Je pensais que j’allais être large pour arriver à l’hôpital à temps, mais c’était sans compter sur la dernière intervention de la journée qui a monopolisé pas moins de trois casernes. Je n’ai pas pu demander à partir plus tôt, c’était critique. Je savais que Ariane serait avec Levi et j’arriverai quand j’arriverai, même si ça me fait chier d’être en retard. Je peux pas tout faire, j’essaie vraiment. J’ai des horaires aménagés ici et là pour me rendre aux rendez vous de Levi. Tous. Tous autant que je peux. J’en loupe un par ci par là mais vraiment je trouve que je m’en sors bien. C’est pas évident de tout rejoindre. J’ai de la chance que mon capitaine soit aussi compréhensif. Il sait combien Levi est important pour moi. Il sait que c’est sérieux cette situation. Je crois qu’il a vécu un truc similaire et que son proche ne s’en est pas sorti. J’ai entendu des bruits de couloirs et j’ai pas osé poser la question parce que c’est méga délicat comme truc. Je me vois mal devoir consoler mon chef. Je suis pas doué pour consoler les gens. Je sais jamais quoi faire.

C’est donc au pas de course, toujours en tenue de pompier, j'ai pas pris le temps de me changer, que j’arrive dans la salle d’attente qu’on commence à bien connaître avec Ariane. Je suis surpris qu’elle ne soit pas dans la pièce avec lui mais il y a dû y avoir un changement de programme ou bien c’est moi qui me suis mélangé les pinceaux dans quels soin il fait aujourd’hui.

« So sorry I couldn’t be here sooner. »

Je vais la prendre dans mes bras (ou plutôt je me mets dans les siens). Je la serre fort parce que à chaque fois qu’on se voit j’ai cette nécessité de la garder proche. Je fais bien attention à son bras évidemment. J’ai comme l’impression de ne pas avoir encore rechargé mes batteries de Ari de tout ce temps qu’on a pas passé ensemble ces derniers mois.

« When is he out? »

Je me détache d’elle, allant prendre la main de son bras en un morceau. Je regarde un peu autour si y’a pas une infirmière ou quoi mais je sens que Ari va pouvoir me donner l’info. Elle sait tout mieux que tout le monde. Elle est la meilleur for real en ce qui concerne Levi et son cancer. Vraiment. Et puis mes yeux retombent sur elle.

« How are you ? »

Cos that is important too.

Bon okay, elles l'ont pas cherché tant que ça. Elles étaient là pour aider, elles étaient là pour apporter une valeur sûre, pour étudier les derniers résultats du scanner de Levi avec leurs yeux d'expertes. Mais elles l'étudiaient pas assez vite à mon goût. Elles prenaient leur temps et y'avaient des secondes qui se transformaient en minutes, y'avait ma main qui était en train de démolir celle de Levi de le tenir si fort, de lui passer ma rage plutôt que de la leur renvoyer à elles. La docteure et l'infirmière, le duo de poupées Barbie si connes et si inutiles et si insupportables là de suite que j'ai pas pu me retenir plus longtemps.

De base y'a eu un soupir, un autre. Un roulement d'yeux, une toux agressive qui leur a absolument pas donné assez de temps pour se mettre à l'abri que j'en suis venue à leur lancer une agrapheuse à la gueule. Une poignée de crayons, ma chaise aussi, accessoirement.

Puis elles m'ont sortie de là. Elles m'ont foutu dans le couloir de force, coupant mon monologue d'insultes en français, lancé humblement pour leur faire comprendre que si elles prenaient tout leur temps à analyser sous nos yeux les résultats, on avait pas tout le temps du monde à les attendre. J'ai eu le temps de tourner comme un lion en cage pendant presque une demie-heure entre les chaises de plastique et les machines distributrices. Avant que la silhouette de Kane apparaisse à l'autre bout du couloir, et qu'il soit le pauvre dude en charge de la gestion des dommages, le damage control que je me refuse à lui passer en émissaire, mais qu'il risque de bien voir quand même malgré l'épaisseur de masques que j'enfile désormais à la seconde où il est dans les parages.

« So sorry I couldn’t be here sooner. » « You did not miss much. » que je calme, inspirant doucement, secouant la tête pour le rassurer sur les faits - et profitant de l'apport d'oxygène dont je me force à bénéficier pour calmer mes dents serrées, mes lèvres qui le sont également. Et je savais qu'il sentirait que quelque chose cloche, quand il passe ses bras autour de moi, quand il me garde contre lui bien plus longtemps que la longueur réglmentaire ; depuis quand on en a quelque chose à faire? « When is he out? » je soupire, pas facile de calmer ma rage quand il me le donne sur un plateau comme ça. « Whenever evil slutty witch duo decides he can. » j'étais jamais très gentille envers son team de soignants, aujourd'hui encore moins. Sue me.

