« Tu veux quoi en échange, que je te sauve la vie ? Oups, déjà fait. » Je lève les yeux au ciel. Elle n'a pas besoin de me rappeler à quel point ma survie dépend de la sienne, j'ai saisi le message. Il faudrait peut-être que je me mette en tête de devenir un peu indépendant vitalement parlant. Ça deviendra peut-être essentiel si elle venait à me lâcher, de quelque manière que ce soit.

Bien sûr que la réserve d'essence nous fait défaut. Bien sûr qu'il faut à nouveau s'arrêter, mettant ainsi en jeu sa survie et la mienne, par la même occasion. Cette fois-ci, j'ai bien retenu la leçon : éviter les dessous des voitures sans avoir regardé avant ce qui s'y cache. « Marché conclu. » Alors elle m'apprendra à me débrouiller avec un flingue. En route vers mon indépendance vitale. « Mais faudra trouver un endroit calme, isolé, j’ai pas envie de rameuter tous les morts vivants du coin. Sans parler de ces ahuris qui nous ont attaqués tout à l’heure. » J'opine du chef en faisant le tour des voitures. « On trouvera de quoi. C'est pas comme si soudain, j'avais mieux à faire. » Non, mais par contre, il est possible que je cane avant, ce qui serait fâcheux. Je trouve notre bonheur parmi les voitures, me prépare à la tâche en soupirant bruyamment. J'aurais préféré que l'autre soit encore vivant, pour qu'il s'en charge à ma place. « T’es plus distrayant. » « Distrayant ? », que je lance, les sourcils froncés et le ton outré. Un clown, voilà ce que je suis. C'est vrai que pour l'instant, je ne me suis pas montré très utile. « Ouais bah, toi aussi, t'es distrayante. » Plus que ça, elle m'a sauvé la vie, faut-il seulement le rappeler. « Allez et maintenant, tu fous le tuyau dans le réservoir, et tu pompes. » Je m'exécute sous ses ordres, roulant des yeux au passage. « Me dit pas qu’il faut que je te montre quand même. » « Je sais faire. » Non. « Ne me prends pas pour un idiot. » Et voilà que je m'agite, à essayer de ne pas me foutre trop de carburant dans la bouche, manquant de m'étouffer - deux fois - et de régurgiter le repas que je n'ai pas dans le ventre. Au bout d'un moment, je parviens enfin à effectuer la tâche, non sans lancer à Raelyn un regard des plus mauvais. « T'as intérêt à bien m'apprendre à tirer, pour tous les efforts que je fournis pour me montrer serviable. » Non, ce n'est pas beaucoup d'efforts, en vrai, car je sais qu'elle n'hésiterait pas à me laisser derrière. « C'est quoi, la prochaine étape ? Tu vas me demander d'aller chercher la poupée sur le cadavre de la gamine, dans la voiture d'à côté ? » Ses os sont rassemblés autour de l'ours en peluche délavé. Pauvre ours.

« Ça fait bien longtemps qu’on m’a pas qualifiée de distrayante. » « Félicitations, tu viens de monter en grade. » Je préfère avoir cette qualité qu'une autre, au final. C'est peut-être mieux comme ça.

Je sais que je vais mal m'en sortir, avec cette histoire d'essence. Il avait l'air mieux calé, l'autre, mais maintenant c'est rien qu'un macchabée mangé par les mouches - ou les zombies. Est-ce qu'ils mangent les cadavres qu'ils trouvent, les zombies, ou est-ce qu'ils préfèrent tuer eux-mêmes leurs proies avant de s'en repaître ? Peut-être que dans quelques années - beaucoup d'années, ok - on fera des thèses sur la psychologie des zombies. Je serai en première ligne, si je ne suis pas mort avant. « Rappelle moi comment t’as survécu pendant quatre ans sans ce type de notion basique ? » « 'Me suis planqué. », que je marmonne. C'est un coup de chance. Un vrai coup de chance. J'ai failli mourir bêtement une bonne dizaine de fois, sans parler des fois héroïques qui m'ont conduit à courir à toutes jambes loin des autres humains. Je soutins mordicus que c'est encore la meilleur technique pour survivre : j'ai résisté quatre ans juste en me planquant dans la poussière le temps que les choses se tassent.

