtriser. Ce n’est que pour faire la fête, rien pour créer une panique générale, n’est-ce pas ?

(Si ça peut t’soulager la conscience de penser ça.)

Retrouver Tim au MacTavish est assez surprenant. Après leur première rencontre, Freya était revenue le lendemain, comme promis. Puis il l’avait contacté de nouveau trois jours après. Et au final, elle s’est retrouvée en formation sans vraiment sans rendre compte. Il a vraiment une personnalité qui dénote du reste de la population, il est attachant et sa compagnie était agréable autant que relaxante. Mais ils n’avaient pas eu le temps ni l’occasion de le sortir un peu de son univers car il l’a foutu un peu devant les faits accomplis en lui balancer les clés du cimetière dans les mains.

Autant dire que Freya ne s’attendait pas à avoir la responsabilité des morts aussi rapidement.

Bizarrement, Doherty n’a ni râler (ô surprise) ni essayer de l’empêcher accomplir ce qu’il semblait déterminé à faire. A l’époque, elle ignorait la cause, ne voyant là qu’un jeune homme qui avait envie de passer à l’étape supérieure, à grandir, à voir du pays. Même si franchement, il y a mieux et plus agréable que l’armée pour atteindre cet objectif. Dire qu’elle n’a pas été surprise serait mentir.
Après tout, elle a deux yeux et elle ne donnait guère cher de sa jolie frimousse.
Mais pour une fois, elle a tenu sa bouche et elle a accepté d’un geste de la tête et surtout d’une promesse que tout sera – à peu près – dans le même état quand il reviendra.

Du coup, l’initiative de retrouvailles directement au bar annonce bien la couleur sur le changement probable, ou en tout cas la maturité qu’a dû prendre Timothy en cours accéléré. Freya l’écoute  tout en plongeant son nez dans sa pinte. « Et c’est quoi, ta spécialité, du coup ? Atta, laisse moi réfléchir… Négociateur de paix ? Prêcheur de bonnes paroles ? Charmeur de kamikaze ? » La jeune femme lui sourit légèrement. Il rentre au bercail et pourtant, il a l’air déjà ailleurs.

Pas besoin d’être un psy pour le voir.

Freya boit directement quelques gorgées de la bière – inutile de dire qu’elle fait honneur à la réputation du bar. Quand Tim lui demande comment ça va, elle hausse les épaules tout en passant son pouce sur sa lèvre. « Ton cimetière se porte à merveille. Enfin, pour le peu d’expérience que j’en ai. En plus, j’ai été viré d’mon taf donc plus de temps pour prendre soin d’tes morts, elle le regarde d’un œil amusé, ils ont pas bougé, toujours au même endroit tu les retrouveras. »

Est-ce qu’elle se lassera de faire des blagues sur les morts ?
Nope, probablement pas.

« La remplaçante va bien. Contrairement à toi, j’ai pas pris d’muscle et j’sais toujours pas tirer à l’arme à mon grand désespoir. » Ou pas, d’ailleurs. Une Doherty avec une arme dans les mains, il ne manquerait plus que ça. Elle porte de nouveau le verre à ses lèvres avant de soupirer de contentement. « Leur bière est une p’tin de merveille. J’vois qu’tu voulais retrouver Brisbane de la meilleure façon qui soit. » Freya finit par se tourner sur sa chaise haute pour faire pleinement face à Tim. « Est-ce que j’pique une crise de jalousie parce que t’as renoué avec d’autres avant moi ou j’suis la première depuis ton retour ? »

Yep, le mettre mal à l’aise, ça aussi, c’est marrant.

Il était revenu avec le pire en tête. Tim ne garderait clairement pas de bons souvenirs des semaines qui venaient de s'écouler. Il avait enfin bouclé la première partie de sa formation de soldat mais il avait aussi souffert comme jamais. Ses muscles s'en étaient retrouvés endoloris pendant une bonne partie du séjour et même s'il revenait avec plus de muscles et moins d'appréhension sur le monde extérieur, son coeur était toujours en miettes. Cela dit, hors de question de le montrer, Timothy avait bien trop pleuré en compagnie d'Heïana pendant un jour de permission. Il n'avait plus aucune larme à donner alors,peut être, qu'il était temps de trouver une nouvelle stratégie. Et en la matière, qui était meilleur que Freya Doherty? Il l'avait rencontrée peu de fois, certes, mais elle lui avait promis être une reine de la nuit, le genre de femmes à profiter de tous les plaisirs et cela tombait bien puisque Decastel s'était promis de changer de mode de vie. Le bar semblait être la première étape à tout cela, Timothy étant vite rejoint par la jeune femme. Au programme, des bières, pour bien commencer et désormais, Decastel ne la recracherait pas, il savait ce que c'était de boire de l'alcool depuis ses débuts au campement militaire. Fumer également. Tim était clairement en train de changer, peut être pas pour le meilleur, mais à quoi cela lui avait-il servi d'être une bonne personne? A se faire briser en mille morceaux. Plus jamais. "Je risque de te surprendre mais je suis un pro avec une mitraillette entre les mains. Désolé pour tes fantasmes de grandeur me concernant." Il était tout aussi terrible que le reste des humains et il avala une grande rasade de boisson. Decastel n'avait clairement pas envie de rester à Brisbane sobre. Il aurait aimé être partout ailleurs à vrai dire, mais il avait promis de rentrer. De revenir. De revivre. C'était une manière comme une autre de le faire, même si certaines personnes de son entourage ne seraient pas d'accord sur la définition qu'il en avait à l'heure actuelle. "Bien, j'aime ça... Enfin pas que t'aies été virée de ton job mais qu'il y a toujours quelqu'un de confiance pour s'occuper des ossements du coin. Justement, je voulais te demander, tu voudrais bien rester sur le plus long terme? Je compte pas revenir au cimetière avant un moment... J'ai ma formation à terminer et après ça, je serai soldat." Non, il n'était plus gardien de cimetière, c'était à Freya d'assumer ce rôle, jusqu'à ce que Tim retrouve une vie normale et cela, il ne savait pas réellement quand ce serait le cas. "Je comptais pas que t'aies changé comme ça de toute manière. En effet, je regrette pas la bière de ce pub. Un délice." Il était déjà perdu et il continuait de boire, l'idiot. "Du coup, t'as aucune raison d'être jalouse... T'es mes premières retrouvailles, rougis pas trop hein. Mais je pouvais pas passer à côté de la promesse de ma chère Freya, j'avais pas oublié la soirée dont tu m'avais parlé, tu vois." C'était tout ce qu'il voulait pour le moment, ne plus avoir la moindre pensée, trinquer encore avec la jeune femme, la regarder en souriant après lui avoir fait un clin d'oeil alors qu'il commandait deux verres d'alcool plus forts. Le voilà le thème de la soirée, débauche. Il y avait des premières fois à tout.