La main de Kane trouve naturellement la mienne, mes doigts qui grattent l'intérieur de sa paume comme par automatisme, le geste que je fais presque toujours sans même le réaliser quand je suis stressée, quand y'a un truc qui grince à l'intérieur. « How are you ? » damn que je détestais cette question. Je la détestais presque autant la réponse, ou l'éventail de choix qui s'offraient à moi. J'allais pas bien, j'allais pas mal. J'aillais vide dirons-nous, j'allais tout court, je fonctionnais sur le respirateur artificiel depuis des mois, et j'en avais rien à battre. C'est pas moi la priorité, ça l'était plus, et c'est la seule logique à laquelle je me raccroche. « Tired. Did not sleep a lot yesterday, talked instead. » on vivait à l'hôpital depuis quelques jours maintenant, depuis la fameuse nuit où Levi s'était enfin laissé mener de force aux urgences à cause d'une toux qui n'en finissait plus, de ses poumons qui avaient décidé de se joindre au cancer party, et de mon coeur qui éclatait à travers.

Je secoue la tête de ce qui reste, quelques pensées brumeuses, me concentre plutôt sur le Williamson toujours en habit de travail et qui a l'air tout aussi essoufflé de sa journée que je le suis de la mienne. « Are you trying to find some cats to save around here or what? » que je me moque, son uniforme encore bien en place, et ma main dans la sienne toute autant. « Coffee? » la seconde d'après je me ressaisis, aux bonnes questions les vraies réponses, la station à café dans l'angle qui m'apparaît comme le graal dans l'instant.

« You did not miss much. » Ok good I guess. Mais quand même je peux pas m’empêcher de me sentir coupable de pas avoir été là plus tôt. Elle est toute seule depuis je ne sais combien de temps. Je sais d’avance que je les lâche pas d’une semelle avant un moment. Si je peux m’incruster dans leur lit ce soir, je le fais. Je la garde tellement contre moi. Je suis tellement sûr qu’elle en a besoin plus que nous tous. Je sais pas mais je sens qu’elle en a vue des vertes et des pas mûres avant que je sois au courant.  « Whenever evil slutty witch duo decides he can. » Je fronce le nez. Je la serre un peu plus contre moi parce qu’elle en a besoin. Me too. Mais c’est toujours mieux de se dire que c’est pour elle. Je veux pas être celui qui a besoin d’elle alors qu’elle donne déjà toute sa personne à Levi. Je peux pas lui demander ça en plus. C’est trop. Je me détache mais me défait pas complet de son contact. Nope. C’est impensable. Je la sens grave nerveuse. J’aime pas ça. Si elle sent qu’un truc va pas là maintenant, c’est que c’est lié à Levi forcément. Maybe not all. Ouais mais la plus grande partie. « Tired. Did not sleep a lot yesterday, talked instead. » Hmmm… Je serre un peu plus sa main dans la mienne. I’m here. You can sleep a little if you want. Mais je le dis pas. Je sais qu’elle sait. Je sais qu’elle comprend. Je sais aussi qu’elle veut tout contrôler et qu’elle ne dormira pas malgré tout. You should let me handle the wait. Parce que c’est tout ce que c’est là. De l’attente. Je peux être derrière le cul des infirmières aussi bien qu’elle. Je peux la rendre fière. Elle sait. J’ai déjà fait. J’ai un avantage et un désavantage dans l’affaire. Je connais les infirmières. Pas aussi bien que celles des urgences mais quand même. Du coup j’ose pas être trop rude. C’est des collègues. Mais je sais quoi dire pour avoir ce que je veux au final. Etre rude et relou mais de manière détourné. J’utilise tous mes pions. Je suis intelligent. Ca se remarque pas toujours je sais. Mais là c’est important. Je fais pas n’importe quoi. Je fais même pas de remarque à Ari pour quoi que ce soit. Elle est à cran tout le temps. Elle a pas besoin de quelqu’un qui lui dise quoi faire. Elle fait ce qu’elle veut de toute façon. J’espère juste à tous les instants qu’elle va prendre avantage que je suis là pour s’enlever du poids de ses épaules. Never worked so far. Mais j’ai toujours l’espoir. Parce que je veux pas qu’elle pète un cable et qu’elle se retrouve dans pire état que Levi d’une façon ou d’une autre. J’ai peur pour elle presque autant que j’ai peur pour Levi. Elle dort pas beaucoup depuis bien longtemps. C’est pas bon du tout.  Je la quitte pas des yeux et elle a l’air de chasser des pensées de sa tête avant de reprendre la parole. « Are you trying to find some cats to save around here or what? »

« Only the stray ones. »

Parce que j’ai un faible pour les êtres qui sont des rejetés de la société. « Coffee? »