Le précieux liquide coule enfin dans un des bidons, après que je me sois presque étouffé environ six fois. « Je vais t’apprendre à tirer. Pour le bien, même moi je peux pas transformer un âne en cheval de course. » Je lève les yeux au ciel, surveille le niveau d'essence dans le premier bidon. « Ça va, j'ai les bases quand même. » Je sais qu'il faut tenir l'arme bien devant soi, que le canon ça se pointe en avant et qu'on ne tire pas à une main au risque de se prendre le chien dans le nez. « Non, y’a deux autres bidons comme celui-ci à remplir et ensuite on se tire, faut encore qu’on aille chercher de la bouffe et je veux être rentrée avant la nuit. » Mes yeux se portent vers le ciel. « Mm-mh. » Avant la nuit, ça risque d'être un peu tendu, pour tout le chemin qu'il nous reste à parcourir. Mon ventre gargouille, alors je me contente de m'éloigner pour trouver le réservoir suivant.

Lorsque le troisième bidon est rempli au quart - j'ai fait des progrès, je le jure -   je me tourne vers mon acolyte. « T'as pris à manger, au moins un peu ? On pourrait profiter que le bidon se remplisse pour manger. Y'a personne. Et au moindre problème on se tire. » Mon ventre indigné s'évertue à crier famine, depuis tout à l'heure.

« On verra ça, l’âne. » Je suis à ça de lui tirer la langue et de la traiter d'ânesse, mais je me souviens qu'il pourrait y avoir des zombies autour, et que ça ne ferait pas bien de mourir juste après une action pareille. J'aimerais pas que sur mon épitaphe, on grave "mort des suites d'une erreur d'inattention en tirant la langue à sa camarade". C'est nul à chier, comme mort. Je n'aurai pas d'épitaphe, de toute façon, à part si je meurs en héros sur un champ de bataille imaginaire. Genre, entre des zombies et une armées d'hommes. Ouais, ça n'arrivera pas. Je resterai modestement à mon approvisionnement en essence.

En attendant, c'est super faim. Il ne manquerait plus qu'une petite crise d'hypoglycémie pour couronner le tout de ridicule. « Un festin, avec les compliments du chef. J’ai des tomates et des œufs durs aussi, l'avantage de vivre derrière une palissade, c’est qu’il y a des gentils petit fermiers pour s’occuper de ce genre de trucs. » Elle me lance une conserve et j'en détaille l'emballage avec envie. Voilà des lustres que je n'ai pas mangé de poisson, même pas en conserve. Je me dépêche de l'ouvrir, alors qu'elle me baratine avec ses légumes. Des années que je rêve d'un bon steak - ça, ça n'aura pas disparu. « Mais rapidement, après on décolle. » Je la gratifie d'un salut militaire avant d'ouvrir la conserve. « Oui, mon Général ! » Je m'empiffre de sardines avant de venir me fournir en tomates, en essayant de ne pas me mettre de l'huile de partout. « Tu vois, c'est ce genre de truc qui me redonne foi en la civilisation. On repart de rien, c'est neuf, c'est beau. L'air est pur, y'a pas de pollution, les gens font des activités manuelles au lieu d'être sur leurs écrans... Est-ce que tu vois un type sur son téléphone en train de scroller sur Instragram, toi ? » Je montre l'horizon comme si qui que ce soit pouvait nous rétorquer le contraire. Il n'y a que le silence pour nous répondre. « Voilà. Tu vois. La vraie vie. » Les zombies en plus. Je termine mes sardines, vérifie le niveau des bidons avant de m'occuper du plein. « Est-ce qu'ils nous emmerdent, les zombies ? », que je lance à la route derrière nous, peut-être un peut trop fort. Il y a un nuage, au loin, au raz de la route, un nuage foncé. Ma main en visière, j'en profite pour ranger les bidons qui restent dans la voiture.