Freya fit une moue déçue quand il lui confirme qu’il maîtrise la mitraillette comme un charme. Franchement, c’est vraiment le dernier type sur terre qu’elle aurait imaginé rejoindre les corps de l’armée. C’est un concept qui échappe à Freya. La guerre, la destruction, les tueries. Elle n’arrive pas à comprendre pourquoi on signe volontairement pour ce genre de vie. Certes, certains voient cela comme une fierté, un honneur. Défendre la patrie, porter des valeurs, se dépasser aussi bien psychologiquement que physiquement.
Mais Freya ne voit pas tout ça. Déjà qu’elle juge que le monde ne tourne pas à l’endroit, que la vie est la plus grande bataille de l’humanité, elle ne voit vraiment pas en quoi il y a de valeureux à aller se sacrifier pour une patrie qui ne donnera reconnaissance que si on se transforme littéralement en chair à canon.

Mais c’est un débat pour un autre jour (ou jamais).

« On ira dans un stand de tir et tu me montreras tes nouvelles prouesses, alors. Faut l’voir pour y croire. » Freya observe Tim et pousse un léger sifflement en le voyant avaler la moitié de son verre. « Et ben, soldat, vous avez aussi pris d’la bouteille, à c’que j’vois. » Loin de l’idée qu’il ne peut pas tenir son alcool (elle a un doute sur la question quand même). Mais elle reste persuadé qu’il n’était pas du genre à finir la moitié de son godet il y a deux mois encore. « Fais gaffe, tu vas finir par m’chanter l’hymne nationale dans deux pintes si tu vas à c’rythme là. » Est-ce que c'est ce qu'il cherche peut-être? Freya eut un sourire amusé parce que franchement, elle aimerait bien voir ça. Tim hors de sa zone de confort, dans un autre monde, avec ses traits visiblement marqués par ce qu’il a vu et surtout vécu.

Doherty arque un sourcil tout en buvant à son tour alors que Tim lui demande de prolonger sa garde. Elle lève son verre d’un air cérémonieux. « La patrie avant tout. Tu peux compter sur moi. J’te demande juste de pas revenir à ton cimetière pour t’y enterrer, okay ? Mon p’tit cœur s’en remettrait pas. » Après tout, elle n’ignore pas ce que veut dire « être soldat ». C’est être au front, être en première ligne, être présent quand on a besoin de chair à canon.

Et elle tuerait Tim une deuxième fois s’il revient au cimetière les deux pieds par devant.

Il lui fait un clin d’œil. L’idiot. Il rougit mais il fait des clins d’œil. Il n’est pas croyable. Alors Freya sourit tout en finissant sa pinte. Tim est déjà passé à autre chose, deux verres d’un liquide plus foncé arrivent sous leur nez. « J’me sens toute honorée d’autant d’attention, Decastel. Ravie d’voir qu’ils font plus d’lavage de cerveau à l’armée. J’te piquerai pas de crise de jalousie, alors. » Elle prend son verre, le fait titiller contre celui de Tim avant de le boire cul sec avant d'en commander deux autres à son tour.

S’il veut oublier, mettre en pause sa vie et sa tête, Freya se ferra une joie de lui montrer la voie.
Chanter l’Advance Australia Fair ne serait pas la pire chose qui puisse arriver ce soir.