« Got too many already my heart won’t handle one more. »

Parce que la vérité c’est que moi aussi j’ai pas beaucoup dormi. Je dors mal ces derniers temps. Alors je prends du café au boulot pour palier. Je gère. Je dors une demi heure par ci par là. Une quand j’ai de la chance. Deux c’est rare. Mais aujourd’hui on a pas eu beaucoup de temps libre, j’ai pris moins de café que d’habitude car j’ai bossé non stop. Je ne mens pas. Je bois beaucoup de café ces derniers temps. Pas aujourd’hui spécifiquement. J’ai juste pas envie qu’elle prenne un café. Je veux qu’elle s’endorme sur mon épaule et qu’elle lâche prise pendant quelques minutes. Je rêve. Je sais. Je sais aussi qu’elle va comprendre tout le cheminement de mes pensées. J’espère juste qu’elle va go with the flow et baisser sa garde une demi heure alors que je ferai genre j’ai rien remarqué. Parce qu’elle se laisse pas ce droit. I’m here. I take care of things while you rest. Not as good as you. But I am here. Please. Take some rest. Take a seat. Et je m’assieds sur le siège le plus près de moi. J’ai toujours sa main dans la mienne. Je l’ai un peu tiré dans ma lancée. Elle peut très bien me lâcher et aller se prendre un café. Je me retiens fort de lui proposer d’aller lui prendre moi même son café, mais je veux tellement qu’elle dorme. Je sais que si je lui prends un déca elle va me le cracher à la gueule.

« You two look adorable. »

Je tourne la tête vers la petite vieille assise non loin à côté de moi. We look stressed af. That yeah. Je profite pour tirer Ariane contre moi. Elle toujours debout, je sais qu’elle va aller à la machine à café sous peu. Je retarde juste l’échéance.

« Thank you. Even though I am the most adorable one. She knows. »

« Got too many already my heart won’t handle one more. » boohoo. Je laisse un soupir à mi-chemin entre un sourire passer sur mes lèvres, parce que je sais ce qu’il tente de faire Kane, il dérive, il dévie, il veut pas que je me bourre de caféine comme énième drogue pour me garder éveillée. I’m here. I take care of things while you rest. Not as good as you. But I am here. Please. Take some rest. Take a seat. Et ça fait mal ça, de voir qu’il se sent le devoir de prendre ce rôle, d’être celui qui s’occupe de moi. C’était jamais le cas, volontairement, et malgré tout l’amour que je pouvais lui porter je l’avais jamais laissé être en contrôle de mon bonheur ; la responsabilité qu’il aurait sans doute très bien pu remplir, mais que j’avais pas l’égoïsme de lui foutre en travers de ses propres problèmes, de ses propres drames.

J’étais le roc ; act accordingly. « You two look adorable. » ça nous ship sur le siège face à celui de Kane, il me rapproche de lui, joue le charmant, le charmeur. Ma main toujours dans la sienne qui se serre un peu plus fort au rythme de ma tête que je secoue de fausse exaspération, de mes yeux qui roulent avec amusement. Une seconde, juste une où on est de retour à nous, où on est que deux cons, que deux potes passant un moment ensemble. Pas d’hôpital, pas de résultats en attente, pas de Levi beaucoup trop loin de moi pour que je guette pas sa sortie de la foutue salle où elles l'ont séquestré à chaque fois où j’entends une porte battre, une civière grincer sur le linoléum parfaitement ciré. « I’ll be back in a minute. » faut que je parte, faut que j’aille à la cafétéria, faut que je m’isole pour me reprendre parce que là, ça tourne vite, ça palpite autant.

Je reviens le gobelet de café trop chaud trop amer trop tout mais qui goûte rien entre mes paumes une poignée de minutes plus tard. Et il est toujours là Kane, bien sûr qu’il est là, bien sûr que je doute pas. Depuis qu’il nous avait confirmé qu’il voulait savoir, qu’il pouvait savoir, tout ce qu’il avait fait c’était d’être avec Levi et moi le plus qu’il pouvait. Il s’était collé à nous, il assumait chaque partie même les plus difficiles, il imposait sa présence au fil des jours en restant stoïque malgré les mauvaises nouvelles. C’était une adaptation constante et douloureuse de voir se dessiner sur son visage les maigres rictus que je connaissais par cœur mais que personne d’autre ne remarquait lorsque les examens étaient de plus en plus rapprochés, lorsqu’on sous-entendait Bali bien plus que Miami. Ça, non plus il savait pas. Il savait pas que je luttais deux fois plus fort, que j’avais deux fois plus mal depuis que j’avais pris le monde du Williamson en plus de celui de McGrath sur mes épaules. Mais il savait pas non plus qu’à l’issue du traitement, Levi et moi on partirait. Qu’on partirait et qu’une chance sur deux était de très, très mauvaise augure.