Le nuage est trop bas, qu'il se rapproche trop vite, et qu'en plus, il fait des bruits pas très très nuageux. Des bruits de zombies, en fait. Et le nuage se rapproche à la vitesse de l'éclair. Dans vingt secondes, la horde sera sur nous.

« Ouais, la vraie vie. Fais moi rêver, t’étais quelle sorte d’influenceur toi ? » Gagner de la thune en mangeant du quinoa - quel pied. « J'étais très sage, sur les réseaux sociaux. », que je proteste. Du genre à poster des trucs que je faisais et puis ma tête de temps à autres dans un élan de narcissisme. « Mais j'aurais adoré être riche en dégustant des trucs révolutionnaires, genre de la nourriture en poudre. » Ces trucs là ne m'ont jamais fait rêver. L'argent facile, peut-être un peu, mais j'ai toujours su faire avec ce que j'avais. Et mes parents m'avaient de toute façon laissé un peu d'argent, pas de quoi se plaindre. De toute façon, tout ceci était désormais tout à fait obsolète. Mais c'est plus fort que moi, j'ai besoin de faire le malin, alors que personne n'est en vue. « Ouais après tout, pourquoi on les appelle pas pour venir bouffer avec nous ? On pourrait tous se donner la main et faire un grand cercle, et ensuite on parlerait tous de notre enfance autour d’un feu de camp. Je suis certaine qu’on les a toujours mal jugée et qu’ils ont de la conversation. » « Hyper drôle. T'es sûr qu'il n'y a pas du clown, dans ta boîte de conserve ? » Ou peut-être qu'elle a menti et que le commerce dont elle parlait il y a de ça quelques temps n'était autre qu'une entreprise qui vendait des divertissements pour les enfants. Je ne comprends cependant pas comment on peut considérer les clowns comme des divertissements, tant ils foutent la chair de poule à tout le monde.

Il a un maxi nuage qui fonce droit sur nous. J'ai gardé les bases de la survie à force de regarder Hunger Games : les nuages, c'est toujours mauvais. Mais la brume n'en est pas et bientôt, nous sommes capables de distinguer du silence environnant tous les bruits horribles qui émanent de la chorale des zombifiés. « Aide moi à charger les bidons dans la voiture ! Je pense pas que ce soit une horde de libellules qui approche ! » « Mais ce que t'es perspicace, maître Yoda ! » Ni une ni deux, je referme le coffre sur les bidons et prends la fuite à la suite de la jeune femme. « Bouge ton cul, monte ! » Je m'exécute d'un bond et la voiture démarre en trombe.

La respiration courte, je prends le temps de balayer du regard la route qui s'étire devant nous. « Bon, on ne s'en est pas trop mal tir- » Comme il disait ces mots / du bout de l'horizon accourt avec furie / le plus terrible des enfants / que le Nord eût porté jusque-là dans ses flancs. Ce n'est pas le Chêne qui craque sous l'effort de la tempête, mais la lunette arrière, qui se brise d'un coup sec. Et notre tempête n'est pas faite de vent, mais bien de chair putréfiée. Je hurle de surprise, alors que nos passagers clandestins semblent décidés à s'en prendre à nous. La voiture commence une embardée alors que je me penche pour dégainer mon arme, les mains un peut tremblantes. La première balle part dans le toit, à cause de la panique. Le mouvement de la voiture aura au moins eu le mérite d'en décrocher un de l'arrière de notre cercueil roulant. « PUTAIN, ELLE EST COMPLIQUÉE A SUIVRE LA ROUTE ? », que je hurle en pointant de nouveau mon arme sur le zombie qui rentre dans la voiture. Bien sûr que je remets la faute sur Raelyn. C'est toujours ce qu'il y a de plus facile à faire. La balle part, mais si le zombie tombe, c'est avant tout parce que son collègue de derrière a l'air décidé à prendre sa place. Le plus vorace s'avance alors, mains tendues, vers l'arrière de nos sièges. Je tire autant de coups que le permet mon arme à la suite, mais la chose semble assez farouche pour ne pas nous laisser tranquille tout de suite. Lorsqu'il ne me reste que la crosse de mon arme pour nous débarrasser du mort-vivant, je frappe un grand coup dans sa chair putride. La chose glisse sur le coffre, s'y accroche un instant avant de tomber sur l'asphalte. Je pousse un grand soupir en me remettant sur mon siège, abasourdi. « Il s'en est fallu de peu. Tu dois vraiment m'apprendre à tirer. Et moi je dois vraiment t'apprendre à conduire. » Je n'ai même pas mon permis.