Voir Tim évoluer dans un bar en surprendrait plus d'un. Avant l'armée, il ne tenait pas plus d'un quart d'heure dans un endroit bondé, la panique venant le happer par surprise alors qu'il essayait de paraître normal. En réalité, Decastel n'avait jamais vraiment été comme tout le monde mais là encore, personne n'avait subi ce qu'il avait subi. Du moins, il l'espérait. Voir déjà un homme sur cette planète se faire considérer comme une fille durant toute son enfance sans qu'il ne le veuille était déjà suffisamment triste pour que l'histoire se fut répété ailleurs. Timothy avait toujours ce traumatisme au fond de lui mais d'autres étaient venus s'ajouter à la liste déjà longue qu'il traînait. Maintenant, il avait cet abandon sévère de la part de son entourage, le rejet de Charlie, les douleurs de l'entraînement... Tout cela faisait l'homme qu'il était désormais, un garçon perdu, qui ne savait pas tellement comment s'en sortir tout seul. Il voulait faire des choix, mais il en avait sûrement marre de faire les bons. A force d'être trop gentil et trop serviable, on subissait le revers de la médaille et cela faisait trente deux ans déjà qu'il tenait le coup dans ce genre de circonstances. Alors, appeler Freya et passer une soirée avec elle semblait être la solution idéale pour faire ses adieux à l'homme qu'il avait été depuis tant de temps. Ici, plus de Timothy Decastel qui avait peur de tout et qui ne faisait rien. Adieu le garçon au fond du cimetière qui priait pour les familles en deuil. Non, ce soir-là, il n'était plus que le soldat en quête d'oubli et il n'y avait pas meilleure personne pour cela que Freya, que celle qui n'avait jamais été dans son monde jusqu'à cette rencontre unique dans le cimetière avant son départ pour Kapooka. "Avec plaisir. Je suis sûr que tu serais pas trop mal avec une arme dans les mains, toi aussi. Je veux vérifier ça par la même occasion." Encore une idée qui avait l'air mauvaise sur le papier mais qui semblait parfaitement adéquate pour Tim. Maintenant, il était un soldat, un homme qui côtoyait la mort et qui était en mesure de la donner. Tout cela semblait parfaitement antinomique parce qu'il n'avait jamais été ainsi. Jamais. Les choses changeaient. Son coeur souffrait et il ne savait plus comment avancer. Autant le faire en terminant une bière et commandant deux verres d'alcool plus fort. Continuer jusqu'à ne plus rien ressentir, c'était tout ce qu'il avait recherché ces dernières semaines. "Je tiens peut être plus l'alcool que tu ne le crois... Promis, j'essayerai de pas revenir dans un cercueil, ça me demandera sûrement beaucoup d'efforts mais pour toi, je le ferai." Il tâchait de plaisanter alors que le sujet était très sérieux. On pouvait l'envoyer n'importe où quand il terminerait sa formation et il n'y avait aucune certitude sur le danger qu'il affronterait. Néanmoins, Timothy affichait une mine impassible parce qu'il n'avait plus peur de mourir, plus maintenant qu'il avait tout perdu, ou presque. Deux autres verres arrivèrent bien vite et le regard de Tim croisa celui de Freya, amusé. Il avala le liquide sans plus attendre, reposant le verre sur le comptoir en se penchant vers elle. "Jamais on pourra me laver le cerveau, a priori. Et maintenant, qu'est-ce qu'on fait pour rendre la soirée plus attrayante? C'est toi la spécialiste après tout. Je suis là pour apprendre..." Il avait murmuré ces quelques mots à son oreille, feintant l'ignorance mais Tim voulait briller, pour une fois dans sa vie, se relâcher et ne plus être totalement invisible. Il en était capable et l'alcool qui se diffusait dans ses veines ne dirait pas le contraire, plus maintenant alors qu'il souriait à Freya. Imbibé.

Freya n’a pas encore assez fréquenté Tim pour savoir tout ce qui peut le tourmenter. Mais il fait parti de ces personnes dont elle a envie de gratter la surface pour savoir ce qu’il y a en dessous. A savoir si c’est une bonne ou mauvaise chose pour Tim, cela reste à savoir. A lui de juger. De toute façon, ce n’est pas comme s’ils s’étaient dévoilés leurs pires secrets ou leurs vies personnelles dans les moindres détails. Une connexion est là, entre eux, c’est indéniable. Mais pour l’instant, chacun est sur la réservé, jouant tranquillement autour du pot parce que mettre la tête la première dedans, ça peut être douloureux et faire remonter à la surface des choses qu’on veut oublier.
Et Freya, elle a pleins de choses à oublier. Les soirées avec les filles qui n’ont jamais ni queue ni tête, les relations d’un soir avec des hommes alors qu’elle s’était promise que ça ne serait jamais son délire. L’alcool qui ne quitte quasiment jamais ses mains, la dispute avec son frère qui n’en finissait jamais de la bousiller même quand c’est réglé. Son renvoi pur et simple du casino qui lui pendait au nez depuis plusieurs semaines mais qu’elle a toujours pensé dérisoire, la panique de ne pas savoir comment payer le loyer le mois suivant. Et la drogue… Elle ne préfère même pas penser à ce dernier point.

A vrai dire, elle espère quand même ne pas entraîner Tim trop loin avec elle.
Elle ne veut pas pourrir cet aura d’innocence qu’il a autour de lui. Même avec ce qu’il a connu, ce qu’il a subi, ce qu’il a enduré, il a toujours ce fichu regard. Mélancolique, profond, brillant d’un optimisme qui s’est quand même effilochée au fil des deux derniers mois. Freya penche la tête sur le côté pour le regarder et ne peut s’empêcher d’avoir de la peine pour lui. Elle ignore exactement pourquoi mais sa posture lui indique qu’il n’a qu’une envie ; repartir.

« Avec plaisir. Je suis sûr que tu serais pas trop mal avec une arme dans les mains, toi aussi. Je veux vérifier ça par la même occasion. » La jeune femme eut un sourire lumineux. Enfin quelqu’un qui la reconnaît à sa juste valeur. Pas de stop, pas de merdique excuse du style « t’es qu’une femme ».  Pas de non parce qu’elle est une Doherty et que franchement, s’il y a bien une espèce sur terre à ne pas foutre une arme entre les mains, c’est bien eux. Mais Tim, il ne le sait pas, ça, alors il est conciliant et il dit oui.
Et Freya le prendra au mot, le post scriptum déjà noté dans un coin de sa tête.
« J’serai une vraie pro d’la gâchette, j’en suis sûre ! » Enfin, c’est ce qu’elle pense.
Pas sûr que ce soit une réalité, ceci dit.