Il savait pas tout ça, et il en savait encore moins sur ce qui arrivait là, tout de suite. « Mrs. McGrath? » j’ai tellement la tête dans les vapes une fois que je suis de retour aux côtés de Kane dans la salle d’attente que je réalise pas que l’infirmière m’a appelée ainsi, que Kane est tout sauf au courant du mariage aussi. 2017 restant tellement vague, mais j'y pense même pas une seconde lorsque mon regard croise celui de celle qui m’a vendue sans que j’en ai rien à battre. « Looks like your husband’s gonna stay here a little longer. » no shit Sherlock. Mon air fermé, mon coup d’œil noir, elle connaît la chanson mais surtout, je capte pas pourquoi ils nous ont fait attendre si longtemps quand très clairement tout le monde devait être très bien au courant du fait que Levi resterait à voir les têtes d’enterrement qu’ils tiraient tous à notre approche depuis qu’on était arrivés aux urgences en catastrophe. « We just need you to sign this and then you’re free to get back to him. He’s returning to his room as we speak. » ma main droite désormais habituée de signer à la place de la gauche plâtrée se charge de remplir encore une fois les formulaires, gestes naturels et innés, le regard de Kane que je sens même pas brûler sur ma nuque tellement encore une fois, je retourne me perdre dans ma tête.

« I’ll be back in a minute. » Damn it. Elle va prendre son café. Bien sûr qu’elle va prendre son café. Ça me fait chier. Je veux qu’elle se repose mais elle se laisse pas ce droit. She’s gonna die first. Dans ma tête j’ai toujours pensé que ce serait moi le premier. Parce que mon métier depuis trois ans. C’est pas rien d’être pompier. On sait tous que j’ai un death wish depuis très longtemps. Since Chuck… J’en parle pas mais tout le monde le sait. Ari knows. Ari et tout ceux qui écoutent un tant soit peu les paroles de mes groupes préférés. Mais là y’a tout qui change. C’est Levi qui a le cancer mais c’est Ari que je vois en haut de la liste pour la faucheuse. J’aime pas ce feeling. Comment je me retrouve en dernier alors que j’ai toujours été le premier destiné à partir ? C’est pas normal… Je veux pas. Je veux pas d’un monde sans eux. C’est moi qui doit partir le premier. Stop thinking about this.

Elle revient et je regarde l’écran de la télé qui est dans la salle d’attente. J’ai même pas sorti mon téléphone. Je suis pas beaucoup sur les réseaux sociaux ces derniers temps. Pas le temps. Pas l’envie non plus. Mes pensées me prennent toute mon énergie. J’ai quand même les notifications pour les tweets de John et Trophy Eyes, faut pas déconner. Je vais poser ma main sur la cuisse d’Ari parce que j’ai besoin de contact permanent. « Mrs. McGrath? » Je tourne la tête à ce nom. « Looks like your husband’s gonna stay here a little longer. »

« Your husband? »

Je comprends pas trop là. « We just need you to sign this and then you’re free to get back to him. He’s returning to his room as we speak. » Et elle signe le truc. Et c’est super bizarre cette affaire.

« Ari… »

C’est bizarre parce que je sais ce que c’est le paper work des hôpitaux. Elle peut pas faire une blague pareil ici. C’est pas une blague. L’infirmière s’en va.

« What is going on ? »

Je déteste dire cette phrase de nouveau. Je suis à côté de la plaque une nouvelle fois. J’aime pas du tout ce feeling que j’ai encore. Mais il se passe quoi avec eux ces derniers mois ? Pourquoi y’a absolument tout qui change et on me dit rien ? Je suis si peu reliable ?

« Your husband? » le bruit du stylo qui gratte le papier, mes mèches qui barrent mon visage de celui de Kane, de celui de l’infirmière, de celui de quiconque. J’aurais dû m’en vouloir là, j’aurais dû me gifler intérieurement d’avoir laissé ce détail-là slip, qu’il soit maintenant au courant d’une pièce, minime mais tout de même, du puzzle. Mais à la place je ressens rien – rien du tout. « Ari… »

Et je réalise qu’on est seuls, que l’infirmière est retournée à l’accueil, que mon café est désormais tiède et que j’ai les doigts droits bariolés d’encre parce que malgré les conneries que je peux me dire pour me faire croire le contraire, signer de la mauvaise main, ça tache en malade. « Yep? » je finis par lever le regard vers Kane, sortir de ma tête un peu, mais pas vraiment. C’est autant le chaos à l’intérieur qu’à l’extérieur, autant surfer entre les deux. « What is going on ? »

Ah, ouais, ça. Et j’inspire, comme une mère qui s’apprête à annoncer à son gamin que le Père Noël n’existe pas. J’inspire et je plante mes yeux dans ceux de Kane,  je scan, le radar qui passe partout, les dizaines de questions que j’anticipe qui tournent dans sa tête quand il n’a résumé ses doutes, ses démons qu’à une seule. « What’s going on is that we got married cause we love each other with all our hearts and souls. » que je réponds, dans un souffle, sans émotion aucune, bien plus pour l’infirmière qui a levé la tête à notre intention que pour qui que ce soit d’autre. Les mots sont articulés, robotisés, mais totalement assumés.