« PUTAIN MAIS C’EST COMPLIQUÉ DE LES BUTER ? » Oui c'est compliqué merde Raelyn quand tu conduis comme un pied bordel, elle est droite la route, d-r-o-i-t-e, c'est pas complexe de rouler tout pareil dans la même direction : tout droit.

Mais on sort vivants. C'est le principal, dans ce putain de carnage, et croyez moi que je m'y connais en carnage - haha, c'est éhonté de dire ça, pour un type planqué dans mon genre. « Je sais conduire. » « Non tu sais pas. Les traits sur le sol c'est pour dire là où il faut aller, leçon numéro une. » De même que le viseur sur un flingue, c'est pas fait pour rien, elle pourra me le rétorquer. Comment font-ils, les types qui tirent comme ça d'un coup d'un seul, dans les séries ? Ils ont assurément une sorte de viseur dans l’œil, un truc de vision d'aigle dont moi je n'ai pas hérité. Je jure que mon père, pourtant, il était champion de tir à l'arc. J'aurais dû apprendre aussi, ça nous aurait peut-être sauvé la peau d'une façon plus correcte. « Y’avait pas de cadavres accrochés au coffre quand j’ai passé le permis. » « Mais y'avait des cadavres dans le coffre, pas vrai ? T'as menacé l'instructeur de l'envoyer rejoindre ses collègues dedans s'il te filait pas le sésame ? » Je range l'arme, pensant à la recharger au passage, l'air de rien. La prochaine fois, on inversera les rôles. C'est pour notre survie à tous les deux. « Remercions le ciel, tu m’a pas mis de balle dans la tête. » « Je sais quand même où c'est devant et où c'est derrière. » C'est peut-être mieux si on s'en met une, de balle dans la tête. Ça nous évitera une mort lente, douloureuse et certaine, au bout du chemin.

Y'a un immeuble qu'on longe, aux vitres moins brisées que les autres. Je fais signe à Raelyn de ralentir puisque de toute façon, le temps joue en notre défaveur. Il serait peut-être plus prudent de s'y arrêter pour le fouiller complètement et puis pourquoi s'y reposer au passage. On y trouvera peut-être des survivants à qui piquer des tomates, aussi. Celles de tout à l'heure m'ont désespérément ouvert l'appétit. « C'est le genre de palace qu'on cherche ça non ? Regarde le dernier étage. Y'a des cartons aux fenêtres. C'est une planque abandonnée, avec un peu de chance. » Avec beaucoup de chance ouais, parce que si ça n'est pas vide, nous sommes peut-être déjà repérés. « C'est en mauvais état, je parie plus sur le fait que ça soit... vide de population. » Pas de zombies non plus - le rêve.

Dés dés dééééés :
Yeyyy - C'est vide de chez vide, la voie est libre pour les deux zinzins.
Mouais - Ils sont six à habiter tout en haut et les deux zigotos les repèrent à la lumière laissée allumée, mais ils sont absolument inoffensifs - les habitants, pas forcément nos deux protagonistes.
Oops - Deux types armés jusqu'aux dents leur envoient une grenade du haut de l'immeuble genre "cassez-vous c'est chez nous", l'accueil laisse à désirer, une étoile seulement sur TripAdvisor.