« Je tiens peut être plus l'alcool que tu ne le crois... Promis, j'essayerai de pas revenir dans un cercueil, ça me demandera sûrement beaucoup d'efforts mais pour toi, je le ferai. » Freya secoue la tête énergiquement. L’alcool retrouve sa place dans ses veines, rapidement et simplement. Elle, elle a toujours du mal à tenir ses verres, et ce n’est visiblement pas l’âge ni l’expérience qui pèsent dans la balance. Intraveineuse de liquide fort, elle sait aussi choisir ses pions selon l’heure, l’endroit et la compagnie.
Mais là, Tim semble vouloir aller plus plus rapidement alors qui est-elle pour le contrer ? Elle glisse un des deux nouveaux verres du doigt en sa direction avec un signe du menton. « Mmh, ça aussi, j’veux l’voir pour y croire. » A peine fini que Tim a fait déjà disparaître le contenu du verre dans son gosier avant de se pencher vers elle.

« Jamais on pourra me laver le cerveau, a priori. Et maintenant, qu'est-ce qu'on fait pour rendre la soirée plus attrayante? C'est toi la spécialiste après tout. Je suis là pour apprendre... » Il a carrément fini dans son oreille et Freya recule légèrement la tête pour le regarder. Elle l’observe tout en penchant la tête avant de sourire légèrement tout en baissant les yeux. Troublée, Doherty ? Peut-être bien. Elle ne s’attend pas à autant d’assurance venant de Tim. « J’vais essayer d’être à la hauteur alors. Mais viens, on va plutôt s’attabler. » Elle se tourne vers le barman pour lui commander dix shots de téquila. Il allait avoir ce qu’il veut, Decastel.

Freya attrape sa main tout en descendant de son tabouret. Elle eut un léger rire stupide alors que la sensation régulière du monde qui tangue commence déjà à sonner. Elle s’agrippe un peu plus à Tim tout en l’entraînant vers les tables. Un peu plus près du sol et un peu plus éloigné des gens en général. Tout pour lui plaire. La jeune femme s’assoit lourdement sur une des chaises, en tire une autre avec son pied pour la rapprocher et dirige Tim dessus. « Au final, on s’connait pas encore beaucoup, toi et moi. Du coup, un p’tit ‘je n’ai jamais’ s’impose. » Comme par magie, les verres arrivent devant eux. Freya passe sa langue sur ses lèvres tout en tapotant ses mains sur la table. « J'sais pas si tu connais ou non. Au pire, les règles sont basiques. Tu as, tu bois. T’as pas, tu bois pas. Easy pie ? » Elle lui sourit sincèrement tout en répartissant les verres. « J’commence. Je n’ai jamais tenté de vaincre le mal par le mal. » Ugh. C’est à la fois vague et précis. Mais Freya boit cul sec son premier verre.

Prendre les mauvaises décisions pour résoudre d’autres mauvaises décisions, c’est typique chez les Doherty. Ce n’est pas la mini Doherty qui va faire exception à la règle.

L'alcool n'aidait en rien. Il ne fallait pas être un grand détective pour le savoir. Si, sur le moment, on se sentait plus léger et quelque peu invincible, il s'avérait que les décisions prises en étant sous l'emprise de ce poison étaient fort souvent regrettables au petit matin. Pour Timothy, c'était une toute nouvelle expérience toutefois, il découvrait tout cela puisqu'il avait goûté à son premier verre lors de son arrivée au campement. Pour ne pas paraître plus niais que les autres, il avait accepté un premier verre, puis un second et même s'il avait détesté le goût au premier abord, il s'y était fait. Comme tout le monde. Désormais, il connaissait les sensations caractéristiques de l'état d'ébriété: le monde qui tanguait, les pensées qui s'entrechoquaient, l'élocution qui devenait plus abrupte... Il n'y avait plus aucun secret pour Decastel, il avait vécu sa première gueule de bois dès le second matin d'entraînement mais, au fur et à mesure, tout cela s'était amoindri. Ce soir-là, après déjà plusieurs verres, Tim se sentait simplement plus volubile, peut être plus confiant également. Il n'avait pas l'air de désirer s'arrêter en si bon chemin et la présence de Freya à ses côtés l'encourageait en ce sens. Non, tous les deux n'allaient pas s'arrêter là, ce serait trop facile et franchement peu distrayant. La jeune Doherty manierait les armes bientôt avec lui et cette idée le fit sourire en terminant d'avaler le breuvage parce qu'elle allait continuer à gérer le cimetière, par dessus le marché. Il en était heureux, forcément mais ce n'était pas le moment d'apogée de cette soirée. En effet, Freya commanda plutôt des shots ensuite alors qu'elle le dirigeait vers une table plus éloignée des quelques clients du soir. Finalement assis, Tim regarda les verres en face de lui en ne sachant pas à quoi s'attendre, la jeune femme allait vite lui donner la réponse. "J'ai jamais fait ce jeu... Du coup, je dois pas boire si j'ai bien compris les règles?" Il eut un petit rire alors que Freya commençait les hostilités, avalant un premier shot en moins de deux secondes. Lui resta statique parce qu'il n'entrait pas dans la catégorie citée, forcément. Lui, l'innocent, le naïf. "Va falloir que tu précises du coup, ouais, c'est plus drôle si on argumente après." Il lui fit un clin d'oeil en attendant d'en apprendre plus sur elle. Freya l'intriguait, elle était magnétique. "Du coup, c'est à mon tour... Euh, je n'ai jamais été jeté comme une vieille chaussette par une personne que j'aimais." Là, il pouvait boire. S'il avait eu le choix, il aurait même avalé deux verres d'un coup mais il fallait respecter la règle du jeu, son regard électrisant se portant vers celui de la jeune femme, l'alcool le faisant vriller dans le même temps. L'apogée de cette soirée serait certainement exceptionnelle.