J’ai pas envie d’ajouter le fait qu’on lui a caché ça pendant 2 ans à l’équation. J’ai pas envie qu’il sache que ce cancer-là, on le connaît par cœur. J'ai pas envie de lui dire que la raison principale n'a rien à voir avec des paillettes, mais bien avec une nécessité de lui sauver la vie. J’ai pas envie qu’il comprenne que l’an dernier n’aura été que rémission inespérée et soulagement amer. J’ai pas envie qu’il fasse le calcul, et qu’il comprenne que ce qu’on vit là, aujourd’hui, c’est du réchauffé pour Levi et moi, à l’exception près d’un truc et d’un seul : « I can’t believe they’re gonna hold him hostage here longer than he already has been. » si l’histoire du mariage est le point sur lequel Kane bloque, de mon côté c’est évidemment sur le glas qu’on a sonné en décidant de garder McGrath à l’hôpital beaucoup plus (trop) longtemps que prévu que je ressasse avec violence.

« What’s going on is that we got married cause we love each other with all our hearts and souls. » Mes sourcils sont froncés parce qu’elle ne me dit pas tout. J’ai bien compris que y’a un truc là dessous. J’ai bien compris qu’il faut sauver les apparences devant le staff. J’ai bien compris. Tout dans Ariane ne va pas là maintenant. Je n'aime pas la voir comme ça. Is she paying for all that? J’ai jamais demandé les détails des factures etc… Mais je ne vois pas d’autres raisons pour laquelle elle serait incluse dans le paper work de son traitement. Why they didn’t say anything? Does it mean she isn’t married to Jo? Tant de questions qui tournent dans ma tête où je n’aurai pas de réponses parce qu’elle ne l’a pas fait. Je veux pas supplier. Je suis fatigué. « I can’t believe they’re gonna hold him hostage here longer than he already has been. » Et ça, c’est la priorité. Mais mes sourcils sont toujours froncés parce que je comprends rien et elle veut rien me faire comprendre. Et Levi qui doit rester plus longtemps. Est-ce que son nom est en train de remonter en haut de la liste ? No… i don’t want. Et me voilà silencieux parce que mon esprit va à 4000 et je peux pas penser et parler en même temps. Je ne sais pas quoi dire de toute façon. Elle est mariée à Levi. Ils m’ont rien dit. C’est comme si je les connaissais plus. Quand est-ce que tout a changé ? Quand est-ce qu’on a commencé les secrets ? Parce que moi aussi de mon côté y’a des trucs que je leur dis pas en ce moment. Ils ont pas le temps pour ça. Y’a trop de choses. Mes problèmes sont rien à côté de ceux de Levi.

On marche. Je sais pas vers où. Je suis Ariane. Ma tête est ailleurs mais je sais qu’il faut avancer pour voir Levi qui va être de retour dans sa chambre et je veux le voir. Je veux voir si son moral va. Si au moins ça. Je regarde les numéros des portes à côté et je crois qu’on est pas au bon niveau. Do they even want me here?

On nous fait signe que c’est bon, qu’on peut partir de la salle d’attente. On nous a dit que Levi est sorti mais je le vois pas devant nous alors j'y crois pas. Mais la porte est entrouverte au bout du couloir, j’ai dû le manquer, je manque des tas de trucs en ce moment. Je manque toutes les questions que m’hurlent les yeux de Kane, je manque toutes les occasions de l’inclure dans ma tête, dans ce qui s’y passe. Je manque tout et je suis plus rien, je sais même pas ce que j’ai envie d’être anyways.

Son mutisme se calque au mien quand je gobe d’un trait l’entièreté de mon café, et que je le guide dans les couloirs que je connais par cœur. Y’a l’ascenseur qu’on doit prendre pour monter à l’étage, et évidemment, il est bondé. Bondé d’infirmiers et d’une multitude de visages qui me disent tous quelque chose tellement ils se mélangent les uns aux autres, tellement j’ai l’impression de passer ma vie entourée d’eux, juste eux.