Pretty much dead already
Raelyn Blackwell & @Léo Ivywreath - 2023 - 4 ans après l'apocalypse

C’était un réflex[e débile que de passer derrière le volant et de le laisser nous couvrir. On aurait dû faire l’inverse, on aurait été formidables chacun dans le rôle de l’autre, sauf qu’étant donné la légère urgence de la situation, on a fait comme une a pu. Mal quoi. « Non tu sais pas. Les traits sur le sol c'est pour dire là où il faut aller, leçon numéro une. » Il m’agace et je me demande brièvement si il est plus utile à nous couvrir qu’en tant qu’appât pendant que je fuis loin et vite. Il a de la chance que j’ai pas à mon poser la question trop longtemps puis, finalement, nous parvenons enfin à nous débarrasser des créatures accrochées à la voiture et à les distancer. « Mais y'avait des cadavres dans le coffre, pas vrai ? T'as menacé l'instructeur de l'envoyer rejoindre ses collègues dedans s'il te filait pas le sésame ? » « Continue comme ça et va y’en avoir un de cadavre dans le coffre. » Même armé je suis sûre qu’il est pas bien dangereux le gringalet. Surtout armé, en fait.

En périphérie de la ville, je n’aime pas m’approcher trop du centre, on finit par apercevoir un immeuble qui semble relativement entretenu. Je pense pas que les habitants s’offrent encore les services d’une femme de ménage mais à bien observer les fenêtres, elles ont l’air d’avoir été barricadées. « C'est le genre de palace qu'on cherche ça non ? Regarde le dernier étage. Y'a des cartons aux fenêtres. C'est une planque abandonnée, avec un peu de chance. » Je hoche la tête doucement. « On barricade pas une pièce si on a rien à y cacher. » Même si c’est juste un peu de nourriture. Plus rien ne se jette dans ce nouveau monde, pas même les conserves périmées depuis quatre ans. « C'est en mauvais état, je parie plus sur le fait que ça soit... vide de population. » « Et t’avais de la chance aux jeux ou pas ? » De toute façon je suis d’accord avec lui : le risque vaut le coup d’être pris. Je gare la voiture à quelques mètres de l’entrée pour pouvoir s’y rabattre si jamais nous sommes attaqués, avant de descendre et de lui jeter un coup d’oeil. « Rends moi mon arme. » Pour ce qu’il en fait de toute façon. « Et si on doit se barrer vite fait, tu conduis et je tire. » Parce qu’on aura pas autant de chance deux fois. Doucement, je pousse la porte en verre brisée de l’immeuble et j’entre à l’intérieur. Pour l’instant la chance semble nous poursuivre : il n’y a personne. « J’espère que t’es pas asthmatique. Y’a au moins quinze étages là... » Et inutile de préciser que l’ascenseur et hors service.

« On barricade pas une pièce si on a rien à y cacher. » « Ils sont peut-être partis, brise pas mes espoirs de ressortir de ce superbe voyage vivant. » Et s'ils ne sont pas morts, les habitants, on s'arrangera pour que ça soit le cas. Elle s'est vantée de mieux savoir tirer que moi, on verra bien si c'est vrai. Avec un peu de chance, on rentrera en un seul morceau. « Et t’avais de la chance aux jeux ou pas ? » Je hausse les épaules. « Tu veux pas savoir la réponse. » Je perdrais probablement, au jeu, vu le manque de chance que je me traînais dans ma vie d'avant. Maintenant, tout est différent. Les dieux qui habitent ce ciel sont partis depuis longtemps, il n'y a plus personne pour nous administrer des retours de karma phénoménaux.