« J'ai jamais fait ce jeu... Du coup, je dois pas boire si j'ai bien compris les règles? » Son innocence est vraiment adorable. Il ne sait pas, il ne sait rien de tout ça alors qu’il vient d’apprendre à manier une arme et à faire des courses d’obstacles (enfin, Freya suppose). Et pourtant, Tim lui paraît être un grand enfant, qui n’a jamais eu le loisir de grandir dans les mêmes conditions que tout le monde. Elle ignore, Freya, pourquoi il est comme ça. Le voir regarder les verres d’un air pantois, ne sachant pas quoi faire, ça lui arrache un sourire attendris. Il a beau avoir joué le soldat, Freya le retrouve quand même dans ses gestes, incertains, et ses questions, encore plus enfantines sous l’effet de l’alcool qu’il a déjà bu.
Et Freya, elle n’a pas plus les idées claires pour laisser le « aw » dans sa bouche. Non, elle est dans un autre stade, parce qu’elle ne sait pas retenir son alcool, que ça lui monte déjà à la tête et parce qu’elle n’a aucune volonté de retenu. Tim, Tim, Tim, un homme définitivement pas comme les autres et dans le meilleur sens du terme. Alors elle hoche la tête, avec vigueur, avant de hausser les épaules. « Tu bois que si t’as déjà vaincu l’mal par l’mal. »

« Va falloir que tu précises du coup, ouais, c'est plus drôle si on argumente après. » Drôle, tout est relatif. Surtout à en juger par le tour suivant qu’il prend en main. « Du coup, c'est à mon tour... Euh, je n'ai jamais été jeté comme une vieille chaussette par une personne que j'aimais. »  Et quand il boit, Freya fit une tête triste. Parce qu’elle est imbibée et qu’elle ne comprend pas comment on peut jeter quelqu’un comme Tim. A part être une personne sans coeur. A peu près. Enfin, elle ne porte pas de jugement, elle ne connaît rien de l’histoire, ce n’est pas ses affaires. Mais elle ne peut s’empêcher de tirer la moue. « Si TinyTime se fait jeté une vieille chaussette, y a plus d’espoir pour l’humanité. »
Doherty regarde ses verres présentés devant elle et finit par boire à son tour. Un verre. Et puis, comme elle a de l’avance sur lui, elle lui en pique un deuxième. Fuck the rules. Ce qui est à toi est à moi ce soir, mon grand. « Visiblement, on a ça en commun. C’est d’une tristesse affligeante, TinyTim. »

Les histoires de cœur brisé, c’est une pente délirante et qui peut mettre au plus mal, surtout dans l’état qu’ils sont en train de se foutre. Freya tapote du doigt la table, tentant de réfléchir à sa prochaine question. Enfin, aussi tentée qu’elle arrive à réfléchir tout court, ça serait déjà une bonne chose. « Je n’ai jamais fantasmé sur une personne du même sexe. » Freya se tire une balle dans le pied, là. Sérieusement ? Elle n’a aucune autre réaction que de glousser tout en glissant son doigt en bordure de verre avant de boire un coup. De ce côté là, elle ne sait plus trop où elle en est alors quand elle regarde Tim, c’est à la fois confus et amusé. « J’suis con parce que j’sais pas vraiment. Je tangue entre les deux mondes, tu vois c’que j’veux dire ? » A savoir que son hétérosexualité est remise en question plus que nécessaire ces derniers mois. Freya passe sa main sur son front tout en riant faiblement.
« Vingt sept piges et j’ai rien d’autre à faire qu’me poser des questions sur ma sexualité, c’est taré, hein ? » Mais elle met rapidement sa main sur celle de Tim. « Mais t’inquiètes pas, TinyTim. Y aura toujours d’la place pour toi. » Freya dit ça pour s’amuser. C'est innocent, c'est un jeu, ce n'est pas sérieux. Et parce qu’elle aura toujours un faible pour les hommes, c’est une évidence.
Et puis parce que Tim est vraiment à part et qu'elle ne veut pas le faire fuir d'une manière ou d'une autre.