L’étage où ils nous ont installés y’a peu, je connais le trajet par cœur sur le pilote automatique. Kane qui suit, docile, qui est là pour me rattraper au cas où je m’écroule. Parce que j’ai manqué tout sauf ça. J’ai manqué tout dans son coup d’œil sauf sa panique, présente, suffocante, que je sois pas à la hauteur, que je m’en mette trop sur les épaules, que je finisse pas craquer. Ça je l’ai vu ; j’ai vu que ça.

Et la chambre est vide. Le lit défait, la télé encore ouverte. J’imagine qu’ils ont décidé de nous faire bien comprendre qu’on n'est pas à l’hôtel, qu’il n’y aura personne pour repasser nos draps ni pour changer les échantillons de shampooing en format mini dans la douche. La douche ; c’est vrai, avec la chambre VIP vient la salle de bain premium. « I stink all-nighters. » les nuits blanches qu’on cumule en accéléré, en décalé. « Need a shower. » ma façon à moi de reset comme je peux. Laissant Kane derrière, entre le canapé trop confortable et les restes quasi intouchés du dîner de la veille, je file la seconde d'après sous la douche.

On se retrouve dans la chambre de Levi, mais sans Levi. J’aime pas ça non plus. Pourquoi il met plus de temps ? Il est en train de s’énerver contre le staff médical ? Il s’est perdu dans les couloirs ? On le force à être dans une chaise roulante et il refuse ? Il est par terre inconscient en train d’être réanimé ? No.

« I stink all-nighters. » Et Ariane qui en a rien à foutre de toutes mes interrogations. « Need a shower. » Elle parle comme si tout allait bien. Ça me brise le coeur. Y’a rien qui va. Rien qui va du tout. Absolument rien. Y’a pas un truc qui va. Pas un seul.

On est dans une chambre VIP. Y’a un balcon. Je me lève pour prendre l’air. J’en ai besoin là. Je regarde la vue et je suis complètement perdu dans mes pensées. J’essaie de comprendre ce qu’il s’est passé mais je sais pas. J’ai peut être oublié quelque chose. Je sais pas combien de temps je reste là mais quand j’entends du bruit à l’intérieur je n’attends pas une seconde pour y retourner. Si c’est Levi, je veux le voir. Mais non, c’est Ariane. Déception. In all the sens of the word. Alors je retourne sur le balcon. Comme si j’avais pas envie d’être dans la même pièce qu’elle. Everything is falling apart. Et on dirait que je peux rien faire pour changer ça. Je suis useless. Mon téléphone qui vibre et comme j’ai enlevé les notifications de toutes mes apps, je sais qu’il s’agit d’un véritable SMS. Mum.

Mum
I made enough veggie lasagna for the whole neighbourhood

Ca c'est sa façon de m'inviter sans le dire. Elle sait que je suis très pris ces derniers temps. J'ai pas vu mes parents depuis plusieurs mois. Je crois que j'ai besoin d'eux ce soir. Me ressourcer auprès de personnes qui sont des constantes dans ma vie. Thought Ari and Levi were some pretty solid ones. Ca me brise le coeur.

La chambre est plongée dans le silence quand j’émerge de la douche que j’ai étirée de longues minutes supplémentaires. Y’avait un nœud dans ma nuque, le truc qui bloque, les nerfs en entier qui se tissent les uns autour des autres si serrés que tu ignores quand et comment ils vont se lâcher les uns des autres.

Je finis par enfin sortir de la salle de bain encore bien embuée au même moment où Kane quitte la balcon pour venir voir si Levi est là. Je sais que c’est Levi qu’il veut voir et pas moi, rien qu’avec le coup d’œil dédaigneux dont il me gratifie. Mais ça va, je l’ai cherché. J’aurais dû répondre à ses questions, j’aurais pas dû le laisser attendre comme ça. J’aurais pas dû le tenir à l’écart, prendre pour acquis qu’il aurait été incapable de supporter tout ça sur ses épaules lui aussi, ou du moins, l’espérer assez stoïque pour le faire.

Pourtant, rien de ce qui a pu se passer depuis que Levi lui a fait l’annonce ne me confirme que c’est le bon choix. Qu’on aurait dû lui dire plus tôt. Qu’on aurait dû lui dire tout court. Kane qui s’enferme de plus en plus dans ses silences, dans ses regards réprobateurs. Kane qui s’éloigne de nous bien plus qu’il se rapproche. Kane qui est là, qui vient dès qu’il peut, mais qui reste perdu dans sa tête à accuser et à questionner et à s’inquiéter et à se faire du mal, damn qu’il se fait du mal.