Raelyn gare la voiture, j'en sors en soupirant. « Rends moi mon arme. » Je la lui rends en levant les yeux au ciel. Je n'allais pas la lui voler, de toute façon. De nous deux, j'ai les moins bon yeux et la gâchette bien trop facile pour notre santé physique et mentale. Dans la voiture, j'ai récupéré un sac, histoire de pouvoir emmagasiner nos provisions. « Et si on doit se barrer vite fait, tu conduis et je tire. » « Oui cheffe. » Et nous nous avançons vers le bâtiment. Visiblement, l'endroit est vide. Ou alors, les habitants sont tous inoffensifs. On aurait reçu une bonne raison de retourner de là d'où nous venons, autrement. « J’espère que t’es pas asthmatique. Y’a au moins quinze étages là... » « Tu me porteras, si je me sens mal. » Je me dépêche de m'engouffrer à la suite de Raelyn.

Les premiers étages ne mènent à rien sinon des appartements qui sentent la mort - vides. Les derniers étages, en revanche, seront peut-être plus intéressants. C'est au terme d'une interminable ascension que nous atteignons l'ultime pallier. L'une des portes est grande ouverte et je préfère me concentrer sur la porte fermée qui s'offre à nous. Oreille plaquée sur le bois, je crois comprendre que personne n'habite ici. « Couvre moi. » J'appuie sur la clenche. La porte est verrouillée. Un éclair de génie pour pousse pourtant à glisser les doigts sous le tapis rose qui orne le pied de la porte. En dessous se trouve la clef de la porte. Fier de ma découverte, je me dépêche de m'engouffrer dans l'appartement. Il est étonnamment propre. « Ce doit être une vraie mine d'or. Qui laisse encore ses clefs sous le paillasson ? » Des gens qui se séparent pour chercher à manger, qui laissent les clefs pour le groupe deux quand le groupe un n'est pas certain de rentrer un jour. Visiblement, les deux groupes sont morts... ou nous tomberont dessus en même temps.

Avec pour seule lumière celle qui provient de l'extérieur, filtrée par les papiers journaux plaqués aux fenêtres, je chercher la cuisine. « Y'a personne. Ils sont vraiment partis. Ou morts. » Sous l'évier, derrière des bassines, je trouve des conserves poussiéreuses. « J'espère que t'aimes le thon. » Je me dépêche de ranger mes trouvailles. « Les proprios' reviendront pas. On pourrait crécher là pour pouvoir aller plus loin demain. » Ou partir dans la nuit, ne jamais rentrer. Les types de notre groupe à nous ne me manquent pas, en tout cas.

Pretty much dead already
Raelyn Blackwell & @Léo Ivywreath - 2023 - 4 ans après l'apocalypse

Je crois que l’avantage de toujours s’attendre au pire, c’est qu’on ne peut plus être déçu par grand chose. Le gamin déciderait de me voler dans mon sommeil, de se barrer en me laissant au bord de la route sans rien ou de m’abattre d’une balle dans la tête que je me dirais ”ok, c’était prévisible. Lui, il semble optimiste, c’est à se demander où il était les quatre dernières années.