L'alcool pouvait provoquer des raz-de-marée mais Tim était bien trop innocent pour s'en rendre compte. Il n'avait pas encore assez d'expérience avec les shots divers et variés pour faire un poil plus attention à l'heure actuelle. Non, il ne pouvait pas être méfiant puisqu'il était en compagnie de Freya et que jamais la jeune femme ne pourrait lui faire du mal. Après tout, on parlait de sa remplaçante au cimetière et le jeune homme était persuadé qu'elle faisait un excellent travail. Les gens devaient l'adore là bas, lui en tout cas l'adorait, elle avait une énergie très communicative et semblait n'avoir peur de rien. Elle était peut être tout ce qu'il aurait aimé être alors, forcément, Timothy avait envie d'être proche d'elle. Ce jeu allait le permettre, c'était certain, puisqu'il s'agissait d'avaler un shot dès lors qu'on avait fait quelque chose de plus ou moins exceptionnel. Apparemment, la jeune Doherty était lancée dans la partie avec vivacité, enchaînant les verres certainement plus aisément que lui qui n'avait pas vécu grand chose jusque là. Si, il avait souffert le martyr en se faisant ratatiner le coeur par la fille dont il était éperdument amoureux, rien que pour cela, il avala deux shots parce que la douleur était si forte depuis cet instant qu'il lui fallait au moins cela pour tenir le coup. Freya suivit bien vite la cadence et Tim n'était pas grandement étonné non plus de ce fait. "TinyTime, on me l'avait jamais faite celle là. Ravi d'apprendre qu'on est tous les deux des coeurs brisés, on a vraiment de quoi se rapprocher." Vu les litres d'alcool qu'ils ingéraient à l'heure actuelle, c'était une évidence, oui. Tim n'avait déjà plus tellement les idées claires au moment où Freya relança le jeu sur une question de sexualité. Il la regarda boire et lui resta pantois face à elle, en pleine réflexion. "Je dois boire ou pas? Parce que bon, je me considère pas spécialement hétéro mais j'ai jamais vraiment fantasmé sur beaucoup de monde non plus donc c'est compliqué comme question ça... Les étiquettes, c'est pourri de toute façon. Allez, je vais être solidaire dans tous les cas." Il l'accompagna donc avec un demi verre, juste pour le principe alors que Freya continuait de s'interroger sur le sens de sa vie. "Y a pas d'âge pour se poser ce genre de questions, tu sais. L'important, c'est d'être soi même." Il se prenait pour le Dalaï Lama, probablement que le dernier shot lui avait monté à la tête trop vite. "Ah bon, t'as une petite place pour moi sur ton tableau de fantasmes? C'est bon à savoir." Il lui fit un clin d'oeil, s'amusant énormément avec ce jeu et c'était à lui de le relancer, pas sûr que la direction prise soit la bonne mais le cerveau de Decastel ne fonctionnait plus vraiment. "Je n'ai jamais trouvé la personne en face de moi jolie ou désirable." Forcément qu'il allait boire, c'était Freya et une fille comme cela, on n'en rencontrait pas tous les jours. Elle n'avait pas de limites, vivait dans l'extravagant et l'exceptionnel mais c'était ce dont Tim avait besoin pour son retour en ville, avalant son shot d'une traite en la suivant des yeux.

Freya eut un sourire amusé. Elle est souvent pleine de ressources, d’idées et de créativité quand elle avait quelques grammes de liqueur dans les veines. Enfin, c’est ce qu’elle aime à penser. Elle n’a pas franchement l’alcool mauvais, mais il ne fallait juste pas venir l’emmerder. Ceci dit, c’est valable en temps normal aussi. Mais quand elle est enivrée, elle se raccroche en plus à ses proches. Une vraie guimauve, un brin plus sensible que la normale, mais qui hésitera pas à vous placer un coup de boule maladroit et mal visé si vous venez envahir son territoire sans son autorisation.
« Y pas d’quoi être fier, ceci dit. J’préfère qu’on se rapproche sur des sujets plus gais, quand même. Sinon, j’vais m’mettre à pleurer et ça, ça s’rait pas cool, hein ? » Freya roule son doigt machinalement sur le rebord d’une verre, les pensées qui dérivent soudainement ailleurs. Elle pense à ses mecs qui sont revenus à la surface dans sa vie et à celui qui était toujours présent, toujours là mais avec qui le jeu du chat et de la souris ne semble jamais finir. Freya soupire avant de secouer la tête.
Pas l’endroit ni le moment de se lamenter, ni d’avoir des pensées sombres. Surtout quand il y a les yeux attrayants de Tim qui la regarde de cette façon, c’est-à-dire interdit, comme s’il doute sur quelque chose. Freya se mord la lèvre et s’apprête à lui demander une réaction quand il ouvre enfin la bouche. « Je dois boire ou pas? Parce que bon, je me considère pas spécialement hétéro mais j'ai jamais vraiment fantasmé sur beaucoup de monde non plus donc c'est compliqué comme question ça... Les étiquettes, c'est pourri de toute façon. Allez, je vais être solidaire dans tous les cas. » Doherty tape dans ses mains, fière qu’il le prenne comme ça.

La solidarité, ça a du bon. Elle ne compte pas finir sa descente toute seule et pour ça, elle en est ravie. Elle n’aurait franchement pas pensé que Tim allait la surprendre de la sorte mais après tout, comme déjà remarquer avant, ils ne se connaissent pas tant que ça. Une vraie pochette surprise et elle a hâte d’en voir plus.
Le bar se remplit toujours un peu plus et Freya finit par devoir se pencher vers son partenaire pour entendre la suite de ses paroles. De sages paroles, bien trop sages pour quelqu’un qui s’alimente en digestif depuis son retour. Il doit être plus résistant qu’elle, ou avoir une contenance meilleure que la sienne en tout cas. Parce que Doherty, elle, elle se sent déjà partir. Son pied tapote le sol au rythme de la mélodie de la chanson qui se joue quelque part dans la pièce. (♫)
« Ah bon, t'as une petite place pour moi sur ton tableau de fantasmes? C'est bon à savoir. » Freya eut un « pff » dissimulé dans un rire avant qu’elle plaque sa main sur son visage pour le repousser. Gentiment parce que c’est Tim, quand même. « Fais pas l’malin, TinyTim. »

« Je n'ai jamais trouvé la personne en face de moi jolie ou désirable. » Doherty penche la tête pour le regarder boire sans hésiter et sans la lâcher du regard. Pour le coup, sa propre main se tortille près de son shot avant de suivre son geste en le portant à ses lèvres. Et comme pour détendre l’atmosphère qui est en train de prendre une tournure différente, Freya sourit légèrement tout en désignant du menton par dessus l’épaule de Tim. « C’est vrai que l’barman est pas mal. »
Même si elle ne se rappelle même plus à quoi il ressemble parce qu’elle s’en fout.

Les yeux bruns amusés se reposent sur Tim tout en mordillant sa lèvre avant de rire légèrement. « Du coup, on en parle de ton tableau d’fantasmes à toi ou non ? » Freya ignore un peu sur quel pied danser puis elle prend un verre et le penche pour regarder son compagnon de beuverie à travers. « Ce sont ces p’tits trucs qui t’montent à la tête, big fella. » Faut pas sous estimer la liqueur. Ils ont beau être petits, ce sont des trucs puissants. D’ailleurs, Freya remarque qu’il leur en reste plus qu’un de chaque.