Alors je préfère qu’il me fasse du mal à moi, pour une fois, plutôt qu’il soit sa seule et unique victime. Je préfère qu’il lâche son venin et sa rage et sa peine sur moi et sur moi seule. Pas sur Levi, et pas sur lui-même. Que sur moi. Il est déjà remonté de toute façon, il est déjà à bout, ça le soulagera in a way. Je vais donc le rejoindre dehors, essore mes cheveux une seconde en silence, avant de resserrer contre mes épaules le hoodie piqué sur une chaise dans la chambre, qui appartient je sais même plus auquel des deux garçons. Il dit pas un mot, j’en dis que deux, je sais dans quoi je m’embarque, je le fais pour lui, pour eux, et étrangement, un peu pour moi. « Spit it. »

Elle vient sur le balcon. Je la sens. Je pensais pas. Elle garde pas cette opportunité de rester loin de moi ? Elle veut faire genre on est encore proche ? Complice ? Qu’on est toujours elle et moi contre le reste du monde ? Bullshit. « Spit it. » Et mon visage qui se tourne vers elle. You got to be kidding me.

« Me spit it? You spit it. »

Elle se fou de ma gueule. Elle sait tres bien ce que j’ai besoin d’entendre. Ou bien elle a perdu cette faculté aussi ? Elle m’a nexté à ce point là qu’elle a besoin de mon mode d’emploi ? Elle est la seule qui le maîtrise à la perfection et elle le sait.

« But you don’t want to. And I’m tired. »

I am so tired and it shows. Mon esprit qui tourne à 4000 avec tout ce qui se passe. J’overthink toujours tout. Et là c’est encore pire. Parce que c’est tellement important. Et vraiment j’ai le cœur brisé.

« I miss Ari so bad. Not you. Ari. I know everything is falling apart but I didn’t think it would change you like that. Or is this the real you? »

Apparemment j’ai des choses à dire malgré mon premier statement. Mais je vais pas aller plus loin parce que je sais pas. Je sais que ce que j’ai dit là a zéro tact mais c’est vraiment ce que je pense et j’ai le cœur brisé. Depuis de longues semaines. Months. C’est horrible. Je sais pas si je peux faire quelque chose pour que ça change. Peut être que c’est juste la vie qui suit son cours et qui n’est pas du tout comme je voudrais. Everything is falling apart. Mais ca reste Levi en haut de la liste et je vais aller nulle part tant que c’est le cas.

« Me spit it? You spit it. » un gamin, un vrai de vrai gamin ; et ça m’étonne pas. Parce que toute notre vie, j’ai joué à la maman ours avec lui. Parce que toute notre vie, j’ai tenu les rênes, je l’ai tenu lui, j’ai tout tenu pour nous, j’ai fait de mon mieux en tout cas. Until round two. « But you don’t want to. And I’m tired. » that makes two of us. Je sais qu’il dit pas ça pour jouer à celui qui est le plus fatigué de nous deux – il est autant au courant que moi que je gagne, à plate couture. Parce qu’on est pas en compétition l’un contre l’autre. On l’a toujours été face aux autres qui prenaient trop de place dans nos vies respectives, qu'on se sentait menacé, qu'on voulait s'assurer que notre place était absolue. Mais jamais j’ai été contre Kane. Until round two.

« I miss Ari so bad. Not you. Ari. I know everything is falling apart but I didn’t think it would change you like that. Or is this the real you? » « And I miss Levi. Not him right now. Levi. I want Levi back. » et encore une fois, je comprends pas, je capte absolument pas pourquoi c’est moi qui reviens sur le tapis. Pourquoi c’est le mariage qui l’énerve. Pourquoi ce sont mes absences qui lui font de la peine. Pourquoi c’est moi et pas Levi.

« Can’t you see Kane? » ma main plâtrée qui va prendre appui sur la rembarde, tout mon corps que je tourne vers lui, les sourcils froncés, mais pas la moindre exaspération dans ma voix. « It’s not about me, and it’s clearly not about you. I still love you, I still would kill for you. I don’t hate you, neither want to kick you out of my life. » parce que clairement, s’il est comme ça, s’il agit comme ça, s’il me regarde comme ça, c’est qu’il en doute. Il en a jamais douté avant – until round two. « But I can’t give him my all if you play that game. I can’t be there for him the way he needs if you push and pull me like that. » I can handle Levi. I can handle Kane. But I can’t handle them at the same time. « You said you could handle it. When you said yes to this, you said yes to knowing all about him being sick, but you also said yes to understanding I can’t carry both of you right now. » I'm not that strong, I know my limits now. « I always have been there for you. Now it's his time. »

« And I miss Levi. Not him right now. Levi. I want Levi back. » Me too. « Can’t you see Kane? » Apparenlty I can’t. « It’s not about me, and it’s clearly not about you. I still love you, I still would kill for you. I don’t hate you, neither want to kick you out of my life. » Elle répond pas du tout aux questions que j’ai en tête. « But I can’t give him my all if you play that game. I can’t be there for him the way he needs if you push and pull me like that. » Je secoue la tête. Ferme brièvement les yeux. C’est tellement pas ça. « You said you could handle it. When you said yes to this, you said yes to knowing all about him being sick, but you also said yes to understanding I can’t carry both of you right now. » I’m not asking shit. « I always have been there for you. Now it's his time. »

« I’m not asking anything. I didn’t ask anything. I’ve got a lot on my plate and you don’t know anything because I know Levi goes first and you don’t need that. My stuff is nothing compared to what he is living. I know. »

Je suis énervé parce qu’on est pas sur la même longueur d’ondes. Ça fait bien longtemps qu’on ne l’est plus.