Mais je suis au moins d’accord sur un point avec lui : on ne s’est pas fait tirer dessus depuis le dernier étage, alors ça mérite au moins qu’on aille jeter un coup d’oeil en restant sur nos gardes. On vit de toute façon dans un monde où, si l’on ne prend aucun risque, on crève de faim bien rapidement. On entre dans le hall de l’immeuble et je pousse doucement la porte de la cage d’escalier. « Tu me porteras, si je me sens mal. » « Si tu te sens mal au mieux je te tendrais une bouteille d’eau. » Et encore, ça c’est si j’estime qu’elle ne me sera pas plus utile à moi qu’à lui. L’ascension est dure, elle est pénible et à plusieurs reprises l’un crie à l’autre de faire attention aux pièges posés par les anciens occupants de l’immeuble. Les appartements du bas sont vides mais je ne suis pas surprise, si j’étais eux moi aussi je me serais retranchée le plus haut possible et je me serais contentée de tirer à vue depuis mon balcon. « Couvre moi. » Je hoche la tête doucement et je ôte la sécurité de mon arme. Sauf que la porte est verrouillée, mais que le minot trouve la solution. « Ce doit être une vraie mine d'or. Qui laisse encore ses clefs sous le paillasson ? » Je fronce les sourcils, agitée par un mauvais pressentiment. Et si c’était un piège ? Je n’ai pas le temps de partager le fond de ma pensée que Léo pousse la porte doucement. Il entre et j’entre à sa suite, braquant mon arme dans tous les recoins de la pièce dont je le laisse faire le tour. « Y'a personne. Ils sont vraiment partis. Ou morts. » « Ou ils nous attendent en bas pour nous cueillir. » Pas rassurée, je le laisse chercher la cuisine pendant que j’entrouve la baie vitrée qui donne sur la terrasse. Je me penche en bas, mais je n’aperçois personne et n’entends que le silence. Je regagne l’intérieur, et je laisse mes doigts se balader sur les meubles. Je les retire pour constater qu’il soit couverts de poussière. « J'espère que t'aimes le thon. » Je me tourne vers le brun qui revient de la cuisine les bras chargés de provisions. « Les proprios' reviendront pas. On pourrait crécher là pour pouvoir aller plus loin demain. » Je lève mes doigts couverts de poussière dans sa direction. « Ouais, sauf ils sont partis depuis longtemps, soit ils ont pas peur des acariens. » Je m’essuie sur mon pantalon, avant de le rejoindre au centre de la pièce. Je ne sais même pas si j’aime le thon, aujourd’hui, on a plus le luxe de se poser ce genre de question : on mange, c’est tout. « La nuit va pas tarder à tomber de toute façon. On peut crécher là, on aura pas le temps de rentrer. » Mais est-ce que j’en ai envie ?

« Ou ils nous attendent en bas pour nous cueillir. » « Tu vas nous porter malheur. » Je suis entré sans prendre trop de précautions, j'avoue. Mais si j'étais dans cette planque de rêve et que quelqu'un débarquait pour la visiter, j'aurais probablement déjà tiré. Raelyn aussi, je suis sûr. Ma camarade explore, probablement pas très sûre que l'endroit où nous sommes tombés soit vraiment tranquille. Je lève les yeux au plafond, contemple les matériaux au dessus de ma tête. Je me suis déjà planqué dans un plafond avec Wren, il y a un bon moment. Mais ici, ce n'est pas possible. Non, les habitants ont filé. Ils sont peut-être morts depuis longtemps. Mais pourquoi auraient-ils laissé des conserves ainsi cachées ? Ils projetaient probablement de revenir. Quand j'ai trop de provisions pour les porter dans qu'elle ne me glisse d'entre les bras, je rejoins Raelyn.

« Ouais, sauf ils sont partis depuis longtemps, soit ils ont pas peur des acariens. » « Ou ils sont planqués dans le sol. » Comme des rats. « La nuit va pas tarder à tomber de toute façon. On peut crécher là, on aura pas le temps de rentrer. » J'approuve d'un signe de tête. Je m'empresse de tout enfourner dans mon sac, le pose sur la table sale au centre de la pièce, puis me dirige vers la porte d'entrée. Contre cette dernière, je cale une chaise en fer ainsi qu'un petit meuble. Lorsque c'est fait, je rejoins de nouveau ma camarade dans la pièce. « Le judas est condamné. Nos hôtes savaient qu'ils allaient être débusqués à un moment ou un autre. » En revenant dans le salon, j'ai aussi remarqué la présence d'une chambre d'enfant. « On fait des rondes. Je prends le premier tour de garde si tu veux dormir un peu. » La lumière baisse déjà, bien que l'appartement soit plutôt plongé dans la pénombre à cause des fenêtres barricadées. « Te bile pas, je ne vais pas me tirer avec les boîtes de thon. » C'est ce qu'on devrait faire, pourtant. Ne rien ramener à la bande pour qui on va chercher à manger aujourd'hui.

« On est pas obligés. » Je marque une pause en attrapant une boîte de thon. « De rentrer. On n'est pas obligés. » Elle pourrait me liquider pour des mots pareil. Sauf si elle pense pareil que moi. Auquel cas, à nous la liberté.