Très bien. Il veut jouer. Alors c’est son tour.
« Je n’ai jamais refusé un baiser. » Freya l’observant un moment avant de boire cul sec. Elle maintient son regard alors qu’elle est bourrée non seulement d’alcool mais d’une certaine insolence. Elle ignore comment ils en sont arrivés là ni même comment ça va se finir. Mais en tout cas, il y a comme un message de défi derrière ses paroles.

A voir comment Tim réagit face aux défis, c’est une question intéressante.

Ce jeu était ô combien dangereux mais apparemment, Timothy n'en était pas dérangé outre mesure. Il suivait Freya dans son univers, c'était ce qui avait toujours été prévu, depuis le moment de leur rencontre. Il l'avait invitée dans son misérable cimetière et elle lui avait promis de lui faire découvrir un monde tout nouveau, un monde plus fort, plus grand, plus fou aussi. Et effectivement, la folie était de rigueur ce soir là puisqu'ils n'étaient pas restés à la bière très longtemps. La sagesse avait disparu au moment où la liqueur des shots avait été amené dans l'équation. Les idées de Freya étaient vraiment magistrales et Timothy n'avait pas l'air de regretter une seule seconde la sensation d'invincibilité qui occupait tout son corps, cette sensation qu'il pourrait sauter du haut d'un immeuble et atterrir sur ses jambes. Decastel se sentait plus confiant que jamais, regardant Freya du coin de l'oeil, amusé qu'elle puisse avoir peur de ses réactions quand elle parlait d'une sexualité dite déviante. Tim, à vrai dire, s'en fichait un peu. Il ne s'était jamais considéré comme réellement hétérosexuel, même si jusqu'ici, il n'avait effleuré que des courbes féminines. Cela lui permettait d'ailleurs de jouer avec les nerfs de Doherty, balançant cette histoire de fantasmes en observant sa réponse qui était clairement à la hauteur de toutes ses espérances. "Promis, je voulais pas faire le malin, j'étais juste curieux, tu peux pas me reprocher ça..." Comme si c'était la meilleure idée du siècle de parler de leurs fantasmes respectifs en cet instant. Après tout, aucun d'eux n'était sobre depuis quelques minutes déjà et le jeu s'enchaînait dans un rythme effréné. Il n'y avait pas la place pour la moindre hésitation au moment où Tim avala un shot avec détermination parce qu'il avait sous entendu que Freya était jolie et désirable à ses yeux. La jeune femme le suivit et cela eut le don de faire rosir ses joues considérablement. Bien sûr, elle trouva la parade parfaite en mentionnant le barman et Tim se devait de jouer dans la même veine qu'elle. "Et le jukebox derrière toi quoi, c'est dingue ce qu'il peut faire de l'effet, hein." Il lui fit un clin d'oeil, lui prouvant ainsi qu'il plaisantait et que c'était bien d'elle qu'il parlait en lançant son défi. La jeune femme n'avait pas l'air de vouloir s'arrêter en si bon chemin, prétextant que le fameux alcool était à blâmer dans les délires de Decastel, elle n'avait peut être pas spécialement tort cela dit. "Je sais pas tu veux savoir quoi sur mes fantasmes? Les petits trucs sont sympa en tout cas, je le vis bien." Il dirait peut être moins cela le lendemain mais à l'heure actuelle, le cerveau de Timothy répondait favorablement à une dose supplémentaire du liquide ambrée. D'ailleurs, le jeu reprenait avec une Freya qui continuait sur une pente glissante. Jamais refuser un baiser, vraiment? Timothy s'approcha d'elle, posant une main délicate sur sa joue en la regardant avec un magnétisme certain. Il resta ensuite dix bonnes secondes, rapprochant ses lèvres des siennes, doucement avant de murmurer, très proche d'elle. "Tu vas commencer maintenant alors ou pas?" Elle avait bu après tout et Tim n'était pas sûr qu'elle puisse retirer le shot qu'elle venait de prendre. Lui, en tout cas, avait bien l'intention de s'en amuser, attendant que la jeune femme réagisse à son attitude plus séductrice, ses yeux rivés dans les siens puis sur ses lèvres qu'il était prêt à happer au moindre signe d'accord de sa part.

« Promis, je voulais pas faire le malin, j'étais juste curieux, tu peux pas me reprocher ça... » Oh elle ne le lui reproche pas, bien au contraire. Freya est flattée mais à la fois surprise. Parce que même en état (un brin) alcoolisée (qu’elle pense), Tim la surprend. Il la surprend par sa témérité trouvée, son audace soudaine et le fait qu’il se montre aussi avenant. Elle se rappelle des rougeurs qu’il avait eu aux joues à chaque fois qu’elle lui avait balancé une vérité (un compliment) la première fois qu’ils se sont rencontrés.
A croire que Tim a grandi en partant de Brisbane. Il n’a pas prit que du muscles, apparemment. Et elle peut comprendre pourquoi. Il n’est pas parti faire le tour du monde mais dans un camp d’entraînement militaire. Pour le peu qu’elle sache, ça doit sûrement forger le caractère et vous donner un moral d’acier. Tim n’était pas comme ça, il était doux et gentil et toujours avec cet aura adorable qui persistait à l’entourer et l’envelopper.