« But you are different. »

She really is.

« Does it mean you are always carrying me when you’re with me ? Am I that much of a baby ? You know what. Don’t reply to that. I know what you’re gonna say and I don’t want to hear it. When is Levi back ? Didn’t she say he was on his way ? »

Je retourne à l’intérieur au cas où on l’aurait pas entendu. Je veux arrêter de l’imaginer sur le sol en train de se faire réanimer parce qu’il s’est passé un truc que personne n’avait prévu. Nobody is planning anything right now. Même pas moi qui suit encore en train de fuir Ari sans m’en rendre compte.

« I’m not asking anything. I didn’t ask anything. I’ve got a lot on my plate and you don’t know anything because I know Levi goes first and you don’t need that. My stuff is nothing compared to what he is living. I know. » doesn’t feel like that. Parce que depuis le début j’ai l’impression qu’il ne fait que ça, demander. Demander quand on aura du temps pour lui, pour nous. Demander comment je vais, demander si j’ai dormi. Demander en silence, demander en soupirant, demander en rageant aussi. Surtout maintenant. « But you are different. »

« Of course I’m different. » je suis pas conne non plus. Je sais que je suis plus dure. Je sais que je parle beaucoup moins. Je sais que je me ferme, je sais que je rassemble tout ce que j’ai pour Levi aussi. Je suis son rythme à lui parce que le mien m’intéresse plus, je m’accroche à lui parce que je l’ai décidé, parce que c’est mon rôle et que je l’ai accepté en sachant très bien ce qui en résulterait. Mais j’ai été naïve de croire que d’impliquer Kane dans l’histoire simplifierait les choses. J’ai été stupide de penser qu’on vivrait un 2017 en mieux – en plus solide.

Et il parle. « Does it mean you are always carrying me when you’re with me ? Am I that much of a baby ? You know what. Don’t reply to that. I know what you’re gonna say and I don’t want to hear it. When is Levi back ? Didn’t she say he was on his way ? » , puis il part. « What am I gonna say Kane? » qu’il veuille pas que je réponde, qu’il m’empêche de le faire, ça, c’est pire que tout.

Parce que même si je doute de sa capacité à entendre, là de suite, je douterai jamais de sa capacité à assumer. Il sait accepter, il sait ravaler. Lorsqu’il prend la décision de quelque chose, il se plie à chaque aspect, à chaque variable. « Since you already know, care to share? » depuis quand il fuit? Depuis quand il me reproche de pas être dans sa vie alors qu'il fait tout pour me repousser de la sienne?

« What am I gonna say Kane? » Elle veut entendre les mots. Elle veut que je confirme qu’elle a raison. Elle veut piquer là où ça fait mal parce qu’au fond, c’est vrai. Et c’est exactement pour ça que je veux pas l’entendre. Mais je l’entends dire ça alors que je suis retourné à l’intérieur. « Since you already know, care to share? » Et Levi n’est toujours pas là. Et ça m’inquiète et vraiment là, j’en ai presque plus rien à faire de ce qu’elle veut entendre. Je lui donne.

« Yeah I’m a needy bitch. Yeah I want you around. Yeah yeah. »

Quand je sors les yeah yeah c’est jamais bon signe.

« But I know you can’t be that now. I know you’re all him and I am too but I want to carry you now. You are taking everything on your shoulders Ari and you should not. »

Mon ton est ferme sur la fin.

« Let me help for fuck sakes. Let me carry. If you don’t want me to carry him let me carry you. Because who will do your job, that you do perfectly I fucking swear you are the best with him… »

I fucking mean that.

« …but who will do your job if you’re dead tomorrow? »

Elle est fucking exhausted et ça n’aide pas à son mood et à me faire la voir telle qu’elle est véritablement. Elle n’est plus humaine là. C’est un robot. Tout pour sauver la vie de Levi. Et je peux pas lui en vouloir mais je veux pas qu’elle en crève.

« I can’t have you both dead. »

Ma voix qui se brise sur cette phrase. Where is Levi ? Why isn’t he here now?

« I’m gonna go check where he is. It’s taking too long. »

Et je vais faire une crise de panique si je le vois pas conscient sous mes yeux asap.