Mais ce soir, il y a quelque chose de différent. Est-ce qu’on va blâmer le bon vieux liquide qui vous enivre pour justifier ce changement de lumière ? Ou est-ce qu’on va assumer ses actions futures une fois sobre et lavée de toute trace de substance ? Refouler la faute sur autre chose que soit est toujours tellement plus simple. Et l’option de facilité, dans ces moments là, Freya y saute à deux pieds. Parce qu’elle ne réfléchit plus et que si elle se fout en l’air comme ça, c’est justement pour ne plus réfléchir.
Fais moi taire, ta conscience, parce que tu sais que j’ai raison. Repousse moi mais je reviendrai encore plus fort demain quand ta tête tambourineras et que tu te diras cette phrase stupide que tu te dis à chaque fois « plus jamais ». Freya secoue la tête. Elle ne veut pas entendre, plus rien, c’est fini. Tais toi. Disparais.

Et c’est Tim qui la ramène à lui quand il plaisante sur le jukebox. Freya se pince les lèvres, retenant son sourire une fois de plus. Pourquoi se retenir ? Pourquoi ne pas lâcher prise ? Ce n’est pas le but de cette soirée ? Tim a décrété passer son retour avec toi, fais un effort. Il a de la pression à relâcher et toi, t’es jamais la dernière pour montrer l’exemple.
« Je sais pas tu veux savoir quoi sur mes fantasmes? » Doherty penche la tête et se mordille la lèvre. « Tout. Quel genre de désir et autre secret inavouable peut se cacher la dessous ? » Elle lui tapote légèrement la tête. Parce que tout le monde en a, des choses que l’on veut garder pour soi. Et Decastel ne doit pas échapper à la règle.

Autant dire que si elle voulait une réaction de Tim, elle fut servie. « Tu vas commencer maintenant alors ou pas? » Il l’a prise dans les yeux et Freya ne peut pas s’en détacher. Envolé l’adorable Tim, c’est une toute autre facette de lui qu’elle a devant les yeux. Et étrangement, elle ne sait pas trop comment réagir. Elle est à la fois troublée et attirée, soucieuse qu’ils le regrettent plus tard mais en même temps avoir cette envie incroyable de lui répondre.
Ses yeux bleus accaparent toute son attention et Freya ne sent plus que sa main sur sa joue, leurs respirations alcoolisées se mélangeant parce qu’ils sont proches, trop proches. Et pourtant, elle ne bouge pas. Elle ne recule pas, elle n’avance pas non plus.

Et dans une dernière voix de défi.
« Ça dépend. Essaie pour voir. »

Son retour annonçait tous les dangers, oui, c'était certain. Après son voyage à Kapooka et un entraînement des plus intensifs, Tim avait besoin de relâcher toute pression, de n'être plus rien d'autre qu'un homme qui s'amusait, qui profitait sans se poser des milliards de questions. Pourtant, il en avait des tonnes depuis des jours: comment allait-il être accepté désormais? Ses amis lui pardonneraient-ils? Reverrait-il Charlie? Comment aurait-elle pris sa lettre? Il n'avait pas envie d'y penser à ce moment là. Timothy voulait juste être un homme normal, qui n'avait pas vécu une relation douloureuse avant de s'enfuir à des centaines de kilomètres pour évacuer toute douleur. Cela n'avait de toute manière pas tellement marché puisqu'il s'était retrouvé à pleurer toutes les larmes de son corps devant Heïana, à peine quelques semaines plus tôt. Il n'y avait plus rien à espérer pourtant car son histoire avec Charlie était terminée, il devait tourner la page mais pour cela, il fallait avant tout qu'il apprenne à se connaître et s'accepter. Il fallait donc en passer par là, par ces moments étranges où on agissait par instinct, s'amusant à faire tout et n'importe quoi comme un adolescent. Freya était parfaite pour lui dans ces moments là parce qu'elle connaissait tout du monde des loisirs, enfin, c'était ce qu'elle lui avait laissé entendre quelques mois plus tôt. Tim était à l'aise en sa compagnie, cela se lisait sur ses traits et dans ses actes, sinon il n'aurait pas bu autant en moins de deux minutes. Ne pas être totalement maître de ses actes avec quelqu'un qu'on ne faisait pas confiance, ce n'était pas quelque chose dont Decastel était capable. Avec Freya, il y avait quelque chose qui s'installait, une aisance et un côté distrayant qui plaisait énormément à Tim, certainement parce qu'elle lui souriait quand il se laissait aller à des commentaires se voulant plutôt drôles. L'ambiance, pourtant, était plus électrique, le jeu était devenu peut être plus sérieux puisqu'il avait été question de leurs désirs durant un temps et Timothy ne put que lui répondre de ses yeux bleus pénétrants. "Si tu creuses un peu la question, je pense que tu les apprendras bien vite. Reste à savoir si t'es curieuse." Il se mit à sourire également en la regardant lui tapoter la tête. C'était à elle de voir comment leur lien se dessinerait mais, pour cela, il fallait voir comment cet instant se passerait. Elle avait lancé un défi au jeune Decastel et lui s'en était vite emparé, détonnant peut être avec son caractère habituellement si introverti. Non, cette fois, il avait posé une main tendre sur sa joue et l'avait regardé avec ce bleu si intense. Si proche d'elle, si intéressé par l'appel de ses lèvres et sa réponse était encore une fois un appel au défi. Alors, il s'approcha encore, sans chercher à contrôler quoique ce fut, terminant sa course sur les lippes de la belle Doherty, ne sachant pas comment elle réagirait face à sa témérité. Lui l'avait voulu, c'était indéniable et si l'alcool était une cause supplémentaire, elle n'en était peut être pas la principale. C'était la beauté de Freya, son impétuosité et ce jeu, oui, qui le poussait à vouloir l'embrasser, en espérant qu'elle ne le rejette pas tout de suite. Pas déjà.